Deuxième partie: l’absolutisme Monarchique (XVIè-XVIIIè s)

Les trois siècles qui précèdent la Révolution de 1789 confirment les efforts entrepris par les rois de France d’instaurer un pouvoir étatique souverain. La puissance de l’Etat se dessine tant théoriquement, par un intense effort doctrinal de la monarchie sur elle-même, que dans la pratique par une adaptation des principes du gouvernement royal aux réalités et à la personnalité des rois. Au cours de cette période, un terme s’impose pour désigner le gouvernement royal : celui d’absolu. La monarchie est dite absolue, la puissance du roi est absolue, l’autorité de l’Etat s’avère elle aussi absolue.

Mais contrairement au sens donné après la Révolution à cette caractéristique, le gouvernement royal ne se confond jamais entièrement avec l’arbitraire ou le despotisme. Sous l’Ancien Régime en effet il s’agit par là de désigner un régime politique où le détenteur d’une puissance attachée à sa personne concentre en ses mains tous les pouvoirs et gouverne sans contrôle. Pour autant, la construction de l’Etat royal a lieu dans le cadre contraignant du respect des lois fondamentales. Ainsi, la centralisation et l’égalitarisme qui seront l’œuvre entreprise par la dynastie des Valois puis des Bourbons se fera en conformité avec la sédimentation des usages, des lois divines et morales, des principes du droit et de l’administration mis en place par la lignée capétienne qui protègent le gouvernement royal autant qu’ils le limitent.

En résumé, de Charles VIII (1498) à Louis XVI (1792), le pouvoir royal triomphe autant dans les domaines militaire, financier, législatif que judiciaire. Cependant la période politique est troublée par une série de graves événements. Les guerres de religion déchirent le pays entre 1555 et 1589 et conduisent à une très grave crise qui remet sérieusement en cause l’autorité monarchique. La fin du règne des Valois est marquée par l’assassinat d’Henri III en 1589, qui meurt sans laisser de descendance.

Henri IV protège l’unité nationale en abjurant sa foi protestante mais en garantissant aussi par l’Edit de Nantes de 1598 la liberté de culte. Cette mesure permettra d’apaiser les tensions et de ramener la prospérité au royaume. L’économie et les finances sont redressées et l’autorité royale jouit de nouveau de ces progrès. C’est ensuite sous le règne de Louis XIII (1610-1643) puis de Louis XIV (1643-1715) que l’Etat monarchique se dote progressivement de structures politiques qui lui permettent presque d’exercer sans partage sa souveraineté. Sous ces règnes, les rois doivent faire face à de multiples difficultés tenant à l’opposition protestante et aristocratique pour le premier et par les cours souveraines pour le second (la Fronde 1648-1653).

Le règne autoritaire de Louis XIV sera une exception marqué par le développement de l’obéissance à l’égard des nobles, la centralisation de l’administration et la mise sous tutelle des forces sociales (Etats, parlements et villes) qui participaient auparavant à l’exercice du pouvoir.

Les règnes de Louis XV (1715-1774) et de Louis XVI (1774-1792) sont caractérisés par des tentatives de réforme des institutions et par des résistances dues notamment aux revendications politiques des parlementaires. En outre, la situation financière catastrophique aggrave la crise de croissance d’institutions dépassées par l’esprit de son siècle et les aspirations des Lumières à la liberté. L’impasse dans laquelle se fourvoie Louis XVI le conduit à réunir le 1 mai 1789 les EG qui moins de deux semaines après signifieront la fin d’une époque longue de plus de huit cent ans.

Il conviendra de voir dans 5 chapitres l’esprit des institutions royales consacrant la puissance absolue de l’Etat royal.

Ainsi nous nous intéresserons à la notion moderne de souveraineté et à ses conséquences institutionnelles, puis nous nous pencherons sur la question des moyens de gouvernement de l’Etat ainsi que sur celle des moyens de la mise en œuvre de la politique de l’Etat. Enfin on se questionnera sur la maîtrise de la loi et de la justice par le roi.


Chapitre Ier Pouvoir Royal et renouveau des idées politiques au XVIe XVIIe siècle

L’absolutisme ne peut se comprendre sans la théorie de la souveraineté qui se trouve à la base de l’Etat. Dans le prolongement du travail doctrinal de fondation de l’Etat moderne entrepris au Moyen-âge les penseurs politiques, les légistes et les rois de France vont ériger la souveraineté au rang de ce qui constitue l’âme de l’Etat. Des œuvres comme celle de Jean Bodin, Les six livres de la République (1576) constitueront un tournant décisif dans la formation de la monarchie absolue détentrice de la compétence législative. En faisant du roi le titulaire absolu de la fonction législative, les légistes de la Renaissance, viendront briser le pluralisme juridique des temps féodaux, et imposeront une vision centralisatrice de l’Etat monarchique.

Ill convient de voir dans une première section comment les théoriciens de la Renaissance ont sédimenté ce concept moderne de souveraineté, comme capacité à ne se reconnaître aucun supérieur et à édicter seul la loi (la loi royale n’étant plus un simple bouche trou de la coutume), puis de voir comment les idées absolutistes ont triomphé au XVIIe siècle, avec Louis XIV parangon de la monarchie autoritaire et absolue.

Section 1/ La souveraineté de l’Etat : promotion et contestation

 

Au cours du XVIe siècle la notion de couronne détache la personne du roi de la fonction qu’il exerce. Ce concept de droit public préfigure une abstraction plus poussée désignant une entité supérieure distincte du prince. La notion d’Etat, ou plus simplement de chose publique, ou encore de République apparaîtra ainsi à la Renaissance par le biais du renouveau des études des textes politiques de l’Antiquité (Platon, Aristote, Cicéron).

On ne pourrait pas évoquer en quelques mots toutes les étapes de la construction théorique de l’idée d’Etat, cependant il est nécessaire de mentionner l’importance qu’ont eu des penseurs comme Machiavel ou Bodin dans l’entreprise de promotion de la souveraineté de l’Etat (A) tandis que les idées développées par les monarchomaques à la suite des guerres de religion vise au contraire à restreindre les avancées de l’absolutisme (B)

§1/La souveraineté au service du progrès de l’autorité royale : Machiavel et Jean Bodin

Le XVIe siècle voit les idées politiques se régénérer par les références nombreuses empruntées à l’Antiquité visant à faire de l’Etat une entité autonome indépendante tout à la fois de ses formes et de la personne de ses gouvernants. Machiavel fait figure de précurseur de la science politique moderne et de la raison d’Etat, quand Jean Bodin place au cœur de la fonction royale le pouvoir de donner et de casser la loi.

A/Machiavel, précurseur de la raison d’Etat

Machiavel naît à Florence en 1469 et se fait connaître par ses activités d’écrivain (auteur de poésie, de théâtre, de stratégie militaire) et de conseiller du Prince Laurent II de Médicis. Il meurt en 1527 après des années de services rendus à sa cité, entrecoupés de moment d’exil et de disgrâces. Secrétaire à la chancellerie de la république florentine, Machiavel puise dans ses références antiques romaines et grecques (Aristote, Polybe, Tite Live) pour promouvoir l’unification des cités-états. Pour ce faire, il estime nécessaire de s’en remettre à un prince puissant. En effet, selon lui il n’y aurait d’unification sans prince.

Le prince trouve ainsi sa place au centre de l’Etat. Il n’est plus le suzerain des suzerains placé au sommet de la pyramide, mais bien au contraire le soleil qui rayonne et autour duquel s’agence toutes les institutions de l’Etat.

Ainsi, toute la philosophie politique de Machiavel tourne autour des deux notions centrales d’Etat et du Prince.

L’Etat tout d’abord. Longtemps on a attribué à Machiavel la paternité de ce terme. Si l’assertion est difficilement soutenable, il n’en demeure pas moins que c’est à partir de son œuvre que le terme se popularise. Notons aussi que Machiavel ne donne jamais une définition précise de l’Etat qu’il ne distingue pas clairement des gouvernants ou de ceux qui en ont la garde. Cette confusion entre l’Etat et le Prince constitue d’ailleurs un des facteurs fondamentaux de l’absolutisme que Machiavel prône en faveur du Prince.

En outre Machiavel soutient les arguments visant à séculariser l’Etat, c’est-à-dire à l’émanciper de la puissance et de l’influence de l’Eglise et du pape. La religion ne doit pas dominer l’Etat mais lui être subordonnée pour devenir un instrument de puissance et de cohésion sociale. Il en va de même de l’armée qui doit servir à assurer la sécurité de l’Etat à l’extérieur et devenir un instrument du civisme par le biais du service militaire. L’armée en outre doit permettre à l’Etat d’étendre sans cesse ses limites, de sorte que l’Etat est à la fois indépendant sur la scène internationale, dépris de ses liens avec les puissances terrestres ou spirituelles.

A la tête de cet Etat, Machiavel y place un Prince, qui s’il veut réussir à émanciper l’Etat des puissances concurrentes doit prendre des libertés avec la morale politique traditionnelle et imposer des méthodes de gouvernement qui visent avant tout à l’efficacité. Le prince machiavélien est alors calculateur et égoïste, porté à assurer la réussite de ses entreprises quelque soit le moyen mis en œuvre. La ruse, la subtilité, la dissimulation, voire l’hypocrisie est mise au service de l’Etat pour obtenir l’adhésion du peuple, pour ménager l’opinion publique. Affranchi de la morale traditionnelle, le Prince assure la sauvegarde et l’administration de l’Etat par le biais de la raison d’Etat, concept qui permet de toujours justifier les actions de l’Etat en dehors des références au bien ou au mal ;

Seul un prince unique peut servir de cette manière un Etat dont la première marque est de détenir sur ses sujets une autorité absolue. Machiavel sera l’un des plus proches conseillers des Médicis, de Laurent le magnifique, qui ne saura réussir l’unification des cités-états italiennes. Mais son arrière petite fille, Catherine de Médicis, reine de France grâce à son mariage avec Henri II, puis régente saura se souvenir des leçons du machiavélisme.

L’une des sources principales de l’absolutisme royal se trouve dans les œuvres de Jean Bodin et plus principalement dans son idée de souveraineté royale identifiée par la fonction législative du roi.

B/Bodin et la souveraineté de l’Etat

Né à Angers en 1530, Jean Bodin est un avant tout un humaniste écrivain qu’un homme d’action. Tout à la fois économiste et juriste souvent consulté sur les questions de droit public. Il finira sa vie en tant que procureur du roi à Laon et se montrera un défenseur de la royauté contestée par les protestants.

Dans son œuvre principale, les six livres de la république (1576), Jean Bodin s’intéresse principalement à la définition de la souveraineté et aux différentes formes que peut prendre l’Etat.

La définition de l’Etat par Bodin s’inspire de sa connaissance de l’histoire du pouvoir romain. Dans une définition restée célèbre, la république est selon Bodin cette chose publique qui « est le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine ».

Pour Bodin ce qui essentiel : c’est la souveraineté. Absolue et perpétuelle elle est la force d’union et de cohésion de la communauté politique. Elle caractérise le pouvoir de l’Etat qui doit être permanent dans la mesure où il est continu dans le temps et aussi absolu parce que c’est à lui qu’elle appartient en dernier ressort.

Ainsi, cette majesté suprême ne saurait être limitée ni par les souverains extérieurs, ni par le pape, ni par les lois. Bodin reconnaît toutefois que la puissance de l’Etat est cependant encadrée par le droit naturel et les lois de Dieu. C’est pourquoi la république de Bodin n’est pas arbitraire, mais s’identifie dans un gouvernement régi par le droit et la morale.

Toujours selon Bodin, la souveraineté se définit comme étant perpétuelle, absolue et indivisible. Perpétuelle, elle préexiste au roi et ne s’éteint pas avec lui. Absolue, elle suppose que les ordres de l’Etat s’impose à tous, y compris à l’égard de son chef, soumis naturellement aux lois de Dieu et de la nature. En cas de manquement à cette obligation principale, les sujets détiennent un droit légitime à l’insurrection et à la désobéissance.

En fin de compte, la souveraineté est définie comme le pouvoir qui décide en dernier ressort. La question qui va maintenant retenir Bodin sera de déterminer quel en sera le titulaire. Mais dans la mesure où la souveraineté est indivisible, seul un état monarchique semble possible. Le roi détient alors le pouvoir de faire et de casser la loi, de statuer en dernier ressort au dessus de tout tribunal quel qu’il soit. Pour autant, un roi n’est pas un tyran dans la mesure où le roi incarne une institution au service de l’Etat et du bien commun, respectueux de la liberté naturelle et de la liberté de propriété (à nuancer).

La souveraineté apparaît alors comme un concept construit dans le but d’interpréter le système de la monarchie pure dans laquelle le roi est seul maître des structures du pouvoir.

De cette théorie de l’unicité de la souveraineté, Bodin en déduit ce qu’il appelle les marques de la souveraineté, c’est-à-dire les prérogatives royales. Parmi celles-ci une s’impose à toutes les autres et les engendre toutes : La puissance suprême se caractérise par sa capacité à donner et casser la loi. Toutes les autres marques de la puissance suprême en découlent. Ainsi, la puissance législative remplace la traditionnelle juridiction en dernier ressort.

Le pouvoir législatif du roi de donner à tous en général et à chacun en particulier est exercé sans partage et sans besoin de consentement aucun. La formule « car tel est notre plaisir » figurant au bas des ordonnances royales n’exprime pas l’arbitraire mais fait entendre que la loi, issue de la raison bienfaisante du roi s’accordant au bien commun, ne dépend que de sa pure et franche volonté.

En définitive, faire la guerre, décider de la paix, battre monnaie, lever les impôts, nommer les officiers, juger en dernier par le biais de la justice retenue sont des prérogatives qui procèdent toutes de la puissance législative.

Par la suite, la pensée de Bodin sera reprise par une série importante d’auteurs qui assureront la transition vers l’absolutisme du XVIIe siècle. Ainsi en est-il de Guy Coquille (1523-1603) auteur de l’institution au droit des français, qui dans une formule célèbre traduira la toute puissance exercée par le roi dans l’Etat. Ainsi selon Coquille « le roi est monarque et n’a pas de compagnon en sa majesté royale ». De même pour Loyseau, dans son traité des seigneuries, la souveraineté apparaît comme « le comble de la puissance », la « forme qui donne l’être à l’Etat ».

L’Etat devient de cette manière un terme synonyme à celui de souveraineté.

Mais le XVIe siècle est aussi marqué par une théorie partagée de la souveraineté. Les guerres de religion opposant l’Eglise réformée aux princes catholiques entendent délégitimer la monarchie comme gouvernement idéal et unique à la consécration de l’Etat. De cette lutte idéologique entre protestants et catholiques découlent des théories du pouvoir politique hostiles tant à l’institution royale qu’à l’autorité des rois. Il convient de voir comment les thèses des monarchomaques (littéralement ceux qui combattent le souverain) protestants se rejoignent dans leur dénonciation du monarque absolue véritable tyran à leurs yeux. Leur doctrine aboutit à l’idée que la finalité de l’Etat réside dans la prospérité de tous les membres du corps social. Ils mettent en avant la notion de contrat entre la population et le souverain tout puissant.

§2/ Les thèses opposées à la monarchie absolue : les monarchomaques protestants et catholiques.

 

A/ les doctrinaires protestants

Pendant longtemps les protestants (1517) ménagent la royauté, surtout vrai sous le règne de François Ier. Mais après le massacre de la saint Barthélémy en août 1572, encouragé par la régente Catherine de Médicis, les doctrinaires protestants se radicalisent autour des œuvres de François Hotman (1524-1590) professeur de droit à Bourges notamment (auteur de la Franco-Gallia) et de Théodore de Bèze (1519-1605) successeur de Calvin et chef des églises réformées de France. Son œuvre principale, intitulée Du droit des magistrats sur leurs sujets, est représentative des théories monarchomaques visant à limiter la toute puissance du roi.

Ils condamnent tout d’abord l’absolutisme et les lois de succession pour promouvoir des moyens tempérés de gouvernement et de légitimation. C’est ainsi que Hotman privilégie l’élection du roi par les grands et le partage de ses compétences avec ces derniers, notamment en ce qui concerne l’administration de la justice et la production de la loi. Ainsi la monarchie se trouvait composée et tempérée, elle apparaissait comme un régime mixte dans la pure tradition aristotélicienne.

Pour F Hotman, les EG doivent jouer ce rôle de médiateur entre le roi et le peuple. Les EG représentent alors la nation toute entière. Le roi est obligé de les convoquer et de les associer à la production normative.

Pour Th de Bèze, le modèle de gouvernement idéal est celui de Genève. Gouvernement où les magistrats sont limités par le respect des lois divines et du droit naturel. En outre son pouvoir se doit d’agir moralement en respectant la charité et la piété. En l’absence des ces données fondamentales, il n’y a pas de légitimité à gouverner. Ainsi, le roi tient son pouvoir autant de dieu que du peuple.

C’est d’ailleurs dans cette idée de consentement populaire que réside véritablement la plus importante critique faite à l’autorité sans partage du roi. Ainsi pour Th de Bèze, il y a bien un contrat entre le roi et ses sujets. Le roi ne tient son pouvoir que du consentement du peuple et ce consentement est à la base un contrat fondé sur la bonne foi et la raison.

De la même manière l’élection du roi selon les thèses de Hotman revient à reconnaître que la source de son pouvoir réside dans le peuple, qui dans le cadre d’un contrat tacite a décidé de lui en déléguer une partie. Mais Hotman va plus loin en distinguant la souveraineté de l’Etat, toujours attachée à la collectivité, du tuteur de cette souveraineté : c’est-à-dire le roi qui en reçoit un exercice délégué. Ainsi le peuple apparaît supérieur au roi qui doit lui demeurer soumis tout comme il l’est aussi à Dieu. La mission du roi est donc contractuellement définie et ne peut être remplie que dans un cadre strict. Tout souverain qui s’en écarte devient un despote auquel le peuple n’est plus obligé d’obéir.

La résistance à la tyrannie constitue un véritable droit chez les monarchomaques. Ainsi les auteurs distinguent 2 cas de figure dans lequel la désobéissance au roi est encouragée ainsi que les moyens à mettre en œuvre.

Lorsque le roi enfreint la loi divine, lorsque le roi viole la loi civile. Dans ces deux cas, le peuple peut faire appel aux princes étrangers. Se dégage ainsi une définition du tyran qui est celui qui viole les lois divines et civiles préexistantes à l’Etat. Le roi est donc doublement encadré par la norme religieuse et civile, dans la mesure où le peuple reçoit de dieu le pouvoir de déléguer son pouvoir au profit d’un prince soucieux des intérêts communs. Nuance pas une démocratie mais plutôt une aristocratie qui est amenée à collaborer avec le roi au sein des institutions étatiques.

B/ les doctrinaires de la ligue et l’opposition catholique

Sous le règne de Henri III et Henri IV, les protestants changent d’attitude et soutiennent la royauté. C’est au contraire, les doctrinaires catholiques qui prennent alors leurs distances.

Une ligue se constitue en 1576 dans le but de défendre la religion catholique. Et, chose paradoxale, même si son hostilité à la royauté est certaine les doctrinaires de la ligue ne font que réutiliser les arguments des monarchomaques protestants. Ainsi, Jean Boucher dans son « de la juste abdication du roi d’Henri III » ne parvient pas à dégager une théorie nouvelle.

Ont retrouve comme chez les premiers la volonté de placer la royauté sous tutelle : une tutelle du peuple ou d’origine divine. Elu ou désigné par le peuple, le roi peut être déposé par lui s’il s’écarte de la voie qui lui a été tracée. Régner n’est rien donc qu’exécuter une contrat conclu avec le peuple. Ainsi la couronne n’est pas héréditaire mais élective ce qui au final donne au régime souhaité un mélange de théocratie et de démocratie.

Henri III est pour Boucher le parangon du despote envers lequel le peuple n’a aucun devoir d’obéissance. Davantage, il a le droit impérieux de déposer le roi défaillant. Les griefs à l’encontre du roi sont nombreux puisqu’il est à la fois parjure (choix d’Henri de Navarre comme successeur, édit de tolérance) assassin du duc de guise, mais aussi « sacrilège, fauteur d’hérésie, simoniaque, magicien, dissipateur du trésor public, ennemi de la patrie » de sorte que son assassinat par un monarchomaque est parfaitement justifié. La déposition et le régicide sont donc acceptés comme des moyens légitimes pour corriger les dérives de la monarchie. Mais ce sont des moyens radicaux qui ne sauraient contraindre le roi au quotidien. C’est pourquoi, l’exercice du gouvernement doit être placé sous la surveillance des Etats, représentants de la nation.

Ainsi pour les monarchomaques, protestants ou catholiques, le pouvoir royal se trouve sérieusement limité aussi bien dans sa source que dans son exercice. En outre, si le roi se comporte en despote, les sanctions sont immédiates et extrêmement graves. De ces théories résultera un climat délétère et violent marqué par les assassinats en série des chefs protestants ou catholiques, François et Henri de Guise, l’Amiral de Coligny, Henri puis Henri IV.

Pour autant les thèses monarchomaques n’arriveront pas infléchir le progrès des idées absolutistes. L’Etat souverain, détenteur exclusif de la puissance de commandement en dernier ressort s’impose réellement au XVIIe siècle, époque qui verra se forger définitivement l’idée de la puissance suprême de l’Etat.

Section 2/ Le triomphe des idées absolutistes au XVIIe siècle

C’est principalement sous les règnes d’Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV que la doctrine absolutiste s’épanouit. Elle doit beaucoup aux théoriciens et praticiens des règnes que sont dans l’ordre Loyseau, Cardin le Bret, Richelieu, Bossuet et in fine Louis XIV lui-même. Tous ces auteurs considèrent que si la royauté doit être absolue elle ne saurait être arbitraire.

Richelieu et plus tard Bossuet contribueront grandement à parachever le régime monarchique absolutiste.

§1/Une monarchie certes absolue mais non arbitraire

Comme l’affirmait déjà Bodin, le régime idéal correspond à une monarchie pure et absolue dont les postulats de base font du roi un arbitre suprême ne tenant son pouvoir que de Dieu seul. Il convient d’éclaircir ces deux présupposés.

Arbitre suprême laisse entendre que sa décision s’impose à toutes les autres quelques soient les circonstances. Ainsi, la volonté royale prévaut sur celle des seigneurs, des Parlements, des EG et accapare entièrement toutes les marques de la souveraineté. Imposer sa décision passe nécessairement par le monopole de la fonction législative. D’où la formule au bas des ordonnances « car tel est notre plaisir », qui ne traduit pas une volonté despotique, mais l’idée que le roi s’estime seul compétent pour légiférer et qu’à force de loi tout ce qu’il juge bon pour le royaume et ses sujets.

Roi par la grâce de dieu maintenant : ici les théoriciens de l’AR ne font que reprendre les thèses de la monarchie sacrée des temps féodaux. Le roi ne tient sa couronne d’aucune autorité spirituelle ni temporaire, mais d’un principe éminemment supérieur, créateur du monde et ordonnateur des pouvoirs à l’image du père des hommes.

La monarchie est ensuite réglée par des lois tant morales, divines que civiles.

La religion constitue les barrières morales les plus solides à l’exercice de la souveraineté royale. Roi par la grâce de Dieu il est comptable devant Dieu de sa gestion. De sorte que le droit divin impose au roi tout autant de devoirs qu’il lui confère de droits.

Après la religion, l’une des limites au pouvoir royal est le respect du droit naturel qui postule l’inviolabilité des personnes et de leurs biens (respect des libertés personnelles et familiales, respect de la propriété privée).

A ces freins moraux et religieux : viennent s’ajouter les lois fondamentales, la liberté des corps, des ordres et des pays.

En fin de compte ces différents éléments constituent un bloc juridique supérieur à la volonté du roi et auquel il devait obligatoirement se soumettre.

Le gouvernement monarchiste va connaître une rationalisation importante de ces principes absolutistes grâce aux théories appliquées par deux grands serviteurs et conseillers du roi que seront le Cardinal Richelieu et l’évêque de Meaux, Bossuet.

§2/ L’absolutisme selon Richelieu et Bossuet

A/ La pensée de Richelieu : le prince et son ministre principal

Pour Richelieu il ne peut y avoir « qu’un seul pilote au timon de l’Etat ; rien n’est plus dangereux que diverses autorités égales en l’administration des affaires ».

Ce faisant, le cardinal exclut toute collégialité au sommet de l’Etat. Les EG ainsi que les états provinciaux sont condamnés et Richelieu se montre très hostile à leur convocation et à leur consultation. A l’égard des parlements, son attitude est la même, leur reprochant d’intervenir de manière inopinée dans les affaires politiques.

A la rigueur Richelieu consent au Prince de s’appuyer sur la noblesse, qui cependant ne saurait se cantonner qu’aux affaires militaires. A l’endroit du peuple, le roi doit faire preuve d’une grande méfiance. Il convient de le maintenir à distance, de le maintenir dans une condition inférieure.

Au final, Richelieu rejoint les analyses de Machiavel. Seul le résultat compte et la raison d’Etat permet au final de légitimer toutes actions politiques du prince. Rien d’autre que l’intérêt supérieur de l’Etat et de la couronne ne doit lui dicter son action. Tout au plus peut-il compter sur le soutien avisé de son principal ministre.

Gouverner, ce qui selon Richelieu consiste à « négocier constamment », représente une tâche particulièrement lourde pour un roi qui ne peut exercer seul la direction du royaume. C’est pourquoi Richelieu conseille de s’entourer d’un très petit nombre de fidèles conseillers. Combien. Tout au plus 4 conseillers d’Etat, dont l’un serait privilégié par rapport aux autres et détiendrait une autorité sur le reste des conseillers d’Etat. Ce faisant le roi pourra compter sur la compétence, la fidélité et la loyauté de son ministre principal. A cette occasion se dégage une théorie du ministériat qui consiste à guider le roi dans le choix de la meilleure des décisions.

Le portrait du premier ministre selon Richelieu se décompose comme tel : probité, capacité, courage, indépendance par rapport à toute autre autorité, et enfin condition essentielle : totale confiance mutuelle entre le roi et le premier ministre.

Les qualités de l’équipe ministérielle sont ensuite les suivantes : confiance, relative liberté de parole laissée aux ministres, récompenses régulières si les services rendus sont à la hauteur des espérances du roi, et enfin une protection efficace de la part du souverain.

Ainsi, le roi est déchargé de devoir tout faire en détail, ce qui permet une plus grande efficacité du travail gouvernemental.

B/ L’absolutisme théocratique de Bossuet

Avec Bossuet (1627-1704) on atteint les sommets de l’absolutisme. Un véritable culte du monarque est mis en place. En effet, au moment où l’évêque de Meaux écrit le règne de Louis XIV est à son acmé : réussites militaires, diffusion des arts et des lettres, magnificence du pouvoir…C’est dans son œuvre magistrale « la politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte » que se dévoile l’essentiel de sa pensée. Pour autant, même si les références à la bible sont constantes Bossuet ne perd pas de vue les préoccupations d’actualité.

Pour Bossuet, la monarchie est essentielle car c’est elle qui assure l’unité et l’ordre du pays. Symbole d’autorité le pouvoir d’un permet de freiner les violences, de réprimer les passions, d’éviter les divisions et le recours à la force.

Dieu seul est le vrai roi qui assure son autorité sur l’ensemble des individus. Le pouvoir est donc une invention divine délégué par la suite à un roi, jouant le rôle d’intercesseur entre l’universel et le monde terrestre. Pour Bossuet donc le roi tient son pouvoir de Dieu, devant lequel il est comptable de ses actions, de son office de guider son peuple vers le Salut. Dieu établit les chefs des peuples et en fait ses propres ministres par l’intermédiaire desquels il règne.

En conséquence enfreindre les ordres c’est désobéir à Dieu et commettre un véritable sacrilège et méconnaître les lois de la nature qui présupposent l’existence d’un empire paternel. De sorte que le régime monarchique pour cette raison, mais aussi en raison de son ancienneté, s’impose naturellement comme l’unique forme de gouvernement valable permettant de pérenniser l’Etat.

La soumission des sujets à l’autorité royale s’explique aussi du fait que le roi exerce une autorité légale, c’est-à-dire déterminée par des lois qui définissent le cadre d’action du gouvernement. Ces lois, inspirées par l’équité et la raison, guident l’autorité royale sur le droit chemin. Bossuet exprime clairement le fait que ces lois fondamentales s’imposent au roi même absolu. Cette autorité raisonnable est la deuxième caractéristique de l’autorité royale selon Bossuet. Dieu en effet a confié au roi le pouvoir en raison de leur naturelle sagesse et de leur conduite irréprochable. L’autorité royale apparaît aussi en troisième lieu comme paternelle. Le roi doit être aimé de ses sujets, ce qui suppose qu’il doit être bon à leurs égards, de surcroît à l’éga rd des plus malheureux et des plus pauvres. A la loi et à la justice s’ajoutent la clémence, la douceur et la bonté.

Bossuet vient donc au tout début du XVIIIe siècle faire la synthèse de plusieurs siècles de doctrines relatives au caractère sacrée de la royauté. L’absolutisme auquel il se réfère cependant en 1709 est paradoxalement contesté. Le peuple faisant sentir son désir de liberté et d’autodétermination.


Chapitre II : Le triomphe de la loi

Section I : L’expansion de la loi : le développement du pouvoir normatif royal

Érigée en source créatrice du droit, la loi joua, à l’époque moderne, un rôle bcp plus importante que celui de la coutume qui, désormais privée de sa fonction dynamique, se trouva confinée ds un rôle statique de source normative du seul droit privé (cf. infra). Phénomène lié :

– à l’évolution générale d’une société de plus en plus individualiste, ds laquelle la conception sociale et juridique de la famille et des groupements diminue inexorablement : sécurité de l’individu passe désormais par l’Etat, garant puis gérant de l’ordre politique, économique et social, et dont la loi constitue le pcipal instrument d’action.

– au dév. de la culture écrite et à l’accroissement des connaissances ;

– surtout : au renforcement des pouvoirs souverains confondus en une même main ds la plupart des États d’Europe. La grandeur de la monarchie et l’unification de la France passaient par une activité législative de plus en plus envahissante : la loi = un instrument efficace de modification du réel politique, social et économique. La suprématie de la loi correspond donc clairement à la mainmise de l’Etat sur le droit. La France d’AR prépare le légalisme triomphant de l’époque contemporaine.

Théorie du pouvoir législatif royal : La loi se définit matériellement par son caractère impératif, général et permanent. L’Antiquité grecque, puis romaine, nous en a légué le concept, et même les modèles formels : manifestation étatique par excellence, dont la réapparition à partir du XIIè s. est liée à la volonté de puissance de la royauté capétienne (cf. supra).

Cepndt : la notion de pouvoir législatif du roi n’a jamais été vraiment précisée jusqu’à la Rév. et le terme même de pouvoir législatif fut ignoré jusqu’au XVIIIè s. Il faut donc l’entendre comme :

« le droit pour le roi de prendre des mesures contraignantes, d’un certain degré de généralité et de permanence, connues à l’époque sous le nom de lois du roi ou d’ordonnances. »

Des origines médiévales illustrées par les développements de Philippe de Beaumanoir (cf. supra) subsista toujours le pcipe du gouvernement par conseil, qui put d’ailleurs revêtir des formes diverses :

– conseil féodal médiéval

– États généraux (XVè-XVIè s.)

– conseils de gouvernement plus techniques et plus resserrés de la monarchie administrative (XVIIè-XVIIIè).

Notion de bien commun persiste également, sous les espèces de l’intérêt général, dont le roi apparaît comme le seul véritable garant : « ce qui plaît au roi a force de loi ». Le souverain, moteur de tt l’appareil étatique, incarna t. vite les intérêts de la nation naissante ; il en tira une légitimité l’autorisant à légiférer sur le mode d’un droit universel, à organiser l’ordre public économique et à s’immiscer ds les divers droits procéduraux dès le XVIè s., voire ds le champ bien gardé du droit privé au cours du XVIIIè s.

Dès lors que cette mutation se trouva réalisée, on commença à considérer la coutume comme le droit collectif d’une somme d’intérêts particuliers : caractère infiniment moins universel que celui de la loi.

Croissance progressive de l’Etat et dév. concomitant du pouvoir royal ont donc entraîné une multiplication des actes législatifs offrant une grande diversité de forme (A) mas une commune complexité de procédure (B).

A- La diversité des actes royaux

L’exercice du pouvoir législatif à l’époque moderne :

  • Le principe: A la différence du syst. anglais, c’est le roi seul qui légifère, puisqu’il résume en lui tt le pouvoir monarchique : comme seul représentant de Dieu et de l’intérêt général, il est la loi vivante la lex animata. Loysel : « Qui veut le Roy, si veut la loy» (Institutes coutumières de 1607) : le roi est à l’origine de tout l’ordre juridique (cf ; la formule « car tel est notre plaisir. »). Pouvoir théoriquement illimité parce que la puissance souveraine ne sauroit être bornée, se trouvant hors des lois elles-mêmes : princeps legibus solutus est (D. I, 2, 31).

Néanmoins, en pratique, la monarchie se plaça t. en retrait de cette doctrine qui constitua d’avantage une prétention politique qu’une maxime de gouvernement (cf. La loi Digna Vox : « C’est une parole digne de la volonté du prince que de se reconnaître soumis aux lois. »). Tant par prudence politique que par fidélité aux droits acquis et à la tradition, la royauté s’accommoda couramment d’un état de droit antérieur, souvent archaïque, qui freina la modernisation de la France.

En outre, respect nécessaire des privilèges et prégnance de la loi morale : espaces de libertés corporatistes (« Sire, vous pouvez tout mais vous ne devez pas tout vouloir. »)

  • Le domaine des lois du roi:
  • Territorialement: Les principes de territorialité absolue et d’exclusivité s’appliquaient ds te leur force. Les lois du rois étaient exécutées ds tt le royaume, mais par une manifestation expresse de la volonté royale, un texte pouvait être limité seulement à une fraction du territoire.

Au terme d’une concentration étatique irréversible, la monarchie exerçait seule l’autorité législative, puisqu’en vertu d’un édit de 1572, les seigneurs territoriaux ne pouvaient plus faire d’ordonnances et de règlements, sauf en les conformant aux ordonnances royales ;

En outre, les villes, jadis autonomes, avaient perdu tt pouvoir créateur de droit pour ne conserver qu’une activité réglementaire exercée en matière de voirie, d’urbanisme, de fiscalité locale, sous la tutelle du représentant du roi.

  • Matériellement: Par un partage de pcipe issu de la tradition et de la crise de l’Etat au MA, les coutumes générales et particulières régissaient pcipalement les droits réels et personnels et une large part du droit pénal, tandis que les lois du roi réglaient les autres rapports socio-économiques. Toutefois, il n’est pas loisible d’opposer à ce propos un droit privé, de nature coutumière, et un doit public, plutôt législatif : distinction trop contemporaine, ss véritable correspondance ds l’ancien droit. En outre, la prééminence de la coutume en matière de droit privé ne valait que pour les matières fixées ds le passé, non pour celles à venir après le processus de rédaction des règles coutumière ; roi incité à légiférer en matière civile et notamment familiale.

Ds cette nomenclature matérielle des champs de compétence, imptce centrale de la notion de police, qui concourut pour une large part au développement des interventions législatives royales : concept aux contours flous se rapprochant d’un pouvoir d’administration générale dont le but avoué = la prospérité et l’ordre et qui tend à obliger chaque sujet à remplir les devoirs de son état. Champ immense allant ds le sens du dév. de la monarchie administrative.

D’une manière générale, donc , ttes les matières qui n’étaient pas soumises aux droits coutumiers rédigés ou aux privilèges des corps, pratiquement tous fixés au XVIè s., pouvaient entrer ds le domaine législatif royal : seul champ de compétence véritablement dynamique, face à une coutume sclérosée par la rédaction de ses principales dispositions. En outre, imptce quantitative et qualitative des besoins nouveaux engendrés par l’essor social et économique du pays.

Remarque concernant la nomenclature des actes législatifs :

  • confusion des pouvoirs entraîne l’absence de distinction entre actes législatifs et actes réglementaires: nbreux actes d’administration individuels (comme par exemple une lettre de provision)pris sous une forme législative : ne doivent pas être confondus avec des actes de législation stricto sensu : définition purement matérielle, non formelle, du phénomène législatif.
  • absence de système formaliste stable pour structurer l’expression de la souveraineté royale à travers ses actes : Jusqu’à l’époque moderne, les lois du roi ont porté des noms variés : établissements constitutions, statuts, pragmatiques sanctions, ordonnances. Ce dernier terme supplanta assez vite tous les autres pour signifier, ds une acception large, tte intervention législative du roi, quelle que soit sa forme ou son contenu.

Toutefois, ce même mot d’ordonnance, pris au singulier, possédait un sens plus étroit et surtout plus technique, et désignait un type bien précis d’intervention législative. Langage juridique encore mal fixé et mal assuré ds ses techniques empiriques : signe d’un Etat encore ne construction. Terminologie flottante ; formes diplomatiques diversifiées. D’où une impression générale de grande confusion. Par conséquent, la nomenclature qui suit = une simplification valable seult pour la fin du XVIIè et surtout pour le XVIIIè s.

Ds le dernier état du droit, les actes législatifs revêtent une forme principale : les lettres patentes, et 3 formes complémentaires (les arrêts du conseil du Roi ; les ordonnances ss adresse ni sceau ; les lettres closes). Le choix de la forme d’un acte dépendait :

– du sujet traité (notamment de son degré de généralité) ;

– du mode de contrôle qu pouvait s’attacher à telle ou telle catégorie d’actes. Si la tradition commandait encore le recours aux lettres patentes, le pragmatisme gouvernemental domina svt pour échapper à la surveillance des plts en multipliant les arrêts du conseil, par exemple. D’où une distinction faite par la doctrine contemporaine entre deux types d’actes :

– les actes de puissance « ordinaire » ou « réglée » du roi : mode de gouvt associant le souv. à des corps constitués capables de le conseiller, de collaborer avec lu et de le tempérer (États, plts, …) : puissance législative exprimée sous le forme traditionnelle des lettres patentes enregistrées et publiées par les cours souveraines (1) ;

– les actes de « pleine puissance » ou de « puissance absolue » que le roi émettait seul en cas de nécessité, de raison d’État ou de prérogative impartageable (affaires militaires ou diplomatiques par exemple). Formes diverses, nouvelles, que la monarchie absolue employa de + en + svt pour se soustraire à l’opposition parlementaire (2).

Ce dernier point montre bien que la seule limite véritable imposée à la souveraineté royale = la raison et Dieu, non le formalisme de procédures qui peuvent toujours être tournées.

1- Les formes traditionnelles d’expression du pouvoir normatif

Elles constituent l’expression privilégiée de la puissance ordinaire du roi. Il s’agit de lettres patentes, c’est à dire ouvertes, écrites sur parchemin et commençant par une adresse au nom du roi : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France à tous ceux qui cette lettre verront, salut ». Suivaient un préambule plus ou moins long, indiquant les motifs de l’action, puis le dispositif où le roi exprimait sa souveraineté par le pluriel de majesté. Les articles s’y articulaient si nécessaire en titres et en chapitres. L’acte se terminait par une longue formule exécutoire puis par la signature du roi contresignée depuis le XVIè s. par u secrétaire d’État. Apposition du sceau du royaume dont la couleur de la cire (jaune, verte ou rouge) et la nature des lacs de soie et de laine variaient selon le type et la solennité de l’acte.

Lettres patentes toujours soumises à l’enregistrement, donc au contrôle des cours souveraines : caractéristique essentielle les opposant aux autres formes auxquelles le roi recourut le + svt.

Distinction à opérer entre ces actes selon des catégories fonctionnelles, en précisant que c’étaient la matière et le destinataire qui les différenciaient, et non le degré de normativité. 2 types pcipaux :

– les grandes lettres patentes, de portée générale (a)

– les petites lettres patents, mesures de portée plus individuelle (b).

a)- Les grandes lettres patentes

Là encore, une nouvelle distinction s’impose, tjrs en fonction du plus ou moins grand degré de généralité et de solennité de l’acte, entre les ordonnances (a), les édits (b) et les déclarations (g).

a)- L’ordonnance

Il s’agit ici de l’ordonnance, considérée ds son acception stricte et technique.

Acte de portée générale et permanente, réglant une matière ou une série de matières, l’administration de la justice ou des eaux et forets par exemple. L’ordonnance peut également contenir les dispositions les plus diverses, telle une loi fourre-tout.

L’ordonnance se caractérisait donc surtout par la généralité de son champ territorial et par sa solennité : les grandes réformes et les tentatives de codification des XVIIè-XVIIIè s. se firent par voie d’ordonnances. Bref, l’ordonnance = l’acte législatif par excellence, expression de la plénitude de la majesté royale.

b)- L’édit

Traitait au contraire d’un sujet bien défini (le duel, la taile), ou n’intéressait qu’une région délimitée ou une catégorie spéciale de sujets (noblesse, corps de métiers, protestants,…).

La différence entre ordonnances et édits était svt bien mince. Toutefois, à titre d’exemple fameux, on cite svt 2 textes datés des mêmes lois et lieux et que l’on ne doit pourtant point confondre :

– l’ordonnance de Moulins de février 1566 : réforme l’administration de la justice ds son ensemble = vaste question s’appliquant à la totalité des justiciables du royaume ;

– l’édit de Moulins de février 1566 également : définit la gestion du domaine de la couronne et confirme son inaliénabilité ; ne concerne par conséquent qu’une catégorie spécifique de biens, ceux qui appartiennent au domaine public de l’Etat royal.

g)- La déclaration

Se présente comme un acte interprétatif d’une ordonnance ou d’un édit, d’un privilège, voire d’un article de coutume en vigueur : explique, réforme ou restreint des textes antérieurs sur des points particuliers. N’est donc pas à proprement parler un acte pleinement créateur de droits nouveaux : simple aménagement d’institutions juridiques existantes. A la différence des édits et ordonnances, seult datés du mois et de l’année, les déclarations portent également la mention du jour de leur adoption.

b)- Les petites lettres patentes

Ne portent aucune dénomination spéciale (= ni ordonnance, ni édit, ni déclaration). Dûment scellées et enregistrées, comme les autres lettres patentes, elles concédaient le privilège d’une situation juridique spécifique à une province, une ville, une cour souv., un corps de métier, ou un simple particulier. Relèvent bien de la confusion des pouvoirs, ds la mesure où il est t. difficile de dire si elles constituaient des actes de législation, d’administration ou de juridiction.

On les subdivise en 3 catégories pcipales :

– lettres royaux (a) ;

– lettres de sceau (b) ;

– lettres de privilèges permanents (g)

a)- Les lettres royaux

On appelait ainsi ttes sortes de lettres émanées du roi scellées du grand ou du petit sceau. Elles intervenaient sur requête, toujours pour délivrer une concession ou accorder un droit nouveau, le + svt exorbitant du droit commun.

  • Lettres de grâce délivrées en grande chancellerie et scellées du grand sceau : accordées par faveur par le roi à qui bon lui semblait : bon vouloir fondé sur le pcipe de souveraineté.

– ds le domaine pénal lettres d’abolition (remise de la peine de mort), de pardon, de commutation de peine, de rappel de ban , etc.

– ds le domaine civil ou commercial : lettres de séparation de biens, de bénéfice d’inventaire, de permission de vendre, etc.

  • Lettres de justice : lettres de petit sceau, fondées sur le droit commun ou portant mandement de rendre la justice. Ce qui les distinguait des précédentes = la volonté du roi d’en institutionnaliser la délivrance en abandonnant à ses officiers de judicature l’examen du bien fondé des requêtes.

b)- Les lettres de sceau plaqué

Relevaient ds leur ensemble du domaine de l’adm. publique. Elles étaient adressées à des officiers de finances, de justice, etc., et contenaient des instructions adm. analogues aux circulaires ministérielles modernes. Elles furent innombrables sous le nom de mandements, jusqu’au XVIè s. Elles prirent la forme de lettres de sceau aux XVIIè-XVIIIè s. sceau plaqué sur un carré de papier recouvrant la cire.

g)- Les lettres de nomination et de privilège

Lettres patentes à caractère individuel contenant une nomination (lettres de provision d’offices ou de commission) ou une concession personnelle (lettres de noblesse ; création de manufactures royales ; lettres de course). Pouvaient également concerner la concession d’un privilège collectif à un corps de métier (monopole éco.), une ville (exemption fiscale) ou la constitution d’une nouvelle personne morale (un corps professionnel, une société littéraire, etc.).

2- Les formes nouvelles revêtue par la puissance du roi

Échappant à la pesante censure des cours souveraines, elles se multiplient au cours des XVIIè-XVIIIè s., tant en ce qui concerne les actes à portée générale (a) qu’en ce qui regarde les actes à portée spéciale (b). On notera toutefois que cette distinction commode souffre un certain nombre de tempéraments, tenant à la nature hybride de la plupart de ces textes.

a)- Les actes à portée générale

Il s’agit essentiellement des arrêts du conseil du roi (a) et des ordonnances sans adresse ni sceau (b).

a)- Les arrêts du Conseil du Roi

Procédure d’enregistrement des lettres patentes est politiquement aléatoire, conduisant la royauté, surtout à partir du règne de Henri IV, à utiliser la forme des arrêts du conseil. De nombreuses et importantes mesures novatrices prirent ainsi cette forme, les arrêts pouvant au demeurant être rendus hors de la présence du roi, et simplement signés et expédiés par un secrétaire d’État.

Env. 800 000 arrêts du conseil du roi : sont encore mal connus. Conseil = un organe complexe, polymorphe, qui, près du roi, et théoriquement toujours à titre consultatif, participait au gouvt, à la justice retenue du roi et à la préparation de la loi. Les particuliers, comme les collectivités, y portaient leurs affaires. Les actes du Conseil étaient donc multiples et divers :

– arrêt simple : décision de justice parfois investie d’une portée générale et réglementaire ;

– arrêt en commandement de procédure expéditive, immédiatement exécutoire par les autorités auxquelles il était adressé = acte d’administration et de gouvernement pris ds les conseils de gouvernement où siégeaient ordinairement le roi et ses ministres (Conseil d’État, Conseil des Dépêches, Conseil des finances). Manifestation la plus directe, pour ne pas dire la plus brutale du pouvoir législatif du roi. Échappant à tout contrôle, même à celui du chancelier, ces arrêts furent svt de véritables lois et exaspérèrent considérablement les cours souveraines.

b)- Les ordonnances sans adresse ni sceau

Elles constituent l’expression de la pleine puissance du roi sous sa seule signature. Genre parfaitement caractérisé, dont on possède de nombreux exemples depuis le XIVè s. Leur emploi s’amplifia au XVIè pour subsister jusqu’à la fin de la monarchie adm.

Elles se présentaient sous une forme impersonnelle, sans adresse, avec pour simple formule : « Le roi veut et ordonne », ou, au XVIIIè s. «  De par le Roi », à l’instar des lettres de cachet. Le sceau du royaume n’y était pas apposé, la seule signature du Roi, avec le contreseing d’un secrétaire d’État les validait, sans avoir à subir l’enregistrement en cours souveraines. Elles étaient donc directement appliquées par les autorités civiles ou militaires auxquelles elles étaient adressées. Régissaient des domaines ds lesquels le roi avait toujours décidé seul et sans contrôle : celui des affaires militaires et de sa propre maison. Les impératifs de la guerre justifièrent cette pleine souveraineté qui permit la libre adm. de l’armée, de la marine et des colonies. Il en était de même de l’organisation du Conseil du Roi t de la Maison du Roi. Les déclarations de guerre, enfin, étaient également faites ds cette forme péremptoire, pour manifester que cette prérogative appartenait au Roi ss dépendance et ss partage.

b)- Les actes à portée spéciale

a)- Les brevets

Brevets en forme de P.V. par lesquels le roi concédait une grâce quelconque, ou nommait à un poste ou à un grade : brevet de conseiller du roi, par exemple.

b)- Les lettres closes

Ce n’étaient certes pas des actes de législation, même si leur émission se fondait parfois sur le pouvoir législatif du roi. Elles n’en apparaissent pas moins comme une forme complémentaire et bâtarde des actes royaux.

Lettres closes préparées par les bureaux des ministres, signées par le roi et contresignées par un secrétaire d’État ; elles étaient scellées du sceau du secret (sceau personnel du roi). Servaient à toutes sortes d’usages : ordres de détail donnés à des agents royaux ; convocation aux assemblées d’États provinciaux ; lettres aux bonnes villes, etc.

Les plus connues = les lettres de cachet, portant toujours en en tête « De par le Roi » et exprimant un ordre adressé à un corps constitué pour une réunion, à un magistrat pour le mettre en possession de son office, à une cour souveraine pour la prier de procéder à l’enregistrement d’une ordonnance, ou à un lieutenant de police pour lui enjoindre d’arrêter ou d’exiler une personne nommément désignée, sans autre forme de jugement : prises autant pour affaires d’État, de religion, de police, que ds l’intérêt des familles, sur requêtes des particuliers. Véritables actes de juridiction, plus que d’adm., fondés sur la toute puissance judiciaire du roi.

B- La relative complexité du processus législatif

Cette complexité tient moins aux conditions d’élaboration des textes normatifs, largement maîtrisées par le roi (1) qu’aux procédures de vérification de leur contenu, qui, dépassant le cadre du seul contrôle juridique, prirent souvent l’aspect d’une véritable censure politique fondée sur la défense d’intérêts sociaux, sur la promotion d’un programme de réformes ou sur des considérations d’opportunité (2).

1- Élaboration

Phase de concertation où s’exprime bien l’ambiguïté de la monarchie absolue : à la fois affirmation d’une puissance souveraine sans partage et prise en compte des revendications des corps constitués et des requêtes des particuliers. 2 phases essentielles sont à distinguer : celle de l’initiative, svt partagée (a), et celle de la rédaction proprement dite, confie aux spécialistes de la chancellerie (b).

a)- Initiative

Elle appartenait théoriquement au roi. Cepdt, le souverain ne manquait point de s’entourer des conseils les plus sûrs de diverses autorités compétentes par application du pcipe de gouvernement par grand conseil. Rôle essentiel joué par certains chanceliers (Michel de L’Hospital, D’Aguesseau, Maupeou) et ministres (Colbert, Necker) : furent de grands législateurs, ayant incontestablement exercé une activité créatrice.

Initiative pop. pas négligeable :

– requêtes des particuliers ou des corps sollicitant lettres patentes ou privilèges ;

– États généraux : les 3 ordres, eurent, jusqu’à leur dernière réunion, en 1614, une influence certes limitée mais non négligeable, par le biais des « cahiers de doléances », contenant de nombreuses propositions de réformes. Toutefois, tenus à l’écart de l’exercice du pouvoir législatif, ils demeuraient frappés d’impuissance lorsque le roi refusait de tenir compte des voeux qu’ils avaient formulés.

Malgré tout, au XVIè s. leur emprise sur la législation royale fut réelle : plusieurs ordonnances imptantes prises suite à leurs doléances (ordonnance d’Orléans faisant suite aux États d’Orléans de 1560, et ordonnance de Blois de 1579 consécutive à ceux tenus à Blois en 1576). Au XVIIè s. cette pratique tomba en désuétude, jusqu’à ce que Louis XVI les convoque de nouveau en 1789 pour faire adopter des réformes fiscales.

– États provinciaux, là où ils subsistent (Artois, Bretagne, Languedoc, etc.) faisaient annuellement parvenir au roi des cahiers particuliers pour le prier de prendre, ds tous les domaines du droit, des mesures appropriées à la conjoncture locale.

b)- Formalisation

Le souv. faisait préparer par son conseil ou l’une des sections de celui-ci le projet dont lui-même ou l’un de ses collaborateurs avait eu l’initiative. Pour les grandes réformes législatives, plusieurs procédures consultatives pouvaient être organisées :

  • Parfois, une commission spéciale de magistrats et de conseillers d’État, instituée à cette fin, procédait aux travaux préparatoires indispensables avant l’élaboration définitive de l’acte (cf. les grandes ordonnances de Louis XIV des années 1667-1685 : infra)
  • De même des enquêtes préparatoires furent fréquemment ordonnées pour élaborer plus sûrement des réformes prenant en compte les réalités locales et les avis fournis par les corps et communautés, les États, les notables, les praticiens, les parlements consultés à des degrés divers : méthode suivie par D’Aguesseau au XVIIIè s.
  • Enfin, jusque vers 1550, le roi associait volontiers les gens de sa cour de parlement qui donnaient ainsi leur avis avant la rédaction définitive d’un texte qu’ils enregistraient ensuite d’autant plus facilement.

Toutefois, ds la grande majorité des cas, les documents étaient simplement préparés par les commis des bureaux et les conseillers d’État rompus aux pcipes d’une monarchie de plus en plus administrative.

Finalement, et à l’ordinaire, un examen avait lieu au cours d’une dernière délibération du conseil du roi prise en présence du souverain qui tranchait les ultimes difficultés. Si l’acte était en forme de lettres patentes, il était alors envoyé à la chancellerie pour l’apposition du sceau ; sinon, il ne subissait plus aucun contrôle et était expédié directement par l’un des secrétaires d’État chargés d’en faire assurer l’exécution par les autorités locales.

2- Vérification

N’intervenant que ds le cadre des lettres de patentes, elle constituait le pcipal moyen juridique d’opposition à la volonté du monarque. 2 instances en étaient plus spécialement chargées : la chancellerie (a) et les parlements (b).

a)- En Chancellerie

Le chancelier, 1er personnage du royaume après le roi, était non seulement ministre de la justice, mais également chef du service des écritures et gardien permanent des sceaux du royaume. Homme d’expérience et le plus souvent éminent juriste, le chancelier avait le devoir de vérifier la conformité du texte avec la législation du royaume et de déceler si la confiance du roi n’avait pas été surprise à l’occasion d’un acte sollicité par un particulier : contrôle exercé sans exception et sans réserve de 1318 (date de l’ordonnance en portant institution) à la fin de l’AR. 2 hypothèses :

  • Texte conforme : apposition du grand sceau de France lors d’une audience publique (l’Audience du Sceau). Devait ensuite être envoyé aux cours souveraines afin d’enregistrement.
  • Texte jugé non conforme : le chancelier refusait d’apposer le sceau ; l’acte devait alors subir un nouvel examen, sauf si le roi passait outre et ordonnait à son chancelier de procéder aux scellement de l’acte. A ce stade, 2 attitudes du chancelier sont alors possibles :
  • acquiescement du chancelier, qui pouvait alors sceller le document avec la mention « scellé de l’exprès commandement du roi », ce qui aboutissait à décharger sa responsabilité ;
  • refus d’obtempérer plus ou moins durable. En cas de crise grave, le roi pouvait soit sceller lui-même, en reprenant temporairement les sceaux (comme Louis XV en 1757-1762), soit confier ceux-ci à un garde des sceaux nommé pour quelques mois ou pour quelques années = simple commissaire révocable.

N.B. : Cette phase d’authentification de l’acte était incontournable, correspondant, mutatis mutandis, à l’actuelle procédure de promulgation. Ensuite suivait l’étape ultime de la publication, assurée par le truchement de l’enregistrement devant les cours souveraines en l’absence d’un J.O.

b)- Par les cours souveraines

a)- La procédure d’enregistrement

  • Formalités de publication: La pratique de l’enregistrement des lettres patentes et de leur publication s’est introduite en coutume ds la 1ère moitié du XIVè s.. L’aspect technique l’emportait alors largement sur l’aspect politique. Il convenait simplement de porter à la connaissance de tous le contenu de la loi nouvelle. La formalité de l’enregistrement apparaît ainsi à l’origine comme un mesure d’ordre tendant à assurer la conservation, la publication et l’exécution des lettres royaux, ainsi que des traités et même des concordats. Se traduisait, d’un point de vue matériel, par la simple copie sur un registre conservé parmi les séries du greffe d’une cour de justice (registre aux ordonnances ; registre aux placards) : mémoire du droit législatif.

L’enregistrement se pratiqua donc ds ttes les cours souveraines d’abord à Paris, au plt et à la chambre des comptes, avt de s’étendre aux autres plts au fur et à mesure de leur érection et aux diverses cours souveraines financières, cours des aides, chambres des comptes, chambre du Trésor ou cour des monnaies. Prééminence morale et politique du plt de Paris.

  • Formalités de vérification: De bonne heure, et à l’invitation du roi, les cours souveraines, les cours souveraines lui ont adressé des observations à l’occasion des lettres qui leur étaient envoyées pour enregistrement. Ces observations, toute techniques, prirent le nom de remontrances ou de représentations. Prérogative générale des remontrances vite introduite en coutume, qu’il s’agisse de lettres de portée individuelle ou des ordonnances fixant la loi générale.

Par extension, les cours se virent investies d’un contrôle de légalité, tant sur la forme que sur le fond, non seult pour sauvegarder les intérêts du roi, mis aussi pr éviter les contradictions de sources, les conflits des lois et des coutumes. Bcp de plts en tirèrent profit pour protéger leurs particularismes locaux de droit coutumier ou de droit écrit. La prérogative d’enregistrement et de remontrance freina donc svt l’unification du droit.

  • Procédure: Procureur général du roi requérait l’enregistrement conformément aux ordres du souv. dont il représentait les intérêts au titre du ministère public. Les ordonnances relatives au droit privé, à l’état des personnes à la police générale, aux affaires d’Église, allaient devt le plt, tandis que les lois fiscales, financières et monétaires étaient transmises aux cours financières spécifiques qui possédaient les mêmes pouvoirs.

Le texte faisait ensuite l’objet d’un examen et d’un rapport par un ou plusieurs conseillers de la cour afin d’y déceler les éventuels erreurs, les anomalies, les abus de droit. En audience de Grand’Chambre, après avoir entendu les gens du rois, la cour opinait. S’il y avait conformité, le texte était transcrit immédiatement par le greffier. La cour souveraine, par les soins de son Procureur général en faisait exécuter des copies certifiées conformes, le plus svt imprimées pour les actes d’intérêt général qui étaient ensuite notifiées pour exécution aux juridictions subordonnées. Parfois, lecture prescrite au prône du dimanche ou « à cors et à cris » ds les lieux accoutumés.

b)- La pratique des remontrances

La cour pouvait également refuser l’enregistrement et, ds le secret de ses délibérations, adresser au roi de « très humbles et très respectueuses remontrances ». En renvoyant le texte, elle formulait ts ses griefs. Lorsqu’il s’agissait d’une ordonnance de grande imptce, le 1er président venait en personne exposer les motifs du refus au chancelier ou au ministre concerné. 2 hypothèses possibles :

– Le roi faisait droit aux observations : le texte était amendé et passait alors ss difficulté : solution fréquente car jeu du gvt à grand conseil.

– Le roi estimait au contraire que les remontrances n’étaient pas justifiées, il passait outre et ordonnait l’enregistrement d’autorité. Ce fut parfois le début de conflits fort longs :

* envoi de lettres de jussion (lettres patentes solennelles ou lettres closes, encore plus péremptoires)

* si refus persistant des parlementaires et remontrances itératives : nouvelles lettres. Ce jeu de navette entre le plt et le gvt se déroulait tandis que des tractations avaient lieu ds les coulisses. Lorsque le compromis échouait, soit la cour se résignait à enregistrer, en précisant qu’elle le faisait « de l’exprès commandement du roi », soit elle ne déférait pas aux lettres de jussion et se préparait à l’enregistrement « forcé ».

* procédure du lit de justice : recours extrême employé sult à l’égard des plts, et plus précisément du plus turbulent d’entre eux : le plt de Paris. Présence du monarque, accompagné de son chancelier, de pairs de France et de conseillers d’État suffisant à assurer la suspension de délégation accordée au plt : restauration momentanée du conseil du roi, au sein duquel précisément les pltaires n’étaient plus assujettis qu’à un devoir de conseil. Les lettres destinées à l’enregistrement étaient lues devant le roi ; le chancelier recueillait les vais de ses conseillers et le roi lui-même prononçait l’arrêt d’enregistrement. Le greffier transcrivait et le procureur n’avait plus qu’à veiller à l’exécution. Le roi avait donc le dernier mot. Néanmoins, l’histoire des remontrances révèle que plusieurs plts paralysèrent l’exécution des textes ainsi enregistrés par des arrêts contraires ou par la suspension du service de la justice, poussant la royauté à des mesures extrêmes, telles que l’assignation à résidence ou l’exil des parlementaires les plus rebelles.

Lorsque l’événement ne l’exigeait pas, ou si la cour souveraine était de moindre importance et éloignée, le roi ne siégeait pas en lit de justice et envoyait un porteur d’ordre (commissaire, conseiller d’État, gouverneur de province, ou le plus souvent : intendant) muni d’ordres enjoignant l’enregistrement forcé. C’était à vrai dire le procédé le plus habituel.

g)- Du contrôle de légalité à l’esquisse d’une censure politique

C’est donc seult au terme de l’enregistrement qu’une ordonnance pvait être exécutoire ds le ressort du plt concerné. La formalité avait une justification juridique et technique qui ne pouvait, en fin de compte, mettre en échec la souveraineté législative du roi. Toutefois, en invoquant des thèses politiques qui exaltaient la monarchie tempérée et au grè des événements qui mirent les plts au 1er plan, les pltaires dévièrent insensiblement d’un contrôle de légalité vers un contrôle d’opportunité leur assurant un pvoir politique : prérogative des remontrances devint le droit de remontrances que la monarchie absolue tenta de limiter : « procès des 300 ans. »

Contestation pltaire née avec l’affirmation de la monarchie absolue et cristallisée autour du plt de Paris. S’est développée pour 3 raisons essentielles :

– absence de séparation des pouvoirs autorisait les plts à intervenir autant sur le terrain judiciaire que fiscal ou adm. au nom d’une compétence polyvalente naturellement porté à se développer.

– royauté avait soutenu l’action des plts ds leur lutte contre les grands seigneurs ;

– circonstances de la fin du XVIè (guerres de religion, Ligue) firent des plts des autorités quasi-gouvernementales

Dév. d’une théorie politique faisant des pltaires les héritiers de la tradition et les représentants permanents des États généraux unis les uns aux autres ds la théorie des classes et ne formant qu’un seul corps. Imitation du plt britannique.

D’où un conflit très long, qui ne connut guère de répit qu’entre 1673 et 1715 (droit de remontrance a posteriori) et qui gêna considérablement les tentatives de réforme de la monarchie. N’a toutefois pas empêché une première esquisse de codification du droit aux XVIè-XVIIIè .

Section II : Le mouvement de codification

§ I- Les premières synthèses législatives

Il semble difficile de parler, sur le fond, d’une véritable œuvre législative, inscrite ds un programme d’ensemble cohérent, avant le XVIè s. Certes, dès le XIVè et par intermittence, le roi rendit de grandes ordonnances pour la réforme générale de l’Etat, le plus svt pour donner suite à des doléances de États généraux. Toutefois, il s’agit de textes épars, confus et faiblement novateurs : la coutume, bcp plus que les ordonnances royales faisait avancer le droit.

A partir du XVIè s. une succession de plusieurs souv. (Louis XII, François 1er et Henri II notamment) fit évoluer rapidement les institutions en prenant davantage conscience de l’importance cardinale du pouvoir législatif comme mode de transformation du réel. Dès lors, durant ce siècle, la royauté s’efforça de déterminer par voie d’ordonnances, en s’appuyant sur les États généraux ou sur les assemblées de notables, le nouveau cadre de l’activité publique et privée. Œuvre imparfaite mais assez bien perçue, car la volonté de réforme était autant celle des sujets que des monarques. 2 grandes périodes à distinguer :

– une période de réformation générale (XVIè-début XVIIè s.)

– un mouvement d’unification du droit inauguré par Louis XIV et ds une moindre mesure par Louis XV, qui parvinrent à une codification partielle grâce à une suite d’ordonnances dont une grande partie du contenu fut d’ailleurs reprise ds les codes napoléoniens (B).

A- Les ordonnances de réforme générale (XVIè – début XVIIè s.)

Réponses aux doléances des « États » du royaume, ces ordonnances, par l’extrême étendue des secteurs traités et leur grande diversité, se présentent sous un jour un aspect essentiellement hétéroclite :

– traitent des matières fort variées : une même ordonnance pouvait concerner la justice, la religion, la noblesse, le droit civil.

Ex : Ordonnance de 1561 : article 105 relatif à la révision des statuts de l’Université suit immédiatement une disposition prescrivant l’expulsion des Bohémiens.

– absence de systématisation et de classification ds ces lois : cela tient autant au peu de progrès de l’esprit de méthode qu’à l’état complexe de la société, et surtout aux réponses empiriques faites aux doléances des États généraux : sorte de dialogue législatif continu.

Caractère novateur pas moins incontestable, tant en droit public qu’en droit privé.

1- L’ordonnance de Villers-Cotterêts ( août 1539)

192 art. Sobrement intitulée « ordonnance sur le fait de justice » ; œuvre du chancelier Poyet apportant d’importantes innovations ds tous les domaines :

– En droit civil : mesures protectrices d’ordre public : insinuation des donations entre vifs (à l’origine de la transcription moderne) permettant à quiconque veut acquérir un droit réel sur un bien de vérifier sur un registre public si ce bien se trouve encore ds le patrimoine du cocontractant ; interdiction de tester ou de disposer en faveur de son tuteur ou curateur.

– En droit processuel : Limitation de la compétence des cours d’Église en matière matrimoniale ; réglementation de l’appel comme d’abus ; instauration de la procédure inquisitoire d’office par le ministère public en matière pénale ;

– Substitution du français au latin ds la rédaction des actes notariés ; 1ère organisation de l’état civil : curés enjoints de tenir à l’avenir des registres de baptêmes et de sépultures. Néanmoins, ces registres paroissiaux, conservés aujourd’hui ds les A.D, ne furent convenablement tenus qu’au siècle suivant.

Au total, cette loi demeura un monument du droit et s’inscrit comme un exemple type de texte pluridisciplinaire conforme à l’esprit de l’époque.

2- L’ordonnance de Moulins (février 1566)

Œuvre du chancelier Michel de L’Hospital. Réformait principalement la justice (perte de la compétence civile des justices municipales), mais touche aussi, d’une manière générale, le droit privé et le droit public :

– droit privé : exigence de la preuve écrite pour toute convention dépassant 100 L (art. 54), reprise ds l’art. 1341 du C. Civil. Interdiction de prouver contre et outre les actes = rév. ds le droit des preuves, puisque désormais « lettres passent témoins. ». Substituions soumises à un régime de publicité par la procédure de l’insinuation.

Au pénal : généralisation de la règle de la compétence du juge du lieu du délit plutôt que celle du domicile du délinquant : autant de nouveautés voulues par le pouvoir royal mais qui allait contre la tradition du MA.

– droit public : restriction du pouvoir des gouverneurs de provinces (avaient svt abusé de leur autorité à la faveur des troubles) ; défense d’imprimer des livres ss l’autorisation du pouvoir : nécessité d’obtenir un privilège spécial.

3- Le « Code Michau » (janvier 1629)

Vaste loi promulguée sous Louis XIII : vient clore, par un échec, la série des ordonnances générales. Répondait en pcipe aux voeux du peuple consulté : « Ordonnance sur les plaintes des États assemblés à Paris en 1614 et de l’assemblée des notables réunie à Rouen et à Paris en 1617 et 1626 ». Louis XIII s’était notamment engagé « au rétablissement de tous les ordres de son royaume » et à développer « la grandeur de son État et la dignité de sa Couronne. ». Conçue ds un esprit d’harmonisation et de novation, cette longue ordonnance de 461 art. traitait encore de sujets aussi divers que les affaires ecclésiastiques, universitaires, fiscales, maritimes et judiciaires. Elle s’efforçait de régler une série de questions touchant au droit privé (propriété, substitutions, donations, successions, faillites, prêts à intérêt), et c’est d’ailleurs la 1ère fois que le pouvoir royal visait à tant de réformes en un seul texte.

L’ordonnance n’en suscita pas moins une levée de boucliers, en particulier parce qu’elle allait à l’encontre de traditions biens établies (prétendait notamment établir la « directe universelle » du roi sur toutes les terres du royaume, sauf preuve expresse de leur allodialité) : les plts du Midi refusèrent l’enregistrement et nourrirent une longue polémique ; partout ds ceux du Nord (sauf en Bourgogne), l’enregistrement fut forcé. La royauté, pas encore assez affermie, ne put faire appliquer le texte, qui fut alors retiré. Par dérision, l’ordonnance prit le surnom de « Code Michau », du prénom de son auteur, Michel de Marillac, garde des sceaux de 1626 à 1630.

Annonçait pourtant les grandes ordonnances d’unification de la fin du siècle.

B- Les grandes ordonnances de codification

A la différence de leurs homologues du XVIè s., les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV ont l’empreinte de l’unité. Le souci d’unité juridique est alors le corollaire de l’unité politique. A partir de Louis XIV, effort de la monarchie pour unifier et codifier, répondant ainsi à un besoin ressenti depuis longtemps, mais que seule une force coactive pouvait parvenir à concrétiser : multiplicité des textes royaux, confusion de leurs dispositions source de complexité, d’insécurité juridique et de divergences jurisprudentielles. D’où le dév. d’une aspiration générale vers plus de simplicité, même si l’unification totale du droit paraissait encore constituer une entreprise prématurée.

Méthode suivie : avant de réaliser l’unité ds le droit privé, qui variait considérablement d’une région à l’autre, il fallait d’abord l’imposer dans chacune des branches du droit. D’où l’idée de Colbert d’abandonner les réformes générales pour se concentrer sur des ordonnances n’envisageant à chaque fois qu’un sujet clairement déterminé. Par leur ampleur, leur clarté et leur méthode, ces ordonnances constituèrent immédiatement de véritables codes, divisés en titres et en articles cohérents. Comme oeuvres de composition et de législation, elles étaient en tout état de cause, très supérieures à leurs devancières des XVè-XVIè s. et annonçaient les codes napoléoniens, dont certains (Code de commerce, code de procédure pénale), n’en constituèrent que des éditions remaniées.

1- Colbert et la systématisation du droit

A l’époque où la monarchie absolue consolida son acquis, l’impulsion législative ne vint plus du chancelier mais de ministres d’État tels que Colbert et son fils le marquis de Seignelay : passage de la monarchie justicière à la monarchie adm. : « L’unité de la législation serait assurément un dessein digne de la Grandeur de Votre Majesté et lui attirerait un abîme de bénédiction et de gloire. »

But = réunir toutes les lois en cours d quelques codes et profiter de cette révision pour y introduire des réformes rendues communes à toute la France. L’idée est également d’abaisser la morgue des cours souveraines en rendant les textes législatifs plus clairs, et en limitant d’autant leurs possibilités d’interprétation et d’intervention.

Grandes ordonnances publiées entre 1661 et 1685, inspirées le plus souvent de Colbert et préparées par des commissions spéciales : conseil de réforme suscité par Colbert : composé de conseillers d’État et de praticiens et dirigé par son oncle Henri Pussort. En même temps, mais de manière indpdte : travail mené par le 1er président du plt de Paris, Lamoignon, en collaboration avec quelques éminents juristes. Le roi, informé de ce 2nd projet, fit se rejoindre les 2 initiatives ds une commission mixte : le conseil de réformation de la justice. C’est elle qui élabora, non sans tensions et controverses, les 2 premières ordonnances, civile (a) et criminelle (b).

a)- L’ordonnance civile (Avril 1667)

Code Louis = véritable code de procédure civile en 35 titres. Est avant tout l’œuvre de Pussort, défenseur des idées absolutistes tendant à limiter les pouvoirs des plts (à la différence de Lamoignon).

Une même procédure fut dorénavant imposée à tous les tribunaux français ; procédure surtout écrite, simplifiée par la suppression de formalités inutiles pour assurer des jugements plus rapides. Ordonnance de 1667 reprise à peu près textuellement ds le code de procédure civile de 1806 qui resta t. longtemps en vigueur. Le code civil de 1804 lui emprunta également le chapitre relatif aux preuves.

L’application du code suscita quelques résistances, mais la fermeté du gouvernement l’imposa, tandis que ses qualités et sa modernité assurèrent son succès.

b)- L’ordonnance criminelle (Août 1670)

1er code de procédure pénale. Vint combler le retard de la France sur les pays voisins. A l’instar de ce qui s’était passé pour l’ordonnance civile, le roi, ne pouvant pas plus intervenir de plain pied en droit pénal qu’en droit civil, réglementait la forme à défaut du fond.

Au cours des travaux préparatoires, Pussort s’est efforcé de simplifier les règles de procédure écrite en vue d’une répression plus rapide et exemplaire des crimes et délits ; Lamoignon se fit, sans succès, le défenseur des intérêts des inculpés. Cet texte prolongeait l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539), maintenant notamment l’instruction secrète et les pénalités de cette époque. Peu libérale, l’ordonnance confirma l’interdiction pour l’accusé d’avoir un défenseur, et conserva la torture et le serment de dire la vérité imposé aux accusés, même contre eux-mêmes. Le système des preuves légales et les procès aux cadavres subsistèrent également.

Malgré ces défauts, l’ordonnance présentait un progrès indéniable sur l’état antérieur du droit :

– appel obligatoire au plt en cas de condamnation à une peine capitale ;

– réduction de la justice pénale à 2 degrés ;

– contrôle plus sérieux de la justice seigneuriale ;

L’ordonnance servit de base aux lois criminelles plus libérales de 1791 et de l’an IV, mais surtout elle fut littéralement la source du Code d’instruction criminelle de 1808.

Ce texte, comme celui de 1667, fit l’objet de nombreux commentaires, dont le + fameux et le + minutieux = celui de Daniel Jousse.

Enfin, d’autres ordonnances furent rédigées par le seul conseil de réforme cette, fois, c’est à dire sans l’intervention des magistrats : ordonnance sur les eaux et forêts (août 1669) ; ordonnance de commerce, également appelée Code Marchand ou Code Savary (mars 1673) ; ordonnance de la marine (Août 1681) ; Code noir (mars 1685) « touchant la police des îles de l’Amérique » : 1er code colonial, réglemente notamment l’esclavage.

2- D’Aguesseau et l’évolution vers un droit civil commun

Henri-François d’Aguesseau, chancelier de 1717 à 1750, travailla ds le sens d’un droit civil commun en publiant 3 ordonnances dont l’objet avoué = l’harmonisation de la jurisp. de quelques matières (donations, testaments, substitutions), sans prétendre porter atteinte aux coutumes des lieux.

Le chancelier avait cepdt le projet d’une codification bcp plus imptante, à laquelle il travailla toute sa vie, mais il dut se contenter d’une unification t. parcellaire. Son principal collaborateur ds cette tâche = le procureur général du plt de Paris, Joly de Fleury, h. de dossiers et d’une grande autorité morale. Afin de bien connaître la jurisprudence des plts : rédaction d’un questionnaire relatif à chacune des matières visées par les réformes et portant sur les points les plus controversés. Réponse t. détaillée émanant des différentes cours souveraines servant de base à la rédaction des différentes ordonnances :

  • Ordonnance sur les donations (février 1731)
  • Ordonnance sur les testaments (août 1735) : Déf. de 2 régimes, l’un pour le Nord, l’autre pour le Midi : représente paradoxalement une étape vers l’unité.
  • Ordonnance sur les substitutions (août 1747)

Apport donc apparemment limité : ne concerne qu’un secteur étroit du droit privé, celui des actes de transmission à titre gratuit : domaine technique où l’unification du droit parut le plus facile à réaliser.

En outre : caractère fragmentaire et lacunaire de cette entreprise : en droit privé surtout, peu de questions ont été réglées, et les ordonnances de Colbert traitent de sujets qui n’étaient en rien du ressort de la coutume (commerce, procédure, droit maritime). De manière significative d’ailleurs, il est à remarquer, à côté de l’absence d’un J.O, le défaut de recueils officiels de législation royale : collections privées s’efforcent d’y suppléer (comme les Édits et ordonnances des rois de France depuis François 1er jusqu’à Louis XIV, de Néron et Girard, publié pour la 1ère fois en 1647).

Œuvre néanmoins imptante par sa postérité doctrinale et surtout législative : Brèche par laquelle l’Etat monarchique a imposé son rôle de législateur général, ouvrant une voie qui fut ultérieurement poursuivie par la Rév. puis par les codifications napoléoniennes. A été rendue possible par l’assomption de la loi et par l’abaissement concomitant des autres sources du droit.

Histoire des institutions politiques.

La construction de L’ÉTAT

(XIIè-XVIIIè siècles)

A partir du XIIème siècle, entrée ds une ère nouvelle, marquée par la fin des attentes eschatologiques, la sortie de la zone de turbulences créée par la disparition du monde antique et la reprise d’un mouvement d’expansion, continu jusqu’à nos jours, qui affecte l’ensemble du monde occidental, à tous les niveaux :

– réouverture d’anciens circuits de commerces et d’échanges ;

– conquête de nouvelles terres, soit par la charrue (défrichements), soit par l’épée (croisades, conquêtes), sur les franges méridionales (Espagne, États latins), septentrionales ou orientales de l’Europe ;

– lancements d’audacieuses entreprises intellectuelles marquées notamment par la redécouverte du droit romain ou de la philosophie d’Aristote : va induire une modification en profondeur des cadres mentaux, un vaste élan de curiosité et une poussée sans précédent de rationalité scientifique.

D’où une nouvelle conception de l’espace, plus unifié, mieux maîtrisé, et du temps, comptabilisé, domestiqué, programmé : conscience qu’ont les hommes de pouvoir agir sur le réel et de n’être plus simplement les jouets d’une providence capricieuse ou d’une nature cruelle.

Phénomène étatique, ds son infinie complexité, est issu de cette nouvelle dynamique conquérante et sure d’elle même. Marque une entreprise de rationalisation de l’espace, de structuration de l’autorité, d’organisation des forces sociales et de concentration des richesses ds une atmosphère de plus en plus désacralisée dont témoigne une philosophie politique nettement sécularisée.

L’émergence de l’Etat ne s’est toutefois pas opérée selon un processus d’une continuité absolue et d’une force irrésistible : s’est heurtée à des crises, à des retours en arrière et à des mises en question : construction difficile de la souveraineté pendant les derniers siècles du MA (1ère partie) a ainsi préludé à l’affirmation d’un absolutisme monarchique triomphant sous l’AR (2ème partie).

1ère partie: L’affirmation de la souveraineté monarchique (XIIè-XVIè siècles)

Période du MA « classique » (1150-1300) marquée par l’émergence de deux grands facteurs structurels ayant permis une vigoureuse croissance :

– climatique : réchauffement permettant des défrichements importants ; d’où une alimentation plus variée et plus abondante : desserrement des contraintes naturelles et de l’étau de la famine ;

– démographique : expansion continue de la pop. jusqu’au XIVè s. : l’Europe touchée par la peste en 1347 est un « monde plein » : dans certaines campagnes, il faudra attendre la fin du XIXè s. pour trouver des taux de peuplement comparables.

D’où des conséquences nombreuses :

  • Économiques:
  • réappropriation des grands circuits d’échanges, interrompus au VIIIè s. par l’expansion musulmane en Méd.
  • multiplication des marchés et des lieux d’échanges, avec en particulier les foires de Champagne, protégées par le comte ;
  • dév. de la circulation monétaire ; apparition des 1èrres banques pour le change ; dév. de l’assurance pour permettre la réalisation d’importantes opérations commerciales, notamment ds le domaine maritime (prêt à la grosse aventure) ; apparition de nouvelles techniques comptables et financières, etc.
  • Sociales:
  • apparition d’une classe marchande, souvent composée de cadets de famille : cherchent l’aventure et s’organisent de plus en plus dans des guildes puissantes, des confréries et des associations de paix pas toujours contrôlées par l’Eglise ; constitution d’une culture profane spécifique, servie par l’essor des universités et affranchie là aussi de la tutelle ecclésiastique ;
  • dilatation du phénomène urbain : fondation de villes nouvelles (autour des portus) ; agrandissement de villes anciennes ; amélioration du confort urbain : construction d’enceintes, drainage des rues ; organisation municipale émancipée de la tutelle seigneuriale ; naissance d’un droit municipal spécifique faisant la part belle aux libertés bourgeoises : liberté d’organisation politique (ds les communes et les villes de consulat) ; liberté personnelle et réelle : justice spécifique, desserrement de l’étau seigneurial et allégement des taxes : l’air de la ville rend libre.
  • Politiques:
  • affaiblissement de la puissance seigneuriale, peu adaptée à une économie dynamique et marchande ; en outre conquête de fronts pionniers réalisée par le relâchement des anciennes sujétions féodales : octroi de chartes de sauveté et de franchise ; débandade des corvées ; amélioration très sensible de la condition paysanne ; noblesse appauvrie par le relatif déclin de la rente foncière qui réduit ses revenus, la croissance de l’Etat qui diminue son prestige et la multiplication des dépenses somptuaires qui minent son mode de vie.
  • reconstitution d’ensembles territoriaux plus vastes : temps des principautés, puis des monarchies ; reconquête du pouvoir royal capétien, favorisé par un afflux sans précédent de richesses. L’Église va désormais devoir compter avec des États de mieux en mieux structurés, dotés en outre d’un appareil, conceptuel qualitativement équivalent à celui des clercs et largement informé par une science du droit en plein essor.

Bénéficiant de ses différents atouts, la monarchie capétienne parvint à sortir de l’état d’impuissance où l’avait réduite le développement d’une féodalité diffuse et peu structurée d’une part en imposant la permanence de ses institutions grâce à un lent mais patient processus de dépersonnalisation du pouvoir (chapitre I), d’autre part en unifiant sous son contrôle le territoire morcelé du royaume (chapitre II).


Chapitre I : La maîtrise de la durée

La monarchie française

et l’institutionnalisation du

pouvoir politique

La construction puis l’affirmation de la souveraineté étatique ne dépendirent pas seulement d’une croissance territoriale d’ailleurs aussi irrégulière que continue ; elles s’inscrivirent plus généralement ds un lent processus d’institutionnalisation du pouvoir tendant à pérenniser son exercice au delà de l’échange provisoire de fidélités conjoncturelles qui avait prévalu jusque là. L’enjeu est ici l’inscription de l’Etat ds le temps long de la permanence, qu’il s’agisse de sacraliser le pouvoir (section I), de régler de manière définitive les problèmes de succession (section II) ou de poser les principes intangibles d’un gouvernement dévoué au bien commun (section III).

Section I- La sacralité du pouvoir

Persistance de la royauté malgré les crises engendrées par la diffusion du système féodal (cf. supra). Demeure un référent important, même si indifférence croissante de la plupart des grands laïcs à l’égard du sort de l’institution royale et de la dévolution du titre (notamment au Sud du royaume), et même si recul très sensible du pouvoir et de l’influence monarchiques avec l’arrivée au pouvoir de la nouvelle dynastie capétienne, à partir de 987.

En fait, Xè-XIè s. constituent incontestablement une période de fort retrait de la royauté : n’est pas en position de prendre des initiatives ; se contente simplement de gérer le quotidien, dans une situation de conservatisme prudent et d’attentisme forcé. Dispose cepdt le sacre constitua un atout idéologique majeur, qui permit à la monarchie de résister aux forces centrifuges de la féodalité.

Élection et sacre : ces 2 étapes franchies par Hugues Capet en 987 sont celles-là mêmes que Pépin le Bref avait parcourues 2 siècles plus tôt, lors de la 1ère mutatio regni. Cette combinaison de l’acclamation et du sacre qui fait de Hugues Capet un roi des Francs plonge donc ses racines ds la tradition carolingienne, à laquelle elle emprunte une bonne partie de sa construction idéologique (§I). C’est au travers des principes ainsi posés que doit être lu le cérémonial du sacre (§II).

§I- Le ministère royal

Reprise d’une bonne partie de l’héritage carolingien :Dès le temps de Hugues Capet, le canoniste Abbon de Fleury ne fait que prolonger les théories d’Hincmar de Reims ou de Jonas d’Orléans. Consacre tout un chapitre de son œuvre à la fonction royale dont il analyse les pcipales prérogatives. A ses yeux, ce qui distingue l’autorité du roi de celle des autres princes c’est qu’elle est la seule à être un pouvoir politique institutionnel, c’est à dire fondé sur un ensemble de textes sacrés. Pour cette raison, elle doit dépasser le domaine pour régir l’ensemble du royaume : tout se passe donc comme si « la perte de prestige qui atteint alors la personne du roi incitait les contemporains à réactiver une réflexion théorique spécialement orientée vers la garantie de l’institution » (J. Krynen). Délibérément, Abbon ignore les autres pouvoirs nés de l’émiettement politique : à ses yeux, tt ce qui n’est pas royauté ne peut que ressortir de l’usage, de défaillances passagères, mais ce n’est pas institution, ne bénéficie pas du soutien des textes canoniques et ne mérite pas crédit. Insiste plus particulièrement sur la fidélité que les grands doivent au roi : devoir d’autant plus strict que chacun d’entre eux se trouve être dépositaire d’une partie du ministerium royal, dans la stricte mesure où le roi les en a jugés dignes : vision typiquement caro.

Souci d’inculquer aux rois de l’âge seigneurial l’idée que leur pouvoir se situe ds la sphère élevée du public et s’exerce comme office ou magistrature, en vue d’un bien commun dont ils sont seuls les garants. Notion d’utilité commune dont est porteuse l’expression très utilisée de res publica renvoie enfin à un comportement de modération, excluant toute oppression par abus de pouvoir et faisant une large place au gouvernement par conseil : mélange du politique et du moral, où les vertus de justice, de prudence, de piété, ainsi que les pratiques d’austérité soulignent le caractère quasi religieux d’une fonction qui, malgré son déclin, demeure aux yeux des clercs porteuse d’un principe d’unité e d’une mission divine.

Cette conception apparaît aussi porteuse d’avenir car implique une prise de conscience témoignant de la nécessité ressentie par l’entourage royal de structurer à nouveau l’Etat autour du pouvoir du roi, dont la spécificité est ainsi soulignée. Même si ce pouvoir ne pénètre plus à l’intérieur des grandes seigneuries et moins encore des grands fiefs, il est le seul à être royal et à puiser sa source ds le sacre (cf. infra). Voilà qui suffit à justifier sa prééminence et à faire de lui le pivot autour duquel doit s’inverser le mouvement de dissociation territoriale. D’où l’évocation de quelques uns des principaux rôles spécialement dévolus au monarque : gardien (A) ; protecteur (B), et juge (C).

A- Un gardien

Placé à la tête du regnum Francorum, le roi doit lui apporter une double sécurité, externe et interne: c’est la tuitio regni, la garde du royaume.

– Vis à vis de l’extérieur, il est tenu de le défendre contre tous ses ennemis en veillant au maintien de l’intégrité territoriale (limitée à l’espace défini par le traité de Verdun). Même si idée d’un territoire unifié pas encore devenue réalité, conscience existe cepdt que le roi doit tout mettre en jeu pour s’opposer à une domination de l’extérieur et faire en sorte qu’un grand feudataire ne devienne pas le vassal d’un prince étranger. En cas de péril, a donc le doit de lever le ban et l’arrière-ban pour réunir autour de lui des contingents suffisants. Pouvoir encore très difficile à mettre en oeuvre, mais qui s’avéra décisif.

– A l’intérieur de son regnum, le roi a mission d’assurer partout l’ordre et la paix en réprimant les violences et en s’opposant aux entreprises turbulentes des grands féodaux. Pour y parvenir, les rois des XIè-XIIè siècles s’efforcent d’étendre à tout le royaume les institutions de paix mises en place par l’Eglise (cf. supra). A partir du milieu du XIIè s., roi assez fort pour instituer sa propre paix.

B- Un protecteur

Cette fonction constitue un des aspects essentiels du ministère royal. Limitée ds son application aux XIè-XIIè siècles, elles alla ensuite en s’élargissant, tant à l’égard des églises que des simples particuliers.

– Protection des églises souvent tombée entre les mains des grands seigneurs au cours des temps féodaux. Redevient cepdt réalité monarchique au cours du XIIè siècle, lorsque ce devoir de protection se mue en un véritable droit de garde de mieux en mieux réglementé : garde strictement limitée au temporel ; rapporte des profits au roi (en particulier : droit de percevoir des taxes, de lever des hommes et d’utiliser les éventuels châteaux).

– A l’égard des simples particuliers : développement des 2 techniques de l’asseurement et de la sauvegarde :

– asseurement : 2 ou 3 personnes prêtent serment réciproque de ne pas se faire la guerre ; le roi les place alors sous sa protection, et si l’une d’entre elles contrevient à son serment, elle est passible de peines sévères devant les seuls juges royaux ;

– sauvegarde permet au roi de placer sous sa protection particulière une ou plusieurs personnes et de sanctionner lourdement ceux qui la méconnaissent. Là encore, la justice royale a un rôle essentiel à jouer.

C- Un juge

Maintenir la paix et protéger l’ensemble du regnum avait un corollaire, rendre la justice. Cette mission devint même un des idéaux fondateurs de la monarchie capétienne. Très vite, le roi chercha à personnifier la justice et ne manqua jamais de faire connaître, à travers ses « actes législatifs », sa volonté d’être très présent sur ce terrain.

Cf Hugues Capet lui-même :

« La sublimité de notre piété n’a de raison d’être en droit que si nous rendons la justice à tous et par tous les moyens. Les rois n’ont été institués que pour examiner avec perspicacité ls droits de chacun, supprimer ce qui est nuisible et faire grandir ce qui est bon. »

Cf. aussi la déclaration d’un grand féodal, le comte Eudes II de Blois :

« La racine et le fruit de l’office royal, c’est la justice. »

Très timide encore et totalement dépourvu de structures aptes à favoriser sa mise en œuvre, ce pouvoir judiciaire reconnu au roi le place obligatoirement ds une position d’arbitre. Elle favorise ses capacités d’intervention ds un monde féodal qu’il ne pouvait ignorer ; elle signifie enfin de manière privilégiée la mission qui lui a été explicitement dévolue par le sacre.

§II- La liturgie sacramentelle

De cette mission divine, le sacre demeure, ds les représentations mentales du temps, l’élément fondateur. Par le sacre, Dieu est censé choisir le nouveau roi et le constitue pleinement ds sa fonction. Reprise de l’acte légitimant auquel avait eu recours le premier Carolingien et toute sa suite après lui. Ainsi se trouvait mieux assurée la continuité dynastique et renforcée l’assise religieuse de l’institution royale.

Depuis Pépin le Bref, le sacre a donc évolué pour devenir et demeurer, au moins jusqu’au XIVè siècle, un acte créateur destiné à placer ds un nouvel état celui qui, en vertu de la règle de primogéniture, se trouve appelé à régner. Pareil événement ne pouvait manquer de s’intégrer ds un cérémonial soigneusement réglé (1) et marquer profondément de son empreinte le caractère religieux de la monarchie médiévale (2).

A- Le cérémonial du sacre

Depuis l’époque carolingienne, le sacre se déroule toujours en présence e nombreux évêques, avec une prééminence progressivement reconnue à l’archevêque de Reims choisi comme prélat consécrateur. Ce choix s’explique avant tout par le rayonnement exceptionnel de la métropole de Reims au IXè siècle, sous l’impulsion de son archevêque Hincmar. Toutefois, jusqu’au XIè siècle, le privilège de présider la cérémonie fut simplement personnel et non contraignant : les villes de Sens, Noyon et Orléans furent ainsi tour à tour des lieux de sacre. A partir du XIè siècle (1027) au contraire, ce privilège devint réel, c’est à dire attaché à l’église cathédrale de Reims et ne fut quasiment jamais violé. Pape et évêques le reconnurent comme une coutume qui les liait (rappel opportun du baptême de Clovis).

Quant à la cérémonie proprement dite, elle obéit à un rituel qui s’est fixé très tôt et qui nous est relativement bien connu grâce à plusieurs P.V et descriptions des ordines.

  • 1ère phase : la promesse du sacre

Est précédée d’une admonitio de l’officiant sur les devoirs attachés à la fonction royale. Il s’agit d’une simple promesse et non d’un serment. Souhaitée par l’épiscopat tout entier, elle est introduite par Hincmar ds le rituel, ; par souci de définir avec précision la mission du roi et de fixer un cadre strict son action pour mieux la contrôler.

Concrètement, cette promesse revêt la forme d’une réponse apportée par le monarque à la demande que lui fait l’archevêque consécrateur :- est-il disposé, une fois roi, à faire régner la paix et la miséricorde ?

– apportera-t-il au peuple chrétien dont il a la garde justice et respect du droit en combattant les ennemis de Dieu ?

– maintiendra-t-il aux églises qui lui sont confiées l’ensemble des privilèges dont elles jouissent ?

Sur tous ces points, le roi s’engage. Il prononce alors sa promesse dont le texte, figé en quelques formules, est transcrit, signé et scellé du sceau royal. Cf. la promesse prononcée par Philippe 1er :

« Je promets que je conserverai à chacun de vous et à chacune des Églises qui vous sont confiées le privilège canonique, la loi sous laquelle vous vivez et la justice qui vous est due, que je vous défendrai avec l’aide de Dieu, autant que je pourrai, comme un roi est obligé ds son royaume de faire droit à chaque évêque et à l’Eglise qui lui est commise. Je promets aussi que ds l’élaboration des lois, j’emploierai mon autorité à faire jouir de ses droits légitimes le peuple qui est sous ma garde. »

De cet engagement préalable dépend un sacre dont il constitue la condition 1ère.

Le couronnement du roi Louis XIV en costume de sacre

  • 2ème phase : les rites sacramentels:
  • Rite d’élection : fiction entretenue de l’ancienne élection par les grands désormais devenue inutile (sauf crise majeure comme au XIVè) ; souvenir également de la vieille acclamation des rois francs par leurs guerriers (avec élévation sur le pavois) : « Nous approuvons et voulons qu’il en soit ainsi. »
  • Onction : le prélat consécrateur oint le roi de l’huile sainte et su saint chrême sur le front, la nuque et les épaules : oint du seigneur (selon le même mode que les évêques) le roi devient en même temps son élu : légende de la Sainte Ampoule.
  • Remise des insignes royaux : anneau scellant l’union du monarque et de son peuple ; sceptre symbolisant la toute-puissance ; glaive remis pour lutter contre les ennemis de la foi ; main de justice matérialise la fonction de justice exercée au bénéfice de tous ; couronne imposée par les 12 pairs. Instrument suprême de la dignité royale, sa remise a été incorporée au sacre dès le règne de Louis le Pieux qui fut sacré et couronné en même temps : jonction entre 2 traditions : le sacre d’origine juive et le couronnement, directement emprunté à Byzance.

Sceptre_de_Charles_V sceptre et main de justice éperons du sacre épee de charlemagne

Tous ces rites, qui s’intègrent à la messe du sacre (juste avant l’épître) ne sont pas sans rappeler la consécration épiscopale (onction, remise d’un anneau, sceptre rappelant la crosse). Parallèle tendant à renforcer encore plus le caractère sacré de la royauté.

B- La portée du sacre

Créateur du roi, le sacre le transforme aussi en une sorte d’évêque investi d’un véritable sacerdoce qui le place ds une position intermédiaire entre Dieu et son peuple.

Rite constitutif, le sacre est aussi un rite distinctif : fait du roi un prince différent des autres. Seul à être sacré, aucun autre pouvoir que le sien n’est frappé du sceau du choix de Dieu. En conséquence, aucun prince, même très puissant, ne saurait aller à l’encontre de l’action du pouvoir royal, à la tête du peuple de Dieu.

Effets du sacre investissent le roi d’un véritable pouvoir surnaturel et thaumaturgique : guérison des écrouelles par simple toucher : adénites d’origine tuberculeuse que les gens du MA qualifiaient de mal royal. Ce pouvoir, dont les rois se transmettaient la formule sur leur lit de mort, leur valut une extraordinaire dévotion populaire. Mystère et surnaturel impliquaient donc croyance et adhésion en sa personne. Ont constitué autant d’éléments de résistance de l’institution face à l’érosion féodale : puissance symbolique inversement proportionnelle à l’autorité réelle.

Le toucher des écrouelles

A côté de la religion, le droit offre un autre outil pour penser la continuité de l’institution et la permanence de l’Etat, au travers de la réflexion menée sur la transmission de la couronne.

Section II : La transmission de la Couronne

Autant les premiers Capétiens eurent à se soucier du pb. et à assurer, par la double procédure d’association au trône et de sacre anticipé le pouvoir du futur roi face aux grands féodaux, autant la question ne paraît plus se poser depuis que Philippe Auguste avait estimé la règle de primogéniture assez solidement établie pour n’avoir plus à s’entourer d’une telle garantie. Théoriciens et membres de l’entourage royal s’accordent à reconnaître que la fonction assumée par le roi transcende sa personne et que, par delà sa disparition physique, l’exercice du pouvoir continue sans heurt en la personne de son fils aîné. Permanente, la fonction royale se transmet sans rupture avec la couronne.

Le miracle capétien, renouvelé pendant 12 générations, se heurta toutefois au début du XIVè s. à une crise de succession qui vint interrompre la lignée des Capétiens directs. Durent alors être formulés expressément de clairs principes de transmission de la couronne, coutumièrement réservée aux mâles (§I) puis déclarée indisponible tandis que s’estompait la valeur constitutive du sacre, tout particulièrement au lendemain de la mort de Saint Louis, en 1270 (§II).

§I- Une succession masculine et nationale

Formulation de la règle liée de façon immédiate à une authentique crise de succession (A). Reçut ultérieurement toutes sortes de justification (B).

 Philippe le Bel et ses fils

A- La formulation de la règle

Il convient ici de distinguer les 2 successions de 1316 et 1322 qui permirent de formuler explicitement la pratique coutumière observée jusque là d’exclusion des femmes (1) de la succession de 1328 qui posa en outre le principe d’exclusion des descendants par les femmes (2).

1)- Les successions de 1316, 1322 et 1328 : l’exclusion des femmes
  1. Généalogie. Mariage du futur Louis X avec Marguerite de Bourgogne donne naissance à une fille : Jeanne (1312). Mais un doute s’éleva très vite sur la légitimité de cette enfant. Remariage de Louis avec Clémence de Hongrie ; meurt le 8 juin 1316 sans laisser d’héritier mâle mais reine enceinte. Suspense. Pour répondre à l’incertitude ainsi engendrée (et non pas créée) : accord entre Philippe de Poitiers (aîné des frères de Louis) et Eudes, duc de Bourgogne, oncle maternel de Jeanne : réserve le sort de celle-ci, en cas de naissance d’une fille, à la date de son mariage. En attendant, Philippe était investi du titre de gouverneur et de lieutenant général du royaume. Position encore renforcée par la réunion d’une assemblée de prélats et de barons convoquée à Paris le 16 juillet 1316 qui lui confie la régence qu’il conserverait jusqu’à la majorité d’un fils à naître. Le titre de roi lui était par avance reconnu en cas de naissance d’une fille.

Succession 1316

Après la mort de Jean 1er le Posthume, survenu en novembre 1316, Philippe prend immédiatement le titre de roi sous le nom de Philippe V, en dépit des protestation d’Eudes de Bourgogne. Sacré à Reims le 9 janvier 1317. Nouvelle assemblée de notables convoquée à Paris en février 1317 : déclare solennellement que « femme ne succède pas à la couronne de France », avec la bénédiction des docteurs de l’université de Paris. Au terme de ces longs mois de tergiversation, il était maintenant acquis que les femmes ne pouvaient accéder au trône, en vertu d’une règle de masculinité que tous les partisans de Philippe présentaient comme acquise de longue date.

Acceptée par tous, cette règle n’appela aucune contestation en février 1322, à la mort de Philippe V qui laissait 4 filles. La couronne passa sans difficulté à son frère cadet, Charles de la Marche, 3ème et dernier fils de Philippe le Bel, immédiatement reconnu comme héritier légitime et roi sous le nom de Charles IV.

2)- La succession de 1328 : l’exclusion des descendants par les femmes

Mort de Charles IV le 1er février 1328 : dernier des Capétiens directs (la malédiction de Jacques de Molay venait une fois encore de frapper). Il n’y a plus de frère en stock. Vers quel héritier mâle pouvait-on alors se tourner ? 3 solutions possibles :

– Édouard III d’Angleterre : le plus proche parent du roi défunt, puisque c’est son neveu (fils d’Isabelle de France)

– Philippe de Valois : fils de Charles de Valois (frère de Philippe le Bel) : cousin germain du roi défunt ;

Philippe VI de Valois

– Philippe d’Evreux : fils de Louis d’Evreux, également frère de Philippe le Bel.

Position d’Edouard III semble apparemment la plus forte. Cepdt :

– règne déjà sur l’Angleterre ;

– on ne peut donner ce que l’on n’a pas (Nemo dat quod non habet) : principe du droit romain opposé à l’adage coutumier selon lequel les femmes peuvent faire « pont et planche » et transmettre à leurs héritiers mâles des droits qu’en raison de leur sexe elles ne pouvaient exercer.

– en outre, si l’on retient ce dernier adage, la couronne aurait alors dû revenir à Charles le Mauvais, fils de Jeanne.

Charles_le_mauvais_et_les_Parisiens

Finalement, comme en 1316, une assemblée composée de barons, d’évêques et de délégués des villes reconnut et consacra la position juridiquement très solide de Philippe de Valois, qui devint roi sous le nom de Philippe VI. Fureur d’Edouard III qui revendiqua la couronne de France : origines de la guerre de Cent Ans.

Nouveau système successoral vient donc parfaire celui mis sur pieds en 1316 et 1322 : faute de descendant mâle en ligne directe, la couronne est dévolue à l’infini à l’aîné de la branche collatérale, c’est à dire à celle qui se rattache au roi défunt par l’ancêtre le plus proche. Paraît aussi désormais bien acquise, même si elle n’est pas clairement exprimée, la condition de nationalité. Corps de règles imposé plus par les circonstances que par des justifications théoriques qui ne manquèrent pourtant pas d’être ultérieurement invoquées.

B- Les justifications de la règle

Ds l’ensemble, celles qui furent avancées sur le moment furent de peu de poids. Elles vinrent plus tard, ds la 2nde moitié du XIVè puis tout au long du XVè , enveloppée ds l’impressionnante littérature politique destinée à fonder la légitimité des Valois face aux revendications anglaises.

1)- Les justifications politiques

Aussi bien en 1316 qu’en 1322, les considérations strictement politiques dominent toute l’évolution : grand réalisme

– En 1316, Jeanne a contre elle d’être une fille, très jeune et suspecte d’illégitimité. Inversement, Philippe de Poitiers apparaît comme l’homme de la situation, celui qui permet de sortir d’une situation de vide institutionnel ds laquelle l’Etat a horreur de se trouver.

– En 1328, ce qui prévaut : le réflexe nationaliste.

2)- Les justifications religieuses

Vers 1322, le franciscain François de Meyronnes, ds son commentaire sur la Cité de Dieu, constate que, ds la Bible, les femmes sont exclues de la prêtrise, ce qui leur interdit tout naturellement de succéder à une dignité sacrée, telle que la royauté. Si leur droit aux héritages privés ne saurait leur être contesté, il n’en va pas de même pour les dignités publiques au 1er rang desquelles il convient de placer le sacerdoce royal.

3)- Les justifications juridiques

Nombreux exemples de succession féminine, tant ds les coutumes féodales (Aquitaine, Champagne, Artois), que sur les trônes étrangers (Portugal, Navarre), et même à la couronne impériale ou en Terre Sainte.

Ce n’est donc qu’avec le début de la guerre de Cent Ans que l’on tente (laborieusement) de trouver de véritables fondements juridiques au pcipe de masculinité. Entreprise ardue, tant la règle ne devait son affermissement qu’à un heureux hasard biologique dont on avait bien voulu ériger les résultats en coutume. On s’efforça donc de la corroborer à l’aide d’un texte aussi ancien que possible. D’où l’exhumation de la Loi salique par un moine de l’abbaye de Saint Denis, Richard Lescot : assimilation entre le royaume et la terre salique. En même temps qu’était forgée cette identité, parfaitement artificielle, la lex salica gagnait en prestige ds la hiérarchie des normes. De simple coutume des Francs saliens, elle devint coutume immémoriale régissant la succession, puis véritable « loi royale », 1ère loi des Français qu’aurait édictée Pharamond, ce 1er roi des Francs : véritable constitution.

§II- Une succession indisponible et immédiate

A- Le Dauphin, héritier nécessaire

1)- Le traité de Troyes (20-21 mai 1420)

Guerre contre les Anglais doublée d’une guerre civile :

– 23 novembre 1407 : assassinat du duc d’Orléans ;

– mai 1418 : assassinat du connétable Bernard d’Armagnac

– 10 septembre 1419 : assassinat de Jean sans Peur sur le Pont de Montereau. A cette nouvelle, tous les Bourguignons prirent le parti des Anglais contre le Dauphin, réfugié à Bourges.

Signature du Traité de Troyes :

– convention matrimoniale entre Catherine, fille de Charles VI et Henry V d’Angleterre ;

– convention successorale : le Dauphin Charles est écarté de la succession, tandis qu’Henry V est reconnu comme le fils adoptif du roi et l’héritier du royaume. D’où la naissance d’une double monarchie ds une France profondément divisée.

Mais les événements vont contrarier ces arrangements : mort prématurée de Henry V le 31 août 1422, seult âgé de 35 ans, puis de Charles VI, le 21 octobre de la même année. Le fils d’Henry, Henry VI, alors âgé de seulement 10 mois devenait théoriquement roi de France, sous la tutelle de son oncle le duc de Bedford, et le traité de Troyes semblait appliqué. Mais était-il vraiment applicable en droit ?

2)- La défense du roi de Bourges

Les juristes favorables à la cause royale et aux droits du Dauphin soutiennent avec vigueur le contraire. Dès avant la signature du traité de Troyes, ils avaient déjà forgé toute une contre argumentation, qu’ils exposent ds une littérature politique de combat destinée à renforcer les droits du roi de Bourges.

Le principal représentant de ce mouvement = Jean de Terrevermeille, juriste languedocien, auteur de 3 Tractatus. Constate d’abord que toutes les règles successorales qui ont jusque là réglé la succession de la couronne sont de nature coutumière. Ces coutumes constituent un ordre juridique indépendant et supérieur : ensemble objectif échappant à la volonté du corps politique comme au bon vouloir des princes : ainsi s’est forgé un véritable statut coutumier de la couronne.

Cette coutume s’impose donc désormais comme le seul mode de transmission de la couronne. Il en résulte que les règles qui régissent la succession royale se trouvent placées hors du champ du droit commun, puisqu’elles sont totalement intangibles. La succession royale est donc bien spécifique et organisée par des règles coutumières de nature particulière, ayant valeur supérieure aux règles successorales de droit commun. Spécifique, cette succession n’est ni héréditaire, ni patrimoniale.

En effet, le roi n’exerce sur son royaume aucun droit personnel. Simple administrateur de cet ensemble de biens et de droits, il ne peut en aucune circonstance en disposer, même pas à titre héréditaire. Son successeur est simplement désigné par la coutume et ne peut refuser de s’y soumettre. Bloc normatif intangible transcendant aussi bien la volonté du roi que le bon vouloir de ceux qui l’entourent. C’est pourquoi la couronne est indisponible et le traité de Troyes nul. CQFD.

Arguments des juristes en outre relayés par toute une littérature de combat qu’enflamme les prémices d’un sentiment nationaliste, mêlés de loyalisme monarchique.

B- Le Dauphin, successeur immédiat

Complément logique de l’indisponibilité, la succession immédiate a pour effet d’éviter que ne se crée aucune rupture ds l’exercice du pouvoir. De cette continuité dépendait aussi celle de l’Etat.

Doctrine : depuis le XIIè s. s’affine la théorie de la nature bicorporelle du Christ, consacrée par le IVè concile de Latran : l’Eucharistie = le corpus verum Christi ; la société chrétienne = le corpus mysticum Christi. La pensée politique fait sienne cette dualité en la transposant progressivement à l’organisation des royaumes :

corpus verum Christi = corpus naturale regis : corps physique et mortel ;

corpus mysticum = l’Etat. « La dignité ne meurt jamais alors que les individus meurent chaque jour » : dépersonnalisation de la dignitas royale permettant d’assurer la transmission ininterrompue d’un patrimoine intangible.

A parfaire cette vision nouvelle, la coutume apporta aussi sa contribution, à travers l’adage «  le mort saisit le vif » attesté dès 1259 ds un arrêt du parlement de Paris : destiné à renforcer la propriété virtuelle du lignage sur les biens familiaux : héritier immédiatement saisi de la succession, à l’instant même de la mort du de cujus, en dehors de toute formalité de transmission ou d’acquisition.

Principe étendu à la succession royale et aboutissant à refuser au sacre toute valeur constitutive.

Consécration législative :

– ordonnance d’août 1374 fixe la majorité royale à 13 ans et surtout précise que le jeune roi a pleine capacité pour agit sitôt atteinte sa 14ème année, sans avoir besoin d’attendre le sacre ;

– ordonnance d’avril 1403 dispose que le fils aîné « en quelque petit âge qu’il soit ou puisse être, soit après nous incontinent sans aucun dilation appelé roi de France, succède à notre royaume et soit couronné roi le plus tôt que faire se pourra. ». Au terme de ce texte capital, plus aucun doute n’était permis : la succession à la couronne devait être instantanée, quel que soit l’âge du jeune prince. Sacré ou non, il doit être tenu pour roi dès la mort de son prédécesseur. Ordonnance confirmée et renforcée par une nouvelle, le 26 décembre 1407, enregistrée à l’occasion d’un lit de justice.

Sur le plan des rituels, plus on avance ds le temps, et plus les instants qui suivent la mort du roi et le cérémonial de ses obsèques se coulent ds le moule d’une succession immédiate, sans avoir à attendre le couronnement : enterrement du roi défunt = le moment où le nouveau roi sort de sa cachette et succède vraiment. Effigie du roi mort le représentant vivant devient le point central de la cérémonie. Les membres du parlement conservent leur robe rouge ; tous les officiers de la maison du roi restent en fonction. Cri du héraut d’armes : « Le roi est mort ! Vive le roi ! » : acte constituant du pouvoir monarchique, ce cri enlevait de manière définitive toute portée constitutive au sacre, en même temps qu’il signifiait liturgiquement l’impeccable continuité de l’Etat.

Section III- La permanence du gouvernement

§I- L’État débiteur des justiciables

Imptce centrale du pouvoir de juger ds la genèse de l’Etat moderne. Constitue un des pcipaux garants de la cohésion de l’Etat à travers le respect qu’il impose de la norme édictée. En outre, depuis les temps carolingiens, assurer la justice apparaît comme le pcipal attribut du ministère royal : fonction intimement liée à la mission de paix dont est investi le souverain.

Parce qu’il doit maintenir la paix, le roi est en effet « grand débiteur de justice », dette qu’il contracte envers ses sujets dès son avènement, à l’occasion du serment du sacre. Elle fait de lui un roi juge, garant suprême de la concorde. Portrait du roi juge, toujours campé en termes identiques, devient d’ailleurs l’un des thèmes favoris de la littérature politique à partir du XIIIè s. : cf. Saint Louis sous son chêne. Cf. aussi les Miroirs des princes, présentant un monarque accessible à tout moment à ses sujets. Lettres de rémission émanent massivement de lui, car il connaît sans restriction, de tous crimes et délits, même les plus graves.

A cette mission s’ajoutent aussi des revendications de justice sociale : roi justicier, autant que roi juge, qui veille à l’équilibre des services, des corvées et des prestations, autant qu’à la bonne confection des lois et à la saine administration de la chose publique : élargissement progressif des missions de l’Etat.

Structurellement, il convient de distinguer :

– la justice retenue, exercée directement par le roi ou son conseil : tranche les requêtes des justiciables préalablement sélectionnées par les maîtres des requêtes, ou simplement présentées par les intéressés à la sortie de la messe ou du palais.

– la justice déléguée, rendue au nom du roi par des juridictions spécialisées : tribunaux de prévôtés, de bailliages, de sénéchaussées, ou parlements. Délégation peut toutefois être suspendue à tout moment. En dépit de cette menace, connaît cepdt d’incontestables progrès pdt toute la période, surtout face à des cours féodales siégeant de manière discontinue : permanence et qualité du personnel royal.

A- Les progrès de la justice royale

Ils accompagnent très logiquement la renaissance des structures étatiques : long combat qui se poursuit jusqu’à la fin de l’AR. Plus vulnérables, parce que moins bien organisées et moins performantes que les juridictions ecclésiastiques, les justices seigneuriales sont les premières à subir la concurrence des tribunaux royaux.

1)- L’intégration progressive des justices seigneuriales à l’appareil judiciaire d’État

Archaïsme des justices seigneuriales : personnel incompétent (vassaux de la cour féodale, prévôt de la cour seigneuriale), procédure dépassée (ordalies, refus de l’appel : les seules voies de recours = le déni de justice, ou défaute de droit et le faux jugement, débouchant sur une prise à partie du juge, et donc sur un duel judiciaire). Face à cet état de fait : dynamisme conquérant des justices royales qui parviennent tout à la fois à subordonner les justices seigneuriales et à réduire leurs compétences :

  • Subordination : l’appel:

Politique s’inscrivant ds l’exploitation systématique des conséquences qu’emporte la hiérarchie féodale. Puisque tous les fiefs du royaume relèvent du roi en sa qualité de suzerain suprême, il en va de même de toutes les justices qui leur étaient attachées = idée que toutes les justices du royaume sont tenue en fiefs ou en arrière fiefs du roi : règle que font triompher les légistes à partir des années 1250. Si élevé que soit un seigneur ds la hiérarchie féodale, il ne peut en aucun cas exercer une justice souveraine : doit en toute hypothèse rester ds le ressort du roi souverain justicier. Ainsi se trouvait posé le pcipe de l’appel hiérarchique, renforcé par la redécouverte du droit romain et le modèle de la procédure romano-canonique. Se met lentement en place, au cours du XIIIè s et du début du XIVè s. : au début, se distingue mal de la prise à partie : contestation du juge autant que du jugement (mise en cause d’un pcipe de responsabilité civile).

Inconvénient du système : appel présentant autant de degrés qu’il e existe ds la hiérarchie des seigneuries. D’où une extraordinaire superposition de recours allongeant considérablement les procédures.

  • Réduction de compétences: est réalisée grâce à une double pratique : la prévention et les cas royaux.
  • La prévention : C’est le droit pour les juges royaux de se saisir d’une affaire que les règles normales de compétences attribuent aux juges seigneuriaux. Fondée sur l’idée de supériorité, de souveraineté du roi, cette procédure permet donc à la justice du roi de « venir avant », de « prévenir » l’action d’un juge seigneurial négligent ou trop lent, au nom du maintien de l’ordre public (si crime par exemple). Il peut en outre arriver qu’un plaideur placé face à 2 justices concurrentes se saisisse spontanément de la juridiction royale.
  • Les cas royaux : il s’agit de toutes les causes, civiles ou criminelles, dont la connaissance est expressément réservée aux juges royaux alors que le défendeur ou l’accusé aurait normalement dû relever de la justice d’un seigneur. Système existant déjà ds certaines grandes principautés territoriales comme la Normandie ou la Bourgogne (cas ducaux). Étendu au roi en vertu de sa souveraineté. Pas d’énumération limitative de ces cas (car souveraineté elle-même sans limite), dont le nombre ne fait d’ailleurs que croître : atteintes portées à la paix publique, entendue au sens large (bris de sauvegarde, port d’armes), protection des agents royaux, droits découlant de la souveraineté et plus généralement les conditions ds lesquelles ils sont exercés (fabrication de fausse monnaie, falsification des sceaux et des lettres du roi, violation d’une ordonnance royale posant une interdiction ou prohibant un acte qui, jusque là, n’était pas tenu pour délictueux).
2)- De la réduction de compétences des juges d’Église à leur subordination aux juges du roi

Justices d’Église en plein essor depuis le XIIè s. (conséquence de la réforme grégorienne), connaissent leur apogée au XIIIè s. où elles gênent souvent la construction d’un système judiciaire d’État, tant en raison de leur organisation fortement structurée (avec possibilité d’appel hiérarchique) que de leur procédure rationalisée (procédure romano-canonique : écrite et inquisitoire) et de leurs compétences toujours élargies (aussi bien ratione personae que ratione materiae). Contre ces juridictions en plein essor, les justices royales ont dû déployer une stratégie particulièrement efficace, jouant à la fois sur la réduction de leurs compétences et sur le contrôle de la procédure ecclésiastique par le bais de l’appel comme d’abus.

  • Réduction de compétences:

Politique engagée dès le règne de Philippe le Bel, puis allant en se renforçant au cours du XIVè s. Aboutit avec un siècle de retard par rapport aux justices seigneuriales.

La clef du système = la théorie des cas privilégiés, pendant exact des cas royaux pour les justices seigneuriales : permet de réserver aux juges royaux toute une série de cas jusque là normalement dévolus aux officialités. La justification en est également la souveraineté du monarque et la nécessité pour lui de protéger l’ordre public. Tout clerc qui se rend coupable de LM, de fausse monnaie, de violation d’asseurement ou de sauvegarde royale ou de violation d’une ordonnance royale doit être obligatoirement jugé par un juge royal (en fait, souvent double compétence débouchant sur un double procès pour le délit commun et le cas privilégié).

Prévention connaît aussi une application partielle, notamment en matière bénéficiale (pour le possessoire).

Au total : privilège du for ne cesse de se réduire, tandis que les cas de compétence des tribunaux d’Église à l’égard des laïcs sont de moins en moins nombreux, aussi bien au pénal qu’au civil (compétence des juges laïcs l’emportant notamment en matière contractuelle).

  • Contrôle et appel comme d’abus:

Notion d’abus est avérée chaque fois qu’un acte émanant d’une autorité ecclésiastique, ou qu’une décision rendue par une juridiction d’Église paraît aller à l’encontre de l’ordre établi. Ainsi, tout excès de pouvoir, qu’il résulte d’un abus de compétence judiciaire ou d’une utilisation extensive du droit d’édicter reconnu à l’Eglise, entre ds le champ de la notion d’abus. D’où 2 réactions successives développées par les autorités laïques :

– Dès le règne de Philippe le Bel, les juges procèdent par voie de contrainte, par le biais de la saisie du temporel ecclésiastique, pour sanctionner toute décision qui leur paraît abusive, qu’elle soit judiciaire ou adm. Simple moyen de pression ne résolvant pas le pb posé par la décision incriminée.

– A partir de la fin du XVè s. perfectionnement de la procédure d’appel comme d’abus : recours à la justice laïque (plt ou conseil du roi) contre une sentence ou un acte de l’autorité ecclés. (s’opère ds la foulée de la pragmatique sanction de Bourges). Recours plus proche en fait d’une voie de cassation que d’un appel véritable. Si un abus est effectivement constaté, il n’y a jamais réformation de la sentence ou de la décision ; simple cassation de l’acte incriminé suivi d’un renvoi devant l’autorité compétente.

Au total, au terme de cette évolution, l’Eglise de France ds son ensemble devait accepter que la totalité de ses actes, adm. ou judiciaires, soient soumis au contrôle des plus hautes instances judiciaires du royaume, donc à l’autorité souveraine du roi. Triomphait ainsi un véritable droit de regard de l’Etat sur la voie adm. et judiciaire de l’Eglise, qui perdura jusqu’à 1905.

B- Les structures de l’appareil judiciaire

A l’aube du XIIIè les structures judiciaires sur lesquelles peut s’appuyer le roi sont encore rudimentaires : essoufflement des juridictions prévôtales, timide mise en place des bailliages et des sénéchaussées, caractère encore largement féodal de la cour du roi.

Gonflement des affaires traitées, puissance croissante de l’Etat et complexification de la procédure entraînèrent la constitution progressive d’une hiérarchie des juridictions, dominée par les plts (a) et reposant solidement sur le socle essentiel des bailliages et des sénéchaussées (b).

1)- Du parlement aux parlements
  • Le parlement: Né du démembrement de la Curia regis au XIIIè s. (v. 1250), le Parlement demeure pdt presque 2 siècles l’instance judiciaire suprême du royaume. Sa genèse est ente, et s’étaler sur ¾ de siècle à partir des années 1250. Depuis longtemps déjà, le souv. s’assurait le concours d’hommes de loi chaque fois qu’il jugeait en sa cour ; mais ces réunions deviennent de plus en plus fréquentes à partir du moment où Saint Louis, rentré de croisade et de captivité (1254) reprend en mais les rênes du pouvoir : roi profondément attaché à l’idéal de justice. D’où une double évolution :

– spécialisation d’une partie du personnel, composée de juristes chargés de « parlementare » = délibérer à propos des affaires qui leur sont soumises ; se réunissent ds des sessions temporaires dissoutes dès que l’ordre du jour est épuisé. Ces sessions tendent toutefois à devenir progressivement de plus en plus longues et de moins en moins nombreuses, pour ne plus former qu’une seule session, simplement coupée une fois par an par les vacances d’été.

– individualisation de l’institution : jusqu’à la fin du règne de Saint Louis, les séances de la curia in parlamento sont dominées par la personne du souverain qui occupe toujours le devant de la scène. Ce qui prévaut = la fonction de conseil ; c’est toujours le roi qui tranche. A partir de la fin XIIIè s. le roi n’est plus ds sa cour qui délibère seule pour juger en son nom.

La galerie du Parlement aux Archives Nationales

Développement continu de l’élément professionnel, aux dépens d’un élément aristo. vite réduit aux seuls pairs de France ; pérennisation des fonctions de conseillers à partir du milieu du XIVè s. Division du plt en 4 chambres :

– Grand chambre, devant laquelle ont lieu toutes les plaidoiries et sont rendus tous les arrêts ;

– Chambre des requêtes : reçoit les plaintes des plaideurs et statue sur leur validité ;

– Chambre des enquêtes : enquête, instruction et préparation des décisions que la Grand’Chambre n’avait le plus souvent qu’à transformer en un jugement définitif ;

– Chambre criminelle ou Tournelle : n’apparaît qu’à la fin XIVè s. demeura pdt longtemps une simple délégation de la Gd chambre, délégation devenue permanente en 1446. N’est composée que de conseillers laïcs. Mêmes compétence que la chambre des enquêtes, mais au pénal cette fois ; autonomie acquise seult en 1515.

Champ d’intervention des plts de plus en plus étendu, parallèlement au gonflement du domaine royal. D’où la nécessité de rapprocher la justice des justiciables et de tenir compte au mieux des réalités locales. 2 moyens furent utilisés à cette double fin :

  • Les Grands jours : délégations temporaires de maîtres du plt envoyés en province pour y rendre la justice au nom du roi = équivalent d’une sorte de déconcentration. Grandes assises limitées ds le temps et organisées à l’occasion de circonstances graves, elles assurent une justice à la fois rapide et proche des justiciables. Pratique généralisée surtout à partir de la fin du règne de Charles VII. Se poursuivit également sous l’AR.
  • L’érection de nouveaux parlements provinciaux. Jusqu’au XVè s. La règle d’un plt unique siégeant à Paris fut toujours observée : seule juridiction souveraine, contrôlait l’ensemble des décisions rendues ds tt le royaume, qu’elles émanent de tribunaux royaux, de justices seigneuriales ou de cours princières. Néanmoins, là encore : besoins locaux de plus en plus forts nécessitant cette fois une véritable décentralisation de la justice souveraine. Mouvement amorcé là encore sous le règne de Charles VII avec le plt de Toulouse ( carte p. 8), se poursuivit tout au long du Ma et de l’AR. N.B. : Ds l’ensemble, les ressorts des plts provinciaux correspondent aux régions périphériques du royaume qui avaient servi d’assise aux principautés territoriales du Xè s. et qui constituaient aux XIVè-XVè s. les aires des développement pour le dév. des États provinciaux

Cepdt : ces plts, égaux entre eux et crées à l’image du plt de Paris, ont la même organisation que lui et conservèrent toujours le souvenir d’une origine commune, justifiant l’élaboration de la théorie des classes à partir du XVIIè s : partage de souveraineté avec le roi.

Compétences des plts :

  • justice souveraine en 1ère instance (pour les causes importantes ou pour les personnes jouissant du privilège de committimus) et surtout en appel ; possibilité de cassation devant le conseil du roi ;
  • missions diplomatiques : sauvegarde des intérêts du roi et de l’intégrité du domaine ;
  • compétences législatives liées au caractère souverain des plts :

– pouvoir édictal autonome et parallèle à la législation royale : technique des arrêts de règlement (décisions à valeur normative ayant portée générale, permettant au plt de régler provisoirement et à titre supplétoire, ds son ressort, un point sur lequel ni la coutume, ni la législation n’avaient apporté de solution : statue donc ds un vide juridique et permet de généraliser des pcipes nouveaux appliqués au cas d’espèces ;

En matière d’adm. le plt peut également prendre des décision en dehors de toute situation contentieuse : législation véritablement autonome.

– droit de remontrance progressivement constitué : enregistrement purement matériel au départ, devenant à partir de la 2nde 1/23 du XIVè un contrôle d’opportunité (cf. cours du 1er semestre).

2)- Les tribunaux de bailliage ou de sénéchaussée

Bailliages et sénéchaussées = une pièce maîtresse de l’adm. territoriale dès la fin du Ma (cf. supra). Constituent également un rouage essentiel de l’appareil judiciaire. Triple évolution :

  • Spécialisation du personnel: Au départ, baillis et sénéchaux sont simplement entourés d’un personnel extrêmement restreint et assument seuls la responsabilité de la justice ds le cadre du tribunal qu’ils président. Puis afflux des affaires est tel qu’une décharge d’activité devient nécessaire. Ds un 1er temps, délégation de pouvoir à des lieutenants par les baillis eux-mêmes (XIVè s.). Puis effort de la monarchie pour contrôler ces agents et les placer directement sous son emprise. A partir du XVè s. le roi prend l’habitude de les nommer directement en exigeant d’eux capacité et formation suffisantes. Parallèlement, leur offre des garanties de carrière stable. Évolution achevée au XVIè s. : ordonnance de 1510 fait du lieutenant un véritable officier royal nommé par le monarque. N’est plus qualifié, désormais, de lieutenant du bailli, mais de lieutenant du roi ds tel bailliage.

Deux types de lieutenant : lieutenant général siégeant au chef lieu de la juridiction ; reçoit délégation générale du bailli pour toute l’étendue du bailliage ; à ses côtés et pour le seconder ds les diverses circonscriptions du bailliage : des lieutenants particuliers.

  • Fixation des structures: Ds sa formation initiale, le tribunal du bailliage est organisé en assise : formation très marquée par les traditions féodales : justice itinérante siégeant tour à tour ds les principales localités du bailliage. Composition variable selon la qualité du défendeur. Toutefois, tendance à voir les techniciens du droit s’imposer de plus en plus nombreux devant la complexification croissante du droit.

Peu à peu évolution de l’assise vers le plaid = formation sédentaire et permanente s réunissant à dates fixes ds chaque ville importante du bailliage, et placée sous la présidence du lieutenant particulier.

  • Élargissement des compétences: constitue un phénomène tellement important qu’il fallut limiter ces compétences en 1ère instance pour faire de ces tribunaux essentiellement des juridictions d’appel.

En 1ère instance : jugent surtout les affaires intéressant les nobles (ratione personae) ainsi que les délits intéressant les officiers royaux ds l’exercice de leurs fonctions.

Appel de toutes les sentences rendues par les prévôts royaux et les juges seigneuriaux.

§II- L’État créancier des imposables

Construire l’Etat impose de multiples contraintes qu’ignorait le roi féodal : suscite d’importants besoins en hommes et en matériel auxquels ne peuvent répondre les seules ressources du domaine royal : dès la fin du XIIè s. la règle féodale selon laquelle « le prince doit vivre du sien » tend à s’estomper devant la pression des réalités politiques et administratives. En outre, domaine souvent mal géré et objet constant d’aliénations rapporte peu. Souverain doit donc chercher de nouvelles sources de financement.

  • Complément de revenu non négligeable fourni par l’utilisation judicieuse de l’instrument monétaire: passage progressif du monnayage baronnial à la monnaie du prince. Pdt la période féodale, en effet, le droit de battre monnaie, tout comme ceux de juger, de légiférer ou de lever l’impôt, était en partie tombé aux mains des seigneurs qui l’exerçaient en concurrence avec le roi. Jusqu’à la fin du XIIè s. le monarque ne bat monnaie qu’à l’int. de son domaine. Partout ailleurs, elle a u caractère très local.

En fait, il faut attendre Saint Louis pour que soit véritablement affirmée la primauté de la monnaie royale : législation des années 1263-1265 posant 5 grands principes :

– la monnaie du roi est la seule à avoir cours ds le domaine

– elle a cours ds tout le royaume, mais parfois en concurrence avec les monnayages seigneuriaux locaux lorsqu’ils existent ;

– la circulation des monnaies étrangères est interdite ;

– l’imitation de la monnaie royale est interdite ;

– prohibition de rogner les pièces.

A partir de là double politique de disparition et de contrôle des ateliers monétaire baronniaux : se poursuit et s’intensifie au XIVè s. tandis que se multiplient les ateliers royaux.

Ecu d'or de saint Louis Franc de Jean le Bon

Monnaie est en effet une source considérable de profits : possibilité de jouer sur le titre (ou aloi : proportion de métal fin, or ou argent), le poids (quantité totale de métal utilisée) et le cours (déf. de la valeur de la pièce au moment de son émission, chaque pièce d’or ou d’argent ne portant sur ce point aucune indication) D’où de nombreuses manipulations monétaires opérées pour des raisons autant politiques qu’économiques et financières (idée selon laquelle le roi = le maître de la monnaie).

  • Développement d’un droit royal d’imposer: besoins d’argent toujours plus grand suscitant le passage d’une fiscalité féodale (A) à une fiscalité d’État (B).

A- L’administration des profits domaniaux

En droit féodal, tout vassal doit aider son seigneur en fonction de ses engagements et de ses moyens. Cette aide, qu’elle soit en argent ou en service, n’a plus à être discutée à partir du moment où elle a été acceptée ds le cadre du contrat féodal. Seulement due en pcipe pour les 4 cas définis par la coutume, elle peut être étendue à d’autres, à conditions d’avoir été expressément consentie par le vassal auquel elle est demandée. En outre, cette aide, qui se traduit pdt toute la période féodale par le service effectif du vassal peut être rachetée : pratique devenue courante ds les années 1250. Fait l’objet d’âpres négociations, au cours desquels le roi exige parfois des versements complémentaires, qu’il justifie par l’invocation du « commun profit » : sortie progressive d’une logique purement féodale. En réalité, si les sommes ainsi débloquées grèvent fortement les budgets urbains, ds la 2nde ½ du XIIIè siècle, elles représentent pau au regard des besoins immenses du roi.

Quant à l’adm. des finances, elle n’a d’autre mission que de centraliser et gérer les finances ordinaires que procurent au roi son domaine et ses revenus. D’abord confié à la garde des Templiers, le Trésor royal est transféré au Louvre sous le règne de Philippe le Bel, qui en profite pour perfectionner sa gestion adm. 2 catégories pcipales d’agents :

– les administrateurs : les Trésoriers de France, au nombre de 4 : assurent chacun la gestion du domaine situé ds leur champ d’attribution (royaume étant lui-même divisé en 4 zones) : veillent à sa mise en valeur et décident des modes d’exploitation des biens domaniaux ; préparent annuellement un état approximatif portant prévision des recettes à encaisser.

– les comptables : receveurs et changeur du Trésor : sont investis de la responsabilité du maniement des fonds. Interviennent au niveau local (receveurs des bailliages et des sénéchaussées) et central (receveur central ou changeur du Trésor).

Ressources ordinaires vite insuffisantes furent toutefois complétées par les ressources extraordinaires, qui fournirent en fait l’essentiel des revenus monarchiques.

B- La mise en place d’une fiscalité monarchique

  • L’affirmation du droit royal d’imposer : repose sur l’idée de légitimité de l’impôt, elle-même fondée sur une double considération :

– cause de l’imposition : défense du royaume : période de la guerre de Cent Ans joua donc un rôle décisif ds la genèse de cette pratique ;

– bénéficiaire de l’imposition : l’Etat, transcendant la personne du prince : poursuite du mouvement d’institutionnalisation et de dépersonnalisation.

Genèse de ce droit royal d’imposer fut cepdt lente et difficile. Au départ, nul ne conteste qu’au roi seul revient le pouvoir d’imposer ses sujets, au nom de la nécessité publique et de l’utilité commune. Néanmoins, les députés des diverses assemblées convoquées par le monarque, les représentants des villes et des corps, et les contribuables eux-mêmes savent rappeler au roi que l’impôt levé pour la défense du royaume ne doit ni connaître une autre affectation, ni durer au-delà de la cause qui l’a motivé : idée d’un impôt non obligatoire, toujours consenti, entouré de multiples garanties et toujours périodique : années 1350 marquées par une relative faiblesse du pouvoir monarchique. États généraux en profitent donc pour fonder le pcipe d’une périodicité annuelle de l’impôt.

Pourtant, sous la pression des circonstances, militaires en particulier, et afin de financer la mise sur pieds d’une armée permanente, le roi parvient progressivement à faire triompher l’idée d’un impôt levé sans le consentement exprès des États : idée d’un consentement tacite suffit. Évolution achevée dès le règne de Charles VII, ds les années 1440. Est d’autant mieux acceptée que les élites y trouvent leur compte : d’une part profitent largement d’un système d’exemptions ; d’autre part, bénéficient d’une redistribution, au moins partielle du produit de l’impôt.

  • Les structures de la fiscalité étatique:
  • La fiscalité directe: S’inscrit ds le prolongement de la fiscalité seigneuriale. Son poids ne cesse de s’alourdir depuis le règne de Philippe Auguste. Frape aussi bien les laïcs que les ecclés., mais sous des formes différentes :

* Le fouage : ainsi nommé parce qu’il est levé sur chaque feu. Son lien avec la taille de l’ost est évident : a donc succédé à l’aide militaire et n’a d’autre mission que d’alimenter les caisses de la royauté en période de difficultés militaires.

* La taille : impôt de répartition par excellence, la taille, souvent proche du fouage, se substitue progressivement à lui. Sans le faire disparaître, elle devient le pcipal impôt direct au XVè s. Prolongement de la taille seigneuriale, toujours justifiée au départ par les nécessités de la défenses et des opérations militaires. Assiette différente entre le Nord (taille personnelle) et le Midi (taille réelle). T mauvais rendement (de l’ordre de 50%) ;

* La décime : cf. supra. Une seule obligation pour le roi : obtenir le consentement préalable du clergé (tantôt en envoyant des commissaires ds chaque diocèse, tantôt en réunissant une assemblée du clergé) ; autorisation pontificale, en revanche, n’est que très rarement sollicitée, depuis l’affrontement entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Imposition devenue quasi annuelle.

  • La fiscalité indirecte: t. impopulaire

* Les aides : tout impôt indirect perçu à l’occasion du transport ou de la vente de certaines denrées. Assiette extrêmement large : produits destinés à l’alimentation, avec une prédilection particulière pour les boissons, et spécialement pour le vin, graines et farines ; animaux « à pieds fourchés » : moutons, bœufs, veaux et porcs ; laines et cuirs ; matériaux de construction (‘bois, pierres, ardoise, métaux) ;

* La gabelle : Terme utilisé à l’origine pour qualifier n’importe quel impôt sur la consommation, le terme de gabelle prend un sens précis ds les 1ères décennies du XIVè s. au fur et à mesure que la royauté organise et contrôle le commerce du sel. : sert alors pcipalement à désigner le droit perçu par le roi à l’occasion de la vente ou de la consommation de sel. Organisation reposant sur la création d’entrepôts royaux, les greniers à sel, placés sous le contrôle d’agents royaux, les grenetiers. Sel mis en vente par les grenetiers auprès de consommateurs qui ne peuvent s’approvisionner en dehors d’eux. Prix fixé par ordonnance.

Gabelle moins lourde ds le Midi (« pays de petite gabelle ») que ds le Nord (« grande gabelle) où une obligation pèse sur chaque chef de famille d’acheter une quantité minimale de sel (le « sel du devoir »). Complexité du système favorise la fraude (faux-saunage) pourtant durement réprimée.

* Les traites : taxes perçues sur les marchandises lorsqu’elles franchissent une frontière extérieure du royaume (sorte de taxe à l’exportation) ou une zone de démarcation intérieure de celui-ci, aux termes d’une géographie fiscale extrêmement embrouillée. Repose sur les conceptions économiques médiévales : conviction que tout domaine devait se suffire à lui-même et qu’en conséquence, tout ce qui sortait du territoire – en particulier les produits de 1ère nécessite – entraînait une diminution de ses réserves et de sa richesse.

Assiette très large : denrées ou animaux nécessaires à l’alimentation (blés, orges, avoines, légumes, vins, bestiaux) ; matières 1ères ou manufacturées indispensables à la confection des vêtements (laines draps, pelleterie, toiles), matériaux de 1ère nécessité (fer, cuivre, étain, bois).

Conclusion :

– éclatement des anciennes structures féodales, autarciques et étriquées ;

– passage d’une pensée contractuelle à une révérence institutionnelle : assure une indispensable permanence ;

– monopolisation des moyens de contrainte et de coercition entre les mains de l’Etat ;

– transfert de sacralité de l’Eglise à l’Etat.


Chapitre II- La mesure du royaume. L’unité du territoire

Face à l’éparpillement féodal, l’Etat affirme immédiatement la force de sa logique unitaire, elle-même enracinée ds un véritable continuum territorial. Le 1er défi des Capétiens fut donc autant géographique que politique, et consista à accroître la réalité de leur emprise matérielle sur le pays, face à des féodaux puissants et bien implantés (cf. cartes). Ils y réussirent à force de stratégies patientes et de conquêtes brutales, en faisant tour à tour de l’espace du royaume le cadre d’une unification nécessaire (section I) et le lieu d’une identité nationale (section II).

Section I- L’émergence d’un espace homogène

Période considérée a vu le développement de plusieurs tendances favorables à la monarchie capétienne :

– affirmation d’un modèle hiérarchique qui profite d’ailleurs aussi bien aux pouvoirs princiers qu’à l’autorité royale, et qui s’impose progressivement à tous les échelons de la société nobiliaire. Chaîne continue d’obéissance du sommet à la base réalisée grâce à un renforcement très sensible de l’emprise juridique exercée sur les seigneuries et les ensembles territoriaux plus vastes (§I) ;

– Le développement du monde urbain, créateur de richesses, et de plus en plus émancipé de la tutelle seigneuriale (§II).

– lutte acharnée menée par le Capétien contre le terrible étau représenté par l’empire Plantagenêt (carte) à partir du milieu du XIIè s. : mariage désastreux d’Henri II avec Aliénor d’Aquitaine, malencontreusement répudiée par Louis VII (1152). Ds ce dur conflit, la victoire ne se dessina qu’au tout début du XIIIè s., sous le règne énergique de Philippe Auguste : permit à la monarchie française d’augmenter substantiellement son assise matérielle, en accroissant à la fois sa base territoriale et ses ressources financières (§III).

§I- Le renforcement de l’emprise juridique du monarque

Ce phénomène s’est traduit à la fois par l’affirmation de la suzeraineté générale du roi sur l’ensemble du royaume, ds un cadre de référence qui demeure donc largement féodal (A) et par le développement de prérogatives propres à la monarchie et de nature à fonder l’incontestable souveraineté de celle-ci, préfigurant ainsi l’émergence d’un État libéré des contraintes de la médiatisation contractuelle (B).

A- La suzeraineté du prince

  • Lente émergence d’un ordre féodal : existait déjà ds un certain nombre de principautés « pilotes » comme la Normandie ou la Catalogne, mais tend à s’étendre, au cours du XIIè s., sous l’effet des mouvements de paix. En bien des régions du royaume, au moment même où la papauté entreprend d’étendre la paix et la trêve de Dieu à l’échelle de la chrétienté (fin XIè-début XIIè s.), ducs et principaux comtes s’appuient sur le mouvement de paix, se présentent comme les protecteurs naturels des églises, et s’attachent à faire de la paix de Dieu une véritable paix du prince : mutation encouragée par l’Eglise elle-même, qui s’efforce toutefois d’en conserver le contrôle juridictionnel et de confiner les autorités laïques ds un rôle d’exécutant.

Au total, donc : efficacité accrue de certains princes ds un rôle pacificateur qui contribue de façon décisive au resserrement des liens qui les unissaient aux maîtres des châteaux. Dynamique de reconstitution des pouvoirs princiers observables ds la plupart des grandes seigneuries du Nord : Champagne, Bourgogne, Anjou, Flandre, Nivernais, etc. Toutes ces régions connaissent le même mouvement de féodalisation des terres et de raréfaction de la propriété allodiale, d’extension de la notion de ligesse et de définition plus stricte des obligations découlant de la possession du fief.

Elle connaissent de même la diffusion d’une terminologie mettant l’accent sur le fief et sur son insertion ds une hiérarchie des terres : ainsi le verbe « movere », « mouvoir », qui traduit la dépendance d’une terre par rapport à une autre, ou le mot « feudataire » appliqué au vassal, qui montre que la dépendance vassalique est désormais clairement appréhendée comme la résultante de cette dépendance réelle, dont la contrepartie = la constitution d’un lien infiniment plus objectif et tangible que la seule fidélité interpersonnelle.

Tendance comparable ds le Sud du royaume

  • L’apparition de ce nouvel ordre princier ne se réalise pas, contrairement aux évolutions qui avaient précipité l’effondrement carolingien, au détriment de l’autorité royale. Le roi du XIIè siècle est d’abord le chef d’une principauté territoriale et, à l’instar des autres princes, s’efforce d’en consolider l’assise. Le règne de Louis VI (1108-1136) marque, à cet égard, un tournant : en défendant les églises contre les seigneurs d’Île de France, la royauté sait, avec une remarquable constance, utiliser sa force coercitive, pour, finalement, faire prévaloir le principe en vertu duquel toute décision de sa cour – sentence arbitrale, mais aussi, plus souvent qu’auparavant, véritable jugement – possède pleine force exécutoire. Ici aussi, donc, utilisation du mouvement de paix de Dieu : le roi se présente ainsi comme l’instrument armé de la justice ecclésiastique

A l’égard des grands titulaires d’honores, l’idée de hiérarchie féodale est pour une large part l’expression d’une supériorité de nature depuis toujours reconnue par ces grands au roi. Va permettre d’affirmer de façon définitive la primauté royale, par la reconnaissance de la supériorité féodale du roi (1), par la mise en relief de son indépendance politique (2) et par l’utilisation habile du droit féodal lui-même (3).

1)- La supériorité féodale du roi

Vision nouvelle qu’ont les princes du XIIè s. de l’espace qu’ils dominent = territoire tendant à se présenter comme une sorte d’emboîtements de fiefs mouvant les uns des autres et mouvant en bout de chaîne de l’unité territoriale que constitue la principauté : profite au roi, chef de cette entité territoriale supérieure qu’est le regnum Francorum. L’affirmation de la « suzeraineté » royale n’est donc pas simplement le fruit d’une doctrine abstraite imaginée par les conseillers de l’entourage du Capétien : elle s’impose aux princes comme procédant de la même logique que celle qui préside à leur réussite.

La nouveauté du XIIè s. ne consiste pas tant ds les hommages rendus par les grands princes au roi que ds le lien plus systématiquement affirmé par les textes entre l’hommage rendu et l’honor concédé. Homogénéisation du vocabulaire (honor remplacé par fief, grands ds leur diversité qualifiés indifféremment de barons) traduisant le souci de faire entrer ds un même moule la relation vassalique : identité de dépendance.

Ds le même temps, on met l’accent sur une hiérarchie des terres aboutissant au roi. Cf. la phrase prononcée par le duc d’Aquitaine au roi Louis VI le Gros :

« Le comte d’Auvergne tient de moi l’Auvergne que moi je tiens de vous. »

Cepdt, cette logique hiérarchique ne s’impose pas toujours d’elle-même :

  • Certains grands princes, tout en acceptant, bon gré mal gré, le lien plus affirmé entre l’hommage et la concession en fief, refusèrent longtemps l’étroite subordination qu’impliquait un tel lien.

Ex : C’est le sens profond de l’attitude des ducs normands au XIIè s., notamment celle d’Henri II Plantagenêt qui, tout en prêtant hommage au roi pour la Normandie, n’en revendique pas moins une conception restrictive de cet hommage : simple hommage de paix, source d’amitié réciproque et d’obligations de se conserver mutuellement « leur vie, leurs membres et leur honneur terrestre. » : cf. la pratique de l’hommage en marche, prêté à la frontière des zones des domination respective, et non à la cour du seigneur.

Cette pratique de l’hommage en marge est également revendiquée par les comtes de Champagne et de Nevers vis à vis du duc de Bourgogne et des multiples seigneurs dont l’un et l’autre reconnaissent tenir des fiefs. Toutefois, ni ces grands ni les autres princes ne semblent avoir revendiqué un tel privilège vis à vis du roi auprès duquel ils se rendent plus souvent qu’auparavant à partir des années 1140-1150 pour s’acquitter du service de cour caractéristique de la subordination vassalique.

  • Le second obstacle rencontré par la royauté tient à la place assignée à chaque détenteur de puissance ds la construction hiérarchique : schéma roi-duc-comte que les grands tentent d’imposer au monarque et qui s’oppose à la volonté d’un rattachement territorial direct manifesté par celui-ci. L’intérêt du roi, qui le pousse à un e politique d’intégration immédiate des grandes seigneuries traditionnellement situées hors de sa zone de rayonnement, se heurte ainsi à celui des princes, qui entendent affermir leur domination sur l’ensemble des territoires relevant des regna dont ils sont nominalement les chefs.

Ex : prétentions du duc d’Aquitaine opposant aux rois Louis VI puis Louis VII l’appartenance – d’ailleurs plus théorique que réelle au siècle précédent – de l’Auvergne à la mouvance aquitaine.

La politique royale d’élargissement du cercle de ses vassaux directs trouve sa pleine efficacité ds un principe qui paraît progressivement s’imposer entre le milieu du XIIè s. et les années 1230 : tout hommage prêté au roi par un noble du royaume tend de plus en plus systématiquement à devenir un hommage prioritaire, quand bien même celui qui le contracte aurait antérieurement prêté un hommage lige à un ou plusieurs seigneurs. Le fait que l’élaboration de cette règle ne paraît pas avoir suscité de véritable opposition traduit bien l’idée d’une prééminence naturellement reconnue au roi.

Autre principe qui, sans être neuf, retrouve une nouvelle vigueur au XIIè s. : nul, fût-il vassal d’un autre, ne peut prêter la main à une action susceptible de « menacer le roi ds sa personne, sa dignité, son corps. » Ceci annonce de loi le principe d’une tout autre portée selon lequel les rapports féodo-vassaliques ne peuvent en aucune manière préjudicier au roi, contre qui « hommage ne vaut rien ». De la vague reverentia due par tous au roi du XIIè s., çà l’égard de laquelle vassaux et arrière-vassaux conservent une certaine marge d’appréciation qui peut les conduire, lorsque le monarque est agresseur et agit hors de toute règle, à recourir légitimement aux armes contre lui, on passera ainsi, au XIIIè s., à l’idée d’une fidélité d’essence publique inopposable au roi.

2)- L’indépendance féodale du roi

Ds un tel système où hiérarchie des hommes et hiérarchie des terres sont indissolublement liées, la position dominante du roi suppose qu’il demeure invariablement l’ultime maillon vers lequel convergent les chaînes des feudataires, et par conséquent qu’il ne soit jamais en position de devoir l’hommage à quiconque.

Il est cepdt assez fréquent, à partir de la fin du XIè siècle, que le droit acquiert une terre relevant féodalement d’un autre que lui. L’acquisition du Vexin, (fin du XIè s.), fief de l’abbaye de Saint Denis, par Philippe 1er, celle de l’Amiénois et du Vermandois et d’autres seigneuries (Hesdin Gien, Beaumont sur Oise) relevant de seigneuries ecclésiastiques, ont ainsi permis de consolider une doctrine conforme à l’idée de suzeraineté absolue du roi.

A propos du Vexin, l’abbé Suger de Saint Denis constate, ds l’un de ses écrits, que le monarque est le feudataire de son abbaye et Que c’est à ce titre qu’il reçoit, sur l’autel de cette église, l’oriflamme royal :

Oriflamme de Saint Denis

un rituel qu’il est tenté d’interpréter comme un véritable acte d’investiture. Et Suger de préciser qu’en cette qualité, Louis VI aurait dû lui prêter hommage « s’il n’était roi » (si rex non esset).

Puissance royale ne dépendant d’aucune puissance terrestre. En France il est inconcevable que le roi puisse être en position de prêter personnellement hommage, et l’évolution ne fit que confirmer ce principe. Il s’agit bien d’un simple dispense d’hommage qui ouvre droit à une forme de compensation pour le seigneur privé de l’hommage auquel il a normalement droit et qui serait levée si le fief venait à échoir à un autre vassal que le roi.

Il peut d’ailleurs arriver que les seigneur du fief renonce, contre forte compensation, à sa seigneurie éminente, et, par voie de conséquence, au statut féodal du bien acquis par le roi : renonciation définitive donnant lieu à des récompenses définitives. Solution devient courante à partir de 1193( renonciation de l’évêque de Thérouanne pour Hesdin).

Les juristes de l’entourage royal, dès la fin du XIIè s., semblent donc avoir fait admettre le principe en vertu duquel le roi, non seulement ne prêt pas hommage, mais ne peut, de par sa position, tenir fief de quiconque : une règle que les auteurs coutumiers du XIIIè s. rappelèrent ultérieurement en quelques formules lapidaires : « Le roi ne doit tenir de nul » ou « le roi ne tient que de lui et de Dieu. »

3)- L’utilisation du droit féodal

Vers 1220, à la veille de la mort de Philippe Auguste, le roi de France n’apparaît pas seult comme situé au sommet de la pyramide féodo-vassalique. Il est aussi en mesure d’utiliser toutes les ressources d’un droit féodal en pleine maturation.

  • Intervention du Capétien ds la dévolution des fiefs dépendant de la Couronne.

Cette dévolution peut être la conséquence normale d’un mariage (acquisition du comté d’Artois par l’union entre Philippe Auguste et Isabelle de Hainaut, en 1180) ou d’une succession (acquisition en 1213 du comté de Vermandois, tenu depuis la fin du XIè s. par une branche cadette de la lignée capétienne dont l’ultime descendante désigna dès 1192 le roi comme son héritier).

Reste l’écrasante majorité des situations où le roi intervient ds les successions sans y être lui-même partie prenante et où l’on constate, entre 1108 et 1223 une forte évolution de la prérogative royale :

– en matière de succession le pcipe demeure au XIIè s. comme au siècle précédent que le roi ne possède qu’un simple droit d’investiture du plus proche héritier dont il tire profit en exigeant un droit de relief à chaque mutation.

Ex : Affaire de la succession du comté de Flandre : révolte des Flamands contre Guillaume Chiton ; Louis VI doit accepter de reconnaître Thierry d’Alsace.

– Pour les affaires matrimoniales, après 1180, en revanche, le roi affirme clairement son droit d’autoriser le mariage ou le remariage de toute femme tenant fief soit à tire d’héritière, soit au titre de la garde d’un héritier mineur (à la différence de ce qui s’était produit en 1152 pour le remariage d’Aliénor.) A la fin du règne de Philippe Auguste, le droit d’autorisation du roi s’exerce à l’égard des grands vassaux comme à l’égard de feudataires de moindre importance, et le Capétien l’utilise pour réaliser ses propres objectifs politiques.

  • Les obligations du vassal et les sanctions prescrites à son égard en cas d’inexécution.

– Aide militaire : au temps de Philippe Auguste, les textes distinguent clairement le bellum (guerre pour la défense du royaume : implique un service illimité) de la guerre ordinaire, pour laquelle est dû le classique service d’ost (exercitum) réglementé par la coutume pour de nombreux vassaux, objet, pour d’autres, et notamment pour les plus grands, de véritables négociations entre eux-mêmes et le roi.

– Conseil : Règnes de Louis VII et de Philippe Auguste marquent un très net changement : en rétablissant des liens plus étroits avec sa haute aristocratie, la royauté renoue, au cours des années 1140-1150, avec la tradition des grandes assemblées royales, sessions particulièrement solennelles de la Curia regis réunissant autour du monarque les principaux feudataires. A la fin du siècle, le roi est même en mesure de prononcer la commise des fiefs de ses vassaux, ce dont il était jusque là totalement incapable : reconnaissance par les plus grands de leur double rôle de juge, mais aussi de justiciable au sein de la Curia.

Le premier exemple est aussi le plus remarquable date de 1202 et concerne les possessions continentales des Plantagenêts. A la mort de Richard Cœur de Lion (1199) l’empire angevin est tombé entre les mains de Jean sans Terre, dernier fils d’Henri II et d’Aliénor. En lute contre ses vassaux d’Aquitaine, Jean outrage l’un d’entre eux, le comte de la Marche, Hugues de Lusignan en lui enlevant sa fiancée. Hugues riposte aussitôt en saisissant la cour de son suzerain, le roi de France : un des 1ers exemples de saisine effective de la cour du suzerain par un arrière-vassal : montre à quel point la vision d’un emboîtement rigoureux des fiefs et les progrès de l’idée hiérarchique agissent sur les comportements. Jean sans terre assigné à comparaître devant Philippe Auguste s’y refuse en prétextant qu’étant duc de Normandie, il bénéficie du privilège de ne rencontrer le roi qu’à la frontière, « en marche ». Philippe rétorque le le roi d’Angleterre est cité non comme duc de Normandie mais comme duc d’Aquitaine et la Curia condamne Jean à la commise de la totalité de ses fiefs pour manquement à ses obligations et refus de comparaître. La commise implique la nullité du serment de fidélité prêté par Jean et par voie de conséquence, le retour des fiefs en la main du roi, avec rattachement direct à sa personne des anciens vassaux de Jean : autant d’effets juridiques qu’il appartient au roi et aux grands qui ont prononcé la sentence et sont tenus de lui fournir l’aide militaire, de faire appliquer : Dès 1202, le roi reçoit l’hommage du comte de Bretagne. En 1204 il entre en campagne, conquiert la Normandie, puis le Maine et l’Anjou, et enfin, plus de 10 ans plus tard, le Poitou : la juridiction qu’exerce le roi sur ses grands vassaux cesse d’être théorique pour se traduire au niveau des faits.

Suzeraineté et juridiction suprême sont désormais étroitement liées. Mieux : l’exercice de la juridiction royale est devenu un moyen d’élargissement du « domaine » au détriment des plus hauts princes. La victoire remportée à Bouvines en 1214 contre une coalition de féodaux alliés aux deux autres grands monarques d’Occident, tous menacés et inquiétés par l’essor du Capétien, consolida définitivement cet ensemble de prérogatives coutumières exprimant la suzeraineté royale et dotant celle-ci d’une pleine efficacité.

  • Rapports avec les arrières vassaux (XIIIè s.):

Même seigneur suzerain au plus haut niveau, le roi n’avait sur eux aucune emprise et devait s’en remettre au bon vouloir de ses vassaux, en particulier chaque fois qu’il fallait mobiliser l’arrière-ban. La suzeraineté ne pouvait devenir un efficace moyen de renforcement de l’autorité royale que si le roi et son entourage réussissaient à imposer deux règles nouvelles allant à l’encontre des anciens principes. Il fallait d’abord que le monarque pût toujours bénéficier de manière absolue et prioritaire du service qui lui venait de ses vassaux ; il était ensuite indispensable que s’estompât progressivement la règle de non-emprise du suzerain sur ses arrière-vassaux (le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal). Acquis ce double renversement, la royauté se trouvait en grande partie libérée des entraves que constituait la médiatisation féodale pour son action.

Évolution rendue possible au cours du XIIIè s. grâce à un certain nombre de facteurs :

– renforcement très sensible de la puissance monarchique elle-même, grâce notamment à l’extension du domaine (cf. infra), et au prestige croissant de la justice royale ; deux règnes essentiels ds cette perspective : celui de Philippe Auguste (1180-1223) et celui de Louis IX (1226-1270) ;

– influence des pratiques anglo-normandes très sensibles après 1204 et l’intégration de la Normandie : ds cette principauté, la féodalité est toujours demeurée très structurée ; l’autorité du duc s’y est donc maintenue avec plus de force qu’ailleurs et la règle « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal » ne lui est guère opposable : permanence des principes carolingiens d’où découle en priorité l’obligation d’une fidélité prioritaire au duc. Dès le milieu du XIIIè s. le Grand coutumier de Normandie précise que tous les habitants du duché doivent au duc une fidélité qui l’emporte sur tous les autres engagements et qui emporte, en toute situation, aide et conseil ;

– redécouverte du modèle romain d’un souverain capable d’exercer sur l’ensemble de son royaume une emprise territoriale très forte par laquelle doivent être également soumis à son contrôle tous les sujets, quelle que soit leur place ds la hiérarchie sociale. Passage insensible de la suzeraineté à la souveraineté.

Toutes ces influences convergentes se combinent pour faire du roi, dès le milieu du XIIIè s. le seul bénéficiaire du renversement des grands principes traditionnels du droit féodal qui s’opère à ce moment. Ainsi, vers 1260, le Livre de jostice et de plet pose avec force le postulat selon lequel le souverain se trouvant placé au-dessus de la hiérarchie féodale, ilk devait échapper à toutes les conséquences contraires que risquaient d’avoir à son égard les rapports noués entre les membres de cette hiérarchie. Partant du pcipe d’après lequel le roi ne tient son pouvoir de personne, il insiste sur le fait que si un duc, comte , vicomte et baron peuvent être l’homme l’un de l’autre, ils doivent, en toute hypothèse, respecter la « dignité » due au roi contre qui l’hommage ne vaut rien. Et tous ceux qui viennent au dessous de cette hiérarchie de grands, qu’ils soient simples châtelains ou vavasseurs, qu’ils soient habitants des villes ou des campagnes, leur sont certes soumis, mais demeurent, en toute situation, ds la main du roi. C’était affirmer avec une vigueur accrue et sans le moindre doute possible, que tout individu, quelle que soit sa position ds la hiérarchie féodo-vassalique, était non plus le vassal ou l’arrière vassal du roi, mais simplement son sujet : non seulement le schéma hiérarchique est remis en ordre, mais encore il est dépassé par un cadre nouveau : celui de la souveraineté étatique. Passage d’une suzeraineté personnelle et contractuelle à une souveraineté collective et institutionnelle.

B- La souveraineté du roi

Son affirmation est rendue possible grâce au concours de plusieurs évolutions convergentes inséparables de la construction de l’Etat monarchique :

  • L’institutionnalisation de la couronne:

Tandis que s’édifie le modèle d’une construction hiérarchique dont le roi occupe le sommet, les théoriciens du pouvoir royal en viennent à mettre l’accent sur 2 notions aptes à soutenir les tendances unitaires alors en plein développement :

  • l’une est ancienne, mais le morcellement territorial lui avait fait perdre, au XIè s., une grande partie de sa consistance, au point que nombre de sources contemporaines l’avaient réduite au seul domaine de l’Île de France : il s’agit du concept de regnum, si vivant à l’époque carolingienne, où il signifiait à la fois la puissance royale et l’entité territoriale majeure sur laquelle s’exerçait cette puissance.

Au cours du XIIè s., la notion de mouvance, selon laquelle toute entité territoriale procède nécessairement d’une autre plus vaste réhabilite cette entité territoriale suprême. Celle-ci reçoit en outre une formulation plus ferme, qui permet d’en préciser les contours et d’en souligner l’unité : utilisation de la classique symbolique du corpus, utilisée depuis toujours pour désigner l’Eglise. Sert maintenant à décrire le regnum : « totutm corpus regni ». Au seuil du XIIè s., la métaphore organique, celle d’un corps pourvu d’une tête et de membres, devient opérationnelle pour imposer une vision unitaire et hiérarchique de la société française : le royaume est un corps entier dont la dignité royale occupe la têt, dont chaque entité territoriale, chaque chef de principauté, de comté ou de seigneurie constituent une partie ou un membre.

  • L’autre notion, étroitement liée à la première, s’impose au cours du XIIè s. : c’est celle de « couronne ». Plusieurs siècles durant, le terme n’avait désigné que l’insigne matériel de la royauté, cet ornement du sacre que conservait l’abbaye royale de Saint-Denis. A partir du règne de Philippe 1er et plus nettement sous celui de Louis VII, la corona regni devient une entité abstraite, distincte de la personne physique du monarque, sorte de principe supérieur symbolisant la permanence de la fonction royale, cercle idéal dont la substance serait faite de toutes les églises et de toutes les seigneuries du royaume : véritable titulaire des droits et des devoirs du roi., symbole d’un tout autonome, regroupant aussi bien les clercs que les laïcs et dont le monarque occupe le centre. Marque la puissance de commandement et la transcendance d’un pouvoir royal existant par lui-même et exerçant en pleine indépendance les prérogatives qui lui sont propres. Traduit aussi le début du processus de dépersonnalisation, de désincarnation qui se prolongea tout au long du Ma et de l’AR.

Notion de Corona regni possède enfin, dès l’origine, la force dynamique qui s’attache aux abstractions : en elle résident tous les acquis idéologiques des siècles antérieurs, notamment la certitude que l’on a toujours eue, ds l’entourage des premiers Capétiens, d’une mission d’ordre public impartie au roi à l’échelle de son royaume, assortie de moyens spécifiques auxquels l’ordre féodal naissant redonna, au fil du temps, plus de consistance.

  • La paix du royaume:

Cette paix apparaît comme la mission privilégiée et spécifique du pouvoir royal. N’a jamais cessé d’habiter les esprits des contemporains, même au plus fort de la rétractation de la puissance monarchique. Connaît toutefois un surcroît de dynamisme et d’importance sous le règne de Louis VII (1137-1180) et plus particulièrement sous la rigoureuse régence exercée par Suger tandis que le monarque est parti en Terre Sainte, mener la seconde croisade (1147-1149). Grâce au « privilège de croisade » plaçant le royaume sous la protection du siège apostolique, paix de Dieu et paix du prince, protection des églises et protection du royaume tendent à se confondre, tandis que chemine l’idée, qui guida l’action de Louis VII, selon laquelle toute atteinte au droit des églises et des pauvres constitue une injuria coronae regni, une amputation de la couronne et de la dignité royales. En outre menace que fait planer le Plantagenêt sur le royaume accroît la dimension unificatrice et pacificatrice du monarque capétien.

  • Un texte capital en la matière : l’ordonnance de 1155. Le 10 juin 1155, une assemblée comprenant les évêques des provinces ecclésiastiques de Reims et de Sens, ainsi que la plupart des grands barons qui n’appartiennent pas au bloc angevin se réunit à Soissons sous l’égide du roi. Agissant à la demande du clergé, et du consentement des grands laïcs, Louis VII y proclame une paix de 10 ans pour l’ensemble du royaume. Texte ne ressemblant à aucun des documents dressés au temps des assemblées fondatrices de la paix de Dieu :

– le roi s’y exprime à la 1ère personne : il « constitue », il « ordonne », il proclame ex verbo regio : il s’agit donc d’un acte législatif, au sens plein du terme, l’un des tout 1ers textes royaux de portée générale depuis plus de 2,5 siècles.

– reflète certes les limites de l’autorité royale, sur la forme comme sur le fond :

– en la forme : a nécessité l’accord des prélats et des barons présents, qui ont concouru « de leur bon plaisir », ; c’est à dire sur un pied d’autonomie absolue, à son établissement : sorte de pacte conclu entre le roi et les grands.

– sur le fond : l’ordonnance fait explicitement de caque seigneur justicier le juge ordinaire des infractions à la paix, ce qui signifie que le roi entend bien ne pas contester les prérogatives et la fonction pacificatrice des grands.

– Il reste qu’à d’autres égards, ce texte marque un très profond changement :

– par l’engagement du roi à « faire justice selon nos possibilités, contre les briseurs de paix », il ouvre la voie à un contrôle de la curia regis agissant comme juridiction ;

– par la démarche des grands qui entourent le roi lors de l’assemblée de Soissons : princes ayant accepté l’idée d’une collaboration entre eux et le roi et le principe d’une responsabilité éminente du roi en matière de paix ; Église qui requiert l’intervention royale, signe qu’elle reconnaît au monarque non plus une simple « faculté » mais une vocation particulière à veiller à la tranquillité du royaume et à assurer la paix.

Compétence juridictionnelle du roi est ainsi fondée en matière de paix.

  • Applications concrètes :

– La paix des églises : A partir de 1155, le pouvoir royal est constamment sollicité d’agir à l’extérieur du domaine contre les perturbateurs de paix. La plupart des requêtes émanent d’églises situées en des zones où la paix princière ne peut s’appliquer en raison de l’absence d’un pouvoir politique fort, ou à cause de l’existence d’une forte compétition entre seigneuries laïques et ecclés. : Auxerrois, Auvergne, Bourgogne du Sud, Midi Languedocien.

Intervention royale revêt plusieurs formes, de la simple mission d’information débouchant sur une sentence arbitrale informelle à l’action armée, en passant par l’engagement de procédures juridictionnelles. Doit le plus souvent tenir compte des hiérarchies féodales locales (ainsi le roi ne peut intervenir contre un de ses arrière-vassaux qu’en cas de défaut de droit de son seigneur direct), mais n’en accroît pas moins considérablement son champ d’action en s’implantant directement ds des régions où la monarchie ne possédait plus, depuis longtemps, aucun domaine propre : formation de véritables îlots à partir desquels se diffusèrent vers les contrées environnantes les premières manifestations d’un ordre public royal. En outre : renforcement de l’idée selon laquelle le roi est le protecteur naturel de toutes les églises du royaume : droit de garde général se substituant bientôt au droit de garde spécial des principaux barons.

– La paix des bourgeois : effort de la royauté pour étendre son contrôle sur les associations bourgeoises de paix (à l’origine des communes) et utiliser cette fonction comme un moyen d’élargissement de son champ d’action. Elle l’a fait dès le temps de Louis VI, en accordant systématiquement sa garantie aux 1ères communes constituées au sein des cités épiscopales du nord (Noyon, Amiens, Laon) : traitées comme d’authentiques associations de paix destinées comme telles à prolonger la fonction pacificatrice de la monarchie ds des zones où elle n’exerce pas de domination directe. Inversement, le Capétien n’éprouve pas la nécessité d’établir des communes ds les cités où, seigneur dominant, il est en mesure d’y maintenir lui-même la paix.

Ainsi se diffuse l’image d’une royauté arbitre des tensions du corps social, soucieuse de susciter, de garantir ou de conserver la paix des cités. Champ d’action illimité ouvert à la paix et à la justice du roi. Avec un remarquable effet de retour, puisque, au seuil du XIIIè s., les milices de paix des cités du Nord furent présentes autour du roi sur le champ de bataille de Bouvines pour concourir à la pax et defensio regni.

  • L’effacement progressif de la médiation féodale:

A partir des années 1260, théoriciens et légistes contribuèrent à poser le principe de la souveraineté royale. Même s’il n’existait pas encore de mot spécifique pour la désigner, la double règle était désormais acquise d’une supériorité du roi à l’égard de tous et de l’égale soumission de tous à cette supériorité. Elle est reconnue au roi parce qu’il est supremus, superanus (terme populaire forgé à partir du très classique super qui a donné aussi superior), c’est à dire le plus haut placé ds la hiérarchie. A partir de ces superlatifs sont apparus les adjectifs suzerain et souverain qui, jusqu’au milieu du XIIIè s. ont un sens à peu près identique. Puis, progressivement, le terme souverain est utilisé ds un sens de plus en plus spécifique ds l’expression « souverain fieffeux » pour désigner le suzerain supérieur, placé au sommet de la hiérarchie des fiefs et des hommes. Cf. Beaumanoir et ses Coutumes de Beauvaisis (1283) : dit que le roi est « souverain par dessus tous ».

Évolution achevée : reconnaissance de la position suréminente et spécifique du roi : ne relève de personne alors que tous les sujets du royaume relèvent de lui, qu’ils soient engagés ou non ds un rapport féodo-vassalique. Détient à la fois une suzeraineté à l’égard des seuls vassaux, et une souveraineté à l’égard de tous les autres habitants du royaume. Depuis longtemps placé au sommet de la pyramide féodo-vassalique, il la transcende maintenant et ne dépend plus d’elle, au moins juridiquement, pour assurer son pouvoir. Se voit même reconnaître par certains auteurs le titre de princeps, dont se paraient autrefois les empereurs romains et qui vaut au roi de France capacité de revendiquer des prérogatives identiques à celles qu’ils exerçaient. Ainsi, à la fin du XIIIè s. les jugements de tous les théoriciens du droit s’accordent pour voir ds le roi de France un « souverain seigneur » de son royaume. Seul à l’être, il y jouissait de la plénitude du pouvoir, d’une souveraineté aussi « pleine et ronde » que celle de l’empereur, qui pouvait désormais s’exercer par delà les barrières féodales et sur l’ensemble des sujets. Construction d’une souveraineté législative et idéologique autour de la notion de majestas qui tend à se développer à partir du milieu du XIIè s. : autos-sacralisation du pouvoir tendant à renforcer sans cesse l’étendue du domaine d’intervention monarchique.

Réunification juridique du royaume passe aussi par le renforcement de l’assise matérielle de la monarchie.

§II- L’essor urbain

Les villes = une des caractéristiques majeures d’un Empire romain qui identifia la civilisation à l’urbanité ; ne disparaissent pas avec le ht Ma, mais tendent à se rétracter à l’intérieur de murailles de plus en plus massives, mais aussi souvent de plus en plus resserrées : crainte du dehors, de l’ext., de l’étranger. Villes parasites au milieu de campagnes populeuses et actives.

Avec le renouveau éco., et l’expansion démog., les villes se retrouvent placées, pour la première fois depuis des siècles, au cœur d’un processus de développement dynamique et continu. S’étendent et accueillent une population nouvelle, aventureuse et entreprenante : classes sociale nouvelle prenant très vite conscience de son irréductible spécificité et du radicalisme de ses prétentions.

Caractère fondamentalement libre de ce nouveau phénomène urbain (cf. l’adage : « l’air de la ville rend libre »), qui échappe à la formulation trifonctionnelle des 3 ordres, tout en prétendant éviter l’emprise seigneuriale : corps nouveau et étranger, annonciateur d’une grande modernité. Révolutionnaire et libertaire, portant en lui la négation des hiérarchies en place comme celle de l’idéologie dominante : c’est ainsi qu’on serait tenté de qualifier, au moins à ses origines, le mouvement d’émancipation des collectivités urbaines.

– Quelquefois : formes insurrectionnelles revêtues par la contestation de l’autorité seigneuriale (laïque ou religieuse) : Phénomène des « conjurationes » (= communes = associations de défense et d’entraide conclue sous la forme d’un serment mutuel que se prêtaient les habitants d’une ville) revêtant parfois le caractère violent d’un soulèvement armé contre l’autorité : Cambrai (1077), Laon (1112), Sens (1147), Vézelay (1153), etc.

– Cepdt, non seulement ce mouvement est loin d’avoir été partout si meurtrier, mais en outre il s’en faut de bcp qu’il ait débouché ds chaque cas sur une « émancipation » au sens complet du terme, sous la forme d’une liquidation pure et simple du système seigneurial. Attention , donc au schématisme, à l’égard d’un phénomène complexe dont on retracera d’abord les origines (A), avant d’examiner les diverses formes d’organisation qui en découlent (B), puis les caractères proprement juridique générés par cette évolution (C).

A- Des origines contrastées

En simplifiant quelque peu, on peu dire qu’elles tiennent soit à l’apparition d’une conscience collective au sein de la bourgeoisie marchande (a), soit à une initiative proprement seigneuriale (b).

1)- L’apparition d’une conscience collective au sein de la bourgeoisie marchande
  1. fréquente ds les cités du Nord et de l’Est du royaume, plus ouvertes que les autres aux circuits du commerce international, elle est également souvent liée à des pratiques associatives plus ou moins anciennes : associations religieuses (confréries, charités) et associations de défense des intérêts professionnels (ghildes et hanses).

Un cas particulier = les associations jurées de paix (cités épiscopales du Nord) créées à l’initiative des évêques à la faveur de la trêve de Dieu et regroupant en pcipe ttes les classes de la société. Filiation entre commune et paix diocésaine perceptible ds les 1ers soulèvements communaux soutenus par l’autorité épiscopale et dirigés contre l’aristocratie laïque : ex. : conjuration du Mans (1069) ou commune d’Amiens (1113).

Toutefois, assez vite, la « paix » ouverte à tous et contrôlée par le clergé tend à devenir une « paix » catégorielle et u instrument d’émancipation de la classe bourgeoise. Début XIIè s.: le mouvt échappe définitivement aux év. pour devenir autonome et encourir, de ce fait, la condamnation unanime du haut clergé, vers qui sont svt dirigées les révoltes du Nord (cf. Guibert de Nogent : « Commune, mot nouveau et exécrable« ). Les communes persistent cepdt à se considérer comme des associations pour la paix et les chartes reconnaissant l’institution insisteront régulièrement sur cette dimension.

Dernier facteur de prise de conscience : les fonctions souvent anciennes exercées par les bourgeois les plus influents au sein d’organes de concertation institués entre la communauté et le pouvoir seigneurial et parfois assortis d’un rôle juridictionnel sous le contrôle du seigneur ou de son agent : échevins des villes flamandes, prud’hommes ou bons hommes des cités ligériennes.

Svt, les dirigeants des ghildes ou des hanses jouent un rôle analogue, contribuant à l’entretien, à la défense et à l’administration de leur cité. Autant de pratiques qui peuvent conduire, par une pression exercée en période d’affaiblissement de l’autorité à la reconnaissance d’une commune par le seigneur, ou plus simplement à une participation de l’élite bourgeoise à la gestion urbaine, et cela sans qu’il y ait eu de véritables heurts.

N.B : schéma d’opposition entre bourgeois et seigneurs devient inopérant ds le Sud, ou forte présence nobiliaire existe en ville et prend part au renouveau économique. Ds ce cadre : étroite association entre l’élite bourgeoise et le monde aristocratique.

Quoi qu’il en soit, bien souvent, ds le Nord comme ds le Sud, c’est au seigneur lui-même que revient l’initiative d’une redéfinition de ses relations avec les communautés qu’il gouverne.

2)- Les effets d’une initiative seigneuriale

Plusieurs motifs possibles : concurrence éco. entre seigneur ; rivalités pour la maîtrise d’une localité où coexistent 2 ou plusieurs dominations ; volonté d’attirer des populations ds une cité seigneuriale ancienne ou nouvelle (Caen, Lille), ou crainte d’une émigration vers des lieux privilégiés. Plusieurs types d’initiatives seigneuriales :

  • 1er type : délivrance de chartes déterminant les libertés et les obligations de leurs sujets par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques.

Ce qui caractérise ces statuts, c’est que, négociés ds un climat de relative paix sociale, ils maintiennent l’autorité politique du seigneur et organisent prfois une représentation de la collectivité auprès de lui, voire une association de ses représentants à la gestion locale = pol. de concessions mesurées caractéristique des villes dites de « franchises » ou de « prévôtés ». T. fréquente pour bon nombre de localité du B.P, de l’Est du royaume et des zones soumises aux Plantagenêts (Normandie, Maine, Anjou, Aquitaine).

Un des exemples les plus connus = la charte concédée par Louis VI aux habitants de Lorris en Gâtinais. Confirmée par Louis VII (1155) et Philippe Auguste (1187), elle accorde e larges libertés personnelles, fiscales ou éco., tt en maintenant la localité sous la domination du prévôt royal.

  • Dernier type d’initiative seigneuriale : vise non à accorder un corps de franchises mais à abolir, moyennant rachat par les communautés d’habitants, des incapacités telles que la mainmorte et le formariage ou certaines charges et exactions comme la taille et les corvées. Mouvt né ds la Seconde 1/2 du XIIè et allant en s’amplifiant au cours du XIIIè s., libérant d’une condition proche de la servitude la plus grande partie des communautés paysannes du royaume.

Au total, donc, un phénomène multiforme qui tantôt met à mal l’institution seigneuriale t qui tantôt lui permet au contraire de s’adapter aux nouvelles nécessités sociales et éco. Empirisme de la royauté, qui maîtrise chez elle le phénomène communal (Paris ne sera jamais une ville de commune) et l’encourage, par intérêt pol., chez ses grands feudataires. Diversité qui se retrouve ds les modèles d’organisation institutionnelle.

B)-Les formes institutionnelles et l’agencement de l’autorité

Pr évoquer les institutions municipales, il faut se placer ds le cadre des chartes octroyées par les seigneurs, qu’elles l’aient été de leur propre mouvement, ou à la suite de négociations plus ou moins tendues avec les habitants : définit le cadre institutionnel soit de manière t. libérale (1), soit en laissant au pouvoir seigneurial une large part d’autorité et de contrôle (2).

1)- Les villes de commune (au Nord) et de consulat (ds le Midi)
  • Serment d’entraide et de paix prêté en pcipe par tt bourgeois relevant d’une ville de commune :

– a une imptce majeure ds les tt premier temps du mouvement ;

– ds le cadre statutaire, demeure un moyen de cohésion et d’identification du groupe, d’affirmation de sa personnalité juridique (universitas).

Les conditions posées pour sa prestation révèlent bien les caractéristiques sociologiques de l’association urbaine :

– ici largement ouverte, au point d’inclure, à l’exception des chevaliers et du clergé (cités du Nord) tous les hab. ayant depuis 1 an et 1 jour leur résidence sur le territoire urbain ;

– là étroitement limitée au monde des notables : représentants de certains métier jugés honorables, chefs des familles bourgeoises (Nord), ou bourgeoises et nobles (Midi) les + en vue.

  • Toutefois, nombre de chartes de communes n’y font pas référence et la liberté politique d’une communauté d’habitants, au Nord comme au Midi, obéit à d’autres critères :

La nature, le mode de désignation et de fonctionnement des organes délibératifs ou décisionnels mis en place. A la base : l’assemblée plénière des citoyens, variable ds sa composition (cf. supra) et ds son rôle : consultatif, électif, voire de proposition.

Au niveau intermédiaire : conseils délibératifs ou « communs conseils » (Toulouse) svt désignés par cooptation, ou par tirage au sort ; plus rarement par élection par la base. D’une durée limitée (en général 1 an), délibèrent sur les questions que leur soumettent les magistrats et parfois jouent un rôle ds la désignation de ces derniers.

Au sommet : exécutif collégial

– Ds le Nord : collège de 12 membres (le + svt) appelés échevins (Flandre) ou jurés (Normandie) dirigé par un maire ou bourgmestre qui préside les séances et fait figure de 1er magistrat de la ville ;

– Ds le Midi : parfaite collégialité des consuls ou capitouls dt le nombre varie de 2 à 24 mais qui sont ts sur un pied de stricte égalité.

Le caractère oligarchique ou au contraire démoc. d’un pouvoir urbain dépend donc de la composition et du rôle de l’assemblée plénière des citoyens, ainsi que des modes de désignation et de contrôle des magistrats. Rôle exercé par le prince également à prendre en considération : intervient-il ou non ds la nomination du maire, par exemple ? Quelle est la marge laissée à l’autonomie institutionnelles ?

Les attributions reconnues par la charte aux magistrats municipaux. Il peut s’agir, ds certains cas « limites » d’un simple transfert d’attribution du seigneur à la cité. Mais la plupart du temps : situation nuancée.

– Ds le domaine judiciaire, l’une des grandes conquêtes du mouvement communal = la reconnaissance du droit de tt bourgeois à être justiciable devant ses pairs. Communes et consulats disposent donc d’un tribunal ad hoc. Des variations existent cepdt : ds certaines villes de consulat et communes du Nord et de Flandre, consuls, échevins et jurés disposent d’une pleine juridiction civile et pénale qui s’étend même aux étrangers se trouvant sur le territoire urbain : juridiction ratione loci. ds d’autres cités, d’ailleurs t. nombreuses, on assiste au contraire à un partage de compétences entre le seigneur (crimes de sang ; minorités, affaires concernant des forains) et la justice échevinale (conflit civils ou commerciaux ; petit délits + vols).

– En matière d’administration : pouvoir de ban permettant de réglementer la voirie, les métiers, les taxes commerciales et industrielles, l’impôt (fixation du montant + perception) ; police économique : surveillance des marchés, des changeurs, etc. , gestion du domaine public.

– Au regard de la défense, les bourgeois assument eux-mêmes la sécurité de leur ville : formation de milices permanentes, réglementation des tours de garde, entretien des murailles et des portes. C’est la communauté en son entier et non plus chaque individu qui doit au seigneur le service d’ost et de chevauchée dont les modalités sont en général précisées par la charte. Au XIIIè s. certaines villes en obtiennent même l’exemption, ou tout au moins sa limitation, moyennant finances. Villes perçues comme des vassales collectives intégrées ds la hiérarchie féodale.

2)- Les villes de « simples franchises » ou « de prévôté »

Les habitants n’y ont obtenu que de simples franchises ou privilèges, non la reconnaissance d’une structure communale ou consulaire. Le seigneur y conserve ban et justice t son représentant, le prévôt, demeure en place.

Toutefois, octroi de privilèges suppose la représentation des intérêts collectifs, qui n’est pas toujours mentionnée ds la charte, mais qui n’en est pas moins réelle : concertation pragmatique, non statutaire. Parfois, évolution favorable à certains groupements, comme à Paris : puissance croissante de la corporation des marchands de l’eau.

Etienne_Marcel

Au XIIIè s. certaines villes reçoivent même des chartes les dotant d’un corps municipal siégeant ordinairement sous la présidence du prévôt : absence d’autonomie de décision, mais pas nécessairement absence de pouvoir.

B- Les libertés bourgeoises et l’évolution coutumière

Liberté pol. est donc t. diversement répartie. Liberté juridique connaît également des variations, mais celles-ci sont bcp moins imptantes : presque toujours : existence d’un tronc commun de privilèges qui font des villes et de nombreux bourgs de campagne des espaces de liberté.

Privilèges de diverses natures :

– certains tendent à réduire les prélèvements seigneuriaux les + lourds : disparition – parfois contre rachat – de la taille, des corvées et autres exactions ou remplacement par une taxe annuelle dont le montant est défini par la charte ;

– d’autres s’attachent à l’amélioration de la condition personnelle des hab. et au statut de leurs biens : abolition du servage et limitation du droit de poursuite du maître dont le serf s’est réfugié en ville; liberté d’aller et venir ; abolition du formariage ; liberté des héritages et de tout acte de disposition entre vifs.

– d’autres enfin s’attachent à protéger les sujets contre les abus des agent seigneuriaux et à limiter l’arbitraire judiciaire du seigneur ou de son prévôt : à l’exception des pcipaux crimes, pour lesquels le coupable et ses biens sont à la merci du seigneur, les délits font l’objet d’une tarification précise, souvent en baisse par rapport aux tarifs antérieurs : préfigure de manière lointaine le pcipe de légalité des peines. Certaines dispositions imposent en outre le recours au témoignage pour trancher certains litiges, limitent l’emprisonnement préventif et offrent diverses garanties à l’accusé.

Au total, donc, une profonde libéralisation du système seigneurial qui touche aussi, à un moindre degré et plus tardivement, le monde rural : tend à faire échec aux cloisonnements antérieurs, nés du pluralisme pol. et favorise la circulation des richesses et des hommes. Impose surtout une définition plus nette des systèmes normatifs au sein desquels les juridictions municipales paritaires jouèrent un rôle décisif : justice plus rationnelle, plus respectueuse des droits individuels ; dév. d’un juridiction gracieuse permettant aux particuliers ds faire aisément authentifier leurs actes : assure ainsi une meilleure sécurité des transactions. Ignoré ou presque par la coutume, un droit des contrats s’élabore en pleine liberté, intégrant des pratiques complexes et puisant des concepts ds l’ancien droit romain.

§III- Le développement de l’assise matérielle de la monarchie

Au monde politiquement cloisonné légué par la féodalité ds lequel rivalisaient des autorités concurrentes, le pouvoir royal s’applique, depuis la 2nde moitié du XIIè s. à substituer un ensemble territorial plus unitaire, point d’ancrage indispensable à l’exercice d’une souveraineté que renforce chaque monarque successif. Reconquérir le territoire, c’était en même temps modeler un nouvel espace politique (A). L’incorporer progressivement au domaine valait aménagement d’un espace juridique sur lequel pouvaient librement s’exercer toutes les prérogatives souveraines (B). L’évolution passait enfin par l’organisation d’un système administratif efficace et cohérent, capable d’apporter à une monarchie en expansion les ressources dont elle avait besoin (C).

A- Les frontières du royaume

Commencée depuis les règnes de Louis VI et de Louis VII, la reconquête du territoire se poursuit avec Philippe Auguste et dure jusqu’aux dernières décennies de l’AR. Tout comté, tout duché, ou toute seigneurie de moindre importance que contrôle à nouveau le roi en fait le successeur du précédent titulaire. Automatiquement subrogé ds ses droits et pouvoirs, le souverain augmente d’autant ses prérogatives en élargissant en même temps l’assise de son pouvoir mais aussi le contrôle qu’il exerçait sur les hommes, ds la mesure où les hommes de l’ancien feudataire passaient automatiquement sous sa dépendance immédiate : recul de la médiatisation féodale + poussée monarchique effectuée avec des méthodes diverses et selon une continuité aléatoire : succession de périodes d’avancées et de reculs : guerre et diplomatie ; mais aussi et surtout large utilisation du droit féodal (puisque fief assimilé purement et simplement à un bien patrimonial) : mariages, héritages (avec notamment un large recours aux règles féodales relatives à la déshérence, ou à l’institution testamentaire), acquisitions moyennant finances.

carte-evolution-france-1180-1223 Carte du domaine royal

2 grandes phases peuvent être distinguées ds ce mouvement général d’expansion territoriale :

  • De la mort de Philippe Auguste (1223) à l’événement de Philippe de Valois (1328)

Seigneur le plus puissant du royaume et peut-être d’Europe depuis Bouvines, Philippe Auguste laissait à sa mort un domaine dont l’étendue avait quadruplé tout au long de son règne. En outre, plusieurs des grands fiefs qui l’entouraient étaient gouvernés ds des conditions qui les rapprochaient de la couronne.

Efforts de ses successeurs vont surtout porter vers le Midi, et ds une moindre mesure, vers le Nord et vers l’Est :

  • L’acquisition du Languedoc: vaste ensemble géopolitique situé entre Rhône et Garonne constituant pour partie le comté de Toulouse. Marque un temps fort ds la reconstruction de l’unité territoriale. Acquisition effectuée en 2 temps :

– Croisade contre les Albigeois lancée en 1208 par le pape Innocent III : opérations militaires confiées à Simon de Montfort ; à sa mort, la royauté accepte d’intervenir ouvertement face au comte Raymond VII qui cherche à reconquérir le terrain perdu face aux barons d’Île de France. Comte de Toulouse finalement contraint de faire AH en 1229 à ND de Paris et de signer le 12 avril de la même année le traité de Paris avec la régente Blanche de Castille : Raymond abandonnait au roi de France les territoires du Languedoc oriental (sénéchaussées de Beaucaire-Nîmes et Carcassonne-Béziers) ; conserve sa vie durant son comté de Toulouse, ainsi que le Rouergue, l’Albigeois, le Quercy et l’Agenais, mais doit marier sa fille unique avec l’un des frères du roi. Ces territoires devaient revenir à la couronne si aucun héritier ne naissait de cette union (c’est ce qui se produisit en 1271, à la mort d’Alphonse de Poitiers).

  • L’Aquitaine: Traité de Paris de 1258 entre Henri III et Louis IX : Le roi d’Angleterre renonçait à ses prétentions sur la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine. En contrepartie il tenait du roi de France en hommage lige la totalité de ses possessions du SO mais il s’engageait à ne pas porter les armes contre son seigneur. Ds cette dernière hypothèse, ces vassaux devraient se mobiliser contre lui en faveur du roi de France.

Également en 1258 : signature d’un traité avec Jaime 1er d’Aragon : renonce à ses prétentions sur les parties les plus méridionales du Languedoc, tandis que le roi de France abandonne toute suzeraineté sur l’ancienne marche d’Espagne (Catalogne et Roussillon).

Traités fixant pour longtemps la position de la royauté et les droits de la Couronne ds le Midi Languedocien et aquitain.

  • Les extensions vers le Nord et vers l’Est: La grande affaire = l’annexion du comté de Champagne et de Brie. D’abord soumis au régime de l’union personnelle, n’est finalement intégré au domaine qu’en 1361.

Au total, lorsque s’éteint, en 1328, la branche aînée de la dynastie capétienne, la royauté contrôle près des 2/3 d’un royaume qui couvre environ 414 500 km². 4 grands fiefs échappent encore plus ou moins directement à la main du roi : la Flandre, la Bretagne, la Gascogne anglaise (Guyenne) et la Bourgogne. Ils constituent autant de points de résistance à l’œuvre de réassociation territoriale que devait parfaire la Guerre de Cent Ans, au terme de bien des épreuves.

  • De l’avènement de Philippe de Valois (1328) à la mort de Charles VIII (1498)

La guerre de Cent Ans, qui domine toute l’histoire de cette période, trouble le jeu de la réassociation territoriale, dans la mesure où les opérations militaires tantôt amputent l’espace reconstruit, tantôt au contraire favorisent son extension : processus plus subi que contrôlé par la monarchie.

  • Les avatars de la Guerre de Cent Ans: Répétés et lourds, ils remettent régulièrement en cause un équilibre encore fragile :

– Traité de Brétigny (8 mai 1360) : Captif à Londres, Jean le Bon doit consentir à la cession d’une Aquitaine qui retrouvait les limites de l’ancien duché d’Aliénor, allant de la Loire au massif central et aux Pyrénées. Edouard III conserve en outre Calais et ses marches, le Ponthieu et le comté de Guines : au total presque le 1/3 du royaume.

– Traité de Troyes : 20-21 mai 1421 prévoyait le mariage entre Henry V et la fille de Charles VI + la désignation du roi d’Angleterre comme héritier du roi de France (cf. infra).

– Traité d’Arras (21 septembre 1435) entre le duc de Bourgogne Philippe le Bon et Charles VII : en contrepartie de rudes concessions territoriales, le roi de France obtient du duc la reconnaissance de sa souveraineté sur l’ensemble du royaume, y compris sur ses terres bourguignonnes et casse l’alliance anglo-bourguignonne : peut désormais mener contre les Anglais une guerre devenue nettement nationale.

Celle-ci est marquée par les progrés rapides de la reconquête territoriale, en Île de France, en Normandie, puis en Guyenne : reddition de Bordeaux (19 octobre 1453) marque le terme de la Guerre de Cent Ans, même si aucun traité ne vient sanctionner le nouvel équilibre territorial qui en découle.

  • Les avancées vers le Midi et le Sud-Est: elles sont considérables, et surtout très révélatrices de la volonté des monarques français d’assurer leurs positions ds des régions d’où ils avaient été jusque là singulièrement absents : acquisition de la seigneurie de Montpellier en 1361 ; conquête de la Cerdagne et du Roussillon, réunis au domaine en 1463 : volonté royale de faire de l’ensemble de la côte méditerranéenne méridionale du royaume à la fois la frontière méridionale du royaume et une vaste zone ouverte au commerce maritime.

Acquisition du Dauphiné, principauté qui relevait traditionnellement de l’Empire = 1er dépassement de la frontière issue du traité de Verdun. Opération financière (Hmbert II de Viennois criblé de dettes et sans descendance) réalisée en 1349 au bénéfice du fils aîné du roi Jean II, le futur Charles V. Désormais, tous les héritiers présomptifs de la couronne portèrent le titre de Dauphin. Toutefois l’incorporation définitive à la couronne n’eut lieu qu’en 1461, soit après un siècle de transition (car le Dauphiné = terre d’Empire)

Réunion de la Provence eut lieu pour sa part en 1481, par héritage.

  • Le retour de la Bourgogne au domaine: Cédée comme apanage à Philippe le hardi en 1361. Devient rapidement une puissante principauté possessionée également en Flandre, en Artois, et en Franche-Comté : véritable État présentant toutefois une grave faiblesse : géographiquement séparé en 2 régions bien distinctes, il était difficile à préserver à partir du moment où la royauté, qui se relevait lentement des difficultés de la guerre de Cent Ans n’était plus disposée à laisser se développer une puissance bourguignonne toujours plus paralysante ds la politique d’expansion que souhaitaient conduire, depuis longtemps, les souverains français en direction de l’Est. C’est au moment où Charles le Téméraire tente de réaliser, par la Lorraine, la jonction des 2 pôles géographiques de son État que Louis XI décide de frapper un grand coup. Mort du Téméraire en 1477, puis de sa fille, Marie de Bourgogne, en 1482. Traité d’Anvers du 23 décembre 1482 règle le sort des autres possessions bourguignonnes : démembrement de l’héritage au profit du roi de France qui obtient la Picardie, le Boulonnais, l’Artois et la Franche-Comté. Le reste (la Flandre) revenait à Philippe le Beau, fils de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne (et père du futur Charles Quint).

Le duché de Bourgogne-1477

  • Le rattachement de la Bretagne à la couronne: Territoire jusque là complètement étranger à l’emprise du pouvoir royal. 1488 : mort de François II, dernier duc de Bretagne. Ne laisse qu’une fille, Anne, alors âgée de 13 ans, dont le mariage devint immédiatement un enjeu diplomatique de poids. En 1491 épouse Charles VIII et prend l’engagement solennel que si ce dernier mourait sans enfant, elle se marierait avec l’héritier de la couronne devenu roi. Ce qu’elle fit, dès 1498, avec Louis XII. De cette union naquit une fille : Claude de France qui fut unie au successeur de Louis XII, le futur François 1er. Enfin naissance d’un fils : Henri, futur Henri II : rattachement définitif de la Bretagne à la France (ouf !).

B- Le statut du domaine

Même à la fin du XVè siècle, où le roi a réuni à la couronne la presque totalité des fiefs et des principautés, le royaume ne saurait être confondu avec le domaine qui constitue à la fois un ensemble de territoires, de revenus, de prérogatives et de droits.

 

1-Le domaine, assise territoriale d’un pouvoir direct

Ce qui caractérise le domaine, par rapport au royaume, c’est qu’il est constitué de biens tenus directement par le roi et qu’il n’y existe pas d’autre seigneur haut-justicier que lui : s’oppose donc radicalement aux fiefs, dont le rattachement au roi est indirect. Plusieurs critères d’appartenance peuvent dès lors être mis en évidence :

– mode d’exercice de la propriété : la domanialité recouvre alors l’ensemble des biens et des territoires sur lesquels le roi dispose de l’essentiel des droits utiles : absence d’interposition aux prérogatives royales ;

– domanialité par ancienneté : concerne l’ensemble des biens qui composaient le patrimoine des 1ers Capétiens ;

– domanialité par nature : désigne le plus souvent des biens qui ont à un moment ou à un autre fait partie intégrante du domaine, puis en ont été distraits. L’avantage d’un tel critère était d’assurer, de manière permanente et une fois pour toutes, le caractère domanial d’un bien et de pouvoir ainsi toujours le réincorporer au domaine s’il en avait été séparé.

2- Le domaine, ensemble de prérogatives, de droits et de revenus :

Productif de revenus, le domaine apparaît comme le véritable fisc du roi. Principale assise d’exercice des prérogatives royales, il figure un domaine éminent qui annonce le domaine public.

Est domanial tout ce dont le roi peut tirer profit, à l’exception des ressources extraordinaires : ensemble de droits extrêmement variés :

– recettes fixes : droits et revenus versés au roi de manière perpétuelle : revenus en nature ou rentes assises sur des terres du domaine ; biens de peu de valeur souvent donnés à ferme ;

– rentes muables : produits des affermages de certaines parties du domaine conclu pour une courte durée ; produits des sceaux et écritures, droits versés pour l’authentification des contrats, amendes, droits de mutations, droits correspondant à l’exercice des prérogatives royales. Enquêtes régulières ont lieu pour connaître la consistance exacte des biens domaniaux.

Monarchie ayant su faire triompher l’idée qu’elle était le principal dépositaire du bien commun, se trouve investie de la mission de protéger et sauvegarder tous les biens qui, par leur nature, étaient liés à l’utilité commune : réglemente donc l’affectation de ces biens considérés comme publics par leur usage :

– fleuves et rivières navigables ;

– autres voies de communication : chemins publics et chemins royaux : empiètent de plus en plus sur les prérogatives des seigneur, notamment en matière de justice ;

– péages situés sur ces voies ;

– rivages de la mer ;

– mines ;

Sans que soit encore affirmé un droit de propriété du roi sur ces zones, effort constant pour faire reconnaître les prérogatives éminentes de la monarchie sur les composantes d’un domaine dont le caractère public ne cesse de s’accuser. Évolution facilitée par l’émergence de la notion de couronne : permet de distinguer le patrimoine privé du prince et le domaine de la couronne ou de l’Etat, de nature publique et soumis pour cette raison à un régime protecteur.

 

3- L’élaboration de règles protectrices du domaine de la couronne

Genèse du pcipe d’inaliénabilité à rechercher ds le droit canonique, à propos de la protection des biens d’Église, puis des biens de la couronne royale (aliénation d’un important patrimoine de la couronne par le roi de Hongrie suscitant la décrétale Intellecto prise par Honorius III : en procédant de la sorte le roi abuse des prérogatives de sa fonction et ne respecte point la promesse de son sacre) : forme le principal point d’ancrage de toutes les réflexions sur l’inaliénabilité.

Réflexions des civilistes prennent plutôt pour point de départ la donation de Constantin considérée comme contraire à la règle d’inaliénabilité. L’idée est que le souverain n’est pas maître du domaine, mais simple administrateur avec mission de gouvernement et de gestion. L’ensemble des biens et droits qui font partie intégrante de ce domaine sont donc indisponibles. Qualifié d’Augustus, le roi ne peut qu’augmenter le domaine, en aucun cas le diminuer. Ne tient pas le royaume par droit héréditaire mais du fait de sa fonction ; tous les biens soumis à son administration, tout comme les prérogatives et droits dont il dispose sont donc indisponibles.

Imprescriptibilité liée à la notion de souveraineté : on ne saurait prescrire contre la souveraineté du prince. : sorte d’indisponibilité politique fondée à la fois sur la nature de la fonction exercée par le prince et sur les obligations qu’il contracte au moment du sacre.

Ces principes entrent peu à peu ds la pratique législative et jurisprudentielle de la monarchie française, grâce au concours actif des États, des parlements et de la chambre des comptes, qui s’opposent de plus en plus aux actes d’aliénation. A la fin du MA, le principe d’inaliénabilité du domaine, exprimé ds la doctrine, transparaît ds la législation sans y être toutefois officiellement consacré. Tous les rois des XIVè-XVè s. y ont vu une règle fondamentale, qui devait s’imposer aussi vigoureusement qu’une norme constitutionnelle. Mais la pratique séculaire était trop forte pour que ne s’interposent pas des exceptions qui allaient en retarder l’expression. Combinées à d’autres éléments, elles risquaient de menacer une unité à grand peine reconstruite.

 

4-La cohésion menacée
  • Le droit des apanages et des engagements
  • La constitution d’apanages : un frein à la réunification: Famille royale organisée à l’image des lignages aristocratiques et empruntant de nombreux usages à leur droit successoral. Cadets reçoivent donc des donations foncières distraites des biens de la Couronne afin de pouvoir « tenir leur état » . A l’origine simples donations ad panem, constituent à partir du XIVè s de vastes fiefs qui contredisent en pratique le pcipe d’inaliénabilité du domaine, qui sont à l’origine d’une seconde féodalité et qui surtout font échapper à la couronne des provinces entières dont le rôle politique et stratégique était de 1er plan : cf. les apanages consentis par Jean le Bon à ses 3 plus jeunes fils :

– Louis reçoit l’Anjou, le Maine et la Touraine ;

– Jean le Poitou et le Mâconnais, puis le Berry et l’Auvergne (en compensation du Poitou, cédé à l’Anglais après le traité de Brétigny) ;

– surtout : Philippe (le chouchou) reçoit la Bourgogne qui lui est confiée de façon plus durable, puisque la clause de retour est bien prévue, mais seulement à défaut d’héritier (et non d’héritier mâle) : Bourgogne accède ainsi quasiment au rang de principauté indépendante.

N.B. cepdt : apanages peuvent aussi être considérés comme les instruments d’une administration déconcentrée de l’Etat destinés à favoriser à terme une intégration définitive à la couronne de France : structures administratives calquées sur les rouages de l’administration royale.

Avec Jean le Bon se clôt toutefois l’ère des grands apanages. Deviennent ensuite plus rares, plus petits et de localisation moins stratégique. Néanmoins, malgré cette prudence tardive, ils ont pdt plus de 3 siècles ralenti la politique de restauration de l’assise territoriale de l’Etat.

  • Le recours à la pratique des engagements : une immobilisation temporaire des biens domaniaux: Strictement défini, l’engagement est une technique juridique qui permet au roi de remettre en gage un bien domanial, terre, droit ou fonction, entre les mains d’un des ses créanciers (l’engagiste). A servi pour payer les dots des filles de France, pour garantir le règlement d’une assignation à venir, ou, plus souvent, pour financer des opérations militaires. Engagements sans doute nombreux et importants ds les 2 derniers siècles du Ma (cf. les nombreuses ordonnances qui les interdisent).
  • Le respect des privilèges locaux: le roi, garant du bien commun et en charge de la cohésion du royaume, préfère se poser en défenseur des particularismes locaux, qui s’expriment parfois en bouffées de revendications plus ou moins violentes (comme le mouvement ligueur des années 1314-1315). L’habitude fut même prise très tôt de garantir aux territoires nouvellement incorporés au domaine le maintien de leurs coutumes, franchises et privilèges. De même, respect des structures administratives, judiciaires et fiscales des provinces annexées, entraînant au demeurant une certaine confusion ds l’organisation générale du système (cf. la situation chaotique de la fin de l’AR) : royauté conservatrice, procédant par sédimentations successives, par agrégats progressifs, plus que par suppressions brutales ou réaménagements arbitraires. Pari sur la durée fait par la monarchie : son meilleur allié = le temps. Système équilibré demeurant toujours partiellement contractuel, même aux beaux jours de la monarchie absolue.

C- Les moyens de l’administration

Plus les limites du domaine tendent à se confondre avec celles du royaume, plus les structures héritées de la période féodale se révèlent inadaptées. Voilà pourquoi, dès le régne de Philippe Auguste, le pouvoir central s’efforce d’abord de connaître et de maîtriser au mieux l’espace qu’il prétend contrôler (a), avant de parvenir à la quadriller de ses structures et de ses hommes (b) pour en assurer efficacement la défense (c).

1)- La maîtrise de l’espace
  • Connaître et délimiter l’espace

A partir du règne de Philippe Auguste prend lentement corps la notion d’unité et de territorialité du royaume, qualifié de regnum Franciae. D’où le souci d’une meilleure connaissance de l’espace, qui s’exprime au travers de 2 pratiques essentielles :

– les déplacements du monarques : volonté constante des souverains de s’informer en parcourant le royaume : le voyage royal, qui devient un instrument politique, apparaît tout autant comme un moyen , pour le souverain et son entourage de mieux connaître le territoire, même si son justificatif essentiel demeure encore longtemps la visite du roi à ses vassaux et la nécessité pour lui de consommer sur place une partie du produit de ses revenus ;

– l’enquête : collecte et fixation des informations par écrit, obéissant à des préoccupations avant tout fiscales et financières. Entreprise commencée avec Philippe Auguste, au moment de l’annexion de la Normandie ; se poursuit ensuite sous Saint Louis et sous Philippe VI (grande enquête de 1328 sur les paroisses et les feux des bailliages et sénéchaussées de France).

Néanmoins, pas de représentation figurée du territoire : pdt lgtps, administrateurs, agents du fisc et voyageurs se sont bornés à utiliser des suites de noms et des répertoires de renseignements pratiques pour leurs déplacements. La représentation médiévale de l’espace ne débouche que tardivement sur des cartes faisant apparaître des limites clairement tracées : pas avant le tout début du XVIè s.

De même, cristallisation progressive de la notion de frontière, sous l’influence conjuguée du souci de circonscrire l’exercice de la souveraineté monarchique, du développement d’une spécificité linguistique, et de la mise en place d’une fiscalité nationale : multiplication, aux limites du royaume et sur les principales voies de passage, des postes de contrôle fiscal qui contribuent lentement à fixer une véritable ligne. Politique, fiscale, linguistique, cette limite devient également militaire : aux places fortes disséminées partout sur le territoire à l’époque féodale, succèdent des ouvrages fortifiés pour arrêter les ennemis aux franges du royaume. Cette évolution s’incarne au moment de la guerre de Cent Ans. La nécessité de « faire frontière » conduit à construire, partout où la limite est menacée, des places fortifiées qualifiées dès la fin du XIVè s. de « frontières ».

  • Habiter et gouverner l’espace : les capitales: C’est plus autour du domaine royal et des institutions monarchiques que d’une capitale que s’est construit l’Etat, tant le pouvoir, ses symboles, ses institutions et son chef sont en prise avec des lieux divers jusqu’à la fin du MA. Depuis le début du XIIè s., Reims est la ville du sacre, Saint Denis celle des funérailles et Paris le pôle de l’administration royale, même si le roi n’y réside pas en permanence. Louis VII l’avait préféré à tout autre ville et Philippe Auguste, ds son souci de construire l’Etat, lui donna en moins de 20 ans les fonctions d’une vraie capitale en y fixant les institutions centrales (chancellerie, comptes, Trésor) qui gravitent autour de la Curia. Il contraint les officiers royaux à venir y rendre des comptes périodiques. Construction de la grosse tour du Louvre dont on dit que meuvent tous les fiefs du roi. Travaux poursuivis avec Saint Louis (construction de la sainte Chapelle) et surtout par Philippe le Bel qui inaugure en 1313 un nouveau palais. Agrandissements réalisés par Charles V au Louvre et à Vincennes.

A quelques exceptions près, cepdt, les souverains résident assez peu à Paris, d’où les éloignent souvent la nécessité de retrouver les châteaux du domaine, le voyage, la croisade, la guerre ou la révolte qui gronde périodiquement. A partir de la 2nde moitié du XVè : attrait exercé par la Loire l’emportant sur la force politique de Paris, appelé à faire pdt lgtps figure de capitale inachevée.

2)- Les structures de l’administration

Tout au long de l’époque féodale, l’administration locale royale a une coloration fortement domaniale et privée. Les administrateurs du domaine sont véritablement les hommes du roi. Jusqu’à Philippe Auguste, le souverain ne peut compter que sur une administration rudimentaire pour gérer son domaine, y transmettre ses ordres et y exercer ses pouvoirs : les prévôts y font alors figure de spécialistes du général mais ils parviennent de moins en moins bien à faire face aux multiples obligations qui leur incombent.

Face à ces insuffisances sources de nombreux abus, Philippe Auguste met en chantier une véritable politique de rénovation administrative, sans cepdt brusquer les choses : confie souvent le contrôle des structures existantes à de nombreux agents, sans supprimer les anciens : les baillis et sénéchaux, bientôt eux-mêmes surveillés par les enquêteurs réformateurs. Puis nouveaux besoins surgissant au cours du XIVè s. (guerre, nécessité de maintenir l’ordre et d’assurer la cohésion de la nation) : d’où la mise en place des lieutenants généraux et des gouverneurs.

  • Les baillis et les sénéchaux:

Leur présence se généralise sur l’ensemble du territoire ds les deux dernières décennies du XIIè s., surtout avec la grande ordonnance de 1190 que Philippe Auguste édicte juste avant de partir pour la croisade. Ne constituent pas une création royale : origine des baillis doit être recherchée ds les traditions de l’administration anglo-normande : officiers locaux y rendant la justice ds le cadre de circonscriptions qualifiées de bailliages. Philippe Auguste s’inspire donc de cette expérience quand il généralise l’institution des baillis : d’abord juges itinérants, voient peu à peu leurs compétences s’élargir et leur ressort se fixer (de manière définitive seult vers 1250)

Gd officier royal, le sénéchal n’existe plus sous le règne de Philippe Auguste, qui décide de ne pas le remplacer, en raison de son influence grandissante. Mais les grands princes territoriaux, tout comme les grands féodaux avaient eux aussi des sénéchaux qu’ils conservent ert qui constituent l’un des rouages essentiels de leur adm. Restent en place une fois annexées les provinces dont ils avaient la charge (ouest et sud du royaume sous adm. anglaise).

Exerçant ds le cadre de leur circonscription des pouvoirs identiques à ceux du roi et agissant pour son compte, baillis et sénéchaux prolongent en permanence le ministère royal. Désignés par le souverain, révocables par lui et comptables devant lui de leur action, ils constituent, dès le début du XIIIè s. le principal rouage d’une administration déconcentrée. Recrutement fondé sur des critères d’honnêteté, de compétence, mais aussi d’origine géo : doivent être étrangers à leur circonscription ; sont le plus souvent issus de la moyenne bourgeoisie ou de la petite noblesse, catégories sociales sur lesquelles la royauté cherche de plus en plus à s’appuyer pour faire pièce aux grands féodaux. Différence de carrière entre le Nord (soumis à une intense mobilité géo. : en moyenne une mutation tous les 3 ans) et le Midi, où les sénéchaux ne bougent guère une fois qu’ils ont été nommés à un poste, mais où ils ont aussi moins de chances d’intégrer les organes centraux du gouvernement.

Capétiens soucieux de se prémunir contre leurs agents locaux, afin d’éviter que ne se reproduise la malencontreuse expérience des comtes carolingiens : multiplient donc les garanties : prestation d’un serment lors de l’entrée en charge (rappelle le contenu de la charge à exercer), obligation de résidence ; interdiction de se marier ou de marier des domestiques ds la circonscription ; interdiction d’y acquérir des biens ; interdiction de recevoir des présents de la part des justiciables ; lors des mutations, obligation de demeurer sur place 40 jours avant de quitter la circonscription, afin de permettre à d’éventuels plaignants de se manifester ; reddition de comptes devant le plt. et la chambre des comptes à l’occasion de chaque session.

Jusqu’au début du XIVè s. baillis et sénéchaux s’imposent partout comme d’efficaces constructeurs locaux de l’Etat. Prolongement de la personne du roi sur l’ensemble du pays, ils y exercent en son nom tous les pouvoirs :

– tâches d’adm. très diversifiées : enregistrement et application de toutes les décisions royales adaptées aux nécessités locales (sorte de pouvoir réglementaire dérivé) ; pouvoirs de police : foires, marchés, commerce, prix, jeux, tavernes, maintien de l’ordre public, tutelle des villes et des communautés d’habitants ; désignation des prévôts ;

– justice : défense acharnée des droits du roi. Appel des cas prévôtaux + jugement en 1ère instance des causes nobles et des cas royaux. Font exécuter eux-mêmes leurs sentences.

– finances : conservation et exploitation financière du domaine. Centralisation des recettes collectées par les prévôts, perception des impôts, des profits et des amendes tirés des condamnations, des droits de sceau et de monnayage ou des droits de mutation ;

– défense : recrutement et mobilisation des troupes. Commandement du contingent féodal de l’ost royal ; levée du ban et de l’arrière-ban ; entretien des remparts, châteaux, places fortes.

Croulant sous les tâches, baillis et sénéchaux n’hésitent pas à déléguer une partie de leurs compétences à agents spécialisés comme des lieutenants (pour la justice) ou à des receveurs (pour les finances). C’est ds ces circonstances qu’après 1320-1330 leur rôle passe progressivement au 2nd plan , au bénéfice de leurs anciens subordonnés : vide de pouvoir, leur charge se remplit d’honneurs, et ne se réduit en pratique qu’à un rôle politique de concertation et de coordination : autorité véritable appartient désormais aux techniciens.

  • Les enquêteurs et les réformateurs:

Nombreux abus commis par les baillis et les sénéchaux ds l’exercice de leur charge, soit par intérêt personnel, soit par zèle excessif ds le service du roi. D’où la désignation d’agents de surveillance :

– enquêteurs : généralisés par Saint Louis, ds la lignée des vieux missi dominici, avec une mission ponctuelle de contrôle toujours très souple, et adaptable en fonction des circonstances. Conduites publiquement, les enquêtes font l’objet de rapports officiels remis au roi et examinés à la Curia. Les pouvoirs de ces agents ne cessent de se développer : ils dénoncent, corrigent, sanctionnent tous les abus, puis luttent systématiquement contre tout empiétement sur les droits du roi. D’où une évolution : de redresseurs de tort, ces agents deviennent de plus en plus les oppresseurs des administrés et de leurs administrateurs, qui se plaignent de leurs agissements. Progressivement, reprise en main de l’institution, qui en marque aussi le terme.

– réformateurs (d’abord appelés enquêteurs réformateurs) se substituent lentement aux enquêteurs à partir de l’extrême fin du XIIIè s. Devenus « réformateurs généraux », ils sont de véritables inspecteurs de l’administration locale, investis d’une mission sensiblement élargie par rapport à celle des enquêteurs : au pouvoir d’enquêter et d’instruire, s’ajoute désormais mandat de châtier les officiers coupables, de rétablir l’ordre, réformer tous les abus et même servir très directement les intérêts du prince.

Ds la 2nde ½ du XIVè s. mutation radicale de l’institution : les réformateurs deviennent de véritables envoyés extraordinaires du roi investis des pleins pouvoirs à la fois judiciaires, financiers et militaires, ce qui les autorise, en cas de nécessité, à se substituer aux administrateurs en place, comme l’attestent de nombreux exemples. Véritables lieutenants du roi, ils annoncent la mise ne plca progressive de nouveaux agents chargés d’assurer partout le triomphe de la « souveraine seigneurie » du monarque.

  • Les lieutenants généraux et les gouverneurs:

Ds la pratique, ils ne s’intègrent pas véritablement au système administratif. Ils sont désignés en fonction des besoins et envoyés ds les « pays » où, en raison des circonstances, leur présence s’impose. Véritables vice-rois, redoublement efficaces ds un contexte de guerre quasi permanente, ces agents restent de plus en plus longtemps en place. Issus au départ de la très haute aristocratie, voire de la famille royale elle-même (cas des princes apanagistes), ils sont, au cours du XVè s., de plus en plus choisis parmi des gentilshommes de moyen état, souvent membres du Conseil et très dévoués au souverain. Pouvoirs très larges, notamment en matière militaire, rémunération conséquente ;

CCL sur les administrateurs royaux en général : parfaitement intégrés ds une organisation de plus en plus structurée et rigide, les agents du roi, toujours mieux formés et plus conscients du sens de l’Etat, n’ont pas tenté de créer à leur profit une nouvelle féodalité. Ils ont, bien au contraire, combattu ce qui restait de l’ancienne et largement contribué à assurer la défense du territoire.

3)- La défense du territoire

Du règne de Philippe Auguste à celui de Louis XI (fin XVè) : profonde évolution ds l’organisation de l’armée et l’aménagement de la défense. En gros, 2 périodes sont décelables :

  • 1ère période : de la fin du XIIè s. au début du XIVè: longues phases de paix combinées avec le déclin du service vassalique : liquidation de la vieille armée féodale.

Tout au long du XIIè s. et plus encore au XIIIè les 2 1ères formes de service féodal (l’ost et la chevauchée) subissent une importante limitation ds l’espace et ds le temps : nombreuses défections malgré les lourdes amendes et les supplications. Quant à la 3ème forme de service, la garde des places fortes, elle se révèle tout aussi insuffisante : nombre et importance des lieux fortifiés ne cessant d’augmenter.

Solutions adoptées par la royauté :

– appel aux contingents urbains : mais là aussi, les bourgeois ont de plus en plus tendance à diminuer l’ampleur de leur aide ou à la remplacer par des versements financiers.

– effort pour ressusciter la vieille notion d’arrière-ban en élargissant l’obligation militaire à tous les sujets (règne de Philippe le Bel). Il en résulta une armée sans formation, sans discipline et sans efficacité.

Au total, les ressources militaires du Capétien apparaissent fort restreintes, d’autant que l’on observe à la même époque un déclin sensible de la place de l’infanterie sur les champs de batailles, au profit d’une cavalerie de plus en plus lourdement équipée et donc onéreuse à armer. La monarchie commence alors, au début du XIVè s. à se tourner vers de véritables entrepreneurs militaires, qui prennent le titre de capitaine et qui constituent des bandes, routes ou compagnies qu’ils vendent au plus offrant : ds l’immédiat, le roi en tire des avantages immédiats, tant il se trouve libéré des contraintes du recrutement et de l’entretien de sa propre armée. Mais les inconvénients ne tardèrent pas à se faire sentir, une fois venu le temps de la Guerre de Cent Ans, avec ses longues périodes de trêve.

  • 2ème période : début XIVè à fin XVè: Évolution vers la création d’une armée permanente ds un contexte de guerres continuelles.

Dès le règne de Jean le Bon (milieu du XIVè s.) les compagnies présentent en effet un danger réel dès lors qu’intervient une trêve ou une paix : même dissoutes au moment du « cassement », elles survivent souvent autour de leur chef et utilisent alors tous les moyens à leur disposition pour assurer leur subsistance en se nourrissant sur le pays. Se répandent ds toute la France où elles font régner la terreur (écorcheurs, routiers, etc.). Manque de ressources financières joint à la faiblesse politique de la monarchie à l’extrême fin du XIVè et au tout début du XVè s. consomment la débâcle des institutions militaires françaises, à laquelle la défaite d’Azincourt (1415) apporte une sanglante confirmation : liquidation définitive du vieux système féodal + disparition d’une bonne partie de la fine fleur de l’aristocratie française.

Efforts menés par Charles VII pour réorganiser en profondeur le système militaire : – Essaie d’arracher les gens de guerre à leur vie d’errance et de les fixer ds des garnisons cantonnées ds les régions frontalières, d’où ils étaient incités à mener des opérations à l’extérieur du royaume ;

– Met tout en œuvre pour rompre le lien d’allégeance qui unissait la plupart du temps les gens de guerre à quelques grands princes ou quelques grands seigneurs et en revendique pour lui seul le contrôle et le commandement ;

– Surtout : procède à la refonte des institutions militaires : ordonnance de Louppy prise le 26 mai 1445 : jette les bases d’une armée permanente : désignation de 15 capitaines, choisis pour leur naissance, leur probité et leur expérience militaire ; en contrepartie d’une solde majorée et permanente, sont eux mêmes invités à conserver auprès d’eux leurs hommes les plus expérimentés et les mieux équipés pour constituer de nouvelles compagnies dont la composition était strictement réglementée par l’ordonnance, d’où leur appellation de « compagnies d’ordonnance ». Chaque compagnie se comportait de 100 lances, regroupant chacune 6 ou 7 hommes (soit un noyau d’environ 10 000 hommes).

Les compagnies ainsi retenues furent d’abord chargées de rétablir l’ordre ds le royaume, puis de reconquérir les territoires occupés par les Anglais. Néanmoins, ne furent pas dissoutes après l’arrêt des hostilités, en 1453 mais formèrent la base d’une armée permanente.

Sous le règne de Louis XI : effort pour organiser une infanterie, autour de 6000 Suisses recrutés pour leur valeur militaire.

Au terme d’une longue évolution, qui couvre les règnes de Charles VII et de Louis XI, cavalerie permanente puis infanterie permanente voient lentement le jour, ce qui vaut à la monarchie de pouvoir entretenir 20 à 25 000 hommes à la fin du XVè s. L’État n’exerce pas encore le monopole de la violence légale, mais il est dores et déjà engagé ds un long processus d’encadrement de l’armée et de civilisation des moeurs.

CCL : C’est autour de la seule institution que le royaume de France a pu retrouver son identité territoriale, politique et humaine à partir du milieu du XIIIè s. Plus cette identité s’affirme, plus l’Etat se cristallise et plus le roi apparaît comme le pivot autour duquel s’organise cette entité politique qui devient lentement la France. Cf. le changement de titulature intervenu en 1204 : Rex Francorum devient Rex Franciae : prise de conscience collective d’habiter un seul et même territoire sur lequel se scelle un destin commun, dont l’unité se trouve progressivement renforcée par une langue qui, lentement, devient elle aussi commune. En France, l’Etat a précédé et crée la nation, comme en témoigne d’ailleurs la constitution progressive d’un véritable espace identitaire, arraché aux convoitises territoriales, mais surtout aux prétentions juridiques des puissances étrangères.

Section II- La conquête d’un espace identitaire

L’idée qui avait pendant longtemps dominé d’une chrétienté occidentale entièrement soumise au pape et à l’empereur s’estompe peu à peu devant la montée des nouveaux États souverains qui constituent autant d’entités autonomes aspirant à une existence propre. Le roi de France, étant parvenu à réaliser un début d’unité nationale grâce au double processus de réassociation territoriale et de liquidation du passif féodal, s’efforça donc très logiquement de prendre stature de chef d’État indépendant face à l’empereur d’abord (§I), face au pape, ensuite et plus difficilement (§II).

Enfin, point d’orgue du processus d’unification l’identité du royaume se marqua par la constitution d’un espace juridique commun, manifesté, à partir du XVème siècle , par la maîtrise royale en matière de coutumes (§III).

§I- La rivalité avec l’Empire

Elle fut plus théorique que réellement politique et se résolut assez rapidement, tant du fait de l’irréversible effacement de la suprématie impériale (A) qu’à cause de l’irrésistible affirmation de la souveraineté des États monarchiques (B).

A- L’irréversible effacement de la suprématie impériale

  • Fiction de l’unité impériale tenant l’empereur pour seul détenteur de l’auctoritas et de l’imperium mundi tend de plus en plus à s’estomper devant la consistance territoriale des États monarchiques, la vitalité de leur sentiment national et le dynamisme de leur gouvernement. A partir des années 1200 la conjoncture européenne est en outre favorable à ces jeunes États qui, comme la France, l’Angleterre ou l’Espagne, s’affirment comme autant d’unités autonomes : éclatement de l’imperium au bénéfice de regna dont les canonistes ne manquent pas de faire l’apologie en vue d’affaiblir l’autorité impériale.
  • En outre prestige impérial de plus en plus affaibli :

– défaite d’Othon IV à Bouvines en 1214 ;

– grand interrègne ouvert en 1250 à la mort de Frédéric II : durant un siècle, à l’exception d’une année (1312-1313), la couronne demeure sans titulaire. Les rois des Romains, privés de la dignité suprême, affaiblis par une diplomatie incertaine, ne sont plus en mesure de revendiquer une quelconque prééminence sur les autres souverains. Plusieurs d’entre eux, d’ailleurs, loin de traiter le roi de France en inférieur, recherchent son appui pour tenter de reconquérir leur titre. Ainsi traités et courtisés, les souverains français font figure d’empereurs de fait, et certains d’entre eux caressent même le rêve impérial.

B- L’irrésistible affirmation de la souveraineté monarchique

Mobilisation idéologique et doctrinale au service des prétentions du roi de France.

  • Philippe II et son entourage donnent le ton :

– surnom Augustus donné par Rigord : traduit une volonté affichée de faire du roi de France un égal de l’emp. et de revendiquer en sa faveur toutes les prérogatives de la puissance impériale ;

– utilisation habile de la décrétale Per Venarabilem. Saisi par le comte de Montpellier, Guilhem VII, d’une demande de légitimation de ses enfants adultérins, le pape Innocent III décline sa compétence au motif que pour cette question purement temporelle, c’est au roi de France qu’il convient de s’adresser, puisqu’il ne reconnaît aucun supérieur temporel (cum rex superiorem in temporalitatibus minime recognoscat) : conclusion purement incidente massivement exploitée par les légistes de Philippe pour démonter que le roi de France, ne relevant d’aucune puissance temporelle, en saurait en aucun cas être soumis à l’emp. et à ses normes ;

– bulle Super specula de 1219 destinée à limiter l’enseignement du droit romain en France, encore trop souvent considéré comme le droit de l’empereur.

  • Toutefois, à cette phase initiale de méfiance, succéda bientôt une période d’utilisation systématique du droit romain au profit exclusif du roi, cette fois : idée que le monarque « ne doit tenir de personne », pas plus dans l’ordre interne, où sa qualité suprême de suzerain l’a définitivement placé au sommet de la hiérarchie féodale, que sur la scène internationale, où sa souveraineté naissante l’émancipe progressivement de l’autorité impériale.

C’est parce qu’il doit agir pour le bien commun et « l’utilité publique » dont les juristes considèrent que le roi a de plus en plus la charge exclusive, que ce même souverain doit se trouver investi de pouvoirs identiques à ceux d’un empereur dont l’imperium, désormais éclaté ne lui permet plus de maintenir sous son contrôle l’ensemble des États d’Occident. Face à lui, le roi de France acquiert lentement la qualité de princeps qui l’autorise à revendiquer l’exercice tout à la fois de l’imperium, de la potestas et de la jurisdictio. D’où la formule qui apparaît vers 1250 : le roi est empereur en son royaume : point d’aboutissement et point de départ d’une nouvelle dynamique qui prend cette fois la papauté pour cible.

§II- Le conflit avec la papauté

Même libéré de la tutelle impériale et fort d’une souveraineté qu’il se forge progressivement, le roi de France ne songe jamais à contester au spirituel la souveraineté du pape. Néanmoins, cette capacité du successeur de Pierre à intervenir constamment ds la vie des États représentait un facteur permanent de tension : oblige peu à peu à repenser les rapports entre le royaume et le Saint Siège.

Rappel : La réforme grégorienne

Suscitée par la crise sociale, institutionnelle et morale que traversait une Église profondément féodalisée, la réforme, initiée par des moines clunisiens et menée par la papauté, aboutit à une complète redéfinition des rapports du temporel et du spirituel. Elle fut en outre directement à l’origine de la renaissance intellectuelle, politique et juridique impulsée en Occident à partir de la 2nde moitié du XIème siècle. Un mouvement d’une tel ampleur mérite donc que l’on s’y arrête quelque peu en en examinant successivement les préliminaires (1) puis le plein développement (2).

1- Les préliminaires

Pb. posé = celui de la pérennité des structures de l’Eglise carolingienne. A bien des égards, la réforme grégorienne est apparue comme une lutte entre le parti des moines, réformateurs et clunisiens, et le parti des évêques, profondément ancré ds les rouages du pouvoir et les affaires du siècle. 2 points de friction essentiels : la question de l’exemption (a) et l’affirmation de la primauté romaine (b).

a)- Le combat pour l’exemption

Dès sa fondation, Cluny avait été donnée au pape, pour qu’il exerce directement sur le monastère le pouvoir qui revenait normalement à l’évêque du diocèse. De même, en 997, Abbon de Fleury obtient du pape Grégoire V un privilège libérant son abbaye du pouvoir coercitif de l’évêque et lui permettant de recourir à l’arbitrage romain en cas de conflit avec le diocésain.

Dans le même temps, toujours à Cluny, on prépare un privilège libérant le monastère non seulement du pouvoir coercitif de l’ordinaire, mais encore de son pouvoir d’ordre : ce qui signifie que l’évêque diocésain ne pourrait plus procéder, au sein du monastère, aux ordinations, consécrations d’églises célébrations de messes, sans l’autorisation abbatiale, et que les moines pourraient faire appel à un évêque de leur choix pour la bénédiction d’un nouvel abbé : Exemption totale obtenue en 998 ou 999 de Grégoire V. Est étendue par Guillaume de Volpiano, ancien moine clunisien, à 3 grands monastères qu’il avait réformés : Fécamp en Normandie (1006-1016), Fruttuaria en Lombardie (1006), Saint Bénigne de Dijon (1012).

En 1024, enfin, alors que s’ébauche, sous l’action de l’abbé Odilon, une politique visant à faire de Cluny un chef d’ordre regroupant abbayes et prieurés affiliés, la papauté étend l’exemption à l’ensemble des établissements rattachés au monastère bourguignon.

Exemption et ordre clunisien se combinent ainsi, au début du XIème siècle, pour mettre fondamentalement en cause les vieilles structures ecclésiastiques fondées sur la prééminence de l’évêque. En un sens, il existe un parallélisme d’évolution entre structures laïques et structures ecclésiastiques : l’autorité épiscopale se trouve contestée au moment même où s’effondre l’unité du pagus.

On comprend dès lors que les zones de forte autorité princière et de vieille tradition carolingienne n’aient connu ni l’exemption sous sa forme clunisienne, ni l’affiliation de monastère:  Allemagne impériale ; Flandre comtale ; Normandie ducale (structure fortement hiérarchisée et soumise à l’autorité du seul duc).

En revanche, ce sont presque exclusivement les régions où l’autorité publique est faible et dispersée, où l’épiscopat est moins enracinée ds la tradition carolingienne qui ont connu successivement l’expansion clunisienne puis l’exemption épiscopale : régions ayant également été affectées, plus que les autres par la paix et la trêve de Dieu : lutte contre l’ingérence laïque et pour la sauvegarde du patrimoine monastique.

b)- L’affirmation de la primauté romaine

2ème pôle du nouveau dispositif : la réforme de la tête de l’Eglise elle-même. Il s’agit ici de déterminer où, ds l’ordre du religieux, se trouve le véritable siège de l’auctoritas. Car ce que met en cause l’exemption, tout autant que l’autorité de l’évêque sur le clergé régulier de son diocèse, c’est l’autonomie de l’épiscopat du royaume par rapport au pontife romain : refonte institutionnelle débouchant sur une redéfinition politique. La question en fait, ne revêt pas la même acuité selon les zones géographiques concernées :

– clergé du sud : depuis l’effacement royal, son horizon ne dépasse guère celui de la province. Faiblement organisé, n’offre que peu de résistances aux entreprises clunisiennes et pontificales ;

– épiscopat du Nord beaucoup plus cohérent. Véritable pilier du trône, s’estime dépositaire de la tradition carolingienne de non ingérence pontificale : ne voit ds le pape qu’un primus inter pares détenteur d’une simple préséance sur les autres évêques et affirme la supériorité du « concile des Gaules » sur le pontife romain : « autorité éternelle » des canons sacrés s’opposant au « caprice d’un seul ». Légalisme conciliaire déjà au cœur du débat sur l’exemption.

Ce débat de fond, qui secoue l’Eglise pendant la 1ère ½ du XIè siècle permit en outre à la papauté de se forger, dès les années 1010-1020 certaines des armes juridiques et idéologiques qui lui servirent ultérieurement à fonder ses prétentions :

  • arme juridique: élargissement de la notion de « propriété du saint siège » dont Cluny et quelques monastères fondés à la fin du IXè et au début du Xè siècle avaient bénéficié au temps de leur établissement : libertas signifiant le statut d’appartenance de toute abbaye affiliée au système clunisien : faire d’un monastère une dépendance de Cluny revient donc à en faire une traditio à l’Eglise romaine. Devient dès lors l’un des membres d’un corps dont Rome est la tête : conception organiciste de l’ordre clunisien. De l’ébauche d’une organisation, on est passé à la réalité d’une structure groupant « par delà le cadre du diocèse et de la province, des monastère affiliés à un chef d’ordre qui relève du pape. » Fournit à ce dernier des équipes nouvelles et d’ardents défenseurs de la supériorité romaine : esquisse du système grégorien puissamment hiérarchisé et fondamentalement différent de l’ancienne structure carolingienne.
  • arme idéologique se trouve ds les 1ères affirmations d’une primauté de l’Eglise romaine : lettre du pape Jean XIX à l’évêque de Mâcon affirmant que l’Eglise romaine est « la tête et le gond (caput et cardo) de toutes les autres églises» : emprunt à une collection de fausses décrétales forgées en France 2 siècles plus tôt, et plus particulièrement à une fausse lettre du pape Anaclet mettant en relief le rôle assigné à l’Eglise de Rome « par l’auctoritas de laquelle toutes les églises se trouvent régies de par la volonté de Dieu. » : texte invoqué 25 ans plus tard par les 1ers grégoriens pour fonder et réaliser pleinement cette primauté du siège apostolique.
2– L’affermissement théocratique

C’est à partir du milieu du XIè siècle que débute, sous l’égide du pape Léon IX et de ses successeurs une véritable révolution qui marque un tournant ds l’histoire de l’Eglise et de l’Occident chrétien. A cette révolution, on a donné le nom du pape Grégoire VII (1073-1085) qui, avant comme durant son pontificat, en a été le principal artisant, orientant la papauté vers un raidissement doctrinal et des solutions extrêmes.

Réforme morale du clergé, entreprise d’affranchissement de l’Eglise de l’ingérence des puissances laïques, cette révolution est aussi et d’abord une réforme des structures ecclésiastiques en même temps qu’un bouleversement profond et durable de la place des puissances traditionnelles ds la direction du monde chrétien. Enfin, mouvement inséparable d’une vaste entreprise de recherche, de groupement, d’interprétation des textes scripturaires et d’élaboration de collections canoniques. Elle a donc largement contribué à préparer la renaissance intellectuelle des XIIè-XIIIè s.

Peut être décomposée en 3 grandes phases :

– une phase d’approfondissement doctrinal (1049-1059 (a)

– une phase politique centrée sur la querelle des investitures (1059-1084) (b) ;

– une phase d’apaisement et de compromis (c)

a)- L’analyse doctrinale (1049-1059)

La phase doctrinale débute sous l’impulsion d’un pape d’origine romaine, Léon IX, et surtout sous la direction d’un moine lorrain lui aussi, Humbert de Moyenmoutier. L’un et l’autre sont convaincus que l’affirmation de la primauté romaine constitue la condition d’une lutte efficace contre les maux dont souffre le clergé. D’où la réalisation de plusieurs ouvrages de propagande :

Collection en 74 titres (1050) : recueil de plusieurs textes favorables à la paputé, dont le fameux passage de la lettre attribuée à Anaclet. Rappel de l’incidence judiciaire de la primauté : jugements prononcés par les évêques doivent pouvoir faire l’objet d’un recours à Rome, en vertu de la parole adressée à Pierre par le Christ : « ce que tu lieras sur la terre sera lié ds le ciel » (pouvoir des clefs) ;

Adversus Simoniacos : dénonciation vigoureuse de la chaîne des causalités reliant l’investiture laïque aux pratiques simoniaques et la simonie au nicolaïsme (moeurs dissolues du clergé). Propose un remède : la papauté doit imposer le retour à la liberté des élections épiscopales et abbatiales et lutter contre l’investiture laïque, source de tous les maux.

Primauté romaine également affirmée face à Constantinople, où une ambassade conduite par Humbert se rend en 1054. Excommunication du patriarche Michel Cérulaire provoquant la rupture définitive entre les 2 Églises.

b)- Les luttes politiques (1059-1084)
  • Le décret de Nicolas II modifiant l’élection pontificale (1059)

Est adopté pendant la minorité de l’empereur, Henri IV. En pcipe élu par le clergé et le peuple de Rome, le pape était en fait, depuis la fin du Xè siècle, la créature de l’empereur germanique qui avait la haute main sur sa désignation. Le décret d’avril 1059 confie son élection aux seuls cardinaux de l’Eglise romaine, désormais constitués en « sacré collège », le clergé et le peuple de la cité n’intervenant que pour acclamer l’élu. L’empereur est écarté du processus électif et ne conserve plus qu’un rôle purement honorifique au moment de l’intronisation. Afin d’éviter toute pression provenant des factions romaines, il est enfin prévu que l’élection et l’intronisation pourront porter sur un non-romain et se dérouler à l’extérieur de Rome.

La réforme débute donc par le sommet, même si ses promoteurs entendent dès l’origine en étendre les effets à l’ensemble des églises : cf. le canon 6 du décret de 1059 qui interdit à tout clerc de recevoir « une église des mains d’un laïc, soit gratuitement, soit contre argent. » : condamnation reste cepdt encore purement morale.

Action des légats pontificaux en France tend à prolonger cette réforme : président plusieurs conciles où ils font adopter la législation de 1059 sur la réforme morale, n’hésitant à prononcer des peines contre certains évêques ou clercs notoirement simoniaques.

  • Le pontificat de Grégoire VII (1073-1085)

avec l’élection de Grégoire VII, l’action des réformateurs prend sa pleine ampleur et tend même à sa radicaliser.

En février 1075, Grégoire promulgue un décret faisant défense à quiconque de recevoir « de la main de quelque personne laïque » un évêché ou une abbaye sous peine de nullité ; interdiction également faite aux métropolitains de consacrer un « élu » qui aurait reçu « don de son évêché ». Ce sont cette fois les rois et surtout l’empereur qui se trouvent principalement visés par l’interdiction : remise en cause de la vieille idée carolingienne d’une « sacralité royale » se situant sur le même plan que la « sacralité sacerdotale » et justifiant la désignation des évêques et des abbés par les rois : attitude révolutionnaire justifiée par le pape par un retour à la primitive Église. Heurte de plein fouet le système d’église impériale mis en place en Germanie.

D’où l’amorce d’un long conflit au cours duquel la papauté fut conduite à revendiquer une primauté ds l’ordre du politique : théocratie pontificale. Tenant pour lettre morte le décret de 1075, Henri IV d’Allemagne continue à nommer comme par le passé aux évêchés et abbatiats vacants ; riposte du pape avec les Dictatus papae : 27 propositions solennelles formulant la doctrine officielle de l’Eglise romaine :

  • Absolutisme religieux:

– universalité su siège apostolique et de son titulaire ;

– droit de déposer et d’absoudre les évêques ;

– droit d’adopter de nouvelles lois

– droit d’ordonner la réunion de conciles généraux ;

– droit de connaître de toute sentence en dernier appel ;

  • Revendications politiques :

– droit d’user (seul) des insignes impériaux (VIII), en vertu de la fausse donation de Constantin abandonnant au pape Sylvestre 1er les insignes impériaux et la juridiction sur la pars occidentalis de l’empire ;

– droit de déposer les empereurs (XII)

– droit de délier les sujets du serment de fidélité fait aux injustes (XXVII) ;

Revendications fondées sur des textes de la tradition scripturaire et patristique : suprématie politique conçue comme le prolongement naturel de la primauté spirituelle. Jn, 21, 15 (« Pais mes brebis ») ; Mt 16, 18-19 (« Je te donnerai les clefs du royaume des cieux et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié ds le ciel. »). Hiérarchie des sanctions supposant une hiérarchie des dignités : Grégoire VII oppose la royauté terrestre « dignité inventée par les hommes du siècle, voire par les hommes ignorant Dieu » à la dignité pontificale « que la Providence du Tout-Puissant a instituée pour son honneur et miséricordieusement accordée aux hommes. »

Origine divine de la potestas royale ne peut être que médiate : découle d’un engagement du monarque à protéger l’Eglise en respectant les lois de Dieu ; procède d’une habilitation conférée par l’Eglise, de l’accomplissement des devoirs de la fonction contrôlé par une autorité pontificale gardienne et dispensatrice des lois divines. D’une sacralité intrinsèque à la dignité royale on passe à une sacralité extrinsèque, subordonnée à l’exercice du pouvoir et donc dévalorisée : gauchissement du schéma gélasien ds le sens d’une subordination du temporel au spirituel. Combat entre 2 sacralités, 2 théocraties concurrentes revêtant une extrême violence :

– Réponse d’Henri IV aux Dictatus papae : en janvier 1076, fait déposer Grégoire VII, accusé d’avoir détruit la paix de l’Eglise par un concile d’évêques germaniques réunis à Worms ;

– un mois plus tard, Grégoire VII excommunie et dépose l’empereur qui voit alors plusieurs princes allemands et de nombreux membres de son épiscopat faire défection. Menacé de déchéance, Henri IV se trouve contraint de se rendre à Canossa en janvier 1077 s’humilier devant le pape. L’excommunication est alors levée ;

– Henri IV reprend alors la lutte et chasse Grégoire VII de Rome (1081) ; n’y revint que peu de temps avant sa mort (1085), grâce à l’alliance des Normands du Sud.

N.B. : Querelle des Investitures circonscrite à la seule Allemagne : ds l’empire anglo-normand qui vient de se constituer, Grégoire VII ferme les yeux sur l’investiture royale ou ducale ; de même en France, où le roi contrôle peu d’évêchés, le pape laisse faire, car il ne sert à rien de s’en prendre trop ouvertement à ce monarque. La papauté ne se crispe donc pas sur la question des investitures et ne fait pas déposer, lorsqu’il n’y a pas eu d’élection scandaleuse, les évêques investis par les rois ou les princes.

c)- La synthèse institutionnelle : le concordat de Worms (1122)

Après la mort de Grégoire VII et d’Henri IV, évolution des esprits vers une solution plus modérée du problème.

1ers jalons posés par Albert de Marmoutier (abbé réformateur) dès le milieu du XIè siècle : a réussi à imposer pare sa pratique, le recours à une double investiture :

– l’une ayant trait au temporel : seul signe de l’ingérence laïque ;

– l’autre relevant seulement du spirituel

La solution est reprise ds la plupart ds élections aux grands monastères normands.

Elle s’impose avec Yves de Chartres et prévaut lors du Concordat de Worms conclu en 1122 entre le pape Calixte V et l’empereur Henri V : l’accord met fin à la querelle des investitures.

– prévoit la libre élection de l’évêque par un collège de chanoines de l’église cathédrale, ainsi que par quelques hauts dignitaires du diocèse ;

– consécration effectuée par le métropolitain, qui remet à l’impétrant la crosse et l’anneau, signes de son pouvoir spirituel ;

– investiture des regalia, par l’empereur ou le roi (remise d’un sceptre) : implique une relation de type féodal, un devoir de fidélité de l’évêque à l’égard du prince : est scellé par un simple serment, sans immixtio manuum, qui aurait signifié une soumission de type personnel. L’honneur de Dieu, seul bénéficiaire de l’engagement total de l’évêque ou de l’abbé, est réputé passer avant l’honneur et le service du roi.

Signification de la réforme grégorienne :

  • Phénomène de renouveau spirituel dont le monachisme réformé du Xè siècle fut l’un des premiers propagateurs : souci eschatologique d’agir sur le monde pour en extirper les forces du mal et l’orienter ds la voie de la purification : modèle monastique donnant naissance à des mouvements d’inspiration évangélique qui en viennent à critiquer le modèle clunisien (liturgie envahissante et collective ; mode de recrutement excluant l’idée d’engagement personnel ; etc.) : Chartreux (1084), chanoines réguliers (Prémontrés), Cisterciens (1098) ;
  • Renforcement de la présence ecclésiale autour de structures de plus en plus nombreuses et cohérentes : pcipe hiérarchique réaffirmé et mis en œuvre par l’activité inlassable des légats pontificaux : connaissent du contentieux des élections ecclésiastiques, jugent en appel des sentences rendues par les évêques, enquêtent d’office et se saisissent par évocation de toutes causes qu’ils estiment devoir traiter eux-mêmes ou réserver à la décision du pontife romain.

Progrès de l’idée d »’universalisme chrétien ; développement d’une législation uniforme à l’ensemble de l’Eglise ; extension des champs de compétence des officialités : encadrement de plus en plus resserré de la vie des hommes.

  • Aspect politique de la réforme: les papes du XIIè-XIIIè siècles persisteront à revendiquer la direction du peuple chrétien, prétendant subordonner à leur auctoritas les puissances séculières dotées d’une simple potestas conçue comme un pouvoir second de coercition (cf. la bulle Unam Sanctam).

Séparation définitive des 2 pouvoirs (image des 2 glaives) temporel et spirituel. Se retourna finalement contre la papauté elle-même : souverains de France et d’Angleterre reprochent notamment au saint siège son ingérence ds la sphère qui leur revient. En attendant que la divulgation des maximes du droit romain et de la philosophie politique d’Aristote ne leur suggère que la puissance étatique porte en elle une finalité et une légitimité qui lui sont propres.

Évolution du contexte au cours du XIIIè s. : Capétien de plus en plus puissant et donc de plus intransigeant face à toute atteinte susceptible d’être portée à l’encontre de son pouvoir ; papauté victorieuse de son long conflit avec l’Empire élabore une doctrine selon laquelle le pape, maître du monde au spirituel, peut de ce fait intervenir au temporel, tout au moins ds certains cas : décrétale Novit d’Innocent III (1198-1216). Donne naissance à une véritable poussée théocratique.

Équilibre délicat compromis par les nouvelles prétentions du pape qui, au nom de la morale et de la religion, affirme qu’il peut intervenir ds les royaumes ratione peccati pour orienter ou même limiter l’action du souverain : cf. le soutien apporté par Innocent III à Jean Sans Terre ds le conflit qui l’oppose à Philippe Auguste.

Renouveau spirituel et doctrinal apporte des munitions aux jeunes États :

– critique morale développée par les Franciscains contre la richesse de l’Eglise : a trahi la pureté évangélique des origines ;

– critique radicale des Dominicains qui ds leurs analyses, dissocient radicalement la société, qu’ils dénoncent comme corrompue, de l’Eglise du Christ ;

– critique philosophique de Thomas d’Aquin (1125-1274) élaborée à partir de la lecture d’Aristote : s’oppose à la vision augustinienne de la société et du pouvoir politique ; toute cité, au sens aristotélicien du terme, a une valeur en soi, qui réside ds la poursuite du bien commun ; la société politique est naturelle à l’homme ; il existe donc un ordre social et politique autonome, complètement indépendant de l’ordre religieux et même antérieur à lui. L’État ne saurait donc se couler ds le moule de l’Eglise et en dépendre ; temporel et spirituel doivent être soigneusement distingués, d’autant que

« Ds les matières qui concernent le bien civil, il vaut mieux obéir à la puissance séculière plutôt qu’à l’autorité spirituelle. »

Dualisme clairement affirmé va trouver une illustration polémique ds le conflit qui opposa Philippe le Bel à Boniface VIII (A) avant de fournir des bases précieuses au développement du Gallicanisme (B).

A- Un conflit politique : Philippe le Bel et Boniface VIII

Malgré d’inévitables périodes de tensions, les relations entre le Saint-Siège et le royaume de France sont assez bonnes jusqu’aux dernières années du XIIIè s. Tout change avec le pontificat de Boniface VIII qui s’ouvre en 1294. Tout oppose le roi de France et le nouveau pape : l’âge (Boniface a presque 50 ans de plus que Philippe), la formation (le pape a baigné ds les années 1235-1240 ds une ambiance favorable aux idées théocratiques ; le roi de France est pétri de droit romain), le tempérament.

En outre : nombreuses causes de conflits existent : empiétements juridictionnels de l’Eglise ; collation des bénéfices ecclésiastiques destinée à récompenser des serviteurs de la monarchie ; et surtout : question fiscale, qui provoqua un premier conflit (1) bientôt suivi d’un second, de teneur plus franchement idéologique (2).

1)- L’affaire de la décime (1296-1297)

Définition : la décime = une contribution exceptionnelle levée par le pape sur le temporel de tous les titulaires de bénéfices ecclésiastiques afin de financer la croisade. Elle représentait le 1/10è du revenu net, une fois déduits les frais d’entretien et de gestion, et devait faire l’objet d’une double autorisation, du pape, et du clergé. Devenue très vite une tentation pour les princes, qui s’efforcèrent de s’en approprier le produit sous des prétextes divers, plus ou moins en rapport avec la croisade (expédition en Languedoc contre les Cathares, en Tunisie, en Sicile, etc.)

Affermissement de l’Etat sous le règne de Philippe le Bel et les besoins financiers qu’il crée conduisent à remettre en cause les avantages acquis en matière fiscale (exemption et immunité) et à réclamer le bénéfice de la décime pour participation au financement des défenses communes.

Philippe le Bel obtient ainsi de son clergé un accord pour lever une décime, mais il n’en demande pas l’autorisation au pape qui réplique par la bulle Clericis Laicos du 24 février 1296, rappelant en termes généraux l’interdiction faite à toute puissance temporelle d’imposer les clercs sans autorisation du Saint Siège, et faisant obligation aux clercs de n’accorder à leur souverain aucune aide sans autorisation préalable de Rome = ingérence ds les affaires du royaume qui suscite une réplique virulente du roi de France et de ses conseillers : pamphlets + interdiction de toute sortie d’or et d’argent du royaume, paralysant ainsi une bonne partie des mouvements de fonds vers Rome. Le clergé de France soutient à fond son souverain et le pape jette l’éponge : en juillet 1297, autorise le roi à obtenir l’aide financière des clercs de son royaume en cas d’urgente nécessité, même en dehors de toute autorisation du Saint Siège. Courte trêve.

2)- Le conflit de souveraineté (1301-1303)

Point de départ : propos excessifs et injurieux tenus par l’évêque de Pamiers contre le roi de France. Lui valent d’être traduit devant une cour royal, composée d’évêques et de barons (octobre 1301), en violation des privilèges judiciaires des clercs.

Réaction immédiate du pape : bulle Ausculta Fili (décembre 1301) dont les termes même (« Écoute fils… »), empruntés au début de la RB sont particulièrement blessants pour le Capétien, placé immédiatement en position d’infériorité. Ton condescendant pour un texte sans nuance qui affirmait que le chef de l’Eglise avait été placé « au dessus des rois et des royaumes », ce qui revenait à en faire le supérieur de Philippe le Bel, tant au spirituel qu’au temporel. Examinant ensuite les actes politiques du roi de France, le pape se proposait de réunir un concile à Rome pour les faire condamner.

Réunion à Paris d’une assemblée des 3 ordres qui préfigure les États généraux (avril 1302) pour obtenir le soutien du pays. Aux évêques, le roi fait dire qu’ils tiennent directement de lui leurs évêchés, au temporel ; aux nobles, qu’ils ne relèvent que de lui pour leur fief, tout comme lui-même ne relève que de Dieu dont il tient directement le royaume de France. Est donc le protecteur naturel de l’Eglise de France. Clergé convaincu par ce plaidoyer refuse de se rendre à Rome et écrit au pape pour lui dire qu’il voit ds le roi le protecteur des libertés et le réformateur de l’Eglise de France.

Défaite de Philippe le Bel face aux Flamands à Courtrai (juillet 1302) redonne vigueur au pape. Réitère son intention de tenir le concile convoqué pour novembre 1302 et réussit à convaincre 39 prélats d’y participer. Bulle Unam Sanctam (18 novembre 1302) faisant écho aux idées théocratiques les plus dures : L’Église est une et n’a qu’un seul chef, le Christ, représenté sur terre par son vicaire, le pape.

« Les 2 glaives sont au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le temporel, mais l’un doit être manié pour l’Eglise et l’autre par l’Eglise, l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois et des chevaliers, mais sur l’ordre du prêtre et tant qu’il le permet. »

Riposte du roi : appel au concile universel, considéré comme supérieur au pape. Pour que cet appel fût crédible, il lui fallait un soutien populaire. Ds ce but, le roi entreprend à partir du 15 juin 1303 une vaste consultation du royaume qui rencontre une adhésion unanime à cette idée. Guillaume de Nogaret, qui dirige les opérations, décide de notifier à Boniface VIII l’acte d’accusation rédigé contre lui ds le cadre d’un concile oecuménique convoqué à Lyon. Attentat d’Anagni et mort du pape qques jours après.

Constatant le désaveu par l’Eglise des positions de Boniface VIII, Benoît XI absout de toute condamnation le roi de France, mais s’apprêtait à condamner Guillaume de Nogaret lorsqu’il meurt opportunément le 7 juillet 1304. Son successeur, Clément V, est tout dévoué au roi de France en qui il voit un souverain »absolument innocent et sans faute » (il ne faut quand même pas exagérer…). Ainsi le roi de France parvenait à une reconnaissance totale de sa souveraineté + manifestation d’indépendance de l’Eglise de France à l’égard des injonctions pontificales. Progrès de l’idée nationale.

B- Des enjeux théoriques : l’effondrement de la théocratie et la naissance du Gallicanisme

Si le conflit qui avait opposé Philippe le Bel à Boniface VIII n’eut ni la longueur, ni la gravité de ceux qui avaient éclaté entre la papauté et l’Empire, il n’en eut pas moins des conséquences plus durables et plus profondes :

– pape et empereur s’étaient affrontés pour la direction de la chrétienté ds un système politico-religieux de type moniste ;

– Boniface et Philippe se disputent le contrôle de l’Eglise de France, ds une ambiance doctrinale largement aristotélicienne qui sape les bases de la théocratie pontificale (cf. le De monarchia de Dante : 1311 ou le Defensor pacis de Marsile de Padoue : 1324). Déclin irréversible des thèses de la papauté, qui s’installe en outre en Avignon, sous la dépendance directe du roi de France.

En outre, toujours français, les papes d’Avignon sont contraints de servir la politique du roi de France. Éloignée de ses attachées traditionnelles, la papauté rencontre bien des difficultés à gouverner une Église dont elle contrôle de plus en plus mal des structures conçues à partir de Rome et pour Rome. Ce malaise aboutit, en 1378, à l’élection de 2 papes : l’un à Rome, Urbain V, et l’autre à Avignon, Clément VII. Le schisme ainsi créé permet au roi de France et à son Église de renforcer leur position d’autonomie par rapport au Saint Siège.

Le Grand Schisme ouvre une période d’intense réflexion ds la chrétienté : nombreuses critiques contre la papauté, sa richesse, sa fiscalité. Le système bénéficial, largement détourné de son fonctionnement primitif, apparaît comme la cause 1ère de la crise, d’autant que le pape l’utilise pour s’ingérer de plus en plus ds les affaires de l’Eglise de France. Un concile parisien réuni en 1398 et composé d’une cinquantaine d’évêques français décide en conséquence la soustraction d’obédience, supprimant ainsi toute soumission au pape et suspendant son autorité sur l’Eglise de France, l’habilitant à gérer elle-même, avec l’accord du roi, ses propres affaires. Nouveau concile de 1406 va encore plus loin : c’est à l’Eglise de France de fixer elle-même ses propres règles disciplinaires et d’en demander au roi la confirmation, en le chargeant aussi de veiller au bon déroulement des élections. Retour aux « anciennes libertés gallicanes ». C’était, du même coup, reconnaître au concile et à ses décisions une véritable suprématie.

1)- Le gallicanisme religieux et conciliariste

2 conciles de 1398 et 1406 contribuèrent largement à faire triompher le pcipe selon lequel, pour l’Eglise de France au moins, des mesures conciliaires pouvaient se substituer aux décisions pontificales.

La doctrine emboîte l pas de la supériorité du concile sur le pape. Inspirée pour l’essentiel par les textes canoniques contraignant un pape hérétique à se soumettre au jugement du concile, amplifiée par Marsile de Padoue et Guillaume d’Ockam, elle est très largement développée par les maîtres parisiens tels Jean Gerson et Pierre d’Ailly. L’université de Paris voyait en fait ds la voie conciliaire l’unique moyen de mettre fin au schisme et de renforcer en même temps la position du roi et de l’Etat face au Saint Sièfge.

Concile de Constance (1414-1418) parvint d’ailleurs à imposer ses décisions : déposa les 3 papes en exercice et en élit un nouveau : Martin V. Ainsi triomphait la supériorité du concile oecuménique, entérinée par le concile de Bâle en 1431 et que le clergé de France, appuyé par le roi, ne manqua pas d’adopter.

2)- Le gallicanisme politique et juridique

A l’occasion du concile de 1406, commence à s’imposer l’idée selon laquelle le pouvoir séculier peut, en certaines circonstances, imposer son contrôle sur la législation canonique avant même qu’elle ne soit appliquée en France : pcipe de la réception relevant de l’autorité séculière (représentée en l’occurrence par les parlements). Idée sous-jacente d’une hiérarchie des nomes subordonnant les décrétales pontificales à la législation conciliaire et aux canons de l’Eglise primitive.

Parallèlement à cela : développement d’une compétence législative royale en matière de discipline de l’Eglise de France : devient l’une des pierres angulaires du gallicanisme dès le début du XVè s. Aboutit à la Pragmatique Sanction de Bourges du 7 juillet 1438. Convocation par le roi Charles VII d’une assemblée qui réunit à Bourges des membres du clergé, des universitaires et des parlementaires tous acquis aux thèses gallicanes :

– proclame la supériorité du concile œcuménique sur le pape ;

– affirme le pcipe d’une périodicité obligatoire des conciles ;

– limitation des droits du Saint-Siège ds la nomination aux bénéfices situés en France, ds la fiscalité prélevée sur le clergé national et ds les possibilités d’appel devant les instances romaines.

Toutes ces décisions sont reprises par une ordonnance royale qui prend le nom de Pragmatique Sanction de Bourges et qui leur donne force exécutoire sur l’ensemble du territoire. Ainsi le roi se trouvait investi de la mission d’organiser l’Eglise de France par voie d’ordonnance, en marge du pouvoir pontifical. La PSB se heurta cepdt à d’importantes oppositions au sein même du clergé de France, et fut finalement abrogée en 1467. Question des rapports triangulaires entre le clergé, la monarchie et la papauté ne fut finalement réglé qu’au cours du XVIè s.

Le gallicanisme, néanmoins, avait pris son vrai visage : supériorité du concile sur le pape, union étroite entre le roi et l’Eglise de France, indépendance du roi au temporel face au Saint Siège, soustraction de l’Eglise de France par rapport au pape chaque fois que certaines libertés et franchises étaient menacées, capacité reconnue au roi d’intervenir pour examiner la législation pontificale destinée à l’Eglise de France et de légiférer, directement, en particulier en matière de discipline ecclésiastique.

Par-delà ce contrôle de plus en plus étroit que faisait peser le pouvoir sur l’Eglise, c’était la position même du roi de France en son royaume qui se trouvait renforcée, alors que s’était affirmée depuis quelques décennies déjà le principe de la permanence de l’Etat.

§ III- L’évolution vers un droit commun coutumier (XVIè-XVIIIè s.)

Amorcée par la réformation des coutumes qui intervint dès la 2nde moitié du XVIè s. (A), elle fut surtout encouragée par le développement d’une réflexion doctrinale originale qui s’épanouit pdt les 2 derniers siècles de l’AR (B).

A- Le mouvement de réformation

Le XVIè s. fut une période de modernité et de mutations culturelles, sociales, économiques, politiques. Assez rapidement, les 1ères rédactions de coutumes apparurent insuffisantes ; parfois effectuées trop vite, sans réflexion, elles firent l’objet d’une critique constructive de la part des commentateurs qui comparèrent leurs dispositions au droit commun et à la jurisprudence des plts et déplorèrent lacunes et contradictions. Charles Du Moulin (1500-1566) dénonça notamment l’hétérogénéité des coutumiers, et préconisa la formation d’un droit coutumier commun à toute la France qui s’inspirerait principalement de la coutume de Paris dont il assura un commentaire abondant.

Ainsi, pour adapter le droit aux nouvelles données socio culturelles, pour combler les carences et tenter une cohérence, le pouvoir royal fit procéder à la réformation des principales coutumes françaises entre 1555 et 1581 en utilisant la même procédure que pour leur rédaction.

Mouvt répondant largement à l’attente des juristes du temps et de l’opinion. Il fut surtout réalisé ds l’immense ressort du plt de Paris et fut en partie l’œuvre d’un seul homme : Christofle de Thou, 1er président du plt désigné comme commissaire royal. Humaniste et juriste de qualité, en même temps qu’homme modéré, il chercha surtout à harmoniser, à écarter les coutumes déraisonnables en essayant de faire adopter des solutions tirées de la jurisprudence du plt de Paris, ss pour autant dédaigner les règles d’origine romaine. Aboutit ainsi à une relative unification d’une partie du droit français sur la base du droit parisien : Réforme de la coutume de Paris (1580) fit passe le nombre de ses articles de 120 à 372. Pareillement, réforme de la coutume de Bretagne par Bertrand d’Argentré (1580).

Tendance générale à l’actualisation et à la clarification également perceptible ds d’autres pays d’Europe comme les PB. S’achève avec le XVIè s : on ne révisa guère les coutumes aux XVIIè et XVIIIè s. et seules qques rares rédactions furent entreprises au XVIIIè s. D’une manière générale, les textes réformés du XVIè s restèrent en vigueur jusqu’à la fin du l’AR. En effet, au XVIIIè s. la monarchie freina les nouvelles rédactions ou réformations qui auraient remis en vigueur des coutumes archaïques auxquelles la loi du roi aurait pu se substituer sans douleur. Il arriva d’ailleurs que le roi réglât par voie législative les difficultés inhérentes à certains articles totalement inadaptés. La souveraineté juridique du monarque s’en trouvait ainsi ponctuellement renforcée.

Au XVIIIè, le mot d’ordre n’est plus à la réformation des coutumes, mais plutôt à l’élaboration d’un droit commun coutumier.

b- Les tendances à l’unification du droit

Imptce jouée par la coutume de Paris ds ce mouvt : appelée de ses vœux par Dumoulin, sa réforme fut l’œuvre de de Thou qui en supprima les dispositions locales, en modéra les rigueurs, en romanisa l’esprit et en assura une certaine rationalisation : volonté de mettre en accord les articles de droit et les arrêts du plt. C’est pourquoi ds tt le ressort de celui ci (1/3 de la superficie du royaume) on reconnut la coutume de Paris comme modèle. D’autres provinces s’en inspirèrent ouvertement, voire l’adoptèrent purement et simplement . L’autorité royale l’imposa par ailleurs au Canada et ds les Antilles.

Ainsi, aux XVIIè-XVIIIè s., par l’effet de la centralisation, la coutume de Paris affirma sa prépondérance et devint l’expression d’une sorte de droit commun coutumier en formation.

Tdce allant ds le sens de ce que désirait l’opinion publique, comme en témoignent plusieurs cahiers de doléances du XVIè s. qui réclamèrent aussi bien la codification des ordonnances royales que celle des coutumes. Toutefois, c’est au sein de l’école doctrinale française que le commentaire comparatif et scientifique des différentes coutumes fit le plus progresser l’idée d’unification du droit.

Antoine Loysel (1536-1617), avocat, publia en 1607 un ouvrage intitulé de manière significative les Institutes coutumières où il entendait « réduire à la conformité d’une seule loi [les coutumes] plongées sous l’autorité d’un seul roi. ». Une fois encore, l’unification juridique devait parfaire l’unité politique. Recherchant l’esprit du droit coutumier traditionnel en remontant aux sources, il réduisait chaque institution juridique en principes élémentaires en les dégageant des divergences secondaires. La synthèse était alors formulée en maximes brèves qui firent bcp pour la formation d’une culture générale juridique du droit français.

Jean Domat (1625-1696) : représentant de l’école dogmatique : publia de 1689 à 1694 Les loix civiles ds leur ordre naturel, où il se proposait de donner un tableau d’une législation tant de droit public que de droit privé, conforme à la nature humaine et à la raison : 1ère synthèse juridique des Temps modernes, donnant au droit sa dimension scientifique et théorique.

Pothier (1699-1772) : après avoir été magistrat, consacra les 22 dernières années de sa vie à la Faculté des droits d’Orléans. Publia à partir de 1760 une longue série de courts traités, méthodiques et clairs, sur toutes les matières du droit français, en les comparante t rapprochant du droit romain. Exerça une influence décisive sur les rédacteurs du Code civil ?

Ds l’ensemble, à l’exception de Domat, droit français cristallisé à l’abri des tendances rationalistes qui prévalaient à la même époque aux PB ou en Allemagne. Volonté pragmatique de réaliser une synthèse réaliste des coutumes, du droit écrit et du contenu de certaines ordonnances royales. Cf. déclaration de Portalis : souhaite « conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire. » effort qui ne fut consacré qu’avec la nécessaire table rase opérée par la Rév. et la volonté politique manifestée par Bonaparte.

Introduction

1) Brève exégèse du titre

– il s’agit d’une introduction historique, c’est à dire d’un exercice qui n’aborde pas le fond actuel de la matière, mais qui se propose de mieux la faire comprendre en l’abordant dans sa dimension historique et chronologique. On le verra, ce point de vue diachronique est particulièrement pertinent s’agissant du droit anglais, puisque celui-ci est structurellement ancré dans l’histoire, dont il ne cesse de se nourrir pour avancer.

De façon à honorer cette dimension, nous avons fait le choix d’un plan à forte structuration chronologique.

– cette introduction historique porte sur les « systèmes juridiques européens ». Il convient en premier lieu de critiquer cette notion de « système » qui est surdéterminé d’un point de vue théorique (le droit comme « système » : cf. Kelsen, Troper, Teubner, etc.) et qui peut poser pb d’un point de vue historique (le droit apparaissant aux yeux des historiens beaucoup plus comme un champ de forces ou comme une dynamique instable que comme un système clos).

Pour autant, si l’on accepte de dépasser cette difficulté d’approche, cette expression fait référence à deux grands mondes juridiques :

  • le monde continental, dominé par le droit romano-germanique : c’est celui dans lequel s’est développé le droit français. Couvre tout le continent européen et l’Ecosse. Son émergence est due à la redécouverte du droit romain puis à la reconstruction de l’Etat : double influence des docteurs des universités et des légistes de cour. D’où un caractère savant, abstrait, centralisateur. Droit écrit, fixé dans la forme législative d’une parole d’autorité. La règle de droit y revêt préférentiellement la structure abstraite d’un impératif catégorique, impersonnel, visant la conformité à des règles de conduite déterminées : possède un caractère programmatique, qui s’épanouit particulièrement dans la codification.
  • Le monde anglo-saxon, qui a vu l’avènement de la common law au XIIè siècle. Historiquement parlant, la common law fut la plus précoce. Elle est liée à l’âge d’or de la monarchie judiciaire, à l’idéal du roi-juge. D’où l’importance spéciale qu’y revêtent les garanties juridictionnelles, la forme processuelle, le débat dialectique. Droit fondamentalement oral, parlé, débattu, construit sur un équilibre toujours à conquérir. Common law modelé par des juges qui avaient des pbs à résoudre et des jurys qui devaient faire apparaître collectivement la vérité. Règle de droit vise donc avant tout à donner une solution concrète à un procès, non à définir une norme à valeur générale. Appel constant au bon sens, à la congruence, à la raison. Pragmatisme de la démarche. Common law est d’ailleurs moins un système qu’une sorte de nébuleuse conglomérée au fil du temps.

2) Quelques mots sur la méthode : le comparatisme

Développement du droit comparé comme science = un phénomène relativement récent, qui ne remonte pas au delà du XIXème siècle. Pendant des siècles, science du droit s’est efforcée de dégager les principes et les solutions d’un droit juste, conforme à la volonté de Dieu, à la nature et à la raison. Elle était dissociée du droit positif.

En outre : idéal du jus commune hérité de la renaissance du droit romain.

Il faut attendre le XIXè, l’apparition des grandes disciplines académiques, les codifications, l’éclatement du jus commune, la montée des nationalismes pour que la notion d’un droit de valeur universelle tombe en discrédit et pour que l’opportunité puis la nécessité du comparatisme finisse par s’imposer.

Etude qui obéit, d’ailleurs, à une certaine actualité politique, celle de la construction européenne : réduction recherchée des différences. A l’histoire d’une diversité persistante, voire d’une concurrence agressive répond l’actualité d’un projet d’unification juridique. Le passé, déchiré, est assumé au nom d’un avenir rayonnant et serein où le droit se taille la part du lion, avec le libéralisme économique. Le droit apporte sa pierre à la construction à venir. Il n’est plus au service de souverainetés nationales rivales, comme il avait pu l’être au XIXème siècle. Il façonne l’unité européenne à coup de directives et de jugement de la CJE.

L’utilité du comparatisme n’est donc pas seulement heuristique et pédagogique. Elle est aussi politique.

Mais : difficultés du comparatisme :

  • suppose une connaissance suffisante des objets comparés
  • suppose une certaine neutralité axiologique : pas un droit meilleur qu’un autre.
  • En l’occurrence difficulté accentuée par le fait que e cours s’adresse à des débutants dans les deux droits et qu’au comparatisme spatial s’ajoute le comparatisme temporel (dimension historique) : il faudra donc procéder avec la plus grande prudence.

Plan de l’étude

Afin de répondre aux différents écueils présentés dans l’introduction (la nécessité d’une analyse sur la longue durée conjointe à une connaissance souvent insuffisante des familles de droit à étudier), le plan s’articule autour de deux grandes parties dédiées l’une à la famille de la common law, l’autre aux droits romano-germaniques.

Pour des raisons purement pédagogiques, c’est à l’intérieur de chacune de ces parties que se fera le séquençage chronologique puis que viendra prendre place la démarche comparatiste.

1ère partie. Le monde de la Common law.

Remedies precede rights

Introduction

Jusqu’au XIXè siècle, présence, en Angleterre, comme dans tous les pays d’Europe, d’une multiplicité de droits : droit canonique, droit romain, droit seigneurial, droit coutumier, droit des marchands.

Focus sur deux traditions juridiques :

  • le droit romain. Loin d’être totalement ignoré en Angleterre, le droit romain y fit l’objet, tout comme le continent européen, d’ailleurs, d’une double réception :
    1. aux XIIè-XIIIè siècles. Dès l’époque de la conquête normande, l’un des premiers gestes de Guillaume fut de faire venir à ses côtés le célèbre Lanfranc, juriste de l’école de Pavie, qui devint archevêque de Canterbury. Sur ce siège, Lanfranc exerça une certaine influence sur la législation établie par Guillaume, en facilitant, grâce à la méthode romaine, la transformation du droit antérieur, en assurant la transition entre les règles anglo-saxonnes et la création du droit nouveau. Les successeurs et disciples de Lanfranc sur le siège de l’archevêché de Canterbury (primatie d’Angleterre), Anselme puis Théobald, maintinrent la tradition romaniste. Théobald appela même en Angleterre Vacarius, le premier professeur et le réel fondateur de l’étude du droit romain et du droit canonique dans ce pays. On sait que Vacarius enseigna notamment à Canterbury et qu’il fut à l’origine directe de la tradition de l’enseignement universitaire du droit romain en Angleterre.

A l’époque de Glanvil (fin XIIè), le droit romain avait engendré des règles, inspiré des comparaisons, suggéré des réformes qui eurent une influence notable sur le droit anglais. Mais par dessus tout, il a fourni une méthode de raisonnement approprié aux matières juridiques et assuré la diffusion d’un langage technique bien distinct de celui de la common law.

Le représentant le plus brillant de ce courant romaniste = le grand juriste Henry de Bracton (cf. infra).

A noter également que les tribunaux ecclésiastiques usèrent constamment du droit romain, sous sa forme canonique, tout au moins jusqu’au XVIès siècle.

  1. La réception du XVIè siècle. Du XIIIè au XVIè, la common law n’a cessé de s’affirmer, dominant exclusivement les cours de Westminster. Toutefois, deux changements majeurs intervinrent au XVIè siècle, provoquant de fait une seconde renaissance du droit romain :
    1. La réforme de l’Eglise d’Angleterre porta un coup mortel au droit canonique, qui cessa d’être enseigné. Pour éviter que les études de civil law ne succombassent du même coup, deux chaires royales furent à Oxford et Cambridge : titre de Regius professor. La couronne avait en effet tout intérêt à conserver l’étude du droit civil dans le cadre des universités, car il permettait de trancher de nombreuses questions diplomatiques et commerciales qui mettaient les représentants du droit en contact direct avec les juristes romanistes du continent. En outre, les Tudors avaient un intérêt politique à favoriser un droit romain à forte dominante absolutiste.
    2. 2ème circonstance favorable : la crise de la Common Law au XVIè siècle, en raison de son hyper formalisme et de son archaïsme : baisse importante du nombre d’affaires traitées par le cours de Westminster et développement concomitant de la juridiciton d’Equity et d’autres juridictions spéciales (star chamber) non soumises à la CL.

Au total, le droit romain n’a jamais cessé d’être enseigné et pratiqué en Angleterre depuis le XIIè siècle, mais il y a joué un rôle secondaire, cantonné à certain segments de la vie juridique.

  • L’incorporation de la law merchant. La consuetudo mercatorum s’est développée sur le continent au cours du MA, grâce aux juridictions dites « consulaires ». Elle fut également reçue précocement outre Manche sous le vocable de Ley merchande ou law merchant dans les cours spécialement affectées à la connaissance des litiges commerciaux :
    1. Cours des portes et des villes (Londres, Newcastle, Bristol…)
    2. Cour des piepoudrés (foires)
    3. Cours des villes désignées come places d’entrepôts
    4. Juridictions arbitrales diverses organisées par les guildes

Peu à peu, la centralisation de l’organisation judiciaire anglaise entraina la disparition des petits tribunaux au profit d’un prétoire unique : la cour de l’Amirauté, qui tirait ses origines d’une juridiction disciplinaire de la flotte royale. Elle se tenait à Londres et sa compétence ne cessa de croître : connut, à partir de la fin XVIè, de l’ensemble du droit commercial, tel qu’il avait été développé d’après les principes du civil law. Triomphe de la cour de l’Amirauté au XVIIè fut de courte durée :

  • sur la compétence : concurrence victorieuse des cours de CL
  • sur le fond du droit, intégration progressive du droit commercial par la CL. D’abord traité comme une coutume spécifique et donc donnant lieu à l’audition d’experts, puis, considéré comme une simple branche de la CL dès la fin du XVIIIè : process inverse de celui qui s’observe en France à partir de Colbert, qui tend à une singularisation du droit commercial par rapport au droit civil.

Pour autant, malgré la persistance de droits plus ou moins irréductibles à la CL, le trait marquant de l’histoire et de l’identité juridique anglaise : la common law. C’est sur elle que nous allons donc, fort logiquement, concentrer toute notre attention.

D’abord un bref point de vocabulaire :

Common law : vocable intraduisible en français, « droit commun » ayant un sens différent et « loi commune » ne renvoyant à rien de juridiquement précis. Le genre de cette expression est variable selon les auteurs (féminin ou masculin).

L’expression « commune ley » se rencontre dès le XIIIè siècle, traduisant bien la prise de conscience d’une spécificité juridique : commune ley distincte du droit canonique, des coutumes locales, de la ley merchande, du civil law. Le vocable aurait été choisi à l’imitation des canonistes qui opposaient le jus commune (droit général de l’Eglise) aux consuetudines qui faisaient obstacle à l’unité du droit de la chrétienté.

Polysémie du terme :

  • un sens large : droit non écrit, par opposition au droit écrit (statute law)
  • un sens étroit, plus spécifique : coutume générale du royaume élaborée par les cours royales depuis le XIIè siècle : remarquable continuité du droit.

A ce point de la réflexion, il convient sans doute de s’interroger sur les causes de l’émergence précoce et de la cristallisation rapide de la CL, alors que les royaumes du continent européen étaient encore en proie aux divisions féodales et à l’hyper dispersion du droit.

A noter, d’ailleurs, le caractère très idéologique du sujet. Ainsi, très longtemps, « les Anglais ont été persuadés de l’antiquité immémoriale de leur système juridique : pour John Fortescue (juriste du XVè siècle), la CL d’Angleterre est fondée sur le plus ancien et vénérable corpus de coutumes existant dans le monde. L’Angleterre ea été gouvernée par les Bretons , les Romains, par les Bretons encore, les Saxons, par les Danois, par les Saxons à nouveau et finalement par les Normands. Mais ces coutumes sont les mêmes, eles n’ont jamais été changées par les conquérants : pourquoi changer ce qui reste meilleur ? On trouve l’écho distant de ce tableau flatteur dans les écrits de Sir Edward Coke et de sir Jon Davies (juristes du XVIIè). Le récent réexamen des sources par Paul Brand montre que le grand changement se situe sous Henri II ».

3 causes principales sont identifiables :

Causes structurelles de l’émergence de la CL :

  • La faiblesse de la romanisation.

Occupation partielle de la grande ile par les Romains, pratiquement toujours restés au sud du mur d’Hadrien (cf. Cartes).

La Bretagne romaine Hadrian's wallHadrian's wall reconstitution

En outre, romanisation demeurée superficielle, limitée à la plaine et aux villes. Caractère fondamentalement militaire de l’occupation. La plupart des vestiges sont de caractère militaire.

Christianisation également superficielle, ne résista pas aux invasions germaniques. Elément celtique pas étouffé comme en Gaule et a gardé une importance fondamentale dans l’histoire sociale et politique du pays.

Entre 410 et 450, les Romains évacuent la Bretagne, pour défendre le continent : cœur de la romanité. Ile livrée aux infiltrations de peuplades diverses : Celtes (Pictes d’Ecosse, Scots d’Irlande), populations germaniques : Angles, Jutes, Frisons, Saxons venus de Germanie et du littoral gaulois. Après avoir progressé lentement, l’expansion prend une forme active dès la seconde moitié du VIème siècle, se répandant d’Est en ouest et marginalisant les Bretons en Cornouailles et dans le pays de Galles, voire en Armorique, où beaucoup émigrent au cours du VIème siècle. Invasions sans doute assez brutales, qui vont se traduire dans un premier temps par un certain chaos, puis, à partir du VIème siècle, par une organisation politique à plusieurs royaumes : c’est l’heptarchie anglo-saxonne. Intensité des luttes politiques entre les royaumes.

Culturellement, cette situation peut être illustrée par une singularité linguistique. « La fortune du latin ne fut longtemps pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul dès le Xème siècle à développer une littérature et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire. Les traductions des grands textes voulues par Alfred le Grand, les œuvres religieuses d’Aelfric et de Wulfstan, les différentes versions de l’Anglo-saxon chronicle régulièrement mise à jour, une épopée comme Beowulf et la rédaction de nombreuses chartes offrent, entre le IXè et le XIè siècle, un éventail de textes vernaculaires d’une richesse et d’une variété sans égales dans le reste de l’Occident. Mais la conquête normande a tout changé : reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné. ».

  • La précocité du self government :

C’est un héritage du passé celte, mais sans doute aussi de l’administration anglo saxonne. Sur la plan social en effet, la domination anglo-saxonne s’est traduite par une importante classe d’hommes libres, à la fois cultivateurs et guerriers, qui ont pris possession des anciens villages bretons et en ont adopté les pratiques collectives et les règlements.

L’administration est centrée autour du village (township), qui constitue l’unité fiscale et légale de base, puis l’unité paroissiale avec la christianisation. Celle-ci fut tardive et n’intervint pas avant la fin du VIème siècle, avec l’envoi en mission d’Augustin par le pape Grégoire en 597 : il en subsista toujours une proximité particulière avec le siège romain. L’Eglise anglaise ne fut structurée qu’au VIIème siècle par Théodore de Tarse (669-690), autour des deux sièges principaux de Canterbury (siège primatial) et d’York.

Toujours sur la plan administration, au dessus du township, on trouve la centaine (hundred), sorte d’équivalent saxon du pagus carolingien. Il s’agit d’un district judiciaire, où toutes les 4 semaine se tient une cour pour juger les criminels. L’apparition des justices seigneuriales et l’organisation des tribunaux royaux en affaiblit l’importance, sans jamais faire disparaître la cour de centaine.

Au dessus de la centaine : le shire, que les Normands appelleront « comté ». Il s’agit d’un cadre territorial plus vaste. Apparu initialement dans le oryaume anglo-saxon du Wessex, s’est propagé dans les autres royaumes en raison de son utilité pour le gouvernement monarchique. Formation de 39 comtés qui existent encore. Deux fois par an s’y réunissait une cour de justice. La direction du shire était assurée par un chef de guerre, l’ealdorman et par un fonctionnaire, chargé de percevoir les revenus du roi (en particulier le danegeld : cf. infra) : le sheriff.

heptarchie anglo saxonne Casque de parade de Sutton hoo (reconstitution)

3) Une cause conjoncturelle majeure : la conquête normande

La conquête normande de l’Angleterre est l’invasion du royaume d’Angleterre par le duc de Normandie Guillaume le Conquérant, qui a culminé avec la bataille d’Hastings en 1066 et qui s’est traduite par l’appropriation de ce territoire par les Normands.

Loin de se limiter à la seule année 1066, elle se prolonge pendant près de cinq ans, jusqu’en 1070. C’est un événement capital dans l’histoire du Moyen Âge pour plusieurs raisons. Elle a pour conséquence première la réunion du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre L’élite anglo-saxonne, vaincue, disparut au profit d’une autre, venue du continent. Les conquérants apportèrent leur langue et leur culture. Détaché de l’influence de la Scandinavie, le pays sera dorénavant beaucoup plus étroitement lié à l’Europe continentale. Surtout, 1066 prépare la montée en puissance de l’Angleterre qui bientôt intégrera le cercle des monarchies les plus puissantes d’Europe.

Origines : une conquête mûrement préparée

Les liens entre Angleterre et Normandie précèdent largement la conquête de 1066. Longtemps commerciaux, ils se renforcent autour de l’an 1000. Deux traités sont conclus. Les Normands jurent notamment de ne pas soutenir les Vikings qui depuis plusieurs dizaines d’années intensifient leurs raids sur l’Angleterre. En 1002, le roi anglo-saxon Æthelred II épouse Emma, la sœur du duc de Normandie Richard II. Les attaques vikings contre l’Angleterre prennent une telle ampleur qu’en 1013, Ethelred et ses deux fils fuient leur royaume et se réfugient en Normandie. Richard II accueille les exilés. Outre-Manche, le Viking Knut II de Danemark monte sur le trône (1016). Ce n’est qu’en 1042 que le fils aîné d’Ethelred, Édouard le Confesseur, fortement normanisé, peut retourner en Angleterre pour régner. Pendant ce règne : noyautage méticuleux de la cour d’Angleterre par des ecclésiastiques et des nobles normands.

La mort d’Édouard, en 1066, sans enfant ni héritier direct au trône, crée un vide institutionnel que tentent d’occuper trois partis concurrents :

  • Le premier est Harald Hardraada le Norvégien, lié par le sang à la famille anglo-saxonne.
  • Le second est Guillaume le Bâtard, que le défunt aurait désigné comme héritier.
  • Le troisième est un puissant aristocrate anglo-saxon du nom de Harold Godwinson, élu roi à la manière anglo-saxonne traditionnelle par le Witan

Apprenant que Harold est monté sur le trône, Guillaume convoque les principaux barons normands et les convainc de se lancer à la conquête du royaume, avec l’aide du pape Alexandre II, qui transmet au duc de Normandie son propre étendard. En moins de dix mois, il parvient à rassembler dans l’estuaire de la Dives une flotte d’invasion d’environ 600 navires et une armée estimée à 7 000 hommes.

Ces préparatifs comprennent également d’importantes négociations diplomatiques. Il s’agit de se trouver d’abord des alliés.

Il s’agit notamment d’éviter que les principautés voisines (Bretagne, Flandre, Anjou, etc.) ne profitent de la campagne pour s’emparer de la Normandie. En outre, Guillaume désigne de grands vassaux : Roger de Beaumont, Lanfranc, Roger II de Montgomery pour gouverner le duché en son absence. Beaucoup de soldats dans son armée sont des puînés auxquels le droit d’aînesse laisse peu de chance d’hériter d’un fief. Guillaume leur promet, s’ils se joignent à lui en apportant leur propre cheval, une armure et des armes, qu’il les récompensera avec des terres et des titres dans son nouveau royaume.

 tapisserie de Bayeux

Une conquête rapide

La bataille de Stamford bridge

Retardée quelques semaines par des vents défavorables et des conditions météorologiques contraires, l’armée normande attend dans la baie de Saint-Valery-sur-Somme le moment propice pour embarquer tandis que le sort de l’Angleterre continue à se jouer dans le nord de l’Angleterre envahi en septembre par le roi norvégien Harald Hardraada qui conquiert York le 20 septembre et trouve des alliés (Morcar de Northumbrie, les Écossais, etc.). Harold II d’Angleterre, dont les forces sont réunies à la va-vite, marche néanmoins vers le nord et, le 25 septembre, surprend les Vikings à la bataille de Stamford Bridge. C’est une victoire pour le roi anglo-saxon. Le roi norvégien y meurt.

Hastings

Poussée par un vent enfin favorable, l’armada normande débarque entre temps dans la baie de Pevensey (Sussex) le 28 septembre 1066 quelques jours à peine après la victoire d’Harold sur les Norvégiens. Cette conjonction s’avère cruciale : l’armée d’Harold déjà épuisée par les combats contre Harald doit traverser à marches forcées toute l’Angleterre du Nord au Sud et se battre contre un ennemi reposé et qui a eu le temps de se retrancher. Guillaume ne tarde pas à prendre pour base la bourgade voisine de Hastings où il met sur pied un château de terre et de bois. Le choix du Sussex comme lieu de débarquement est une provocation directe pour Harold car cette région était son domaine personnel. Guillaume commence immédiatement à ravager la terre ce qui incite peut-être Harold à répondre dans la précipitation au lieu d’attendre des renforts de Londres.

La rencontre entre les deux armées a lieu le 14 octobre, à Hastings. Lors de cette bataille, la cavalerie normande enfonce les lignes anglo-saxonnes. Harold trouve la mort et l’armée anglo-saxonne s’enfuit.

Couronnement

Après sa victoire à Hastings, Guillaume se dirige vers Londres, en passant par le Kent.

Il y recevra la soumission de Stigand, l’archevêque de Cantorbéry. Le reste des nobles saxons s’étant rendus à lui, il est proclamé roi d’Angleterre fin octobre et couronné le 25 décembre 1066 à l’abbaye de Westminster.

Carte de la conquete normande

Les conséquences de la conquête

1) les conséquences sociales.

Une fois l’Angleterre conquise, les Normands eurent à faire face à un certain nombre de défis pour conserver le contrôle du pays. Les normannophones étaient, par comparaison avec la population anglaise autochtone, en nombre extrêmement limité. Les historiens estiment leurs effectifs à 5 000 chevaliers en armure.

NB : L’Angleterre appartient au roi par droit de conquête (on y renviendra). Transfert massif des terres au détriment du groupe important des propriétaires libres qui existaient dans l’Angleterre saxonne. Dépossession générale

L’écrasement des anglo-saxons. Les seigneurs anglo-saxons étaient accoutumés à être entièrement indépendants, contrairement au système de gouvernement centralisé des Normands qui déplaisait aux Anglo-Saxons. Les révoltes commencèrent presque immédiatement dès le couronnement de Guillaume, mené par des membres de la famille de Harold ou des nobles anglo-saxons mécontents.

Guillaume relève ces défis de plusieurs manières.

  • Les nouveaux seigneurs normands construisent divers forts et châteaux tels que les mottes féodales afin de fournir un lieu retranché contre les soulèvements populaires (ou les attaques, de plus en plus rares, des Vikings) et pour dominer la ville et la campagne environnante.
  • Tout seigneur anglo-saxon refusant de reconnaître la légitimité de Guillaume au trône ou révoltant fut sommairement dépouillé des titres et des terres qui sont redistribuées aux favoris normands de Guillaume.
  • Tout seigneur anglo-saxon mort sans succession était toujours remplacé par un successeur normand.

C’est ainsi que les Normands éliminèrent l’aristocratie autochtone et prirent le contrôle des échelons supérieurs du pouvoir.

Le maintien de l’unité et de la loyauté des seigneurs normands était tout aussi important, toute friction pouvant donner aux autochtones anglophones une chance facile de division afin de vaincre la minorité normannophone. Guillaume a accompli ceci en accordant des terres morcelées. Un fief normand typique était éparpillé un peu partout en Angleterre et en Normandie. Ainsi, un seigneur essayant de se séparer du roi ne pouvait, à n’importe quel moment, défendre qu’un nombre restreint de ses fiefs. Ce système, qui s’est avéré constituer une force de dissuasion très efficace contre les rébellions éventuelles, a permis de conserver la fidélité de la noblesse normande au roi.

Une autre conséquence directe de l’invasion est la disparition quasi totale de l’aristocratie anglo-saxonne, tant militaire qu’ecclésiastique. Guillaume ayant confisqué les terres des rebelles pour les donner à ses défenseurs normands, il ne reste plus, au moment de l’établissement du Domesday Book, que deux propriétaires fonciers anglais d’importance à avoir survécu aux purges. En 1096, tous les évêchés sont passés aux mains des Normands. Dans le courant du xiie siècle, l’assimilation progressa. À tel point que certains descendants de conquérants normands se considéraient principalement comme des Anglais.

Domesday_Book_-_Warwickshire Domesday-Book

Aucune autre conquête dans l’Europe du Moyen Âge n’a eu de conséquences aussi désastreuses pour la classe régnante vaincue. Le prestige de Guillaume parmi ses partisans a reçu une prodigieuse impulsion due à sa capacité à leur attribuer à faible coût de vastes terres. Ses récompenses ont également servi à affirmer son propre pouvoir, chaque nouveau seigneur étant soumis à l’obligation de construire un château et de soumettre les autochtones. La conquête a donc été un système en renouvellement perpétuel.

2) Les conséquences culturelles.

Les conquérants apportèrent leur langue, donnant naissance à l’anglo-normand, évinçant l’anglo-saxon d’origine germanique dans les classes dirigeantes. Jouissant du statut de langue de prestige pendant près de trois siècles, l’anglo-normand eut une influence significative sur l’anglais moderne. C’est à cause de ce premier afflux principal des langues latines ou romanes dans la langue parlée prédominante en Angleterre, que celle-ci a commencé à perdre beaucoup de son vocabulaire germanique et scandinave, bien qu’elle ait, dans nombre de cas, maintenu la structure de la phrase germanique. Ainsi le mot anglais cat (provient de « cat » en normand, « chat » en français), de même que war (« werre » en normand, « guerre » en français) ou garden (« gardin » en normand, « jardin » en français)…

3) Les conséquences politiques : création de la monarchie anglo normande, sur les deux rives de la Manche.

Une interprétation de la conquête consiste à affirmer que la conquête de l’Angleterre en a fait un désert économique et culturel sur près d’un siècle et demi. Peu de rois d’Angleterre résidèrent réellement pour une durée significative en Angleterre, préférant leur patrie normande et se concentrer sur leurs possessions françaises plus lucratives. En effet, quatre mois après la bataille d’Hastings, Guillaume a laissé la charge de l’Angleterre à son demi-frère tandis qu’il retournait en Normandie. Le pays est resté une annexe sans importance des terres normandes et plus tard des fiefs angevins d’Henri II.

À l’inverse, une autre interprétation affirme que les rois normands ont négligé leurs territoires continentaux où ils devaient, en théorie, fidélité aux rois de France, afin de consolider leur puissance dans leur nouveau royaume souverain d’Angleterre. Les ressources investies dans la construction de cathédrales, de châteaux et dans l’administration du nouveau royaume aurait détourné l’énergie et la concentration nécessitée par la défense de la Normandie. De même, les barons auraient progressivement négligé leurs terres normandes pour développer leur patrimoine anglais, souvent plus important et plus riche.

La perte du contrôle de la Normandie continentale a divisé les familles dont les membres durent choisir entre la loyauté et la conservation de leurs terres.

Au total : conquête normande a profondément changé le modèle de l’Angleterre, en y introduisant un nouveau modèle socio-politique, dominé par la figure royale, une unification territoriale précoce et une très forte structuration de l’aristocratie. C’est dans ce contexte qu’est née la common law : fruit de la recomposition politique consécutive de la conquête.

Paradoxe de la CL : née d’un projet politique de domination (chapitre 1), est devenue, dès le XIIIè siècle, un outil d’affranchissement (chapitre 2).

Pour autant, la CL ne suffit pas à elle seul à résumer toute la richesse du système anglais : existent à ses côtés d’autres droits (l’Equity, la loi), dont il conviendra de préciser le fonctionnement et les contenus (chapitre 3).

chapitre I : L’émergence d’un droit national.

La common law

L’apparition de la CL est tout sauf un hasard historique. C’est très directement le fruit de la conquête normande et d’un projet royal de domination politique et judiciaire. Il importe donc de préciser en premier lieu quelles furent les conditions d’émergence de cette singularité juridique (section II) avant, de détailler les principaux caractères revêtus par les innovations royales en matière juridictionnelle (section II).

Section I- Des conditions socio-politiques exceptionnelles

§I- La forte structuration de la société politique anglaise

Guillaume le conquérant a structuré lui-même l’aristocratie militaire et seigneuriale, en répartissant entre ses membres les terres conquises. De lui date la structuration en deux niveaux de l’aristocratie en « barons » (ce sont les « tenants en chef » et en « chevaliers », qui sont à l’origine de la future gentry.

A noter que le cordon ombilical entre le roi et la classe seigneuriale est toujours resté fort : des institutions aussi fondamentales, pour la structuration de cette classe que la chevalerie d’une part et l’organisation du parlement de l’autre le prouvent

Ensuite, l’ensemble des relations entre ces hommes ainsi que tout ce qui a trait à la détention de la terre est absorbé par les tribunaux royaux et le droit qu’ils pratiquent : la CL. Au total : alliance entre le roi et son aristocratie qui perdurera jusqu’aux Stuarts.

A- Les chevaliers et la gentry

Fluidité de ce groupe : ne s’est jamais mué en ordre, mais est resté ouvert et fluide, favorisant ainsi un dynamisme ascendant au sein de la classe seigneuriale et un brassage rapide avec d’autres groupes sociaux.

Les chevaliers continentaux installés par le Conquérant étaient peut être 4 à 5000. Leur niveau social était contrasté :

  • certains disposaient d’un bloc de domaines équivalent à 5 hides (environ 250 ha) et donc des revenus nécessaires à leur équipement : petite noblesse
  • d’autres, avec un ou deux hides, restaient dépendants de leur seigneur pour leur équipement ou leur subsistance : soldats professionnels.

Début XIIIè siècle, les choses ont changé :

  • les knights du premier groupe se sont détachés de la maison de leur seigneur, qui a du mal à obtenir leur présence.
  • Le second groupe a disparu e s’est fondu dans les couches supérieures de la paysannerie libre

L’évolution des structures sociales et économiques a altéré la situation de la classe chevaleresque, qui commence à se muer en gentry, et les rapports respectifs de ce groupe, et de la haute aristocratie avec la monarchie se transforment : augmentation rapide du prix de l’équipement réduit le nombre des chevaliers. Certains, qui disposent des revenus suffisants, refusent la chevalerie et ses contraintes : cascade d’obligations militaires et administratives imposées par le roi : bcp de chevaliers préfèrent rester écuyer (esquire) ou simples gentlemen : 1250 chevaliers seulement en 1310, quand ils auraient du être 3000.

Dans la société du comté, les knights restent au 1er rang de ceux qui assurent les nombreuses missions imposées par l’adm. Royale : juges, sheriffs, etc. . Un petit groupe de knights et d’esquires monopolisent ces positions : si la gentry est ouverte et mobile, les détenteurs d’offices locaux forment en son sein une élite relativement stable et fermée.

La gentry est donc étroitement associée à l’exercice du pouvoir royal. Roi a besoin de connaître son opinion : convocation de ses représentants, d’abord isolément puis dans le cadre des parlements. L’adhésion de la gentry fait le succès des réformateurs en 1258, de Simon de Montfort en 1263-1264, et du Lord Edouard en 1265. La collaboration administrative entre pouvoir et gentry = l’un des canaux par lesquels chemine le dialogue entre prince et élites sociales.

B- La noblesse des barons

100 à 200 familles maximum, dont le nombre n’a cessé de décliner au XIIIè. s. Cette noblesse stricto sensu comprend les magnats et les barons, deux catégories distinctes au XIIIè siècle qui se mêlent ensuite. .

1) Les historiens réservent le terme de « magnats » à la noblesse titrée (earls, comtes, et, à partir du règne de Richard II, ducs, marquis et vicomtes). Au total, une quinzaine de titres et de familles. En général, 12 à 15 earls seulement sont en activité aux côtés du roi et dominent le reste de l’aristocratie.

S’ils sont peu nombreux, leurs revenus et leurs terres les mettent largement au dessus des autres nobles.

2) Les barons sont les autres tenants en chef du roi, qui les convoque individuellement par un writ à leur nom au conseil puis au parlement : en raison de leur statut féodal et parce qu’il ne peut se dispenser de l’avis de ces vassaux importants.

La convocation au parlement modifie donc la nature de la noblesse anglaise : magnats et barons, désormais « lords » se fondent dans une noblesse distinguée par sa participation à ce qui bientôt s’appelle la chambre des lords : la redéfinition de la noblesse par l’adjonction au groupe restreint des magnats de celui des barons au sein de l’ensemble plus large des pairs parlementaires = un résultat de l’action de la monarchie.

L’hérédité féodale est la règle chez les magnats, le fils ainé héritant seul du titre et de la noblesse. Dans la seconde moitie du XIVè siècle, l’hérédité des lors s’impose à son tour. Quand un lord meurt, son fils ainé est automatiquement convoqué au plt.

Mais rôle déterminant de la fortune : il faut un certain niveau de revenu pour être lord. La famille qui a acquis cette fortune est tôt ou tard promue, et le roi ne peut créer un lord pauvre. Le roi suit donc avec attention l’évolution de la fortune foncière des membres de la noblesse. La mécanique féodale des wards est particulièrement efficace : quand l’héritier d’un tenant en chef est mineur, il devient le pupille (Ward) du roi, qui peut donc gérer à son profit ses domaines et lui donner un conjoint à sa convenance. Nombreuses alliances avec la famille royale : alors qu’en France les princes des fleurs de lys forment un groupe à part, la famille royale anglaise se mêle étroitement, par ses alliances, au reste de l’aristo.

Forte compétition entre famille et réduction continue du nombre de familles.

Importance du service de la couronne : chanceliers, trésoriers. Le roi compte sur ses lords pour exercer un rôle dirigeant au niveau régional : mission de good lordship et de maintien de l’ordre qui ne prendra fin qu’avec les Tudors et les Stuarts, désireux, pour leur part, de court-circuiter un pouvoir noble jugé trop dangereux.

NB : mobilité sociale plus forte qu’en France. Est principalement activée par le service du roi.

C- Les stratégies de contrôle et de transmission des terres

Angleterre = terre de conquête. Tout terre est fief et donc la transmission du fief conditionna la reproduction sociale et les stratégies familiales : le tenant d’un fief ne peut disposer librement de son héritage (car c’est la contrepartie du service militaire dû au roi). Coutume prévoit :

  • transmission de la terre et des titres par primogéniture mâle
  • à défaut, terres partagées à égalité entre les filles
  • aliénation interdite par le roi en 1256
  • sous inféodation interdite par statut de 1290 (Quia emptores)

En réalité, aristo anglaise soumis plus que toute autre à son seigneur unique : le roi, seigneur suprême de tous ces fiefs. Importance de la pratique du Ward

Bastard feudalism :

  • relations entre seigneur (lord) et vassaux deviennent étroitement contractuelles. L’argent remplace la terre.
  • Le fief cesse d’être un élément déterminant

Contrôle direct ou indirect de l’Etat

Développement de la CL et des tribunaux royaux, à partir du XIIIè s offre aux membres de la société aristocratique une série d’instruments qui leur permet de disposer de leurs biens et d’obtenir de solides garanties contre toute tentative d’usurpation. La tenure en fief se rapproche ainsi de la propriété pure et simple.

  • L’entail, décrite dans le statut de Westminster II (1285) : permet de transmettre une terre et de régler sa transmission aux générations suivantes. L’objectif est de permettre la dotation des branches cadettes, tout en garantissant un retour à la branche principale à défaut d’hériter mâle (même mécanisme que l’apanage). Consiste à remettre au roi les terres tenues de lui en fee simple pour les recevoir de nouveau en fee tail, par exemple en tail male, assurant la transmission aux seuls mâles, la terre revenant au donateur ou à ses descendants directs à défaut de fils. L’un des avantages de l’entail, dans les luttes politiques des XIVè-XVè siècles est de garantir contre les confiscations : l’entail équivaut en effet à une donation. Le donateur continue à avoir l’usufruit du bien, mais une fois l’entail constituée, elle n’est plus modifiable, et le donateur ne peut plus disposer de son bien. On ne peut davantage le lui confisquer. Cela peut d’ailleurs devenir un inconvénient, par ailleurs en cas de remariage, lorsque tous les biens sont bloqués sur la descendance du premier lit par entail. Un âtre système se développe donc parallèlement : celui des uses.
  • Les uses sont une fiction juridique. Un homme (le cestui que use ou feoffor) donne ses biens à des hommes de confiance (feoffes). Les feoffes sont les vrais propriétaires aux yeux de la CL. Mais ils doivent tenir les terres à l’use du feoffor sa vie durant et les transmettre selon les volontés exprimées dans son dernier testament. Les feoffees sont tenus de respecter les volontés du donateur. S’ils ne le font pas, sont jugés en équité par la cour de chancellerie, jugeant en droit romain. Comme l’entail, les uses garantissent contre les confiscations. Mais dans ce cas, la liberté du testateur reste entière jusqu’au bout. Très large recours aux uses à partir de la fin XIIIè: deviennent une méthode privilégiée d’intervention sur les marché de la terre.

Pour prospérer, il faut combiner judicieusement ces différents instruments, tout en s’assurant, par le biais des feoffees et le choix des alliances matrimoniales, les soutiens locaux et nationaux permettant de soutenir la fortune d’un lignage. Les protections politiques du bastard feudalism sont ici déterminantes.

§II- La puissance de la monarchie britannique

Aperçu historique sur le règne des Plantagenets.

Le règne de Henri II (1155-1189). Ce roi n’est pas un Normand. Sa mère, Mathilde, descendait des anciens rois saxons. Son père était Angevin et lui-même est né au Mans. C’est un prince cosmopolite, subtil entreprenant et ambitieux. Peu de souverains furent aussi puissants pendant le Moyen âge

L’Angleterre n’est qu’une faible partie de ses domaines. Il l’agrandit par l’annexion de l’Irlande, conquise par l’aventurier Richard Strongbow; il oblige Alexandre d’Ecosse à se reconnaître son homme-lige. Ses guerres avec Louis VII le Jeune, premier époux de sa femme Aliénor d’Aquitaine, et les révoltes de ses fils ont mêlé étroitement son histoire à celle de la France

Enfin, sa querelle dramatique avec Thomas Becket est comme un écho attardé de la querelle des investitures.

Son gouvernement est une monarchie fiscale. L’échiquier d’Angleterre, dont le trésorier Richard Fitz-Neal expliqua le mécanisme dans son fameux Dialogus de Scaccario, devient l’organe essentiel de l’Etat.

L’ordre le plus minutieux est introduit dans l’administration des revenus royaux. On est frappé d’étonnement quand on examine dans le détail le jeu de ces rouages si compliqués en apparence, si simples en réalité. Quand ce roi maltôtier monta sur le trône le revenu royal n’était que de 22.000 livres sterling. Il le releva rapidement en reprenant les provinces du Nord perdues pendant les guerres civiles, du règne précédent. Il lève, sous le nom de scutage, un impôt de guerre sur tous les fiefs dont les titulaires ne se présentent pas à l’armée. Il peut ainsi équiper des armées mercenaires. Les comtes se révoltent, le roi écrase l’insurrection en 1174.

Par les assises de Northampton (1176), il divise le territoire anglais en six circonscriptions ou circuits dont chacun est assigné à trois juges qui vont de comté en comté rendre la justice. Ce sept les itinérant justices, et cette organisation subsiste encore dans ses traits essentiels. Ranulf Glanville, justicier d’Angleterre, écrit le Liber de legibus Angliae, dans lequel il codifie les coutumes saxonnes et les lois normandes. Dans la dernière année du règne, le revenu régulier de la couronne monte à 48.000 livres sterling.

Richard Coeur de Lion,  Jean sans Terre et Henri III.

Dur, brutal, fourbe et prodigue, Richard Coeur de Lion mérite peu la réputation chevaleresque que lui ont faite ses malheurs mérités. C’est le moins Anglais des rois du Moyen âge. S’il fut rançonné assez durement par l’empereur d’Allemagne, à son retour de la croisade, il avait commencé par rançonner les ministres de son père et les siens propres. Ce fut lui qui imagina de se faire fabriquer un nouveau sceau et d’obliger tous ses sujets de faire sceller de nouveau leurs chartes, en payant, cela s’entend. Les Anglais se soumirent sans révolte à ses exigences. Ils payèrent sa rançon, payèrent à trois reprises le scutage. Tant à la fin qu’en 1198, le roi demandant de nouvelles sommes pour sa guerre en Normandie, les évêques refusèrent formellement de payer. Richard fit alors ingénieusement lever une nouvelle taxe foncière à laquelle il soumit tout le monde, sans coup férir.

Jean sans Terre (11991216) avait été le favori de son père Henri II et de sa mère. Il se fit élire roi au détriment de son neveu Arthur de Bretagne. Il s’empare du jeune prince et le fait disparaître; a-t-il été cité pour ce fait devant la cour des Pairs, par le roi Philippe-Auguste; il perdit la Normandie et l’Anjou en 1203, le Maine et la Touraine en 1204, une grande partie du Poitou l’année suivante.

Philippe-Auguste fut aidé, il est vrai, par la trahison, il le fut aussi par la force des choses. L’Angleterre se lassait de payer des armées pour garder des territoires d’où venaient sans cesse à la cour des intrus qu’il fallait pourvoir.

La mort de l’archevêque de Canterbury en 1205, l’élection presque simultanée de deux rivaux et I’intervention d’Innocent III mettent aux prises le roi et le pape. Jean résiste énergiquement aux prétentions pontificales. Le royaume est mis en interdit, et, par une curieuse tentative, le roi organise un véritable schisme. Pendant cinq ans (12081213) l’Eglise anglicane est séparée en fait de l’Eglise romaine

Mais Innocent III donne à Philippe-Auguste la mission de conquérir l’Angleterre. Jean, menacé d’une croisade française, trahi par une partie de sa noblesse, fait sa soumission et se déclare vassal de Rome. Il prend l’offensive contre le roi de France et descend en Poitou, tandis que son allié, Othon IV, envahit la Flandre. La bataille de Bouvines (1214) rompt cette coalition. A son retour en Angleterre, Jean est attaqué par ses vassaux révoltés. Il est forcé de signer la Grande charte (Magna carta libertatum) dans la plaine de Runnimede, près de Windsor (15 juin 1215).

Cet acte est, sans contredit, un des plus importants de l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre. Les rois précédents avaient, sans doute, à plusieurs reprises, accordé à leurs sujets des chartes garantissant les antiques libertés anglaises; mais aucun de ces documents n’avait l’ampleur et la précision de la grande charte. Les circonstances mêmes dans lesquelles le roi avait été contraint de la signer en faisaient un traité de paix solennel entre la royauté et la nation. Ce traité de paix ne fut pas exécuté. Les barons restèrent en armes, et appelèrent Louis le Lion, fils aîné de Philippe-Auguste. Malgré cette intervention Jean sans Terre maintint son autorité dans la plus grande partie de son royaume, parvint à ramener ses ennemis dans Londres, et fit une grande expédition dans le Nord où se trouvaient les domaines de ses principaux adversaires. ll mourut dans cette expédition (octobre 1216).

Son fils, Henri III, avait neuf ans. Il eut un règne aussi long que troublé (12161272). Dans son enfance, ses ministres et ses tuteurs, qui réussissent à chasser les Français de Londres, ne peuvent se mettre d’accord. Les légats du pape draînent une partie des ressources du royaume au profit de la cour de Rome.

Devenu majeur (1227), le jeune roi, par son despotisme incohérent et sa diplomatie aventureuse, se rend odieux à tout le monde. On lui reproche de s’entourer de Français et de Poitevins. L’Angleterre se lasse d’être traitée par les Latins en pays conquis. Louis IX, provoqué par Henri III, envahit le Poitou et gagne les victoires de Saintes et de Taillebourg. Ces défaites que ne compensent pas de médiocres chevauchées dans le pays de Galles, encouragent les barons à revendiquer l’exécution de la charte. Ils forment des parlements et mettent à leur tête Simon de Montfort, comte de Leicester, beau Frère de Henri III. Le Parlement d’Oxford (1258) réclame l’institution d’une régence. La bataille de Lewes fait tomber le roi entre les mains des rebelles et Simon de Montfort, régent du royaume, appelle à lui les chevaliers des comtés et les représentants des villes (janvier 1265). Il est battu et tué à Evesham, ses partisans sont traqués dans l’Angleterre.

– Les dernières années de la vieillesse du roi Henri ont aussi été ensanglantées par des proscriptions, des assassinats; le bon plaisir et les exactions du roi et du légat contrastent avec la sage administration de Louis IX. Et cependant, malgré ces secousses et ces convulsions, l’Angleterre ne cesse de grandir. Elle commencé à exploiter les mines quasi-inépuisables de son territoire. Sa marine marchande entretient plus de relations avec la Normandie et la Gascogne que du temps de Henri II. La richesse matérielle s’accroît. Les défaillances sont passagères, les progrès sont constants et définitifs.

La période de la guerre de Cent ans

Le siècle des trois Edouard (12721377) est un siècle de transition. L’unité de la nation anglaise s’achève : la guerre de Cent ans s’amorce.

Edouard ler (roi : 1272-1307), qui avait, le premier des fils de rois anglais, porté le titre de prince de Galles était en Terre-Sainte quand son père mourut. Il ne revint prendre possession de la couronne qu’en 1274. La tranquillité de l’Angleterre pendant l’interrègne atteste la force nouvelle du principe de l’hérédité. Edouard ler fut un prince guerrier et législateur. Il a achevé la conquête du pays de Galles (12771283); imposé son arbitrage aux deux rivaux qui se disputent la couronne d’Ecosse, Bruce et Bailliol. Son protégé, Jean Bailliol, se tourne contre lui. Edouard envahit I’Ecosse, conquiert Berwick, gagne la grande victoire de Dunbar (1295) et prend pour lui la couronne. Mais il fait en même temps la guerre au roi de France en Gascogne et dans les Flandres.

Sa noblesse lui refuse le service militaire hors du royaume. Sir William Wallace soulève les Ecossais, chasse les garnisons anglaises (Stirling, 1279). La France a trouvé un allié dont la fidélité sera séculaire. En vain Edouard, par la victoire de Falkirk et après plusieurs expéditions, reprend possession de tout le royaume et fait subir à Wallace la mort des traîtres; Robert Bruce se révolte. Son frère Edouard, ses deux lieutenants Randolph et Douglas, l’aident à faire aux Anglais une guerre d’embuscades qui devient atroce. Edouard Ier lègue à son fils la tache ardue de réduire l’Ecosse ou de la désarmer.

Le règne d’Edouard ler offre certaines ressemblances avec celui de Philippe IV au point de vue religieux. Comme son voisin et son ennemi, il entreprend de mettre un terme aux empiétements du clergé. Comme lui, il s’appuie sur la nation pour résister à l’Eglise.

Edouard Ier est le véritable créateur du parlement anglais, qui devient, sous son règne, la réunion des trois ordres clergé, noblesse et communes. Le parlement qui se rassembla à Westminster, le 20 novembre 1295, peut être regardé comme le parlement modèle. Les deux Chambres, haute et basse, sont constituées définitivement. L’organisation judiciaire prend, sous son règne, la forme qu’elle a à peu près gardée jusqu’à l’époque contemporaine. La cour de la chancellerie (court of chancery), la cour des Common pleas, celle du banc du roi (king’s Bench) et celle de l’échiquier se partagent les procès. La charge de grand-justicier est abolie; à sa place sont créés les chiefs-justices dont la liste s’est prolongée sans interruption jusqu’à l’époque contemporaine. Le roi et ses principaux ministres fondent à Oxford et à Cambridge des collèges qui florissent encore. Enfin, l’armée et la marine sont réorganisées. L’amirauté anglaise date aussi d’Edouard Ier. Toutes ces créations sont d’autant plus remarquables qu’Edouard était d’instinct un prince absolu; c’est par un effort continu de volonté qu’il s’astreignit lui-même à développer les institutions de son royaume en suivant la tradition. L’histoire détaillée de ce règne est fort dramatique à cause de cette lutte continuelle entre la passion et la raison.

Edouard II (13071321) est faible, couard, cruel; il n’a d’énergie que pour défendre ou venger ses favoris. L’indépendance de l’Ecosse est assurée par la victoire de Robert Bruce à Bannockburn (1314). La scandaleuse faveur du Gascon Gaveston, puis des deux Despensers, père et fils, soulève le mécontentement de toutes les classes de la nation. Le parlement de 1327 dépose Edouard II, qui est remplacé par son fils Edouard III et assassiné dans sa prison d’une manière atroce. C’est la reine Isabelle de France, fille de Philippe V, et son favori Mortimer, qui avaient fait tuer Edouard II. Ils gouvernent quelques années au nom du jeune Edouard III. Mais celui-ci se délivre de cette infâme tutelle, fait périr Mortimer, enferme Isabelle dans un couvent (1330).

Aussitôt libre, Edouard se tourne contre l’Ecosse, lui impose Edouard Balliol, le jeune roi David se retire à la cour de France et les Anglais expérimentent sur les Ecossais la supériorité de leur armement et de leur discipline. L’intervention du roi de France Philippe VI dans les affaires d’Ecosse, les intrigues des Flamands entraînent Edouard et l’Angleterre dans la guerre de Cent ans.

Au moment où commence cette période, désastreuse surtout pour la France, l’Angleterre, couverte de villes populeuses et commerçantes, admirablement cultivée, est arrivée au terme de la grande lutte pour les chartes et les libertés. Elle a son parlement régulièrement convoqué par le roi, dès qu’une grosse dépense est nécessaire. Les classes commerçantes regorgent de richesses, dans les campagnes vivent à côté des nobles opulents de riches fermiers qui fournissent de laine les filatures de Flandre.

La Guerre de cent ans, côté anglais.

En France, on s’est habitué à considérer la longue série de guerres soutenues par les rois de France contre les rois anglais, depuis Philippe VI de Valois jusqu’à Charles VII, comme une seule et désastreuse crise de la seule histoire française. Si l’on se place au point de vue anglais, elle apparaît sous un autre jour. Ce n’est pas une guerre unique, mais deux grandes guerres d’un caractère bien différent et séparées par un long intervalle. La première occupe la seconde et la troisième partie du règne d’Edouard III. La seconde comprend le règne de Henri V et le commencement du règne de Henri VI. Dans l’intervalle de ces deux périodes d’expansion extérieure l’Angleterre est agitée par des guerres civiles et religieuses qui attestent la profonde révolution accomplie en cinquante ans.

Edouard III remporte sur la flotte française la bataille de l’Ecluse (1340), prend le titre de roi de France, bat à Crécy (1345) son rival Philippe VI, et s’empare de Calais, cependant que sa femme Philippa de Hainaut, restée en Angleterre, arrêtait une invasion de David Bruce et faisait prisonnier cet allié de la France. La grande supériorité des armées anglaises consistait dans la forte organisation de leur infanterie composée d’archers fournis par les comtés de l’Ouest. L’incapacité militaire de la chevalerie française est prouvée une fois de plus par la défaite du roi Jean II, à Poitiers (1356). Tandis que le roi de France est envoyé prisonnier à Londres et que les provinces françaises du Nord sont désolées par la Jacquerie, les Anglais s’emparent de l’ancien domaine des Plantagenets, et le traité de Brétigny (1360) reconstitue la principauté d’Aquitaine, avec le droit reconnu à Edouard de l’ériger en royaume. Jusqu’à ce moment les Anglais ont toujours pris l’offensive. La guerre est dynastique en ce sens qu’Edouard III revendique la couronne de France; elle est populaire, en ce sens que les Anglais y apportent une passion farouche et font un énorme butin. Le traité marque le point culminant de la grandeur anglaise pendant cette première période. L’Ecosse, mise à feu et à sang par Édouard, dans cette expédition qu’on appela la Chandeleur brûlée (Burned Candlemas), paraissait définitivement domptée. La Bretagne était, par le traité de Guérande, laissée au comte de Montfort, protégé de l’Angleterre. Le prestige du nom anglais était énorme. Mais le prince de Galles, nommé gouverneur d’Aquitaine, se laisse entraîner à une guerre en Espagne, au profit du roi Pierre le Cruel, détrôné par Du Guesclin (1365-1360).

Les dépenses de cette guerre contraignent le prince anglais à lever de lourdes taxes sur les provinces de son gouvernement. Le mécontentement, excité par les manoeuvres habiles de Charles V, devient universel. Le prince Noir brûle Limoges révoltée (1370); mais les Français reprennent l’offensive et adoptent une nouvelle tactique; refusant toute bataille rangée, ils font aux Anglais une guerre d’escarmouches et de surprises qui les démoralise complètement. Le prince de Galles, épuisé et mourant, retourne en Angleterre. Du Guesclin et ses compagnons, en dépit des invasions de Knolles et de Lancastre (1374), reprennent une à une les forteresses d’Aquitaine.

L’irritation est profonde en Angleterre. Le Bon Parlement d’avril 1376 oblige le roi à se séparer de l’aimable Alice Perrers dont il subissait aveuglément l’influence. Le ministre Latimer est décrété d’accusation. Le Parlement décide même la question de successibilité à la couronne. L’Angleterre n’a pas seulement perdu ses possessions du continent, sauf quelques villes, elle a presque totalement perdu l’Irlande, et le brigandage sévit même dans le royaume. Il faut renouveler le statut de Winchester de 1285 qui ordonnait d’abattre arbres et buissons sur une bande de 200 pieds de chaque côté des routes. L’Angleterre souffre autant que la France des ravages des grandes compagnies.

Le règne de Richard II est aussi désastreux que celui de Charles VI. Wycliffe prêche des doctrines qui sont condamnées par la cour de Rome, mais protégées par le gouverment. Wat Tyler soulève les misérables du comté de Kent et s’empare de Londres. On ne peut se débarrasser de lui que par trahison. C’est la première explosion, en Angleterre, des haines sociales. La réaction s’étendit aux partisans de Wycliffe, les Lollards, qui sont persécutés.

Devenu majeur, Richard gouverne si mal que le parlement lui impose une commission à peu près analogue au gouvernement des Marmousets en France, à la même époque. Le Parlement Admirable (Wonderful Parliament) condamne les partisans du roi (1388) et oblige Richard à prendre un conseil dont il se débarrasse dès qu’il peut. Après la mort de la bonne reine Anne il épouse Isabelle de France (1396) et se débarrasse par trahison des chefs de l’opposition. Sa tyrannie provoque la révolte du duc Henri de Lancastre, son cousin, qui débarque à Ravenspur (juillet 1399), s’empare du roi, l’oblige à abdiquer et l’enferme au château de Pontefra. Richard y mourut quelques mois après (février 1400).

L’avènement de Henri de Lancastre (13991413) était une menace à l’adresse de la France; mais les difficultés intérieures furent telles que ce roi fut contraint de différer ses projets d’invasion. Il avait été élu régulièrement par le parlement; mais il fut considéré néanmoins comme ayant usurpé la couronne non seulement sur le roi Richard, mais encore sur ses cousins de la Marche et d’York; aussi des révoltes éclatent sur tous les points de l’île : le Gallois Owen GIyndwer, les Percy, les Mortimer, au Nord, se soulèvent, l’Écosse invente un faux Richard II. La bataille de Shrewsbury (1407) affermit la maison de Lancastre sur le trône, Percy est tué, et, pour faire diversion aux haines nationales, Henri IV songea à intervenir en France entre Armagnacs et Bourguignons. Il est en coquetterie réglée avec les deux partis, surtout avec celui de Bourgogne. Ses projets passent avec sa couronne à son fils aîné.

Henri V de Lancastre n’a régné que neuf ans (14131422). Ce temps lui a suffi pour se classer parmi les grands conquérants. Energique, orthodoxe, il écrase une nouvelle insurrection du Nord, extermine les Lollards et réclame la couronne de France. Il s’empare de Harfleur le 25 octobre 1515, par la victoire d’Azincourt, gagnée sur les Armagnacs, par la prise de Caen (1417), de Rouen (1419), devient maître de la Normandie. L’assassinat de Jean sans Peur, à Montereau, lui donne tout le royaume. Le traité de Troyes (21 mai 1421) lui donne, avec la main de Catherine de France, la succession de Charles VI.

Mais il meurt quelques années avant le vieux roi dément, laissant un fils âgé de quelques semaines. Il faut scinder le conseil de régence. Humfroi de Gloucester gouverne l’Angleterre tandis que le duc de Bedford fait face, en France, au roi de Bourges.

Cette division du pouvoir affaiblit les forces anglaises juste au moment où se réveille en France le sentiment national. Les troupes de Jeanne d’Arc délivrent Orléans (1429), Charles VII est couronné dans Reims. La prise, le procès, l’exécution de la Pucelle, le couronnement à Paris du jeune Henri VI ne rendent pas la supériorité aux armes anglaises. Charles VII se réconcilie avec les Bourguignons (1435), rentre à Paris l’année suivante. La supériorité d’armement, de tactique et de direction passe du côté de la France. Gloucester resté seul, après la mort de Bedford, se brouille avec le cardinal de Beaufort, ce qui permet aux Français d’enlever la Gascogne (1442). Henri VI épouse Marguerite d’Anjou et renonce à presque toutes les provinces françaises pour obtenir une trêve. Mais la guerre recommence en 1448, les Français s’emparent de Rouen, reprennent Bordeaux révolté.  La victoire de Castillon (1453) termine la guerre de Cent ans.

La même année, Henri VI devenait fou et la naissance d’un prince de Galles, exaspérant l’ambition déçue du duc d’York, donnait le signal de la guerre des Deux Roses. Pendant ce long siècle de luttes extérieures et de luttes intestines, l’esprit politique de l’Angleterre et sa condition sociale avaient subi de profondes transformations. Les levées incessantes avaient épuisé la forte classe des hommes libres. Les gains immenses des expéditions en France avaient enrichi outre mesure les grands seigneurs et les bourgeois des villes. Une nouvelle féodalité s’était constituée, belliqueuse, oppressive et sanguinaire. L’Angleterre était mûre pour la guerre civile. De toutes ses conquêtes elle ne gardait plus sur le continent que la seule ville de Calais.

La guerre des Deux Roses

La maison de Lancastre descendait de Jean de Gand, troisième fils d’Edouard III. Lorsque Henri IV avait déposé Richard II, la couronne, d’après les lois de succession, aurait dû être donnée au comte de la Marche, descendant de Lionel de Clarence, second fils du même Edouard. Après les défaites de la guerre de Cent ans, Richard d’York, descendant par sa mère, Anne Mortimer, de Lionel de Clarence, revendiqua les droits de sa succession. Il commence par se faire proclamer protecteur du royaume pendant la folie de Henri VI, fait arrêter et exécuter le favori du roi et de la reine Marguerite, Somerset (1454). Revenu à la santé, Henri VI essaie de secouer la tutelle, mais, à la bataille de Saint-Albans, il est fait prisonnier (1455). Ce fut la première bataille de la guerre des Deux Roses. Les partisans d’York prennent pour emblème une rose blanche, ceux de Lancastre arborent la rose rouge. Le vrai chef de la faction d’York est d’abord le duc d’York lui-même, puis Warwick, le faiseur de rois.

La cause de Lancastre est soutenue avec une énergie désespérée par la Française Marguerite d’Anjou. Vaincu à Ludlow (1459) et forcé de s’enfuir à Calais, York reprend l’offensive, gagne la victoire de Northampton et se fait proclamer héritier présomptif; à la bataille de Wakefield il est écrasé par le nombre, tombe mort sur le champ de bataille; sa tête tranchée est exposée avec une couronne en papier à la porte de sa ville ducale. Mais son fils Edouard, comte de la Marche, est vainqueur à la Croix de Mortimer (1461); entré dans Londres, Henri VI est déposé. La bataille de Towton l’oblige à se réfugier en Écosse et le parlement, fidèle au parti victorieux, proclame Edouard IV roi d’Angleterre. Le mariage romanesque de ce jeune prince avec Elisabeth Wydeville irrite Warwick qui conspire avec le duc de Clarence, frère d’Édouard, se réconcilie avec Marguerite au traité d’Angers (1470).

Edouard IV est forcé à son tour de se réfugier en Hollande. Le duc de Bourgogne lui donne le moyen de retourner dans ses Etats. Edouard débarque à Ravenspur comme avait fait Henri de Lancastre; Clarence revient à son frère, Warwick est tué à Barnet et la grande bataille de Tewksbury anéantit les dernières ressources de la Rose rouge. Le jeune prince de Galles, fait prisonnier, est égorgé par l’immonde Richard, duc de Gloucester. Henri VI est assassiné dans la tour de Londres.

Edouard IV règne sans contestation mais non sans trouble jusqu’à sa mort (1483). Edouard est proclamé roi, mais Richard de Gloucester, nommé tuteur des jeunes princes et protecteur du royaume, se débarrasse d’abord des parents de la reine-mère, fait tuer lord Hastings, enferme ses pupilles à la Tour et les fait déclarer bâtards. Une tourbe ameutée par ses agents l’acclame roi. Il accepte la couronne et le parlement le reconnaît. Mais la tyrannie de Richard III est si odieuse que son complice Buckingham se révolte contre lui, et qu’un nouveau rival réclame le trône, Henri Tudor, duc de Richmond, descendant, par sa mère Marguerite, du premier duc de Lancastre. Buckingham est tué et Richmond se réfugie en France. Anne de Beaujeu lui donne des secours et, le 22 août 1485, à la bataille de Bosworth, il bat et tue Richard III.

L’avènement de Henri Tudor met fin à la guerre des Deux-Roses. Il épouse Elisabeth, fille d’Édouard IV, et réunit ainsi les droits des deux maisons rivales. La longue série de batailles, de secousses dynastiques, avait trop  profondément ébranlé l’Angleterre pour que le besoin de repos ne fût impérieusement ressenti. La noblesse avait été décimée, le parlement déshonoré par ses palinodies et ses rares protestations ne rencontraient pas d’écho. La situation des classes agricoles, ruinées par les ravages des gens de guerre, était devenue légalement une véritable servitude. Des statuts du parlement avaient interdit aux ouvriers agricoles de quitter leur comté. L’habitude de l’illégalité et des juridictions exceptionnelles avait été prise. La torture, inconnue à l’ancienne loi anglaise, s’était sournoisement introduite dans les mœurs judiciaires.

Par delà les péripéties de la conjoncture historique, plusieurs éléments contribuant au renforcement précoce de l’emprise étatique doivent être relevés.

Concourent à a formation d’une nouvelle structure politique, qualifiée d’ « Etat moderne » (travaux de Jean-Philippe Genet) ou de « féodalisme d’Etat ». A la différence du féodalisme seigneurial, où l’autorité publique se répartit au sein des classes dominantes de sorte que le prélèvement peut tout entier être assuré par le maître éminent de la terre et par ses hommes dans le cadre de la seigneurie, dans le féodalisme d’Etat, on assiste, sur fond de reconcentration de l’autorité publique, à l’apparition d’un prélèvement d’Etat, à côté du prélèvement seigneurial et domanial, qui, s’il persiste, perd peu à peu de son importance.

Même si ce phénomène s’opère dans la connivence entre l’Etat et les classes dirigeantes, un pas immense est franchi par le recours à la fiscalité d’Etat : impose progressivement un dialogue (B. Guenée) de plus en plus complexe entre le prince et une société qui se définit par là même comme une société politique. : avec des rythmes, des spécificités et des intensités diverses, ce phénomène est détectable dans tous les royaumes d’Occident.

La première transformation essentielle que l’on observe, particulièrement en Angleterre, est liée à la guerre.

A-    Le poids de la guerre

Si le prestige et l’Antiquité du titre de roi de France est indéniable, il a objectivement un rival depuis 1066 : concurrence qui connaît un premier pic en 1194-1214, puis un second pic à la fin du XIIIè avec les guerres entre Philippe e Bel et Edouard 1er. 2 champs d’affrontement :

  • l’Aquitaine : remise en cause incessante de la souveraineté anglaise par des appels des plus turbulents des sujets au plt de Paris
  • la Flandre travaillée par les luttes sociales et la vendetta nobiliaire des Avesnes et des Dampierre : or Edouard ne peut se désintéresser du principal débouché des laines anglaises, source de l’essentiel de ses revenus douaniers.

Ainsi se noue une étreinte fatale, aucun des deux souverains ne pouvant reculer : la guerre de 100 ans s’inscrit dans ce contexte géostratégique plus global.

Pour l’Angleterre, la guerre = une constante, du début général des hostilités, en 1294, à la bataille de Stoke en 1487 (dernier épisode de la guerre des 2 Roses) :

  • les guerres contre l’Ecosse (1296-1323, 1327-1328, 1332-1357, 1384-1389, 1400-1438, 1448, 1455-1464, 1482, 1513)
  • les expéditions en Irlande (1361, 1394, 1399)
  • les expéditions en Gascogne (1294-1298, 1324-1325)
  • les révoltes galloises (notamment dans les années 1401-1408)
  • tout cela se combine avec les divers épisodes de la guerre de Cent ans.
  • S’y ajoutent encore les fréquentes opérations militaires liées aux troubles civils dans le royaume

Les guerres = de véritables gouffres financiers (cf point suivant). Evolution profonde des armées anglaises après le milieu du XIIIè :

Les armées du premier XIIIè siècle sont un mélange d’armées féodales et de mercenaires : la levée féodale ne coute rien mais le service n’est que de 40j, et les levées sont peu dociles. Les rois leur préfèrent souvent l’appel à des mercenaires.

Edouard 1er opte pour une solution de compromis : il utilise le système de l’ost féodal, mais paie des soldes pour conserver la maitrise du processus. Invoque le principe général selon lequel tout homme libre doit défendre son pays. Son objectif est d’en trouver une traduction fiscale pour lever une armée de professionnels soldés qu’il commandera (d’ailleurs essentiellement dans l’aristocratie) : c’est ce modèle qui va s’imposer. Transition progressive.

Les archers sont le corps le plus important, mais les innovations tactiques restent timides et ce n’est qu’avec les guerres écossaises du début du règne d’Édouard III que les anglais maitrisent le combat combiné de la cavalerie et de l’infanterie.

Au final, la guerre est de plus en plus clairement identifiée comme une fonction de l’Etat, qui tend à en interdire son exercice en dehors de sa sphère d’action : c’est la thèse de M. Weber. La guerre a cessé d’être le moyen normal de régler les conflits entre les membres de l’aristocratie.

Le corollaire de cela c’est la limitation de ceux qui jouent un rôle militaire effectif, ce qui pose un pb d’identité à l’aristocratie militaire : d’où ne concurrence acharnée entre les groupes.

B-    Le dynamisme du prélèvement fiscal

Plusieurs particularités à souligner.

  • d’abord, Angleterre est par droit de conquête domaine du roi
  • ensuite : précocité du système fiscal anglais. En théorie, « il n’y a impôt, au sens moderne du terme que lorsque la puissance publique impose à ceux qu’elle régit une contribution d’un montant spécifique et reconnue comme légitime à la fois dans sa destination et dans sont exigence même. »Or, l’Angleterre offre une nouvelle particularité de ce point de vue car la pression viking a conduit la dynastie du Wessex à inventer le système des danegelds afin de disposer rapidement des sommes exorbitantes exigées par les chefs des flottes vikings pour prix de leur départ. Certaines traditions a administratives anglaises remontent à ce lointain passé. La capacité à quadriller l’espace pour mesurer les ressources et connaître ses structures d’exploitation dont dispose la monarchie normande à la fin du XIè siècle et dont le Domesday book est le témoignage saisissant est sans équivalent en Occident.

Le rendement du danegeld n’en a pas moins décliné à cause des exemptions accumulées avec le temps. Il rapporte à peine 3000 livres au XIIè siècle et Henri II finit par abandonner une redevance difficile à percevoir et peu rentable.

Pour l’essentiel, la fiscalité de la monarchie anglaise est jusqu’au XIIIè siècle féodale, dérivant du concept d’auxilium.

On ne peut cependant comprendre la fiscalité anglaise sans considérer dans son ensemble le pb administratif. Absents pendant la plus grande partie de leur règne, anxieux de disposer des hommes et de l’argent nécessaires à leur action sur le continent, rois normands et angevins profitent de la relative solidité des cadres territoriaux anglo-saxons pour y greffer avec succès des pratiques féodales normandes.

  • pratiques féodales : l’Angleterre est « normanisée », toute terre étant tenue en fief du roi.
  • Mais traditions anglo-saxonnes :
    • D’une part, le cadre uniforme des circonscriptions administratives (shires et hundreds), théâtres des activités publiques (justice, levées militaires et fiscales) qui incombent aux assemblées d’hommes libres.
    • D’autre part, le rôle du roi, garant de la paix intérieure et défenseur du pays contre l’envahisseur.

Ainsi, la féodalisation ne détruit pas le cadre national et le Conquérant ne distribue pas les fiefs sur une base régionale, mais réparti les terres de chacun sur plusieurs shires. Les barons agissent de même à l’égard de leurs plus puissants vassaux. La cour royale reste ainsi le centre national du pouvoir et devient la plus importante institution du royaume, où qu’elle soit : elle cesse d’être itinérante au XIIIè siècle. Jusque là, elle avait souvent été sur le continent, si bien que, cas exceptionnellement précoce en Europe, 2 départements sédentaires se sont développés en Angleterre :

  • le Trésor à Winchester
  • l’Echiquier à Westminster. L’Echiquier centralise les sommes dues au roi, notamment par les sheriffs responsables de la perception dans les comtés. L’Echiquier effectue les paiements royaux ; il a aussi des fonctions judiciaires.
  • La coordination de l’ensemble et la cohésion entre départements itinérants et sédentaires est assurée par le Justicier.

Pipe rolls pipe roll du milieu du XIIè

Même si la Household reste + longtemps itinérante, le groupe des king’s clerks souvent formé dans les nouvelles universités, a rapidement acquis sa cohésion : ils font de l’administration une bureaucratie qui recourt systématiquement à l’écrit, organise ses archives, affine ses procédures et sa gestion. Le roi dispose en Angleterre d’un appareil administratif certes restreint mais + précoce et + efficace que celui de ses concurrents.

Face aux contraintes permanentes des guerres, efforts pour trouver de nouvelles sources de revenus, en plus des prélèvements féodaux classiques et du vieux danegeld :

  • Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre essaient le carrucage (taxe sur le charruage), qui rapporte trop peu. Se tournent alors vers des taxes proportionnelles aux revenus et aux biens meubles, déjà expérimentées pour financer les croisades (1/4è, 1/7è, 1/13è, etc.). Le rendement d’un tel impôt est considérable mais pour l’imposer, le roi doit admettre le consentement formel de ses sujets, censés être représentés dans le Grand conseil (cf. infra) : cout politique élevé pour la couronne
  • Règne de Henri III est l’illustration de ce dernier point : s’est vu accorder 4 fois l’aide d’une telle taxe pour 6 refus, le conseil ou le parlement se montrant toujours soucieux de déterminer si le roi demandait bien cet argent pour les affaires du royaume ou pour les siennes propres : contrôle politique d’autant plus pbtique que rendement de la taxe très élevé (toutes taxes confondues, Ed. 1er aurait ainsi levé le ¼ de la masse monétaire en circulation en Angleterre entre 1294 et 1297). Or, les membres du plt ont généralement considéré que la reconquête des terres continentales des Plantagenêts et l’affaire de Sicile concernaient le roi, non le royaume. Au final, le rendement d’une telle taxe, s’il peut être très important, dépend avant tout de son acceptation sociale et politique.
  • Importance de la taxation indirecte : insularité de l’Angl favorise sont implantation précoce. Dès 1275, Édouard 1er institue, après négociation avec un syndicat de marchands, l’ancient custom, taxe de 6s et 8d par sac de laine. A l’origine, ces droits ne représentent pas plus de 10 000 livres/an mais ils forment le socle sur lequel s’appuie le roi pour emprunter au banquiers italiens des sommes importantes et immédiatement disponibles. En combinant les revenus dits « ordinaires » (domaine, justice, droits féodaux issus de la prérogative royale) ceux des douanes et les recettes extraordinaires (taxes sur les biens meubles accordées par le plt), l’Angleterre crée au XIIIè siècle (surtout en 1260 et 1297) un système fiscal équilibré dont l’efficacité sera encore améliorée au cours des siècles suivants.

Les niveaux de prélèvements sont difficiles à établir car documentation incomplète. Mais probable révolution fiscale des années 1280-1330, à la fois en termes de niveaux de taxation et en termes de structures. Il est vrai que la quantité d’argent disponible a été multipliée par 5 ou 6 pendant le XIII è. Au haut niveau des dépenses royales a donc correspondu un niveau élevé d’imposition. Maintenu pendant la 1ère ½ du XIVè siècle, il ne put l’être par la suite, si ce n’est pdt la brève période du règne d’Henri V. Après sa mort, le déclin se poursuit jusqu’à un effondrement qui correspond au règne de Henri VI.

Si les rois Yorkistes et Henri VII ont pub rétablir un bon fonctionnement des finances royales, le niveau d’imposition reste faible par rapport à ceux du XIVè siècle. Henri VII semble même s’être délibérément détourné du modèle « fiscal » au prix d’un non engagement dans les conflits continentaux.

Sous les règnes d’Henri VIII, Ed. VI et Mary Tudor, la part de la fiscalité directe augmente à nouveau, mais recommence à baisser sous Elizabeth. Le niveau général des revenus reste assez faible, à l’exception de la période 1530-1560 : les besoins du souverain ont brutalement augmenté lorsque l’Angleterre s’est trouvée en guerre à la fois contre l’Ecosse (1542) et contre la France (1543). Les dépenses sont alors essentiellement consacrées à la guerre (près de 56% des dépenses entre 1534 et 1547).

Eglise d’ailleurs fortement mise à contribution. A fourni le ¼ du revenu royal sous le règne d’Henri VIII.

Ce n’est que sous Elizabeth que reparait un certain équilibre, mais au prix de l’acceptation d’un niveau de revenu assez fable, interdisant les grandes aventures militaires.

2 conclusions majeures :

  • L’impôt direct, sous la forme d’une taxe sur les biens meubles, d’exceptionnel devient permanent, sinon régulier, même s’il ne fournit qu’une part des revenus de l’Etat. Taxation qui doit apparaître légitime dans son motif, dans ses modalités de perception comme dans son utilisation. Le consentement doit être aussi large et manifeste que possible : cf. corps de doctrines politiques et théoriques qui s’est développé sur le sujet de l’impôt en Occident. Si l’impôt est juste, il est contraire à la justice de ne pas le payer : théologiens et canonistes insisteront sans cesse sur ce point.

L’Angleterre est remarquable en ceci qu’elle s’est engagée précocement dans un processus d’institutionnalisation des procédures de consentement, ce qui suppose que 3 principes soient posés :

  • que l’autorité royales en matière fiscale s’étend à tous : le pb de savoir si le clergé est soumis à l’impôt est réglé dès la fin du règne d’Edouard 1er, même si l’argumentation pro et contra continue. Le roi d’Angleterre se pose efficacement en défenseur de son clergé et le pape ne peut espérer une levée que s’il a auparavant demandé (et obtenu) une autorisation royale. L’Eglise est donc partie prenante dans ce dialogue institutionnalisé.
  • Le roi lève l’impôt non pour satisfaire ses propres besoins, ce à quoi son domaine est censé suffire, mais ceux du royaume.
  • Enfin, il doit effectivement être en situation de nécessitas, sans autre moyen que les biens de ses sujets à sa disposition.
  • La seconde conclusion apparaît contradictoire avec la 1ere : les rois anglais empruntent, et leurs emprunts sont même intégrés aux procédures fiscales : le roi emprunte par anticipation ce qu’il remboursera sur les revenus des impôts directs et indirects.

Jusque vers 1340, ces emprunts ont été contractés auprès des grandes banques italiennes. A partir des années 1540, ils sont effectués sur le marché d’Anvers, avec de lourds intérêts.

Entre ces deux dates : emprunts contractés auprès des sujets du roi : qu’ils soient volontaires ou forcés : comme dans le cas de la taxation directe, la société politique rend son verdict par le crédit. Les mécanismes de taxation directe ont crée une structure de dialogue dans laquelle les autres formes d’imposition qui la complètent, y compris celles faites pour la tourner, s’intègrent. Finalement, c’est toujours la société politique qui décide.

§III- La précocité des mécanismes de représentation

A-    Du conseil féodal à l’assemblée représentative

Au XIIIè siècle, le plt n’est pas encore une institution bien définie : c’est un conseil élargi, spécialement convoqué et donc distinct du conseil royal, lui-même encore très informel siégeant in parliamento (terme apparu en janvier 1237) afin de discuter un pb politique et/ou adm. nécessitant un échange approfondi entre le gouvt et ceux qui disposent localement de pouvoir et d’influence. Le plt est donc une forme particulière de Grand Conseil.

Le texte de la magna carta, souvent republié ou relu dans des occasions solennelles, reste fondamental durant toute la période médiévale, ne révèle aucune principe fondateur : ses articles 12 et 14 sont strictement féodaux, précisent seulement les cas dans lesquels l’assentiment du conseil est requis :

Nul écuage ou aide ne sera établi dans notre royaume sans le consentement du commun conseil de notre royaume, à moins que ce ne soit pour le rachat [la rançon] de notre personne, pour armer notre fils aîné chevalier, ou pour le mariage de notre fille aînée, une fois seulement ; et dans tous ces cas, nous ne lèverons qu’une aide raisonnable ; il en sera de même pour les aides que nous lèverons sur la cité de Londres.

Et, pour avoir le commun conseil du royaume au sujet de l’établissement d’une aide, autrement que dans les trois cas susdits, ou au sujet de l’écuage, nous ferons semondre les archevêques, les évêques, les abbés, les comtes et les grands barons du royaume, individuellement par des lettres ; et, en outre, nous ferons semondre collectivement par nos shérifs et nos baillis, tous nos tenanciers en chef, au jour dit et au lieu dit, avec un délai de quarante jours au moins ; et, dans toutes les lettres de cette semonce, nous déclarerons la cause de la semonce. Et, la semonce étant ainsi faite, la question sera décidée, au jour fixé, selon le conseil de ceux qui se trouveront présents, quand même tous ceux qui auront été semons n’y seraient pas.

La composition du conseil est fondé sur une argumentation féodale, liant la présence à la détention d’un fiel tenu en chef du roi : l’universitas baronum représente la communauté du royaume à travers la structure féodale des vassaux et des arrière-vassaux.

Dans le siècle qui suit, les réunions se font plus nombreuses sans que la périodicité des réunions, souvent demandée, soit accordée, et la composition du conseil varie. NB : les chevaliers ne « représentent » que la cour de leur comté : logique qui reste féodale.

De 1258 à 1265 (épisode de Simon de Montfort), les réunions sont régulières, mais la périodicité ne survit pas à la chute de Montfort. Le dernier parlement de cette période « réformatrice » est cepdt le 1er plt « classique » :

  • siègent des magnats et prélats
  • des chevaliers représentant les comtés
  • des bourgeois représentant les villes.

NB : ces réunions sont fréquentes : de 1216 à 1307, 181 réunions du conseil élargi, 67 étant dites de plt. Composition variable. Magnats presque toujours là, parfois seuls (23 fois). Jusqu’à 1258, ils sont le plus souvent réunis avec les prélats. A l’occasion d’une réunion, d’autres groupes peuvent s’y adjoindre : juifs, barons des 5 ports….

DE 1265 à 1307, sur 90 assemblées, 10 utilisent la configuration classique de 1265, avec à partir de 1295 (« plt modèle ») des représentants du clergé diocésain qui disparaitront par la suite. A partir de 1295, en effet, la structure étendue du plt tend à devenir la norme. 2 raisons à cela.

1) Pendant la 1ère ½ du XIIIè siècle, 2 concepts de représentation coexistent, l’un féodal, l’autre administratif et juridique (cf. progrès décisifs du droit romain et du droit canonique pdt cette période).

– Le « commun » a ainsi longtemps désigné les barons. Les chevaliers qui représentent la cour de comté se contentent de véhiculer l’information, dans les deux sens, entre deux niveaux adm.

– à partir des années 1250 et notamment pdt la crise montfortiste et au début du règne d’Edouard 1er, le concept et la pratique de la représentation se transforment, complètement, notamment sous l’influence des droits savants : le célèbre quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari débet (discuté par les canonistes dès le XIIè) + droit des procurations.

Un nouvelle notion se fait jour : l’idée que ceux qui représentent une communauté jouissent de la plena potestas du droit romain : leurs propres actes ont le pouvoir d’engager leurs mandants, comme si ceux-ci agissaient en personne.

2) Importance de la préoccupation fiscale : c’est elle qui est à l’origine directe de cette transformation : engageant ceux qui les ont élus, les représentants interdisent toute contestation de l’impôt qu’ils ont accepté. Inversement, le souverain qui lèverait l’impôt dans les avoir consultés se heurterait à une hostilité renforcée : un véritable dialogue politique est ainsi fondé, plus large et mieux structuré que celui qu’autorisait le seul conseil, fut-il élargi, et ce d’autant plus que le rôle du plt ne se limite pas à la fiscalité. C’est à partir du règne d’Edouard 1er qu’affluent de toute l’Angleterre les pétitions dont discute le plt, c’est à partir de son règne que peu à peu la législation par statut devient l’apanage du plt.

B-    L’évolution du parlement à la fin du Moyen Age

Histoire du plt pas linéaire, contrairement à ce qu’ont longtemps soutenu les historiens anglais. Le XIVè est marqué par des avancées décisives :

  • création d’une procédure de négociation triangulaire entre roi, Lors et Communes
  • répartition des tâches et des procédures entre Lords et communes
  • apparition du Speaker des communes

Par contre, la législation des plts de la fin du MA a moins d’envergure : elle est de + en + dépendante des pétitions communes et des pétitions des Communes. A partir de la fin des guerres continentales (1453) et de la guerre des Deux Roses, le plt semble avoir perdu bcp de son utilité pour la monarchie. Le rythme de ses réunions se ralentit sensiblement sous Henri VII et au début du règne d’Henri VIII.

Ce qui a alors changé le cours de l’histoire du plt : la nécessité pour H. VIII de faire approuver sa politique religieuses par l’opinion publique nationale. 1529 marque ainsi un nouveau départ de l’institution pltaire, qui prendra un nouvel essor sous le règne d’Elizabeth.

A partir de 1530, apparaît l’idée que le plt n’est + une institution distincte du roi, la + haute cour de justice à laquelle il a recours quand besoin est mais que le roi en fait en quelque sorte partie intégrante : le plt est la + haute cour du royaume, son autorité suprême, parce qu’il est constitué de 3 états, le Roi, les Lors et les communes, représentant tous l’ensemble du corps politique du royaume : King in parliament = la souveraineté.

NB : si le problème d’une périodicité régulière des plts est fréquemment évoqué, la réflexion des réformateurs porte surtout sur sa composition. En effet, en dehors des sessions du plt, le conseil de la « communauté du royaume » ne cesse pas de parvenir au souverain, mais ceux qui le transmettent sont les membres de son conseil : les contemporains ont l’impression d’une certaine continuité entre les deux (nombreux lords membres du conseil du roi).

C-    Les membres du parlement

Composition du plt précisée par le Modus tenendi Parliamentum. Sans doute préparé pour le plt de juin 1321, il précise que doivent être rassemblés au plt :

  • tous les archev., évêques, et autres clercs qui sont tenants pour un comté ou une baronnie complète
  • tous les comptes et barons et leurs pairs, qui sont tenants pour un comté ou pour une baronnie. Il est de coutume qu’ils soient convoqués individuellement
  • Par ailleurs, des writs doivent être envoyés (au moins 40 jours avant la tenue du plt) :
    • aux barons des Cinque Ports[1] pour qu’ils fassent élire dans chaque port deux barons expérimenté
    • à tous les sheriffs d’Angleterre, pour que soient élus dans chaque comté deux chevaliers
    • au maire et aux sheriffs de Londres, au maire et aux baillis d’York et des autres cités pour que soient élus, dans chaque cité, deux citoyens
    • aux baillis et aux prud’hommes des bourgs deux bourgeois.

NB : chacun de ces groupes doit venir avec ses mandats de procureur, prouvant qu’ils engagent bien leurs pairs.

Description qui ne tient pas compte des évolutions : la présence du clergé diocésain est dé à en partie tombée en désuétude sous le règne d’Edouard II. Cela ne fit que renforcer la structure de base féodale du Plt, qui n’est pas une assemblée d’Etats. Ainsi, les membres du clergé ne sont pas là en tant que clercs mais en tant que barons. De fait, de nombreux évêques sont aussi membres du conseil royal, et leur présence s’explique surtout pour des raisons politiques.

Pour les membres élus :

  • les knights of the shire sont élus à la cour mensuelle du comté, où siègent tous les hommes libres, chevaliers, écuyers, et propriétaires possédant des terres d’un revenu suffisant. Le candidat doit être un chevalier, disposer de grandes propriétés, être un homme d’expérience, mais n’être ni juriste ni homme de loi.
  • Pour les villes, la situation est plus variée : les cinque ports ne posent guère de pb, si e n’est qu’ils sont 8. Quant aux boroughs et aux cités, il n’en existe pas de liste. En général, on considère que les cités renvoient à une dizaine de villes, possédant des institutions analogues à celles du shire pour pouvoir précéder à l’élection (Londres et York, puis Norwich, Lincoln, Bristol, Newcastle).
  • Pour les boroughs : liste variable. Le writ arrive au sheriff et c’est à lui de trouver une solution. Peu à peu, cepdt, la liste se stabilise et se réduit à environ 80-85 boroughs, mais en gros, d’une façon ou d’une autre, ce sont tjrs le maire et les aldermen qui désignent les élus. L’élu n’est pas forcément un bgeois, c’est souvent un gentleman voire un chevalier, recommandé au maire par le sheriff ou par le plus important des magnats locaux.

Les membres des communes sont donc, par leur mode de désignation même, des « hommes sous influence », sans parler des manipulations de procédure. Aussi manque-t-on souvent de candidats, d’autant que le séjour au plt coûte cher et est mal indemnisé. En outre le rôle principal dévolu aux Communes est de voter les impôts… Ainsi, en dépit des efforts des sheriffs, certains boroughs restent sans représentant.

Le point essentiel : celui des relations entre les membres des Communes et Lords d’une part et la couronne de l’autre. L’efficacité de l’intervention de la couronne dépend du contrôle qu’elle exerce sur les sheriffs. Interventions fréquentes des Lords dans la désignation des représentants des Communes.

Pourtant identité spécifique des Communes existe et est matérialisée par l’apparition du Speaker. A partir de 1376, chaque nouveau plt élit son Speaker, affirmant ainsi l’identité collective des Communes. Indépendance qui sera renforcée par une série de conflits avec la Couronne qui aboutiront progressivement à l reconnaissance de fait d’une immunité des membres des Communes leur garantissant la liberté de parole pendant les sessions du plt.

Remarque conclusive : La société politique, dans un Etat moderne, ne se limite pas aux élites. Elle est constituée par tous ceux qui ont une relation au pouvoir, que cette relation soit directe ou indirecte, proche ou lointaine, centrale ou périphérique. Ces relation impliquent une opinion qui se transforme en « conseil », normalement par le biais d’institutions représentatives, exceptionnellement par des prises de parole ou de pouvoir : l’intensité de la violence politique et la fréquence des révoltes populaires apparaissent comme un paradoxe dans une monarchie où le dialogue institutionnel est le plus avancé. Ce sont là, en fait les 2 faces d’un même phénomène : l’intensité du dialogue d’une société politique dynamique, face à une monarchie constitutionnellement rudimentaire.

Section II- La cristallisation de l’organisation judiciaire

§I- Une compétence d’attribution. Le maintien de la paix du roi

Malgré les affirmations longtemps répétées des juristes anglais, la CL n’est pas une entité immémoriale, antérieure à la conquête normande, qui aurait reconnu l’excellence de l’organisation juridique anglo-saxonne. C’est une création royale d’Henri II. D’ailleurs, Glanvill, auteur de l’un des premiers traités de droit anglais explique qu’il va exposer ce qui a trait « aux lois et coutumes du royaume d’Angleterre composées au temps de Henri le second ».

D’autre part, avant le règne d’Henri II, la grande masse des procès était traitée soit dans les cours seigneuriales, soit dans les antiques cours de comté ou de hundred. Les cours seigneuriales jugeaient non seulement les petites affaires intéressant le domaine, mais aussi et surtout les causes civiles intéressant les tenures : la protection des biens, en somme, dépendait surtout du lord : justice locale échappant en grande partie au Roi, la Curia étant surtout une cour féodale : affaires touchant les intérêts du roi comme seigneur + jugement des appels.

La réussite de Henri II est d’avoir rendu la CL relativement efficace et suffisamment attractive pour que les cours royales supplantent les autres tribunaux. Le concept de base n’en est pas moins d’origine anglo-saxonne : le roi est responsable du maintien de la « paix du roi » : tout délit qui la trouble, meurtre, vol, incendie volontaire est donc un « plaid de la couronne » : 37 cas royaux sont ainsi dénombrés dans les Leges Henrici primi.

Le système judiciaire en vigueur au XIIIè siècle est structuré par les grandes assises d’Henri II, même si celles-ci ont repris un certain nombre d’éléments antérieurs. Son originalité tient au jury de présentation et au writ retournable.

A- L’institution du jury

La règle de base est tout suspect dans une affaire troublant la paix royale doit être « présenté » aux juges royaux par un jury de 12 membres. Arrêté par le sheriff, il attendra son jugement par un juge royal, seul habilité à juger ces cas.

Cette institution va vite rencontrer un vif succès et singulariser la procédure anglaise. Pourtant, il s’agit bien d’une importation du continent : Jurés des communes font leur apparition en France au tout début du XIIè (chartes). Régression à partir de 1180 (au moment où ils triomphent en Angleterre). L’apparition des jurés était liée à une réaction populaire contre l’arbitraire seigneurial. Groupes informels de jugeurs qui intervenaient au sein des tribunaux traditionnels pour accuser ou statuer.

L’introduction du jury est liée à la législation d’Henri II :

  • En matière civile, le roi crée les 4 premières actions de CL (qui sont des actions possessoires) : novel disseisin (1166) utrum, darrain présentement, morte d’ancestor. Ces actions ont permis de régler tous les litiges ayant trait à la propriété, à la tenure, à la transmission des biens par héritage. Technique consistant à attribuer la saisine à celui des 2 adversaires qui démontre qu’il a exercé des droits, de la manière la + continue, sans contestation, avant le conflit qualifié de « trouble possessoire » : jury de voisinage. NB : les actions nouvelles reléguaient à une seconde étape éventuelle le contentieux sur le fond du droit, qui restait de la compétence des cours féodales. Cepdt, si celles-ci demeuraient attachées au duel, les cours royales préservaient les plaignants des risques d’un combat en leur offrant la résolution rationnelle d’un verdict des jurés. Textes anglo-normands précisent que les hommes qui formaient l’assise royale doivent prêter serment de « dire vrai ». A l’origine, groupe de voisins convoqué pour répondre sous serment à une question quelconque et prononcer le « vrai dit » (vere dictum).
  • En matière pénale : constitutions de Clarendon (1166) et de Northampton (1176) mettent en place un système de tournées des juges royaux, destinées à réprimer les troubles à l’OP : vagues répressives sans précédent, conclues par des ordalies, souvent sous forme d’immersion. Politique criminelle du roi transforme donc l’ordalie en un simple instrument au service de l’accusation, en en appauvrissant les rituels.

NB : à partir de 1215 et le concile de Latran IV, avec l’interdiction des ordalies : substitution déterminante des jurys aux ordalies. Procès par jury a permis de sortir du système des duels judiciaires.

En matière pénale, l’accusation est assurée par un jury composé de 23 hommes dans chaque comté, 12 hommes dans chaque hundred : doit dénoncer les meurtriers et les voleurs devant les juges itinérants : Grand jury ou jury d’accusation. Les jurés devaient se prononcer d’après ce qu’ils savaient et d’après ce qu’on disait : ne se préoccupaient pas des preuves.

Celles-ci sont laissées à l’appréciation d’un second jury ou Petty jury, composé de 12 jurés, qui décide si l’accusé est innocent ou coupable.

Ces jurys sont désignés par élection : ce ne sont pas des professionnels mais des « reasonable men », à qui le juge doit expliquer le droit.

 

Le déroulement du procès : Justice before truth : le procès de common law entre liturgie et dramaturgie

Pleadings : 1ère phase. Correspond aux plaids du haut MA. Instance préparatoire, au cours de laquelle le juge et les avocats des parties discutent d’objections préalables avancées par le défendeur. Petite justice, au cours de laquelle le juge, en statuant sur les objections, émet les « jugements » qui, mis en chaine, formeront le corpus juridique de la CL matérielle. Au vu du déroulement des débats, la partie qui sent venir l’échec a la faculté de négocier.

A défaut d’accord des parties, le procès se prolonge jusqu’à la phase du trial, au propre « l’épreuve » : verdict du jury, composé à l’origine de gens du peuple de Dieu: « assises du roi » fondées sur le principe vox populi, vox Dei. Le verdict du jury tient ds la procédure le rôle du Deus ex machina, tenu autrefois par le jugement de Dieu. Héritier du jugement divin, le jury en reprenait à son compte la vertu d’omniscience.

Ds la procédure romano-canonique la vérité est établie par l’enquête, avant tout débat : l’établissement de la vérité judiciaire est une opération initiale, préalable à la confrontation des parties.

Au contraire, dans la CL, la confrontation des arguments opposés se fait ds la 1ere phase, celle des pleadings, et c’est au terme de ce débat que se produira la manifestation de la vérité, dévolue au jury. Le jury sait. Il est son propre témoin : présomption d’omniscience. Répond aux questions très précises formulées à l’issue des pleadings.

Désinvolture avec laquelle les records et les reports traitent les informations factuelles relatives aux causes. Il n’est pas jusqu’au nom et à l’identité des parties qui soient suspectes (cf. la référence à John Doe). Dans l’histoire de la culture judicaire anglaise, le ludique et le judiciaire sont très tôt imbriqués.

La seule chose qui compte : la cohérence (consistency) : principe de non contradiction, s’appliquant à toute affirmation proférée par chacun au cours du procès, voire avant si elle devait être produite.

Dans le travail de tri entre l’acceptable et l’irrecevable, la distinction du droit et du fait n’a joué qu’un rôle très secondaire. De même la distinction du vrai et du faux. Pour des raisons techniques, par ex, les juges pouvaient tenir pour recevable une allégation fantaisiste, comme par exemple considérer que la ville de Calais se trouve dans le comté du Kent, afin de fonder leur compétence. La CL peut parfaitement interdire de produire en justice une information vraie (par exemple présenter le casier judiciaire de l’accusé) ou de démentir une information fausse (le caractère imaginaire de John Doe). Si la vérité judiciaire reste une valeur cardinale, c’est celle qui procède de la rectitude des règles de procédure et non d’un rapport de concordance extérieur entre le vrai judiciaire et le réel social.

La CL = avant tout un état de procédure. Le procès = une confrontation du bien et du mal dans une dramaturgie : alliance avec l’imaginaire nouée de bonne heure.

La confiance ds le verdict des 12 hommes moyens, dument éclairés dans le cours d’un procès loyal, était telle qu’on prenait leur jugement pour supérieur à celui du législateur : caractère ordalique.

Vérité du devoir être. Les formes du procès sont celles du procès archaïque, ds lesquelles on a simplement remplacé l’ordalie par le jury. Construction mémorielle effectuée par le procès qui vise non une vérité extérieure, mais l’adhésion à la forme processuelle qui la produit. A l’égard de cette vérité là, le juge est passif, comme l’est le ministre du culte, dont les gestes créent les conditions de la manifestation d’un vrai sacramentel dont il n’est pas la cause.

La procédure de CL intègre le décalage entre la vérité judiciaire qu’elle produit et une vérité pure qu’elle renonce à poursuivre.

B- L’usage des writs

Le writ retournable est un ordre envoyé par le roi au sheriff de convoquer X devant une certaine cour à une date donnée pour y répondre d’une accusation spécifiée : le sheriff renvoie le writ à Westminster après exécution, écrivant au dos ce qui a été fait. La forme du writ est généralement brève : mandat par lettre émanant du roi, sur parchemin, scellé de son grand sceau et adressé au sheriff du comté. Le writ est le fruit de l’ancienne procédure du ban royal. La désobéissance à cet écrit constituait une infraction qualifiée de mépris de l’autorité royale (contempt of royal authority) et entrainait des conséquences pénales lourdes. La justice royale est donc fondée, au premier chef, sur le refus du défendeur d’obéir à l’injonction royale de faire droit au plaignant :

Exemple : le writ of gage

« Le roi au sheriff de X, salut. Enjoint à N qu’il restitue justement et sans retard à R telle portion de terre (ou telle terre) dans tel village, portion qu’il a occupée pour les 100 marcs qu’il a prétés et dont le terme est présent dépassé, selon ce qu’il dit et qu’il accepte désormais l’argent ou qu’il s’estime désormais quitte avec cette terre. Et s’il ne s’exécute pas, fais lui semonce par des semonceurs d’avoir à comparaitre devant moi ou devant mes juges à Westminster pour la session de Pâques dans 15 jours pour expliquer pourquoi il n’a pas obéi. »

Ce point est important car, en théorie, les cours de CL resteront jusqu’à la fin du XIXè s, des juridictions d’exception : il fallait donc d’abord leur faire admettre leur compétence, avant de pouvoir leur soumettre le fond du litige. Ces difficultés, d’ordre procédural, sont résumées par l’adage remedies precede rights. Cours de CL ont donc produit, mécaniquement, une hypertrophie de la procédure par rapport au droit substantiel.

La délivrance des writs, sur requête du demandeur, entrait dans les fonctions du chancelier qui y apposait son sceau, moyennant finance (fee). Le writ servit donc d’instrument au roi et à ses officiers pour développer la juridiction de la Curia Regis, au détriment des tribunaux locaux et seigneuriaux.

Les writs sont vite standardisés, du fait de la répétition de cas identiques, engendrant logiquement les mêmes writs. Plusieurs centaines de writs sont ainsi à la disposition des justiciables, chacun permettent d’initier une action particulière. N’importe qui peut démarrer une action. Il suffit d’acheter, pour un prix assez modique, un writ correspondant à l’action choisie, sommant l’adversaire de comparaitre devant le tribunal royal.

Ce dernier point est important car désormais tous les litiges (les « plaids communs »), et non plus seulement ceux touchant à la paix du roi, peuvent être évoqués devant les tribunaux royaux.

Dès la fin XIIè-début XIII se constitua une collection que Bracton qualifie de « brefs formés » ou « d’usage courant » (brevia formata ou brevia de cursu). Mécontentement des barons, qui se sentent dépossédés de leurs prérogatives judicaires par la couronne. Plt de la fin du XIIIè va donc porter deux coups d’arrêt au développement du processus :

  • interdiction d’apporter la moindre modification aux brevia formata sans le consentement du plt.
  • Surtout statut de Westminster II (1285) institue la prohibition de faire de nouveaux writs sans le consentement du roi et de son conseil. Permet toutefois à la chancellerie d’opérer par analogie en procédant à l’extension d’un writ existant, si un cas semblable venait à se présenter : origine des brevia in consimili casu.

Ce statut de Westminster II aura des conséquences importantes, en ceci qu’il entraina un ralentissement très important de la création de nouveaux writs et donc un vieillissement accéléré de la procédure de CL. Il est donc indirectement à l’origine de l’apparition de la procédure d’equity au XVè (cf. infra).

Dès l’époque de Glanvil, le droit anglais commence à prendre l’aspect d’un commentaire sur les writs : autant d’actions, autant de brefs écrivait Bracton ; autant de brefs, autant d’actions. Le choix du writ est grave car il détermine toute la procédure et est irrévocable : entre la formule initiale du writ et les conclusions, la concordance doit être absolue. R, le choix ne constitue pas une option simple entre un certain nombre de termes techniques bizarres. C’est un choix entre des méthodes de procédure adaptées aux cas de différentes sortes. Ces méthodes s’appliquent à une série de questions : compétence de la cour, comparution ou contumace du défendeur, confrontation des prétentions adverses, apport et appréciation des preuves, apparition des excuses pour non comparution et autres moyens dilatoires : voilà tout ce qui se cache derrière une formule d’action.

Sur chaque action vont aussi s’accumuler, à la longue, des séries de décisions judiciaires. Chaque action aura ses propres précédents. Cette conjugaison des writs avec les décisions de justice par le formalisme de la procédure = la clef de la CL. Permet de saisir à la fois la force du précédent et le caractère quasi-criminel de la CL : les décisions ne sont que la suite légale des ordres royaux contenus dans les writs ; elles mettent en œuvre les instructions de la Couronne ; elles assurent l’obéissance au commandement du souverain dont l’autorité revêt toutes leurs sentences.

Ce fonctionnement explique aussi la lenteur de formation de la CL : les décisions sur le fond sont rares. La plupart ne touche que la procédure, dont la technicité ne va cesser de s’accenteur, jusqu’à mettre la CL en péril de mort, au XVIè s.

§II- Les cours royales de Common Law

En conséquence du succès des réformes d’Henri II, le XIII è s voit une extraordinaire augmentation des plaids communs évoqués par les tribunaux royaux. Pour y faire face, on développe une justice itinérante, les juges visitant périodiquement les comtés en suivant un itinéraire régulier : système des eyres. NB : ces juges ont, surtout au début, été choisis parmi les familiers du roi : Thomas Becket, Ranulph de Glanvil, Gautier Map, Richard de Lucé

A partir du XIVè ce système, lui même engorgé, est remplacé, dès 1302, par des juges itinérants recevant pour les plaids de la couronne des commissions spécifiques et pour les plaids communs, qui exigent un jury de 12 hommes libres, une commission de petty assize. Ces juges itinérants s’organisent aussi en circuits.

En //, les cours royales fixes se développent. Sous Henri II l’Echiquier traite des affaires communes, amis l’afflux est tel qu’à la fin du XIIè siècle le Banc Commun est organisé pour entendre les litiges et qu’en 1234 on recrée le Banc du Roi, dont l’essor date surtout du XIVè siècle.

Le succès de la justice royale au XIIIè et incontestable. Et ce sont les « consommateurs » qui font ce succès, car ils sont surs que les décisions des cours du roi seront appliquées. H.II a vite admis que des plaintes officieuses soient déposées contre ses propres officiers. Bien sûr, le roi exige de ses barons qu’ils acceptent contre leur officiers ce qu’il accepte contre les siens.

Concurrence à la justice seigneuriale : dès qu’une affaire en vaut la peine, les justiciables préfèrent faire appel à la justice royale, grâce à un writ spécifique : le writ de poene, qui est attributif de compétence et qui permet de transférer les affaires de la cour d’un baron à celle du roi.

Au total, l’essor de la justice, royale, plus encore que l’ordre public, signifie avant tout la sécurité de la propriété privée, face à l’arbitraire féodal des seigneurs et même à celui du roi. Toutes les tenures sont ainsi amenées dans l’orbite de la justice royale et donc toute propriété privée : la CL est avant tout une land law. Elle a d’autres aspects mais aucun ne revêt l’importance sociale et politique de cette section du droit anglais qui permet la reproduction de la classe dominante des seigneurs.

Techniquement, les 3 cours de CL sont issus de démembrements successifs de la Curia Regis. Ce sont elles qui ont forgé la CL, jusqu’à leur disparition en 1875.

A- La cour des plaids communs

 

Article 17 de la Grande Charte à la fois confirme pour le passé et consacre pour l’avenir la création de cette cour de justice. Dispose que les plaids communs n’auront plus à suivre le souverain dans ses pérégrinations mais devront être jugés dans un lieu déterminé qui se fixa, après qques tergiversations, à Westminster : « serrure et la clef de la CL » selon Ed. Coke. Au départ, les juges n’étaient pas spécialement affectés à cette cour. Au nombre de 4 ou 5 avec à leur tête un chief justice. Notion de plaids communs très large : ce qui ne relève pas des « plaids de la couronne » : causes entre particuliers, droit privé au sens large. En réalité choses plus compliquées car CPC dut partager sa compétence avec d’autres cours comme la cour de l’Amirauté ou les cours ecclésiastiques. Monopole sur les vieilles actions réelles et quelques unes des plus anciennes actions personnelles (debt, covenant…) : lui valut sa popularité mais fut aussi la cause de son archaïsme.

B- La Cour du Banc du Roi

L’attribution des plaids communs à une cour spéciale laissait encore à la Curia regis la connaissance d’un lot considérable d’affaires judiciaires : celles où les grands étaient impliqués + affaires pénales. En outre, comme juridiction supérieure, la Curia pouvait recevoir les appels formés des décisions de toutes les autres juridictions. La technicité de ces affaires, le formalisme grandissant de la procédure de CL s’accommodaient mal d’un tribunal aussi composite que la Curia regis. Les juristes de celle-ci finirent par former un petit comité dirigé par le chief justice : cour tenue coram rege qui n’allait pas tarder à devenir la plus importante du royaume. Clairement individualisée au début du XIVè, soit un siècle après la CPC. Les juges du banc doivent accompagner le souverain dans tous ses déplacements. Mais peu à peu, fixation de ce tribunal à Westminster (peut être dès le règne d’Edouard 1er) : la présence du roi se transforma alors en pure abstraction, le rois cessant d’y paraître. L’évolution de la CL travailla en outre dans le sens d’une suprématie du droit. Cf l’opposition formelle du chief justice Coke au début du XVIIè s lorsque Jacques 1er prétendi reprendre la place abandonnée par ses prédécesseurs à son « banc » :

« Il est vrai que Dieu a favorisé votre Majesté d’une science excellente et de grands dons naturels, mais sa Majesté n’est point savante en les lois de son royaume. Or, les causes qui mettent en jeu la vie, l’héritage ou la fortune de ses sujets ne reçoivent pas leur décision d’après la raison naturelle, mais d’après les artificielles raisons et jugements du droit, lequel droit est un acte qui requiert longue étude et expérience avant qu’un homme puisse attendre à sa connaissance (…). Ce dont le roi fut grandement offensé. »

Maître de la juridiction criminelle, le banc du roi conquit sur la CPC une partie notable de la juridiction civile : encombrement du prétoire de la CPC + artifice de procédure (bill of Middlesex).

Compétence administrative également très importante : mission de veiller à la bonne observation du droit par les corps constitués et les titulaires d’offices : writs d’habeas corpus, de certoriari, de prohibition de mandamus, permirent au king’s bench de prévenir des actes illégaux d’organismes politiques ou d’individus chargés de la conduite du gouvernement : véritable tribunal administratif évitant à l’Angleterre la création d’une juridiction administrative spéciale.

C-    Le Tribunal de l’Echiquier

Les origines de l’Echiquier sont obscures. Le mot scacarrium apparaît pour la 1er fois en 1118, sans que l’on sache au juste d’où venaient et le nom et la chose. L’Echiquier s’est séparé du Trésor dès le règne de Henri 1er Beauclerc (1100-1135).

La méthode de l’échiquier est utilisée en matière de comptabilité publique. Composé de barons, non de juges (bien que leurs fonctions soient rigoureusement semblables), cette juridiction s’est sans doute détachée de la Curia Regis vers le milieu de 1250. Elle est bien individualisée sous le règne d’Edouard 1er.

L’Echiquier comporte deux secteurs distincts : une section administrative et une cour de justice.

Tentative de l’Echiquier pour étendre ses compétences au détriment de la CPC, par le biais de la procédure de Quominus : règle fiscale coutumière établie au profit de la couronne et permettant à celle-ci de requérir le paiement de ses redevances non seulement au débiteur lui-même, mais au débiteur du débiteur, et ainsi de suite in infinitum. Le plaignant faisait en effet valoir que l’argent qu’on lui devait le rendait d’autant moins capable d’acquitter ses dettes.

NB : A partir du règne d’Edouard 1er, la notion de CL va se trouver techniquement restreinte au droit appliqué dans ces 3 cours et dans les tribunaux inférieurs dépendant d’elles.

           D- Un organisme juridictionnel associé : les cours d’assises et de nisi prius

Cette institution est née d’une incompatibilité grave, apparue à la fin du XIIIè siècle, entre la centralisation de la justice à Westminster et le développement croissant de deux institutions juridiques majeures en CL : la preuve par témoin et le jury. Pb des coûts de déplacements posé non seulement aux parties mais aux jurés et aux témoins.

D’où la solution, trouvée par Edouard 1er et consignée dans le 2nd statut de Westminster (1285), avec la mise en place de circuits réguliers, parcourus deux fois par an par des commissaires dont la mission est très précisément définie en matière civile et pénale. Ces commissaires doivent faire trancher par un jury des différents comtés la véracité des questions de fait débattues devant les cours de Westminster. Ainsi, le procès devait toujours se dérouler devant le banc sédentaire des juges royaux, mais on ajouta la restriction suivante : « à moins que auparavant (nisi prius) une commission de juges nommés par la Couronne ne se soit rendue dans le comté au cours d’une tournée pour connaître de ces affaires. » Cette précision était introduite dans le writ de venire facias adressé au sheriff pour ouvrir la procédure et servir de base aux convocations en vue du procès.

Cette formule fut couronnée de succès, et permit en Angleterre de combiner une double tradition de centralisation de la justice et de décentralisation des affaires.

La réforme de 1285 eut une influence considérable sur la destinée de la CL : les tournées d’assises et de nisi prius engendrèrent de véritables cours de justice quasi permanentes, tenues par les juges de Westminster eux-mêmes. Grâce à ces circonstances, à la place des anciennes juridictions locales, soumises à des lois et à des coutumes disparates et tombées en désuétude, régnèrent partout sur le territoire anglais des principes juridiques identiques appliqués par un collège unique de magistrats : uniformité à la fois des règles de droit et de leur application, assurée par une formation commune (cf. infra). Ces cours ont bien joué un rôle considérable dans l’extension des règles de CL à l’ensemble du royaume d’Angleterre.

Conclusion

Durant toute la fin du MA, les chanceliers ont dans leurs sermons d’ouverture du parlement inlassablement répété que la bonne administration de la justice et la conservation des lois dans le royaume d’Angleterre étaient un devoir fondamental du roi et du plt : C’est une affaire nationale, car la loi qu’il s’agit de faire observer et de faire respecter est celle de l’Angleterre : bien commun de la nation, fierté nationale des juristes anglais : sorte d’insularisme.

Ainsi, sir John Fortescue insiste sur les principales caractéristiques de la CL

  • une loi que le roi ne peut changer sans le consentement de ses sujets : c’est précisément cela qui fait que le royaume d’Angleterre est un dominium à la fois politique et royal (et non seulement royal, comme en France).
  • Cette loi a 3 sources : la loi de nature, la coutume et les statuts, même si, une fois qu’elle est consignée par écrit et promulguée par le roi et le plt, la coutume est difficile de distinguer des statuts.

La CL est aussi une affaire collective. L’identité que la CL postule entre la monarchie et le droit en tant que law of the land en fait le fondement du système politique qui régit le pays et lui confère pour ainsi dire la valeur de constitution. L’équation entre le roi, la CL et la propriété est au cœur de l’Etat moderne anglais et du fonctionnement de la société politique anglaise. L’attachement des anglais à leur constitution exprime ne réalité leur attachement à la CL. D’où leur crainte viscérale à l’égard de tout autre droit : cf. les violences contre le droit romain (même si celui-ci est enseigné et pratiqué devant les cours de chrétienté.

Idée fondamentale selon laquelle le pouvoir du roi n’est pas absolu car il est limité par la loi positive et le roi was pleased to limit and stint his absolute power, ne retenant que dans certains cas ce pouvoir absolu et illimité que lui confère la loi des nations. NB : malgré l’Act of Supremacy, tous les changements religieux du XVIè siècle ont été faits par statuts. Henri VIII et Elizabeth surent toujours jouer de cette double couronne de roi féodal (et paradoxalement « moderne » parce que féodal) et d’empereur, prenant le prestige de la seconde formule mais conservant les procédures de la première : subtil mélange qu’un étranger comme Jacques 1er Stuart ne sut pas apprécier à sa juste valeur.

Les tribunaux royaux sont à la fois les garants et les régulateurs du système. Si la féodalité batarde structure les clases dominantes en réseaux concurrents, ceux-ci partagent un même système de valeurs et interviennent dans le nouvel espace du politique pour défendre les intérêts de leurs chefs et, partant, de leurs membres. L’aristocratie est ainsi complice et partenaire de l’Etat. Les progrès de l’Etat se font au détriment de certains de ses privilèges mais au profit de sa liberté économique et juridique de propriétaire. Or, contrairement à ce qui est dans le cas dans le féodalisme, ce n’est plus la terre qui fait fonctionner le système, mais l’argent. D’où sa sensibilité à la conjoncture.

C’est la société politique qui, en fonction de ses besoins et de ses exigences fait évoluer les structures de l’Etat moderne, non l’inverse. Ses impulsions sont véhiculées par un ensemble d’éléments liés à ce que les contemporains appelaient le « conseil » et aux institutions par lesquelles il circule, le plt et le conseil royal.

D’où l’existence de tensions, à partir du moment où l’équilibre a été rompu, au début du XVIIè siècle, avec le changement de dynastie.


Chapitre II- Du judiciaire au politique.

La common law contre la prérogative royale

Le juge : clerc en France, prêtre en Angleterre (R. Jacob)

Juges en France s’attachent à la séance de rentrée solennelle et à la prestation de serment qui les ré-institue. Occasion de rappeler la déontologie : sorte d’ordination. La grâce du juge = une grâce d’état, qui fait de la judicature une autre cléricature.

Un tel ordonnancement est étranger aux juges de CL qui se forment dans les inns of court dont les règles sont si détaillées qu’elles font penser à celles des ordres monastiques : rôle des repas pris en commun, qui rappellent l’eucharistie. Sens symbolique des commensalités sacrificielles des inns : rapport d’homologie entre le rite qui donne structure à l’ordre interne du corps des juristes et le rite que les juristes administrent en dehors pour donner structure au corps social. Agit ex opere operato.

Ces juges là ne sont pas les délégués du roi.

Justice = Eglise dans l’Etat. Elle tire son indépendance de son mode de fonctionnement. Le paradoxe, c’est que les pays de common law sont protestants, et qu’ils sont cessé de croire en l’efficacité des rites sacramentels en tant que porteur de grâce et de salut. Mais c’est là que s’est consolidée aussi, dans le champ judiciaire, l’adhésion à l’efficacité du rite, à sa capacité à produire par lui-même les véridictions bienfaisantes, constitutives du lien et de l’ordre social.

Type de formation pratiquée en terre de CL favorise la constitution d’un très fort esprit de corps, garant d’une certaine indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir politique (section I).

Cette forte identité sociale explique en partie que la CL a pu apparaître comme un rempart efficace contre l’absolutisme des Stuarts (section II).

section I La formation des lawyers

§I- L’apprentissage de la common law

A-    Les inns of court

Il est difficile de mesurer le poids et l’impact des inns of court durant la période médiévale. On ne sait ni quand elles ont commencé à fonctionner, ni le nombre de ceux qui les ont fréquentées et rarement leur nom. Leurs traces sont ténues avant 1422 et la description qu’en fait sir John Fortescue. Les inns y sont présentées comme des institutions bien établies, fréquentées par des étudiants nombreux, dont l’existence est justifiée par le fait que le droit anglais exige la connaissance de 3 langues : latin, français, anglais et qu’en conséquence, il ne peut être enseigné à l’université, où l’on ne pratique que le latin. D’où la création d’un studium publicum, à proximité des tribunaux royaux où la CL est pratiquée chaque jour par les juges.

Toujours selon Fortescue, dans ce studium, il y a 10 hôtels mineurs, les inns of chancery, avec 100 étudiants chacun et 4 hôtels majeurs, les inns of court, avec près de 200 étudiants chacun. Les coûts d’entretien sont tels que les étudiants sont presque tous issus de familles de la noblesse et de la gentry.

En plus du studium juridique, les inns fonctionnent aussi comme un gymnasium, pour enseigner les bonnes manières, apprendre à chanter et à danser et à s’exercer à tous les divertissements convenables pour des nobles « tels que ceux qui sont pratiqués dans la maison du roi ». Pendant la vacance des tribunaux, on étudie le droit et les jours de fête, après le service divin, ont lit « la Sainte Ecriture et les chroniques ». Du coup, les aristocrates envoient leurs fils dans ces hôtels « bien qu’ils ne désirent pas qu’ils s’imprègnent de la science du droit ni qu’ils vivent de son exercice, mais seulement de leur patrimoine. »

Ce texte pose pb : la réalité décrite fait plus penser à ce que l’on sait des inns au XVIè siècle, qu’à ce que laisse deviner la maigre documentation du XVè. Les effectifs, notamment, paraissent exagérés. Pourtant, chief justice et lui-même formé aux Inns, Fortescue est incontournable : peut-on, à partir de lui, construire une chronologie rétrospective de l’essor des inns ?

Tout au long du siècle qui suit les réformes d’Henri II, les juristes, des niveaux les plus élevés aux plus modestes sont progressivement devenus des professionnels. Cette professionnalisation rapide pose un double pb.

  • celui de la formation
  • celui du contrôle de l’entrée dans le métier. Sur ce dernier point, une série de règles sont édictées dans les années 1280-1300, afin de sanctionner les fautes professionnelles et les comportements délictueux au détriment des « clients », comme l’ambidextérité (procédé par lequel un attorney ou un sergent se faisait payer par les deux parties adverses d’un même procès). Ces mesures assainissent la profession et redéfinissent la profession sur la base de la compétence que le client est en droit d’exiger de son homme de loi. Ainsi, si un attorney laisse passer les délais exigés pour faire telle ou telle opération, il peut être poursuivi. Contrôle encore plus important sur les sergents, qui ont le monopole du plaid. Ainsi, un ordre des serjeants at law (12 au plus), organisé depuis 1319, est seul habilité à plaider devant la cour des Common pleas. Il s’agit d’une dignité réservée aux avocats ayant au moins 16 années de barreau à leur actif. Ne constitue pas seulement un titre juridique d’un degré supérieur, mais l’acquisition d’un véritable status de futur juge. Les Serjeants forment d’ailleurs avec les juges l’ordre de la Coiffe (par référence à la coiffe de soie qu’ils portaient sur la perruque).

S’agissant de la formation, en Angleterre aussi droit canon et droit romain sont enseignés à l’université, d’abord surtout pour les juristes ecclésiastiques, puis pour servir les cours qui jugent en « équité » (cf. infra). L’Université forme les advocates, pour lesquels se posent d’ailleurs les mêmes pbs de contrôle d’accès au métier, mais où la régulation est facile à organiser à partir des grades universitaires. Ce corpus n’existe pas à l’origine de la CL, alors qu’il est indispensable de connaître la pratique quotidienne des cours de justice royale.

Les inns of court naissent ainsi en dehors de l’école : pour suivre les séances des cours pendant les périodes où elles siègent (les terms), les apprentis juristes auraient pris l’habitude de descendre dans des auberges (inns) situées à mi-distance de la city de Londres et de Westminster et s’y seraient regroupés en associations. Plus tard, tout en gardant leur désignation d’inns, elles auraient loué ou acquis des locaux plus vastes, comme ceux du Temple, vacants après la dissolution de l’ordre.

On entend parler d’elles pour la première fois en 1329, mais surtout à la fin du XIVè, où la documentation est bcp plus dense : « 3ème université » d’Angleterre, composée des 4 grandes inns :

  • Lincoln’s inn
  • Gray’s Inn
  • Middle Temple
  • Inner Temple

Les jeunes gens y arrivent après être passés par des inns préparatoires (les « inns of chancery ») (entre 8 et 10). On ne sait pas pourquoi ces deux types d’inns se sont différenciés dès le XIVè, mais au début du XIVè siècle, les clercs de la chancellerie avaient en tant que tels leur propres hôtels où ils vivaient en collectivité et on sait qu’ils avaient commencé à y enseigner. Or, cet habitat collectif disparaît au milieu du XIVè siècle, et il a bien fallu trouver une solution nouvelle à partir du règne de Richard II. Chronologie donc assez floue.

Pourtant, l’opposition entre apprentissage et école n’aboutit pas à la dichotomie qui sépare, dans le domaine médical médecins (école) et chirurgiens et barbiers (apprentissage) : les praticiens de la CL, quand la complexité de leur droit et l’essor d’un corpus textuel spécifique l’imposent, passent à l’école, mais leur position sociale et politique est suffisamment solide pour qu’ils prennent en mains eux-mêmes ce développement. Après tout, la culture juridique est, en Angleterre, issue de la culture seigneuriale. Dès 1302, le chief justice, à la fin d’un procès difficile, s’adresse directement aux apprentis, et plusieurs juges du XIVè font de même : le tribunal devient salle de classe. Maitland, le 1er, a suggéré que ce sont les apprentis qui ont pris les notes nécessaires à la rédaction des year books, rapports des procès marquants, qui ont donné aux juges l’occasion d’exprimer des opinions ayant valeur de précédents. Les year books sont une source essentielle du droit anglais, auxquelles s’ajoutent les sommes et une série de traités de toute évidence rédigés pour des étudiants apprenant leur métier (cf. infra).

Les inns développent une pédagogie originale. Quand les tribunaux vaquent, les sociétés d’apprentis s’assemblent en réunions pour s’aider mutuellement dans leur travail : quaestiones sur des sujets juridiques qui évoquent les discussions universitaires. Au début du XVè, les sociétés engagent des professeurs (readers) choisis parmi les praticiens les plus en vue, pour commenter dans le grand hall les statuts du royaume et les autres grands textes. Les readings, d’abord rudimentaires, deviennent vite aussi sophistiqués que des cours d’universités. Ils durent 3 semaines et demie, à raison de 4 matinées par semaine, mêlant ce qu’on appellerait aujourd’hui cours et séminaires. La lecture commentée du texte étudié est suivie d’une discussion des points difficiles avec les membres les plus expérimentés de l’auditoire (qui incluent souvent des invités de marque, comme des juges par exemple).

Au diner, anciens et invités entourent le reader à table et poursuivent la discussion, comme les étudiants, répartis par petites tables. Le soir, sous la direction des anciens, les étudiants mettent en scène des procès ficitifs (moots).

On connaît bien l’organisation des inns au XVIè siècle, mais peut être remonte-t-elle au XVè : elle ressemble à celle d’un collège universitaire, mais chaque inn offre dans sa topographie et ses règles de sociabilité l’image précise de la profession. Chacune des sociétés est gouvernée par un groupe de juristes du + haut niveau, en général anciens apprentis de l’inn : ce sont les benchers, ainsi appelés parce qu’ils mangent dans le hall de chaque inn à la High table. Les readers sont recrutés parmi eux.

Sur le low bench, sont ceux que les benchers ont appelés à la barre (called to the bar) et qui exercent ou sont considérés comme aptes à le faire. On y distingue aux extrémités les utter barristers et au centre les inner barristers. Ces désignations équivalent aux grades universitaires, mais dans les années 1530-1540, elles s’intègrent aux titres identiques portés dans la pratique.

Ainsi, les serjeants at law sont recrutés parmi les barristers : ils peuvent plaider où ils veulent, mais surtout à la court of common pleas, car ils y ont le monopole des procès. Ils ont leur propre inn, Serjeant inn, ce qui accentue encore leur esprit de corps. Les juges royaux, enfin, sont choisi parmi les serjeants : ordre de la coiffe.

Ceux qui ne sont ni juges, ni sergents continuent à être appelés apprentis, même s’ils sont établis et pourvus d’une abondante clientèle : ils sont les apprentis des tribunaux, non ceux d’un maître.

Au début du XVè, tous les avocats et attorneys ne sont pas encore issus des inns, mais la formation comme apprenti chez un praticien recule nettement.

En devenant de véritables établissements d’enseignement supérieur, avec des programmes, une pédagogie distincts de ceux des universités, les inns, comme les écoles des humanistes italiens sont capables d’offrir à un public laïc un enseignement adapté à ses aspirations, qui échappe totalement au contrôle et à la domination symbolique de l’Eglise. Ecoles de droit, elles forment des professionnels, mais, pour ceux qui ne se destinent pas à exercer, la culture juridique qu’elles propagent est utile : école du gentleman.

Sorte de cursus informel s’établit pour les classes dirigeantes : un an ou deux à Oxbridge, puis un passage aux inns. Sociétés de résidents ayant leur convivialité propre et formant un milieu culturel spécifique. Milieux importants pour le développement de nouvelles sensibilités religieuses et des modes littéraires.

Au total : milieu fermé, fort auto-recrutement combinant cooptation et ancienneté. Esprit de corps et véritable religion de la CL.

B- La langue du droit

1- le latin et les langues vernaculaires

Rappel : la fortune du latin n’était pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul, dès le Xè siècle, à développer une littérature, et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire : traduction et écriture de textes en anglo-saxon : éventail de textes d’une richesse et d’une variété sans égales dans l’Occident.

Beowulf

Mais la conquête change tout. Reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné.

Parallèlement, le remplacement aux postes de commande des moines et des évêques anglo-saxons par des continentaux et les grandes campagnes de cré ation ou de recréation et de reconstruction des églises et des monastères détruits conduisent à reconstituer les bibliothèques monastiques : là encore, le latin remplace l’anglais. Au XIIè s, le latin est donc fermement établi en Angleterre.

Mais il partage cette situation avec le français notamment dans le domaine de l’administration et de la justice. Or, et c’est une exception qui mérite qu’on s’y arrête, le français finit dans le domaine judiciaire par s’imposer au détriment du latin, résistant même à l’anglais (cf. infra). Le maintien du law french contribua à la permanence de la francophonie dans une partie de la population et à l’existence d’une culture administrative de la langue française qui subsista bien après que le français eut cessé d’être la langue normale des élites. Il fat insister sur cette culture administrative et judiciaire du français (qui n’est pas à confondre avec le fait que les élites parlèrent longtemps français) : ce n’est pas un français naturel, c’est le français du management.

Par ailleurs, noblesse et genty parlent français. L’élite est en fait trilingue, même si ses performances sont modestes en latin et si bcp d’anglais ont déjà un fâcheux accent quand ils parlent français. En fait, ce n’est véritablement qu’à la cour et dans la noblesse que le français est la langue parlée naturellement : le beau français reste un trait de la culture aristocratique, au moins jusqu’au début du XVIè.

Plus largement, la culture aristocratique anglaise reste largement ouverte sur la culture française (et bourguignonne). Au XIIè siècle, quelques uns des textes les plus illustres de la langue française sont sans doute issus de la cour des Plantagenets (Tristan de Thomas d’Irlande, lais de Marie de France). A partir du XIIIè , ce haut niveau de qualité littéraire tend à disparaître, sans doute parce que la cour anglaise perd quelque peu de son brillant, mais plus profondément parce que le niveau de la qualité du français d’Angleterre baisse.

La production de textes français en Angleterre au XIIIè s et dans la 1ere ½ du XIVè semble se concentrer sur 2 secteurs : la littérature de dévotion et la littérature historique. Dans la 1ère ½ du XIV on commence à traduire en moyen anglais des textes pourtant écrits récemment. On traduit même, pour la 1ère fois, des textes écrits d’abord en anglais en français. La 1ère pétition parlementaire rédigée en anglais date de 1386. Peu à peu, dans tous les domaines, à l’exception de la justice et du droit le français va reculer puis disparaître devant l’anglais.

A dire vrai, il reste étonnant que l’anglais ait mis tant de temps à supplanter le français. En tant que langue littéraire, l’anglais semble avoir presque disparu au XIIè et son renouveau semble encore timide au XIIIè siècle.

2- Le law french

Pourquoi le français s’es-il imposé à titre principal dans le langage judiciaire, alors même que la Common Law s’est imposée comme un droit « national » ? 2 raisons majeures.

  • Hommes de loi et juristes, en se professionnalisant, ont forgé leur langage technique, qui est à la fois un outil et un mode de distinction : plus l’usage du français recule ans la société anglaise, mieux le français juridique remplit cette fonction de distinction. C’est ce que soutient sir John Fortescue quand il insiste sur la qualité authentique du français parlé par les juristes anglais. Il en donne deux raisons : l’une est que le français des Français s’est corrompu par quadam ruditate; l’autre est que le français est au XVè siècle plus souvent écrit que parlé.
  • Le droit anglais n’est pas enseigné dans les universités, donc en latin, mais dans les inns of court (cf. infra). Si le français isolait les professionnels du droit des amateurs laïcs anglophones, il les isolait tout aussi efficacement de la concurrence des universitaires juristes latinophones. Une grande partie de la littérature juridique est donc rédigée en français : le grand traité de Bracton (mort en 1268) « De legibus et consuetudinibus Angliae » est traduit en français dès 1290, et l’on trouve de courts traités de droit en français, soit seuls, soit réunis en collections.

Ceci dit, le français qui est utilisé comme la langue judiciaire officielle de l’Angleterre est profondément altéré par le temps, le jargon et la contamination de l’anglais. Au total, une langue obscure, qui nécessitait un apprentissage spécifique :

« Le case fuit que en home et se feme ayant longe temps vive incontinent ensemble, le home ayant consumé son substance (…) dit al feme que il fuit weary de son vie et que il voilait lui même occider ; a que la feme dit que donc il voilait auxi moryer ove lui ; per que le home praya la feme que ele voiloit vaer et atchater ratesbane and ils voilent ceo Biber ensemble, le quel elle fist et el ceo mist en le drink et ils bibent ceo. Mes la feme aprest prist sallet oyle, per que elle vomit et fuit recov, mes le home morust ; et le question fuit si ceo fuit murther en la feme. »

Ce français judiciaire fut une première fois interdit par Cromwell en 1650 au profit de l’anglais. Mais il fut réintroduit avec la Restauration. Il disparut cependant progressivement des prétoires, jusqu’à ce qu’un statut de George II en 1731 lui porte le coup de grâce, éliminant du même coup le latin.

C-La théorie du précédent judiciaire

1- Formulation de la règle

La règle du précédent ou stare decisis (latin : rester sur la décision) est une règle de droit s’appliquant particulièrement dans les pays de common law. Cette règle veut que les tribunaux rendent des décisions conformes aux décisions antérieures. Bien que moins importante dans les pays de droits de tradition civiliste, la règle du précédent y existe aussi, sous la forme du respect de la jurisprudence établie. Selon la Cour suprême de Louisiane, un état dans lequel le droit est inspiré du Code napoléonien, la différence entre le stare decisis et la règle de la jurisprudence constante résiderait dans le fait qu’une seule décision jurisprudentielle peut suffire à fonder la règle du stare decisis, tandis qu’il faudrait une série de décisions cohérentes pour fonder une règle de jurisprudence constante1. La différence est donc essentiellement de degré, plutôt que de nature. Cette règle n’empêche toutefois pas des revirements de jurisprudence constante.

Dans les pays de common law, d’une part, une part importante du droit est un droit coutumier, non écrit dans des lois ou des règlements, et d’autre part, on considère que le sens précis de ces coutumes ou usages – ainsi que des lois écrites – ne s’éclaire que lorsque des tribunaux ont eu à l’appliquer dans des situations concrètes. C’est la jurisprudence, l’accumulation des décisions (les précédents), et en particulier, les motivations (ratio decidendi) que les juges en donnent qui constitue l’essentiel des sources du droit, plus que la loi elle-même. On parle de case law, loi issue des jugements, qu’on peut traduire approximativement par « droit jurisprudentiel ».

Dans ce contexte, le principe de la sécurité juridique, selon lequel la loi doit pouvoir être connue et accessible à tous, exigerait que la jurisprudence soit effectivement respectée. Dans leurs arrêts, les cours de common law citent régulièrement de nombreuses décisions antérieures sur lesquelles elles prétendent fonder leurs décisions, beaucoup plus que la loi elle-même. La règle du précédent s’impose presque toujours aux cours inférieures quant aux décisions de leurs cours d’appels.

Au XVIIIè siècle, Théorie déclaratoire de Blackstone : le juge est le « vivant oracle de la coutume » : doctrine de la révélation. Le juge ne crée pas le droit par ses décisions, il ne fait que le révéler à lui-même. « C’est une règle établie que l’on doit s’en tenir aux anciens précédents, là où les mêmes points reviennent en litige », afin de « conserver à la balance de la justice l’équilibre et l’immobilité et de lui éviter les oscillations que chaque nouveau juge serait susceptible de causer. » « Le droit étant dans une espèce solennellement déclaré et déterminé, ce qui antérieurement était incertain et peut être indifférent et dès lors devenu une règle permanente qu’il n’est plus dans le pouvoir d’aucun juge ultérieur d’altérer ou de faire varier au gré de ses sentiments particuliers, ce juge étant assermenté pour trancher non d’après son jugement particulier mais conformément aux lois et coutumes connues du territoire, n’étant pas délégué pour dire un nouveau droit mais pour maintenir et proclamer l’ancien. »

La seule exception à cette règle : le caractère manifestement absurde ou injuste des précédents. La sentence ne peut alors se voir attacher d’effet obligatoire. Le droit en effet n’est pas autre chose que la perfection de la raison. Il ne souffre donc ni absurdité ni injustice. Ne constitue en aucune façon l’expression d’un caprice ou d’une volonté individuelle : Raison universelle qui gît dans le droit et à laquelle tous ont accès. Fiction selon laquelle la CL, sensée exister depuis un tems immémorial, serait restée inchangée depuis l’origine. Ici, le droit et l’idéologie se conjoignent.

2- Mise en œuvre de la règle

La règle du précédent judiciaire est apparue progressivement entre le XIIIè et le XIVè s, à la suite de la confection et de la publication des premiers Year books puis surtout des reports (cf. infra). Grâce à ce travail de collecte et d’archivage, les citations des cas antérieurs deviennent de plus en plus précises (à la différence de ce que l’on observer, à la même époque, dans le système français).

Pour autant, plusieurs précisions doivent être apportées quant à la valeur obligatoire des précédents :

  • cette valeur obligatoire n’est pas attachée au jugement lui-même, qui ne vaut, par définition, que pour une espèce donnée, mais seulement à l’opinion du juge, en ce qu’elle comporte un exposé des motifs.
  • Comme cet exposé est souvent fort long, il convient de distinguer entre els arguments qui constituent le soutien nécessaire de la décision (ratio decidendi) et ceux qui n’ont qu’une valeur superfétatoire, soit parce qu’ils ne touchent pas directement le pb posé, soit parce qu’ils ne sont avancés par le juge lui-même qu’avec prudence, et parfois à titre un peu expérimental : dicta ou obiter dicta.
  • Il convient enfin de distinguer l’opinion majoritaire des opinions dissidentes et des opinions séparées (inconnues en droit français)

Seule la ratio decidendi peut éventuellement acquérir valeur obligatoire si elle émane d’un juge d’une cour supérieure. Elle s’impose alors aux juridictions placées en dessous de cette cour.

Face au précédent judiciaire, une marge d’appréciation existe donc bel et bien pour le juge :

  • il peut en premier lieu tirer parti de la distinction entre ratio decidendi et obiter dicta pour écarter un argument tiré d’une espèce antérieure invoqué comme précédent et prétendre que cet argument ne constituait en réalité qu’un dictum sans valeur obligatoire.
  • Il peut également distinguer entre les cas suivant la ressemblance ou la différence des situations de fait. Il est rare en effet que des circonstances parfaitement identiques se retrouvent dans deux espèces. Le juge est alors fondé à se demander si la nouvelle situation qui se présente devant lui est suffisamment proche de l’ancienne pour que lui soit applicable la même solution, ou suffisamment différente pour qu’il lui applique, au contraire, une autre solution. Il procède alors à une « distinction » : moyen de limiter la portée d’un précédent.

La technique des distinctions permet de compléter en la corrigeant la théorie de la valeur obligatoire des précédents.

En tout état de cause, extrême malléabilité du droit anglais : caractère a-systématique et ouvert qui l’oppose aux droits romanistes que l’on trouve sur le continent. Correspond à une autre manière de distinguer le fait du droit et, plus généralement, d’appréhender le réel.

§II- La mémoire de la Common law

Cette mémoire renvoie au passé, tel que l’ont façonné des centaines de recueils de décisions judiciaires (A), ainsi que quelques dizaines d’ouvrages de doctrine, attachés à théoriser et à synthétiser un processus fuyant (B).

A- Les recueils de décisions judiciaires

Les décisions des cours de justice, en raison de l’importance extrême qui s’y attache, ont fait l’objet en Angleterre d’au moins deux modes particuliers de conservation et de vulgarisation : les records et les reports.

1- Les records

Il s’agit d’actes et de procédures émanant directement des différentes cours et conservés par leurs soins sur des parchemins auxquels était attachée la force authentique : Plea rolls, sorte de PV de greffe formant une suite continue depuis le règne de Richard Cœur de Lion (1189) jusqu’à nos jours. Ces documents se présentent sous la forme de membranes de parchemin écrites recto verso. Chaque membrane mesure environ 1 yard (91 cm) de long sur 9 ou 10 pouces de larges (20-25 cm). Le nombre des membranes variait selon le nombre et l’importance des affaires plaidées au cours d’un term (une session). Sous Edouard III, par exemple, on rencontre des terms ayant exigé plus de 400 membranes, mises en liasses, brochées ensemble puis enroulées les unes sur les autres (d’où leur nom).

Ces rôles étaient certainement tenus en plusieurs originaux. Dès le XIIIè, l’art du recording ne tarda pas à se perfectionner, reflétant le rapide développement de la CL

Le contenu de ces archives ne porte pas tant sur les faits de l’espèce et ne consiste pas en la relation authentique des sentences prononcées : il s’agit des PV suffisamment exacts de la procédure et de son aboutissement, pour assurer l’autorité de la chose jugée et la perception des droits fiscaux engendrés par le procès : nom des parties, nature de l’action, exposé de la demande, réponse du défendeur, conclusion des parties, points soumis à l’appréciation du jury (issues), verdict du jury, sentence de la cour.

2- Les reports

Ils ont joué un rôle absolument fondamental dans la formation du droit anglais : sans eux, jamais la jurisprudence n’aurait obtenu l’autorité exceptionnelle qui s’attache aux sentences de justice.

Les reports = des sortes de succédas des records, destinés à mettre à la disposition du public, et plus spécialement des professionnels du droit des CR des évènements judiciaires susceptibles de les intéresser : narration des différents procès, courts résumés des procédures, décisions des cours.

Les reports servent même d’index et d’explication aux records. Toutefois, si la valeur juridique de ces deux sources n’est pas comparable (seuls les records sont authentiques), leur importance historique ne l’est pas plus : les reports, en vulgarisant le contenu des décisions de justice sont devenus un rouage essentiel du développement de l’ancien droit et du droit contemporain de l’Angleterre et des pays de langue anglaise.

Evolution sensible de ce genre

  1. Les years books (XIIè-XVIè) : il s’agit des premières grandes collections de reports, relatant des affaires jugées dans les cours royales entre 1290 (Edouard 1er) et 1537 (Henry VIII). Elles sont entièrement anonymes et comme leur nom l’indique, sont regroupées par années de règne des différents rois auxquelles ces sources correspondent. Les year books ont fait l’objet d’innombrables mss jusqu’à la découverte de l’imprimerie qui vit se réaliser de vastes entreprises éditoriales.

A l’origine, les year books auraient été de simples livres de pratique, des recueils judiciaires dont la forme relâchée indique qu’ils ont été rédigés sans soin, pris sur le vif par els praticiens eux-mêmes. Leur déclin a été causé par plusieurs circonstances :

  • introduction du système moderne de a rédaction par écrit des pleadings
  • pbs posés par la masse même des YB : encombrement, difficultés de consultation
  • apparition d’abrégés rendant moins urgente leur consultation
  • diffusion de l’imprimerie : amena la confection et la diffusion d’un nouveau mode de reports, plus perfectionnés, correspondant mieux aux besoins des praticiens de l’époque.

Malgré cela, les YB ont toujours été entourés de la vénération des juristes, compte tenu du caractère fondamentalement historique du droit anglais : bcp de questions du droit contemporain trouvent encore leur origine dans les décisions insérées au cœur des vieux YB.

  1. Les reports modernes. Reports signés. Emanaient, comme les YB, de praticiens qui en faisaient un usage professionnel. Les cas sont souvent rapportés de seconde main. Le soin de la rédaction est cepdt supérieur à celui des YB. Les principaux de ces reports :
    1. Reports de Dyer (chief justice des common pleas), écrits en français, XVIè
    2. Reports de Plowden, imprimés en 1571, écrits en law french
    3. Reports d’Ed. Coke (chief justice au king’s bench). 11 premiers volumes publiés en français, de 1600 à 1615. Les deux derniers en anglais, après la mort de Coke. Qualité exceptionnelle de ce travail, qui comporte de nombreux commentaires personnels.

A partir de la fin du XVIIIè s, nouveaux perfectionnements :

  • caractère scientifique donné au report : vérification des références, annotations, table des matières et des cases
  • périodicité de la publication
  • identification du jugement grâce au système des reports faisant autorité au en vertu de l’approbation des magistrats

CHAPITRE III

L’ACCULTURATION JURIDIQUE

 

Avertissement important : Ce chapitre est un résumé de la dernière partie du qsj ? de Norbert Roulant sur l’anthropologie du droit. Le texte et les références sont de cet auteur.

 

Le Droit comparé offre de multiples exemples d’emprunts d’un Droit à un autre. L’anthropologie juridique s’attache aux phénomènes de transferts plus amples, en utilisant la notion d’acculturation juridique. On peut la définir comme la transformation globale que subit un système juridique au contact d’un autre, processus impliquant la mise en œuvre de moyens de contrainte de nature et de degrés divers et pouvant, répondre à certains besoins de la société qui la subit. Cette transformation peut être unilatérale (un seul des Droits se trouve modifié, ou même supprimé), ou réciproque (chacun des Droits se modifiera au contact de l’autre). Les phénomènes de réception des Droits ont toujours retenu l’attention des juristes [1], mais peu d’entre eux se sont intéressés à l’effectivité de tels transferts lorsque s’y trouvent impliqués des Droits traditionnels. Étant donné les différences existant entre les Droits traditionnels et les Droits modernes [2], l’acculturation juridique côtoie souvent la déculturation. Nous étudierons tout d’abord les conditions générales de l’acculturation des Droits traditionnels, avant d’envisager son contenu.

 

 

Section I. – Transferts de Droits et acculturation des Droits traditionnels

 

 

Tout système de Droit est l’émanation d’une culture. Quand se trouvent en contact plusieurs cultures très différentes,les transferts de Droits des unes aux autres revêtant les caractères de l’acculturation exigent la transformation, sinon l’abandon, des valeurs sur lesquelles reposent leurs systèmes juridiques. La théorie de M. Alliot [3] met en évidence l’ampleur de ces transformations, tout particulièrement dans le contexte de la colonisation.

 

§1. Acculturation juridique et colonisation

 

D’une façon générale, les transferts juridiques ne s’accomplissent de façon satisfaisante – c’est-à-dire sans trop perturber la société réceptrice – que lorsque celle-ci est engagée dans une mutation rendant nécessaire l’adoption d’un Droit nouveau, et que le Droit transféré vient d’une société dont les traits fondamentaux ne diffèrent guère de la société réceptrice (emprunts de législations entre les cités grecques) ou est considéré par elle comme indépendant de la société dans laquelle il est né et susceptible d’être adopté par tout autre (réception du Droit islamique dans de nombreux pays musulmans, ou des Droits européens par plusieurs États du Tiers Monde).

Or, si la colonisation a bien provoqué une profonde mutation des sociétés traditionnelles, les deux autres conditions ne pouvaient être remplies. C’est pourquoi, durant l’époque coloniale et même après les Indépendances, les rapports entre les Droits autochtones et ceux des colonisateurs sont rarement harmonieux.

En témoigne le modèle général de Bradford W. Morse, qui entend rendre compte des divers agencements possibles entre Droits autochtones et Droits colonisateurs [4]. Il distingue ainsi la séparation, la coopération, l’incorporation et le rejet.

La séparation peut être quasiment totale : les contacts ne se produisent que par émigration ou conflits de lois (attitude de quelques colonies britanniques d’Amérique du Nord au XVIIe vis-à-vis de certaines nations indiennes avec lesquelles elles avaient passé un traité).

Il peut y avoir coopération. Certains critères (territoriaux, ou ratione personae ou materiae) déterminent la compétence des divers systèmes juridictionnels. On peut ainsi décider que les tribunaux et le Droit coloniaux s’appliqueront à la fois aux colons et aux autochtones dans les zones effectivement colonisées et dans toutes les matières, alors que le Droit autochtone s’appliquera seulement là où le territoire n’est habité que par des autochtones, et dans toutes les matières.

L’incorporation témoigne d’un stade de sujétion plus élevé du Droit autochtone : celui-ci est incorporé dans le Droit du colonisateur dans tous les domaines où n’existent pas de contradictions trop flagrantes (le Droit familial n’est en général pas incorporé) ; cette intégration peut aboutir à une dénaturation du Droit traditionnel dans la mesure où, dans certains cas (colonies anglaises en Asie et en Afrique), les autorités coloniales ont fait appliquer le Droit autochtone par des juridictions qu’elles établissaient.

Une solution plus brutale est celle du rejet du Droit autochtone jugé trop « primitif » par le colonisateur ou les États qui lui ont succédé : ainsi les tribunaux australiens ont-ils rejeté le Droit aborigène, de même que, dans la période qui a suivi les indépendances, de nombreux États africains ont refusé de reconnaître une valeur juridique aux Droits traditionnels.

La coopération et l’incorporation sont évidemment les procédés les plus subtils. Leur emploi peut s’accompagner de quelques raffinements qui ont tous pour résultat de masquer la réalité de la déculturation juridique qu’ils réalisent au détriment des Droits traditionnels. On peut procéder par traité, par voie législative ou jurisprudentielle, à la validation du Droit traditionnel qui devient en fait une partie du Droit étatique (Convention de la Baie James s’appliquant dans l’Arctique québécois aux Inuit et aux Indiens Cree depuis 1977). Très fréquemment on fera assumer les fonctions juridictionnelles et politiques par des autochtones ou des métis (justices de paix indiennes et métisses en Amérique du Nord). Dans certains cas on va même plus loin en autorisant expressément les gouvernements tribaux à décider en toute liberté de la manière dont les litiges seront résolus (cas de certaines réserves indiennes aux États-Unis). On se tromperait en pensant qu’il résulte nécessairement de cette autonomie une application systématique du Droit traditionnel. En fait, ces ethnies minoritaires subissent la pression des modes de vie de la société globale et on doit constater qu’en Amérique du Nord, beaucoup de cours tribales reproduisent le modèle juridique occidental.

Quelles que soient les nuances avec lesquelles furent appliquées ces différentes politiques, on notera qu’elles s’exercèrent la plupart du temps au détriment des Droits traditionnels. Si néanmoins, dans certains pays, ceux-ci ont pu résister jusqu’à nos jours à l’emprise du colonisateur et des États postcoloniaux, c’est surtout en raison de la volonté des communautés autochtones de préserver leurs Droits et leurs modes de vie originels. L’Afrique noire en est un bon exemple.

 

§2. Pluralisme juridique et résistance à l’acculturation en Afrique noire.

 

Les théories du pluralisme juridique permettent d’interpréter de façon satisfaisante l’acculturation juridique en Afrique noire, et les formes de résistance opposées par les populations à la dénaturation de leurs Droits. En effet, si les dominants utilisent les Droits étatiques, largement inspirés, en Afrique noire francophone, par le système civiliste, les dominés recourent à d’autres Droits, plus ou moins reconnus durant la période coloniale, et en général officiellement niés par le Droit positif après les indépendances. On peut, avec E. Le Roy [5] les classer en quatre catégories. Certains sont anciens (Droits traditionnels et coutumiers), d’autres sont nouveaux (Droits locaux et populaires).

– Les Droits traditionnels sont ceux que pratiquaient les autochtones avant la colonisation (Droit islamique compris). À partir de celle-ci, leur rôle va être progressivement contesté et réduit. Dans un premier stade, dit de neutralisation, le colonisateur se contente de lever l’impôt, d’organiser le travail forcé et d’imposer des prestations en nature, sans intervenir directement dans les affaires locales. Les Droits traditionnels continuent à exister, mais les migrations de populations, l’impôt, le travail forcé, les conversions religieuses, l’option de renonciation au statut personnel altèrent leur fonctionnement.

– Les Droits coutumiers n’apparaissent qu’avec la période d’administration coloniale. Ils résultent de la rédaction des coutumes, entreprise sous l’impulsion d’es autorités coloniales (doctrine Roume). Ces rédactions, quand elles aboutirent, dénaturèrent souvent les Droits traditionnels. La genèse des Droits coutumiers correspond, sur le plan économique, à la phase dite d’absorption : jusque-là périphériques à la société autochtone, les rapports marchands se développent sans que soient dans l’immédiat bouleversés les rapports sociaux. La monnaie et l’individualisme apparaissent, ainsi qu’un ordonnancement des juridictions en instance de premier ou de second degré, où siège l’administrateur local. Celui-ci bénéficie d’une compétence exclusive en matière criminelle et juge suivant la typologie occidentale des preuves. De nouvelles causes de litiges apparaissent, non prévues par les modes antérieurs de régulation sociale, ou mettant en jeu des personnes de coutumes différentes par suite des migrations de populations. Ces innovations font qu’il devient nécessaire de modifier le Droit traditionnel, transformation qu’opère la rédaction.

Les Droits locaux et populaires correspondent à une troisième phase de l’évolution économique, dite de dissolution, qui a commencé avant la fin de la période coloniale, et se poursuit de nos jours. Les économies des sociétés deviennent totalement dépendantes du marché mondial, la monétarisation et l’individualisme s’accroissent encore davantage. Au niveau social, on assiste à une déstructuration qui doit mettre en rapport l’organisation sociale avec les nouvelles formes de la vie économique. Les anciens groupes dominants se fondent dans les nouveaux, ou passent la main à des élites de remplacement.

– Le Droit local représente une des formes juridiques de cette transition. Comme le Droit coutumier, il est une sorte d’avatar du Droit traditionnel, mais situé dans une phase d’acculturation plus intense. On peut le définir avec E. Le Roy comme « … un système juridique apparaissant avec le développement de l’influence de l’État et de son appareil administratif, et dont les modes de formation et de légitimation sont, pour l’essentiel, déterminés par l’État, alors que ses modes de fonctionnement sont laissés plus ou moins à l’appréciation des autorités locales, dans la perspective d’une véritable décentralisation administrative ». L’originalité du Droit local tient au fait que ce Droit est d’inspiration étatique et répond à la volonté de l’État d’un meilleur contrôle des populations, mais qu’à l’inverse des processus visant aux mêmes résultats par dénaturation des Droits traditionnels, il repose sur la réinterprétation des catégories juridiques exogènes à la lumière des conceptions juridiques autochtones. Le Droit local n’est donc pas dépourvu d’une certaine ambiguïté : il apparaît à la fois comme Droit des dominés, dans la mesure où ceux-ci interviennent directement pour l’adapter à leurs besoins, mais aussi comme Droit des dominants, dont il augmente ou maintient l’emprise. Le Bénin et le Sénégal ont connu de tels phénomènes de Droit local : en général, l’instance de formation est une personne morale de droit public introduite dans la hiérarchie des institutions étatiques et dotée de compétences juridictionnelles spécialisées.

– Les Droits populaires forment une catégorie de droits étendue, et dont le contenu est encore mal connu, en raison de leur caractère non officiel. Plus difficiles à discerner, ils constituent pourtant plus le Droit réellement appliqué que les Droits étatiques. Les Droits populaires se forment donc en dehors des instances étatiques, aussi bien en zone urbaine que rurale. Différents des Droits étatiques, ils s’éloignent également assez souvent des Droits traditionnels, car ils sont essentiellement innovants.

 

Section II. – Les mutations provoquées par l’acculturation juridique

 

§I- En matière de règlement des conflits

 

Le colonisateur institua un système juridictionnel bipartite auquel ont mis fin le plus souvent les indépendances : dans les deux cas, ces réformes tendirent à substituer les juridictions étatiques aux organes et procédures traditionnels de règlement des conflits.

Au dualisme entre le Droit coutumier et le Droit moderne devait répondre un dualisme juridictionnel. On distingua d’abord deux grandes catégories de personnes dans les colonies : les sujets français, soumis au Droit coutumier, les citoyens français, régis par le Droit civil. En 1946, la qualité de citoyen fut attribuée à tous, cependant les ex-sujets conservaient leur statut civil particulier tant qu’ils n’y avaient pas renonce, excepté en Droit pénal et en Droit du travail. Les justices indigènes étaient compétentes en matière de Droit coutumier, les juridictions de Droit commun appliquant le Droit moderne. En fait, ce dualisme était moins respectueux des Droits anciens qu’il n’y paraissait. D’une part les juridictions indigènes étaient des créations du colonisateur, ou résultaient de l’octroi par les autorités coloniales de pouvoirs nouveaux aux chefs traditionnels [6].

Par ailleurs, l’option de juridiction ne pouvait s’exercer qu’en faveur des juridictions de Droit moderne. Lors des indépendances, la plupart des législateurs africains ont mis fin au dualisme judiciaire, qu’un Droit unique ait été institué (Côte-d’Ivoire, Sénégal, Gabon) ou que subsiste encore un dualisme juridique entre Droit coutumier et Droit écrit (Burundi, Centrafrique, etc.).

 

§II- En matière de Droit de la famille.

 

De façon générale, les États (de l’époque coloniale et ceux nés des indépendances) ont tenté de constituer un nouveau Droit de la famille. Il s’agit là d’un sujet particulièrement sensible, qui touche au cœur même des sociétés.

 

A- La filiation.

 Dans les sociétés traditionnelles, l’unilinéarité assure la prédominance d’un type de filiation sur l’autre. Nos propres systèmes sont en revanche indifférenciés. L’acculturation tendra d’abord à l’équivalence des lignes paternelle et maternelle, l’une ou l’autre cessant d’être le pivot de la structure sociale, et à leur concentration dans la famille nucléaire. L’étape suivante pourra être la substitution aux lignages des parentèles, correspondant à notre propre conception des rapports de parenté : la parentèle comprend toutes les personnes avec lesquelles un individu se reconnaît en parenté, et qui ne sont pas nécessairement parentes entre elles. En général, les parentèles comprennent moins de parents que les lignages, et sont plus éphémères : conçues par rapport à un individu, elles disparaissent avec lui.

B- Les régimes successoraux [7].

 

Àl’inverse du Droit occidental, le Droit traditionnel des successions porte plus sur les hommes que sur les choses : il entend situer chaque être dans la chaîne généalogique qui la relie au Créateur, plutôt que de préciser les Droits reconnus par l’État aux individus sur les choses. Plusieurs conséquences découlent de ce principe général. D’une part, le Droit successoral dépasse de beaucoup le domaine des biens individuels : il organise moins la transmission des biens d’un individu à un autre que cette transmission entre les membres d’un groupe. Dans tous les cas, un testament ne peut faire sortir les biens du lignage dont ils proviennent. D’autre part, le Droit successoral porte moins sur la transmission des biens, qu’ils soient individuels ou collectifs, que sur celle des fonctions : quand un individu décède, la question principale est de savoir qui va exercer ses droits et ses obligations envers ceux qui dépendaient de lui. Enfin, il n’y a pas d’unité de la succession : suivant les catégories de fonctions, de personnes et de biens, les régimes successoraux sont différents. Ainsi les terres, droits et biens de lignage paternel vont-ils aux frères germains ou consanguins, ou aux fils ; les terres, droits et biens de lignage maternel aux frères germains et utérins, ou aux neveux utérins ; dans des systèmes bilinéaires, chaque lignage héritera de certains biens et droits nettement spécifiés.

Le Droit moderne repose sur des principes très différents. L’État tend à uniformiser les régimes successoraux, affaiblir les groupes et développer la capacité testamentaire des individus. Cherchant surtout à définir les droits de l’individu sur les choses, il distinguera nettement entre Droit des personnes et des choses, et limitera le Droit successoral à la transmission des biens. Lié à une économie de type marchand, l’État moderne affaiblira le critère de distinction entre les biens basés sur leur nature et leur substance, de façon à accroître leur mobilité, et privilégier la notion de valeur économique : deux biens de même valeur matérielle sont juridiquement équivalents et interchangeables. On saisit mieux l’ampleur des différences séparant les systèmes traditionnels et modernes lorsqu’on étudie la façon dont les législateurs africains ont réglé quatre problèmes : l’objet de la dévolution successorale, sa date, les successions ab intestat,la liberté testamentaire.

 

C- Le mariage

 

Le colonisateur était déjà intervenu, en fixant un âge minimum, et en faisant du consentement des époux le fondement du mariage (décret Jacquinot du 14 septembre 1951). Ces dispositions furent peu appliquées. Les législateurs africains sont allés beaucoup plus loin. Sous l’effet de la monétarisation des échanges et, surtout en milieu urbain, de la nucléarisation de la famille, la dot avait tendance à devenir une prestation économique d’un montant exagéré, plutôt que le symbole d’une alliance entre deux familles. Certains États africains l’abolirent (Côte-d’Ivoire, Gabon, Centrafrique), d’autres la limitèrent (Guinée, Mali, Sénégal). Dans les faits, son versement continua à être pratiqué. La polygamie fut également visée par les législateurs. Bien qu’elle corresponde dans beaucoup de cas (Droits originellement africains et islamiques) à de très anciennes pratiques, on lui reprocherait de maintenir la femme dans un état de sujétion, et de nuire au développement, la division de l’autorité parentale étant jugée nuisible à l’éducation des enfants. Certains États l’abolirent (Côte-d’Ivoire, Tunisie, Madagascar, Centrafrique) ; d’autres la limitèrent (Mali, Guinée, Sénégal) ; d’autres n’intervinrent, pas, en raison du fort degré d’islamisation de la population (Niger, Tchad). Il reste que, dans la pratique, la polygamie légitime caractérise à l’heure actuelle environ 30% des unions (contre une moyenne d’un peu plus de 4% dans le reste du monde), et que ce pourcentage devrait s’accroître avec les progrès de l’Islam.

 

 


[1] Cf. par ex. : A. C. Papachristos, La réception des droits privés étrangers comme phénomène de sociologique juridique, Paris, LGDJ, 1975 ; J. Gaudemet, Les transferts de Droit, L’année sociologique,27, 1976, 29-59 Les modalités de réception du Droit à la lumière de l’histoire comparative, dans Le nuove frontiere del diritto e il problema dell’unificazione, I, Ed. Giuffrè, 1979 ; E. Agostini, Droit comparé,Paris, PUF, 1988, 243-322.

[2] Cf. supra, p. 46-62.

[3] Cf.M. Alliot, L’acculturation juridique, dans Ethnologie générale (dir. J. Poirier), Paris, Gallimard, 1968, 1180-1236, et également N. Rouland, Les colonisations juridiques, Journal of Legal Pluralism, 1990. M. Alliot insiste sur la manière dont évoluent les coutumes. Aux explications nouvelles – qui se multiplient en période d’acculturation – correspondent des applications nouvelles : « Quand la mentalité se transforme, on cherche à ce type d’héritage [d’oncle utérin à neveu] des raisons compatibles avec la pensée nouvelle ; on songe alors que, dans la famille matrilocale, le neveu a depuis l’enfance travaillé pour son oncle et qu’il est juste qu’au décès de celui qu’il a enrichi, il soit récompensé en recueillant ses biens. Mais cette nouvelle explication vaut pour d’autres cas également, par exemple pour la succession au père lorsque, la famille patrilocale se répandant, c’est pour lui que le fils a travaillé : une nouvelle règle apparaît, celle selon laquelle on hérite les biens qu’on a aidé à créer ou à faire fructifier. »

[4] Cf. Bradford W. Morse, Indigenous Law and State Legal Systems : Conflict and Compatibility, in Indigenous Law and the State,Bradford W. Morse-Gordon K Woodman eds, Dordrecht, Foris Publications, 1988, 101-120.

[5] Cf. E. Le Roy – M. Wane, Les techniques traditionnelles de création des Droits, Encyclopédie juridique de l’Afrique, I (L’État et le Droit),Dakar, 1982, 353-391 ; cf. également F. Snyder, Customary law and the economy, Journal of African law,28, 1-2, 1984, 34-43.

[6] L’évolution a été assez similaire dans l’Arctique : cf. N. Rouland, L’acculturation judiciaire chez les Inuit du Canada, Recherches amérindiennes au Québec, XIII-3, 1983, 179-191, et XIII-4, 1983, 307-318.

[7] Cf. M. Alliot, Le Droit des successions dans les États africains francophones, Revue politique et juridique. Indépendance et coopération, 4, 1972, 846-885.

Chapitre II. La Loi, entre discrétion et omnipotence

Section I: la synthèse Romaine

§I- La législation à Rome

Sous la République, la lex, entendue stricto sensu, était votée par les comices (centuriates et surtout tributes) sur proposition d’un magistrat à imperium (préteur, consul ou dictateur) qui lui donnait son nom. Avant le scrutin, le projet – dûment revêtu du visa senatorial (auctoritas) depuis que la lex Publilia de 339 av. J-C. l’avait déplacé en amont du processus normatif – était affiché pendant 24 jours, afin de permettre au peuple d’en prendre connaissance et d’en discuter de manière informelle. Le jour du vote, le magistrat ayant initié le texte en donnait lecture à l’assemblée (lex vient d’ailleurs de legere, lire). Il ne lui posait ensuite qu’une seule question : « Citoyens, acceptez-vous ou non cette loi ? » Les comices y répondaient par « oui » ou par non, sans avoir la faculté de débattre de son contenu ou de sa forme et de lui proposer des amendements. Une fois les votes décomptés, le magistrat devait s’acquitter d’une dernière formalité substantielle, la renunciatio (proclamation), qui validait le scrutin, sauf veto toujours possible d’un tribun. Si le projet avait été adopté, sa publicité était assurée au moyen d’un affichage qui demeura assez sommaire au début de la République. Les textes des lois étaient en effet simplement peints en lettres noires et rouges sur des planches de bois blanchies. Plus tard, on les grava sur des tables de marbre ou de bronze pour mieux en perpétuer la mémoire. Leur style, souvent assez verbeux, préférait la forme casuistique (« si quelqu’un fait quelque chose… ») à l’énoncé abstrait et se signalait par un ton impérieux destiné à rappeler que les leges étaient les ordres du peuple.

A partir de 286 av. J-C., les plébiscites, étant assimilés à des lois, suivirent une procédure comparable pour leur élaboration, avec pour seules différences d’être proposés par les tribuns et votés par les conciles de la plèbe.

Pendant les sept siècles d’existence de la législation populaire, environ 800 lois furent votées, ce qui est fort peu, surtout si l’on considère que seule une trentaine d’entre elles concernèrent le droit privé. L’évolution du jus civile se fit donc largement par le jeu d’autres sources du droit (édit du préteur, responsa des prudents, puis senatus-consultes au début de l’Empire).

Sous le principat, une fois la puissance législative de l’empereur affirmée au détriment des assemblées populaires, le terme de leges servit presque exclusivement à désigner les constitutions impériales.

§II- Les compilations impériales

A-    Le Code Théodosien

Au Bas Empire, l’abondance de la législation impériale, qui représentait à elle seule la quasi-totalité du droit « vivant », son importance croissante, ainsi que les insuffisances notoires de sa diffusion et de sa conservation suscitèrent précocement l’idée d’en constituer des recueils afin de fournir aux praticiens un accès commode à ces textes essentiels. En la matière, les premières expériences émanèrent d’initiatives privées, qui se signalèrent également par leurs modalités inédites de présentation matérielle. Répudiant la forme traditionnelle des rouleaux de papyrus, de consultation malaisée, ces compilations adoptèrent en effet la technique du codex (livre de papyrus puis de parchemin), appelée à un brillant avenir, qui s’imposa pour leur désignation. Il s’agit respectivement

– du code Grégorien, composé probablement en 291-292, qui rassemble des rescrits de droit privé ;

– du code Hermogénien, réalisé pour le compléter, entre 295-305 ;

Ces œuvres, dépourvues de valeur officielle et dénommées d’après leurs auteurs, juxtaposaient les textes impériaux (exclusivement des rescrits) sans essayer de les analyser, mais en prenant parfois le risque de les résumer. Elles ne couvraient enfin que le seul droit privé. De telles tentatives devinrent donc insuffisantes, lorsqu’au cours du IVè s., la multiplication des constitutions impériales amena de profonds changements dans l’économie générale du droit romain. C’est ce qui rendit nécessaire la mise en œuvre de codifications officielles.

Un premier projet, très ambitieux, fut présenté par l’empereur Théodose II dans une constitution de 429. Il prévoyait la rédaction de deux compilations dévolues l’une aux constitutions impériales de portée générale adoptées depuis Constantin (306-337), l’autre à des constitutions, à des rescrits et à des fragments du jurisconsultes classiques qui auraient ainsi acquis « valeur de loi ». Pour des raisons mal élucidées, ce programme ne fut pas mis en œuvre.

Revenant à la charge quelques années plus tard, le même Théodose II désignait dans une lex datée du 20 décembre 435 une commission de 16 membres, tous fonctionnaires du palais (un seul est qualifié de iuris doctor), afin qu’elle procédât à la codification officielle tant attendue. Le même texte, réaffirmant l’unité de l’ER, énonçait que l’œuvre ainsi produite aurait vocation à s’appliquer uniformément en Orient et en Occident. Plusieurs principes directeurs devaient guider la tâche des compilateurs. Il leur fallait d’abord rassembler toutes les constitutions générales émises depuis Constantin (= depuis 1 siècle) et les répartir par matière entre les divers titres du nouveau code. Pour parvenir à cette fin, il leur était loisible de procéder au découpage des textes et d’en distribuer les fragments ente les différents titres auxquels ils se rapportaient. A l’intérieur de chaque titre, les constitutions étaient classées par ordre chronologique, ce qui permettait de déterminer aisément quelles dispositions avaient éventuellement été abrogées par des textes plus récents. Surtout, l’empereur indiquait clairement qu’il n’entendait nullement faire œuvre d’historien mais forger un outil pratique, utilisable immédiatement. Les compilateurs étaient donc invités à ne reproduire que ce qui, dans chaque constitution, avait valeur législative, en supprimant les développements jugés inutiles (comme les préambules), en mettant fin aux contradictions entre les textes, en modifiant, si nécessaire, ce qui n’était plus adapté aux besoins de l’époque, en ajoutant, au besoin, les éléments nouveaux qui paraitraient utiles. En bref, les rédacteurs avaient pour mission d’interpoler les textes et de les mettre à jour.

Le code fut réalisé conformément à ces directives et achevé dès 437. Promulgué le 15 février 438 en Orient, il entra en vigueur dans les parties orientale et occidentale de l’Empire le 1er janvier 439. Il comprenait 16 livres rassemblant des textes échelonnés entre le 18 janvier 313 et le 16 mars 437.

En Orient, sa durée de vie fut assez brève, puisqu’il fut supplanté par le Code Justinien dès 529. Dans la partie occidentale de l’Empire, au contraire, il constitua le seul recueil officiel de la législation impériale reçu avant la déposition de Romulus Augustule en 476, et donc la source essentielle de connaissance du droit romain avant la redécouverte des compilations justiniennes au XIè siècle. Son utilisation fut d’ailleurs le plus souvent médiatisée via la loi romaine des Wisigoths ou « Bréviaire d’Alaric » (506) qui le simplifia et en assura la diffusion la plus large dans tout l’Occident. Le Brévaire fit lui même l’objet de nombreux abrégés. Enfin, l’Eglise, dont les membres étaient statutairement soumis au droit romain, puisa largement dans les dispositions du Code, notamment dans celles du livre XVI, consacré aux affaires ecclésiastiques et à la foi chrétienne.

B- Le corpus iuris civilis

Cette appellation, qui ne devint habituelle qu’au cours du XVIè siècle[1]par souci de symétrie avec le corpus iuris canonici, sert à désigner un ensemble factice de quatre recueils de droit romain composés sous le règne de l’empereur byzantin Justinien (527-565). De nature différente, chacun de ses ouvrages couvrait des champs nettement distincts du droit et servait des ambitions d’inégale amplitude. L’ensemble ainsi formé ne s’inscrivait pas moins dans le projet global de restauration de l’Empire caressé par le dominus oriental. Dans la perspective tracée par Justinien, l’éclat des armes faisait écho à la majesté des lois. Aux conquêtes de Bélisaire et de Narsés en Afrique (victoire sur les Vandales en 534), en Italie (campagnes contre les Ostrogoths en 535-554) et dans la partie orientale de l’Espagne (reconquête opérée en 550-554 sur les Wisigoths) répondait l’exaltation d’un héritage juridique romain à la fois pieusement conservé et patiemment reconstruit pour la postérité. L’entreprise juridique se révéla, au demeurant, infiniment plus durable que l’aventure militaire, rapidement balayée par la double offensive lombarde (en Italie) et musulmane (en Afrique du Nord, puis en Espagne, à partir de 711). En Occident, les compilations ordonnées par Justinien devaient irriguer le puissant mouvement de renaissance du droit de la fin du XIè siècle, susciter la curiosité passionnée des humanistes du XVIè siècle, nourrir la réflexion des jus naturalistes, accompagner le développement du rationalisme, inspirer la plume des rédacteurs du Code civil et, défiant les millénaires, continuer à fournir au droit contemporain un vaste réservoir de concepts, de vocables, de techniques et de procédures toujours utilisables.

Plus prosaïquement, la remise en ordre voulu par l’empereur s’imposait aussi pour des raisons techniques (les codifications antérieures étaient dépassées ; la jurisprudence classique dispersée dans des milliers de volumes de textes peu sûrs, mal connue, desservie par la consternante loi des citations, déformée par les médiocres résumés postclassiques, concurrencée par l’invasion des coutumes non officielles), politique (exaltation de l’autorité impériale), voire culturelle (affirmation de la supériorité de la tradition romaine sur l’hellénisation de la culture).

Compte tenu des caractéristiques propres de chacun de ces ouvrages, leur présentation séparée s’impose.

–       Le code fut l’œuvre d’une commission de dix membres, (six hauts fonctionnaires, deux avocats, deux professeurs de droit) présidée par Tribonien, qui présentait l’intéressante particularité de cumuler les fonctions enseignante (il était professeur à l’école de doit de Constantinople) et administrative (maître des offices puis questeur du palais, ce qui en faisait un proche de l’empereur). Une première version, perdue, fit l’objet d’une promulgation le 7 avril 529. La seconde version, seule conservée, émana d’une commission plus réduite, de cinq membres, toujours dirigés par Tribonien, et fut publiée le 16 novembre 534. Elle comprend un choix de constitutions impériales (édits et rescrits) allant d’Hadrien (IIè s.) à Justinien lui-même. Les constitutions antérieures à Constantin (306-337) ont été reprises aux Codes grégorien et hermogénien. Celles qui couvrent la période comprise entre la mort de Constantin et la promulgation du Code Théodosien (438) sont empruntées à ce dernier. Les textes les plus récents ont été tirés des archives impériales. Le code de Justinien complète donc largement l’œuvre de son prédécesseur Théodose II, dont il suit d’ailleurs les principes d’organisation : répartition en douze livres (par référence et en hommage à la Loi des XII Tables), subdivisions des livres en titres portant chacun sur une matière déterminée. A l’intérieur des titres, les constitutions étaient classées selon un ordre chronologique et contenaient chacune l’indication de l’empereur qui les avaient promulguées, l’identité de leur destinataire et leurs lieu et date de publication. Quelle que soit leur nature (édits ou rescrits), elles reçoivent toutes une autorité égale, dans la forme où elles sont citées et reproduites par le Code. Les textes désuets ont été rejetés ou interpolés (= remaniés). Appliqué en Orient, le Code y fit immédiatement l’objet de commentaires qui corrigèrent ses dispositions en partie anachroniques. Reçu en Italie, à la faveur de la reconquête byzantine du VIè siècle, il n’y fut pas complètement oublié au haut Moyen Age, notamment sous la forme d’Epitomé qui en fournirent  des versions abrégées, plus aisément assimilables.

–       Les Institutes sont un manuel d’enseignement du droit publié le 21 novembre 533 à l’attention de la « jeunesse avide de droit » et entré en vigueur le 30 décembre 533. Rédigé par trois professeurs de droit (Tribonien, Dorothée et Théophile), l’ouvrage s’inspirait fortement des Institutes de Gaius dont il reprenait le plan (personnes, biens et successions, obligations, délits et actions). Il connut un grand succès en Orient, mais aussi en Occident, où plusieurs gloses y furent rédigées, dans une perspective d’ailleurs plus grammaticale que juridique : les Institutes figuraient en effet au nombre des ouvrages étudiés dans le cadre du Trivium (matières littéraires à la base de l’enseignement dans le système antique et médiéval : grammaire, rhétorique, dialectique).

–       Le Digeste, appelé également de son nom grec « Pandectes » constitue une œuvre beaucoup plus ambitieuse que les autres et forme le cœur de l’entreprise justinienne. Il regroupe 9142 fragments d’œuvres de 38 jurisconsultes classiques allant de Q. Mucius Scaevola (fin du IIème siècle av. J-C.) à Hermogénien (fin du IIIème siècle ap. J-C.), avec une forte prévalence de Gaius, Paul, Papinien et surtout Ulpien (juristes du IIIè siècles ap. J-C.). L’ampleur de la tâche à accomplir posait de redoutables difficultés pratiques, auxquelles s’attela une commission de 18 membres (11 avocats, 4 professeurs, dont Théophile et Dorothée, 2 hauts fonctionnaires) emmenés par l’infatigable Tribonien. Pour baliser au mieux ses travaux, Justinien jugea utile de promulguer une cinquantaine de constitutions de réforme (les Quinquagintae decisiones) afin de préciser la méthode à suivre (mise au clair du droit, abrogation des dispositions désuètes, choix d’une opinion déterminée parmi des options doctrinales contradictoires exprimées sur tel ou tel sujet, etc.). La constitution Deo auctore du 15 décembre 530 revenait sur la question en définissant la mission des compilateurs. Aux dires de l’empereur, la « collecte du droit sur plus de 1400 ans » (en fait 500 ans seulement) exigeait l’examen de 2000 livres et de 3 millions de lignes portant aussi bien sur le droit civil que sur le droit prétorien (d’où le nom de Digesta donné à l’ensemble). Dix ans étaient jugés nécessaires pour parvenir à ce résultat. Trois se révélèrent suffisants, en appliquant une méthode draconienne de sélection, de découpage, de classement et d’interpolation des textes. Le 16 décembre 533, Justinien promulguait le Digeste dans sa constitution Tanta. L’ensemble, comptait 150 000 lignes et se répartissait en 50 livres divisés en titres. Chacun de ses titres répondait à un thème et comportait un certain nombre de fragments numérotés, parfois subdivisés en paragraphes, tous précédés de leur inscription (auteur et titre de l’ouvrage.

L’œuvre ainsi réalisée n’excluait pas une certaine ambiguïté, par son souci de synthèse entre tradition (l’essentiel des textes cités datait de plus de 3 siècles) et innovation. Certes, les auteurs les plus représentés (Paul et surtout Ulpien qui comptabilisent à eux deux près des deux tiers des fragments). Toutefois, les compilateurs ne crurent pas utile d’écarter tout ce qui, dans le droit ancien, était tombé en désuétude, (comme la procédure formulaire par exemple). Il en résulta un ensemble partiellement anachronique, à la gloire du droit privé des IIè-IIIème siècles, peu utilisable immédiatement par les praticiens contemporains de sa rédaction. La dimension idéologique de l’entreprise (souci d’affirmer la permanence et la supériorité de la culture romaine, défense de la pureté du droit classique contre les déviations vulgaires ; volonté de placer l’unité du droit au service de l’unité du pouvoir politique) semble ici avoir amoindri sa portée pratique.

Inconnu en Occident lors de sa promulgation, le Digeste fut envoyé en Italie, à la demande du pape Vigile, une fois achevée la reconquête byzantine. Il n’y fut guère utilisé (pour le haut Moyen-Age, la dernière mention qui en est faite figure dans une lettre du pape Grégoire le Grand datée de 602) avant d’être redécouvert, dans des circonstances assez mystérieuses à la fin du XI7 siècle. Il est alors cité par un dénommé Pepo au cours d’un procès qui eut lieu en Toscane, non loin de Sienne (Plaid de Marturi, 1076). Au Moyen-Age, où il est abondamment cité, le Digeste est découpé en trois parties : le Digestum vetus ou Digeste Vieux, (livres 1 à 34,2) ; l’Infortiat (livres 34, 3 à 38, 3) ; le Digestum novum ou Digeste neuf (livres 38,4 à 50.

Les Novelles. Une fois Code achevé, Justinien continua de légiférer en abondance, dans les matières les plus diverses du droit privé. Cette intense activité normative des années 535-540 suggéra logiquement l’idée d’un quatrième et dernier recueil de droit. Toutefois, à la différence des trois autres, celui-ci ne fut pas le fruit d’une volonté officielle de l’empereur, mais d’initiatives privées qui donnèrent naissance à trois collections d’inégale importance :

  • Une collection de 124 novelles publiée entre 535 et 555. Elle est due au travail d’un professeur de droit de Constantinople, Julien et porte le nom d’Epitome Juliani. Elle regroupe les constitutions impériales, traduites en latin, dans un ordre censément chronologique. Elle semble avoir très diffusée en Italie, où l’on en a retrouvé plusieurs manuscrits.
  • Une collection de 134 novelles réunie vers 556. Là encore, les constitutions, écrites en grec, furent traduites en latin. IL est d’ailleurs possible qu’elle ait été rassemblée en Italie (à Ravenne). Cette collection fut utilisée par les Romanistes occidentaux du Moyen-Age sous le nom de l’Authentique (Authenticum ou Liber authenticorum), parce qu’elle avait d’abord été soupçonnée de n’être qu’un faux avant d’être déclarée authentique.
  • La collection la plus complète est un recueil de 168 novelles en grec (dont 158 de Justinien) composé sous le règne de Tibère II (578-582). Elle ne fut connue en Occident qu’au XVè siècle.

Certaines de ces novelles enregistrèrent des évolutions décisives du droit romain tardif. Ainsi, la célèbre Novelle 118 sur le droit de la famille, rompant avec le vieux substrat agnatique de l’ancien droit civil (primat du seul pater familias) se fondait sur la proximité des degrés de parenté cognatique (= parenté indifférenciée établie par les deux ascendance paternelle et maternelle) pour l’ordre des successibles. Ces dispositions inspirèrent les rédacteurs du Code Napoléon, où elles demeurèrent inchangées jusqu’en 1957. Les Novelles transmirent ainsi un droit évolué, associant la perfection de la technique classique à un réel souci d’innovation.

Après les invasions germaniques :

Le droit romain a survécu aux invasions, qui n’ont altéré ni son autorité, ni la connaissance et la compréhension déjà limitées qu’on en avait. La vigueur qu’il a conservée aux Vè-VIè siècles est attestée par les compilations des lois romaines ordonnées par les rois barbares à l’imitation des empereurs, ou dues à des initiatives privées, pour aider juges et praticiens à distinguer celles qu’il convenait de conserver et qui pouvaient utilement être invoquées en justice.

Contrairement à une idée reçue, ces lois romaines ne semblent pas avoir eu pour seuls destinataires les Gallo-romains, en application du pcipe de personnalité des lois, dont la portée a été exagérée, mais bien l’ensemble de la population, barbares compris.

Ne disposent pas de législation spéciale, mais sont soumis au droit romain. Cepdt., pose de nbreux pbs d’application :

– sources abondantes

– ignorance des juges

– complexité technique de la législation romaine

Il fallut donc assez vite rédiger des compilations simplifiées. 2 sont connues pour la Gaule (réalisées significativement ds le S. du royaume) :

Lex romana Burgundiorum, rédigée sur l’ordre de Gondebaud, roi des Burgondes.. Appelée également le Papien.

Lex romana wisigothorum, qui éclipsa la précédente. + connue sous le nom de Bréviaire d’Alaric : rédigée sur l’ordre d’Alaric II en 506, ap. avoir été préparée par une commission de savants et approuvée par une assemblée d’évêques et de notables. Comprend à la fois des extraits de constitutions et des fragments de jurisconsultes romains, accompagnés d’une interpretatio en latin vulgaire. Code appliqué non seult ds l’ancien roy. Wis , mais également ds l’ensemble du roy. Franc = seul recueil des lois romaines en France étudié jusqu’à la renaissance justinienne du XIè s.

N.B : dans les 2 cas :

– compilations d’origine publique

– visée politique du droit : souci d’intégration, voire de ralliement des pop. gallo-romaines, largement majoritaires (c’est vrai surtt pour Alaric II).

Section II : L’effacement du pouvoir normatif royal (VIè-XIIè siècles)

 

1ère partie de l’époque médiévale marquée par un grand effacement du pouvoir normatif royal (§ I) et par la concurrence d’autres sources du droit, notamment ecclésiastiques (§ II).

§ I- Une activité législative déclinante

Au lendemain des invasions, les rois barbares, en héritiers des empereurs, ont maintenu une activité législative, d’abord ds le cadre de la rédaction des lois nationales de leurs peuples, mais aussi pour édicter des lois autonomes sous la forme de capitulaires.

Les Mérovingiens avaient déjà recours à de grandes réunions annuelles au cours desquelles étaient adoptés des édits ou « constitutions ». En mars, des assemblées baptisées « champs de mars », réunissaient autour du roi les grands du royaume, laïcs comme ecclésiastiques.

Lors de ces « plaids généraux », le souverain faisait part à ces vassaux de ses décisions. Ces ordonnances royales (concernant quasi exclusivement la vie militaire ou la justice) étaient approuvées par acclamation. Charlemagne, puis son fils Louis le Pieux, perpétuent et amplifient cette pratique législative. La cavalerie succédant aux fantassins, c’est désormais en mai (puisqu’il faut de l’herbe dans les prés pour les chevaux) que les puissants de l’empire s’assemblent. Ces « champs de mai » (les soldats étant conviés en armes) précèdent bien souvent des raids de pillage. Au cours de ce rassemblement, qui si les circonstances l’imposent, peut avoir lieu plusieurs fois dans l’année, sont examinés, discutés, élaborés puis rédigés en latin les capitulaires. Ces textes législatifs doivent leur nom à leur découpage en petits chapitres, les capitularia.

Le roi soumet s’abord ses propositions à l’assemblée. Puis, et parfois pendant plusieurs jours, les nobles, les évêques et les militaires délibèrent. Une fois le consensus trouvé, ils font part de leurs décisions au roi, qui a cependant le dernier mot. Mais de fait, le souverain n’est plus, en apparence du moins, seul décisionnaire des lois régissant son royaume : il en devient à la fois l’arbitre, le médiateur et le garant. Finalement, il se préoccupe moins de l’assentiment général que de l’établissement, avec ceux qui l’entourent, des bases consensuelles permettant à son pouvoir de se maintenir.

Maître de l’Empire chrétien d’Occident, Charlemagne est persuadé qu’il est responsable devant Dieu de la façon dont vivent les peuples soumis à son autorité. Il n’a donc de cesse de tenter de légiférer dans tous les domaines touchant à la vie quotidienne. Un de ses capitulaires, datant de 789, s’étonne ainsi  « de la pâleur des religieuses causée par des saignées trop fréquentes ». Un autre, datant de 803, condamne explicitement les mariages consanguins. Le premier capitulaire émanant de Charlemagne est celui de Herstal datant de 779. Il existe quatre catégories de capitulaires : les per se scribenda émanent directement du roi, les pro lege tenenda, approuvés par le conseil de l’empire, ont force de loi, les legibus addenda amendent les lois nationales des peuples germains, les missorum renferment les instructions destinées aux missi dominici.

Pourtant, même s’ils ont parfois force de loi, les capitulaires ont bien souvent de grandes difficultés à être appliqués. D’abord parce qu’ils ne peuvent pas toujours se substituer à la diversité des droits coexistant sur tout le territoire. Les Carolingiens, en effet, respectent le principe ancestral du  « à chaque peuple sa loi ». Selon qu’il est Franc, Aquitain, Lombard, Burgonde ou Alaman, esclave ou homme libre, chacun doit préciser, avant d’être jugé, à quelle législation nationale il appartient. Charlemagne, soucieux de ce respect, fait d’ailleurs consigner par écrit les lois des peuples placés sous sa domination jusqu’alors transmises par la tradition orale.

La seconde difficulté est qu’une fois les capitulaires entérinés et promulgués par le roi, il revient aux comtes de les faire connaître dans leurs comtés, et de veiller à leur application. Mais les comtes ne sont pas toujours très fiables. C’est pourquoi Charlemagne décide d’instituer des missi dominici, ses envoyés spéciaux dans les provinces, dont un capitulaire datant de 802 précise le rôle et les pouvoirs. Malgré ces précautions, les capitulaires demeurent lettre morte.

Même si les historiens s’accordent à reconnaître l’importance fondamentale des capitulaires, notamment pour l’étude des institutions entre le VIIIème et le IXème siècle, peu de textes originaux sont parvenus jusqu’à nous. De ces actes législatifs, il ne reste le plus souvent que des copies, exécutées par des moines. Plus de 220 capitulaires ont été recensés, de Pépin le Bref à Charles le Simple, le plus récent datant de 884. Subsistent également plusieurs recueils de ces textes dont le plus célèbre est celui de Saint Anségise, abbé de Fontenelle, qui a réuni en 827 les capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux.

B- La Renaissance carolingienne et l’augustinisme politique

Vaste essor culturel tout entier marqué par l’Église : à la mort de Charlemagne, en 814, le monde occidental est entièrement chrétien (même s’il est toujours loisible de discuter de la réalité et surtout de la profondeur de cette christianisation) : c’était là la mission que s’était assignée l’empereur. Avant lui, jamais tant de peuples n’avaient confessé le nom du Christ. L’Église, qui a la gestion exclusive du baptême, est donc la grande pourvoyeuse d’identité personnelle, du plus humble des rustres jusqu’au roi : unité du peuple chrétien. Du haut en bas de la société, dieu, ses saints et son Église fournissent à tous les pcipes nécessaires de compréhension du monde, d’organisation de la société et de comportement individuel.

Ordinatio, renovatio, consecratio : définissent les termes d’un programme immense tendant à placer le monde terrestre de la société des hommes en état de se conformer au projet divin, à réaliser l’harmonie entre ces deux univers pour le plus grand bien du peuple chrétien. Travailler à mettre le monde en ordre, contribuer à l’accomplissement des écritures, faire connaître plus et mieux le nom de Dieu requièrent des instruments adéquats : Pour diriger, encadrer, amender les populations, une compétence, une science sont nécessaires. Il entre ds la mission du roi et de l’Eglise, conjointement, de développer les moyens de mieux savoir pour mieux servir

Obsession de la norma rectitudinis = norme de ce qui plaît à dieu directement à l’origine de la dynamique de renaissance : L’homme doit croire en Dieu, suivre ses préceptes et le servir toute sa vie ; mais par dessus tous, il doit vivre sa foi en honorant Dieu ds l’office divin, lui adressant ses louanges, ses remerciements ses prières. Ds son palais, avec ses reliques et son clergé palatin, le roi est le 1er de ceux qui prient pour l’ensemble du royaume et de ses habitants. Période carolingienne = époque dont toutes les manifestations artistiques sont essentiellement un ornement du service divin, un sacrifice offert au Seigneur et une propagande pour la royauté catholique.

– Souci d’une langue sacrée, pure et ornée, confortée par la grammaire, la rhétorique et l’art poétique : langue savante, purgée des scories du siècle afin d’être à la fois universelle et parfaite : amour des lettres et désir de Dieu se conjuguent. Le latin à retrouver, le modèle = celui de la littérature romaine à son apogée (Cicéron et Virgile : bene dicere, bene vivere) : christianisation de la culture païenne. Langue de plus en plus éloignée de celle des laïcs (= le roman), dont la culture écrite tend au même moment à se rétracter considérablement, en dépit de quelques brillantes exceptions (comme Duoda).

Posséder la grammaire, connaître les secrets de la rhétorique, c’est s’ouvrir le chemin de la vérité : les mots sont en effet le reflet des choses.

De même = exigence impérieusement ressentie de se procurer le plus de textes possible, ds la meilleure leçon possible, car un texte altéré = un péché contre l’esprit. Entre intellectuels, entre établissements religieux, prêts et échanges de livres vont bon train. L’effort d’édition, déjà entamé à la génération précédente, s’intensifie. La quantité de textes transcrits au IXè s. ds les scriptoria monastiques, pcipalement, au nord de la Loire, est au total considérable tant en ouvrages profanes que sacrés. Toutefois, qualité inégale en raison d’une méconnaissance croissante du grec.

Pureté doit également toucher la forme écrite des textes sacrés. Apparaît alors une écriture claire et régulière : la belle caroline, qui apparaît vers 780, sans doute à l’abbaye de Corbie. Est fondée sur quelques pcipes simples : régularité et lisibilité d’une part ; rotondité et largeur d’autre part. Cette écriture trompera les humanistes du XVIè s. qui la croiront « antique ». Est également l’ancêtre de nos caractères d’imprimerie. D’où une éclosion de manuscrits riches d’initiales enluminées et souvent hardies ; l’or, l’argent et les couleurs exubérantes rehaussent les manuscrits liturgiques : évangéliaires, sacramentaires, psautiers, bréviaires.

– Architecture atteignant une monumentalité nouvelle : Saint Riquier, Fulda (église abbatiale construite de 791 à 819 sur le modèle de Saint Pierre de Rome), Aix la Chapelle : monuments les plus importants situés à l’est, ds les pays de conquête militaire et spirituelle. En France : nombreux monuments détruits ; demeurent cepdt, entre autres : crypte de Saint Germain d’Auxerre, de Saint Médard de Soissons, mosaïque de Germigny des Prés. Au total, 27 cathédrales, 232 monastères et 65 ensembles palatiaux ont été édifiés entre 768 et 814, sans compter de simples oratoires comme celui de Théodulfe, précisément.

S’inscrit ds un programme plus général de propagande ecclésiastique, articulé autour de nombreuses entreprises hagiographiques, de rédaction de Gesta episcoporum, et surtout du culte des reliques = véritable trésor des églises (nombreuses importations en provenance de Rome) : permettent la promotion des patrons locaux (cf. en particulier l’œuvre d’Hincmar d Reims autour de Saint Rémi : translation des reliques, rédaction d’une Vita Remigii, légende de la Sainte Ampoule).

– Ds l’entourage royal : brillant aréopage d’intellectuels qui forment « l’Académie du Palais » : Pierre de Pise (grammaire et poète italien), Alcuin, d’origine anglo-saxonne, abbé de Saint Martin de Tours ; Paul Diacre (Lombard) historien, Théodulfe, d’origine espagnole : théologien poète, évêque d’Orléans ; sous le règne de Louis le Pieux : Eginhard (architecte, biographe de Charlemagne), Smaragde de Saint Mihiel, Jonas d’Orléans, Loup de Ferrières, etc.

Rationalisme et humanisme pas absents de cette renaissance : celle-ci est tournée vers des valeurs et des formes complètement différentes de celles du monde germanique. Expression vivante de la réussite définitive d’une fusion entre les éléments romains, gaulois et germaniques de ce qui allait devenir l’Europe.

Force du projet carolingien servi par une dynamique volontariste et une incontestable réussite intellectuelle n’est cependant pas exempt de contradictions internes, qui entraînèrent à terme son irrésistible délitement.

Note sur l’idéologie politique. Dans l’Empire romain en déliquescence où l’Église assume des charges temporelles, à l’encontre d’autres auteurs qui imbriquent le religieux et le politique (Eusèbe de Césarée, Prudence), dans la Cité de Dieu, Augustin distingue radicalement les deux sphères en montrant la permanence de la cité de Dieu dans les pérégrinations de l’Histoire, qui s’oppose à la contingence de la cité terrestre.

L’interprétation qui est généralement faite de la Cité de Dieu dans les siècles suivants est la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Cela conduit à l’augustinisme politique, dont on situe l’apparition au pape Grégoire le Grand (590-604) : le pouvoir politique est au service du pouvoir spirituel, ce qui entraîne notamment que le bien public et les vertus chrétiennes sont identiques, et la cité terrestre de la perdition d’Augustin devient la cité temporelle et politique.

A l’inverse, l’opposition à Augustin à partir de la Renaissance consiste à prôner l’autonomie de la sphère politique par rapport à la sphère spirituelle. Ce sera la démarche de Machiavel, Hobbes et Rousseau.

A la fin de la période franque (VIè-IXè s), la décomposition du pouvoir a fait disparaître, pour plusieurs siècles, la législation royale des sources du droit.

En même temps, interruption de l’activité législative du roi : le dernier capitulaire carolingien est de 884 ; le 1er établissement capétien de 1154. Entre les 2 270 ans de silence normatif. Coutume est donc apparue dans une époque de vacance juridique, en pleine fragmentation de l’espace territorial et en plein reclassement des rapports sociaux. Si les actes du Xè siècle invoquent encore, çà et là , la lex romana et gotha, voire la lex salica, il ne s’agit plus de références cohérentes mais de formules quasiment magiques, protectrices de l’acte réalisé. Extrême confusion des notions juridiques.

§II- La concurrence normative de l’Eglise

A- La diversité des instances normatives

Il convient ici de distinguer les dispositions d’application générale (1) des règles à valeur locale (2).

1- La voix de l’Eglise universelle

Elle s’incarne ds deux institutions majeures, appelées à jouer un rôle croissant au sein de l’institution ecclésiale : la papauté et l’assemblée conciliaire : double aspect monocratique et collégial qui caractérise assez bien les 2 visages et les 2 tentations de l’Eglise occidentale.

a)- Les décrétales pontificales

Pape = évêque de Rome, successeur de Pierre et tête de l’Eglise occidentale. Dispose depuis le IVè s. (fin des persécutions) d’une chancellerie encore rudimentaire et qui laisse place à bien des défaillances. Expédie les lettres envoyées par le pe et en conserve une copie, parfois placée à l’int. d’un registre.

L’essentiel de la législation pontificale est encore assez modeste. Elle s’exprime précisément ds ces lettres, appelées décrétales (epistolae decretales) que le pape adresse le + svt. à des év. , mais aussi à d’autres clercs ou à des laïcs. Suscitées par une question particulière, elles ont d’abord une valeur limitée ds le temps et l’espace. Mais l’autorité de + en + affirmée du pontife sur l’ensemble de l’Eglise occidentale confère bientôt à ses documents une valeur générale (//rescrits impériaux), surtt si le pape qui les a édictées est lui même doté d’un grand prestige : cf. notamment la correspondance de Grégoire le Grand (590-604).

b)- La collégialité épiscopale : la législation conciliaire

Concile = assemblée d’év. pouvant réunir des prélats des églises locales (concile régional), métropolitaines (concile provincial), nationales (concile général) ou universelles (concile oecuméniques). Ttefois : flou de la terminologie pr cette période. Pas de vraie périodicité ds ces réunions, en dépit de nombreuses revendications des év. eux-mêmes

Époques méro. et surtt caro. virent se dév. une intense activité conciliaire : Eglise à organiser, peuple chrétien à discipliner, contenu dogmatique de la foi à préciser, hérésies à juguler, morale à définir, mais aussi affaires politiques à trancher.

(Ex : concile réuni en 962, à l’occasion du couronnement d’Othon 1er prétend débattre du « statut et du gouvernement de tte la chrétienté. »)

D’ailleurs, conciles svt ouverts à d’autres participants que les seuls év. Voire conciles convoqués par le roi :

Ex : 2 conciles d’Orléans : – 1er réuni à l’initiative de Clovis en 511 ;

– 2nd en 533 à la demande de ses 3 fils, les rois de Paris, de Soissons et de Reims.

La moitié des conciles mérovingiens ont été réunis par la volonté des rois. Même ingérence de la part des Caro.

Les conciles n’en restent pas moins des actes religieux. Ils s’ouvrent et se closent par des cérémonies cultuelles et comportent un rituel : Vocation mixte. Leurs décisions s’imposent à tous. En vertu de quelle autorité ?

– parfois : confirmation séculière (réception par le roi des décisions adoptées par les Pères conciliaires)

– tjrs : autorité tirée de la tradition (succession apostolique), de la conformité aux écrits des Pères et à l’orthodoxie, de l’inspiration de l’Esprit Saint.

Rôle du pape encore assez effacé, mais tend à affirmer de + en + ses prétentions sur cet instance privilégiée de régulation de la vie religieuse.

2- Les dispositions issues d’initiative locale

N.B : Elles peuvent avoir une origine locale et comporter ultérieurement une portée bcp + générale. 2 sources majeures à considérer ici, touchant aussi bien le clergé séculier (a) que le clergé régulier.

a)- Les statuts épiscopaux

Ds son diocèse, l’év. est législateur pour son peuple. Il doit sans doute respecter les dispositions générales édictées par les conciles et les décrétales, mais il est libre de les interpréter, de les expliciter ou de les compléter. Les conditions de rédaction de ces statuts sont assez mal connues : concertation ou non avec le clergé local ? Avis de laïcs ?

Une seule certitude : l’importance de cette législation, notamment au cours du IXè s, sous l’impulsion des grands év. de la renaissance caro. comme Théodulf d’Orléans ou Hincmar de Reims.

L’ampleur de ces statuts est inégale. Certains constituent de véritables codes à l’usage du clergé, et même des laïcs (qui ne peuvent malheureusement pas les lire).

b)- Les règles monastiques

Formulent un droit propre à certaines familles religieuses : moines cénobites animant la christianisation des campagnes et la culture cléricale. Plusieurs règles fondamentales ont vu le jour pdt cette période. En particulier :

– Césaire d’Arles (470-542)

– Benoît de Nursie (règle rédigée vers 534-547)

– Colomban (v. 590-615)

Révision de la règle de Saint Benoît par Benoît d’Aniane. Devient règle officielle de l’Empire carolingien, approuvée par  tous les abbés en vertu du capitulaire monastique promulgué par Louis le Pieux en 817.

Vaste effort d’encadrement et d’organisation de la vie religieuse, après les fantaisies des temps héroïques.

B- La variété des domaines concernés

Église = seule institution à avoir survécu au cataclysme provoqué par la chute de l’ER, puis à faire face aux forces de dissolution nées du mouvement féodal. Se trouve donc contrainte d’assumer des rôles pour lesquels elle n’avait pas de vocation particulière : fonction de suppléance et de substitution, face à un État fragilisé par le manque de cadres compétents et la virulence des appétits territoriaux. Se voit donc investie d’une compétence quasi universelle, qui dépasse de bcp ses traditionnels domaines d’intervention que sont la défense du dogme, l’organisation interne du clergé, ou la détermination du contenu liturgique des célébrations. Ingérence de + en + marquée en direction des laïcs (1).

Multiplicité des textes produits et des sources du droit conduit donc peu à peu à la constitution de collections canoniques de + en + complètes, étayant parfois des prétentions peu compatibles avec le strict esprit évangélique (2).

1- L’encadrement des Laïcs

Ds la primitive Église, ce qui domine les préoccupations des clercs, après l’arrêt des persécution = l’attente de la fin du monde. Conviction que le siècle est profondément contaminé par le mal, de + en + svt identifié à la sexualité. D’où un vaste mouvt de fuga mundi qui culmine avec la diffusion des deux grands modèles monastiques que sont le cénobitisme et l’anachorétisme, et une exaltation de la virginité comme signe d’une perfection int. L’idéal de vie chrétienne = l’existence retirée et paisible menée par le moine : négation des fonctions de production et de reproduction propre à l’univers séculier. Espace et temps du cloître tournés vers l’éternité.

Peu à peu, retombée des tensions eschatologiques exacerbées par la chute de l’ER. Période de compromis (et même parfois de compromission) avec le monde laïc. Effort des clercs pour définir un état de vie profane acceptable pr un chrétien + amélioration de l’encadrement des fidèles, par le dév. du réseau paroissial, la mise en place d’une pastorale exigeante et le renforcement de la présence sacramentelle. Passage de la pénitence unique et solennelle, appelant à une conversion radicale des modes de vie à la pénitence tarifée, réitérable, importée d’Irlande : floraison des pénitentiels aux VIIè-Xè s. : recueils allant de qques feuillets à de petits traités donnant des listes de péchés avec pr chacun d’eux le tarif de la pénitence imposée (jours, mois, années de jeûne, mortifications ou oeuvres de charité diverses) // syst. du wergeld des lois barbares. Obsession des fautes sexuelles, qu’accompagnent d’étranges fantasmes. Curieuse hiérarchie des fautes. La nature et la gravité de la faute y comptent + que la culpabilité (intention) de l’auteur : conception objective de la culpabilité et caractère automatique de la peine, indépendamment des circonstances. Marque ttefois un progrès vers la confession auriculaire, qui ne triomphera qu’au XIIIè s.

Autre domaine d’intervention de l’Eglise : les mouvements de paix de l’époque féodale : là encore : canalisation des excès désordonnés des laïcs.

2- L’affirmation de prétentions politiques : La constitution de collections canoniques

Masse des textes normatifs produits par l’Eglise au cours de son histoire. Aux sources citées ci-dessus (décrétales, canons des conciles, en particulier des grandes assemblées oecuméniques des IVè-Vè s : Nicée (325), Ephèse (431), ou Chalcédoine (451) et statuts synodaux) s’ajoutent encore l’autorité des textes sacrés (A.T et N.T, dont le canon fut fixé au IVè s.), la tradition des Pères de l’Eglise d’Orient (Jean Chrysostome, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze) et d’Occident (Tertullien, Cyprien, Jérôme, Ambroise, Augustin), et même certaines dispositions du droit romain, christinanisé à partir du IVè s. Dès le IVè s. prise de conscience de la nécessité d’ordonner ces textes en les rassemblant et en les classant ds diverses collections : vaste travail de collecte des textes accompli à Rome en particulier sous le pontificat de Gélase 1er (492-496) : cf. la Dionysiana, œuvre du moine Denys le Petit = Pdt longtps, la + imptante des collections canoniques d’Occident.

D’emblée, donc, équipement juridique de l’institution ecclésiale t. supérieur à celui des royaumes barbares, déchirés par la personnalité des lois et desservi par la disparition de la culture écrite : clercs sont les dépositaires du savoir. Ont un statut homogène qui leur permet de tous vivre conformément aux dispositions d droit romain, quelles que soient leurs origines ethniques personnelles. Imptce que les h. d’Eglise accordaient au droit pour guider leurs réformes et régir la vie chrétienne de leur communauté : le droit comme instrument de bonification sociale et d’amendement moral.

Fin période méro. et époque caro. marquées par une nouvelle floraison de collections canoniques comme l’Hibernensis (v. 700 : vient d’Irl.), la Dionysio-Hadriana (774, la Dacheriana (800), etc. Suivent un ordre chronologique ou thmatique, pour les plus innovantes d’entre elles. Plusieurs nouveautés caractérisent d’ailleurs ces textes :

– Introduction massive de textes de pères de l’Eglise, dont l’autorité était jusque là simplement reconnue en matière de dogme : leurs ouvrages prennent dès lors valeur juridique, tandis que le droit canonique se colore d’une teinte morale bcp plus marquée.

– Dimension pratique revêtue par certaines collections comme les II libri de synodalibus causis de l’abbé Reginon de Prüm (906) : sorte de guide destiné aux évêques ds leurs visites diocésaines.

– Souci démonstratif au service des prétentions croissantes de la papauté en matière temporelle : le droit devient un instrument du combat pol.

– A l’appui de ces prétentions, rédaction de nombreux faux pendant la période caro. ds le souci de soutenir le combat pr la primauté romaine. Parmi ces documents, 2 méritent d’être cités :

* Recueils des « Faux Isidoriens » : groupe de 4 collections canoniques rédigées aux VIIIè-IXè s. qui connut un immense succès au cours du MA, au point de fournir le soubassement de collections authentiques, elles, rédigées ultérieurement.

* Surtt : La Donation de Constantin, réalisée ves 654, peut-être à Saint Denis, et insérée précisément ds les pseudo-Isisdoriens. Utilise une légende qui circulait à Rome ds les années 500. Elle mentionnait une donation faite par Constantin, atteint de la lèpre puis miraculeusement guéri par le baptême, au pape Sylvestre. La donation portait sur les termes suivants :

– reconnaissance par Constantin de la primauté romaine à l’égard des autres patriarches ;

– donation au pape du palais impérial du Latran ;

– concession à Sylvestre des insignes impériaux et des symboles du pouvoir temporel ;

– donation de l’Occident au pape, Constantin se retirant en Orient.

Prise au pied de la lettre, la donation de Constantin aboutissait donc à faire du pape l’emp. d’Occident (même si ultérieurement, prétentions réduites à la domination de la seule Italie + supériorité du pouvoir spirituel). Document largement utilisé par les juristes de l’entourage pontifical, qui, durant de longs siècles, dominèrent largement le droit et la théorie politique de leur temps.

N.B : Authenticité de la donation contestée dès le MA (légistes impériaux de l’entourage de Barberousse en 1152). Fut mise en évidence de manière définitive Par Lorenzo Valla en 1440 : un des tt premiers exemples de critique historique rigoureuse, fruit de l’humanisme naissant.

Au total, par la solidité de ses structures et par la maîtrise de l’instrument juridique, l’Eglise romaine joue en Occident un rôle qui dépasse de bcp le seul contenu religieux. Son influence s’étend enfin jusqu’au cœur de la vie des familles, en vertu du dynamisme conquérant qu’elle su donner à sa juridiction.

Section III : L’affirmation d’une souveraineté legislative

§i- la reconquête du pouvoir normatif par l’institution monarchique

Fruit de la reconstruction de l’Etat qui lui a assuré des bases matérielles solides, l’affirmation d’un pouvoir édictal autonome est intimement liée à une meilleure maîtrise des cadres conceptuels qui triomphe au cours du XIIIè s. ds la définition d’un nouveau modèle politique (A). Ce dernier, largement informé par le renouveau du droit romain et par la redécouverte des catégories philosophiques aristotéliciennes s’épanouit progressivement ds un processus législatif rénové de plus en plus complexe, sur lequel le roi de France exerça dès le XIIIè s. un quasi monopole de fait (B).

A- Les fondements théoriques du pouvoir édictal

Au XIIè s., portée par le renouveau des cadres intellectuels, la loi s’insère au coeur des débats doctrinaux contemporains, alimentant aussi bien la réflexion des juristes, qui s’efforcent d’en proposer une définition de plus en plus rigoureuse (1) que les spéculations des théologiens et des philosophes, qui en rattachent plus globalement l’exercice à une nouvelle forme de légitimité politique : réflexion menée sur la nature du pouvoir et les fondements de l’autorité (2).

1- L’élaboration d’une définition juridique opératoire (XIIè-XIIIè s.)

Droits savants en porte à faux avec la tradition juridique antérieure marquée par l’imprécision des concepts et l’émiettement des instances normatives :

– droit romain = véritable raison écrite, offre les cadres d’une nouvelle science juridique faite de rigueur et de technicité, fournit le modèle d’une autorité publique autonome et centralisée;

– droit canonique au service de la théocratie pontificale.

Ds cette double perspective, émergence rapide d’un concept essentiel, issu du droit romain, mais défriché par le double effort des glossateurs et des canonistes : celui d’universitas, conçu comme un groupe possédant une personnalité juridique distincte de celle des individus qui le composent, et déléguant sa potestas aux représentants qu’il s’est donné. T. tôt appliqué à l’Eglise, aux collectivités urbaines, aux communautés de métiers, ce concept est aussi inséparable d’autres notions comme la res publica et l’utilitas publica  qui vont également concourir à l’élaboration d’une théorie de l’Etat. L’influence décisive fut ici celle du droit romain :

– Réflexion serrée sur les sources du droit, au sein desquelles l’importance de la lex, magnifiée par le Corpus juris civilis, est particulièrement soulignée. T. tôt, les glossateurs bolonais fondent sur qques uns de ces textes (Quod principi placuit habet legis vigorem et princeps legibus solutus notamment) le pouvoir de condere legem, d’établir la loi, qui n’appartient qu’ua princeps : origine de la norme, loi vivante. Certains d’entre ces théoriciens n’hésitent pas à réserver cette compétence à l’emp. germanique, considéré comme l’unique héritier du princeps romain. De leur côté, les décrétistes l’attribuent au pape, tandis qu’un fort courant doctrinal, alimenté en France comme en Angleterre par les canonistes, la revendique dès la 2nde moitié du XIIè s. pour les rois : loi = enjeu politique.

Certes, la conception d’une royauté détentrice d’un pouvoir normatif n’avait pas disparu aux Xè-XIè s. Mais elle s’inscrivait ds une vision statique du droit, fondé e sur la croyance en un ordonnancement du monde voulu par Dieu et défini une fois pour toutes, que le roi était tenu de respecter : ds ce cadre, donc, pas de véritable pouvoir créateur, innovant, mais un simple souci de la conformité à un modèle prédéfini, sur lequel on n’a aucune maîtrise.

Au contraire, la vision qu’offrent les sources justiniennes = celle d’un démiurge juridique, d’un legum conditor plus actif, dont la volonté est créatrice de règles nouvelles de portée générale.

Élucidation des rapports entre loi et coutume : une coutume raisonnable, élaborée ex certa scientia, c’est à dire en tte connaissance de cause, peut mettre en échec une loi. Toutefois, cette soumission de la coutume à la censure de la raison ouvre la voie à une législation princière destinée à en corriger les abus ou à en combler les lacunes  au nom de l’utilité publique : extension du champ de la lex, qui va progressivement grignoter les marges du monopole coutumier, jusqu’à finir par l’abolir tout à fait, au cours de l’époque moderne.

– A l’image d’un roi justicier succède donc, peu à peu, au cours du XIIIè s., celle d’un roi législateur, servie par le renouveau de la réflexion doctrinale : capacité et même obligation de légiférer pour le souverain justifiée par le commun profit, dont il est seul juge, et l’utilité publique dont il est le garant : élargissement considérable du champ de l’activité normative royale, d’autant que les 2 notions précédentes ne sont guère définies… Peuvent d’ailleurs être également rattachées aux importants dév. qui touchèrent la philosophie politique au cours du XIIIè s, sous l’influence d’un renouveau des idées aristotéliciennes.

2- L’émergence d’une nouvelle philosophie politique (XIIIè-XIVè s)

Jusqu’au XIIè s., la vision du politique que se font penseurs et théoriciens de l’Etat, ou de ce qui en tient lieu, demeure largement tributaire de la théo. Cette discipline, qui s’était imposée comme champ dominant de la réflexion et paradigme de la pensée, constitue alors un axe structurant autour duquel s’organise la construction d’un État profondément enraciné ds le religieux (cf. le syst. caro. par exemple). Ds un tel contexte, la lente marche des structures étatiques vers leur laïcisation progressive a été pdt longtps freinée. Tant la domination idéologique de l’Eglise que le modèle politique engendré et légitimé par la théologie laissent peu de place pour une construction autonome de l’Etat.

Toutefois, au XIIè s., cette position hégémonique est battue en rêche pour plusieurs raisons – oeuvres des théologiens trop pointues et trop orientées ne débordent guère le cadre universitaire ;

– système trop englobant, ne répondant plus aux besoins d’une société qui se laïcise lentement, mais sûrement, pour favoriser l’émergence d’un État dont les assises sont en plein renouvellement ;

– relais théorique assuré par les nouveaux courants philosophiques qui apparaissent au cours des XIIè-XIIIè s. La philosophie de Thomas d’Aquin et de ses émules ouvrent ainsi un champ rénové à la réflexion politique. Puisant principalement aux oeuvres d’Aristote, ces nouveaux courants favorisent la naissance d’une science autonome des gouvernements et des régimes politiques, ayant pour elle son vocabulaire, ses structures de pensée et ses genres littéraires ;

– diffusion de ce nouveau stock de connaissances assurée notamment par les ordres mendiants qui investissent à la fois le milieu urbain et le tissu universitaire : s’efforcent de rendre intelligible à un public laïc et souvent de modeste culture toute une vision de l’organisation politique dont la compréhension était jusque là demeurée le monopole d’une élite : véritable révolution culturelle.

S’ouvrait ainsi tt un champ nouveau que devaient progressivement investir les juristes dont la réflexion avait contribué depuis longtemps déjà à rendre autonome une véritable « science civile » par rapporta à la théologie et à la philosophie politique. Cette science civile, qui se confond avec une véritable science du droit, s’élargit rapidement à l’étude des mécanismes de gouvernement et d’administration. Le droit se substitue donc à la théologie comme paradigme dominant : réunit en lui une triple vertu :

sapientia : sagesse ouvrant la voie à la réflexion sur le divin ;

scientia : chemin qui conduit à l’étude des choses humaines ;

ars : discipline politique résolument tournée vers l’Etat et vers l’action de l’adm.

A la fin du MA le juriste est partout et le droit a tellement envahi la pensée et l’action politiques qu’il est devenu un instrument privilégié du prince et de ses agents, ce dont témoignent particulièrement les développements du processus législatif.

B- Les développements médiévaux du processus législatif

Un perpétuel décalage existe entre le pouvoir normatif que la théorie reconnaît au souverain et celui dont il peut quotidiennement user. Constamment soumis à de lourdes contraintes qui en restreignent le libre jeu, il n’autorise le souverain qu’à édicter des normes limitées à la fois en nombre et en portée. Cela jusqu’au début de l’époque moderne (XVIè s.)

1- Penser la loi

1ère phase : Du Xè au XIIè s. : silence législatif

2ème phase : au moins jusqu’au règne de Philippe Auguste, le souverain ne peut légiférer en dehors de son domaine qu’avec le consentement donné par chacun de ses vassaux. Ceux-ci, en effet, exerçant librement le droit de ban à l’intérieur de leur seigneurie, se trouvent de ce fait habilités à décider de l’ordre juridique qu’il convenait d’y introduire. Même encore en plein XIIIè s., la règle, d’application stricte, est svt rappelée. Résultat de la médiatisation féodale, elle obligeait le roi à réunir une cour plénière de vassaux chaque fois qu’il voulait arrêter une mesure de portée générale.

Tout au long du XIIIè s., tant la pression exercée par l’entourage royal que l’évolution de la pratique apportent à cette procédure des correctifs au bénéfice du roi : continue certes, à consulter les grands vassaux, mais considère désormais que la décision est acquise dès lors qu’une majorité a clairement manifesté son adhésion au projet. Afin d’écarter tte contestation, l’habitude est prise de mentionner ds l’acte élaboré les noms de ceux qui lui ont apporté leur accord.

Sous le règne de Philippe le Bel, cette évolution favorable à un exercice plus souple du pouvoir normatif royal se poursuit et dégage progressivement le souv. de l’emprise des barons. L’habitude s’instaure alors de ne plus consulter que qques uns d’entre eux, réunis en conseil : instance où légistes et techniciens de la pol. l’emportent chaque jour d’avantage, à la fois par le nbre et la capacité, sur les vassaux royaux : apparition de la technique du gouvernement par conseil : doit être consulté, mais ne lie pas le souverain.

Beaumanoir : Coutumes du Beauvaisis (1282) : dégage les conditions de validité des actes royaux :

– En temps normal : procédure rigide

– adoption par « grand conseil » = conseil large, d’allure encore féodale et regroupant un assez grand nombre de vassaux : a pour mission d’éclairer le monarque et de donner plus de force à la décision prise ;

– commun profit : justifie l’intervention royale et en limite l’objet ;

– raisonnable cause : exigence de rationalité ;

– En temps de crise : seules les deux dernières conditions doivent être remplies. La notion d’urgence dispense de l’obligation de consulter le conseil.

2- Ecrire le droit

Trois derniers siècles du MA marqués par un dév. considérable du gouvt par l’écrit. Services de chancellerie appelés à rédiger des actes tjrs plus nombreux et svt difficiles à qualifier, ds la mesure où leur forme et leur contenu doivent ss cesse se couler ds le moule d’une législation en pleine mutation. 2 grandes catégories se dessinent :

– Actes ayant valeur spéciale et ne statuant que pour une personne ou pour un groupe de personnes. Objet limité au seul destinataire, qu’il s’agisse de conférer un privilège, donner un ordre précis, faire un don, conférer une grâce ou un office : roi gouverne t administre alors plus qu’il n’use vraiment de son pouvoir normatif. Ces textes, qualifiés de lettres royaux prennent une grande extension avec le dév. de l’autorité royale. Sont régulièrement transcrits sur des registres et expédiés à leur destinataire sans publicité particulière ;

– Actes à portée générale, soit parce qu’ils s’adressent à un grand nombre d’individus, soit parce qu’ils disposent pour un ensemble territorial suffisamment étendu ou les 2 à la fois. Plusieurs termes utilisés :

– d’origine romaine : edictum, constitutio : caractère perpétuel

stabilamentum = établissement domine au XIIIè s. le vocabulaire des actes normatifs. A la fin du siècle : ordonnance.

Nomenclature pas encore bien fixée, donc.

Ces actes généraux sont préparés sous le contrôle et la responsabilité du chancelier (2ème personnage de l’Etat). Le conseil, saisi du projet, en délibère. Après quoi le chancelier, appelé à sceller l’acte, exerce à cette occasion un contrôle, tant en ce qui concerne la forme que le fond. Puis le texte est envoyé au parlement pour y être lu, publié et enregistré : formalités de publication.

Toujours ouvertes (lettres patentes) et signées par le roi, ttes les ordonnances débutent par une adresse suivie d’un préambule qui contient des considérations sur la religion et les devoirs du roi. Vient ensuite l’exposé des motifs à l’origine de la décision, puis le dispositif, et enfin les indications de lieu et de date. Ainsi scellée, enregistrée et signée, l’ordonnance est envoyée aux baillis et sénéchaux qui doivent, sur place, en assurer publication et application : opération t. délicate car insuffisance des moyens de transmission de l’info. + précarité de l’arsenal de sanctions et de contraintes.

§ iI : L’expansion de la loi : le développement du pouvoir normatif royal

Érigée en source créatrice du droit, la loi joua, à l’époque moderne, un rôle bcp plus importante que celui de la coutume qui, désormais privée de sa fonction dynamique, se trouva confinée ds un rôle statique de source normative du seul droit privé (cf. infra). Phénomène lié :

– à l’évolution générale d’une société de plus en plus individualiste, ds laquelle la conception sociale et juridique de la famille et des groupements diminue inexorablement : sécurité de l’individu passe désormais par l’Etat, garant puis gérant de l’ordre politique, économique et social, et dont la loi constitue le pcipal instrument d’action.

– au dév. de la culture écrite et à l’accroissement des connaissances ;

– surtout : au renforcement des pouvoirs souverains confondus en une même main ds la plupart des États d’Europe. La grandeur de la monarchie et l’unification de la France passaient par une activité législative de plus en plus envahissante : la loi = un instrument efficace de modification du réel politique, social et économique. La suprématie de la loi correspond donc clairement à la mainmise de l’Etat sur le droit. La France d’AR prépare le légalisme triomphant de l’époque contemporaine.

Théorie du pouvoir législatif royal : La loi se définit matériellement par son caractère impératif, général et permanent. L’Antiquité grecque, puis romaine, nous en a légué le concept, et même les modèles formels : manifestation étatique par excellence, dont la réapparition à partir du XIIè s. est liée à la volonté de puissance de la royauté capétienne (cf. supra).

Cepndt : la notion de pouvoir législatif du roi n’a jamais été vraiment précisée jusqu’à la Rév. et le terme même de pouvoir législatif fut ignoré jusqu’au XVIIIè s. Il faut donc l’entendre comme :

« le droit pour le roi de prendre des mesures contraignantes, d’un certain degré de généralité et de permanence, connues à l’époque sous le nom de lois du roi ou d’ordonnances. »

Des origines médiévales illustrées par les développements de Philippe de Beaumanoir (cf. supra) subsista toujours le pcipe du gouvernement par conseil, qui put d’ailleurs revêtir des formes diverses :

– conseil féodal médiéval

– États généraux (XVè-XVIè s.)

– conseils de gouvernement plus techniques et plus resserrés de la monarchie administrative (XVIIè-XVIIIè).

Notion de bien commun persiste également, sous les espèces de l’intérêt général, dont le roi apparaît comme le seul véritable garant : « ce qui plaît au roi a force de loi ». Le souverain, moteur de tt l’appareil étatique, incarna t. vite les intérêts de la nation naissante ; il en tira une légitimité l’autorisant à légiférer sur le mode d’un droit universel, à organiser l’ordre public économique et à s’immiscer ds les divers droits procéduraux dès le XVIè s., voire ds le champ bien gardé du droit privé au cours du XVIIIè s.

Dès lors que cette mutation se trouva réalisée, on commença à considérer la coutume comme le droit collectif d’une somme d’intérêts particuliers : caractère infiniment moins universel que celui de la loi.

Croissance progressive de l’Etat et dév. concomitant du pouvoir royal ont donc entraîné une multiplication des actes législatifs offrant une grande diversité de forme (A) mas une commune complexité de procédure (B).

A- La diversité des actes royaux

L’exercice du pouvoir législatif à l’époque moderne :

Þ  Le principe : A la différence du syst. anglais, c’est le roi seul qui légifère, puisqu’il résume en lui tt le pouvoir monarchique : comme seul représentant de Dieu et de l’intérêt général, il est la loi vivante la lex animata. Loysel : « Qui veut le Roy, si veut la loy » (Institutes coutumières de 1607) : le roi est à l’origine de tout l’ordre juridique (cf ; la formule « car tel est notre plaisir. »). Pouvoir théoriquement illimité parce que la puissance souveraine ne sauroit être bornée, se trouvant hors des lois elles-mêmes : princeps legibus solutus est (D. I, 2, 31).

Néanmoins, en pratique, la monarchie se plaça t. en retrait de cette doctrine qui constitua d’avantage une prétention politique qu’une maxime de gouvernement (cf. La loi Digna Vox : « C’est une parole digne de la volonté du prince que de se reconnaître soumis aux lois. »). Tant par prudence politique que par fidélité aux droits acquis et à la tradition, la royauté s’accommoda couramment d’un état de droit antérieur, souvent archaïque, qui freina la modernisation de la France.

En outre, respect nécessaire des privilèges et prégnance de la loi morale : espaces de libertés corporatistes (« Sire, vous pouvez tout mais vous ne devez pas tout vouloir. »)

Þ  Le domaine des lois du roi :

  • Territorialement : Les principes de territorialité absolue et d’exclusivité s’appliquaient ds te leur force. Les lois du rois étaient exécutées ds tt le royaume, mais par une manifestation expresse de la volonté royale, un texte pouvait être limité seulement à une fraction du territoire.

Au terme d’une concentration étatique irréversible, la monarchie exerçait seule l’autorité législative, puisqu’en vertu d’un édit de 1572, les seigneurs territoriaux ne pouvaient plus faire d’ordonnances et de règlements, sauf en les conformant aux ordonnances royales ;

En outre, les villes, jadis autonomes, avaient perdu tt pouvoir créateur de droit pour ne conserver qu’une activité réglementaire exercée en matière de voirie, d’urbanisme, de fiscalité locale, sous la tutelle du représentant du roi.

  • Matériellement : Par un partage de pcipe issu de la tradition et de la crise de l’Etat au MA, les coutumes générales et particulières régissaient pcipalement les droits réels et personnels et une large part du droit pénal, tandis que les lois du roi réglaient les autres rapports socio-économiques. Toutefois, il n’est pas loisible d’opposer à ce propos un droit privé, de nature coutumière, et un doit public, plutôt législatif : distinction trop contemporaine, ss véritable correspondance ds l’ancien droit. En outre, la prééminence de la coutume en matière de droit privé ne valait que pour les matières fixées ds le passé, non pour celles à venir après le processus de rédaction des règles coutumière ; roi incité à légiférer en matière civile et notamment familiale.

Ds cette nomenclature matérielle des champs de compétence, imptce centrale de la notion de police, qui concourut pour une large part au développement des interventions législatives royales : concept aux contours flous se rapprochant d’un pouvoir d’administration générale dont le but avoué = la prospérité et l’ordre et qui tend à obliger chaque sujet à remplir les devoirs de son état. Champ immense allant ds le sens du dév. de la monarchie administrative.

D’une manière générale, donc , ttes les matières qui n’étaient pas soumises aux droits coutumiers rédigés ou aux privilèges des  corps, pratiquement tous fixés au XVIè s., pouvaient entrer ds le domaine législatif royal : seul champ de compétence véritablement dynamique, face à une coutume sclérosée par la rédaction de ses principales dispositions. En outre, imptce  quantitative et qualitative des besoins nouveaux engendrés par l’essor social et économique du pays.

Remarque concernant la nomenclature des actes législatifs :

Þ  confusion des pouvoirs entraîne l’absence de distinction entre actes législatifs et actes réglementaires : nbreux actes d’administration individuels (comme par exemple une lettre de provision)pris sous une forme législative : ne doivent pas être confondus avec des actes de législation stricto sensu : définition purement matérielle, non formelle, du phénomène législatif.

Þ  absence de système formaliste stable pour structurer l’expression de la souveraineté royale à travers ses actes : Jusqu’à l’époque moderne, les lois du roi ont porté des noms variés : établissements constitutions, statuts, pragmatiques sanctions, ordonnances. Ce dernier terme supplanta assez vite tous les autres pour signifier, ds une acception large, tte intervention législative du roi, quelle que soit sa forme ou son contenu.

Toutefois, ce même mot d’ordonnance, pris au singulier, possédait un sens plus étroit et surtout plus technique, et désignait un type bien précis d’intervention législative. Langage juridique encore mal fixé et mal assuré ds ses techniques empiriques : signe d’un Etat encore ne construction. Terminologie flottante ; formes diplomatiques diversifiées. D’où une impression générale de grande confusion. Par conséquent, la nomenclature qui suit = une simplification valable seult pour la fin du XVIIè et surtout pour le XVIIIè s.

Ds le dernier état du droit, les actes législatifs revêtent une forme principale : les lettres patentes, et 3 formes complémentaires (les arrêts du conseil du Roi ; les ordonnances ss adresse ni sceau ; les lettres closes). Le choix de la forme d’un acte dépendait :

– du sujet traité (notamment de son degré de généralité) ;

– du mode de contrôle qu pouvait s’attacher à telle ou telle catégorie d’actes. Si la tradition commandait encore le recours aux lettres patentes, le pragmatisme gouvernemental domina svt pour échapper à la surveillance des plts en multipliant les arrêts du conseil, par exemple. D’où une distinction faite par la doctrine contemporaine entre deux types d’actes :

– les actes de puissance « ordinaire » ou « réglée » du roi : mode de gouvt associant le souv. à des corps constitués capables de le conseiller, de collaborer avec lu et de le tempérer (États, plts, …) : puissance législative exprimée sous le forme traditionnelle des lettres patentes enregistrées et publiées par les cours souveraines (1) ;

– les actes de « pleine puissance » ou de « puissance absolue » que le roi émettait seul en cas de nécessité, de raison d’État ou de prérogative impartageable (affaires militaires ou diplomatiques par exemple). Formes diverses, nouvelles, que la monarchie absolue employa de + en + svt pour se soustraire à l’opposition parlementaire (2).

Ce dernier point montre bien que la seule limite véritable imposée à la souveraineté royale = la raison et Dieu, non le formalisme de procédures qui peuvent toujours être tournées.

1- Les formes traditionnelles d’expression du pouvoir normatif

Elles constituent l’expression privilégiée de la puissance ordinaire du roi. Il s’agit de lettres patentes, c’est à dire ouvertes, écrites sur parchemin et commençant par une adresse au nom du roi : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France à tous ceux qui cette lettre verront, salut ». Suivaient un préambule plus ou moins long, indiquant les motifs de l’action, puis le dispositif où le roi exprimait sa souveraineté par le pluriel de majesté. Les articles s’y articulaient si nécessaire en titres et en chapitres. L’acte se terminait par une longue formule exécutoire puis par la signature du roi contresignée depuis le XVIè s. par u secrétaire d’État. Apposition du sceau du royaume dont la couleur de la cire (jaune, verte ou rouge) et la nature des lacs de soie et de laine variaient selon le type et la solennité de l’acte.

Lettres patentes toujours soumises à l’enregistrement, donc au contrôle des cours souveraines : caractéristique essentielle les opposant aux autres formes auxquelles le roi recourut le + svt.

Distinction à opérer entre ces actes selon des catégories fonctionnelles, en précisant que c’étaient la matière et le destinataire qui les différenciaient, et non le degré de normativité. 2 types pcipaux :

– les grandes lettres patentes, de portée générale (a)

– les petites lettres patents, mesures de portée plus individuelle (b).

a)- Les grandes lettres patentes

Là encore, une nouvelle distinction s’impose, tjrs en fonction du plus ou moins grand degré de généralité et de solennité de l’acte, entre les ordonnances (a), les édits (b) et les déclarations (g).

a)- L’ordonnance

Il s’agit ici de l’ordonnance, considérée ds son acception stricte et technique.

Acte de portée générale et permanente, réglant une matière ou une série de matières, l’administration de la justice ou des eaux et forets par exemple. L’ordonnance peut également contenir les dispositions les plus diverses, telle une loi fourre-tout.

L’ordonnance se caractérisait donc surtout par la généralité de son champ territorial et par sa solennité : les grandes réformes et les tentatives de codification des XVIIè-XVIIIè s. se firent par voie d’ordonnances. Bref, l’ordonnance = l’acte législatif par excellence, expression de la plénitude de la majesté royale.

b)- L’édit

Traitait au contraire d’un sujet bien défini (le duel, la taile), ou n’intéressait qu’une région délimitée ou une catégorie spéciale de sujets (noblesse, corps de métiers, protestants,…).

La différence entre ordonnances et édits était svt bien mince. Toutefois, à titre d’exemple fameux, on cite svt 2 textes datés des mêmes lois et lieux et que l’on ne doit pourtant point confondre :

– l’ordonnance de Moulins de février 1566 : réforme l’administration de la justice ds son ensemble = vaste question s’appliquant à la totalité des justiciables du royaume ;

– l’édit de Moulins de février 1566 également : définit la gestion du domaine de la couronne et confirme son inaliénabilité ; ne concerne par conséquent qu’une catégorie spécifique de biens, ceux qui appartiennent au domaine public de l’Etat royal.

g)- La déclaration

Se présente comme un acte interprétatif d’une ordonnance ou d’un édit, d’un privilège, voire d’un article de coutume en vigueur : explique, réforme ou restreint des textes antérieurs sur des points particuliers. N’est donc pas à proprement parler un acte pleinement créateur de droits nouveaux : simple aménagement d’institutions juridiques existantes. A la différence des édits et ordonnances, seult datés du mois et de l’année, les déclarations portent également la mention du jour de leur adoption.

b)- Les petites lettres patentes

Ne portent aucune dénomination spéciale (= ni ordonnance, ni édit, ni déclaration). Dûment scellées et enregistrées, comme les autres lettres patentes, elles concédaient le privilège d’une situation juridique spécifique à une province, une ville, une cour souv., un corps de métier, ou un simple particulier. Relèvent bien de la confusion des pouvoirs, ds la mesure où il est t. difficile de dire si elles constituaient des actes de législation, d’administration ou de juridiction.

On les subdivise en 3 catégories pcipales :

– lettres royaux (a) ;

– lettres de sceau (b) ;

– lettres de privilèges permanents (g)

a)- Les lettres royaux

On appelait ainsi ttes sortes de lettres émanées du roi scellées du grand ou du petit sceau. Elles intervenaient sur requête, toujours pour délivrer une concession ou accorder un droit nouveau, le + svt exorbitant du droit commun.

¨   Lettres de grâce délivrées en grande chancellerie et scellées du grand sceau : accordées par faveur par le roi à qui bon lui semblait : bon vouloir fondé sur le pcipe de souveraineté.

– ds le domaine pénal  lettres d’abolition (remise de la peine de mort), de pardon, de commutation de peine, de rappel de ban , etc.

– ds le domaine civil ou commercial : lettres de séparation de biens, de bénéfice d’inventaire, de permission de vendre, etc.

¨   Lettres de justice : lettres de petit sceau, fondées sur le droit commun ou portant mandement de rendre la justice. Ce qui les distinguait des précédentes = la volonté du roi d’en institutionnaliser la délivrance en abandonnant à ses officiers de judicature l’examen du bien fondé des requêtes.

b)- Les lettres de sceau plaqué

Relevaient ds leur ensemble du domaine de l’adm. publique. Elles étaient adressées à des officiers de finances, de justice, etc., et contenaient des instructions adm. analogues aux circulaires ministérielles modernes. Elles furent innombrables sous le nom de mandements, jusqu’au XVIè s. Elles prirent la forme de lettres de sceau aux XVIIè-XVIIIè s. sceau plaqué sur un carré de papier recouvrant la cire.

g)- Les lettres de nomination et de privilège

Lettres patentes à caractère individuel contenant une nomination (lettres de provision d’offices ou de commission) ou une concession personnelle (lettres de noblesse ; création de manufactures royales ; lettres de course). Pouvaient également concerner la concession d’un privilège collectif à un corps de métier (monopole éco.), une ville (exemption fiscale) ou la constitution d’une nouvelle personne morale (un corps professionnel, une société littéraire, etc.).

2- Les formes nouvelles revêtue par la puissance du roi

Échappant à la pesante censure des cours souveraines, elles se multiplient au cours des XVIIè-XVIIIè s., tant en ce qui concerne les actes à portée générale (a) qu’en ce qui regarde les actes à portée spéciale (b). On notera toutefois que cette distinction commode souffre un certain nombre de tempéraments, tenant à la nature hybride de la plupart de ces textes.

a)- Les actes à portée générale

Il s’agit essentiellement des arrêts du conseil du roi (a) et des ordonnances sans adresse ni sceau (b).

a)- Les arrêts du Conseil du Roi

Procédure d’enregistrement des lettres patentes est politiquement aléatoire, conduisant la royauté, surtout à partir du règne de Henri IV, à utiliser la forme des arrêts du conseil. De nombreuses et importantes mesures novatrices prirent ainsi cette forme, les arrêts pouvant au demeurant être rendus hors de la présence du roi, et simplement signés et expédiés par un secrétaire d’État.

Env. 800 000 arrêts du conseil du roi : sont encore mal connus. Conseil = un organe complexe, polymorphe, qui, près du roi, et théoriquement toujours à titre consultatif, participait au gouvt, à la justice retenue du roi et à la préparation de la loi. Les particuliers, comme les collectivités, y portaient leurs affaires. Les actes du Conseil étaient donc multiples et divers :

– arrêt simple : décision  de justice parfois investie d’une portée générale et réglementaire ;

– arrêt en commandement de procédure expéditive, immédiatement exécutoire par les autorités auxquelles il était adressé = acte d’administration et de gouvernement pris ds les conseils de gouvernement où siégeaient ordinairement le roi et ses ministres (Conseil d’État, Conseil des Dépêches, Conseil des finances). Manifestation la plus directe, pour ne pas dire la plus brutale du pouvoir législatif du roi. Échappant à tout contrôle, même à celui du chancelier, ces arrêts furent svt de véritables lois et exaspérèrent considérablement les cours souveraines.

b)- Les ordonnances sans adresse ni sceau

Elles constituent l’expression de la pleine puissance du roi sous sa seule signature. Genre parfaitement caractérisé, dont on possède de nombreux exemples depuis le XIVè s. Leur emploi s’amplifia au XVIè pour subsister jusqu’à la fin de la monarchie adm.

Elles se présentaient sous une forme impersonnelle, sans adresse, avec pour simple formule : « Le roi veut et ordonne », ou, au XVIIIè s. «  De par le Roi », à l’instar des lettres de cachet. Le sceau du royaume n’y était pas apposé, la seule signature du Roi, avec le contreseing d’un secrétaire d’État les validait, sans avoir à subir l’enregistrement en cours souveraines. Elles étaient donc directement appliquées par les autorités civiles ou militaires auxquelles elles étaient adressées. Régissaient des domaines ds lesquels le roi avait toujours décidé seul et sans contrôle : celui des affaires militaires et de sa propre maison. Les impératifs de la guerre justifièrent cette pleine souveraineté qui permit la libre adm. de l’armée, de la marine et des colonies. Il en était de même de l’organisation du Conseil du Roi t de la Maison du Roi. Les déclarations de guerre, enfin, étaient également faites ds cette forme péremptoire, pour manifester que cette prérogative appartenait au Roi ss dépendance et ss partage.

b)- Les actes à portée spéciale

a)- Les brevets

Brevets en forme de P.V. par lesquels le roi concédait une grâce quelconque, ou nommait à un poste ou à un grade : brevet de conseiller du roi, par exemple.

b)- Les lettres closes

Ce n’étaient certes pas des actes de législation, même si leur émission se fondait parfois sur le pouvoir législatif du roi. Elles n’en apparaissent pas moins comme une forme complémentaire et bâtarde des actes royaux.

Lettres closes préparées par les bureaux des ministres, signées par le roi et contresignées par un secrétaire d’État ; elles étaient scellées du sceau du secret (sceau personnel du roi). Servaient à toutes sortes d’usages : ordres de détail donnés à des agents royaux ; convocation aux assemblées d’États provinciaux ; lettres aux bonnes villes, etc.

Les plus connues = les lettres de cachet, portant toujours en en tête « De par le Roi » et exprimant un ordre adressé à un corps constitué pour une réunion, à un magistrat pour le mettre en possession de son office, à une cour souveraine pour la prier de procéder à l’enregistrement d’une ordonnance, ou à un lieutenant de police pour lui enjoindre d’arrêter ou d’exiler une personne nommément désignée, sans autre forme de jugement : prises autant pour affaires d’État, de religion, de police, que ds l’intérêt des familles, sur requêtes des particuliers. Véritables actes de juridiction, plus que d’adm., fondés sur la toute puissance judiciaire du roi.

B- La relative complexité du processus législatif

Cette complexité tient moins aux conditions d’élaboration des textes normatifs, largement maîtrisées par le roi (1) qu’aux procédures de vérification de leur contenu, qui, dépassant le cadre du seul contrôle juridique, prirent souvent l’aspect d’une véritable censure politique fondée sur la défense d’intérêts sociaux, sur la promotion d’un programme de réformes ou sur des considérations d’opportunité (2).

1- Élaboration

Phase de concertation où s’exprime bien l’ambiguïté de la monarchie absolue : à la fois affirmation d’une puissance souveraine sans partage et prise en compte des revendications des corps constitués et des requêtes des particuliers. 2 phases essentielles sont à distinguer : celle de l’initiative, svt partagée (a), et celle de la rédaction proprement dite, confie aux spécialistes de la chancellerie (b).

a)- Initiative

Elle appartenait théoriquement au roi. Cepdt, le souverain ne manquait point de s’entourer des conseils les plus sûrs de diverses autorités compétentes par application du pcipe de gouvernement par grand conseil. Rôle essentiel joué par certains chanceliers (Michel de L’Hospital, D’Aguesseau, Maupeou) et ministres (Colbert, Necker) : furent de grands législateurs, ayant incontestablement exercé une activité créatrice.

Initiative pop. pas négligeable :

– requêtes des particuliers ou des corps sollicitant lettres patentes ou privilèges ;

– États généraux : les 3 ordres, eurent, jusqu’à leur dernière réunion, en 1614, une influence certes limitée mais non négligeable, par le biais des « cahiers de doléances », contenant de nombreuses propositions de réformes. Toutefois, tenus à l’écart de l’exercice du pouvoir législatif, ils demeuraient frappés d’impuissance lorsque le roi refusait de tenir compte des voeux qu’ils avaient formulés.

Malgré tout, au XVIè s. leur emprise sur la législation royale fut réelle : plusieurs ordonnances imptantes prises suite à leurs doléances (ordonnance d’Orléans faisant suite aux États d’Orléans de 1560, et ordonnance de Blois de 1579 consécutive à ceux tenus à Blois en 1576). Au XVIIè s. cette pratique tomba en désuétude, jusqu’à ce que Louis XVI les convoque de nouveau en 1789 pour faire adopter des réformes fiscales.

– États provinciaux, là où ils subsistent (Artois, Bretagne, Languedoc, etc.) faisaient annuellement parvenir au roi des cahiers particuliers pour le prier de prendre, ds tous les domaines du droit, des mesures appropriées à la conjoncture locale.

b)- Formalisation

Le souv. faisait préparer par son conseil ou l’une des sections de celui-ci le projet dont lui-même ou l’un de ses collaborateurs avait eu l’initiative. Pour les grandes réformes législatives, plusieurs procédures consultatives pouvaient être organisées :

Þ  Parfois, une commission spéciale de magistrats et de conseillers d’État, instituée à cette fin, procédait aux travaux préparatoires indispensables avant l’élaboration définitive de l’acte (cf. les grandes ordonnances de Louis XIV des années 1667-1685 : infra)

Þ  De même des enquêtes préparatoires furent fréquemment ordonnées pour élaborer plus sûrement des réformes prenant en compte les réalités locales et les avis fournis par les corps et communautés, les États, les notables, les praticiens, les parlements consultés à des degrés divers : méthode suivie par D’Aguesseau au XVIIIè s.

Þ  Enfin, jusque vers 1550, le roi associait volontiers les gens de sa cour de parlement qui donnaient ainsi leur avis avant la rédaction définitive d’un texte qu’ils enregistraient ensuite d’autant plus facilement.

Toutefois, ds la grande majorité des cas, les documents étaient simplement préparés par les commis des bureaux et les conseillers d’État rompus aux pcipes d’une monarchie de plus en plus administrative.

Finalement, et à l’ordinaire, un examen avait lieu au cours d’une dernière délibération du conseil du roi prise en présence du souverain qui tranchait les ultimes difficultés. Si l’acte était en forme de lettres patentes, il était alors envoyé à la chancellerie pour l’apposition du sceau ; sinon, il ne subissait plus aucun contrôle et était expédié directement par l’un des secrétaires d’État chargés d’en faire assurer l’exécution par les autorités locales.

2- Vérification

N’intervenant que ds le cadre des lettres de patentes, elle constituait le pcipal moyen juridique d’opposition à la volonté du monarque. 2 instances en étaient plus spécialement chargées : la chancellerie (a) et les parlements (b).

a)- En Chancellerie

Le chancelier, 1er personnage du royaume après le roi, était non seulement ministre de la justice, mais également chef du service des écritures et gardien permanent des sceaux du royaume. Homme d’expérience et le plus souvent éminent juriste, le chancelier avait le devoir de vérifier la conformité du texte avec la législation du royaume et de déceler si la confiance du roi n’avait pas été surprise à l’occasion d’un acte sollicité par un particulier : contrôle exercé sans exception et sans réserve de 1318 (date de l’ordonnance en portant institution) à la fin de l’AR. 2 hypothèses :

à    Texte conforme : apposition du grand sceau de France lors d’une audience publique (l’Audience du Sceau). Devait ensuite être envoyé aux cours souveraines afin d’enregistrement.

à    Texte jugé non conforme : le chancelier refusait d’apposer le sceau ; l’acte devait alors subir un nouvel examen, sauf si le roi passait outre et ordonnait à son chancelier de procéder aux scellement de l’acte. A ce stade, 2 attitudes du chancelier sont alors possibles :

  • acquiescement du chancelier, qui pouvait alors sceller le document avec la mention « scellé de l’exprès commandement du roi », ce qui aboutissait à décharger sa responsabilité ;
  • refus d’obtempérer plus ou moins durable. En cas de crise grave, le roi pouvait soit sceller lui-même, en reprenant temporairement les sceaux (comme Louis XV en 1757-1762), soit confier ceux-ci à un garde des sceaux nommé pour quelques mois ou pour quelques années = simple commissaire révocable.

N.B. : Cette phase d’authentification de l’acte était incontournable, correspondant, mutatis mutandis, à l’actuelle procédure de promulgation. Ensuite suivait l’étape ultime de la publication, assurée par le truchement de l’enregistrement devant les cours souveraines en l’absence d’un J.O.

b)- Par les cours souveraines

a)- La procédure d’enregistrement

  • Formalités de publication : La pratique de l’enregistrement des lettres patentes et de leur publication s’est introduite en coutume ds la 1ère moitié du XIVè s.. L’aspect technique l’emportait alors largement sur l’aspect politique. Il convenait simplement de porter à la connaissance de tous le contenu de la loi nouvelle. La formalité de l’enregistrement apparaît ainsi à l’origine comme un mesure d’ordre tendant à assurer la conservation, la publication et l’exécution des lettres royaux, ainsi que des traités et même des concordats. Se traduisait, d’un point de vue matériel, par la simple copie sur un registre conservé parmi les séries du greffe d’une cour de justice (registre aux ordonnances ; registre aux placards) : mémoire du droit législatif.

L’enregistrement se pratiqua donc ds ttes les cours souveraines d’abord à Paris, au plt et à la chambre des comptes, avt de s’étendre aux autres plts au fur et à mesure de leur érection et aux diverses cours souveraines financières, cours des aides, chambres des comptes, chambre du Trésor ou cour des monnaies. Prééminence morale et politique du plt de Paris.

  • Formalités de vérification : De bonne heure, et à l’invitation du roi, les cours souveraines, les cours souveraines lui ont adressé des observations à l’occasion des lettres qui leur étaient envoyées pour enregistrement. Ces observations, toute techniques, prirent le nom de remontrances ou de représentations. Prérogative générale des remontrances vite introduite en coutume, qu’il s’agisse de lettres de portée individuelle ou des ordonnances fixant la loi générale.

Par extension, les cours se virent investies d’un contrôle de légalité, tant sur la forme que sur le fond, non seult pour sauvegarder les intérêts du roi, mis aussi pr éviter les contradictions de sources, les conflits des lois et des coutumes. Bcp de plts en tirèrent profit pour protéger leurs particularismes locaux de droit coutumier ou  de droit écrit. La prérogative d’enregistrement et de remontrance freina donc svt l’unification du droit.

  • Procédure : Procureur général du roi requérait l’enregistrement conformément aux ordres du souv. dont il représentait les intérêts au titre du ministère public. Les ordonnances relatives au droit privé, à l’état des personnes à la police générale, aux affaires d’Église, allaient devt le plt, tandis que les lois fiscales, financières et monétaires étaient transmises aux cours financières spécifiques qui possédaient les mêmes pouvoirs.

Le texte faisait ensuite l’objet d’un examen et d’un rapport par un ou plusieurs conseillers de la cour afin d’y déceler les éventuels erreurs, les anomalies, les abus de droit. En audience de Grand’Chambre, après avoir entendu les gens du rois, la cour opinait. S’il y avait conformité, le texte était transcrit immédiatement par le greffier. La cour souveraine, par les soins de son Procureur général en faisait exécuter des copies certifiées conformes, le plus svt imprimées pour les actes d’intérêt général qui étaient ensuite notifiées pour exécution aux juridictions subordonnées. Parfois, lecture prescrite au prône du dimanche ou « à cors et à cris » ds les lieux accoutumés.

b)- La pratique des remontrances

La cour pouvait également refuser l’enregistrement et, ds le secret de ses délibérations, adresser au roi de « très humbles et très respectueuses remontrances ». En renvoyant le texte, elle formulait ts ses griefs. Lorsqu’il s’agissait d’une ordonnance de grande imptce, le 1er président venait en personne exposer les motifs du refus au chancelier ou au ministre concerné. 2 hypothèses possibles :

– Le roi faisait droit aux observations : le texte était amendé et passait alors ss difficulté : solution fréquente car jeu du gvt à grand conseil.

– Le roi estimait au contraire que les remontrances n’étaient pas justifiées, il passait outre et ordonnait l’enregistrement d’autorité. Ce fut parfois le début de conflits fort longs :

* envoi de lettres de jussion (lettres patentes solennelles ou lettres closes, encore plus péremptoires)

* si refus persistant des parlementaires et remontrances itératives : nouvelles lettres. Ce jeu de navette entre le plt et le gvt se déroulait tandis que des tractations avaient lieu ds les coulisses. Lorsque le compromis échouait, soit la cour se résignait à enregistrer, en précisant qu’elle le faisait « de l’exprès commandement du roi », soit elle ne déférait pas aux lettres de jussion et se préparait à l’enregistrement « forcé ».

* procédure du lit de justice : recours extrême employé sult à l’égard des plts, et plus précisément du plus turbulent d’entre eux : le plt de Paris. Présence du monarque, accompagné de son chancelier, de pairs de France et de conseillers d’État suffisant à assurer la suspension de délégation accordée au plt : restauration momentanée du conseil du roi, au sein duquel précisément les pltaires n’étaient plus assujettis qu’à un devoir de conseil. Les lettres destinées à l’enregistrement étaient lues devant le roi ; le chancelier recueillait les vais de ses conseillers et le roi lui-même prononçait l’arrêt d’enregistrement. Le greffier transcrivait et le procureur n’avait plus qu’à veiller à l’exécution. Le roi avait donc le dernier mot. Néanmoins, l’histoire des remontrances révèle que plusieurs plts paralysèrent l’exécution des textes ainsi enregistrés par des arrêts contraires ou par la suspension du service de la justice, poussant la royauté à des mesures extrêmes, telles que l’assignation à résidence ou l’exil des parlementaires les plus rebelles.

Lorsque l’événement ne l’exigeait pas, ou si la cour souveraine était de moindre importance et éloignée, le roi ne siégeait pas en lit de justice et envoyait un porteur d’ordre (commissaire, conseiller d’État, gouverneur de province, ou le plus souvent : intendant) muni d’ordres enjoignant l’enregistrement forcé. C’était à vrai dire le procédé le plus habituel.

g)- Du contrôle de légalité à l’esquisse d’une censure politique

C’est donc seult au terme de l’enregistrement qu’une ordonnance pvait être exécutoire ds le ressort du plt concerné. La formalité avait une justification juridique et technique qui ne pouvait, en fin de compte, mettre en échec la souveraineté législative du roi. Toutefois, en invoquant des thèses politiques qui exaltaient la monarchie tempérée et au grè des événements qui mirent les plts au 1er plan, les pltaires dévièrent insensiblement d’un contrôle de légalité vers un contrôle d’opportunité leur assurant un pvoir politique : prérogative des remontrances devint le droit de remontrances que la monarchie absolue tenta de limiter : « procès des 300 ans. »

Contestation pltaire née avec l’affirmation de la monarchie absolue et cristallisée autour du plt de Paris. S’est développée pour 3 raisons essentielles :

– absence de séparation des pouvoirs autorisait les plts à intervenir autant sur le terrain judiciaire que fiscal ou adm. au nom d’une compétence polyvalente naturellement porté à se développer.

– royauté avait soutenu l’action des plts ds leur lutte contre les grands seigneurs ;

– circonstances de la fin du XVIè (guerres de religion, Ligue) firent des plts des autorités quasi-gouvernementales

Dév. d’une théorie politique faisant des pltaires les héritiers de la tradition et les représentants permanents des États généraux unis les uns aux autres ds la théorie des classes et ne formant qu’un seul corps. Imitation du plt britannique.

D’où un conflit très long, qui ne connut guère de répit qu’entre 1673 et 1715 (droit de remontrance a posteriori) et qui gêna considérablement les tentatives de réforme de la monarchie. N’a toutefois pas empêché une première esquisse de codification du droit aux XVIè-XVIIIè .

Section II : Le mouvement de codification

§ I- Les premières synthèses législatives

Il semble difficile de parler, sur le fond, d’une véritable œuvre législative, inscrite ds un programme d’ensemble cohérent, avant le XVIè s. Certes, dès le XIVè et par intermittence, le roi rendit de grandes ordonnances pour la réforme générale de l’Etat, le plus svt pour donner suite à des doléances de États généraux. Toutefois, il s’agit de textes épars, confus et faiblement novateurs : la coutume, bcp plus que les ordonnances royales faisait avancer le droit.

A partir du XVIè s. une succession de plusieurs souv. (Louis XII, François 1er et Henri II notamment) fit évoluer rapidement les institutions en prenant davantage conscience de l’importance cardinale du pouvoir législatif comme mode de transformation du réel. Dès lors, durant ce siècle, la royauté s’efforça de déterminer par voie d’ordonnances, en s’appuyant sur les États généraux ou sur les assemblées de notables, le nouveau cadre de l’activité publique et privée. Œuvre imparfaite mais assez bien perçue, car la volonté de réforme était autant celle des sujets que des monarques. 2 grandes périodes à distinguer :

– une période de réformation générale (XVIè-début XVIIè s.)

– un mouvement d’unification du droit inauguré par Louis XIV et ds une moindre mesure par Louis XV, qui parvinrent à une codification partielle grâce à une suite d’ordonnances dont une grande partie du contenu fut d’ailleurs reprise ds les codes napoléoniens (B).

A- Les ordonnances de réforme générale (XVIè – début XVIIè s.)

Réponses aux doléances des « États » du royaume, ces ordonnances, par l’extrême étendue des secteurs traités et leur grande diversité, se présentent sous un jour un aspect essentiellement hétéroclite :

– traitent des matières fort variées : une même ordonnance pouvait concerner la justice, la religion, la noblesse, le droit civil.

Ex : Ordonnance de 1561 : article 105 relatif à la révision des statuts de l’Université suit immédiatement une disposition prescrivant l’expulsion des Bohémiens.

– absence de systématisation et de classification ds ces lois : cela tient autant au peu de progrès de l’esprit de méthode qu’à l’état complexe de la société, et surtout aux réponses empiriques faites aux doléances des États généraux : sorte de dialogue législatif continu.

Caractère novateur pas moins incontestable, tant en droit public qu’en droit privé.

1- L’ordonnance de Villers-Cotterêts ( août 1539)

192 art. Sobrement intitulée « ordonnance sur le fait de justice » ; œuvre du chancelier Poyet apportant d’importantes innovations ds tous les domaines :

– En droit civil : mesures protectrices d’ordre public : insinuation des donations entre vifs (à l’origine de la transcription moderne) permettant à quiconque veut acquérir un droit réel sur un bien de vérifier sur un registre public si ce bien se trouve encore ds le patrimoine du cocontractant ; interdiction de tester ou de disposer en faveur de son tuteur ou curateur.

– En droit processuel : Limitation de la compétence des cours d’Église en matière matrimoniale ; réglementation de l’appel comme d’abus ; instauration de la procédure inquisitoire d’office par le ministère public en matière pénale ;

– Substitution du français au latin ds la rédaction des actes notariés ; 1ère organisation de l’état civil : curés enjoints de tenir à l’avenir des registres de baptêmes et de sépultures. Néanmoins, ces registres paroissiaux, conservés aujourd’hui ds les A.D, ne furent convenablement tenus qu’au siècle suivant.

Au total, cette loi demeura un monument du droit et s’inscrit comme un exemple type de texte pluridisciplinaire conforme à l’esprit de l’époque.

2- L’ordonnance de Moulins (février 1566)

Œuvre du chancelier Michel de L’Hospital. Réformait principalement la justice (perte de la compétence civile des justices municipales), mais touche aussi, d’une manière générale, le droit privé et le droit public :

– droit privé : exigence de la preuve écrite pour toute convention dépassant 100 L (art. 54), reprise ds l’art. 1341 du C. Civil. Interdiction de prouver contre et outre les actes = rév. ds le droit des preuves, puisque désormais « lettres passent témoins. ». Substituions soumises à un régime de publicité par la procédure de l’insinuation.

Au pénal : généralisation de la règle de la compétence du juge du lieu du délit plutôt que celle du domicile du délinquant : autant de nouveautés voulues par le pouvoir royal mais qui allait contre la tradition du MA.

– droit public : restriction du pouvoir des gouverneurs de provinces (avaient svt abusé de leur autorité à la faveur des troubles) ; défense d’imprimer des livres ss l’autorisation du pouvoir : nécessité d’obtenir un privilège spécial.

3- Le « Code Michau » (janvier 1629)

Vaste loi promulguée sous Louis XIII : vient clore, par un échec, la série des ordonnances générales. Répondait en pcipe aux voeux du peuple consulté : « Ordonnance sur les plaintes des États assemblés à Paris en 1614 et de l’assemblée des notables réunie à Rouen et à Paris en 1617 et 1626 ». Louis XIII s’était notamment engagé « au rétablissement de tous les ordres de son royaume » et à développer « la grandeur de son État et la dignité de sa Couronne. ». Conçue ds un esprit d’harmonisation et de novation, cette longue ordonnance de 461 art. traitait encore de sujets aussi divers que les affaires ecclésiastiques, universitaires, fiscales, maritimes et judiciaires. Elle s’efforçait de régler une série de questions touchant au droit privé (propriété, substitutions, donations, successions, faillites, prêts à intérêt), et c’est d’ailleurs la 1ère fois que le pouvoir royal visait à tant de réformes en un seul texte.

L’ordonnance n’en suscita pas moins une levée de boucliers, en particulier parce qu’elle allait à l’encontre de traditions biens établies (prétendait notamment établir la « directe universelle » du roi sur toutes les terres du royaume, sauf preuve expresse de leur allodialité) : les plts du Midi refusèrent l’enregistrement et nourrirent une longue polémique ; partout ds ceux du Nord (sauf en Bourgogne), l’enregistrement fut forcé. La royauté, pas encore assez affermie, ne put faire appliquer le texte, qui fut alors retiré. Par dérision, l’ordonnance prit le surnom de « Code Michau », du prénom de son auteur, Michel de Marillac, garde des sceaux de 1626 à 1630.

Annonçait pourtant les grandes ordonnances d’unification de la fin du siècle.

B- Les grandes ordonnances de codification

A la différence de leurs homologues du XVIè s., les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV ont l’empreinte de l’unité. Le souci d’unité juridique est alors le corollaire de l’unité politique. A partir de Louis XIV, effort de la monarchie pour unifier et codifier, répondant ainsi à un besoin ressenti depuis longtemps, mais que seule une force coactive pouvait parvenir à concrétiser : multiplicité des textes royaux, confusion de leurs dispositions source de complexité, d’insécurité juridique et de divergences jurisprudentielles. D’où le dév. d’une aspiration générale vers plus de simplicité, même si l’unification totale du droit paraissait encore constituer une entreprise prématurée.

Méthode suivie : avant de réaliser l’unité ds le droit privé, qui variait considérablement d’une région à l’autre, il fallait d’abord l’imposer dans chacune des branches du droit. D’où l’idée de Colbert d’abandonner les réformes générales pour se concentrer sur des ordonnances n’envisageant à chaque fois qu’un sujet clairement déterminé. Par leur ampleur, leur clarté et leur méthode, ces ordonnances constituèrent immédiatement de véritables codes, divisés en titres et en articles cohérents. Comme oeuvres de composition et de législation, elles étaient en tout état de cause, très supérieures à leurs devancières des XVè-XVIè s. et annonçaient les codes napoléoniens, dont certains (Code de commerce, code de procédure pénale), n’en constituèrent que des éditions remaniées.

1- Colbert et la systématisation du droit

A l’époque où la monarchie absolue consolida son acquis, l’impulsion législative ne vint plus du chancelier mais de ministres d’État tels que Colbert et son fils le marquis de Seignelay : passage de la monarchie justicière à la monarchie adm. : « L’unité de la législation serait assurément un dessein digne de la Grandeur de Votre Majesté et lui attirerait un abîme de bénédiction et de gloire. »

But = réunir toutes les lois en cours d quelques codes et profiter de cette révision pour y introduire des réformes rendues communes à toute la France. L’idée est également d’abaisser la morgue des cours souveraines en rendant les textes législatifs plus clairs, et en limitant d’autant leurs possibilités d’interprétation et d’intervention.

Grandes ordonnances publiées entre 1661 et 1685, inspirées le plus souvent de Colbert et préparées par des commissions spéciales : conseil de réforme suscité par Colbert : composé de conseillers d’État et de praticiens et dirigé par son oncle Henri Pussort. En même temps, mais de manière indpdte : travail mené par le 1er président du plt de Paris, Lamoignon, en collaboration avec quelques éminents juristes. Le roi, informé de ce 2nd projet, fit se rejoindre les 2 initiatives ds une commission mixte : le conseil de réformation de la justice. C’est elle qui élabora, non sans tensions et controverses, les 2 premières ordonnances, civile (a) et criminelle (b).

a)- L’ordonnance civile (Avril 1667)

Code Louis = véritable code de procédure civile en 35 titres. Est avant tout l’œuvre de Pussort, défenseur des idées absolutistes tendant à limiter les pouvoirs des plts (à la différence de Lamoignon).

Une même procédure fut dorénavant imposée à tous les tribunaux français ; procédure surtout écrite, simplifiée par la suppression de formalités inutiles pour assurer des jugements plus rapides. Ordonnance de 1667 reprise à peu près textuellement ds le code de procédure civile de 1806 qui resta t. longtemps en vigueur. Le code civil de 1804 lui emprunta également le chapitre relatif aux preuves.

L’application du code suscita quelques résistances, mais la fermeté du gouvernement l’imposa, tandis que ses qualités et sa modernité assurèrent son succès.

b)- L’ordonnance criminelle (Août 1670)

1er code de procédure pénale. Vint combler le retard de la France sur les pays voisins. A l’instar de ce qui s’était passé pour l’ordonnance civile, le roi, ne pouvant pas plus intervenir de plain pied en droit pénal qu’en droit civil, réglementait la forme à défaut du fond.

Au cours des travaux préparatoires, Pussort s’est efforcé de simplifier les règles de procédure écrite en vue d’une répression plus rapide et exemplaire des crimes et délits ; Lamoignon se fit, sans succès, le défenseur des intérêts des inculpés. Cet texte prolongeait l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539), maintenant notamment l’instruction secrète et les pénalités de cette époque. Peu libérale, l’ordonnance confirma l’interdiction pour l’accusé d’avoir un défenseur, et conserva la torture et le serment de dire la vérité imposé aux accusés, même contre eux-mêmes. Le système des preuves légales et les procès aux cadavres subsistèrent également.

Malgré ces défauts, l’ordonnance présentait un progrès indéniable sur l’état antérieur du droit :

– appel obligatoire au plt en cas de condamnation à une peine capitale ;

– réduction de la justice pénale à 2 degrés ;

– contrôle plus sérieux de la justice seigneuriale ;

L’ordonnance servit de base aux lois criminelles plus libérales de 1791 et de l’an IV, mais surtout elle fut littéralement la source du Code d’instruction criminelle de 1808.

Ce texte, comme celui de 1667, fit l’objet de nombreux commentaires, dont le + fameux et le + minutieux = celui de Daniel Jousse.

Enfin, d’autres ordonnances furent rédigées par le seul conseil de réforme cette, fois, c’est à dire sans l’intervention des magistrats : ordonnance sur les eaux et forêts (août 1669) ; ordonnance de commerce, également appelée Code Marchand ou Code Savary (mars 1673) ; ordonnance de la marine (Août 1681) ; Code noir (mars 1685) « touchant la police des îles de l’Amérique » : 1er code colonial, réglemente notamment l’esclavage.

2- D’Aguesseau et l’évolution vers un droit civil commun

Henri-François d’Aguesseau, chancelier de 1717 à 1750, travailla ds le sens d’un droit civil commun en publiant 3 ordonnances dont l’objet avoué = l’harmonisation de la jurisp. de quelques matières (donations, testaments, substitutions), sans prétendre porter atteinte aux coutumes des lieux.

Le chancelier avait cepdt le projet d’une codification bcp plus imptante, à laquelle il travailla toute sa vie, mais il dut se contenter d’une unification t. parcellaire. Son principal collaborateur ds cette tâche = le procureur général du plt de Paris, Joly de Fleury, h. de dossiers et d’une grande autorité morale. Afin de bien connaître la jurisprudence des plts : rédaction d’un questionnaire relatif à chacune des matières visées par les réformes et portant sur les points les plus controversés. Réponse t. détaillée émanant des différentes cours souveraines servant de base à la rédaction des différentes ordonnances :

¨   Ordonnance sur les donations (février 1731)

¨   Ordonnance sur les testaments (août 1735) : Déf. de 2 régimes, l’un pour le Nord, l’autre pour le Midi : représente paradoxalement une étape vers l’unité.

¨   Ordonnance sur les substitutions (août 1747)

Apport donc apparemment limité : ne concerne qu’un secteur étroit du droit privé, celui des actes de transmission à titre gratuit : domaine technique où l’unification du droit parut le plus facile à réaliser.

En outre : caractère fragmentaire et lacunaire de cette entreprise : en droit privé surtout, peu de questions ont été réglées, et les ordonnances de Colbert traitent de sujets qui n’étaient en rien du ressort de la coutume (commerce, procédure, droit maritime). De manière significative d’ailleurs, il est à remarquer, à côté de l’absence d’un J.O, le défaut de recueils officiels de législation royale : collections privées s’efforcent d’y suppléer (comme les Édits et ordonnances des rois de France depuis François 1er jusqu’à Louis XIV, de Néron et Girard, publié pour la 1ère fois en 1647).

Œuvre néanmoins imptante par sa postérité doctrinale et surtout législative : Brèche par laquelle l’Etat monarchique a imposé son rôle de législateur général, ouvrant une voie qui fut ultérieurement poursuivie par la Rév. puis par les codifications napoléoniennes. A été rendue possible par l’assomption de la loi et par l’abaissement concomitant des autres sources du droit.

§II- L’œuvre codificatrice

A- Les principes révolutionnaires

1- Les fondements du droit nouveau
2- Le légicentrisme révolutionnaire

Volonté pol. d’unifier les règles du droit privé applicables ds tt le royaume remonte, on l’a vu, au début des Temps Modernes et s’est dév. avec la centralisation monarchique. Grandes ordonnances des XVIIè-XVIIIè siècles laissent de côté pour l’essentiel le domaine du pur droit privé régi parles coutumes ds le Nord et le Centre de la Franc,e par le droit romain ds le Midi. Le roi, gardien des coutumes, reste respectueux du droit de chaque province. En outre, scepticisme doctrinal face au succès d’une entreprise de codification et préfèrent, comme Pothier, s’en tenir au droit existant. Pas de trace ds l’opinion d’un mouvement pour parvenir rapidement à l’unité du droit privé.

Révolution juridique de 1789, en détruisant les bases de l’AR a renversé un certain nombre d’obstacles à la codification :

–       destruction des privilèges ;

–       avènement du règne de la loi : doit correspondre à la rédaction d’un « code de lois civiles communes à tt le royaume » et de lois « simples et claires » promises à la fois par la loi des 16-24 sept. 1790 sur la réforme judiciaire et par la constitution de 1791.

Pourtant, si constituante vota un code pénal en 1791, elle se contenta de promesses en matière civile : membres trop conscients de la difficulté de la tâche ; quant à la Législative, se contenta de l’adoption d’une législation civile fragmentaire(2 lois du 20 sept. 1792 sur l’état civil et le divorce). La Convention entama véritablement le chantier du code civil : pl. projets successifs :

–       un en 1793, sous la direction de Cambacérés : projet vraiment rév. (égalité absolue de tous les enfants, même naturel ; adm. Commune des époux sur les biens du ménage ; abolition de la puissance paternelle, etc.). Projet non retenu pour des raisons pol. (ajourné jusqu’à la paix) ;

–       1794

–       1796 (ces deux projets, également s. d. Cambacérés). 2 nouveaux échecs, dus également à la conjoncture

Opinion déprimée croit de moins en moins à la possibilité d’aboutir. Pourquoi ces échecs ? Ne tiennent certes pas en l’incapacité des assemblées rév. à élaborer et à voter des textes de grande envergure, mais plutôt de la rapide évolution des opinions et du décalage fréquent entre l’esprit des projets et le climat politique dominant au moment de leur discussion.

Régime du Consulat réunit au contraire tous les facteurs favorables à la codification du droit civil : après 10 ans de bouleversements, Français aspirent à la pacification des esprits et à la pacification sociale. Bonaparte fait du C. Civ. Une priorité car ce projet sert ses desseins : achever la Rév., renforcer l’unité nationale autour d’un Etat puissant, garantir aux citoyens un minimum de liberté civile en échange d’une forte diminution de leur liberté politique, structurer la soc. Par les masses de granit. Enfin, domestication des assemblées législatives (Tribunat et Corps législatif) garantit succès de l’entreprise.

B- Le code civil

La loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) réunit sous le titre de Code civil des Français, les 36 lois votées de mars 1803 à mars 1804 qui réalisaient l’unification du droit civil. La même loi abrogeait « les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements » dans toutes les matières traitées par le nouveau Code. Pourtant, code civil ne fait pas table rase du passé : a une histoire dont il faut tenir compte : cf. ses conditions de réalisation (1). Expliquent en partie les choix rédactionnels repérables dans ses grandes lignes directrices (2). Ceci est d’autant plus essentiel que pendant longtemps, le Code fit l’objet d’une minutieuse exégèse (3) dont les civilistes n’osèrent s’émanciper que tardivement (4).

1 -Rédaction

Procédure suivie : * Désignation de 4 commissaires chargés de présenter un projet de code civil en qques mois : 4 anciens avocats, proches des partisans de la monarchie : Portalis (Provence), Maleville (Périgord), Bigot de Préameneu (Bretagne), et Tronchet (Paris) : représentent les différentes traditions de l’ancien droit ; n’ont pas rejeté les pcipes de 1789 ss pour autant adhérer aux lois civiles de l’an II. N’ont guère fait preuve d’esprit d’innovation : c’étaient des disciples, et non des prophètes :ont emprunté largement à la doctrine de l’ancien droit, aux droits savants et à la coutume. Influence de théoriciens de l’école du droit naturel (Grotius, Pufendorf, Wolff, Barbeyrac) perceptible ds le plan du Code, bâti autour de l’idée de droit subjectif et ds la reconnaissance de certains pcipes (transfert de propriété par simple accord des volontés, responsabilité pour les faits de l’h. causant à autrui un dommage).

* Examen de l’avant projet devant le Trib. de Cass. et les tribunaux d’appel ; discussion devant le CE à laquelle participa partiellement le 1er consul (Bonaparte présida 55 séances sur 107). Au total, procédure mêlant concertation et autoritarisme, réussit à réunir le plus large consensus de juristes sur un texte présenté comme la synthèse de l’histoire du droit français.

2- Organisation

Présentation du Code par ses rédacteurs (notamment par le Discours préliminaire rédigé par Portalis) en fait une œuvre essentiellement transactionnelle (entre Nord et Midi, ancien et nouveau droit). En réalité, les choses sont plus complexes : influence des coutumes septentrionales nettement plus forte que celle du droit romain ; caractère assez fortement réactionnaire du nouveau code : conformisme à l’égard des règles sociales et morales admises à l’époque : code renonce à imposer une régénération de l’h. à travers de lois de combat.

Au total, Code inspiré par une idéologie autoritaire (celle du Consulat) : pessimisme foncier sur la nature humaine ; vision mécaniste du comportement dont l’intérêt serait le grand moteur ; soumission de l’intérêt individuel à l’intérêt collectif : l’Etat = le maître de cette pol. de maintien de la paix bourgeoise qui passe par la famille. Texte n’en demeure pourtant pas moins ouvert : interprétations nombreuses sont possibles, y compris ds un sens libéral. Code reste porteur d’une partie de l’héritage rév. Accepté « sous bénéfice d’inventaire » : rupture avec la société d’AR ; substrat égalitaire ; dose de laïcité.

Pcipales lignes directrices du Code :

  • Primat de la propriété : « droit fondamental sur lequel toutes les institutions reposent » ; même les personnes ne sont considérées que sous l’angle de sujets potentiels du droit de propriété. Portalis le décrit ainsi comme « inhérent à la constitution même de notre être ». Pourtant, n’est pas conçu comme un droit naturel, mais comme l’attribut d’un Etat fort qui le garantissait tout en le limitant. C’est ds cet esprit qu’il faut comprendre le célèbre art. 544 : déf. Subjectiviste = aboutissement  d’un long travail doctrinal des romanistes (bien éloigné en tout cas des conceptions romaines de la prop.) ; rejet de toute possibilité de renaissance des charges féodales (cf. aussi art. 686 et 530). Caractère absolu du droit de propriété est d’ailleurs tempéré par la renaissance du pouvoir de l’Etat d’en limiter l’usage par des lois et des règlements, ainsi que par le respect dû au droit des voisins ;
  • Famille fondée sur le mariage. Soc. = un assemblage de familles scellées par le mariage « acte naturel, nécessaire, institué par le créateur lui-même », facteur d’harmonie sociale. Est placé sous le double contrôle de la famille et de l’etat ; divorce pas reconnu comme un effet de la liberté individuelle mais comme un remède extrême = énumération restrictive des causes de divorce pour faute ; soumission du divorce par consentement mutuel à une longue série d’épreuves. De même, extrême méfiance à l’égard de l’adoption (réservée aux pers ; de + de 50 ans, ss enfants, ne s’adresse qu’à des majeurs.) Enfants naturels rejetés hors de la famille ; action en recherche de paternité est interdite. Naissance illégitime ne peut être couverte que par une légitimation ultérieure (= par mariage).

Par ailleurs famille gouvernée par le père =  image en réduction du chef de l’Etat. Prééminence maritale d’abord fondée sur une inégalité des sexes non dissimulée : « la force et l’audace sont du côté de l’h., la timidité et la pudeur sont du côté de la femme ». Femme mariée frappée d’une incapacité générale et l’art. 1124 la range à côté des interdits (c’est à dire des fous) et des mineurs. Ceci, quel que soit le type de régime mat. Choisi. Autorité du mari se prolonge à travers la puissance du père, qui exerce une véritable magistrature sur des enfants que les rédacteurs du code ont voulu soumis et respectueux (art. 371). Minorité prolongée jusqu’à 21 ans ;droit de correction paternelle (enfant de moins de 16 ans peut être détenu pdt un mois sur demande du père). Volonté d’établir une puissance paternelle forte « providence des familles » ; les enfants doivent rendre toute leur vie un »culte » à la « divinité domestique et tutélaire ». Relations familiales toujours placées par les rédacteurs du code sous le signe de l’intérêt. Par ex. l’obligation alimentaire est plutôt une sorte de succession anticipée qu’un véritable témoignage d’affection. De même, jeu sur la quotité disponible : permet un véritable chantage successoral appelé à être un des ressorts majeurs de la puissance paternelle.

  • Droit des obligations : pcipe de liberté contractuelle conforme à la DDHC se heurte à la prédominance des impératifs d’ordre public : art. 1134 affirmant que « les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites » pas conçu sous le signe de l’autonomie de la volonté mais repose sur l’idée que le contrat « émanation de la loi » oblige les particuliers à respecter leurs propres engagements. Code pose ainsi de nombreuses limites au jeu des volontés individuelles : dès l’art. 6 il est rappelé que « l’on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les BM » ; art. 1133 insiste sur la nullité des oblig. Dont la cause est illicite parce contraire à l’OP et aux BM. Morale jansénisante (admission de la rescision de la vente pour lésion).

Par ailleurs, rédacteurs du C. Civ. Ont emprunté aux théoriciens du droit naturel l’idée d’une clause générale de responsabilité obligeant à réparer « tout fait quelconque de l’h. qui cause à autrui un dommage ». (art. 1382) = règle de prophylaxie sociale destinée à prévenir les comportements dommageables ; même la simple négligence ou imprudence (art. 1383) donne droit à réparation quand elle « blesse les droits d’un autre. ».

N.B : En même temps qu’avançait la rédaction du C. Civ. Le gouv. Consulaire avait mis en chantier d’autres codes sur le droit pénal, la procédure civile et le droit commercial. L’achèvement du C.Civ ; étant considéré  comme une priorité absolue, l’entreprise de codification des autres branches du droit n’aboutit que sous l’Empire. Ensemble empreint d’un grand autoritarisme. Edifice social cadenassé par une pol. De « compression » visant les pop. Flottantes non intégrées ds le réseau familial ou ds le travail. Nombreuses atteintes à l’égalité (notamment contre les ouvriers, les juifs, les pop. Colonisées : rétablissement de l’esclavage ds les colonies, dès 1802) ou au profit d’une toute nouvelle noblesse de fonction. En fait, ds les dernières années de l4Empire, la liberté et l’égalité civiles, de même que la puissance paternelle (avec l’enrôlement forcé des mineurs) avaient du céder devant la puissance de l’Etat. Ds la conception napoléonienne, les droits civils n’étaient jamais que des concessions de l’Etat aux particuliers : l’autonomie du droit privé, pourtant sous-jacente ds le Code civil, restait encore largement à conquérir.

3- Interprétation

De 1814 à 1880, en dépit de multiples changements de régime, le code civil subit peu de modifications. Considéré comme la « constitution civile de la France », il fait l’objet d’un respect « quelque peu superstitieux ». Face à ce code neuf et sacralisé, tous les juristes conviennent de la nécessité d’un travail d’exégèse, c’est à dire d’interprétation littérale, comme on le faisait depuis des siècles pour la Bible (et le droit romain) (a) ce qui n’exclut d’aileurs ni la réalisation d’oeuvres doctrinales majeures (b), ni le dév. d’un courant critique (c).

a)-Le respect du Code civil

Avant même le retour de L. XVIII en France, question du maintien du code posée par les émigrés. Mais futur roi hostile à sa disparition car est censé reprendre les anciennes ordonnances et coutumes. Art. 68 charte du 4 juin 1814 dispose donc que le code civil et les lois existantes restent en vigueur ds ce qu’ils n’ont pas de contraire à la charte et « jusqu’à ce qu’il y soit légalement dérogé ».

En fait, offensive ultra se concentre presque exclusivement sur le divorce, aboli par la loi du 8 mai 1816. Pour les reste, absence de révision « aristocratique ». De même, monarchie de juillet ne trouve rien à redire idéologiquement au code qui correspond aux aspirations du « roi citoyen » et aux principes d’une monarchie bourgeoise. De manière significative, plt privilégie la réforme du code pénal, du code d’instruction criminel et du code de commerce. De même, vote de lois spéciales en rapport avec le dév. de l’éco. Le code civil apparaît hors d’atteinte des velléités réformistes : en plein essor de la légende napoléonienne, le respect ne cesse de grandir à l’égard de la « perfection » du code Napoléon.

De 1848 à 1880, modifications législatives apportées au code sont plus nombreuses sans pour autant que diminue la sacralisation de l’oeuvre majeure des codificateurs. C’est le Second Empire qui pousse le plus loin la vénération du Code (« la plus belle conquête des Temps Modernes »), alors que paradoxalement son texte subit pl. modifications d’imptance, sous l’influence de la rév. Industrielle : libéralisation du régime juridique des S.A, abrogation de l’art. 1781 qui consacrait l’inégalité entre maîtres et ouvriers, etc. Au total, qd les républicains arrivent au pouvoir, le code civil des Français n’a vu que 130 de ses art. modifiés depuis 1804.

Vénération d’autant plus grande que l’enseignement du droit est bien encadré : Ecoles de droit (devenues facultés en 1808) ont pour vocation de former des praticiens appliquant à la lettre le code (enseignement du droit français y est par ex. organisé « ds l’ordre établi par le code civil ») ; orthodoxie de l’enseignement assurée par le serment d’obéissance des profs et par la surveillance de 5 inspecteurs généraux. Ce strict cadre napoléonien subsista ds ses grandes lignes jusqu’en 1880. Création de nouveaux cours résulta essentiellement de décisions ministérielles prises au coup par coup (dt commercial : 1809 ; droit constitutionnel :1834, histoire du droit : 1829 à Paris). Méthodes d’enseignement ultra traditionnelles : prof dicte sa leçon avant de donner des explications verbales. Public étudiant d’ailleurs très restreint (5000 pour tte la France) requérant peu de profs (17 à Paris, 7 ou 8 ds les autres facs) ; conservatisme du corps professeoral. Il fallut attendre en 1855 l’établissement de concours nationaux d’agrégation pour voir apparaître une timide tendance à l’autonomisation du corps enseignant.

Quant à la jursiprudence, reste encore largement considérée comme une servante de la loi. En outre, techniques de cassation, très restrictives, nuisent au dév. d’uen oeuvre prétorienne d’importance de la part de la C. Cass. Qu’en fut-il de la doctrine ?

b)- Les commentateurs du Code civil

Ouvrages de droit publiés immédiatement après la promulgation du Cciv. N’avaient pas la prétention d’être des commentaires élaborés de la codification mais de simples analyses destinées à la faire connaître. Passé le temps des premiers tâtonnements, vint celui de réalisations plus ambitieuses. Parmi celles-ci, on n’en retiendra 3, dues à la plume d’auteurs originaux :

Commentaire de Raymond-Théodore Troplong (1795-1869) : autodidacte, d’abord employé de bureau à Châteauroux, entre ds la magistrature en 1819. Carrière fulgurante (président de la C. Cass pdt tt le Second Empire, pari de France). Assortit ses commentaires de nombreuses considérations sur l’histoire et la philosophie. Longues préfaces ds lesquelles il cherche à s’élever au dessus de l’exégèse vers les « vérités naturelles de la philosophie ». Vivement critiqué de son vivant (contemporains lui reprochaient de « faire des romans » et d’être « trop long »), fut pourtant l’un des commentateurs les + imaginatifs du Code. Montre en tt cas comment, de la Monarchie de Juillet au 2nd Empire, ce dernier a pu être glorifié et réinterprété ds le sens d’un prudent libéralisme.

Cours de droit civil français d’Aubry et Rau : Charles Aubry (1803-1883) et Frédéric-Charles Rau (1803-1877), tous deux profs à Strasbourg, avant d’intégrer la C. Cass. Après l’annexion de l’Alsace à l’Empire alld. Œuvre commune débuté en 1839, avec la parution du 1er volume d’un cours d’abord présenté comme la traduction du manuel alld. De Zachariae consacré au Code. Apportèrent une véritable rév. Ds la méthode d’exposition du droit civil. Ne s’astreignant pas à suivre le Code art. par art. , ils cherchèrent à réaliser un « traité raisonné » alliant la méthode exégétique et l’enseignement dogmatique. Positivisme étatique déclaré. Recours à l’interprétation grammaticale de la loi : refus de « tte innovation qui tendrait à substituer une volonté étrangère à celle du législateur » ; droit naturel = abstraction ss influence sur le droit positif qui prenait sa source ds la conscience collective de chaque peuple. Au total, interprétation « libérale du Code fondée sur les droits subjectifs, ss pour autant militer en faveur d’une réforme de la législation.

Charles Demolombe (1804-1888). Représentant le + glorieux de l’école de l’Exégèse. Avocat consultant de renom, a enseigné le droit civil pdt + de 50 ans à la fac ; de Caen, refusant aussi bien une chaire à Paris qu’un siège à la C. Cass. L’œuvre de sa vie = Cours de Code civil inachevé (31 volumes). Souhaite lui aussi transcender « la vieille querelle du commentaire et du traité » ; fait largement appel aux PGD, à l’histoire, à la jurisprudence, voire à des observations de nature sociologique ; style d’exposition chaleureux et souvent partisan.

c)- Les courants critiques à l’égard du Code civil

– La critique historique

Premières critiques syst. Du Code sont venues d’All. Dès 1814, parution de l’ouvrage de Savigny sur la vocation de notre temps pour la législation et pour la science du droit : droit considéré comme expression historique de la culture d’un peuple (volksgeist). « Toute la science juridique n’est rien d’autre que l’histoire du droit. » : le droit atteint une étape différente de son dév. à chaque âge ; la codification ne doit être que l’aboutissement d’un long travail de doctrine. Rédacteurs français donc critiqués comme insuffisamment versé ds le droit romain ou « dilettantes ». au delà de l’attaque, aux forts relents nationalistes, Savigny s’affirme comme le chef de file de l’école historique en s’opposant point par point aux conceptions des théoriciens de l’école du droit naturel. Idées relayées en France ds une revue fondée en 1819 : La Themis, où écrivit une pléiade de brillants jeunes juristes.

Au delà du cercle de La Themis, de nombreux juristes exprimèrent leur foi ds le rôle de l’histoire comme moyen de dépassement de l’étude exégétique du Code. A l’époque où la science historique est en pleine mutation (création de l’Ecole des Chartes en 1822, œuvres de Michelet et d’Augustin Thierry ou de Guizot), l’histoire du droit leur paraît fournir la méthode appropriée pour saisir les rapports entre le droit et els phénomènes sociaux. Nombreux travaux marquèrent alors des progrès sensibles ds la connaissance du dév. historique du droit romain.

Cf. aussi œuvre novatrice des premiers historiens du droit français comme Henri Klimrath (1807-1837), auteur d’une admirable cartographie de la France coutumière d’AR, Louis-Firmin-Julien Laferrière (1798-1861) ou Edouard-René Laboulaye (1811-1883), ces deux derniers cofondateurs de la revue historique de droit français et étranger. Toutefois, les fac. De droit ignorèrent cette nouvelle discipline jusque vers 1880 et les méfiances à l’égard de l’historicisme (alld.) demeurèrent fortes.

– La critique réactionnaire du Code

–     De Bonald : exalte le rôle de la famille fondée sur la puissance paternelle et le droit d’aînesse. Toutefois, sous la Restauration, ce courant réactionnaire ne parvient pas à rallier de véritables théoriciens du droit.

–     Paradoxalement, c’est ds l’œuvre de Balzac que l’on trouve, de manière dispersée, une critique plus large de « l’infâme code civil du sieur Buonaparte » : légitimiste convaincu, reprend et dév. Les idées de Bonald. Ds les Paysans, par exemple, il dénonce les méfaits du morcellement des terres qu’il imputait au Code : »grande plaie de la France ».

–     Frédéric Le Play (1806-1882) : polytechnicien et ingénieur à l’école des Mines, inventeur des tourniquets enregistreurs et des bateaux-mouches, réalise en France un grand nombre de monographies de familles modestes, en étudiant les conditions de vie et les budgets d’agriculteurs, d’artisans et d’ouvriers. Ces enquêtes sociologiques ont servi de base à sa réflexion théorique. Considérant lui aussi la famille comme l’élément de base de la société, dégage 3 types d’organisation familiale :

–       Famille patriarcale : risque d’opprimer l’individu

–       Famille instable (désorganisée par l’individualisme)

–       Famille souche où l’un des enfants mariés vit en communauté avec ses parents : a les faveurs de Le Play parce qu’elle sauvegarde l’autorité du père de famille, pcipal agent de l’ordre social. Or, selon Le Play, famille-souche menacée par les lois successorales, code civil poursuivant ds ce domaine le travail de destruction du droit rév.

– La critique libérale du Code :

Aspects autoritaires et dirigistes du code mieux perçus et plus critiqués au fur et à mesure que se dév. la pensée libérale. En particulier, souci de certains juristes comme Pellegrino Rossi (prof. De droit constitutionnel) de mettre en harmonie Code civil et charte constitutionnelle.

Toutefois, il faut attendre le 2nd Empire pour que soit élaboré un véritable modèle de drot civil républicain, s’opposant, sur des bases libérale, à l’esprit autoritaire du Code. Cf. œuvre d’E. Acollas (1826-1891) : dénonce âprement l’esprit de réaction du Code qui porte la marque du coup d’état du 18 Brumaire. Défend le divorce, l’émancipation des femmes, le droit de l’enfant, l’autonomie de la volonté en matière contractuelle.


[1] Pour parler de ces ouvrages, le Moyen-âge préféra l’expression leges Romanorum.

INTRODUCTION

« Rien n’est plus digne d’étude que l’autorité des lois, qui disposent au mieux des choses divines et humaines et bannissent toute iniquité. »

Justinien, Constitution Deo auctore du 15 XII 530

Intérêt de cette étude

Essayer de comprendre au mieux ce qu’est le droit, au travers de ce qu’il a été : s’attacher sinon a saisir son essence, du moins à mesurer la variété de ses manifestations. Il importera donc, notamment :

* de ne pas réduire le droit à la loi ou aux règlements (tendance forte du droit contemporain) : illusion fétichiste qui fait du Code civil l’alpha et l’oméga du droit. Tentation de l’esprit humain visant à saisir dans un volume fini l’infinité des possibles juridiques.

* de s’interroger sur les rapports entre droit et pouvoir. Est-ce le pouvoir qui fait le droit ? Ou est-ce le droit qui fonde le pouvoir ? Peut-on concevoir un droit sans pouvoir ? Peut-il exister un pouvoir sans droit ? Par quelles procédures le pouvoir rend-il le droit vénérable et aimable, bref, incontestable ?

* de comprendre que l’on ne saurait limiter le domaine du pouvoir au seul champ étatique. D’autres formes d’influences ou de dominations existent ou ont existé, qui sont largement extérieures à l’Etat (Eglise, conscience collective, leaders d’opinion, classe sociale, etc.)

Au total, donc, une histoire juridique qui est aussi, largement, une histoire sociale et une histoire politique, au sens large.

 Difficulté de cette étude 

* porte sur la longue durée : de la chute de l’E.R (476) à la codification révolutionnaire et napoléonienne. Soit plus de 13 siècles (1328 ans exactement), riches de faits nombreux et capitaux, qu’il s’agira d’exposer dans un volume horaire modeste. D’où l’importance fondamentale d’une imprégnation chronologique (cf. chrono + biblio.)

* concerne une nouvelle discipline, le droit, dont les mécanismes sont encore largement ignorés. Attention, en outre, aux idées fausses et aux opinions « toutes faites ».

C’est pourquoi, plutôt que de s’essouffler à décrire le fond du droit, ou le fonctionnement minutieux d’innombrables institutions, il a été jugé préférable de centrer l’étude sur les sources du droit, c’est à dire sur les mécanismes de son élaboration et de sa production, pris dans leur contexte socio-économico-politique.

 Première partie : Les grands cadres normatifs

Chapitre 1 : La Coutume, entre foisonnement et contrôle

–               Marginalité apparente de la coutume dans notre droit contemporain. Ceci contraste fortement avec la double perspective géographique et historique proposée par le droit comparé : coutume très présente dans d’autres traditions juridiques (Common Law), voire dans d’autres systèmes d’organisation (D.I.P.) ; a de même longtemps servi de fondement au droit français (public et privé) jusqu’à ce que le vaste mouvement de mise par écrit du droit (rédaction de la 1ère constitution en 1791 ; achèvement du Code civil en 1804) ne lui porte un coup fatal.

–               Marginalité devient même une incongruité lorsque l’on cherche à rapprocher coutume et droit public : apparaît presque par essence comme un droit irréductible au phénomène coutumier :

  • Parce qu’il est massivement écrit (qu’il se fonde sur un corpus normatif ou sur une activité jurisprudentielle dominée par la procédure inquisitoire) ;
  • Surtout parce qu’il est l’émanation même de l’autorité souveraine : « droit d’en haut » qui s’oppose trait pour trait à la coutume, issue d’une obscure « conscience collective », sorte d’inconscient du droit refoulé dans les tréfonds de la rationalité organisatrice.

–               Caractère largement a-problématique de la définition aujourd’hui[1] la plus usuellement retenue du phénomène coutumier : « Règle non écrite issue d’un usage général et prolongé et de la croyance en l’existence d’une sanction à l’observation de cet usage (opinio necessitatis). Elle constitue une source de droit, à condition de ne pas aller à l’encontre d’une loi. »[2] Se décompose traditionnellement en 2 éléments :

  • Le corpus, ou élément matériel = ensemble d’usages répétés, non contradictoires et paisibles ;
  • L’animus, ou élément psychologique : croyance ds le caractère obligatoire de la coutume

Pourtant, aucun de ces éléments ne va de soi. Peuvent tous être contredits ou ) tout le moins nuancés :

  • définition qui reflète l’architecture contemporaine de notre système juridique légicentré : cherche à rationaliser la coutume en la décomposant et à la confiner en la subordonnant («à condition de ne pas aller à l’encontre d’une loi »). Ne doit donc pas être acceptée comme vérité absolue.
  • Plus profondément, définition qui masque l’essentiel, qui camoufle le coeur du pb. Dès lors que l’on accepte d’inscrire la coutume dans l’ordre juridique, on se doit de s’interroger sur l’opération de transsubstantiation qu’elle opère discrètement et continûment : passage du fait au droit = « interrogation la plus fondamentale que puisse s’adresser le juriste. »[3] Découpage du réel apte à le rendre saisissable par le droit : processus de réduction.

Coutume constitue donc l’une des expressions les plus complexes de la chose juridique : objet en effet largement insaisissable, du fait de son positionnement même, à la fois dans et hors du droit : « Ce qui singularise les règles coutumières, en fin de compte, et explique le malaise dans lequel elles plongent les juristes, c’est sans doute moins qu’elles ne soient pas écrites, car ce trait ne caractérise que le produit final et ne met en cause que sa consistance exacte, que le fait qu’elles ne soient pas produites en vertu d’un mode organisé, unanimement reconnu comme base stable de l’édifice juridique, car ce fait porte atteinte à l’existence même de la règle coutumière, ou, si l’on veut, à la possibilité légale de son existence. »[4] La coutume est donc fluctuante, mouvante, changeante, et sa juridicité même est en doute. Avec elle, rien de certain ni d’assuré. C’est précisément en cela qu’elle entretient une profonde connivence avec le coeur même du processus de cristallisation juridique, permettant de s’interroger sur ses limites et sur son fonctionnement : sorte de mise en évidence des soubassements du droit, écorché anatomique que la doctrine s’efforce plus ou moins habilement de masquer mais qui apparaît avec netteté dès lors que l’on observe le phénomène au travers d’une épaisseur historique suffisante : coutume se révèle à nous dans le temps. C’est à une sorte de dissection rétrospective que nous sommes conviés.

Section I- Préhistoire coutumière (IIIè-XIè siècles)

§ I- La coutume résiduelle des Romains

Coutume pas inconnue du droit romain, dont elle constitua même longtemps l’une des sources majeures, avant d’être réduite au rang de simple source supplétive ou d’instrument d’accommodation du droit écrit, au temps de l’Empire, du monopole normatif de l’empereur et des grandes compilations, qui en proposèrent d’ailleurs des définitions contradictoires.

Demeure cepdt. vivante, en raison de l’étendue de l’Empire et de la généralité souvent excessive des constitutions impériales : usages suivis par les populations provinciales non complètement romanisées ou pratique quotidienne peu soucieuse des principes théoriques du droit. Menacent l’unité du droit.

– assouplissement des décisions de l’emp. Par la prise en compte d’usages locaux, même si ceux-ci tendent à æ après l’édit de Caracalla.

– pénétration d’usages locaux dans les constitutions impériales, à partir de Const. Ces usages en effet n’ont pas disparu après l’Edit de Caracalla : en tolérant officiellement leur maintien au profit des nouveaux Romains, l’édit renforça leur capacité de contamination sur le droit officiel. C’est en Orient surtout que l’on constate la pénétration des usages locaux.

En dehors des usages locaux, une autre forme de droit coutumier tient, au B.E., une place imptante = la pratique romaine ou provinciale, sorte de droit romain simplifié, + attentif aux réalités concrètes qu’aux subtiles analyses. N’est pas le produit de coutumes pérégrines, mais se distingue du droit officiel comme le latin vulgaire, ou la langue parlée de la langue littéraire. Droit né de la pratique, appliquant, en les dénaturant et en les simplifiant, les concepts théoriques. Adapté aux besoins de la vie, il donne la part belle aux réalités économiques. On voit ainsi apparaître les notions juridiquement aberrantes de propriété inaliénable ou de propriété limitée ds le temps. La possession de longue durée et l’usufruit sont confondues avec la propriété. Ce droit vulgaire émerge à partir de la fin IIIème siècle. Il s’affirme en profitant du déclin de la jurisprudence et tend à envahir les chancelleries que ne protège plus la science des grands juristes.

Face à ces deux formes nouvelles de coutume, attitude variable du pouvoir. Certains emp. comme Dioclétien opposèrent aux usages provinciaux et aux déviations vulgaires le barrage de leurs rescrits ; d’autres, comme Constantin, se montrèrent moins sensible à la défense de la pureté classique ; leurs constitutions étaient perméables à bien des innovations provinciales ou vulgaires.

§ II- L’essor du droit coutumier à l’époque franque

Avec les invasions germaniques, et avant l’apparition des coutumes territoriales proprement dites, un double mouvement de transformation de l’ordre juridique romain peut être assez aisément identifié : une tendance à l’éclatement de l’unité juridique (A) et une poussée nette de l’oralité (B).

A- Le morcellement de l’ordre juridique

En droit positif, la loi de l’Etat régit en pcipe ceux qui, nationaux ou étrangers, vivent sur son territoire : c’est la règle de la territorialité des lois. Cf. Art. 1 C. Civ. :

« Les lois sont exécutoires sur tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite. »

Dans l’E.R, depuis l’édit de Caracalla, et quelles que soient les variantes du droit romain dit « vulgaire » appliquées dans les diverses provinces d’Occ., le pcipe de l’unité jurid. de la romanité avait toujours été pareillement sauvegardé : l’ensemble des pop. vivant sur les terres où s’exerçait le pouvoir des emp. suivait des usages sinon semblables, du moins inspirés de sources communes, puisée dans les constitutions ou les codifications du B.E. Le droit était donc d’application territoriale, et même universelle.

Les choses changèrent avec l’installation des peuplades « barbares » : coexistence d’éléments ethniques diversifiés et de cultures différentes. D’où une juxtaposition des traditions jurid. Pas de tentative des envahisseurs pour imposer aux Gallo-romains l’obéissance à leurs lois : reconnaissance implicite de la supériorité technique du droit romain. Surtout, populations germaniques trop peu nombreuses pour imposer leur propre droit, au demeurant rudimentaire.

En pratique, donc : Juxtaposition des lois barbares et des lois romaines, soulevant la question du droit applicable devant les tribunaux. Application du syst. de la personnalité des lois, c.a.d. détermination du droit applicable effectuée en fonction de l’origine ethnique de la pers. : imptce de la professio legis : « sous quelle loi vis-tu ? » C’est la naissance qui règle le pb ; : l’enfant légitime suit la loi de son père ; l’enfant naturel la loi de sa mère. Le syst. connaît cepdt des exceptions :

– f. mariée prend la loi de son mari, si elle est différente de la sienne ;

– affranchi suit la loi en vertu de laquelle a été accompli son affranchissement ;

– clercs suivent tjrs la loi romaine.

Syst. prévalant pdt pl. siècles. D’autant + imptant en Gaule que le royaume méro. = le + puissant d’Europe : force conquérante qui assujettit de nbreux peuples sous son joug.

Cependant, attention : la personnalité des lois semble avoir été interprétée de manière trop systématique : probablement inconnue des Burgondes et des Wis., elle n’intervenait d’ailleurs que ds une minorité de cas, à titre de dérogation aux règles législatives, romaines ou coutumières qui régissaient la + grande partie de la population. Elle n’excluait  as l’existence concomitante de la territorialilté, a fortiori ds les régions où le peuplement germanique était très minoritaire : le lieu de naissance valait alors comme présomption d’appartenance à une « nation » et déterminait très largement la loi applicable.

En outre, les lois royales s’appliquait à tous et l’Eglise était soumise uniformément au droit romain. Enfin, fusion progressive des « races », oubli des origines ont enlevé une bonne partie de son objet à la personnalité des lois, qui n’a laissé que qques traces aux Ixè et Xè siècles.

N’en a pas moins été le premier signe d’éclatement de l’universalisme juridique romain.

B- Les lois nationales des Germaniques

Avt les invasions, Germains régis par des coutumes non écrites, issues de la CS jurid. du peuple, conservées et transmises de génération en génération par les sages de la tribu.

v Avec les invasions : mise en contact avec des civili. techniquement + avancées. D’où la nécessité d’une mise par écrit, à des fins de conservation. En outre, chose remarquable : cette rédaction se fit partt en latin, sauf chez les Angles et les Saxons. Ce sont ces coutumes rédigées qui portent improprement le nom de « lois barbares ».

En Gaule, furent notamment diffusées :

– la loi des Wis. ou Code d’Euric, la + ancienne (v. 470-480)

– la loi des Bugondes (ou loi Gombette), rédigée sur ordre de Gondebaud au début du VIè s.

– surtout : la loi salique, ou loi des Francs saliens (installés au N. de la Gaule, dans la partie la + occidentale). Celle de lois germaniques ayant le + conservé son originalité primitive. En outre = loi d’un peuple conquérant, dont les monarques, méro. puis caro. Imposèrent leur pvoir à la + grande parie de l’Ouest européen.

Nbreuses rédactions. + de 60 manuscrits connus. La + ancienne version date de l’époque de Clovis (510) et la dernière de Charlemagne (fin VIIIè s.). T. peu de traces de christianisme ; présence de gloses malbergiques en francique.

* Contenu : 5 titres seult sur les 65 de la rédaction primitive concernent le droit privé (soit 8 %), avec notamment le fameux titre 59 De alodis, excluant les f. de la succession à la terra salica (texte invoqué à tort au XIVè s. pour fonder l’exclusion des f. de la succession à la Couronne de France).

Le reste  une énumération de compositions tarifées sensées constituer une alternative facultative à la vengeance privée (faida). Syst. Dit du wergeld (prix du sang), variant en fonction de :

la nature du crime : énumération de nbreuses circonstances aggravantes :

*                 casuistique des blessures

*                dissimulation du corps de la victime avec des branches

la qualité de la victime :

  • âge (S.M, procréation)
  • sexe
  • condition sociale

Soc. violente et rudimentaire, mal encadré par un pvoir pol. svt défaillant.

Toutefois, ce régime ne se maintint guère au delà de l’apogée carolingien : dès la fin du IXè siècle ds la région parisienne, autour de l’an mil ds le Midi, les notices de plaid cessent de mentionner la professio legis : lois nationales disparaissent comme source du droit (raréfaction des manuscrits, analphabétisme des juges, fusion, évolutions socio-économiques).

En même temps, interruption de l’activité législative du roi : le dernier capitulaire carolingien est de 884 ; le 1er établissement capétien de 1154. Entre les 2 270 ans de silence normatif. Coutume est donc apparue dans une époque de vacance juridique, en pleine fragmentation de l’espace territorial et en plein reclassement des rapports sociaux. Si les actes du Xè siècle invoquent encore, çà et là , la lex romana et gotha, voire la lex salica, il ne s’agit plus de références cohérentes mais de formules quasiment magiques, protectrices de l’acte réalisé. Extrême confusion des notions juridiques.

Section II : La coutume triomphante (XIIè-XVè siècles)

§I- Emersion (XIIè-XIIIè siècles)

Eclosion étonnamment rapide d’un droit jusqu’alors latent. Jusqu’au XIIè siècle : procès verbal de carence. L’époque est à la convenientia, aux combinaisons contractuelles particularistes et singulières. Cadres institutionnels et intellectuels sont encore trop faibles pour favoriser cette prise de conscience collective indispensable pour la constitution du droit coutumier. L’impression qui domine est celle d’une brèche ds l’usage du droit, une sorte de « vide coutumier » que cherche tant bien que mal à combler la pratique de ces innombrables accords de sauvegarde mutuelle : les convenientiae conclues ds les domaines les plus divers par les potentes lorsqu’ils acceptent de déposer les armes. Absence d’homogénéité . Tout est question de rapport de force.

De manière significative, 1ère éclosion de la coutume semble s’être inscrite ds le cadre des relations féodales et visait essentiellement à limiter l’arbitraire seigneurial : pose moins des règles précises, en matière de droit des personnes ou de droit des biens qu’elle ne sert à définir des champs d’action ou d’interdiction. Consuetudo revêt alors deux sens successifs et apparemment contradictoires :

–       Désigne d’abord (dès le XIè siècle) des droits d’origine publique mais exercés à titre privé par les seigneurs. Se fonde non sur une délégation de pouvoir mais sur l’ancienneté des prestations (d’où l’appellation de « coutume »).Tendance naturelle des titulaires de fiefs d’imposer de nouvelles prestations, non prévues par l’usage : on parle alors d’exactiones ou de malae consetudines. Evolution témoignant d’une lente transformation des rapports de force en rapports de droit.

–       XIIè siècle : changement du contexte socio politique. Concessions de franchises et de libertés aux habitants des villes, notament en matière fiscale et pénale (tarifs coutumiers). Sont souvent qualifiées de « coutumes » : le même mot qui désignait au XIè siècle un droit du seigneur en vient donc à désigner l’exemption de ce droit. N.B. Sur ce point caractère locale de la coutume : s’exprime d’abord ds le cadre d’une ville ou d’une seigneurie.

Contrairement à ce que l’on a longtemps affirmé, hors des rapports féodaux, la coutume n’apparaît comme source de droit que dans la 2ème ½ du XIIème siècle, et parfois plus tard encore (pays méd. Plus précoce : v. 1160). Véritable floraison coutumière, lié à l’essor de la civilisation urbaine (ds le Midi) et à l’éclosion d’une culture juridique savante. Il s’agit bien d’un nouveau droit, dont on chercherait en vain de lointains précédents. Cohérence des nouveaux usages. Prise de conscience de cette spécificité coutumière se fait assez rapidement chez les Méridionaux : incroyable rapidité avec laquelle se répand la technique des renvois au droit local ds les actes de la pratique, que ce soit pour y renoncer ou pour s’y conformer. L’usage devient alors, sinon une règle contraignante, du moins le point normal de référence. N.B. Il y avait parfois, dès avant le XIIème siècle, application d’un droit coutumier. Mais c’était un droit familial, non territorial. La grande nouveauté du XIIème siècle = reconnaissance d’une assise géographique à la coutume. Un tel saut qualitatif suppose une conceptualisation de cette même coutume : rôle de la doctrine et des droits savants.

Lien de cause à effet entre diffusion des connaissances romano-canoniques et émergence des droits coutumiers apparaît difficilement niable même s’il semble de prime abord paradoxal : quels que soient les pays vers lesquels se tournent les regards, la diffusion des connaissances juridiques (par influence bolonaise directe ou par l’intermédiaire de milieux non italiens) précède toujours le discours coutumier. Droits savants (civil ou canonique) servent de révélateurs à la coutume, lui permettent de prendre conscience d’elle-même. D’ailleurs anciens jurisconsultes romains pas hostiles à la coutume :

–       Paul : « consuetudo = optima legum interpres

–       Julien : « inveterata consuetudo pro lege non immerito custoditur »

Sans renaissance des droits universitaires, point de coutume. Innombrables sont les références savantes ds le droit coutumier français. Ds le Midi, la diffusion du droit romain et l’émergence de la coutume, loin de s’opposer, se sont confortés l’une l’autre et ne furent que les deux aspects d’un seul phénomène : la « majoration du droit »[5], c’est à dire l’intronisation de la règle juridique comme instrument privilégié de médiation ds les rapports sociaux. La confrontation du jus et de la consuetudo aura bien lieu, mais plus tard. Pour l’instant, c’est ss doute l’apport des légistes qui a assuré cette promotion de l’idée de droit ds la société méridionale, mais c’est sous une forme coutumière que les solutions romaines, ou au moins certaines d’entre elles, sont passées ds la vie quotidienne.

Parallèlement à ce phénomène : floraison normative contemporaine multipliant les concessions de règles coutumières : ordonnances royales, établissements seigneuriaux ou statuts municipaux. Droit multiforme qu s’exprime à travers des textes aussi variés mêle inextricablement de vénérables institutions à des règles, voire des institutions sans passé réel. Mise par écrit largement dév. dans le Midi aboutit à fixer la coutume et à transformer en pcipes durables des solutions de compromis souvent adoptées en temps de crise. Rédaction des coutumes méridionales a commencé dès le milieu du XIIè siècle et s’est poursuivie pdt plus de deux siècles. Affirmation identitaire. Ce sont les villes du delta du Rhône, les premières touchées par la romanisation, qui ont les premières rédigé leurs coutumes : Arles v. 1160, Avignon peu après, Alès, Montpellier au début XIIIè s., etc. = coutumes urbaines (alors que ds le Nord elles sont régionales), que les juristes assimilèrent par la suite à de simples statuts municipaux : pose le pb. du rapport de la coutume à la loi (cf. infra).

Romanisation n’a pas seult influencé la mise par écrit ; a aussi influé sur le contenu des coutumes : vocabulaire, catégories, modes de raisonnement du droit écrit appliqués aux coutumes, qui gagnent ainsi en clarté et en précision ; dispositions romaines sont en outre parfois directement intégrées.

N.B. Cette rédaction fut officielle : a abouti à figer les coutumes, qui tombent en désuétude parfois très peu de temps après leur rédaction ; à la place des solutions du texte coutumier officiel, désormais inadaptées, les praticiens introduisent des propositions inédites qui, si elles ne sont pas purement romaines (il s’en faut souvent de beaucoup !) ne s’en réclament pas moins du jus scriptum. L’attitude des juristes « savants » a sans doute influencé ce processus : violent parti-pris anticoutumier se dessine au XIIIè s (alors qu’au XIIè romanistes a priori pas hostiles aux coutumes locales).

B- Affirmation (XIIIè-XVème siècles)

2 phénomènes majeurs pdt cette période :

–       la division du royaume de France entre pays de coutumes (au N.) et pays de droit écrit, déjà précisée ds une ordonnance de 1251 ;

–       la rédaction de coutumiers ds la moitié nord du pays

Concernant le 1er point, il convient de régler son compte à l’invocation d’un soi-disant maintien du droit romain ds le Midi : aucune caractéristique de fond ne sépare alors les actes élaborés ds l’une ou l’autre partie du royaume. Cause de l’évolution tient en fait à la place différente occupée par les juris periti ds le Nord et ds le Midi :

–       différence de rythme dans leur implantation : irruption des romanistes si rapide ds le Midi que le coutume n’a pas bénéficié du laps de temps nécessaire pour acquérir une force suffisante, hormis à l’int. de qques enceintes urbaine,s pour se répandre alentour. Au contraire, plus au Nord, juristes firent longtemps défaut ou restèrent en nombre limité : il faudra attendre l’essor de l’école d’Orléans pour qu’il en aille autrement ;

–       différence de densité qui persistera longtemps, notamment ds les cours de justice, chargées de reconnaître les coutumes (présence de canonistes plus marquée au Nord qu’au Sud ; or droit canon plus accueillant à la coutume que ne le sont les leges)

Au total, contraste frappant, dès la 2ème ½ du XIIIème siècle, entre une zone de droit coutumier qui offre déjà qques uns de ses produits majeurs, à travers diverses initiatives et les régions méridionales – où se trouve tari le flot des concessions originales ;

– où s’estompe, puis disparaît l’application notariale ou jurisprudentielle de la coutume. Effet pervers de sa mise par écrit réalisé un siècle plus tôt.

Concernant le second point, une zone s’étendant du Poitou à Reims, de la Bretagne à la Bourgogne livre une vingtaine d’œuvres majeures (rédactions faites sur initiatives privées, sans valeur officielle, et cela dès la fin du XIIè s. :Très ancien coutumier de Normandie : v. 1190). L’exemple le plus achevé, mais aussi le plus symptomatique : Les coutumes de la comté de Clermont en Beauvaisis (v. 1280), sans compter des séries de décisions plus ou moins complètes, mais dont le contenu est souvent tout aussi intéressant pour la connaissance de la coutume. Même si les cadences en sont variables, l’évolution prend, dans le Nord, un aspect général : le droit gagne partout en précision et en clarté à travers une triple transformation : la coutume cesse de relever du législatif ; elle se jurisprudentialise ; elle se provincialise.

–       Essoufflement normatif : baisse de dynamisme des autorités concédantes dès la fin du XIIIè siècle. Passé ce seuil, villes et princes ne se reconnaissent plus le pouvoir de promulguer une législation de quelque importance en matière de droit privé. Le processus de genèse de la coutume se dégage donc de la concession écrite : à la coutume octroyée, fait place la coutume dégagée = oeuvre des juridictions plus que des puissances, des juristes plus que des politiques. Ceci achève d’une certaine manière de conférer à la coutume ce caractère juridique qui pouvait encore lui manquer aux yeux de certains (cf. infra).

–       Concomitamment à cette décrue du législatif, essor de la jurisprudence apporte une évolution favorable à la clarification de la coutume : mise par écrit du jugement, réglementation des modes de preuve et en particulier de l’enquête par turbe, élimination de l’élément féodal ds le personnel judiciaire (car spécialisation des formations contentieuses). Là encore, l’élaboration du droit se trouve comme vidée de sa dimension politique. Inévitablement, la tendance à l’accumulation de données jurisprudentielles va désormais constituer la source principale de l’évolution : le temps est celui même où se construit, sinon la théorie, du moins la pratique du précédent. Devenue produit essentiel de la jurisprudence, la coutume allait s’en trouver bouleversée, avec en particulier une hypertrophie du droit de la famille et des biens : règlement préférentiel des rapports entre particuliers ;

–       Provincialisation de la coutume a fait éclater le cadre étroit, ville ou châtellenie, au sein duquel elle s’était d’abord formée. Evolution ayant presque toujours profité aux capitales adm. et judiciaires (dév. de l’appel et donc des juridictions d’appel, formation de milieux de praticiens et de notables concentrés au chef lieu de la province ou du bailliage).

Section III- La coutume ordonnée

Dév. du contrôle étatique : soit pour abolir les mauvaises coutumes, soit pour confirmer les « bonnes ». Toutefois, s’il est vrai que le roi est empereur en son royaume, il n’en est pas moins acquis qu’il n’a pas le pouvoir de modifier l’œuvre du peuple : « Est tenu à garder et faire garder les coutumes » : autorité monarchique est donc confiné ds un rôle purement conservateur de gardienne des coutumes .

1ères formalisations coutumières réalisées ds le Nord se révélèrent bien vite insuffisantes, parce que dépassées et surtout partielles. D’où l’idée d’une rédaction officielle des coutumes, cette fois, que favorisèrent à la fois la croissance du pouvoir royal et l’idée que le roi étant à la source de toute justice, il doit veiller au bon fonctionnement du système juridictionnel en limitant au maximum les conflits de compétences et les ambiguïtés de la règle de droit. D’abord suscitée par des impératifs techniques, la rédaction officielle des coutumes (§I) déboucha à partir du XVIè s sur une évolution de plus en plus marquée vers l’idée d’un véritable droit commun coutumier (§II).

§ I- La rédaction officielle des coutumes (XVè-XVIè s.)

A partir du moment où la royauté se sent assez forte pour agir directement sur l’ordre coutumier, elle décide de procéder à une mise par écrit officielle des différentes coutumes du royaume. Telle fut l’intention de Charles VII. Elle se concrétisa avec l’ordonnance de Montils-lès-Tours, promulguée en 1454, dont l’art. 125 ordonnait, subsidiairement que

« les coutumes, usages et stiles de tous les pays de nostre royaume soient rédigés et mis par écrit, accordés par les praticiens et gens de chacun desdits pays de nostre royaume »,

afin d’éviter les fréquentes difficultés

« par quoy les procez sont souventes foys moult allongez et les parties constituées en grands fraiz et despens. »

On examinera successivement les causes de cette décision (a), les procédures suivies pour la mettre à exécution (b) et les résultats auxquels elles permit de parvenir ( c).

A- L’initiative royale

Au milieu du XVè s., bcp de coutumes se trouvaient déjà fixées ds le cadre de rédactions privées. Mais :

– rares étaient les coutumiers qui avaient reçu approbation officielle ;

– de plus, même revêtus de ce label, ils restaient incomplets, incertains, et très marqués par les idées personnelles de leurs auteurs ;

– grandes difficultés pour déterminer le détroit ds lequel s’appliquait chacune des coutumes : ressorts généralement enchevêtrés et constituant un véritable maquis juridique : à tout moment il fallait avoir recours à des enquêtes pour en fixer les limites exactes, prouver les règles incertaines ou déterminer, en cas de dispositions contraires laquelle devait être préférentiellement appliquée.

Complexité d’autant plus gênante que les transactions et les échanges en cessaient de se développer.

– danger de voir les praticiens se tourner de plus en plus vers le droit romain. Risquait alors de se rétrécir dangereusement l’espace juridique que la royauté s’était réservée et dont elle voulait, désormais, faire un champ privilégié de son intervention.

– ambition du pouvoir royal, inquiet de voir quelques grands seigneurs locaux (comme les comtes d’Anjou en 1411, de Poitou en 1417 ou le duc de Berry en 1450) procéder eux-mêmes à une rédaction officielle des coutumes ds leur seigneurie : nécessité de défendre une prérogative essentielle de la monarchie – la garde des coutumes – et de réaffirmer sa volonté unificatrice.

Conjonction de toutes ces raisons incita à l’adoption de l’ordonnance de Montils les Tours, dont l’objet principal restait significativement l’adm. de la justice, et qui comportait un certain nombre de dispositions destinées à assurer la rédaction de l’ensemble des coutumes du royaume.

B- Les procédures suivies

¨   Procédure initiale extrêmement lourde : rédaction ds chaque bailliage d’un projet de coutume. Ce texte, une fois rédigé sous la responsabilité du bailli, devait être envoyé au roi avec, en annexe toutes les observations qui avaient pu être faites par les intéressés )à l’occasion de son élaboration. Le roi s’en réservait la publication après avoir consulté plt et conseil.

Ce syst. ne donna guère satisfaction et ne fut suivi que de médiocres résultats, en Touraine (1461) et en Anjou (1463). D’où une réforme du mode de rédaction intervenue ds les années 1497-1498.

¨   Nouvelle procédure observée jusqu’à la fin de l’AR, aussi bien pour les 1ères rédactions que pour les réformations ultérieures ; Comportait 5 phases :

à    publication des lettres patentes adressées au bailli ou au sénéchal du lieu pour ordonner la rédaction : marque bien que l’initiative n’appartient qu’au roi.

à    rédaction d’un avant-projet ou cahier provisoire, réalisée par ceux qui, localement, assuraient la justice : les juges royaux assistés des praticiens (avocats, procureurs, greffiers). Rassemblement de tous les éléments nécessaires sur les usages locaux ;

à    examen du cahier effectué sur place par des commissaires du roi choisis parmi les parlementaires du ressort. Amendement et clarification du texte, conformément aux intérêts du roi et à l’esprit du droit romain ;

à    réunion de l’assemblée des états du bailliage concerné (plusieurs centaines de participants des 3 ordre) : projet lu et discuté article par article ; commissaires défendant l’intérêt général discutaient souvent passionnément avec les praticiens locaux. Après chaque discussion, lorsque l’article rédigé était adopté par les 3 ordres, il était dit accordé. Si l’un des ordres se refusait à le voter, il était inscrit discordé par tel ordre et réservé sur le P.V. L’adoption d’un article supposait la majorité ds chaque ordre et l’unanimité es 3 ordres. A priori, mode t. démocratique ; en fait : rôle t. important joué par les commissaires royaux : influence plus que pouvoir direct : cf. notamment le rôle de Pierre Lizet (1482-1554) et de Christofle de Thou (1508-1582), tous 2 présidents du plt de Paris.

Les articles discordés devaient ensuite être renvoyés devant le plt pour une décision définitive qui traîna svt pdt plusieurs décennies ;

à    phase ultime = publication assurée sur place par les commissaires royaux des articles adoptés unanimement. Étaient déclarés « loy perpétuelle » du lieu après une lecture solennelle et faisaient l’objet d’un décret de ces mêmes commissaires. La coutume décrétée avait dès lors force de loi. Il suffisait de l’invoquer pour prouver le droit, enregistré au greffe des différentes juridictions. L’essor de l’imprimerie au début du XVIè s. favorisa la diffusion rapide de cette source du droit, ainsi que des nombreux commentaires qui ne manquèrent pas d’en être faits.

c- Les résultats obtenus

Ils furent très largement positifs. Entre 1506 et 1540, la plupart des coutumes du Nord de la France, de l’Île de France et du Centre, ainsi que qques unes du S.O. furent officiellement décrétées. Parmi les plus importantes : celles d’Orléans (1509), de Paris en 1510 et de Bretagne en 1539.

Par delà ce résultat simplement matériel :

– fixation définitive du droit coutumier, avec parfois une tendance à la sclérose. Revers de la médaille : permanence du droit féodal. Au début du XVIè s., alors que la féodalité achevait d’agoniser et que les rapports économiques se modifiaient en profondeur, le régime féodal renforça sa légalité coutumière ss apport d’une nouvelle légitimité ;

– possibilité pour la royauté d’agir sur un ordre juridique morcelé et divers.. La coutume, droit préexistant à l’Etat, se trouvait désormais en partie absorbée par lui. En lui donnant force légale, il en faisait sa propre loi, ou tout au moins un droit qui tenait de lui l’essentiel de sa valeur.

– influence du droit romain, même s’il ne se vit quasiment jamais reconnaître un rôle directement supplétoire

– évolution vers une unification générale du droit. Va encore être renforcée par la réformation de ces mêmes coutumes et l’évolution vers un droit commun coutumier.

N.B. Dans le Midi, l’ordonnance de Montils les Tours n’eut qu’une portée limitée : coutumes méridionales ne furent à nouveau rédigées que là où elles n’étaient pas complètement mortes, c’est à dire ds le ressort du plt de Bordeaux. Partout ailleurs, l’ordonnance resta sans exécution, et le courant romanisant acheva de tout submerger. Le droit écrit fut ainsi renforcé ds le Midi, tandis que le droit coutumier était consacré ds le Nord. Si ds le Nord émergence d’un véritable droit commun coutumier, identité du Midi passe dès le XIVè siècle par le droit romain.

§ II- L’évolution vers un droit commun coutumier (XVIè-XVIIIè s.)

Amorcée par la réformation des coutumes qui intervint dès la 2nde moitié du XVIè s. (A), elle fut surtout encouragée par le développement d’une réflexion doctrinale originale qui s’épanouit pdt les 2 derniers siècles de l’AR (B).

A- Le mouvement de réformation

Le XVIè s. fut une période de modernité et de mutations culturelles, sociales, économiques, politiques. Assez rapidement, les 1ères rédactions de coutumes apparurent insuffisantes ; parfois effectuées trop vite, sans réflexion, elles firent l’objet d’une critique constructive de la part des commentateurs qui comparèrent leurs dispositions au droit commun et à la jurisprudence des plts et déplorèrent lacunes et contradictions. Charles Du Moulin (1500-1566) dénonça notamment l’hétérogénéité des coutumiers, et préconisa la formation d’un droit coutumier commun à toute la France qui s’inspirerait principalement de la coutume de Paris dont il assura un commentaire abondant.

Ainsi, pour adapter le droit aux nouvelles données socio culturelles, pour combler les carences et tenter une cohérence, le pouvoir royal fit procéder à la réformation des principales coutumes françaises entre 1555 et 1581 en utilisant la même procédure que pour leur rédaction.

Mouvt répondant largement à l’attente des juristes du temps et de l’opinion. Il fut surtout réalisé ds l’immense ressort du plt de Paris et fut en partie l’œuvre d’un seul homme : Christofle de Thou, 1er président du plt désigné comme commissaire royal. Humaniste et juriste de qualité, en même temps qu’homme modéré, il chercha surtout à harmoniser, à écarter les coutumes déraisonnables en essayant de faire adopter des solutions tirées de la jurisprudence du plt de Paris, ss pour autant dédaigner les règles d’origine romaine. Aboutit ainsi à une relative unification d’une partie du droit français sur la base du droit parisien : Réforme de la coutume de Paris (1580) fit passe le nombre de ses articles de 120 à 372. Pareillement, réforme de la coutume de Bretagne par Bertrand d’Argentré (1580).

Tendance générale à l’actualisation et à la clarification également perceptible ds d’autres pays d’Europe comme les PB. S’achève avec le XVIè s :  on ne révisa guère les coutumes aux XVIIè et XVIIIè s. et seules qques rares rédactions furent entreprises au XVIIIè s. D’une manière générale, les textes réformés du XVIè s restèrent en vigueur jusqu’à la fin du l’AR. En effet, au XVIIIè s. la monarchie freina les nouvelles rédactions ou réformations qui auraient remis en vigueur des coutumes archaïques auxquelles la loi du roi aurait pu se substituer sans douleur. Il arriva d’ailleurs que le roi réglât par voie législative les difficultés inhérentes à certains articles totalement inadaptés. La souveraineté juridique du monarque s’en trouvait ainsi ponctuellement renforcée.

Au XVIIIè, le mot d’ordre n’est plus à la réformation des coutumes, mais plutôt à l’élaboration d’un droit commun coutumier.

b- Les tendances à l’unification du droit

Imptce jouée par la coutume de Paris ds ce mouvt : appelée de ses vœux par Dumoulin, sa réforme fut l’œuvre de de Thou qui en supprima les dispositions locales, en modéra les rigueurs, en romanisa l’esprit et en assura une certaine rationalisation : volonté de mettre en accord les articles de droit et les arrêts du plt. C’est pourquoi ds tt le ressort de celui ci (1/3 de la superficie du royaume) on reconnut la coutume de Paris comme modèle. D’autres provinces s’en inspirèrent ouvertement, voire l’adoptèrent purement et simplement . L’autorité royale l’imposa par ailleurs au Canada et ds les Antilles.

Ainsi, aux XVIIè-XVIIIè s., par l’effet de la centralisation, la coutume de Paris affirma sa prépondérance et devint l’expression d’une sorte de droit commun coutumier en formation.

Tdce allant ds le sens de ce que désirait l’opinion publique, comme en témoignent plusieurs cahiers de doléances du XVIè s. qui réclamèrent aussi bien la codification des ordonnances royales que celle des coutumes. Toutefois, c’est au sein de l’école doctrinale française que le commentaire comparatif et scientifique des différentes coutumes fit le plus progresser l’idée d’unification du droit.

Antoine Loysel (1536-1617), avocat, publia en 1607 un ouvrage intitulé de manière significative les Institutes coutumières où il entendait « réduire à la conformité d’une seule loi [les coutumes] plongées sous l’autorité d’un seul roi. ». Une fois encore, l’unification juridique devait parfaire l’unité politique. Recherchant l’esprit du droit coutumier traditionnel en remontant aux sources, il réduisait chaque institution juridique en principes élémentaires en les dégageant des divergences secondaires. La synthèse était alors formulée en maximes brèves qui firent bcp pour la formation d’une culture générale juridique du droit français.

Jean Domat (1625-1696) : représentant de l’école dogmatique : publia de 1689 à 1694 Les loix civiles ds leur ordre naturel, où il se proposait de donner un tableau d’une législation tant de droit public que de droit privé, conforme à la nature humaine et à la raison : 1ère synthèse juridique des Temps modernes, donnant au droit sa dimension scientifique et théorique.

Pothier (1699-1772) : après avoir été magistrat, consacra les 22 dernières années de sa vie à la Faculté des droits d’Orléans. Publia à partir de 1760 une longue série de courts traités, méthodiques et clairs, sur toutes les matières du droit français, en les comparante t rapprochant du droit romain. Exerça une influence décisive sur les rédacteurs du Code civil ?

Ds l’ensemble, à l’exception de Domat, droit français cristallisé à l’abri des tendances rationalistes qui prévalaient à la même époque aux PB ou en Allemagne. Volonté pragmatique de réaliser une synthèse réaliste des coutumes, du droit écrit et du contenu de certaines ordonnances royales. Cf. déclaration de Portalis : souhaite « conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire. » effort qui ne fut consacré qu’avec la nécessaire table rase opérée par la Rév. et la volonté politique manifestée par Bonaparte.


[1] Il n’en a pas toujours été ainsi. Les juristes médiévaux étaient à cet égard peut-être plus conscients de la difficulté de la question : « Circa consuetudinem multiplex consistit opiniorum varietas. » (auteur anonyme du recuuil Dissensiones dominorum, ms. Vatic. Chigi E VII.218)

[2] Lexique des termes juridiques, s. d. R. Guillien et J. Vincent, Paris, Dalloz, 1999 (12ème éd.)

[3] J. Combacau : « La coutume, de la régularité à la règle », Droits, 1986, n°3, p.3.

[4] Ibid. p. 6.

[5] J. Poumarède : « La coutume en pays de droit écrit », Recueil de la société Jean Bodin, La coutume, 1990.

Plan

Introduction

Chapitre I : Le droit comme figure de la variance

Section I : Genese

§I- Le droit avant l’histoire

§II- Le droit dans l’Histoire

Section II : dans l’espace : Les principaux caractères des grandes traditions juridiques

§I- Les traditions juridiques occidentales

§II- L’Afrique et la pluralité des droits

§III- La tradition chinoise et l’effacement du droit

 

Chapitre II Une relation dialectique : le droit et la violence

Introduction : Position du problème

Une donnée structurelle : la gestion des conflits

Un élément conjoncturel : le rôle de l’État

Section I. Le système vindicatoire

§I- La minutie des procédures mises en œuvre

§II- Les racines socio-culturelles de la vengeance et de la violence

Section II  Violence et médiation

§I- Le développement récent des modes informels de règlement des conflits

§II- Limites et risques des « justices alternatives »

ÒÒÒ

Introduction

 

 

Cours en construction, d’un triple point de vue :

–       Matériel

–       Épistémologique : anthropologie juridique occupe un statut singulier au sein des facultés de droit. A la fois prisé et non enseigné.

–       Particularité de ce cours : ne s’adresse pas aux seuls juristes. Peut constituer un moyen, transversal, de prendre contact avec la discipline juridique.

Pourtant, quel que soit le point de vue adopté, une constante : travail de décentrage, de mise à distance, changement de perspective qui rend étranges les choses les plus familières. Sociétés occidentales profondément juridicisées. Droit partout, et pourtant difficile à définir, surtout si on cherche à le faire « de l’intérieur. »

Voilà ce qu’écrivait le doyen Vedel, grand constitutionnaliste, dans un article où il cherchait à définir le droit : « Voilà des semaines et même des mois que je « sèche » laborieusement sur la question, pourtant si apparemment innocente ( …) « Qu’est ce que le droit ? ». Cet état, déjà peu glorieux, s’aggrave d’un sentiment de honte. J’ai entendu ma première leçon de droit voici plus de 60 ans ; j’ai donné mon premier cours en chaire voici plus de 50 ans ; je n’ai pas cessé de faire le métier de juriste tour à tour ou simultanément comme avocat, comme professeur, comme auteur, comme conseil et même comme juge. Et me voilà déconcerté tel un étudiant de première année remettant copie blanche, faute d’avoir pu rassembler les bribes de réponse qui font échapper au zéro.[1] »

Paradoxe contemporain : d’un côté un droit qui se dérobe, de l’autre une attente de droit.

1)   Objet qui échappe, qui peine à être saisi, circonscrit. Phénomène juridique semble pourtant massif dans les sociétés contemporaines : hyper litigiosité. Ainsi, par exemple, la société US. De même, pour beaucoup de gens, le droit se confond avec la justice, le plus souvent pénale : figure des grands procès d’assises, avec son décorum écrasant, en rouge et noir. Une autre interface majeure liant l’individu post-moderne au droit : le code de la route = entrelacs de signes juridiques qui expriment de manière impérative des interdictions ou des obligations : dans le code de la route, il n’y a guère de place pour la discussion, la négociation.

Il importe cependant de ne pas confondre le droit avec sa pathologie. Droit devient d’autant plus visible que crise existe. La plupart du temps, la règle de droit ne fournit qu’un cadre indicatif, peu contraignant. Ex : la loi de 1901 sur les associations.

Même en matière de justice, tout n’est pas aussi dramatique qu’une cours d’assise : « dans les prétoires, peu de portes ouvrent sur l‘enfer du pénal »[2]. La procédure pénale elle même, notamment par le biais du plaider coupable, introduit des éléments de négociation, qui sont particulièrement marqués dans le droit anglo saxon. Ainsi, aux EU, 90% des affaires pénales sont réglées de façon négociée : plea bargaining (rendu plus facile par la procédure accusatoire). Les parties parviennent à une solution amiable, elles la soumettent au juge, qui, le plus souvent, se contente de l’enregistrer.

De même, le droit peut parler autrement que par ordres et menaces : atténuation contemporaine de la fonction répressive du droit au profit de son rôle incitatif (peut être lié aussi à la généralisation du contrôle social). Quelques exemples :

  • multiplication des lois cadres et des lois programmes
  • développement des « standards » et des références purement incitatives : droit « mou » (soft law)
  • développement de la médiation, y compris en matière pénale. Recherche d’une justice de proximité, plus informelle. Justiciable de plus en plus souvent sollicité pour collaborer lui-même à la mise en œuvre du droit et de la sanction : évolution très sensible dans les relations familiales, où le droit affirme sa neutralité croissante à l’égard des choix personnels dans l’organisation de la vie privée et se fait donc plus flexible, renvoyant chaque individu à sa liberté et à sa responsabilité : développement de la figure contractuelle au détriment de l’antique institution matrimoniale, à la fois sociale et familiale.
  • Même en droit pénal, apparition d’un droit pénal mou : qui permet à certains justiciables (mineurs en particulier) d’échapper à une sanction brutale : contrôle judiciaire qui évite l’incarcération, sursis, peine d’intérêt général. La victime elle même peut intervenir dans le processus d’amendement et de réinsertion du coupable : expériences menées au Canada et par diverses associations d’aide aux victimes.
  • même code de la route donne quelques signes d’adoucissement. Cf. par exemple la multiplication des ronds-points qui se substituent aux feux tricolores, ou les flèches clignotantes, qui viennent corriger le message d’interdiction de circuler délivré par le feu rouge.
  • A côté de la justice « institution » développement des « médiateurs », le plus souvent des non juristes, qui s’attachent à rétablir la paix entre les parties en dégageant avec elles des solutions de règlement satisfaisantes (aux USA, grâce à ces pratiques, seuls 5 à 10% des affaires viennent devant les tribunaux). L’Etat lui même souhaite l’expansion de ces juridiction alternatives pour désengorger ses propres tribunaux.
  • Dans le monde du travail, une grande partie des relations sont auto-régulées : conventions collectives. Juridictions paritaires ; nomination d’un médiateur si conflit social d’une certaine gravité.
  • DIP : tendance du droit à inciter plutôt qu’à punir.

Sens de toutes ces expériences ? Un pari les inspire. Celui que la collaboration du justiciable assurera mieux que la sanction nue l’efficacité du droit. Quitte à permettre que s’embrument un peu nos conceptions familières du droit et de la justice : la loi ne dicte plus un texte unique, le juge pénal se sert du châtiment sans nécessairement l’appliquer.

Risque de dilution de la norme est réel et caractéristique de la perte de repères de l’individu post-moderne. Pour bien fonctionner, ce droit incitatif suppose qu’il existe au départ une notion de référence précise, à partir de laquelle sont organisées en un ensemble flou des marges d’appréciation donnant une certaine autonomie aux acteurs. Le principe de proximité se substitue alors à celui d’identité, et l’espace normatif devient pluraliste. Le droit européen se structure sous nos yeux suivant ces concepts. Cf. travaux de Mireille Delmas Marty sur le pluralisme juridique.

NB : Cette prévalence de la recherche de l’harmonie sociale sur l’exigence de justice n’est ni un phénomène récent ni un phénomène strictement occidental :

  • Lecture des recueils de coutumes médiévales de même qu’actes de règlements des conflits rapportés pr les chroniqueurs voire par la série des Accords du parlement de Paris montrent qu’au moins jusqu’aux XIIè-XIIIè siècles et la construction de l’Etat, le désir du rétablissement de la paix sociale passe avant celui de la justice.
  • Archipel des Célèbes près de Bornéo : Les Toradja valorisent au plus haut point la recherche de l’accord, notamment en matière conjugale : il faut à tout prix éviter les disputes et les conflits. En cas de querelle grave, la conciliation s’impose, exercée par l’assemblée du village. Voici les exhortations rapportées par un ethnologue : « La parole est un remède comme disent les Anciens. Parlez, ouvrez votre cœur et l’abcès se crèvera… Oui la parole est un remède, réconciliez vous, expliquez vous clairement pour que chacun d’entre vous puisse redresser ce qui est courbé, pour que vous arrêtiez ce que mutuellement vous n’aimez pas afin qu’il ne soit plus question de divorce. »[3]
  • Esquimaux de la côte ouest du Groenland : vivaient en groupe de quelques dizaines dans un environnement hostile. Tout conflit peut devenir dangereux dans ce contexte. D’où la nécessité de le résoudre pacifiquement. Lu des moyens souvent utilisés = les compétitions de chants.

Rigidité et impérativité commencent donc à s’atténuer dans le droit contemporain, alors qu’on les considérait comme intangible.

Tout cela trouble l’image du phénomène juridique et le rend plus incertain, moins saisissable. Or, cette évanescence se conjoint à une véritable attente de droit.

2)   Une attente de droit. Transformations profondes de la civilisation occidentale depuis un siècle :

  1. Effondrement du marxisme : le tot culturel a maintenant tendance à l’emporter sur le tout économique. Surtout, le droit ne se trouve plus réduit à n’être qu’une superstructure portée par la production économique
  2. Retour du sujet après les désillusions de la psychanalyse : droit postule un sujet de droit capable d’assumer des responsabilités et de faire des choix
  3. Complexification du social entraine une augmentation de la demande de droit. Plsieurs indices :

i.     Biosciences

ii.     État de droit : état acceptant e voir sa puissnace limitée par le droit, expression d’un ordre préexistant trouvant sa source dans la socité civile. Cf. la Grund norm et l’idéologie des droits de l’homme

iii.     Inflation du droit : aujourd’hui, la moitié du droit positif a moins de 30 ans : individu, sensé ne pas ignorer la loi, est en fait contraint de ne pas la connaître. L’augmentation quantitative des lois s’accompagne en outre d’une fragmentation du droit : multiplication des règles ponctuelles, des statuts particuliers.

A la fin, on peut se demander ce qui reste du droit. Beaucoup de règles tiennent bon mais les signes inquiétants s’accumulent. Développement d’une sorte de droit canada dry. Deux exemples :

–       droit de la filiation : droit tend à n’être plus que l’écho de la biologie : paternité reposant sur une vérité biologique qui n’est pas nécessairement celle du droit

–       outil informatique, induisant une explosion des évaluations quantitatives : édiction de moyennes, de statistiques, etc. Outre que ces mécanismes de mesure peuvent légitimer le conformisme, ils opèrent un transfert du pouvoir de décision du droit à d’autres sciences dont ce n’est pas la compétence. Une moyenne est un fait mathématique, pas une qualification juridique et en core moins un jugement

–       question de l’ineffectivité mérite aussi d’être posée : il est des relations dont, pour peu qu’elles suivent un cours normal, nous choisissons d’exclure le droit.

Il importe donc d’essayer de penser le droit autrement pour essayer de répondre aux questions que la société pose. D’où l’intérêt de  l’anthropologie juridique. Permet

Face à ces brumes, l’objet de l’anthropologie juridique est de répudier a priori tout système. Démarche d’abord descriptive avant d’être explicative. Étude des systèmes juridiques enfantés par les sociétés humaines, sans exclusive. Postulat de base : toute société connaît le droit, même si toutes le contenu de l’injonction juridique diffère fortement d’une société à l’autre et si tous les systèmes n’accordent pas la même importance à la régulation juridique.

Etude des droits des cultures non occidentales afin de revenir ensuite, avec un regard neuf, à ceux des sociétés occidentales. Car contrairement à ce que l’on croit, il n’est pas plus facile d’étudier sa propre société que celle des Pygmées et des Esquimaux.

Anthropologie peut se voir assignés des précédents dans l’Antiquité et l’époque moderne, ainsi que chez les auteurs et voyageurs arabes du MA. Mais elle naît véritablement à la fin XIXè, en plein triomphe technologique et culturel de l’Occident : révolution industrielle se propage en Europe et colonisation en Afrique et en Asie. Européens de l’époque postulent que toutes les sociétés sont soumises à des lois d’évolution plus ou moins rigides, qui conduisent de la sauvagerie à la civilisation : passage de l’oral à l’écrit, de la famille étroite à la famille nucléaire, de la propriété collective à la propriété privée, etc.

Le premier auteur de cette lignée : Sir Henry James Sumner Maines (1822-1888) : professeur de droit à Oxbridge puis Londres. Passionné par la culture indienne. Vice chancelier de l’université de Calcutta, conseiller du gouverneur général de l’Inde. Contribue à la codification du droit indien entreprise par les Britanniques. Publie en 1861 L’Ancien Droit : cherche dans les droits indiens, irlandais et germaniques les traces de leur filiation commune : indo-européenne. Ses recherches le conduisent à formuler des hypothèses générales sur la manière dont ont évolué les sociétés qu’il connaît : stade archaïque (sans droit), stade tribal (naissance du droit) ; premières codification avec l’assise territoriale. Ensuite, deux types de sociétés : stationnaires (Inde) ou « progressives » (occident) : pointe extrême de la civilisation

Flambeau passe ensuite aux auteurs allemands, autour de la Revue de droit comparée dirigée par J. Kohler : premières études sur les droit africains.

Bronislaw Malinowski (1884-1942) = premier anthropologue moderne. Économiste de formation. Promoteur de l’enquête sur le terrain et de l’observation participante. Ceci à cause de la guerre : de nationalité autrichienne (né à Cracovie), est surpris par la WWI en Australie, où les autorités veulent l’incarcérer comme sujet ennemi. Parvient à les convaincre de lui faire passer son temps d’isolement chez les indigènes australiens à Mailu et aux iles Trobriand (nouvelle Guinée) : collecte un matériau abondant qui lui servira pour écrire ses nombreux ouvrages devenus des classiques de l’anthropologie :

La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, 1921, Ed Payot, 2001,

Mœurs et coutumes des Mélanésiens, 1933 ;

Les Argonautes du Pacifique occidental, 1922 (trad. fr. 1963)

Les dynamiques de l’évolution culturelle, 1941 (trad. fr. 1970;

Journal d’ethnographe,1967 (trad. fr.1985);

Les Jardins de corail, réed. La Découverte,2002.

La paternité dans la psychologie primitive 1927, Éditions à l’écluse d’aval, 2006, ISBN : 2-9526841-0-3

Une théorie scientifique de la culture et autres essais , Maspéro/La Découverte,1970

Anthropologie se fait à la fois plus modeste et plus rigoureuse : renonce à la notion de progrès.

En France : Grand anthropologues, surtout africanistes et surtout Levi-Strauss, mais anthropologie juridique longtemps passée sous silence. Durkheim recourt assez souvent aux droits primitifs, mais il faut attendre le milieu du XXè siècle pour que quelques historiens du droit (H. Levy-Brulh, M. Alliot, R. Verdier, N. Rouland) y fondent vraiment la discipline.

Celle-ci demeure encore aujourd’hui largement un luxe de pays riche.

 

Un peu en marge de l’anthropologie classique, on doit mentionner le nom de René Girard, dont l’influence a été grande dans les années 1990, et qui a consacré toute son œuvre à l’étude des mécanismes de déclenchement et de gestion de la violence, à partir du postulat du désir mimétique (le désir naît de l’imitation du désir de l’autre).


 

Annonce du plan : plus qu’un plan : un parcours qui permettra d’effectuer un gros plan sur quelques thèmes privilégiés et arbitrairement choisis : droit et violence, droit et pouvoir, droit et valeurs, droit et nature.

 

Chapitre I : Le droit comme figure de la variance

 

 

Le droit possède un long passé ; il obéit dans le présent à des traditions culturelles très différentes. Ce sont ces deux aspects qu’il convient d’examiner pour commencer.

 

Section I : Genese

 

§I- Le droit avant l’histoire

 

A- Le mur de l’Écriture

Bien des gens posent l’équation droit = civilisation écrite (Babylone, la Grèce, l’ER, les droits hindous et musulmans, etc.). Or, critère de l’écriture est trompeur :

–       droit pas réductible à l’écriture

–        forme écrite du droit n’est pas un gage de sa diffusion : encore faut-il savoir lire et écrire : droit écrit risque donc n’est que l’instrument d’une minorité (cf. les droits savants au MA). En outre, contrairement au préjuge, les civilisations de l’écrit ne sont pas nécessairement les plus juridiques. L’écriture permet certes une mémorisation supérieure à l’oralité, mais plus nombreuses sont les connaissances à stocker, moins elles sont accessibles : exigent une technicité accrue et deviennent des enjeux de pouvoir. Écriture détermine donc plutôt un certain style de droit et un rapport particulier au pouvoir (plus hiérarchique).

Il faut insister sur ce point : l’écriture n’est pas un simple substitut de la parole. Elle installe le discours dans la solitude en lui conférant une certaine autonomie. Écrit, le texte parle tout autant dans la façon dont le reçoit celui qui le lit que dans l’intention de son auteur : d’où le rôle de l’exégèse, du commentaire, fondamental en droit, et l’importance du contrôle opéré par les juristes sur le droit.

L’écriture modifie donc le droit. Mais elle ne le crée pas. C’est l’un des symptômes de la complexification d’une société : multiplication des ses divisions/spécialisations et donc de ses possibilités de conflits, spécialisation du pouvoir politique. La plupart des cités et des empires ont connu l’écriture, et ceux qui ne l’ont pas connue ont duré moins longtemps que les autres (empire africain, empire inca). Ds le même sens, on notera que l’écriture apparaît après les grandes mutations néolithiques, assises sur une augmentation des capacités de stockage des économies : accumulation des réserves et des connaissances.

L’écriture s’impose quand s’accroissent les distances sociales et / ou géographiques (cf. la prévalence de l’oralité dans les relations amicales et informelles) : le recours à l’écriture n’est pas un signe de développement plus ou moins grand, mais l’indice d’un certain degré de hiérarchisation sociale (sociétés sans écriture reposent ainsi souvent sur des systèmes de parenté d’une complexité stupéfiante).

Aperçu chronologique :

–       1ères espèces humaines : il y a deux millions d’années

–       transition néolithique commence vers -9000 ans

–       -3400/-3300: apparition de l’écriture et début de l’histoire

–       1ère codifications locales : -2500. 1er code, celui d’Hammourabi (-1700)

C’est dire le poids écrasant de l’oralité dans l’histoire de l’aventure humaine. Question : si l’exemple des sociétés traditionnelles montre que le droit n’est pas lié à l’écriture, peut on affirmer que les sociétés humaines du paléolithique le connaissaient déjà ? Pour cela effort d’interprétation nécessaire, avec les vestiges archéologiques mis au jour.

Droit appartient à ce que les anthropologues appellent la culture : ce que l’homme construit à partir du donné naturel qui lui est imposé. Ce recours au culturel n’est pas le propre de l’h : certains animaux aussi aménagent leur milieu ; Mais l’homme s’en distingue par l’ampleur de ce qu’il construit.

Cette proéminence de la culture fut facilitée par certains traits bien connus :

–       station verticale

–       utilisation de l’outil

–       langage : importance du langage articulé : les séries de sons codés qu’il met en œuvre peuvent transmettre la pensée à une vitesse au moins dix fois supérieure à tout autre code de signaux. L’élaboration et le perfectionnement du droit sont liés à l’apparition et à la complexification du langage : pour créer, observer, ou contester des règles, il faut pouvoir communiquer à leur sujet et grâce à elles. D’où la nécessité de déterminer depuis quand l’homme a pu parler un langage du type de celui que nous utilisons.

Le premier type d’homme (homo habilis) apparaît il y a 2 millions d’années en Afrique. Un million d’années + tard, le cerveau humain a doublé, atteignant 1000 cm3. A cette date, quitte l’Afrique vers l’Asie, où il s’éteint.

Ver -400 000 ans, nouveau type d’homme : Neandertal apparaît en Afrique. Gros cerveau (1800 cm3 contre 1500 pour le notre). Mais larynx placé trop haut dans sa gorge pour qu’il puisse parler de façon satisfaisante. Son élocution devait être lente, ses phrases rudimentaires : l’organe n’était pas à la hauteur du cerveau. Disparait il y a 30 000 ans, faute d’avoir pu s’adapter aux modifications climatiques (fin de l’ère glaciaire e raréfaction du gibier). Le caractère rudimentaire de son langage fut vraisemblablement déterminant dans sa disparition : quand le milieu change, le besoin de communication s’accroit.

Vers – 150 000 ans : homos sapiens sapiens apparaît enfin en Afrique. On estime qu’il y a environ – 100 000 ans homo sapiens sapiens avait les moyens de parler un langage articulé de type moderne, ce qui lui permit de s’adapter aux rapides transformations climatiques de l’ère glaciaire. Règles durent exister, ne serait-ce que pour organiser la chasse.

– 80 000 premières inhumations dans des sépultures. Dépôts d’offrandes. Rien n’empêche d’imaginer que la pensée métaphysique est bien antérieure à cela. En tout cas, quand s’amorce la mutation néolithique, l’homme est déjà religieux depuis longtemps (et également artiste : les premières images du corps, surtout sexuelles et féminines, apparaissent il y a 35 000 ans).

Simple rappel de données connues. Mais de l’outil à la métaphysique, le droit est  le grand oublié dans le processus d’hominisation. Or lui aussi paraît avoir contribué à la naissance de l’homme.

Quels indices ?

 

B- Un faisceau d’indices convergents

1) La formation des premiers systèmes de parentés

Lorsque, vers -3000 av. J.C, commence pour nous l’histoire (avec l’écriture), la famille existe et ses formes ont déjà atteint un degré d’organisation et de complexité qu’elles n’ont pas dépassé depuis. Deux nouvelles catégories de documents permettent de le dire :

– l’apparition de sépultures collectives (les plus anciennes datant du 5ème millénaire avant notre ère) où la disposition des morts et les caractéristiques physiques de leurs ossements témoignent de regroupements par familles.

Les données fournies par la linguistique : mise en évidence d’une langue originelle, datant du cinquième ou du quatrième millénaire. Plusieurs caractères : sexe masculin privilégié par rapport au sexe féminin (une femme dispose de bcp de termes pour désigner les membres de sa belle famille, alors que le vocabulaire de l’h concernant les parentes de sa femme est beaucoup plus réduit) : dépeint vraisemblablement une société patriarcale, structurée en clans patrilinéaires, avec mariage virilocal.

Or tout ceci ne va pas de soi : c’est l’homme qui a inventé les rapports de parenté, d’essence juridique : ceux ci permettent de confirmer la base naturelle de la famille ou de s’en écarter. Complexité des modèles primitifs telle qu’elle oblige les anthropologues à recourir à des modèles mathématiques pour les figurer. Témoigne de leur ancienneté : formation de ces règles sans doute très antérieure à la date à laquelle nous repérons leur existence : cette lente et très précoce organisation de la famille autour des rapports de parenté fut le berceau. S’imposant sans nécessité naturelle du préférence à d’autres systèmes possibles, correspondait à des valeurs culturelles et visait à la cohérence et à la perpétuation du groupe, sans doute sanctionnée par des moyens que nous ignorons. C’est donc bien au paléolithique qu’il faut chercher l’origine des rapports de parenté  que nous constatons au seuil de l’histoire.

La question de la prohibition  de l’inceste : la plupart des systèmes juridiques prohibent les unions entre parents considérés comme trop proches, même si la définition du degré de proximité varie beaucoup. Raisons génétiques ne l’expliquent pas. En outre, l’explication biologique n’apparaît qu’au XVIè siècle.

– 1ère hypothèse est d’ordre purement social : pour C. Levi Strauss, la prohibition de l’inceste est la condition de toute vie en société : sans échange, chaque groupe vivrait replié sur lui-même, condamné à terme à l’implosion.

– Autres explications, à caractère plus biologique : seule de toutes les primates, la femme n’a pas ses chaleurs et reste sexuellement attractive de façon quasi permanente : antagonismes nés de la compétition sexuelle auraient pu conduire à la dislocation des premières sociétés humaines si la régulation née de la prohibition de l’inceste n’avait été instituée. Grâce à elle, il y a désormais deux groupes de femmes : celles qu’on peut épouser et celles auxquelles on devait renoncer, et qui devenaient donc susceptibles d’échanges.

– nécessités démographiques : au sein d’un petit groupe, les fluctuations aléatoires de la répartition des sexes peuvent être très importantes. D’où la nécessité de les équilibrer par l’échange.

2) Le contrôle de la fécondité

Les préhistoriens situent entre deux et un million et demi d’années avant notre époque la date à laquelle les hominiens ont trouvé les moyens propres à se défendre efficacement contre les animaux : date qui correspond à l’apparition de l’homo habilis, 1ère espèce véritablement humaine : omnivore bipède d’environ 1,4m. Inventeur de l’outil. Parvient  à se protéger des fauves. Mais doit alors affronter les défis nés de l’augmentation sans contrôle de la population : selon des calculs, une population de 35 individus, avec une augmentation de 0,5% par an atteindrait en 5000 ans une population de 1 600 milliards. Or guerre semble absente  du paléolithique : n’a pu jouer un rôle de régulateur. On en est don réduit à supposer que fut instituée une régulation de a fécondité. On ignore par quels moyens : encore une pote du royaume du droit ouverte au début de l’espèce humaine.

 

3) La domestication du feu

– 500 000 : date approximative de la maîtrise du feu. A induit une spécialisation croissante des espaces (sites d’abattage, de dépeçage, de fabrication des outils, distincts du lieu du séjour) : la multiplication et la spécialisation des activés conduisent nécessairement à leur réglementation. Implique en effet que certaines activités sont licites en certains lieux et non en d’autres. Peut accoutumer à l’idée que certains groupes plutôt que d’autres ont le droit d’utiliser tel ou tel espace.

 

4) La division sexuelle du travail

Trouve probablement son origine historique dans les modalités différentes de recherche de la nourriture. Ds l’espèce humaine, les besoins alimentaires diffèrent selon les sexes : femme prend en charge le développement du fétus, ce qui représente une grosse dépense énergétique : doit absorber des protides et du phosphore. L’h chasse donc pour elle et lui rapporte de la viande, ainsi que la moelle des os (femme enceinte ne peut poursuivre seule du gros gibier…). A l’inverse, l’homme a besoin de graisses rt d’hydrates de carbone pour la traque du gibier. La f y pourvoit en cherchant des tubercules riches en amidon et en cultivant le jardin.

Les perfectionnements de la chasse durent accentuer la division du travail : chasse devient activité technique, ne permettant plus qu’y soient emmenés de très jeunes enfants : sont alors confiés à la femme qui garde aussi le foyer.

 

C-  La dynamique néolithique

Transition néolithique révolutionnaire dans ses résultats mais s’étala sur plusieurs milliers d’années. Chronologie d’ailleurs différentes selon les aires considérées :

–       1ers villages sédentaires : Syrie et Palestine : chasseurs-cueilleurs

–       2000 ans plus tard : apparition de l’agriculture (blé et orge) et de l’élevage.

–       2000 ans + tard : apparition de l’industrie avec la cuisson des poteries

–       NB : En Amérique, la même séquence se produit un peu plus tard, et avec maïs et tomate. Idem en Chine avec le riz et en Afrique avec le mil

–       Sur le territoire de la France actuelle, la transition néolithique s’effectue de – 6300 à – 3700.

Ces importantes modifications des modes de production vont de pair avec les évolutions de la culture intellectuelle : on ne pense plus de la même façon que les anciens chasseurs-cueilleurs. Accroissement de l’écart créé entre l’homme et la nature.

En réalité, le véritable changement concerne l’accroissement des capacités de stockage, lui même conséquence de l’augmentation de la production agricole : la possibilité de stockage favorise la constitution de surplus et leur contrôle par certains groupes sociaux. Ce type d’économie  peut se réaliser quand existe un rythme saisonnier marqué, permettant un écart entre le moment de la production et celui de la consommation (céréales). En revanche, on ne  rencontre pas ce type de pbtique dans les sociétés plus égalitaires, dont l’agriculture, beaucoup moins saisonnière, est fondée sur la production de tubercules (zone équatoriale, région forestière de l’Afrique centrale, forêt amazonienne, nouvelle Guinée et Mélanésie.

Inégalité sociale semble donc clairement liée aux capacités de stockage. Néanmoins, l’agriculture développa, plus encore que le simple stockage, le montage de la machinerie complexe reposant sur la spécialisation du pouvoir politique et la division sociale qui nous régit aujourd’hui plus que jamais.

Ces mutations eurent une influence non moins importante sur les croyances : le passage d’un travail à effet instantané (chasse, pêche, cueillette) à un travail à effet retardé de plusieurs mois (agriculture) entraina l’invention de certains mythes pour répondre à ces besoins d’explication (par exemple mythe de la terre Mère) : méditations théogoniques.

De même, à partir du VIIè millénaire, les doubles inhumations se multiplient : la première sépulture est le lieu de décomposition du cadavre ; quand celui-ci est réduit à l’état de squelette, on le transporte ailleurs : le mort est devenu un ancêtre avec lequel on doit avoir des relations. Alors que pour l’essentiel notre société ignore les morts, si ce n’est dans les manifestations de volonté qu’ils ont exprimées de leur vivant, dans les sociétés traditionnelles, le commerce avec les morts fait partie du droit vivant : les ancêtres ossifient les lignages et jalonnent les réseaux de parentés ; ils cautionnent l’ordre sociale et collaborent à sa reproduction, au besoin en intervenant dans le monde des vivants (cas du mort non vengé).

Sacrifices participent également d’un système du don et du contre don. Ainsi, selon Malinowski, la notion de réciprocité est l’essence même du phénomène juridique : la force qui lie groupes et individus, t permet la vie sociale résulte de rapports d’obligations réciproques : le droit serait ainsi davantage fondé sur l’échange que sur la sanction.

Au total, distanciation croissante par rapport à la nature

 

§II- Le droit dans l’Histoire

 

Avec la sédentarisation induite par l’agriculture, le lien entre l’homme et la terre s’intensifie, entrainant à la fois les premiers droits de propriété et les premiers conflits de voisinage (cf. Rousseau). Plus tard, les juristes en viendront à faire du territoire l’un des attributs de l’État. L’accent mise sur cette notion fera d’ailleurs le malheur de bien des sociétés traditionnelles nomades soumises à la colonisation : réputé bien sans maître parce qu’exploité différemment des sédentaires, le sol et ses richesses seront accaparés par les colonisateurs.

Transformations familiales : modes de filiation bilatérale et indifférenciée reproduisent d’assez près les données naturelles. Tendent à être supplantés par les modes unilinéaires : patrilinéaires ou, dans une moindre mesure matrilinéaires : on s’écarte là de la nature pour faire face aux conséquences sociales de l’accroissement démographiques : en rejetant hors de la parenté la moitié des individus auxquels chacun est lié par le sang, on prévient l’effet dissolvant que pourrait avoir sur l’identité du groupe sa trop grande expansion démographique. Or la vitalité du clan est essentielle dans une économie agricole sédentaire : la société restant communautaire, c’est le clan qui, à travers ses représentants, fixe et contrôle  la détermination et l’usage des droits fonciers.

NB : le statut de la femme  semble lié à son degré de participation directe au processus de production des richesses : forte dans les sociétés horticoles, plus faible avec l’intensification de l’agriculture et l’utilisation de la charrue.

Même transformée, la famille n’est plus la seule organisatrice des rapports sociaux : spécialisation se dessine entre les différents groupes. En ce sens, les rites d’initiation des jeunes, attestés dès le paléolithique supérieur, semblent se multiplier au néolithique.

La division sociale accroit également la potentialité des conflits. Chez les chasseurs cueilleurs nomades, conflits peu destructeurs car souvent réglés par la fission et l’évitement. De tels recours à l’éloignement ne sont guère possibles avec des agriculteurs sédentaires. Pour les prévenir, il fallu innover : c’est sans doute dans le laboratoire néolithique que furent mises au point les techniques de ritualisation des combats telles que les duels des héros, les sacrifices d’animaux, les compétitions diverses ; la réglementation partout attestée de la vengeance.

Spécialisation croissante du pouvoir politique liée à la complexification et à la hiérarchie sociale. La multiplication des groupes fondés sur d’autres critères que la parenté n’offre guère de choix qu’entre deux possibilités :

–       l’éclatement de la dispersion par dispersion ou implosion ;

–       le plus souvent son affermissement autour d’un organe investi, à des degrés variables, du pouvoir politique. C’est l’aube des cités états et des empires qui sortent de la préhistoire et se dotent de l’écriture : diminution des relations de face à face, accroissement des distances entre les hommes habitant un même territoire soumis à une même autorité. Il leur faut inventer une nouvelle forme de communication, mémoriser des évèneents dont ils ne sont plus les témoins directs ; les dirigeants doivent se faire obéir  distance : l’écrit répondra à tous ces besoins. Quant aux r ègles de droit, elles deviennent si nombreuses et impératives que nait le besoin de les fixer : on commence à composer compilations et codifications. Les premières cités état voient ainsi apparaître un nouveau venu : l’individu, jusqu’ici dissimulé à l’ombre des groupes. Car l’urbanisation relâche les liens  familiaux

Irruption de l’écriture représente donc un phénomène fondamental. Il n’en demeure pas moins que els archives dont nous disposons ne couvrent guère plus de 3000, environ 0,15% de la durée de l’aventure humaine. Pourtant, en ces quelques instants, nous assistons à une floraison d’ensembles juridiques nous lisons autour du thème du droit des partitions écrites à un nombre de voix dont n’auraient jamais rêvés les plus savants contrapuntistes : nous avons ainsi conservé les traces d’environ 10 000 systèmes de droit.

Malgré cette exubérance apparente, 3 continents juridiques émergent de l’océan des cosmogonies et des pratiques sociales : les traditions occidentales, orientale et africaine : l’idée que l’homme se fait du droit dépend du sens qu’il donne au monde.

 

Section II : dans l’espace : Les principaux caractères des grandes

traditions juridiques

 

 

            §I- Les traditions juridiques occidentales

 

Religions du livre sont monothéistes : créateur unique et éternel. L’histoire = celle de la création et de ses rapports avec son créateur, révélé par étapes. L’histoire est vue comme orientée, évolutive, transcendée par la venue du Messie, tendue dans son attente (juifs) ou inaugurée par le message du Prophète.

Cette orientation de l’histoire vient de l’extérieur, d’une volonté divine qui pénètre le monde mais lui est radicalement distincte : normes imposées de l’extérieur par la puissance créatrice, l’homme sera jugé par ce qu’il aura fait. Prééminence des normes sur les pratiques. Droit impératif, imposé, sanctionné ; inéluctabilité du jugement : ce sont ces caractères qui commencent à vaciller aujourd’hui dans les pays occidentaux.

Cependant, à partir de ce socle commun, les traditions monothéistes divergent :

–       tradition hébraïque : loi donnée par Dieu est immuable : Dieu seul peut la modifier. Son adaptation aux besoins nouveaux ne peut se faire que par l’interprétation des docteurs et des prophètes, gardiens de la morale et censeurs de la vie politique.

–       Dans l’univers islamique, la loi se confond aussi avec la volonté de Dieu révélée aux hommes dans le Coran, manifestée par l’exemple du Prophète et de ses compagnons (Sounna) ou l’accord unanime des docteurs (Idjma). La loi est donc sacrée et s’impose même au pouvoir politique.

–       Droit occidental s’est lui aussi pendant longtemps appuyé sur la loi divine. L’ancien droit romain est essentiellement religieux et les premiers juristes sont des prêtres. Ensuite, lente évolution. Plusieurs étapes :

  • XIIIè siècle : la raison fait son apparition comme fondement du droit. A partir de la Renaissance, droit subit toujours plus l’attraction de la raison et s’éloigne de la source divine. Théoriciens du contrat social préparent et consacrent l’élimination de Dieu avant que, plus tard, d’autres philosophes proclament sa mort. D’autres auteurs éliminent également Dieu mais en écartant le mythe du contrat et en lui substituant celui de la conscience individuelle de l’utile (Bentham, Jhering). Code civil de 1804 est a-religieux : ne prend pas parti sur les questions religieuses : el droit est de ce monde.
  • En réalité, l’État tente de transfère à son profit les attributs divins. Parfois nommé providence, il s’approprie le modèle du Dieu créateur unique et tout puissant, gouvernant le mode par ses décrets, un monde qu’il estime avoir le mandat de transformer en utilisant la Loi dont la révolution a fondé le culte. Dès lors s’amorce le processus d’inflation des normes juridiques sous lequel nous paraissons aujourd’hui sur le point de succomber.
  • Corollaire : la neutralité du droit. Tout devient juridicisable. Cf. les lois antijuives. Une fois promulguées, de nombreux auteurs se sont attachés à les commenter d’un point de vue purement technique. Ainsi, dans le stables du Recueil Dalloz, une rubrique « juifs » s’intercale entre « jugement sur requête » et « jument de course ». Cf. aussi la définition des esclaves par la cour de Cass en 1824 : « L’esclave est une propriété dont on dispose à son gré. Cette propriété est mobilière toutes les fois que l’esclave n’est pas attaché à la culture, mais dans ce dernier cas, il devient immeuble par destination. » Parfois, la toute puissance du droit est telle que la peine s’éloigne du délit ou même s’en décroche. Sous l’ER, l’avidité de certains empereurs fait surabonder les crimes pubis de confiscations. En Russie soviétique, le Gosplan fournit aux commissaires militaires l’état numérique des hommes à emprisonner afin de trouver la main d’œuvre à bon marché nécessaire : le schéma classique est retourné : c’est la peine qui fait naître le crime, et non l’inverse. .
  • On peut en fait se demander si les pathologies du droit ne sont pas une maladie de la complexification sociale et politique : le pouvoir politique peut être tenté d’accaparer la production du droit, avec les conséquences que nous connaissons. Il y faut certaines conditions, sociologiques : l’affaiblissement des corps intermédiaires, culturelles : à cet égard, le monothéisme engendre des représentations, des attitudes favorables à un accaparement du droit, dès lors que celui-ci s’est séparé de la religion comme cela s’est accompli dans les pays occidentaux : car les esprits sont habitués à l’idée d’un droit impératif : objectivisation de la loi.

 

            §II- L’Afrique et la pluralité des droits

 

Afrique noire dominée par des sociétés traditionnelles.

Que faut-il entendre par cette expression ?

–       critère n’est pas chronologique : la Rome d’Auguste, urbanisée et étatique était plus moderne que la société féodale.

–       Critère géographique pas déterminant non plus : l’Afrique et l’Amérique précolombienne eurent leurs empires.

–       C’est plutôt le degré de complexification qui est le critère le plus pertinent. N’a d’ailleurs rien à voir avec le degré d’évolution (notion plus subjective) : une société moins complexe n’est pas plus simple qu’une société à forte stratification sociale. Plusieurs niveaux de complexification :

  • Économique : sociétés traditionnelles s’inspirent d’un idéal d’autarcie ;
  • Sociologique : division sociale moins poussées
  • Politique ; pouvoir offre une organisation moins différenciée : leaders dont les pouvoirs sont limités, non héréditaires et davantage fondés su le prestige et la persuasion que sur la coercition. N’y revêt pas de forme étatique.
  • Culturel : les sociétés traditionnelles voient le changement différemment des nôtres. Leur idéal consiste à reproduire en l’adaptant le modèle originel qui a présidé à la fondation de la société, légitimé et transmis par les ancêtres. D’où l’importance de la coutume

Quelle vision ont les sociétés d’Afrique noire du droit ? Vision qui dépend largement de leurs croyances religieuses : l’invisible doit expliquer le visible. Avant la création était le chaos, qui ne se confondait pas avec le néant. Dieu primordial créateur. Ne se soucie guère des hommes. De lui se différencient progressivement d’autres divinités qui sont moins des entités indépendantes que des couples complémentaires. Les puissances supérieures tirent le monde du chaos. Chaque homme porte en lui les principes qui animent les dieux et le monde : l’ordre et le désordre, le bien et le mal, le juste et l’injuste. Rien n’est donné à l’avance : tout est possible, y compris l’effondrement de cet univers fragile, où les fores contraires interagissent sans cesse. Homme est donc en péril. Par ailleurs, l’individu n’est pas un horizon indépassable. Les éléments qui le composent s’associeront après sa mort  autrement, et il est déjà un autre être en puissance.

La création par différenciation entraine la reconnaissance officielle de la pluralité du droit. Dans les religions Abrahamiques, Dieu tire du néant tous les éléments de la création et les soumet à la Loi. Dans les cosmogonies africaines, différenciation continue et cohérence de la création vont de pair : les différences rendent solidaires, la division sociale est conçue en termes de complémentarité.

Idem pour le pouvoir politique : séparations primitives des pouvoirs (sont apparus peu à peu le maître de la terre, ceux de la pluie, des récoltes, et le chef politique) : nul ne peut exercer sn pouvoir sans l’appui des autres. Cela ne veut pas dire que les conflits sont absents, mais ils sont amoindris, amortis par ce système de représentations qui pose autrement le pb de la justice : celle-ci se situe moins au niveau des individus que des équilibres globaux, toujours fragiles, où tout est fait pour que l’ordre se maintienne.

D’où aussi un moindre poids des normes, entendues comme règles générales et abstraites : au jugement, les Africains préfèrent souvent la conciliation : croyance en un dieu primordial qui ne soucie guère d’imposer sa volonté aux hommes.

Sur le plan juridique, le concept de différenciation explique la méfiance ressentie par ces sociétés à l’égard des législations uniformisantes : la diversité des statuts est donc la règle : varie presque à l’infini. Le doit officiel, celui des codifications, concerne les groupes dirigeants, la majorité de la population vivant sous d’autres droits, tantôt coutumiers, tantôt récents, tantôt ignorés, tantôt reconnus par le droit officiel.

Enfin, les conceptions de la durée, associées à celle de la vie et de la mort : durée plus vaste, amortissement de l’effet de coupure de la mort. L’individu, tel que le conçoit l’occidental, n’existe pas : la personne repose sur des rapports dépassant son unité abstraite : une personne, cela peut être sa famille, ses amis, ou même certains lieux : l’homme africain porte en lui ses ancêtres et il est déjà sa descendance : d’où l’importance des lignages : forment une sorte d’immortalité collective. L’appartenance lignagère est l’un des piliers du droit africain : structure le rapport de l’homme à la terre, à ses troupeaux, ainsi que les diverses modalités d’alliances matrimoniales. C’est pourquoi, les législations occidentales, en introduisant la filiation indifférenciée ont souvent contribué à l’éclatement de ces sociétés traditionnelles.

 

            §III- La tradition chinoise et l’effacement du droit

 

Chine et Japon partagent une attitude stupéfiante pour un européen : ne font pas confiance au droit pour assurer l’ordre social et la justice, même s’ils ont adopté des législations calquées sur les modèles occidentaux. Malgré une apparente diversité, une certaine unité philosophique caractérise les civilisations asiatiques : bouddhisme et confucianisme.

Pour les chinois, le monde est infini dans le temps, sans être pourtant stationnaire : il se fait et se défait sans cesse au cours de périodes cosmiques trop vastes pour être saisies par l’entendement humain. Le monde et l’homme sont seuls à pouvoir se gouverner : pas de dieu : le monde et l’homme doivent se gouverner eux mêmes en respectant l’harmonie primordiale de l’univers : cette harmonie doit régir les rapports entre les hommes et la nature : pour régler les évènements de la vie publique et privée, il faut se rapporter au cycle des saisons, à la position des astres. Les hommes doivent avant tout chercher le consensus, éviter autant que possible l’idée de sanction, dont la tradition occidentale fait (à tort), le critère exclusif du droit. Enfin, le monde trouve sa cohérence dans la conjonction des contraires.

Dans cet univers de pensée, le droit n’est pas exclu, ais il constitue un mode extrêmement rudimentaire de régulation sociale. Il est, en fait, bon pour les barbares. Ce qui explique le peu d’estime dont jouissent les juristes. Il y a 10 ans, il y avait en Chine moins de 5000 avocats pour plus d’un milliard d’habitants (pour 723 000 avocats aux EU). Au droit et au jugement, on préfère le compromis et la conciliation : il faut dissoudre, plus que résoudre les contestations, ce que risquent d’empêcher les juristes. Les contrats, de même, se situent à l’opposé de la pensée américaine : rédigés en termes évasifs, ils ont pour but d’affirmer la volonté d’entente des parties, non d’énumérer les causes de litiges à venir.

Il convient de ne pas sous-estimer l’importance de l’éducation et des rites : éducation habitue chacun à se demander si les conflits dans lesquels il est engagé n’ont pas pour origine sa propre faute. De plus, suivant Confucius, chacun doit vivre selon des rites correspondant à son statut. L’apprentissage du compromis et de la conciliation est donc tout aussi exigeant que celui des normes juridiques. Exemple : le système des ringi dans les entreprises japonaises : chaque responsable appose sa marque (ringi) sur les rapports, mais ces marques ne sont pas disposées de façon hiérarchique mais en rond : impossible de savoir qui a tranché, et donc de contester. Au Japon, le nombre des procès reste stable (350 000 affaires par an pour 120 millions d’habitants : c’est très peu). Procédures non contentieuses de conciliation sont aussi nombreuses (250 000/an pour les seules services spécialisés des CL). La famille continue de former un mode imperméable au droit. L’usage s’oppose à la conclusion de contrats de mariage et à la rédaction de testaments. On persiste parfois à ne pas déclarer les mariages. L’individualisme n’est toujours pas de mise, comme le prouve la conception des libertés fondamentales : les Japonais les perçoivent moins comme des possibilités reconnues à l’individu qu’aux membres de groupes catégoriels (consommateurs, usagers, malades, habitants) qui apparaissent comme des répliques modernes des anciens groupes statutaires.

 

Chapitre II Une relation dialectique : le droit et la

violence

 

 

Introduction : Position du problème

 

Une donnée structurelle : la gestion des conflits

Ethologie nous apprend que l’animal attaque son rival s’il le trouve dans son territoire. Dans des conditions normales, aucun animal n’empiète volontairement sur la zone d’un autre : moyen de prévenir les conflits.

Rège sociale, notamment règle sociale archaïque compte sur l’obtempération spontanée. Soumission réalisée aussi parce que l’individu craint de s’exposer à la sanction. Mais capacité qu’à l’homme de se soustraire à l’obéissance à la règle. Conflit nait aussi de la concurrence sur le même bien. D’où la nécessité de mettre en place des opérateurs sociaux destinés à trancher la compétition entre concurrents, voire à prévenir l’explosion du conflit.

Une distinction fondamentale à opérer : les atteintes ont-elles lieu à l’intérieur d’un groupe ou opposent-elles deux ou plusieurs groupes entre eux :

–       à l’intérieur d’un groupe, prime l’exigence que la communauté soit et demeure compacte et donc la communauté encourage la conciliation, quitte à imposer des sanctions non destructives, à caractère social ou psychologique tel que le blâme, la dérision, le reniement de parenté. Des formes de conciliation consistent dans l’acceptation de la médiation d’une personne influente ou d’un arbitrage. L’arbitrage est le premier pas vers le jugement imposé par une autorité. Plus la communauté grandit et se structure, plus prennent pied des autorités capables de faire jouer leur poids au moment du conflit.

–       A l’extérieur du groupe, l’atteinte grave, commise au détriment d’un sujet appartenant à une communauté étrangère donne lieu à la vengeance : pivot du mécanisme pénal dans les sociétés acéphales. N’est pas l’œuvre d’une personne seule mais est toujours confiée au groupe, et, de façon réciproque, s’exerce à l’égard d’un groupe, considéré comme responsable. La vengeance est toujours ritualisée : le droit indique avec précision ceux qui peuvent prendre part à l’activité vindicative et les modalités de cette activité. Généralement, la vengeance s’inspire du talion, avec l’idée d’équivalent et de parité. Donne force également à la pratique de l’échange. Ainsi, dans certaines cultures, le groupe responsable d’un homicide peut se libérer en femme à un membre de la communauté offensée qui la rendra enceinte. L’enfant sera entretenu par le groupe offenseur, puis, dès qu’il aura l’âge approprié pour porter les armes, rejoindre la communauté de son père. Dans d’autres cas de figures, l’auteur de l’homicide est remis au groupe offensé où il va, en quelque sorte, remplacer le mort.

NB : le système de rétorsion comporte une lacune lorsque le responsable et la victime appartiennent au même groupe : vengeance pratiquée à l’intérieur du groupe risquerait de le dissoudre.

Un élément conjoncturel : le rôle de l’Etat

« Nul ne peut être son propre juge », « Force n’est pas droit », « Voies de fait sont défendues », « personne ne peut pendre son voleur », etc. Égrenées depuis l’Antiquité, ces formules interdisent aux victimes de se faire justice elles-mêmes. La plupart des sociétés étatiques condamnent ce qui est, ailleurs, un devoir sacré. La dépossession des victimes est opérée au nom de l’intérêt public qui impose un règlement des conflits pacifique et médiatisé :

–       au civil : DI ou remise en état

–       au pénal : amendes ou incarcération = tribut payé à la société

Le sens commun et les juristes opposent à ces méthodes modernes les époques heureusement révolues : triomphe de la civilisation sur la barbarie : le droit de la vengeance est éteint : un système de peines légales le remplace, de telle sorte que la critique actuelle de l’Etat devrait au moins lui reconnaitre un mérite non négligeable.

La fonction pacificatrice de l’Etat moderne apparaîtrait encore plus nettement si on le comparait avec la violence et la passion guerrière dont font preuve bien des sociétés traditionnelles dépourvues de forme étatique. La guerre externe serait en outre le reflet de l’harmonie interne : l’identification de l’autre à l’ennemi renforce la cohésion de la société. On trouve sans peine dans la littérature ethnographique des confirmations des ardeurs guerrières des « primitifs » : ainsi les Danakils d’Ethiopie tenaient en haute considération le meurtre de leurs ennemis, préalablement castrés : certains ornements de leurs vêtements en exhibaient la comptabilité. Chez les Moussey (Cameroun-Tchad), la tombe prenait la forme d’un tumulus entouré de troncs d’arbres représentant le nombre d’hommes et d’animaux tués par le défunt. Le meurtre pouvait même être une condition du mariage chez les Ossètes (Caucase) : le beau père posait toujours à son futur gendre la question rituelle : « Qui as-tu tué pour prétendre à la main de ma fille ? »

L’extrême diversité linguistique confirme la force des sentiments identitaires inspirant les attitudes violentes. Ainsi en Alaska, esquimaux répartis en plus de 20 groupes incapables de se comprendre d’une ethnie à l’autre. Malheur au vaincu : est monté (sodomisation symbolique), on lui urine sur la tête, yeux arrachés, paupières cousues, langue liée, intestins coupés, tête coupée, cœur e foie jetés aux chiens ou mangés ; femmes récalcitrantes ou trop vieilles empalées par le vagin, etc.

A l’inverse, si l’État empêche la guerre, la guerre empêcherait l’État, en permettant à la communauté de rester soudée autour de ses valeurs et de prévenir le processus fatal de division social qui conduit à l’État (avec la spécialisation de pouvoir politique en particulier).

Qu’en est-il vraiment ? Recherches récentes montrent la guerre comme un phénomène général, commun à toutes les sociétés, étatiques ou non. On estime à plus de 3 milliards et de demi les pertes humaines dues aux différents conflits depuis le début de l’humanité (pour une population totale comprise entre 60 et 100 milliards). Mais la construction de l’État ne semble pas avoir freiné les hécatombes : dans la seule Europe, le volume des individus affectés par la guerre passe de 0,2% au XIIè siècle à 8,12% dans la première moitié du XXè siècle, WWII non comprise.

La guerre n’est pas non plus un invariant de l’État : dans certains cas, celui-ci apparaît hors de tout contexte guerrier (cité romaine antique, Mexique précolombien), dans d’autres cas, elle est un facteur déterminant de sa croissance (guerre de 100 ans). L’État n’est donc pas guerrier par essence. Est-il sur la plan interne un pacificateur tutélaire : empêche-t-il la violence et la vengeance ?

Antiquité : Légitimation de la vengeance par Aristote qui limite également le champ de l’ordre public. Selon lui « on peut accomplir deux sortes d’actes injustes et d’actes justes, soit contre un membre unique et déterminé de la communauté, soit contre la communauté ; par exemple celui qui commet un adultère ou donne des coups commet un délit envers un membre déterminé ; celui qui refuse de faire campagne (militaire) commet un délit envers la communauté. »[4] Le droit positif de l’Antiquité s’accorde à ces options philosophiques :

–       Athènes : l’action pour meurtre et pour blessures = actions privées. Les crimes publics = l’insoumission militaire et les actes sacrilèges.

–       Rome : jusqu’à la fin de la République, le droit pénal ignore le viol et le rapt. Le cas de l’adultère et encore plus frappant. Jusqu’en 1975, en droit français en faisait une infraction pénale. A Rome, durant toute la période républicaine, le droit pénal reste silencieux : la vengeance règne, et sous des formes qui n’ont rien de bénin : flagellation, castration, énucléation, et même sodomisation réservés à l’amant coupable. Aucune médiation judiciaire n’est envisagée. Seul un pacte peut arrêter la vengeance : compensation pécuniaire. Mais l’homme d’honneur se doit de la refuser. Plus étonnant encore, les crimes de sang, en plein régime de la cité État, sont encore réglés par la vengeance.

Il n’est donc pas question d’invoquer ici une quelconque « primitivité » pour expliquer la persistance de la vengeance dans des sociétés qui nt brillamment accédé au régime de la cité : la vengeance peut donc fort bien coexister avec des formes modernes de vie politique et sociale. C’est au début de l’Empire que l’État investit le champ du règlement des conflits : tout est là, dans l’invasion de la sphère privée par l’État, qui longtemps se tint en lisière. L’évolution des représentations l’atteste : l’État confisque à son profit le pouvoir parental, la puissance paternelle : l’empereur se fait nommer pater patriae, des procédures nouvelles acclimatent l’idée qu’il est source de toute justice : la engeance disparaît.

La vengeance n’est donc pas incompatible avec la modernité. Son extinction est moins liée aux progrès de la civilisation qu’à l’extension de la sphère étatique sur a vie privée. NB : la suppression de la vengeance comme institution n’est pas synonyme de suppression de la violence : cf. les EU : le pays des lawyers est aussi celui d’une grande violence.

Au total, ce que l’État moderne a éradiqué, ce n’est ni la violence, ni la vengeance mais le système vindicatoire, qui avait au moins l’avantage de les canaliser en les enserrant dans une stricte régulation d’ordre juridique.

 

Section I. Le système vindicatoire

 

Système vindicatoire : l’expression semble pédante, mais elle permet de distinguer la vengeance dans les sociétés traditionnelles des caricatures modernes. Sénèque y voyait déjà un sentiment démesuré, quasi animal. Plus près de nous, R. Girard reprend le lieu commun de la vengeance sanglante, enchainant les générations les unes aux autres dans les sociétés dépourvues de système judiciaire digne de ce nom.

Exemple presque caricatural de la Corse, terre d’élection de la vengeance. Or, dans les présentations qui en sont faites, on oublie souvent de mentionner qu’un dénouement pacifique n’était autrefois (avant le 18ème siècle) nullement exclu, grâce à l’intervention du paceru : médiateur bénévole, personnage puissant choisi par les parties, qui s’interpose et propose des solutions pacifiques que les adversaires sont tenus d’appliquer lorsque les négociations ont abouti. Solutions variées : bannissement, mariages, compensations matérielles, etc. La sentence du paceru est consignée dans un traité de paix. Si l’une des parties viole ses clauses, le paceru entre en vendetta avec toute la famille contre le rumpitore di pace. Auparavant, on peut brûler la maison du contrevenant. Mais l’action de l’État va modifier ces mécanismes traditionnels : depuis le 18ème siècle, s’efforce de mettre fin à la vendetta au nom de l’ordre public, mais au prix de certains dérapages de la vendetta. Ainsi le banditisme d’honneur tourne-t-il au brigandage. Les règles traditionnelles limitant l’exercice de la violence tendant à s’effacer, la vendetta prend un caractère sauvage, primitif, qui est en réalité récent.

L’image que nous nous faisons de la vengeance dans les sociétés traditionnelles est en réalité le produit d’une manipulation destinée à valoriser la contrainte étatique, présentée comme un progrès par rapport aux archaïsmes des sociétés dépourvues d’État = tableau des origines qui ne serait en réalité qu’une vision moderne, postérieure à l’instauration de l’État, quand celui-ci s’arroge le monopole de la contrainte et de la sanction (M. Weber).

 

En réalité, dans les sociétés traditionnelles, le droit enserre la vengeance comme un corset : prescription de procédures et de rituels (§I) qui s’enracinent dans les structures socio-culturelles des groupes concernés (§II).

 

            §I- La minutie des procédures mises en œuvre

 

Toutes les sociétés qui ont recours à la vengeance la pratiquent en observant une régulation qui possède les attributs du droit. Quelques exemples :

1)   La Corse traditionnelle : L’entrée en vendetta inaugure une série de rites : la nourriture devient plus frugale, on supprime le vin, la nappe, les serviettes, la viande se fait rare. En cas de meurtre, la chemise sanglante du défunt est exposée dans la salle commune, pour maintenir à vif le désir de laver l’offense. Au cours de la veillée funèbre, des proches parents du mort entonnent des exhortations à la vengeance en dansant autour du mort tandis que les hommes frappent le sol avec la crosse de leur fusil. Mais cette vengeance est sélective : seuls peuvent y être soumis les parents mâles de l’offenseur, jusqu’au 3ème degré inclus. Y échappent femmes, enfants, vieillards, parents par alliance et prêtres réguliers, ainsi que ceux qui désirent rester neutres : intention qu’ils signifient en laissant pousser leur barbe et leurs cheveux et en s’abstenant du port de tout arme. La vengeance ne peut débuter qu’une fois certains actes d’avertissement accomplis : les serments de vengeance et la déclaration de garde (garde toi si le soleil te touche : mon plomb t’atteindra). Après quoi, on peut commencer les embuscades. Le temps de la vengeance constitue en effet une mise entre parenthèses des comportements ordinaires : les hommes ne se rasent plus, les femmes s’interdisent tout rire, on ferme portes et fenêtres, on couvre les miroirs. Les justiciers se font souvent banditu (bannis) : ils prennent le maquis, habitant hors de l’espace ordinaire du village. La vengeance s’étend enfin au mode invisible, car le meurtre réalise une amputation intolérable du capital « d’ancestralité » : en effet l’âme d’un assassiné est maudite, elle ne trouve pas le repos : âme en peine attachée à l’endroit où la victime du meurtre est tombée. Le revenant vient hanter les lieux et réclamer son dû. Ces défunts menaçant s’opposent aux ancêtres, morts normalement ou correctement vengés, qui jouent un rôle bénéfique envers les vivants.

2)   Les Bédouins de Jordanie. Veulent aussi le repos de leurs morts. L’âme du disparu, en se séparant du corps à la suite d’une mort violente, se transforme en chouette qui réclame sans cesse à boire le sang de son ennemi. Ils manifestent aussi, jusqu’à l’obsession le souci de la parité. Il s’agit non de détruire un ordre social et moral mais de le restaurer. Une réglementation juridique minutieuse y veille.

  1. Le recours à le vengeance n’a lieu qu’en cas d’atteinte grave et volontaire à l’intégrité physique de la personne (meurtre, viol). Dans tous les autres cas, la composition est de règle.
  2. Quand la vengeance s’impose, elle doit se faire ds le cadre du respect du droit : si un esclave tue un homme libre, ce n’est pas lui qu’on tentera de tuer, mais son maître. Parfois, la qualité sociale de la victime rend cette exigence difficile à satisfaire : « le sang d’un émir n’a pas de prix ». Le quantitatif vient alors au secours du qualitatif : il faudra plusieurs hommes d’un rang moindre pour éteindre la dette de sang.
  3. Organisation des rapports de parentés : à défaut de pouvoir tuer le meurtrier lui même (fuite) on pourra frapper le chef de famille ou même un agnat adulte parmi les agnats jusqu’au 5ème degré. Mais tous les parents ne sont pas également menacés. Ils sont divisés suivant un ordre de vengeance qui doit être rigoureusement suivi : grand père du meurtrier ; père et oncles maternels : meurtrier lui même, ses frères et cousins germains ; ses enfants mâles et ceux de ses frères ; ses petits fils. (lire texte)

3)   Les Moundangs du Tchad. Associent moins que les sociétés méditerranéennes la notion de virilité à des valeurs telles que l’honneur et le mépris du danger. Tenter d’échapper à l’engrenage des représailles n’a rien de honteux. Chercher la conciliation n’est pas un signe de lâcheté, car ceux que la lance a séparés ne sont plus frères, ne peuvent plus hériter les uns des autres, plus se marier, ce qui est source de tourments dans cette société composée de clans exogames. Le sang versé libère les forces du mal. La terre où il a coulé devient mauvaise, les génies du lieu demandent réparation. En cas de meurtre, le clan de la victime dispose de deux jours pour tuer le coupable ou l’un de ses frères (terme générique : sert à désigner aussi bien l’oncle paternel que son propre germain). La solidarité entre frères est relativement faible. Celui qui veut éviter de payer pour son parent peut s’enfuir en quittant le village ou s’installer près de familles alliées, en particulier chez les parents maternels (« la parenté de la verge sépare, celle du vagin rassemble »). Au bout de 48h, si pas de vengeance, recours à la divination : les anciens vont consulter le devin, qui peut leur désigner un homme du clan du meurtrier comme objet de la vengeance. Il s’agit d’une mesure de prévention. On évite que, faute de victime, la vengeance ne dégénère en guerre générale. Là encore, au bout de 48h, si rien ne se passe, les anciens des deux clans doivent parvenir à la conciliation, car le sang versé a réchauffé la terre. Le sacrifice du « bœuf de la plaie » va la rafraichir. La famille du meurtrier apporte un bœuf au bord de la rivière, là où les épouses du roi vont tirer de l’eau. Un esclave royal fait avaler un poison à l’animal. L’animal est tué et son sang recueilli dans un pot. Les grands de chacun des 2 clans y trempent leurs mains. Les offenseurs doivent fournir des têtes de bétail aux offensés. Le bœuf sacrifié est ensuite dépecé et une partie de la viande cuite. On présente une boulette de cette viande à un enfant choisi parmi les neveux utérins de la victime. Son refus est signe que les génies n’acceptent pas la réparation : reprise de la vengeance. S’il accepte, l’un des parents du défunt reçoit les bœufs de la compensation et s’en sert pour payer la dot nécessaire au choix d’une épouse : le prix du sang équivaut donc au prix de la dot : à la place du défunt, une espérance de procréation. L’intervention royale, dans le rituel, est récente et modeste : le droit de la vengeance reste clanique : modèle conjuguant système vindicatoire, structure étatique et inexistence du droit pénal.

4)   Les Gamo d’Ethiopie réalisent un autre tour de force, en sens inverse. Tout leur appareil social vise à refouler la vengeance, faute grave envers les puissances surnaturelles et surtout menace mortelle pour l’unité de leur société politique. Pourtant, les Gamo ne connaissent pas l’État, ne sont pas dotés d’une organisation politique fortement différenciée, ni d’un appareil judiciaire spécialisé. Ils s’organisent, au contraire, en petites fédérations sous l’autorité d’assemblées auxquelles tout homme adulte peut participer activement : ce n’est pas l’État, mais l’idée de communauté territoriale qui fonde l’unité politique des Gamo. Ce lien territorial prévaut sur les rapports de parenté, ce qui contribue à expliquer le discrédit attaché à la vengeance. Le règlement du conflit doit être pacifique. Les hommes honorés sont ceux qui savent pacifier les querelles : cet art = l’un des principes fondamentaux de l’éducation Gamo, grâce a dédommagement et à la peine ; expulsion des causes (vomissements simulés). Les membres des lignages concernés doivent s’éviter. Le meurtrier est ostracisé. Mais le bannissement n’est pas définitif : le meurtrier et son lignage prennent les devants en envoyant leurs anciens dans le clan de la victime pour savoir s’il veut bien accepter le retour du fautif. Si oui : un rituel efface le conflit : sacrifice d’un animal, qui est dépecé. On pratique une ouverture dans sa peau. Le meurtrier et le plus proche parent de la victime passent dans ce trou pour marquer leur naissance à un ordre nouveau.

Plusieurs enseignements :

–       Tous ces exemples montrent caractère erroné des liens classiquement établis entre État, peine et vengeance. Le système vindicatoire joue plus aisément dans les sociétés non étatiques. Mais certaines formes de l’État coexistent avec lui et n’interviennent que peu dans son fonctionnement : cas des cités athénienne et romaine.

–       Autre démenti : lien entre État et droit pénal. Certes, cette association est de règle dans les États occidentaux, même si elle tend à s’estomper. Pourtant, les Moundang ont un État mais pas de droit pénal. Dans de nombreuses autres sociétés, on trouve du droit pénal, mais pas d’État. Chez les Esquimaux, le meurtrier récidiviste est soustrait au système vindicatoire. La communauté décide alors son élimination physique, toujours effectuée par ses plus proches parents : non par sadisme, mais pour marquer qu’il ne s’agit pas d’une vengeance : nous sommes dans le royaume de la peine.

–       Tout change non avec l’État en général, mais avec une certaine forme d’État, caractéristique le plus souvent des sociétés modernes : l’État unifié et centralisé, avec un pouvoir politique fortement spécialisé et un monopole de la violence licite. Le droit pénal n’est plus alors défini qu’à partir de lui. Le système vindicatoire se désagrège. La vengeance perd ses rites. N’est plus un mode relationnel entre groupes complémentaires et antagonistes. Devient synonyme de pure violence. A certains égards il s’agit d’un progrès (quand peine de mort est abolie). Mais à d’autres égards, cela pose pb :

  • Victimes complètement écartées du processus. D’où, parfois, la montée de mouvements d’autodéfense et en tout cas un grand sentiment de frustration. Moyen d’associer les victimes au processus sont à inventer. Ainsi, après la peine, le pardon pourrait entrer plus profondément dans nos catégories juridiques. Ethnographie montre en effet que réconciliation fait partie du bon fonctionnement du système vindicatoire.
  • Ignorance de la société civile. Devient de moins en moins tenable : cf. la tendance actuelle à la déjudiciarisation des conflits : l’appel à la collaboration volontaire des individus progresse dans nos institutions judiciaires.

Au total, en assimilant vengeance et violence, l’État laisse à penser qu’en supprimant l’une, il est le meilleur rempart contre l’autre. Le sens de la vengeance et de la violence n’est pas nécessairement donné par la présence ou l’absence de l’État.

 

            §II- Les racines socio-culturelles de la vengeance et de la violence

 

Sociétés traditionnelles n’éprouvent pas moins que nous la gravité de l’acte qui fait couler le sang. Mais recours à la vengeance est conditionné par le fait que l’agresseur est extérieur au clan : sinon, risque d’affrontement mortifère. En revanche, probabilité de la vengeance s’accroit à mesure que grandit la distance sociale entre deux protagonistes. Dans l’état actuel des recherches, cette règle de la distance sociale paraît universelle : on ne se venge pas lorsque la relation d’identité est forte. Plusieurs exemples :

–       Massa  (Cameroun-Tchad) ritualisent la prohibition en utilisant 2 techniques de combat différentes : entre membres d’un même clan, on a recours à un simple bâton (simples blessures) ; entre membres de deux clans, on utilise la sagaie.

–       Bédouins : « Ce sont les miens qui tuèrent mon frère. Si je décoche ma flèche, c’est moi qu’elle atteindra ».

–       Philippe de Beaumanoir : « Guerre ne peut se faire entre deux frères germains, nés de même père et mère, pour aucune sorte de contentieux, même pas si l’un d’entre eux a battu ou blessé l’autre. Car l’un n’a pas de parenté qui ne soit aussi celle de l’autre, au même degré. »

L’identité ou la forte proximité sont donc des facteurs qui paralysent la vengeance et subliment la violence.

Les racines culturelles de la vengeance et de la violence forment donc un réseau ramifié dont la centralisation étatique n’est pas la clef de voute. Les anthropologies ont mis au jour des corrélations beaucoup plus fortes :

1)   Certains types d’organisation familiale : le recours à la vengeance est d’autant plus fréquent que prédomine le principe de la résidence masculine (on vit auprès de ses parents mâles ou par les mâles), que celle-ci soit celle du père, de l’oncle ou du mari. La corrélation si l’on ajoute la polygamie à ce facteur. Quand l’organisation résidentielle favorise le groupement des individus mâles par génération, se forment des communautés d’intérêts fraternels d’autant plus promptes à réagir par solidarité vindicatoire aux atteintes visant l’un des leurs. En outre, une fois mariés, les frères restent proches les uns des autres (communautés de vie). Cette solidarité résidentielle augmente si les hommes sont issus de mariages polygyniques. En effet, ds les sociétés polygyniques, le mariage des fils est plus tardifs que ds les sociétés monogamiques : les demi-frères sont donc éduqués ensemble plus longtemps, d’où une solidarité renforcée.

2)   Organisation socio-économique : les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades privilégient les modes pacifiques de règlement des conflits à l’inverse des agriculteurs sédentaires. Chez les premiers, les conflits portent surtout sur des pbs d’ordre familial ou concernant l’accès à des biens de consommation périssables, alors que chez les seconds l’identification d’un individu ou d’un groupe à un espace territorial, la tendance à l’individualisation de la propriété multiplient les occasions de conflits. En outre, le nomadisme permet l’éloignement. Un proverbe bédouin dit : « Pour rapprocher nos cœurs, éloignons nos tentes. » Mode de vie des chasseurs-cueilleurs accentue dimension communautaire des comportements (calendrier et itinéraire des migrations sont des décisions qui doivent être prises en commun). L’aspect souvent vital de l’intégration au groupe permet de comprendre la fréquence des sanctions socio psychologiques reposant sur la honte ou le ridicule (blâme, réprimande séance d’auto-critique). A l’inverse, dans les sociétés de sédentaires, on emploiera plus volontiers des sanctions touchant la personne physique ou les biens matériels d’un individu.

 

Section II  Violence et médiation

 

Très post-modernes, le consensus et la médiation sont à la mode. Existe aussi chez certaines sociétés traditionnelles comme les Nuer du Soudan (texte de Evans-Pritchard).

Phénomène qui semble généralisé de propagation des « soft justices » (§I) amène à s’interroger sur leur pertinence et leurs limites (§II) : justices alternatives sont elles vraiment un moyen de sortir de l’enchaînement de la violence ?

 

§I- Le développement récent des modes informels de règlement des conflits

On examinera successivement la situation en Amérique du Nord (A) et en France (B).

A-   Les soft justices en Amérique du Nord

Mouvement né dans les années 1880. Commence avec la multiplication des juridictions arbitrales concernant principalement les affaires commerciales. Au cours du XXe siècle, s’étend au règlement des conflits mineurs, intervenant entre voisins ou individus apparentés, ou aux affaires mettant en cause des mineurs : nouvelles juridictions rendant une justice plus « sociale » que légale, écartant le formalisme, visant moins l’application stricte du droit que l’instauration de la paix sociale et l’adhésion des parties au règlement du litige, envisageant d’avantage le conflit comme une maladie à guérir que comme un mal à réprimer.

Pourquoi ce rôle de pionnier des EU en matière de justice informelle ? Sans doute en raison du caractère  hyper judiciarisé de la société US : besoin de soupapes de sécurité : on estime à 5 à 10% seulement les différends aboutissant devant les tribunaux.

La médiation est même une discipline enseignée à l’école : organisation de jeux de rôle. Effort pour faire comprendre aux enfants qu’ils doivent compter sur eux mêmes pour résoudre leurs conflits et non sur leurs professeurs. Autre travail des éducateurs : sélectionner parmi les enfants (à partir de l’âge de 6 ans) des leaders qui seront en capacité de ramener la paix : tee shirts de couleurs vives portant la mention : « directeur de conflits ». NB : à la différence des sociétés orientales, en Am du Nord, cette éducation se situe à l’opposé des valeurs mises en œuvre dans la vie quotidienne et les relations économiques : la médiation, la conciliation sont autant d’éléments d’une contre culture, ce qui ne facilite pas leur succès.

Le terrain favori des soft justices = les petits litiges, relations d’affaires, différends entre voisins, conflits familiaux. Cf. la médiation familiale utilisée en cas de divorce : effort pour trouver en commun une solution aux pbs engendrés pas la séparation du couple. Ainsi, dès 1980, l’État de Californie adopte la 1ère loi sur la médiation. Si les parties ne peuvent s’entendre sur la garde des enfants, elles doivent obligatoirement être présentées à un médiateur. 2 ans plus tard, ces médiateurs existaient déjà dans 49 États US. A la même époque, un service de médiation naît au Québec. Bientôt, la plupart des palais de justice auront leur service de « médiation familiale ».

La médiation effectue même une percée dans le champ des affaires pénales. 3 cercles concentriques :

–       1er cercle : le plus proche du système pénal. Le juge ou le substitut joue le rôle de médiateur dans les petits litiges, ou ceux où l’intention délictueuse est faible.

–       2ème cercle : la médiation privée : tribunal décide de renvoyer l’affaire à un centre privé de médiation si objet du litige n’excède pas 1000 dollars

–       3ème cercle : infractions plus graves. Community Boards, centres de médiation composés de bénévoles d’un quartier : effort pour aider les parties à trouver elles-mêmes la solution d’apaisement. Il s’agit là vraiment d’une justice alternative. L’accord auquel on parvient n’a par lui même aucune valeur juridique. Ici la notion de territoire est importante. Le cadre de référence = le quartier, dont la cohésion est menacée par le conflit.

 

B-   L’ordre négocié en France

Développement de la conflictualité lié sans doute à la destruction de certains groupes intermédiaires de la société française, accélérée par la mobilité géographique : les tribunaux croulent sous le poids des litiges alors que les Français n’estiment guère leur justice. Quand on les interroge, disent régulièrement leur préférence pour un ordre négocié plutôt que pour un ordre imposé. Que faut-il entendre par là ?

–       oralité : peut rapprocher mieux que l’écrit. Est la règle dans les relations de face à face. A en outre un effet créateur. En Afrique, une parole prononcée dans certaines conditions n’est pas une simple parole mais mobilise des forces (notamment celles du monde invisible) qui la rendent immédiatement efficiente : même chose dans le cabinet du juge. La Loi et les ancêtres jouent le même rôle dans l’invisible.

–       L’engagement, la parole donnée, occupent une place croissante dans notre système judiciaire : divorce, sanction pénale (cf. mesures d’assistance éducative)

–       droit pas évacué, mais sert surtout de point de référence, de modèle flexible adaptable aux situations concrètes (juge des mineurs pourra, par exemple, aménager, voire suspendre son application, en échange de la promesse de s’amender faite par le délinquant).

D’autre part, ordre imposé devient lui-même susceptible de bien des adoucissements : le juge dispose souvent d’un large pouvoir d’amodiation de la sanction : le juge machine est une fiction. L’essentiel des litiges sont tranchés en fait, sans que le juge ait recours au droit positif d’une façon autre que formelle

Reflux de la justice d’État :

–       conflits de travail : prud’hommes

–       conflits commerciaux

–       conflits familiaux : droit étatique et juges hésitent de plus en plus à s’introduire dans les affaires de famille : le droit fait là le choix du pluralisme (par exemple : plusieurs niveaux d’engagements dans le couple entre la cohabitation et le mariage) ; introduction de notions cadres définies assez largement qui donnent au droit un caractère flexible (bon père de famille, danger, intérêt de l’enfant, intérêt de la famille). Droit se fait neutre et construit davantage la famille autour de l’enfant qu’autour des parents : enfant ouvrât des droits à ses parents, enfant créancier de ses parents, enfant sujet autonome de droits.

Ordre négocié encercle les décisions de justice et y pénètre même de plus en plus fréquemment. Mais il se déploie également au delà : rôle de la médiation : cf les instances de médiation, les boutiques du droit nées dans les années 1970 : consultations collectives organisées dans des lieux déjudiciarisés (restaurants, locaux d’associations, etc.), développement de la médiation pénale elle-même. Il existe donc maintenant un marché et une idéologie de la médiation.

On peut distinguer deux grandes catégories au sein des justices délégalisées : celles que l’État tolère ou encourage et celles qu’il rejette.

–       celles que l’État encourage ou tolère : groupes secondaires, associations (clubs, partis politiques, ordres professionnels, etc.) ayant leurs procédures d’exclusion et de sanctions : l’organe disciplinaire y use en général des simples recommandations ; le droit disciplinaire s’élabore non à partir de règles codifiées mais au fur et à mesure que se présentent els cas d’espèce, en faisant largement appel aux traditions. La défense est le plus souvent orale, et n’est jamais assurée par un membre &étranger au groupe. L’appel devant une juridiction étatique est exceptionnel : les sanctions sont souvent morales, à base d’ostracisme. Le fonctionnement de nombre de ces groupes ne troublant pas l’OP, l’État les laisse s’autoréguler.

–       Groupes formés par les marginaux, délinquants, sectes. L’ordre négocié n’est ici pas seul à fonctionner : l’ordre imposé s’y manifeste aussi avec vigueur. On le retrouve aussi dans des périodes ou des moments de troubles (cf. l’instant justice des ghettos sud africains).

On aurait donc tort de superposer les deux distinctions ordre imposé/ordre négocié et justice étatique/justice non étatique : on retrouve les 2 mêmes modèles à l’œuvre au sein de chaque catégorie de justice.

En outre, très souvent, quand les membres d’un groupe portent leur litige devant une juridiction étatique, cela ne signifie pas qu’elle est supérieure au autres, mais que les rivalités à l’intérieur du groupe sont telles que la justice n’a pas pu aboutir. Parallèlement, dans bien des cas, l’État se décharge volontiers du règlement de certains litiges sur des justices alternatives, ce qui l’aide à désengorger son appareil judiciaire. Mais ne risque-t-on pas, dans ces conditions, d’aboutir à une justice à deux vitesses ? C’est l’un des reproches adressés aux justices alternatives.

 

            §II- Limites et risques des « justices alternatives »

 

A- Les risques des justices informelles

Expérience US, + ancienne, a montré plusieurs pbs. 2 grandes séries de pbs.

–     Critiques formulées par R. L. Abel : justices alternatives maintiennent en réalité le contrôle étatique en le dissimulant sous les masques de la non coercitivité et de l’absence de formalisme : justices surtout utilisées par les classes les pus pauvres, les classes moyennes et supérieures ayant recours aux juridictions classiques, avec ses coûts, mais aussi ses garanties. Loin d’être bénigne, la justice informelle utiliserait simplement des moyens plus souples de domination des faibles (ainsi qui sait combien de secrètes injustices cachent les divorces par consentement mutuel ?). Ne servirait nullement à restaurer les relations communautaires, mais les détruirait au contraire en raison de son inspiration essentiellement individualiste. Nouvelle corporation de professionnels de la justice informelle.

En réalité, ordre négocié n’est ni bien ni mal en soi : neutralité qui rend déterminante les modalités de son utilisation.

–     Autre problème : le délaissement des rituels. Il ne faut pas confondre le formalisme (qui est un pb) avec l’exigence de formes, qui constitue une garantie pour les plaideurs (comme la check list pour les passagers d’un vol). En outre, les rites constituent une conduite symbolique et nous avons besoin des incarnations qu’ils réalisent. Ainsi, le rituel s’amplifie au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie des juridictions, signe de la gravité croissante des procédures. Culmine dans la cour d’assise : la dramaturgie du procès pénale est celle de l’exclusion : l’accusé reconnu coupable est, à des degrés divers, retranché de la société. Le rituel privilégie le rôle des avocats qui représentent les parties : ils introduisent le conflit dans une procédure codifiée de règlement visant à le désarmer, à l’éteindre, à restaurer la continuité de l’échange social.

L’absence de formes et de rites peut donc conduire à une perte de sens, et même à de graves malentendus, dans la mesure où l’on assiste moins, en réalité, à une annihilation de toutes formes qu’à leur remplacement par d’autres, moins palpables, beaucoup plus difficiles à interpréter.

Cf. ce qu’écrit A. Garapon sur l’audience de cabinet (audience de jugement avec juge unique) : « La tentation est grande alors de cacher son imperium et de faire croire aux justiciables que la décision qui est prise n’est pas coercitive. En d’autres termes, le risque consiste à transformer l’audience, qui demeure par définition combat, en une sorte de conversation de salon. Les justiciables ont de plus en plus de mal à faire la différence entre la simple audition, la conversation de courtoisie et la décision elle même. »

L’insécurité paraît s’accroitre lorsqu’on passe à des procédures où tout juge est absent. Analyse du contentieux judiciaire fait apparaître une augmentation des litiges secondaires portés devant les tribunaux : l’une des parties rompt l’accord obtenu  sous le charme du conciliateur ou du médiateur.

B- Les obstacles à la médiation

La recherche du consensus n’est pas conforme aux valeurs des sociétés occidentales modernes, dominées par l’idéologie de l’individualisme et de la compétition. La médiation et la conciliation supposent, pour réussir, une certaine communauté de vie, un partage des mêmes objectifs. L’accroissement de la densité sociale et démographique favorise la multiplication des conflits, tandis que l’augmentation de la taille des unités sociales entraine la diminution des relations de face à face et que s’affirme l’individualisme. Dans ces conditions, le maintien d’une communauté de vie et de valeurs devient difficile, et le recours aux techniques de l’ordre négocié plus malaisé. Dans une société complexe, la pente naturelle est celle du jugement et du droit impératif.

Pourtant, tout n’est pas joué :

–       d’abord, les sociétés modernes ne sont pas monolithiques : se composent d’une multitude de groupes secondaires au sein desquels se reconstituent des relations de face à face et de style communautaire qui sont ceux des sociétés traditionnelles. , entrainant un recul de l’ordre imposé au bénéfice de l’ordre négocié. Des études ont montré que les justices alternatives des EU ne réussissent que si les parties ont des liens multiples préexistants au conflit, si elles ne sont pas séparées par des liens socio-économiques trop importants et si elles ne cèdent pas à la tentation de transformer leurs querelles en questions de principe.

–       Une société repose aussi sur ses représentations mentales, c’est à dire sur l’image qu’elle se donne d’elle même, à travers ses valeurs culturelles dominantes. Or, ds les sociétés post-industrielles, à tort ou à raison, la recherche et la valorisation du consensus tendent à rendre obsolète la vieille lutte des classes. Parallèlement, l’État et son droit évacuent un certain nombre de territoires occupés depuis le début du siècle : pression de la société civile + contraintes budgétaires.

Il convient dès lors de se garder de deux écueils, pour que l’ordre négocié puisse prospérer dans des conditions satisfaisantes pour tout le monde.

–       1er écueil : la persistance voire l’accroissement des disparités socio-économiques : à partir d’un certain degré d’inégalité, l’ordre négocié n’est plus possible. En d’autres termes, le recul de l’État serait gros de dangers s’il n’était compensé d’aucune nouvelle solidarité : les sociétés acéphales ne peuvent fonctionner, pour leur part, que grâce à la force de ces réseaux de solidarité élémentaire.

–       2ème écueil : l’épreuve de la diversité : risque du communautarisme et du « tribalisme » : l’ordre négocié ne doit pas se nuer en une balkanisation de la société.


[1] Droits, 11, 1990, p. 67.

[2] N. Rouland, Aux confins du droit, p. 15.

[3] J. Koubi, « En quête d’harmonie. Le divorce chez les Toradjas », Droits et cultures, n°15-16 (1988), p. 5-45.

[4] Rhétorique, I, 13.

Chapitre II Le droit des obligations après

Rome

La construction progressive d’une

théorie générale du contrat

Section I- Le recul du consensualisme au Haut Moyen Age (Vème-Xème siècles)

§I- Le formalisme de l’époque franque

Eléments de contexte :

Vers le milieu du IVe siècle, le monde barbare vit dans un dangereux état de fermentation. Dans les pays germaniques, à l’est du Rhin et au nord du Danube, les Barbares prennent conscience de leur force ; leurs attaques se reproduisent avec une fréquence sans cesse accrue et chaque jour plus redoutable par le nombre même des assaillants comme par la cohésion qu’assurent les victoires et le butin.

Les Huns entrent en Europe au cours de la seconde moitié du IVe siècle. Conscients du danger, les Ostrogoths tentent d’arrêter l’envahisseur. Ils lui opposent une résistance farouche, mais ne peuvent que retarder la catastrophe.

Suivant la trace des conquérants Goths, Vandales, Francs ou Burgondes, les Huns s’élancent à l’assaut des derniers débris du monde romain. En 476, la disparition de l’autorité impériale provoque l’effondrement de l’Empire d’Occident. Le Germain Odoacre ( vers 434 – 493 ), officier de la garde, dépose l’empereur Romulus Augustule. Désormais l’Occident se trouve aux mains des Barbares.

Au VIIe siècle l’invasion arabe porta un coup qui devait séparer la Gaule franque, et plus généralement l’Occident, de l’Orient : la Méditerranée cessait d’être la mer romaine et le lieu du plus intense trafic commercial international. Cette période est indéniablement une période de déclin pour la civilisation : les usages des peuples implantés sur une bonne partie de l’ancien Empire d’Occident, de la Gaule en particulier, ne comportent en effet qu’un minimum de relations obligatoires Durant cette période, comme au temps des débuts de l’ancienne Rome, la notion d’obligation s’insère dans un cadre formaliste. L’accord des volontés ne produit d’effet que s’il se manifeste par une forme solennelle ou une prestation. Les Germains, autant qu’on puisse le savoir, n’ont jamais reconnu l’effet obligatoire du seul consentement ( Tacite, Germaniae, XXIV ).

Caractères généraux de la société franque, d’un point de vue juridique :

–           prévalence du groupe sur l’homme isolé : le groupe, famille, tribu, compagnonnage guerrier, intervient forcément pour contrôler ou pour garantir l’engagement de l’un de ses membres

–           commerce rudimentaire : rétractation des échanges ; troc, achat au comptant ;

–           complexité juridico-sociale : personnalité des lois, est particulièrement difficile à mettre en œuvre en matière de contrat : nbreux conflits. En outre, droit gallo-romain lui-même disparate

–           absence d’élaboration doctrinale du droit ; pas de distinction entre les différentes branches du droit.

–           Faiblesse de la puissance publique explique un sentiment assez répandu d’insécurité juridique : chartes accumulent en csqce les précautions contre les transgressions ; multiplication des clauses pénales, à l’efficacité douteuse, menaçant les contrevenants d’une amende (DI pour le créancier + amende à caractère fiscal) ; clauses de malédiction ou d’imprécation diverses : tt cela donne une impression d’instabilité du contrat, dont la force obligatoire semble s’être dissipée. En outre écrit donne une liste de témoins susceptibles de garder le souvenir de l’acte. Déjà , la loi ripuaire conseillait de faire comparaître les enfants (pour garder plus longtemps le souvenir) et d’éveiller leur attention par des gifles.

Il résulte de ces différents caractères que le contrat ne peut être secret ou implicite et que la volonté des parties doit prendre une forme déterminée, visible et audible, qui permette le contrôle et l’intervention de la famille et qui ne laisse place à aucune difficulté d’interprétation ou de preuve. D’où le formalisme et le symbolisme des premiers contrats ; d’où aussi l’assitance de témoins nombreux et presque forcément pris ds la famille.

Dans la loi Salique ( 51 & 52 ), qui représente sans nul doute le droit le plus « pur », les contrats sont soit formels ( A ) soit réels ( B ). Ce formalisme disparaîtra au XIIIe siècle, sous l’influence du droit canonique.

A- Les contrats formels : la fides facta

Au cours de la période franque, les contrats formels jouent de nouveau un rôle très important. A l’image de la stipulation romaine ( stipulatio ), la fides facta ( foi jurée ) germanique comporte une promesse faite par le débiteur sur une interrogation du créancier. Cependant la loi Salique va au-delà du droit romain, en ajoutant le geste à la parole. Le formalisme consiste en une promesse rituellement prononcée, accompagnée d’un geste rituel et symbolique, double solennité par conséquent de paroles et de gestes dont dépend la validité de l’acte.

Les parties doivent donc prononcer des paroles rituelles et faire les gestes appropriés. Mais sur la nature de ces gestes la loi Salique reste à peu près muette. La loi voisine des Francs ripuaire parle d’une festuca ( fétu ), rameau d’arbre, bâton, (il pourrait s’agir aussi d’une dérivation de la framée, sorte de javelot, emblème des francs et attribut de l’homme libre), parfois ornée de runes (baguette magique ?) qui passe du débiteur au créancier, symbolisant renonciation à un droit transféré ( loi Ripuaire, 3, 66 ). Tantôt le débiteur montre qu’il s’engage en jetant la festuca à terre (c’est ce qu’on appelle l’exfestucatio), tantôt les deux parties rompent la festuca et gardent chacune un morceau, pour montrer que l’affaire est conclue. Cette habitude tendra à disparaître dès la fin de l’époque franque, mais, longtemps encore, les paysans conserveront la pratique de rompre une paille pour conclure une affaire : « Une paille rompue rend entre gens d’honneur une affaire conclue » (Molière, Dépit amoureux, IV, 4 ).

Présence probable de fidéjusseurs

En cas d’inexécution de la fides facta, le débiteur récalcitrant est frappé d’amende (composition de 15 sous), puis sommé trois fois par le créancier qui doit l’attendre jusqu’au coucher du soleil. Il peut ensuite saisir ses biens et le retenir prisonnier : la frontière entre contrat et délit est ténue.

B- Les contrats réels

Le contrat réel se forme par une prestation faite par une des parties à l’autre. Il se conclut par le transfert d’une chose ( res ). Tantôt la chose devra être restituée par celui qui l’a reçue, comme dans le prêt, le dépôt ou le gage  (res prestita); tantôt la remise de la chose est définitive, comme dans la vente, la donation ou l’échange. Notion de res prestita, assez extensive, est commune aux divers contrats réels que le droit romain avait distingués.

Dans la société franque, la terre représente la richesse par excellence. La vie économique étant liée au régime foncier, l’activité contractuelle concerne presque exclusivement la terre ( vente, échange, partage, concessions foncières, etc. ). Les Barbares envahissant l’Empire voulaient d’abord obtenir des terres : c’est ce qu’ils demandaient toujours à l’autorité romaine. La conquête devait être productive. De là dut résulter nécessairement une dépossession partielle des propriétaires gallo-romains. Nous savons que chez les Wisigoths les deux tiers des terres furent attribués au guerrier wisigoth ; car les propriétés laissées au Romains sont appelées par la loi les « tertiae Romanorum  » ( Lex Wisigothorum, 10, 1, 16 ).

Le plus souvent on fait tradition du bien en remettant un symbole : une motte de terre, un cep de vigne, un rameau, un couteau, des lacs de soie, des boucles de cheveux ; parfois même l’objet demeure attaché à l’acte : un acte daté de 777 garde encore fixé au parchemin le rameau qui servit à la tradition ( Neues Archiv, XXXII, p. 169 ). Les clercs tendront à substituer aux objets profanes des accessoires du culte : un missel, mais aussi l’anneau ou la crosse. De tels symboles convenaient parfaitement aux contrats qui comportaient le transfert du bien, vente ou partage.

On prétend que le contrat élémentaire était l’échange dont procéderait la vente ( Loi Burg., 35, 5 ; Loi Bavarois, 15, 8 ; Lex Wisigothorum, 5, 4, 1 ). Pour cette raison, une prestation suppose toujours une contre-prestation : une donation ne peut être valable sans un contre-don symbolique ( un anneau par exemple ), qui lui donne l’allure d’un échange.

Dans la donation comme dans la vente, il suffit qu’une partie du prix soit payée pour que le contrat devienne immédiatement obligatoire ( Lex Wisigothorum, 5, 4, 5 ). Cette solution figure également dans les Assises de Jérusalem : un « seul denier de paiement » suffit ( Chap. 27 ).

Contrat et délit sont fort mal distingués : dans la société franque, les obligations les plus fréquentes ont leur source dans un délit. L’activité contractuelle est des plus réduites ; elle est gênée par la pénurie monétaire comme par l’incertitude du recours à la justice. Le commerce ne concerne que qques denrées rares et précieuses qui sont normalement payées au comptant.

En outre, bien des relations juridiques devaient avoir lieu entre parents, ds le cadre du groupe familial et sans laisser de traces écrites ; les actes de disposition demeurent rares ; la famille prétend contrôler les aliénations, et après le VIIè siècle, les paiements se font plutôt en denrées qu’en espèces métalliques..

Enfin, dans bien des cas, l’accord des volontés matérialisé par le contrat est plus fictif que réel et la loi du contrat est imposée par l’un des contractants à l’autre : la volonté n’intervient que pour « adhérer » à la proposition faite, pour accepter de subir les effets du statut qui lui est offert : sorte de contrat d’adhésion. D’ailleurs, les rapports fonciers absorbent presque tous les rapports qui ressortissent aujourd’hui du louage de services, une concession de terres appelant ou rémunérant le travail fourni ou les services imposés.

§II- Les engagement de l’époque féodale (Xème-XIIème siècles)

Société nouvelle, organisée selon de nouveaux modes.

Un mot est désormais employé couramment pour désigner le contrat : convenientia, issu du latin populaire convenire, dont le français devait faire convenance. Les actes du Midi en usent avec une particulière insistance. Le sens ne peut en être douteux : il s’agit bien du contrat au sens moderne du mot, contrat solennel où interviennent des témoins de rang élevé, mais où la volonté suffit à obliger.

Néanmoins, on a tjrs également affaire à des contrats formels et à des contrats réels. Parmi les premiers se présentent surtout des contrats qui se forment oralement (A), et beaucoup plus rarement par écrit (B). Parmi les seconds, le caractère réel est plus ou moins affirmé (C).

A-   Les formes orales

Elles sont très diverses. Les unes sont nettement religieuses, les autres purement laïques.

1- Le mode religieux : le serment

Interdit évangélique (Mt. 34, 37 : ( .. ) je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le Ciel, car c’est le trône de Dieu ; ni par la Terre, car c’est l’escabeau de ses pieds » ( Sermon sur la Montagne, Matthieu, V, 34-35 ; Épître de saint Jacques, V, 12 ).

Eglise incapable d’empêcher le serment ; va donc s’efforcer de le contrôler et de réprimer le parjure : violation du serment peut entraîner excommunication ; Mais comme l’usage se développait malgré tout, elle atténua peu à peu son hostilité au serment ; d’après Gratien, il ne s’agit pas d’un péché ( Décret, 2e part., XXII, 5, 12, Juramenti ). Puis aux XIIe et XIIIe siècles, l’Église intervenant dans le règlement des contrats et des obligations, elle consentit à l’admettre pour faciliter la recherche de l’intention réelle des parties. Le droit canonique construisit alors une théorie très développée du serment qui s’imposa ensuite à la jurisprudence séculière ( Décrétales de Grégoire IX, de Jurejurando, II, 24 ; Sexte, de Jurejurando, II, 2 ; Saint Thomas, Somme théologique, II-II, Q 89 ;

Emploi considérable : prendre Dieu à témoin = le meilleur moyen d’assurer le respect des engagements, en période de faiblesse de la puissance publique ; on a ainsi recours au serment, dès l’époque franque, pour confirmer une promesse dont la validité apparaît douteuse (par exemple le serment d’un mineur).

Aux mains des canonistes, le serment devient un mode de contracter d’une grande souplesse qui rappelle à bien des égards la stipulation du droit romain : Serment comporte paroles (formulaire plus ou moins stéréotypé. Par ex, à l’époque caro : sic me Deus adjuvet) et geste : juramentum corporaliter prestitum : prêté en général sur des reliques ou sur l’évangile ; forme atténuée consiste à lever la main droite mais en plaçant le pouce contre la paume au lieu d’étendre les doigts, mais on admet qu’il suffit d’invoquer le nom de Dieu ou même de sous-entendre cette invocation, au moyen d’un simple « juro », voire d’un signe non équivoque ( Décret de Gratien, 2e part., XXII, 1, 12, in communi loquela ; Panormitain, sur c. 10, X, de Jurejurando, II, 24 ). Il crée une obligation personnelle, imprescriptible et perpétuelle, qui engage le salut de l’âme ; s’il y a un créancier dans l’opération, disent les canonistes, ce créancier ne peut être que Dieu ( Décrétales de Grégoire IX, de Jurejurando, II, 24, 8 ). Engagement pris devant Dieu donc, tout serment doit être tenu pour valable dès lors qu’il n’est pas contraire au droit divin ou à l’équité naturelle ( Décret de Gratien, 2e part., XXII, 4, 23 ). Aussi le serment peut-il faire obstacle aux règles concernant la validité des contrats, lorsque les parties s’engagent par ce moyen à n’en pas tenir compte. En 1210, le pape Innocent III déclara qu’un serment devait être respecté, même à l’encontre d’une règle romaine ( Xa, II, 24, 28 ).

Peu à peu développement d’un serment simplifié : ne s’accompagnait plus du geste de toucher une chose sainte, n’était plus corporaliter praestitutm ; il n’était même plus nécessaire d’invoquer expressément le nom de Dieu : il suffisait de dire « je jure » pour que l’on voie dans cette formule un serment rendant la promesse obligatoire. Promettre sa foi, c’est engager sa foi de chrétien et seule compte l’intention.

Enfin, le serment étant chose spirituelle, c’est au juge d’Église qu’il revient, soit de dispenser du serment, soit d’en assurer l’exécution. Cette compétence canonique est concurrente à celle du juge laïque, qui se borne à constater l’existence du serment et à punir le parjure. Lorsqu’il y a contestation sur la validité et l’interprétation du serment, le juge séculier doit surseoir à statuer et en référer au juge ecclésiastique, seul compétent sur ces points. La puissance laïque reconnaîtra ces principes jusqu’à l’apparition du gallicanisme, au début du XIVe siècle.

2- Les mode profanes

Ils sont tous centrés sur une notion commune : celle de fides (fiance en français). La fides facta est devenue, depuis le haut MA, l’une des sources des obligations contractuelles : manifeste un engagement.

Il y a plusieurs façons de manifester la fiance : ttes sont susceptibles de démontrer, t concrètement, la réalité de celle-ci : pb de la preuve : le pacte nu demeure une hypothèse d’école.

–           forme laïcisée du serment : la datio ou jonction des mains : foi manifestée physiquement : geste symbolique employé ds l’engagement du vassal

–           paumée (palmata), qui survit encore ds les campagnes (vente de bestiaux) : consiste à se frapper la main ds la main. Ds certaines régions, on y ajoute (substitue) un baiser (oscle) : influence religieuse du baiser de paix + sens du concret du MA : baiser bouche sur bouche.

B-   La confusion des formes contractuelles

Existe-t-il un contrat écrit ? Beaumanoir, au XIIIè siècle, traite longuement « des obligations par lettres », mais il ne paraît pas admettre que l’obligation puisse naître de l’écrit lui-même : l’écrit ne sert en fait qu’à prouver le contrat.

Ds le Midi, la tradition était bien plus favorable à l’écrit. Il est fréquent que le protocole des chartes rappelle qu XIè siècle qu’il n’y a d’aliénation valable que per cartam. Pourtant, ici aussi, écrit ne paraît avoir été qu’un mode de preuve ; la diffusion, à partir du XIIè siècle, du notariat, vint lui assigner la valeur d’un « instrument public », mais ss modifier sa fonction.

Il existe des contrats réels proprement dits, c’est-à-dire où l’on doit rendre ce que l’on a reçu (ou son équivalent) : prêt.

A côté de ces contrats réels véritables d’autres situations assez différentes peuvent exister : la plupart des actes, ds une économie peu développée, se fon tau comptant : par exemple la vente s’effectue par transfert de propriété et paiement concomitant du prix. Encore au XIIIè siècle, il semble que l’on puisse se dégager d’une vente dont aucune prestation n’a encore été exécutée : c’est l’une des deux prestations (livraison de la chose/paiement du prix ou d’une partie du prix) qui rend l’autre obligatoire : la vente doit être commencée. On ne se trouve donc pas en présence de contrats réels, mais, en somme, dans la même situation que ds les contrats innommés : celui qui a reçu ne doit pas rendre ce qu’il a reçu mais autre chose, qui en est la contrepartie.

C-    L’apparition progressive d’un jus mercatorum

De très bonne heure, au plus tard dès le commencement du XIe siècle, se crée un jus mercatorum, pour régler les relations d’hommes vivant du commerce et de l’exercice des métiers. Ce droit embryonnaire, formé d’usages nés de la pratique, représente une sorte de coutume internationale que les marchands appliquent entre eux dans leurs transactions. Dépourvu de toute consécration légale, ils ne peuvent l’invoquer devant les juridictions des États. Aussi les marchands s’accordent-ils pour choisir parmi eux des arbitres ayant la compétence nécessaire pour trancher les différends. C’est là, probablement, qu’il faut chercher l’origine de ces cours que le droit anglais désigne par l’expression de courts of piepowders, autrement dit « cours des pieds poudreux », parce que les marchands qui les saisissent ont encore les pieds couverts de la poussière des chemins. Très rapidement, ces juridictions de circonstance se transformeront en juridictions permanentes : à Ypres, en 1116, le comte de Flandre supprimera le duel judiciaire au profit d’échevinages locaux ; en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, les villes obtiendront l’autonomie judiciaire dès le XIIe siècle.

Durant cette période, débute toute une organisation de crédit à laquelle semble bien remonter l’origine des lettres de change dont les Italiens, beaucoup plus avancés que les gens du continent, prirent sans doute l’initiative. Il ne s’agit encore que de simples promesses écrites de payer une somme dans un autre lieu, ou, pour employer des termes juridiques, « d’un billet à ordre avec remise de place » : le signataire s’engage à payer dans une autre place au remettant ou à son nuntius, c’est-à-dire son préposé ( clause à ordre active ), ou à faire payer par un nuntius agissant pour lui ( clause à ordre passive ). Les actes obligatoires auxquels se rattachent les origines de la lettre de change étaient dressés soit par des notaires, en Italie et dans le sud de la France, soit par des scribes d’échevinage en Flandre.

Malgré la rareté des textes, nul doute ne subsiste aujourd’hui sur l’existence, déjà au Xe siècle, d’un nombre considérable de sociétés commerciales : dès que Gênes et Pise s’adonnèrent à la navigation, quantité de nobles et de bourgeois vénitiens engagèrent aussitôt de l’argent dans les affaires maritimes. Pour répartir les risques, ils prennent des « parts » dans plusieurs bateaux à la fois. La société en commendata, très florissante au XIIe siècle, fonctionne selon des règles précises : le commanditaire avance au commandité, moyennant une participation dans les bénéfices éventuels, un capital que celui-ci fera fructifier à l’étranger ; la part revenant au premier comprend les trois quarts, celle du second le quart du bénéfice ( le bénéfice normal des compagnies génoises au XIIe siècle était de 25% ). Les sociétés adonnées au commerce terrestre se développeront un peu plus tard, à la fin du XIIe siècle, dans les villes marchandes d’Italie, où s’exerce depuis peu l’influence du droit romain et du droit canonique.

Section II- Les créations du droit savant

Au début du XIIe siècle, l’influence romaine demeure encore incertaine ; les souvenirs qu’en gardent les actes de la pratique sont d’ordinaire sommaires et imparfaits. Ce n’est qu’au milieu du siècle, après la découverte des Pandectes, qu’apparurent véritablement les premiers symptômes d’une renaissance (§I). Ce mouvement eut une répercussion profonde sur la doctrine canonique qui, malgré tout, sut conserver son inspiration propre (§II).

§I-Les apports du droit romain

A- Rappel : la redécouverte du corpus juris civilis

Jusqu’au XIe siècle, malgré des survivances formelles, la pratique juridique n’a semble-t-il plus rien de romain. Les concepts les plus élémentaires paraissent avoir été oubliés : propriété, possession, contrat, obligation, etc.  La renaissance résulte pour partie de la redécouverte des principaux textes perdus du droit romain, et ensuite de leur publication progressive, achevée vers 1140. L’étude de l’œuvre de Justinien se développa d’abord en Italie avec l’enseignement de Irnerius à Bologne ( 1088-1125 ), qui fonda l’École des glossateurs, puis avec ses élèves, les « quatre docteurs », Bulgarus (  + 1166 ), Martinus Gosia (  + avant 1166 ), Hugo (  + vers 1170 ) et Jacobus (  + 1178 ), et enfin en France avec Placentin ( vers 1135-1192 ), un élève de Martinus, qui, après avoir quitté l’Italie, vint enseigner à Montpellier ( 1160-1192 ) où il introduisit cette nouvelle science. Tous firent appel aux méthodes d’enseignement de l’époque, consistant à gloser les textes : le professeur lit et explique tel fragment du Code ou du Digeste, puis résume son interprétation en une formule très brève, une glose ( glossa ), que les étudiants inscrivent en marge de leur texte. L’École des glossateurs produisit une telle quantité de gloses qu’il fallut en faire des résumés ( « Sommes » ), auxquels vinrent s’ajouter des recueils ( Apparatus ) et ensuite des « Commentaires ». La Summa Codicis d’Azon (  + 1200 ) et la « Grande Glose » d’Accurse ( 1182-1260 ), ou glose ordinaire, acquirent alors une autorité considérable. Elles permirent d’éclairer les Glossateurs sur le sens du droit romain, et de certains principes qui les laissaient perplexes : en particulier la formule selon laquelle d’un pacte nu ne peut naître aucune action ( ex nudo pacto non oritur actio ). Azon donna un début de réponse. Il déclare ( Somme sur le Code, 2, 3 ) que les pactes sanctionnés par une action ont été « vêtus » : par la remise d’une chose, par la prononciation d’une formule solennelle, par la rédaction d’un écrit, etc. ; sans aborder toutefois le cas des contrats consensuels, qui paraissent contredire le principe initial. Accurse compléta l’explication aux alentours de 1230 : ils portent, dit-il, le plus léger des vêtements : le consentement ( Jurisgentium, 1, 7, Digeste, 2, 14, Glose, § 5 ). Mais assez rapidement les romanistes se heurtèrent à la résistance des juges et des praticiens qui trouvaient leur méthode trop éloignée de la réalité : ils durent abandonner l’étude directe des textes au profit de la méthode dialectique ( ou scolastique ), qui cherche à dégager les principes généraux du droit et en tirer les applications pratiques.

L’impulsion nouvelle partit, semble-t-il, d’un groupe de romanistes français, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle : le Lorrain Jacques de Revigny (  + 1296 ), professeur de droit à l’Université d’Orléans, puis évêque de Verdun ; le Nivernais Pierre de Belleperche (  + 1308 ), chargé de mission du roi Philippe le Bel, puis chancelier de France, et enfin évêque d’Auxerre ; Jean Faure (  + 1340 ), avocat et professeur à Montpellier, qui écrivit un commentaire remarquable des Institutes ; mais aussi Pierre Jacobi, l’auteur de la Pratica Aurea Libellorum, également professeur à Montpellier vers 1311. Ces jurisconsultes, dont certains avaient étudié en Italie sous la direction des glossateurs de l’École de Bologne, contribuèrent par la force logique de leur enseignement à l’établissement et au développement de l’École française de Postglossateurs

Suivant la tradition, ces tendances passèrent ensuite en Italie par l’intermédiaire de Cinus de Pistoie ( 1270-1337 ), qui aurait suivi l’enseignement de Belleperche à Orléans vers 1300 ( v. William Michael Gordon, Cinus and Belleperche, Daube Noster, Edimburg, 1974, pp. 105-154 ). Après son retour en Italie, Cinus enseigna d’abord à Sienne, puis à Pérouse et à Naples, et enfin à Bologne, où il introduisit la nouvelle méthode. Son commentaire du droit romain ( Lectura super Codice et Digesto veteri, Pavie, 1483 ) bénéficia longtemps d’une célébrité méritée. Il eut pour élève Bartole de Sassoferrato ( 1314-1357 ), qui allait devenir le chef d’une nouvelle école, celle des postglossateurs ou bartolistes, dont la richesse de l’oeuvre explique le succès de beaucoup de ses théories juridiques.

Esprit pratique et pondéré, Bartole chercha dans l’arsenal des lois romaines des solutions aux problèmes d’interprétation que soulevaient à cette époque les lois municipales italiennes. En droit privé, les bartolistes s’intéressèrent notamment à la question de la liberté du consentement, afin de protéger les personnes dont l’ignorance est présumée ( femmes, mineurs, soldats, ruraux, etc. ), leur octroyant le bénéfice de restitution. Ils accordent la liberté contractuelle aux marchands et restent fidèles au droit romain classique dans les rapports individuels.

Mais à partir du XVIe siècle, face à la montée de l’individualisme, le sens « social » de la scolastique médiévale ( respect des promesses, loyauté, protection des faibles, etc. ) ne répondit plus aux besoins de la pensée. En liaison avec le mouvement d’Humanisme de la Renaissance, une pléiade de jurisconsultes entreprit alors de restituer la romanité dans sa teneur ancienne : Guillaume Budé ( 1467-1540 ), François Douaren ( 1509-1559 ), François Baudouin ( 1520-1573 ), François Hotman ( 1524-1590 ), Hugues Doneau ( 1527-1591 ) ou encore Antoine Favre pour la Savoie ( 1557-1624 ). Cette nouvelle École, dite « Historique », se donna pour objectif d’étudier les interpolations du droit romain et de retrouver les textes originaux. Profitant de la découverte de nouveaux manuscrits, elle restitua les textes corrompus de plusieurs jurisconsultes ( Paul, Ulpien, Julien, Modestin, Papinien, etc. ) et facilita le rétablissement des vraies doctrines romaines. Le promoteur de cette nouvelle méthode fut le professeur italien André Alciat ( 1492-1550 ), mais son principal artisan demeure Jacques Cujas ( 1522-1590 ), le fondateur de l’étude moderne du droit. Plusieurs des membres de cette École, qui avaient adhéré aux thèses de la religion réformée, durent se réfugier auprès des nations protestantes où leur influence sera grande, en Allemagne en particulier, où ils deviendront les instruments de la réception du droit romain.

A-   Les principales avancées doctrinales

On peut distinguer 2 mouvements successifs, en fonction de l’affinement progressif de la technique juridique :

1-    Une solution imparfaite : La théorie des Vestimenta

Au début, les Glossateurs reprennent à beaucoup d’égards la position romaine des derniers temps, y compris dans ses contradictions ou ses tensions :

–           grande imptce des contrats consensuels ds la vie quotidienne ;

–           droit romain fondamentalement pas consensualiste. Cf. en particulier la règle Ex nudo pacto nulla nascitur actio : le simple concours de volontés, le pacte, ne suffit pas à faire le contrat. Selon Accurse, un tel pacte serait comme une « femme stérile ».

Effort des romanistes pour réduire ces contradictions. Par opposition au pacte nu, ils remarquent qu’il existe des pactes et des contrats munis, en droit romain, d’actions, ce qui leur conférait une sanction, t donc une existence juridique. Les Glossateurs les appellent des pactes vêtus et classent avec soin les divers vestimenta pactorum, les vêtements qui permettent de valider les pactes. Azon, par exemple, vers la fin du XIIè siècle, en distingue 6 : les 4 premiers, (les verba, la scriptura, la res et le consensus) correspondent aux 4 catégories de contrats romains, auxquelles Azon ajoute la cohaerentia (pour les pactes adjoints : qui viennent se blottir sous le vêtement du contrat) et la rei interventus (cas où une chose est remise après le consentement. Azon vise ici les contrats innommés qui sont validés par l’exécution de son engagement de la part d’une partie). Accurse devait ensuite ajouter, avec qques nuances, le serment t Bartole la causa ; mais à cela près, les commentateurs médiévaux restent fidèles à la pure théorie romaine.

Or, ds ces 6 vestimenta, l’un était bien paradoxal, le consensus, puisque normalement le consentement (= le simple pacte) n’est pas un vêtement. Accurse a tenté, laborieusement, de l’expliquer, en disant que le consentement est un vêtement léger, certes élégant mais un peu froid, qui ne peut convenir qu’à un petit nombre de pactes, ceux qui sont vus avec faveur par le droit et qui sont « gras et chauds » : ils peuvent donc se contenter d’un vêtement léger.

En réalité, ds tt cela, à part une pittoresque description, aucune nouveauté ne se faisait jour par rapport aux solutions du droit romain.

Quant au pacte nu, il engendre une exception et une obligation naturelle : solution fondée sur la raison naturelle qui « impose de respecter les pactes » (Belleperche).

2-    Les  innovations de la seconde génération

Lorsqu’ils se sont mieux occupés de pratique, les Romanistes, abandonnant l’idée de plaquer le droit romain sur des réalités qui lui étaient irréductibles, se sont montrés plus imaginatifs. Ne pouvant renverser le pcpe selon lequel le pacte nu ne suffit pas, ils ont cherché à tourner le pcipe par des expédients.

– stipulation simplifiée. Passage des Institutes précisant que si l’on a écrit dans l’instrumentum que le débiteur a promis, la stipulation est présumée. De fait, les notaires insérèrent régulièrement ds leurs actes que le débiteur avait promis, afin d’en renforcer l’efficacité ;

– pactes géminés : technique utilisant le constitut = pacte ss forme permettant de transformer une obligation civile en obligation naturelle. D’où 1er pacte nu générant une obligation naturelle ; puis 2ème pacte « jumeau » du premier, analysé comme un constitut.

§II- Les inventions du droit canonique

A- La naissance d’une doctrine canonique

Entre les années 1140 et les débuts du XIVe siècle, l’Église latine se dota d’une série de quatre compilations, profondément différentes les unes des autres, qui lui servirent de code jusqu’en 1917 : le Décret de Gratien ( vers 1140 ), les Décrétales de Grégoire IX ( 1234 ), le Sexte ( 1298 ) et les Clémentines ( 1314-1317 ). La technique des copistes et l’acquiescement des maîtres les réunirent sous un titre commun, le Corpus iuris canonici, expression symétrique de celle de Corpus iuris civilis que les romanistes utilisaient pour désigner les compilations de Justinien. En principe clos en droit, le Corpus iuris canonici continua de s’accroître, en fait, d’époque en époque ; dans l’édition officielle de 1583 Editio romana des Correstores ), le Corpus comprend deux nouveaux recueils de bulles : les Extravagantes de Jean XXII et les Extravagantes communes.

Les premières oeuvres de la doctrine sont des « Sommes », qui suivent l’ordre des textes du Décret de Gratien, souvent en les paraphrasant, expliquant un mot ou une phrase dans une courte glose ; pour la période 1150-1210, près d’une trentaine de « Sommes » ont été recensées. Elles préfigurent les grandes « Sommes » du XIIIe siècle, composées par les plus célèbres canonistes de la période, tels que Johannes Teutonicus (  + 1246 ), Bernard de Parme (  + 1263 ), William de Drogheda (  + vers 1245 ) ou Hostiensis (  + 1271 ). La multiplication des gloses obligea cependant à faire des choix et à ne retenir que les plus importantes. Les Apparatus sont des recueils de gloses choisies par un maître ayant autorité : Alain l’Anglais ( début du XIIIe s. ), Laurent d’Espagne (  + 1248 ), Sinibaldo Fieschi (  + 1254 ), Bernard Raymond ( début du XIVe s. ), etc.

Avec les Quaestiones, la doctrine s’ouvrit davantage à la pratique : une question relative à un cas concret est posée, à laquelle répond le canoniste, dans un développement parfois fort long. Cette méthode, inspirée de l’enseignement juridique médiéval, connut un grand succès au Moyen Âge chez les canonistes ; comme d’ailleurs chez les romanistes, qui composèrent également des traités de réponses à des questions pratiques, appelés Quaestiones ou Responsa. Vers la fin du XIVe siècle, apparurent enfin des « Commentaires », semblables à bien des égards à ceux qu’écrivaient à la même époque les interprètes du droit romain

Les canonistes tirèrent profit de la transmission, grâce à l’Espagne arabe, de l’oeuvre d’Aristote, et surtout de sa logique, qui enseigne aux « dialecticiens » et aux hommes de droit l’art de penser, de construire, de raisonner. Aux XIIe et XIIIe siècles, cette renaissance intellectuelle transforma les écoles épiscopales de l’âge carolingien en des universités ( Paris, Montpellier, Oxford, etc. ), auxquelles vinrent s’ajouter quelques universités créées de toutes pièces : Cambridge, née en 1208 de la sécession des étudiants d’Oxford ; Naples, fondée en 1224 par l’empereur germanique Frédéric II pour contrer l’influence du pape en Italie du Sud ; Toulouse, érigée en 1229 par le pape Grégoire IX pour combattre l’hérésie cathare

Les collections canoniques des XIe et XIIe siècles renferment nombre de dispositions empruntées à des recueils laïques de toutes sortes : Institutes, Digeste, Code, Novelles, Bréviaire d’Alaric, etc.  Une collection connue sous le nom de Britannica, dont il subsiste un exemplaire à la British Library, fournit un exemple significatif de la place qu’occupe, dès la fin du XIe siècle, les textes du droit de Justinien dans les collections canoniques. Soucieux de faire triompher certains principes moraux, les canonistes donnèrent leur propre interprétation du droit romain et constituèrent une doctrine romano-canonique.

B- Le développement du consensualisme

Le droit canonique était naturellement conduit par le fondement moral qu’il donne aux rapports juridiques à reconnaître la force obligatoire des promesses. S’inspirant de l’idée romaine de la fides, les canonistes posent en règle le respect de la parole donnée, d’où ils tirent cette conséquence juridique que le simple consentement est obligatoire sans aucune formalité ( Huguccio de Pise, Summa Decreti Gratiani, XXII, 2, 2 ; Bernard de Pavie, Compilatio prima ) ; ils proclament que toute convention doit s’interpréter en bonne foi en recherchant la commune intention des parties. A l’exemple du Christ, qui enseigne la franchise et l’honnêteté, tout chrétien doit respecter sa parole donnée, y compris lorsqu’elle ne revêt pas les formes requises pour la rendre obligatoire selon le droit positif. La parole donnée suffit à engager le chrétien, car le manquement à cette parole serait mensonge et donc pêché. « Quand vous dites  » oui « , que ce soit un  » oui « , quand vous dites  » non « , que ce soit un  » non « , disait le Christ, tout ce qui est en plus vient du Mauvais » ( Sermon sur la Montagne, Matthieu, V, 37 ).  Cf. commentaire d’Huguccio sur le canon Juramenti (C. 22, q. 5, c. 12) : entre un serment et une simple parole, Dieu ne fait pas de différence.

A la différence du droit romain, qui n’admet pas qu’un simple pacte ( pacta nuda ) puisse faire naître une action ( Digeste, 2, 14, 7, 4 ), le droit canonique se dégage complètement du formalisme au profit du seul consensualisme : le simple consentement, une promesse nudis verbis, suffit à créer l’obligation ( solus consensus obligat ) ; sa violation peut être dénoncée devant le juge d’Église, soit au moyen d’une action soit dans le cadre d’une demande « équitable » ( Décrétales de Grégoire IX, de Pactis, I, 35, 1 & 3 ).

Cette adhésion doctrinale au consensualisme s’exprime à partir des années 1140, avec l’insertion, dans le Décret de Gratien, d’un texte du concile œcuménique de Tolède de décembre 633 ( présidé par Isidore de Séville ) visant à prévenir certains litiges : « Ceux qui ont fait une promesse doivent respecter l’accord » ; même lorsque cette promesse, ajoute Huguccio ( vers 1180 ), « est faite en mots nus ( nudis verbis ) ». Au départ, il ne s’agit encore que d’une simple obligation morale, inspirée par la religion et propre au for interne. C’est cepdt sur ces textes que l’in va se fonder et introduire par là une interrogation sur les promesses sans forme. Idée qu’un péché serait commis si un pacte, même nu, n’était pas observé. Mais c’est Jean le Teutonique qui, aux alentours de 1215, donnera sa pleine signification à la pensée d’Huguccio : « Une action naît d’un pacte nu ( Ex nudo pacto actio nascitur ) ». Le consensualisme s’imposera dès lors comme la conséquence nécessaire du lien entre la Foi religieuse et la bonne foi qui doit régner dans les contrats. Il répond, dans une large mesure, à l’accroissement des actes de commerce ( v. Jean-Pierre Baud, « La bonne foi depuis le Moyen Age », Conférence à l’École doctorale des Sciences juridiques de l’Université Paris X – Nanterre, 2001 ).

Pas supplémentaire franchi avec le Liber Extra de 1234 : insertion

– du canon Antigonus (X, 1, 35, 1) : canon d’un concile de Carthage de 348 : Pax servetur, pacta custodiantur : que la paix soit conservée, que les pactes soient observés. : devient un pcipe à valeur générale : pacta sunt servanda

– du canon Qualiter (X, 1, 35, 3)

En définitive, la règle morale était étendue au domaine civil et un devoir de conscience devenait une obligation juridique.

C’est sur ces éléments, enrichis de tout l’apport de la théologie des XIIe et XIIIe siècles, que les canonistes élaborèrent des théories demeurées célèbres : théorie du libre arbitre, théorie de la cause, théorie du serment (cf. supra). Elles permirent d’ordonner l’apport du droit canonique au domaine des contrats.

La théorie du libre arbitre

Qu’il s’agisse de promesse ou de serment, l’Eglise fait tjrs prévaloir la volonté des contractants. Mais cette volonté n’est pas conçue comme une volition abstraite ; elle est enrichie de tt l’apport de la théologie des XIIè-XIIIè siècles. Naturalisme chrétien.

Pour les théologiens des XIIe et XIIIe siècles, le libre arbitre de l’homme associe liberté et morale. Qui possède le libre arbitre peut vouloir et ne pas vouloir, agir et ne pas agir. Selon l’Ecclésiastique ( 15, 14 ) : « Dieu a créé l’homme ( .. ) et il l’a laissé au pouvoir de son conseil ». La volonté, c’est-à-dire l’acte de vouloir, le vouloir d’une chose, qui a pour objet la fin, est un « appétit rationnel » qui tend nécessairement au bien, donc à l’amour : le bien engendre le devoir, et le devoir lie la liberté ( v. Aristote, Ethique à Nicomaque, 1113, a, 11 ).

L’homme étant libre, la liberté représente la condition première de la responsabilité : un être ne peut répondre que des actes qu’il dépend de lui de faire ou de ne pas faire. Aussi la volonté disparaît-elle sous l’effet de la contrainte, que celle-ci soit physique ou bien morale ; elle rend le sujet irresponsable des actes accomplis en ces divers états : on peut obliger l’homme à faire quelque chose, on ne peut pas l’obliger à le vouloir ( v. Saint Thomas, Somme théologique, II-II, Q 89, a 7, s 3 ). Cependant, être empêché de réaliser son choix, soit par contrainte soit par le manque de moyens, n’est pas cesser d’être libre : nos choix, en effet, continuent de nous appartenir ( v. Saint Thomas, Somme théologique, I, Q 83, a 1, s 4 ).

Ces doctrines, directement applicables au droit, puisent pour l’essentiel au naturalisme chrétien : c’est la raison qui confère à la nature de l’être son caractère proprement humain. Beaucoup en reviennent à la formule fameuse de Cicéron définissant la moralité comme l’habitude d’agir selon la raison et la nature ( De inventione, II, 53 ) ; mais raison et nature revêtent ici un sens chrétien ; l’homme doit compte à Dieu de ses pensées, « qui scrutes les coeurs et les reins » ( Psaumes, VII, 10 ). La volonté – et dans son prolongement l’intention, l’orientation de l’acte volontaire – doit d’abord être jugée par sa rectitude morale.

C- La limité du consensualisme : La théorie de la cause

En principe donc, les canonistes étaient hostiles au formalisme germanique ou romain. Mais d’un autre côté, conscients des dangers que la force obligatoire des promesses fait courir à la volonté, ils ne tirèrent pas du principe juridique du contrat consensuel toutes les conséquences qu’il aurait pu leur inspirer. L’acte de volonté n’étant pas toujours respectable par lui-même, les raisons de s’engager étant parfois insuffisantes, ils furent amenés à se préoccuper de la cause de l’obligation.

Pour les canonistes, le débiteur se rend coupable d’une faute s’il vient à manquer à son engagement. Cependant, encore faut-il rechercher si cet engagement se trouve être fondé. La réponse ne peut être donnée qu’en recourant à l’analyse de la volonté : les raisons de s’obliger ont-elles été suffisantes pour que le débiteur soit tenu en conscience de respecter la parole donnée ? L’idée de justice commutative ( échange de droits et de devoirs fondé sur l’égalité ) intervient ici pour pénétrer le for interne et permettre d’apprécier la valeur morale de l’obligation ( Saint Augustin, Abélard ) : le contrat ne doit pas conduire à une situation d’iniquité au détriment de l’une des parties, ni mettre en péril l’âme du promettant ; dans le même sens, Gratien considère que la promesse dont le but est illicite ne doit pas être tenue. Ainsi donc, c’est la cause finale qui donne son espèce à l’acte en même temps que sa valeur morale ( v. Saint Thomas, Somme théologique, I-II, Q 1, a 1, s 1 ).

S’agissant des contrats unilatéraux, les canonistes ont été confrontés à la difficulté de savoir dans quel but les parties ont contracté : le simple consentement créant désormais l’obligation, aucune formalité n’étant requise, les contractants oublient semble-t-il assez régulièrement d’indiquer la prestation qui justifie l’obligation. La question s’est notamment posée au sujet de la preuve : la promesse étant d’ordinaire constatée par un écrit ( cautio ), le créancier doit établir l’existence de la cause, si l’écrit n’en porte pas mention ; dans l’hypothèse inverse, il revient au débiteur de prouver que l’obligation est dénuée de cause. Aussi exigea-t-on, pour limiter les risques, que l’opération juridique apparaisse clairement au contrat ( cautio discreta ). Pour qu’une promesse soit valable, disent les canonistes, il faut un but méritant une protection juridique ( v. John L. Barton, « Causa promissionis again », Tijdschrift voor Rechts-geschiedenis, 34, Haarlem-Bruxelles, 1966, pp. 41-73 ). Le pape Grégoire IX interviendra sur cette question vers 1230, dans la Décrétale si cautio ( X, 2, 22, 14 ).

Les canonistes ont introduit la notion de cause là même où elle était demeurée ignorée en droit romain : dans les contrats synallagmatiques. La volonté de s’obliger trouve sa justification dans le fait que l’autre partie s’oblige à fournir une prestation corrélative ; chacun des contractants peut en conséquence être délié de son devoir de conscience, si l’autre vient à manquer à sa parole. Ce principe, inscrit dans un texte célèbre de la Summa aurea d’Hostiensis ( 1250-1261 ), domine toute l’exécution des contrats synallagmatiques.

Toute obligation, ajoutent les premiers glossateurs, n’est contractée qu’en vue d’un avantage pécuniaire ou d’une intention libérale ( causa naturalis ). A défaut, l’engagement apparaît sans fondement, sine causa, car il ne procure aucune satisfaction au contractant. Il s’agit-là d’une condition essentielle de validité des contrats. Cette doctrine prévaut, dès le XIIe siècle, dans la Summa trecensis et lo Codi ( vers 1150 ).

§ III- La pratique des contrats dans l’ancien droit (XIIIème-XVIIIè siècles)

A-    Les contrats reels. La question du prêt à intérêt

S’agissant des contrats réels, il convient de concentrer son attention sur le prêt, plutôt que sur ce que le doyen Savatier qualifiait de « petits contrats » et que sont le commodat, le gage et le dépôt. Ceux-ci, en effet, après la fin de l’Empire Romain, jouèrent un rôle somme toute marginale dans un contexte socio-économique beaucoup plus favorable aux opérations financières. Par ailleurs, un contrat comme le commodat par exemple, fut facilement identifié avec la res prestita et absorbée par elle. Quant à la fiducie, on n’y eut recours de que façon ponctuelle.

L’essentiel de l’intérêt de la matière se concentre donc sur le prêt, et plus spécialement sur la prohibition du prêt à intérêt. On examinera successivement la prohibition initiale (1), puis son atténuation (2) et enfin sa levée (3) à l’époque moderne et contemporaine.

1- La prohibition initiale de l’usure

Au mot latin de mutuum se substitue précocement celui de prêt. Celui-ci peut être gratuit et constituer un beneficium. Mais le plus souvent, le prêteur n’est pas mû par l’esprit de bienfaisance et exige des intérêts, qui ont en outre tdnce à augmenter (période de « faim monétaire). Contre une telle prétention s’élève tt l’enseignement de l’Eglise.

3 raisons expliquent cette hostilité :

– du point de vue économique, le MA fut lgtps une période de stagnation. Encore au XIIIè siècle à Toulouse, ville commerçante, le prêt ne se présente guère que sous la forme du prêt à la consommation, en vue de parer à des besoins passagers et urgents. Lorsqu’on veut investir des capitaux, on recourt plutôt à la société.

– du point de vue religieux, la prohibition du prêt à intérêt se fonde sur les Ecritures saintes. Ds l’AT (Lv et Dt), il est prescrit de ne pas prêter à intérêt à son frère ; ds l’évangile de Luc (Lc 6, 35), le Christ déclare de son côté : « Prêtez sans rien espérer en retour » ; en outre méfiance générale de l’Eglise pour l’esprit de lucre.

– du point de vue logique : arguments empruntés à Aristote. A la différence de la terre, l’argent est infertile, il ne se reproduit pas ; il est donc illicite de percevoir en qque sorte les fruits de cette chose infertile. En outre, recevoir un intérêt c’est vendre ce qui n’existe pas ; refus d’admettre la vente du temps : n’appartient qu’à Dieu. Enfin, idée que le prêteur reçoit un salaire sans travailler : invitation à la paresse.

Au total, cette hostilité se traduit par le fait que le terme d’usure change de sens et sert à désigner à la fois l’intérêt et le profit illicite.

Dans cette perspective : adoption de mesures contraignantes : Sur les invitations des Pères de l’Eglise, qui stigmatisaient le « tourbillon de l’usure », les conciles du IVè siècle, et en particulier, celui de Nicée (325) interdisent, au moins aux clercs, de prêter à intérêt. Peu après le pape Léon 1er, en 444, affirme que prêter à intérêt = péché mortel, même pour les laïcs. Idée reprise et développée au MA d‘une part par le Décret de Gratien (v. 1140), d’autre part par des conciles comme Latran II (1139) et Latran III (1179). En 1311, Clément V qualifie même d’hérésie la thèse qui prétendait soutenir la légitimité du prêt à intérêt.

Cette législation n’aurait pas été si efficace si elle était restée cantonnée à l’Eglise : fut bientôt doublée par le droit laïc : capitulaire de Charlemagne (789) interdit complètement le prêt à intérêt. Prohibition unanimement reprise jusqu’au XIIIème siècle : Beaumanoir consacre ainsi tt un chapitre à cette question. Conception médiévale tellement rigoriste qu’elle définit l’usure comme le fait de percevoir quoi que ce soit en plus du capital prêté : l’emprunteur doit rendre strictement ce qu’il a reçu et rien de plus.

Sanctions de 3 ordres :

– civil : contrats de prêt à intérêt frappés de nullité absolue ;

– pénal : le seigneur a le droit de confisquer les biens des usuriers, qui sont frappés d’une sorte d’infamie (incapables de témoigner en justice et de faire leur testament) ;

– religieux : usuriers excommuniés et privés de sépulture.

Compétence cumulative des officialités et des tribunaux séculiers (ceux-ci devenant seuls compétents à partir du XVIème siècle). L’ordonnance de Blois de 1579 édicte encore des pénalités contre les usuriers pouvant aller en cas de récidive, jusqu’à la peine des galères.

2- Les atténuations du principe d’interdiction

Renouveau de la vie éco sensible à partir du XIIIè siècle amène le recul de la prohibition : besoin de crédit sape l’interdiction, déjà inégalement appliquée. Ces tempéraments à l’interdiction du prêt se manifestent tantôt sous la forme d’exceptions personnelles tantôt et surtout par le recours à des palliatifs juridiques.

Les exceptions personnelles : MA tolère que certains groupes de personnes pratiquent ouvertement le prêt à intérêt : juifs, Lombards, Cahorsins.

Les palliatifs juridiques : constituent l’essentiel. Consistent à déguiser le prêt à intérêt sous l’apparence d’un autre contrat, anodin. Ces techniques peuvent êtrre réparties en 3 catégories : les unes ne constituent que des déguisements purs et simples ; d’autres sont des combinaisons d’ordre foncier ; les dernières d’habiles combinaisons commerciales.

Les déguisements plus ou moins élaborés : Le faux pur et simple : on indique devoir plus que ce que l’on a reçu : le remboursement de ce capital fictif constitue une rémunération de l’argent prêté ; confirmation par serment de la promesse d’intérêts usuraires ; remise en gage d’un objet valant plus que la somme prêtée et conservé en vertu d’un pacte commissoire (le créancier ne s’inquiète même plus de poursuivre le paiement de sa créance) ; Vente à réméré (le vendeur se réserve le droit de racheter la chose ds un certain délai : le prix de rachat est alors supérieur au prix de vente) ; parfois même : pseudo vente, le pseudo vendeur reprenant immédiatement son bien à bail, à titre de locataire, en payant un loyer correspondant en fait à des intérêts ;

Les combinaisons d’ordre foncier ou agricole : sont bcp plus sérieuses que ces divers expédients : différents ordres religieux, en particulier les Templiers, en firent usage aux XIè-XIIIè siècles :

i.     Le bail à cheptel : bail d’un troupeau (//vente à réméré)

ii.     Le mort gage (appelé auj antichrèse). En garantie d’un prêt reçu, l’emprunteur remet un bien frugifère un immeuble. Pendant tte la durée du prêt, le créancier en percevait les fruits. Pratiquement, les fruits jouaient le rôle d’intérêts. Mort gage eut un vif succès jusqu’au jour où pape Alex III ordonna que désormais les fruits d’un bien engagé soient imputés sur le capital et diminuent d’autant le montant de la dette. L’opération devenait alors u vif gage (vif parce que le gage « travaillait » en qque sorte à éteindre le montant de la dette) ;

iii.     La rente constituée : combinaison de t loin la plus utilisée. Consiste à aliéner une partie de la rente d’un immeuble à un crédirentier. Au MA les constitutions de rente se font encore svt à tire gratuit, au bénéfice d’établissements religieux. Mais au XIII siècle on imagina de constituer des rentes à titre onéreux contre un prix en argent : au lieu de donner une rente, on s’est mis à la vendre. Rente en pcipe perpétuelle, mais en général assortie d’une clause de rachat. Validité de l’opération reconnue par pape Martin V en 1425 (décrétale Regimini) qui posait de strictes conditions : rente doit présenter un caractère foncier= assise sur un bien réel et attachée à lui : en cas de vente du bien, le nouvel acquéreur doit la rente : n’a pas de caractère personnelle ; si le débirentier ne paie pas la rente, le crédirentier peut faire saisir le bien sur lequel est assise la rente, mais pas les autres éléments de son patrimoine) ; contrat ne doit pas inclure une clause de rachat forcée. En réalité, au moment même où la papauté posait ces conditions, la pratique commence à ne plus les respecter : des débiteurs constituent des rentes non pas sur tel ou tel immeuble mais sur touts leurs immeubles à la fois : l’opération est suspecte car le support immobilier est évanescent : rentes volantes ou personnelles. Changt des circonstances éco au XVIème siècle : période de prospérité. Les emprunteurs ne sont plus des malheureux dignes de protection mais des riches, des nobles, des établissements religieux puissants et des entrepreneurs ; ce sont maintenant les prêteurs qui tendent à être de petites gens en quête de placements. Aussi, analyse juridique de la rente change : cf. Dumoulin : pour lui, l’assignat immobilier n’est pas un bien ont on a réservé ou aliéné une partie : il constitue simplement l’hypothèque garantissant le paiement d’une dette personnelle du débirentier. Du même coup, Dumoulin admet les rentes volantes et soutient la légitimité du prêt à intérêt. Le plt de Paris, par un arrêt de 1557 consacre partiellement les idées de Dumoulin. Ttefois, pour la forme, on continua, jusqu’à la fin de l’AR, à exiger un vague assignat immobilier. Ainsi, qd le roi empruntait, il constituait des rentes qui étaient théoriquement assignées sur l’Hôtel de Ville de Paris. Enfin, législation ne pouvant empêcher le prêt à intérêt, tend à en limiter les effets : réduction des taux.

Les pratiques commerciales : tolérance traditionnellement + grande ds ce domaine. Dès le XIVè siècle, le prêt à intérêt se pratique, ss trop de détours, aux foires de Lyon. Plusieurs techniques :

i.     Change des monnaies

ii.     Prêt à la grosse. D’abord condamné par Grégoire IX ; interdiction tournée en Italie puis en France. Finalement validé par la Rote romaine en 1673 : risques considérables pris par le prêteur.

Au total, grâce à ttes ces combinaisons, la prohibition, au début de l’époque moderne, commence à être profondément ébranlée. Elle avait d’ailleurs perdu sa raison d’être.

3- La levée de l’interdit

Evolution des doctrines religieuses : Dès la fin du XVè des religieux franciscains ouvrent des Monts de piété (Monte signifie banque en italien), pour éviter que les ptites gens ne s’adressent aux usuriers. Ces établissements se procurent eux-mêmes de l’argent en en empruntant, moyennant une faible rémunération.

Réflexion des théologiens et des canonistes, notamment jésuites, allant ds le sens d’un assouplissement. Finalement ce n’est qu’au cours du XIXè siècle que l’Eglise se résigne au prêt à intérêt et prescrit au clergé de ne pas inquiéter les personnes qui le pratiquent en se conformant aux lois séculières.

Evolution de la législation laïque. Dès le XIVè siècle, le roi, tt en continuant à prohiber l’usure, prend le parti, sous prétexte d’une répression + efficace, de concentrer les pénalités sur les taux excédant 20%/an : taux inférieurs civilement nuls mais non poursuivis sur un plan pénal.

Subtile construction doctrinale va apporter une solution de fond en considérant de façon différente l’usure, tjrs prohibée, et les intérêts licites. Le point de départ  = la notion de DI compensatoires (en cas de retard ds le remboursement). Pratique s’empara de cette idée : une échéance, très proche de la date de remboursement du prêt était fixée : certes, celui-ci restait gratuit jusqu’à cette date ; ensuite, débiteur devait des intérêts pour le retard.

Ds le courant du XVIIIè siècle, des plts admirent franchement le prêt à intérêt en matière commerciale. Enfin, constituante, par le décret du 3 octobre 1789, valide le prêt à intérêt ds la limite d’un taux légal maximum.

Au total, prohibition du prêt dépend avant tt de la situation économique (cf micro crédit aujourd’hui).

B-   Les contrats consensuels

1- La vente

La vente au comptant. Altération du droit romain classique déjà apparente au BE ds les actes de la pratique. T. nette chez les Wis et les Burgondes, pour qui le paiement du prix apparaît nécessaire à la validité de la vente. Droit franc trop fruste pour distinguer clairement le contrat de vente, créateur d’obligations, et le transfert de propriété : ne pratique pas l’acte à terme mais l’acte au comptant ; enfin, individualise mal les différents types de contrats : la vente, l’échange et la donation par exemple. Loi salique ne traite que de la vente au comptant déjà exécutée. Capitulaires caro réprouvent les paiements anticipés. Jusqu’au XIIè siècle, la confusion es à son comble : vente pas distinguée de la donation. Apparaît svt comme un contrat réel, qui n’est ferme qu’après la remise de la chose ou le paiement du prix. La nécessité du facteur temps apparaîtra qd a pratique imposera la conclusion de ventes à crédit ou de ventes à livrer : alors le caractère consensuel du contrat, son rôle de créer des obligations apparaîtra vraiment : cf. art. 1583 C. Civ.

Livraison de la chose et transfert de propriété : 1ers glossateurs reprennent les définitions romaines et admettent que le vendeur n’est pas tenu de transférer la propriété. Toutefois, actes de plus en plus nombreux portent la mention « vendo et trado ». Dès le XVIè siècle, on parle de clauses translatives de propriété et si les actes continuent à les insérer, Grotius et son école vont admettre que la volonté des parties suffit à opérer le transfert. La jurisprudence avait admis la tradition feinte, clause nommée souvent la dessaisine, par laquelle le vendeur déclare se dessaisir « de droit et à l’instant » de la chose vendue Le C Civ a fait disparaître ce vestige du droit romain en décidant que l’engagement est consommé dès que la foi est donnée (cf. art. 1583).

Les risques : La vente à terme pose la question de la perte de la chose vendue. La règle res perit emptori est reprise du Digeste par les glossateurs comme par les canonistes. Les premiers, les jus naturalistes Pufendorf et Barbeyrac montrent son anomalie : le vendeur qui n’a pas livré reste propriétaire ; il faudrait dire res perit domino. Les deux formules apparaissent finalement équivalentes à partir du moment où la vente opère transfert de propriété : art. 1138 C. Civ : « L’obligation de livrer la chose rend le créancier propriétaire et la met à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée. »

Les garanties : reprise des garanties romaines contre l’éviction : impose au garant de prendre fait et cause pour l’acquéreur.

Quant à la garantie des vices cachés, elle apparaît au Ma comme affaire de police réglée par les coutumes et ds le Midi par les statuts urbains.

2- Le louage

Epoque barbare ne paraît aps avoir pratiqué le louage de choses ; mais les actes des XIè-XIIè en fournissent d’assez nbreux ex : ds les villes, on loue des maisons et des boutiques mais aussi des fonds ruraux, des pâturages, des moulins. 2 situations distinctes :

– l’époque inclinait v la perpétuité des rapports : emphytéose = droit perpétuel, bientôt analysé comme conférant le domaine utile ; toutes les fois, au contraire, où l’on veut créer un droit qui ne soit pas perpétuel, qui ne crée pas une tenure, on recourt à un louage : implique un rapport temporaire ;

– si le cens est perpétuel, sa valeur est souvent minime (on parle de cens recognitif). A l’inverse, le loyer représente la valeur de ce qui est loué. Le bailleur recherche non l’influence politique mais le profit : on parle alors svt d’arrentement.

Liberté des conventions : la liberté est la règle : la durée du contrat, les obligations des parties, notamment la fixation du loyer, sont laissées au libre jeu des volonté. La coutume paraît n’avoir joué qu’un rôle secondaire. Cepdt, un traits peut être noté : la prépondérance du bailleur : celle-ci apparaît ds les clauses du contrat qui mettent couramment des travaux ou des services à la charge du preneur, fixant longuement ses obligations (notamment pour la culture des terres). Cette prépondérance apparaît encore plus nettement ds les clauses concernant le paiement des loyers. Le bailleur peut, par exemple, rendre la maison inhabitable, en « ostant les huis de la maison ».

Le contrat de travail : Le contrat de travail qd il est pratiqué, et plus encore le contrat d’apprentissage, sont généralement reçus par des notaires ; ressortissent du droit corporatif. Pour les ouvriers, les statuts urbains se préoccupent de leur sort et de leur salaire comme d’interdire leurs réunions. Le louage d’ouvrage, pour sa part, a un caractère personnel très marqué : ainsi en est-il des baux à besogne conclus par des artistes.

Désintérêt du droit savant pour ce type de contrats.

Après 1789, au contraire, les interventions législatives sont fréquentes. On va protéger « la liberté naturelle de l’homme contre ses téméraires engagements ». Constitution de l’an III, suivant en cela la jurisprudence des XVIIè-XVIIIè siècles, ne permet de louer es services qu’à temps. Le C. Civ. Ignore l’idée de juste salaire mais reprend ds l’art. 1781 une jurisprudence du Châtelet de Paris et de certains plts selon laquelle le maître est cru sur sa simple affirmation pour la fixation et le paiement du salaire.

3- La société

Les communautés familiales : Evolution peut être aisément comparée à celle du droit romain. A l’antique consortium romain répond la communauté franque. En fait, il s’agit + d’une indivision que d’une société. Dès le ht MA la tdce à l’association est certaine ; et même qd l’association est volontaire, elle reste constituée sur le modèle familial ; les associés sont des frères ; le contrat est appelé un affrèrement (notamment en Provence) : communauté universelle impliquant une solidarité des créances et des dettes.

Les sociétés commerciales : Dév du commerce, trafic terrestre et maritime suscite, dès le Xème siècle, de nouvelles créations :

– la société en commandite : remonte à une haute Antiquité mais a pris ses traits définitifs en Italie au MA (Commendare en italien signifie confier) : commanditaire confie un capital à l’associé gérant, e vue de le faire fructifier ;

– la société par action : comportent le droit de céder l’action et une responsabilité limitée de la part des associés. Apparaissent fin du MA pour les grandes banques ; se développent aux XVIè-XVIIè siècles avec les grandes compagnies de commerce ; certaines ont célèbres, comme la compagnie des Indes orientales. En France, ces sociétés sont le plus souvent de création royale. Ds ces sociétés par actions, on se situe aux antipodes de l’idée romaine de fraternité entre associés.

La personnalité morale des sociétés apparaît aux alentours de 1600. On reconnaît alors aux créanciers de la société une priorité sur les biens sociaux par rapport aux créanciers personnels des associés. La grande ordonnance de L. XIV sur le commerce (1673) ne parle pas encore de cette personnalité morale des sociétés : elle résulte d’un privilège spécial, accordé par le roi aux sociétés par actions.

Depuis la Révolution : Crise des sociétés  par actions se produit pdt la Rév., liée à des scandales : affaire de la caisse d’Escompte (août 1793), accusée d’avoir soutenu la monarchie ; ventôse et germinal an II, affaire de la compagnie des Indes, ds laquelle Fabre d’Eglantine est compromis. Convention décida donc la suppression des compagnies financières «  et généralement de ttes celles dont le capital repose sur des actions transmissibles à volonté » (décret du 24 août 1793). Pour l’avenir, on prévoyait un syst d’autorisation préalable.

Il subsiste qqche des préoccupations de la Convention ds le code de commerce de 1807 : art. 37 précise que ttes les sociétés anonymes (mais non ttes les sociétés par actions : les sociétés en commandite sont libres) ne peuvent exister qu’avec l’autorisation du gouvernement. Cet art a fait l’objet de vives critiques : dérogation à la liberté du commerce ; autorisation pouvant être confondue avec un cautionnement de l’Etat. Ces critiques ont abouti à la L. 24/07/1867 qui établit la liberté totale ds constitution des sociétés anonymes.

4- Le mandat

Evolution du mandat : Technique du mandat inséparable de celle de la représentation.

1- Formalisme du droit Franc ne permet pas au mandataire de prendre la place du mandant, tandis que la structure de la société répugne à l’institution. Ds la famille, le mundium donne aux personnes en puissance un protecteur qui agit d’ailleurs en son proper nom. Pour les actes de la vie courante, o recourt, à l’époque féodale, à des expédients divers.

Hors de ce domaine, on peut trouver, dès l’époque féodale, qques exemples de mandat. Par exemple o confie à un intendant ou régisseur le « gouvernement » d’un domaine, et delà on en vient à l’institution du prévôt (royal ou seigneurial). Le mandat n’a alors plus rien d’un contrat : est un commandement, un ordre, rogatio, preceptum. Se rapproche même parfois du louage.

2- Renaissance du droit romain va marquer l’extension du mandat, mais aussi faire svt perdre à ce contrat ses caractères propres : Admission progressive de la représentation parfaite. Ds le droit franc, comme ds l’ancien droit romain, on l’a vu, le caractère solennel des contrats ne permettait pas l’usage de la représentation. La pratique de l’écrit rend au contraire la représentation possible, en même temps que les pratiques du commerce en font une nécessité.

On distingue mal le messager (nuncius) du mandataire et du procurateur. On trouve, au moins dès le XIIè siècle ds le Midi le bayle (bajulus) qui gère les biens d’autrui, d’une communauté comme d’un mineur. Représentation encore imparfaite : hésitations de la pratique.

Certains glossateurs (Martinus) imaginent de donner au mandat une action utile. Mais l’idée de représentation parfaite n’est pleinement admise que ds le Sexte : on peut agir pour un autre comme pour soi. Chez les Romanistes, Bartole devait admettre le même principe.

Après le XVè siècle, l’idée passe ds la pratique. Loysel écrit : « Assez fait qui fait faire ».

La seule difficulté subsistante = la représentation en justice : règle « nulle ne plaide par procureur ». Tombe en désuétude à la fin du MA et ne signifie plus qu’une chose : le nom des plaideurs (et non celui de leurs procureurs) figure seul sur les actes de procédure.

pdt tt le MA, les individus comme les collectivités agissent par procureur : o se marie par procureur ; on envoie un procureur siéger à sa place aux Etats ou, pour un évêque, au concile provincial ; un bénéficier prend possession par procureur. Il y a des procureurs ou mandataires de tt degré.

Technique romaine et pratiques nouvelles. A ttes ces solutions romanistes et décrétalistes vont appliquer les solutions romaines. Sur qques points, cepdt, hésitations :

1- on admet difficilement la responsabilité du mandataire pour les pertes fortuites

2- On regarde la gratuité comme de l’essence du mandat : tte convention concernant le salaire du représentant transforme le mandat en louage de services ;

3- Tdce à limiter les pouvoirs du mandataire : rejet du pouvoir d’aliéner ; mandant doit être consulté ttes les fois que la chose est possible ; rédacteurs du C civ. Marqueront une hostilité très nette au mandat tacite.

Pourtant, usage très fréquent du mandat par le droit commercial.

CCL: Evolution de la pratique et du droit coutumier

Très tôt, un grand nbre de coutumiers du XIIIè siècle, en particulier Beaumanoir (1283) se réfèrent à une maxime remarquable : « Toutes convenances sont à tenir » (convenances renvoyant à la vieille convenientia : cf. supra).

De même ds le livre de jostice et de plet, rédigé v. 1260 et qui est t. influencé par le droit romain, on trouve l’idée qu’il convient de s’attacher à la valeur du consentement.

Ceci n’empêche d’ailleurs nullement, encore au XIIIè-XIVè siècles la coexistence avec les anciens modes, formalistes, d’engagement : hésitation devant une modification du mécanisme de formation des obligations contractuelles. Persistance du formalisme encouragé par la méfiance populaire à l’égard des novelletés. : Peur des engagements inconsidérés : « belle promesse fait fol lié. »

Percée du consensualisme ds la jurisprudence du plt dès la fin du XIIIè siècle.

Néanmoins, méfiances suscitées par la réception du droit romain en France : hostilité des créanciers qui voyaient dans les lois romaines des pièves accumulés au profit des débiteurs et dirigés contre la certitude de leurs droits. Les notaires, tjrs soucieux de prémunir leurs actes contre la nullité, ne pouvaient que redouter les arguments et les exceptions tirés des lois romaines.

Le remède fut trouvé ds l’usage des renonciations. Ds les actes qu’ils recevaient, les notaires insérèrent les renonciations des parties à tous les bénéfices et exceptions qu’elles pourraient invoquer. Cette pratique atteignit une telle importance qu’elle tint en échec tte la législation romaine déchue au rang de simples règles interprétatives. Tjrs, d’ailleurs, la renonciation s’accompagnait d’un serment et par là, elle était mise sous la protection du droit canonique, plus large encore que le droit romain.

Ex de renonciations : mineur peut renoncer à l’exception de minorité comme à la restitutio in integrum ; femme peut renoncer au SV Velléien ou à l’inaliénabilité dotale ; o renonce aux exceptions de dol, fraude, violence, lésion, à l’exception non numeratae pecuniae.

Moyennant ces aménagements, le droit coutumier a reçu presque entièrement, en matière de contrats, le droit romain. A partir du XVè, les coutumiers ne traitent presque plus et même plus du tout des contrats : le domaine contractuel cesse désormais de ressortir du droit coutumier et dépend uniquement désormais du droit romain pour ce qui est de la technique. Les coutumes rédigées au XVIè siècle traiteront encore moins, s’il est possible, des contrats.

Progrès décisifs du consensualisme dst te l’Europe continentale entre le XVè et le XVIIè siècle.

En France, on rencontre encore, jusqu’à la fin du XVIè siècle, et même plus tard, l’usage du serment ou de la paumée. Mais le sens de la pratique notariale et commerciale est novateur : les notaires insèrent clause stipulatoire de style. Duaren, mort en 1559 peut ainsi écrire : « Auj. il n’y a pas de formule de contrat conçue sans stipulation. » Formulaire notarial s’embarrasse de moins en moins des longues clauses qui, au MA, étaient destinées à abriter les actes de tte contestation.

Les commerçants vont encore plus loin et, dès la fin du XIVè siècle, en Italie, l’on ne fait plus aucune différence, devant les cours des marchands entre un pacte nu et une stipulation. Les tribunaux seront obligés de suivre.

Le résultat de cette évolution est accueilli par les auteurs coutumiers. Loysel : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles » ; « Autant vaut une simple promesse ou convenance que les stipulations du droit romain. »

Même les plts méridionaux, qui sont pourtant largement responsables, à partir du XVIIè siècle, de la romanisation en profondeur du droit ds leur ressort, acceptent le consensualisme.

Evolution achevée, en France du moins, bien avant le XVIIIè siècle. Ce résultat explique que le Code de 1804 ne consacre même plus le consensualisme : il l’admet implicitement comme un point définitivement acquis. 2 choses devaient seult être retenues ds sa rédaction.

–           l’une est l’art. 1134

–           l’autre, les règles posées au sujet des contrats innommés : sont soumis aux mêmes règles que les contrats nommés (art. 1107). L’art. 1703 précise même que l’échange, comme la vente, se forme par le seul consentement…

–           De cette formation de l’obligation contractuelle par le seul consentement, il faut rapprocher le transfert de propriété par ce seul consentement. Prôné aussi par Grotius et Pufendorf, il a été édicté par l’art. 1583, à la suite d’une intervention de Portalis. Néanmoins, cette fois, il s’agit d’ne innovation, car t en étant bien proche, la règle ne s’était pas encore imposée à la fin de l’AR.

Section III : de l’autonomie de la volonté à l’encadrement normatif des pratiques contractuelles

§I- La doctrine jusnaturaliste

 

A- La consécration théorique du contrat

Au XVIe siècle, l’humanisme, imprégné de l’idée de l’homme, défend la liberté intellectuelle, tout en donnant un fondement humain à la morale. A la suite de la Réforme protestante, se font jour des tendances qui renouvelleront à la fois la conception de l’État et le domaine des obligations ; prenant pour base le principe du contrat et le respect des conventions, les philosophes et les jurisconsultes libéraux, Spinoza ( 1632-1677 ) en Hollande, Pufendorf ( 1632-1694 ) en Allemagne, exposent que de ce contrat, transporté dans le droit politique, naissent les droits civils des personnes : comme par exemple la liberté ou la propriété. Cette théorie du contrat social constitue le fondement du Traité de théologie et de politique de Spinoza ( Hambourg, 1670 ). L’état de nature étant soumis au règne de la force, les hommes se trouvent dans l’obligation de s’unir pour assurer leur tranquillité ; d’où un contrat, qui les fait passer de l’état de nature à l’état civil ; ainsi il n’y a plus de dualisme entre la société et l’individu, l’individu créant la société comme il crée le droit. En politique donc, toutes les relations reposent sur des conventions qui, au besoin, peuvent être dissoutes.

L’idée de contrat, fondée sur la nature et la raison, servit également d’assise, à partir du XVIIe siècle, à la théorie de l’autonomie de la volonté. Être autonome, dira Kant ( 1724-1804 ), c’est être affranchi de toute autre loi que celle qu’on trouve en soi-même ( Willenstheorie, Willensdogma ). A partir de la même idée, le libéralisme économique considère que le libre échange des produits et des services, en dehors de toute intervention législative, représente le meilleur stimulant de la production et le plus juste procédé de répartition. Ramenée aux idées les plus simples, la théorie de l’autonomie de la volonté se traduit juridiquement par les principes suivants :

1°  La volonté humaine, dotée d’une autonomie contractuelle presque illimitée, crée le droit et l’obligation par la soumission du débiteur au créancier ; elle peut, en sens inverse, modifier, transférer, ou supprimer le droit ; d’après Pufendorf, droit et liberté demeurent indissociables : un individu est lié comme il l’a voulu et tant qu’il l’a voulu ( Le devoir de l’homme et du citoyen d’après la loi naturelle, Lund, 1673 ). Il faut donc écarter tout formalisme dans la création de l’obligation, et admettre, contrairement au droit romain, que tout pacte oblige. Au XVIIIe siècle, les physiocrates présentent la société comme une série d’individus libres et autonomes, unis entre eux par des rapports contractuels d’échange ;

2°  Le contrat, base de toute autorité parmi les hommes, est supérieur à la loi, qui doit seulement suppléer au défaut de volonté. La loi, explique Rousseau ( 1712-1778 ), n’est que l’expression de la volonté générale ; elle s’efface devant les volontés particulières, sauf dans le cas où l’ordre public est en jeu. Il faut donc user le moins possible de la force légale ; la loi peut être indispensable, mais il s’agit alors d’un mal nécessaire ( Du Contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, 1762 ) ;

3°  La volonté ne peut que réaliser la justice. Le débiteur ne peut se plaindre d’être injustement obligé, dans la mesure où il a voulu être obligé. Volenti non fit injuria. « Qui dit contractuel dit juste », écrit Alfred Fouillée ( 1838-1912 ), un disciple de Kant, l’auteur de la philosophie des idées-forces. Kant a écrit lui-même  : « Quand quelqu’un décide quelque chose à l’égard d’un autre, il est toujours possible qu’il lui fasse quelque injustice, mais toute injustice est impossible quand il décide pour lui-même » ( Doctrine du droit, trad. Barni, p. 169 ).

B- L’école française :  la synthèse du droit romain et du droit naturel

Si les auteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles demeurèrent en général assez éloignés des idées philosophiques, ils subirent néanmoins ces courants et inclinèrent à trouver dans le droit romain une expression parfaite de la raison. Attentifs aux leçons de Grotius ( 1583-1645 ), de Vinnius ( 1588-1657 ) et de Pufendorf, l’auvergnat Jean Domat ( 1625-1696 ) et l’orléanais Robert-Joseph Pothier ( 1699-1772 ) firent de la liberté et de la volonté un élément créateur de droit ; ils ramenèrent les lois romaines à des idées abstraites, conformes aux principes premiers et à la raison naturelle : le droit romain, explique Domat, contient « le droit naturel et la raison écrite » applicables à tous les pays et à tous les temps, atteignant « l’ordre par le retranchement de l’inutile et la clarté par le simple effet de l’arrangement » ( v. Paul Ourliac et Jean-Louis Gazzaniga, Histoire du droit privé français, op. cit., p. 158 ).

A la fin du XVIIe siècle, l’affrontement se poursuit entre le droit romain et les coutumes, si chères jadis à Étienne Pasquier ( 1529-1615 ) et à Charles Dumoulin ( 1500-1566 ), qui voyaient en elles des manifestations du tempérament national ; mais les romanistes demeurent influents : après Claude Henrys, mort en 1662, accourt à la défense du droit romain le jurisconsulte Jean Domat, un ami de Pascal, qui passa la majeure partie de sa vie comme avocat au siège présidial de Clermont en Auvergne. Dans ses Lois civiles dans leur ordre naturel ( 1689 ), Domat réalise une construction géométrique, cartésienne, romaine, qui sera fort bien accueillie dans un pays où l’on vit sous l’empire d’une multitude de codes coutumiers, d’esprit différent ; il ouvrit la voie à l’unité future, qui n’était encore qu’un rêve.

Comme chez Domat, le raisonnement juste, la profondeur, la rigueur et la clarté, dominent l’oeuvre de Pothier. Fils d’un conseiller au Présidial d’Orléans, Pothier débute dans la carrière scientifique par un ouvrage sur la Coutume d’Orléans, qu’il donne au public en 1740 ; puis, en 1760, après un commentaire du Digeste ( Pandectae Justinianea in novum ordinem digestae, Paris-Chartres, 1748 ), paraît son Traité des Obligations, livre classique et essentiel, dont les solutions pratiques, élaborées à partir d’éléments empruntés au droit romain, seront du plus grand secours aux rédacteurs du Code civil. Jusqu’à la fin de ses jours, Pothier occupa le double poste de conseiller au présidial et de professeur de droit français à l’Université Orléans, où il avait été désigné en 1750, pour succéder à l’un de ses amis, le jurisconsulte Michel Prévost de la Jannès ( 1696-1749 ).

La nouveauté, chez Domat et Pothier, tient avant tout à l’esprit de synthèse qui domine dans leurs travaux et à la systématisation. A l’instar des canonistes, prenant pour base les textes des Institutes et du Digeste, ils présentent une théorie des obligations qui fait du seul consentement le fondement du contrat ; et d’expliquer, comme avant eux Grotius et Pufendorf, que les individus étant par nature libres et égaux, ils créent eux-mêmes leurs lois : « Les conventions, écrit Domat, sont des engagements qui se forment par le consentement mutuel de deux ou de plusieurs personnes qui se font entre eux une loi d’exécuter ce qu’ils promettent » ( Les loix civiles dans leur ordre naturel, Chez la veuve Savoye, Paris, 1767, t. 1, 1, 1 p. 19 ). La société civile, disent-ils, repose toute entière sur le contrat. Il y a autant de contrats que l’esprit humain peut en imaginer : « La matière des conventions est la diversité infinie des manières dont les hommes règlent entre eux les communications et les commerces de leur industrie et de leur travail, et de toutes choses selon leurs besoins » ( Jean Domat, Les loix civiles.., op. cit., t. 1, 1, 1, 1, 1, 3, p. 20 ).

Cependant, aussi libres que soient les parties, cette liberté n’est jamais absolue : les contractants doivent en effet être capables ; la convention ne pas être contraire aux lois ou aux bonnes moeurs ; et le consentement exempt de vices. La principale avancée, en ce domaine, demeure sans conteste l’élaboration de la théorie des vices du consentement ; en droit romain, le dol et la violence étaient des agissements sanctionnés par le préteur, mais qui n’altéraient pas la volonté. D’abord développée par les canonistes, l’idée de vice du consentement a ensuite été reprise par l’École du droit naturel, puis par Domat qui lui donna sa forme définitive : « Les conventions étant des engagements volontaires, qui se forment par le consentement, elles doivent être faites avec connaissance et avec liberté ; si elles manquent de l’un ou de l’autre de ces caractères ( .. ) elles sont nulles » ( Les loix civiles.., op. cit., t. 1, 1, 1, 1, 2, 2, pp. 21-22 ). Pothier range dans cette catégorie : l’erreur, la violence, le dol, la lésion et le défaut de cause ( Traité des obligations, n °16 ).

L’ensemble de ces principes se retrouve chez la plupart des auteurs du XVIIIe siècle ( Denisart, Ferrière, Guyot, etc. ). Telle peut être résumée la conception du contrat à la fin de l’ancien droit. Les rédacteurs et les commentateurs du Code civil l’enrichiront et la mettront en forme.

C.- Les obligations contractuelles dans le Code civil

Les rédacteurs du Code civil ne prétendent aucunement à être des créateurs ; comme le souligne très justement Esmein, ce sont des disciples et non des prophètes (« L’originalité du Code civil », in Le Code civil, 1804-1904.., op. cit., t. 1, p. 5 ). Dans le domaine des obligations, le Code emprunte pour l’essentiel aux juristes des siècles précédents : la matière toute entière était chez les auteurs de la fin de l’Ancien Régime, qui ont transmis la tradition romaine, corrigée par le droit canonique et le droit naturel.

S’agissant des dispositions relatives au contrat, le Code ne s’éloigne guère des principes exprimés par les philosophes et les juristes libéraux des XVIIe et XVIIIe siècles : consensualisme, autonomie de la volonté, liberté contractuelle. Le plan suivi reprend dans ses grandes lignes le Traité des obligations de Pothier. Mais avec l’unification des lois civiles, le Code ouvre une ère nouvelle dans l’histoire du contrat : pour la première fois, en effet, il met à la disposition des juristes un corps de règles organisant l’ensemble des rapports contractuels ( v. Jean-Louis Gazzaniga, Introduction historique.., op. cit., n°s 159-167, pp. 176-190 ).

A en croire les rapporteurs, tout serait romain dans cette partie du Code ; qu’il s’agisse des définitions du contrat, des classifications, des effets, de l’exécution, ou même du plan des chapitres. Ainsi la définition du contrat de l’article 1101 est-elle mot pour mot la définition de l’obligation de Pothier ( Traité des obligations, op. cit., n° 3 ), elle-même empruntée au Digeste ( Digeste, 2, 14, 2 ). Mais il ne faut cependant pas exagérer la part faite au droit romain. Cela semble évident, en particulier s’agissant du principe du consensualisme : au Moyen Âge, les juristes facilitèrent la généralisation du consensualisme, moins par fidélité à la loi romaine qu’à raison des nécessités pratiques de se passer de formes pour conclure rapidement des marchés ; plus tard, dégageant l’autonomie de la volonté, l’École du droit naturel et la philosophie contribuèrent elles aussi, pour une large part, au triomphe du contrat consensuel. En réalité, il s’agit d’une théorie construite aux XVIIe et XVIIIe siècle, exposée par Domat et Pothier, puis reprise dans le Code civil, à partir d’éléments empruntés au droit romain.

Il n’y a pas à proprement parler dans le Code d’affirmation de principe de la liberté contractuelle : l’article 1134 dispose que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, lorsqu’elles sont légalement formées ; et l’article 6 d’ajouter qu’on « ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs » ; d’où il faut déduire qu’on peut déroger à toutes les autres. Or, comme d’après le jeu des règles de la preuve il faut nécessairement prouver l’illicéité d’une convention, la liberté contractuelle apparaît donc comme étant la règle. Cette liberté résulte, dans la pensée des rédacteurs du Code, du principe de l’autonomie de la volonté ; mieux vaut laisser aux personnes le soin de régler elles-mêmes leurs rapports juridiques plutôt que d’utiliser la force de la loi ; en tout cas, tant que celle-ci n’en décide pas autrement. « Le Droit au sens le plus large du mot, écrit Charles Beudant, est la science de la liberté » ( Le Droit individuel et l’État, A. Rousseau éd., Paris, 1891, p. 5 ) Pour les auteurs du XIXe siècle en effet, philosophes, juristes et sociologues, l’article 1134 n’est en définitive que la transcription juridique de l’autonomie de la volonté ( v. Jean-Louis Gazzaniga, Introduction historique.., op. cit., n° 165, pp. 187-188 ).

Au titre III, consacré aux « obligations conventionnelles en général », le Code donne une énumération sommaire des divers types de contrats ( art. 1101 à 1107 ). Mais de manière sous-jacente, les rédacteurs opèrent une triple distinction : 1° les contrats se divisent en consensuels, solennels et réels, d’après le mode de formation ; 2° en contrats synallagmatiques et unilatéraux, d’après le nombre des obligations qui en naissent ; 3° en contrats à titre onéreux et contrats à titre gratuit, d’après la nature de ces obligations. Il y a dans les expressions même du Code beaucoup de souplesse et une grande facilité d’adaptation. Puis au chapitre 2, l’article 1108 traite des conditions essentielles pour la validité des conventions : le consentement, la capacité, l’objet et la cause. Sous la rubrique du consentement figurent l’erreur, la violence et le dol ; pour la lésion, les rédacteurs ont rétabli les règles concernant la vente d’immeuble et le partage, tout en écartant la lésion comme cause de rescision dans la théorie générale des contrats : l’article 1118 décide à cet effet que la lésion ne vicie les convention « que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes » ( mineurs ).

§ II- La philosophie volontariste et l’autonomie de la volonté

Autour du Code, mais surtout après lui, au cours du XIXème siècle et essentiellement vers sa fin, le consensualisme a été exalté d’une manière véritablement extraordinaire, avec la théorie de l’autonomie de la volonté. Cette théorie s’est édifiée sur 3 bases : juridique, pol, philosophique.

–           fondement juridique : art. 1134 C. Civ.  Qui met la convention a égalité avec la loi ;

–           fondement politique : doctrine libérale et individualiste (contrat social ; protection de la propriété individuelle) ; liberté du commerce prônée par les Physiocrates et consacrée par la Constituante ; liberté du travail. Les seules limites : le respect de l’OP et des BM.

–           Fondement philosophique : philosophie humaniste kantienne ; Fichte. Juristes allemands du début du XIX proclament ainsi le « Willensdogma » : le dogme de la volonté et- élaborent la Willenstheorie. Ces idées seront acclimatées en France, mais après 1850, c’est-à-dire à un moment où les philosophes allds commencent à les abandonner.

A-    La doctrine de l’autonomie de la volonté

Etym autonomie

1-    L’élaboration de la doctrine

Expression « autonomie de la volonté » n’apparaît que tardivement. Ne figure pas ds le Code. Le 1er auteur à l’employer = A. Weiss, Traité élémentaire de droit international privé, paru en 1886. Les juristes français s’en emparent aussitôt et lui donnent une application considérable, y compris en droit interne, ce qui constitue une nouveauté indiscutable :

–           En droit international privé : autonomie de la volonté signifie que les parties ont le droit de choisir librement la loi à laquelle le contrat serait soumis. On ira même jusqu’à accepter implicitement qu’un contrat international échappe à tte loi nationale.

–           En droit civil interne. La volonté = le fondement de la force obligatoire des conventions, l’égale de la loi. Pour ce qui est de la forme des contrats, elle justifie le consensualisme ; elle explique aussi la notion de vices du consentement. Pour ce qui est du fond, le pcipe de liberté des conventions est proclamé, sous réserve des lois impératives et d’OP, qui doivent être réduites au minimum : le pcipe = lois ne sont que supplétives, présumant une volonté qui a omis de s’exprimer. NB : En France, la doctrine a considéré le consensualisme comme une application du pcipe d’autonomie de la volonté, ce qui est historiquement faux.

2-    Les excès de la doctrine

« Le droit c’est l’autonomie de l’être humain » ; « l’idée de liberté = le pcipe du droit » (Ch. Beudant, 1891). Ds une telle perspective, tte institution finit par avoir une explication volontariste : le droit contractuel tend à se confondre avec le droit civil tt entier. Hauriou, adversaire de cette doctrine, parlera à son endroit de « débordement du contrat. »

Impérialisme de la notion. Il s’est produit un véritable retournement des positions : ds l’art. 1134, les conventions doivent être légalement formées ; désormais, ce n’est plus le contrat qui est fondé sur le droit, mais le droit qui est fondé sur le contrat. Telle n’avait pas été du tout la pensée des révolutionnaires…

Au lieu de cela, Fouillée écrit la phrase célèbre : « Qui dit contractuel dit juste. ». L’idée allait être poussée jusqu’en ses plus extrêmes conséquences par certains auteurs, prônant la liberté absolue des conventions, et proposant de réduire l’OP et les dispositions impératives au minimum, soutenant qu’il ne fallait faire aucune législation du travail, puisqu’il ne pouvait d’autre juste salaire que le salaire convenu. On comprend sans peine qu’on ait pu parler de « fétichisme de la volonté et du contrat », de « superstition » ou « d’exaspération métaphysique de l’autonomie de la volonté » (Carbonnier).

B-    La révolte de la réalité sociale et la critique de l’autonomie de la volonté

1-    Les changements dans la réalité sociale et juridique

2ème ½ 19ème siècle voit naître industrialisation et nouvelles préoccupations sociales. Un peu plus tard, à l’aube du XXème, c’est le contrat lui-même qui doit tenir compte d’un nouveau climat.

L’apparition du droit du travail : Enquête Villermé (1337-1840) : enfants de 6 ans travaillant au fond des mines 12 heures par jour. Lacordaire « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit. »

D’où vote des 1ères lois sociales (1841 et 1848)

La diminution du rôle de la volonté dans les contrats : contrats d’adhésion (R. Saleilles) ; règlements d’ateliers = fiction les fait considérer comme tacitement inclus ds le contrat de travail et par là sont réputés acceptés. Plus tard, conventions collectives. La liberté contractuelle tend aussi à s’estomper : extension considérable de la notion d’OP par la jurisprudence. Enfin jusque ds la formation des contrats, le rôle exclusif du consentement recule et l’on a pu parler d’une « renaissance du formalisme. »

2-    La critique doctrinale de l’autonomie de la volonté

Objections souvent inspirées par l’idéologie politique et sociale, d’inspiration socialiste ou socialisante. Cf. Encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII (1891) : proclamait que la justice naturelle est au dessus de la liberté des contractants.

Réhabilitation doctrinale du formalisme : « la forme est le palladium de la liberté » (Ihering).

En France, l’attaque en règle est l’œuvre de R. Saleilles, Léon Duguit, Maurice Hauriou et surtout Emmanuel Gounot (1912) : réfutation énergique de la théorie de l’autonomie de la volonté, d’abord quant à son point de départ individualiste, qualifié de « robinsonisme social », puis de la volonté comme fondement du droit. La volonté, écrit Gounot, est « au service du droit ». Critique ensuite la volonté comme fondement des contrats : leur force dérive de leur fonction ds le monde, en vue du bien commun. La liberté ne donne qu’une présomption de justice, non une certitude. En réponse à Fouillée, Gounot affirme que la justice n’existe que si existe une équivalence des prestations ; liberté contractuelle peut devenir un instrument d’oppression.

Introduction

« Rien n’est plus digne d’étude que l’autorité des lois, qui disposent au mieux des choses divines et humaines et bannissent toute iniquité. »

Justinien, Constitution Deo auctore du 15 XII 530

 Critique du libellé de ce cours

« Introduction historique au droit public et au droit privé » : dénomination idéologique, pour au moins deux raisons :

– fait de la division du droit en public et privé une sorte d’invariant nécessaire, alors que c’est le résultat de circonstances ponctuelles et localisées.

– postule la dépendance de l’histoire à l’égard du droit et la réduit au rôle d’entrée en matière : le passé ne serait que la simple rétro-projection du présent, et sa connaissance ne constituerait que l’un de ornements superflus distinguant l’esprit du juriste cultivé. C’est le dogme classique défendu par les positivistes (privatistes en particulier) dans les très classiques ouvrages d’introduction au droit. Cf. par exemple J. Luc Aubert : Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil , qui transforme l’histoire en « science auxiliaire du droit » et, qui plus est, en « science descriptive ».

S’il est vrai que le droit se construit dans l’histoire, il serait aussi vain qu’erroné de voir dans l’histoire l’image racornie, mais somme toute rassurante, du droit contemporain. Bien au contraire. L’histoire est décalage et remise en question. Détour, rupture dans la continuité apparente d’un positivisme repu. D’où un double enseignement :

  • esprit critique ; mesure du décalage entre discours et réalité. L’historien est toujours soupçonneux, attentif aux distorsions et aux décalages. Aucun langage n’est neutre, aucune production juridique n’est nécessaire : ils sont toujours le produits de compromis et de rapports de forces.
  • prise de conscience de la liberté humaine. Possibilité d’agir sur les événements et sur les institutions. Le droit n’est pas un raisonnement mathématique ; c’est une construction humaine.

Intérêt de cette étude

Essayer de comprendre au mieux ce qu’est le droit, au travers de ce qu’il a été : s’attacher sinon a saisir son essence, du moins à mesurer la variété de ses manifestations. Il importera donc, notamment :

* de ne pas réduire le droit à la loi ou aux règlements (tendance forte du droit contemporain) : illusion fétichiste qui fait du Code civil l’alpha et l’oméga du droit. Tentation de l’esprit humain visant à saisir dans un volume fini l’infinité des possibles juridiques.

* de s’interroger sur les rapports entre droit et pouvoir. Est-ce le pouvoir qui fait le droit ? Ou est-ce le droit qui fonde le pouvoir ? Peut-on concevoir un droit sans pouvoir ? Peut-il exister un pouvoir sans droit ? Par quelles procédures le pouvoir rend-il le droit vénérable et aimable, bref, incontestable ?

* de comprendre que l’on ne saurait limiter le domaine du pouvoir au seul champ étatique. D’autres formes d’influences ou de dominations existent ou ont existé, qui sont largement extérieures à l’Etat (Eglise, conscience collective, leaders d’opinion, classe sociale, etc.)

Au total, donc, une histoire juridique qui est aussi, largement, une histoire sociale et une histoire politique, au sens large.

Difficulté de cette étude :

* porte sur la longue durée : de la chute de l’E.R (476) à la codification révolutionnaire et napoléonienne. Soit plus de 13 siècles (1328 ans exactement), riches de faits nombreux et capitaux, qu’il s’agira d’exposer dans un volume horaire modeste. D’où l’importance fondamentale d’une imprégnation chronologique (cf. chrono + biblio.)

* concerne une nouvelle discipline, le droit, dont les mécanismes sont encore largement ignorés. Attention, en outre, aux idées fausses et aux opinions « toutes faites ».

C’est pourquoi, plutôt que de s’essouffler à décrire le fond du droit, ou le fonctionnement minutieux d’innombrables institutions, il a été jugé préférable de centrer l’étude sur les sources du droit, c’est à dire sur les mécanismes de son élaboration et de sa production, pris dans leur contexte socio-économico-politique.

 Le plan suivi

Comme il importe de rendre CS de l’épaisseur chronologique, le plan est  logiquement chronologique, autour de trois temps forts à privilégier :

– la genèse médiévale (Vè-XIIè), marquée par le pluralisme juridique

– les premières synthèses de la modernité (XIIè-XVIIè ), avec un double effort de rationalisation et d’unification du droit

– l’œuvre de codification, ordonnée à des buts philosophiques, mais sousmise à des fins politiques (fin XVIIIè-début XIXè) qui inaugure l’ère du positivisme contenmporain.

Première partie

Le pluralisme juridique médiéval

(Vè-XIIè siècles)

Les 10 siècles qui s’étendent de la chute de l’ER d’occident (476) à la découverte de l’Amérique et à l’entrée dans l’époque moderne = une période très riche de genèse de la civilisation occidentale.

–       fusion de la latinité et des traditions germaniques

–       approfondissement de la christianisation de l’Occident

–       expérimentation de nouveaux modes d’exercice du pouvoir (féodalité, monarchie héréditaire) marquant à la fois l’enracinement dune conscience européenne (idée de chrétienté) et l’apparition des identités nationales : apparition des langues vernaculaires, construction d’Etats nations, etc.

Sur le plan du droit, cette période est caractérisée par une profonde discontinuité liée à la redécouverte du droit romain au XIè siècle. D’où une présentation qui choisit d’isoler les 7 premiers siècles du Moyen Age par rapport aux 3 suivants, largement annonciateurs des intuitions de la modernité.

Concentrons nous donc sur ces 7 siècles d’histoire. Deux traites essentiels les caractérisent.

1)                      la disparition d’une autorité politique unique, investie d’un pouvoir sacralisé, édictant une norme reçue et appliquée sur un large territoire (chapitre 1).

2)                      En contrepartie, la multiplication des instances productrices d’un droit souvent assez sommaire, répondant aux besoins concrets de groupes sociaux livrés à eux mêmes, mais dont le rayon d’action n’excédait guère l’horizon proche de la seigneurie ou de la ville (chapitre 2) .

chapitre 1

La disparition d’une référence normative unique

E. R = Empire du droit. Unité scellée par l’appartenance à une communauté de citoyens dotés des mêmes droits.

L’E.R. finissant, fortement militarisé pour faire face à la menace germanique – omniprésente sur le limes – avait mis en place des structures d’autorité fortement centralisées autour de la personne de l’emp. La disparition de l’Empire ouvrit dès lors la voie à une longue période de déliquescence du modèle étatique, que ne parvint pas à interrompre, en Gaule tout au moins, la double expérience mérovingienne puis carolingienne (section I).

Pour pallier ces défaillances, un nouveau modèle d’organisation socio-politique, caractérisé par un pouvoir organisé en réseau et par une appropriation privée de la puissance publique se substitua peu à peu aux derniers vestiges de la Res publica (section II).

ER né à la fin du 1er siècle av J-C. Après une phase de conquêtes close dès le IIème siècle ap. J-C., était parvenu à une forme de maturité politique et juridique (pax romana) qui lui permit de diffuser largement des modèles culturels, politiques et juridiques qui exercèrent une influence durable sur l’ensemble des monarchies occidentales, bien après que les invasions germaniques eurent mis fin à l’existence de l’Empire, en 476.

 Rappel historique : La diffusion de la romanité

Phénomène historique d’une importance considérable dans l’histoire occidentale, la conquête romaine affecta diversement les différentes parties du continent européen (§ I). Pourtant, quelle que fût la variété des statuts et des situations, Rome sut transmettre aux provinces subjuguées un certain nombre de références communes qui servirent ultérieurement de matrice à leurs histoires singulières (§ II).

§I- La construction d’un espace unifié

Elle fut rendu possible par la conquête d’un espace européen (A) progressivement unifié par une administration centralisée qui sut développer un commun sentiment d’appartenance au monde civilisé (B). Le legs romain = avant tout un patrimoine commun rendu possible par la première tentative d’une construction européenne puissamment intégrée.

A- L’achèvement des conquêtes

1- L’intégration des provinces occidentales

Provinces gauloises et hispaniques conquises dès l’époque républicaine et en voie d’intégration rapide dès le règne d’Auguste (31 av. J-C-14 ap. J-C.) : cf. les trophées édifiés à St Bertrand de Comminges et à La Turbie. Poussée ds les régions de l’arc alpin concrétisée par la création des provinces de Norique et de Rhétie.

Germanie présente plus de difficultés : Auguste souhaita t l’annexion ds provinces situées entre le Rhin et l’Elbe. Malgré de nombreuses campagnes menées de puis le Rhin et le Danube, Rome ne peut briser l’opposition des tribus germaniques et subit même un désastre en 9 ap. J-C. lorsque les 3 légions de Varus sont anéanties par le Chérusque Arminius qui coordonne la résistance germanique. Situation de retour à la conception d’une frontière appuyée sur le Rhin et le Danube concrétisée à la fin du 1er siècle ap. J-C., sous le règne de Domitien, par la création des 2 provinces de Germanie inférieure et de Germanie supérieure.

Conquête de la Bretagne décidée par l’emp. Claude, reprenant les tentatives ss lendemain de César ap. la conquête des Gaules. Le débarquement romain en Bretagne a lieu en 43 ap. J-C. et la prise de la capitale des Catuvellauniens, Camulodunum (Colchester) marque le début de l’emprise romaine sur l’île de Bretagne, nouvelle province ajoutée à l’espace impérial occidental.

L’Europe orientale offre les mêmes difficultés que l’espace rhénan. A l’est du Norique, les régions de la Pannonie (Hongrie) et de l’Illyrie (Yougoslavie) forment un obstacle pour les communications entre l’Occident et la partie orientale de l’Empire ; elles peuvent même constituer une menace pour l’Italie = révolte des peuples d’Illyrie entre 6 et 9 ap. J-C. oblige Rome à intervenir pour établir 2 provinces au cœur de l’empire : la Dalmatie et la Pannonie. L’occupation des régions danubiennes est achevée au 1er siècle ap. J-C. par la création des provinces de Mésie, en 15 ap. J-C. et l’annexion du royaume de Thrace, réduit en province en 46 ap. J-C.

Enfin, entre 101 et 106, l’emp. Trajan lance deux campagnes contre le royaume des Daces (Transylvanie, Carpates) pour se prémunir contre les incursions ravageuses de ce peuple et s’emparer de leurs richesses aurifères. La colonne trajane commémore cet événement, qui marque la fin de l’expansion romaine en Occident : ne subit ensuite que des modifications de détail.

2- La défense de l’Empire

Le pouvoir impérial et la sécurité ds l’Empire reposent fondamentalement sur l’armée. Protection des territoires européens assurée par un dispositif militaire comprenant des légions (composées de citoyens romains) et des troupes d’auxiliaires, ailes de cavalerie et cohortes d’infanterie (recrutées parmi les populations indigènes de l’ER). La répartition des forces est inégale et dépend de l’imptance stratégique des secteurs, ainsi que de la variation géo. des périls ext. Une seule légion en péninsule ibérique (à León) ; 4 puis 3 en Bretagne (Caerleon, York ; Chester). Le gros des troupes est stationné sur le Rhin et le Danube : 8 à 4 légions sur le Rhin (camps de Nimègue, Xanten, Neuss, Mayence, Strasbourg), entre 18 et 20 légions sur le Danube, soit environ 200 000 hommes avec les auxiliaires.

Syst. défensif = limes fondé sur des routes et des fortifications. Mis en place en Germanie supérieure pour protéger les régions entre les cours inférieurs du Rhin et du Danube = les champs décumates : fossés, palissades de murs, fortins séparent ainsi le monde romain de la Germanie indépendante depuis Coblence jusqu’à la province de Rhétie. Ce type de défense se retrouve en Dacie et ne Mésie. Pour la Bretagne c’est un véritable mur qui est construit, sous Hadrien, vers 122 ap. J-C. depuis l’estuaire de la Tyne jusqu’au Sollway Firth, sur 128 km., avec fossés, tours et camps. Antonin complète le système par un mur plus au nord entre le Firth of Clyde et le Firth of Forth, mais moins solide (terre et bois) et plus exposé : il est abandonné à la fin du 2ème siècle ap. J-C. 

Ainsi, au IIème siècle, l’Europe se divise nettement en 2 ensembles : une Europe méditerranéenne des cités autour de Rome, et une Europe de peuples ou prédominent les mouvements de migrations des Germains.

§II- La pax romana

Situation unique dans l’histoire européenne : plusieurs siècles d’une longue paix ininterrompue, simplement troublée par la menace, de plus en plus précise, des avancées barbares.

A permis une intégration de plus en plus poussée des régions occidentales, grâce à un statut administratif en cours d’homogénéisation (A) et à la diffusion des valeurs de la culture romaine (B).

A- L’administration provinciale

En dehors de l’Italie, qui demeure un territoire privilégié, les régions de l’Europe romaine sont soumises au système provincial :

n doivent acquitter un impôt = marque de la conquête

n gouvernement confié à un représentant du pouvoir central, choisi en fonction d’une répartition des provinces établie en 27 av. J-C. entre l’emp. Et le Sénat : 2 grands groupes de provinces :

*    provinces sénatoriales, en général des provinces anciennes ou éloignées des frontières. Le Sénat y envoie pour un an un gouverneur avec le titre de proconsul = provinces ss armée : Gaule Narbonnaise, Bétique, Sicile, Macédoine et Achaïe ;

*    provinces impériales : forment la majorité du territoire de l’ER. Statut de leur administrateur, nommé pour 3 ans, plus ou moins élevé selon le prestige de la province :

  • pour les + imptantes = légat membre de l’ordre sénatorial 5Espagne citérieure, Lusitanie, Aquitaine, Lyonnaise, Belgique, Bretagne, Dalmatie, Germanie) ;
  • Pour celles qui sont jugées secondaires : un chevalier doté du titre de « procurateur-gouverneur » : Sardaigne-Corse, Epire, Thrace, Rhétie, Norqiue ;

Grave crise survenue au IIIème siècle, ; marquant les prémisses de la chute de l’ER : expansion des peuples germaniques se poursuit pendant t l’empire, sous le poids de la pression démog. interne et avec l’arrivée d’éléments nouveaux : des ligues s’organisent, regroupant plusieurs peuples ; reprise de la migration des Goths en 2 groupes (Wisigoths et Ostrogoths) entraînant avec eux les Vandales. 1ères infiltrations se produisent ds le secteur est de l’Europe, sur la côte de la mer noire (prise d’Olbia). Les Goths ravagent les provinces de l’empire oriental ; pour la 1ère fois, un emp. Est battu et tué au combat (Dèce en 251) ; en Occident poussée des ligues germaniques des Francs et des Alamans aboutit à l’invasion partielle de la Gaule et de la péninsule ibérique ; le littoral océanique gaulois et les côtes de la Bretagne sont régulièrement attaqués par des raids de la piraterie franque. Nombreuses dévastations e villes en Gaule du Nord et de l’Est, sur les rivages de la mer noire, ds les régions danubiennes et en Grèce (Athènes incendiée en 267) ; climat d’insécurité généralisé. Pour la 1ère fois, Rome doit accepter une diminution de son espace territorial européen : déjà à la fin du IIème siècle, il avait fallu renoncer à défendre le mur d’Antonin, ; au nord de la Bretagne, pour se replier sur celui d’Hadrien ; moins d’un siècle plus tard, devant la pression barbare, Aurélien décide l’évacuation de la Dacie en 276, tandis qu’en Occident on laisse aux Alamans le contrôle des Champs Décumates, à l’est du Rhin ; les villes s’entourent de murailles

Reprise en mains assurée fin IIIè siècle par les emp. Illyriens : poussées germaniques sont contenues ds les provinces rhéno-danubiennes ; écrasement des bagaudes ; Europe partagée en plusieurs nouvelles provinces, plus réduites pour mieux assurer la défense et la perception des impôts. Ainsi, la Bretagne, déjà divisée en 2 par Septime Sévère comprend désormais 4 provinces ; péninsule ibérique passe de 3 à 5, etc. D’autre part, l’Italie perd son statut privilégié et est elle aussi divisée en provinces. Pour pallier ce morcellement, une structure intermédiaire est créée : le diocèse, regroupant plusieurs provinces et administré par un vicaire ; réorganisation de l’armée : dédoublement des légions + renforcement du limes.

B- Une culture commune

Pendant 4 siècles, au sein d’un empire unifié, l’Europe a connu une période unique ds son histoire, où les formes de la civilisation gréco-romaine pénétrèrent largement toutes les provinces sans toutefois effacer les caractères propres des composantes régionales.

Le centre de la civili. = la ville, la civitas qui domine et exploite les campagnes environnantes. Les villes sont administrées par ds magistrats (questeurs, édiles et duumvirs) mais en dehors des colonies romaines, où les habitants bénéficient du droit romain, les autres cités ont un statut juridique restreint ; elles peuvent cepdt obtenir une promotion avec la concession d’un droit inférieur, le droit latin, qui est une étape vers la citoyenneté romaine, qui ne cesse de progresser ds oles provinces de l’Europe occidentale avant d’être étendue à tous les habitants libres de l’Empire par l’Edit de Caracalla en 212 : 1er exemple d’une citoyenneté unique sur le territoire européen. Ne fait que renforcer la fierté liée au sentiment d’appartenance à la Romanité : Cf. Rutilius Namatianus :

« Ecoute-moi reine magnifique d’un monde soumis à tes lois, Rome qui a pris place parmi les divinités du ciel (…). Tu as fondu les nations les plus diverses en une seule patrie (…), tu as offert aux peuples vaincus le partage de ta civilisation. »

Écoles urbaines vivantes et actives. Enseignement dispensé en latin qui devient la langue officielle des régions d’Europe occidentale, même si les idiomes locaux peuvent encore se maintenir, ds de faibles proportions ; le grec = la langue dominante en Europe orientale. Ds l’ensemble des provinces se diffuse un modèle de culture gréco-latine dont les enfants font l’apprentissage à travers les œuvres d’Homère ou de Virgile. Rome, Athènes, mais aussi Autun en Gaule possèdent des écoles réputées, où l’enseignement se fait surtout à base de rhétorique.

A la campagne même : mode de vie raffiné des grands propriétaires terriens dans leurs immenses villae dotées de tous les avantages du confort moderne (piscine, chauffage central par hypocauste, décor de mosaïques, etc.).

D’où un mépris profond pour les barbares, c’est à dire l’ensemble de ceux qui, extérieurs à l’E.R, ne parlent ni grec ni latin : grande variété de populations, mêlant aussi bien des ethnies issues de l’actuelle Norvège que des groupes venus d’Iran. Dominante germanique toutefois t. forte. Cf. Sidoine Apollinaire (év. de Clermont au Vè s.) qui fait tout pour éviter de fréquenter les Burgondes qui « sentent l’oignon et se graissent les cheveux avec de l’huile rance. »

Section I : La Dislocation de l’autorité publique

et la fin du Monde antique

La poussée germanique liée aux grandes « migrations de peuples » s’est d’abord traduite par la disparition de l’E.R.O (§I) avant de permettre la lente émergence d’un nouvel espace politique européen , mixant le fonds romain et le droit des vainqueurs (§II).

§ I- La Disparition de l’Empire romain d’Occident (476)

Phénomène d’une portée historique considérable, la du monde antique (A) n’apure pas pour autant la dette de l’Occident à l’égard de la Romanité (B).

A-   La fin du monde antique

1- La situation dans les provinces occidentales avant les invasions germaniques du Vème siècle

à    Partition de l’immense empire amorcé pour des raisons pratiques dès le début du IVè s. (réforme de la Tétrarchie, avec Dioclétien), puis rendue définitive en 395, après la mort de l’emp. Théodose. :

– à l’ouest, les provinces de langue latine, avec Rome pour capitale, puis Milan ou Ravenne. Empire gouverné par Honorius ;

– à l’est, les provinces grecques, gouvernées par l’emp. Arcadius depuis Constantinople.

Entre ces deux moitiés, une solidarité très relative, qui se mue bientôt en une rivalité opiniâtre.

à    Faiblesse de emp. Occidentaux du Vè s. Hommes trop jeunes, influencés par leur entourage. Succession d’assassinats et de coups d’Etat. Après 454 (mort d’Aetius), il n’y a plus à Rome d’autorité centrale capable d’assurer la défense effective des provinces les plus exposées.

à    ER : une forteresse assiégée, concentrant l’essentiel de ses ressources humaines et fiscales sur la défense de sa frontière, face à des barbares toujours plus nombreux et agressifs. Hors, depuis la crise du IIIè siècle, l’économie et la démographie romaines sont en net déclin. L’empire n’a plus les force suffisantes pour s’opposer aux vastes mouvements de population qui traversent toute l’Europe.

2-    L’implantation des barbares à l’intérieur du Limes

à    Elle fut d’abord progressive et relativement pacifique : nombreux contacts existant de longue date :

– échanges éco.

– appel à de la main d’œuvre barbare pour le travail de la terre

– enrôlement de barbares dans l’armée romaine, non plus seulement comme troupes auxiliaires (comme sous le Haut Empire), mais dans les troupes régulières (=la légion) et dans les Etats majors : désertée par les romains, la défense de l’empire contre les Barbares est assurée par une armée complètement barbarisée.

– signature de traités autorisant l’installation massives de groupes de barbares, et non plus simplement d’individus isolés sur le territoire de l’E.R, avec le droit express de conserver leurs coutumes et leur organisation sociale : statut de fédérés.

à    Les invasions proprement dites eurent plusieurs causes essentielles :

– une crise climatique affectant gravement les territoires de pacage de ces populations pastorales, en Europe septentrionale et centrale ;

– la poussée hunnique, terrorisante ;

– l’attrait des richesses d’un empire affaibli et dépeuplé

Les invasions s’étagèrent en plusieurs phases (cf. carte). Notamment, au Vè siècle :

Þ  Grande invasion du 31 déc. 406 : Effondrement du limes rhénan : une grosse partie des troupes avait été déplacée vers le sud à cause de la menace wisigothique sur le Nord de l’Italie. Vandales, Suèves et Alains franchissent le Rhin gelé et progressent rapidement le long des voies romaines. Toute la Gaule, puis l’Espagne et l’Afrique sont ravagées. D’autres peuples entrent par cette brèche et ainsi une grande partie de l’Occident est occupée.

Þ  Au Sud : poussée des Goths, fuyant les Huns : prise de Rome par Alaric en 410. Le retentissement est énorme. Les païens disent qu’il s’agit là des conséquences du passage au christianisme ; Augustin déprime à Carthage et écrit « La Cité de Dieu » où il explique qu’il ne faut pas confondre la fin du monde et la fin d’un monde. Les Wisigoths remontent en Gaule et s’installent en Aquitaine.

Pourtant, l’Empire n’est pas mort. De nombreux peuples sont fédérés, comme les Burgondes en Sapaudia et on espère une stabilisation des éléments barbares.

Þ  En outre, les Huns subissent un double échec : en Gaule en 451, contre une coalition disparate formée de Romains, de Francs, de Wis. et de Burgondes (victoire du Campus Mauriacus, près de Troyes) et en Italie en 452 : prise de conscience d’un destin commun et du rôle que commencent à jouer les Germains ds l’Empire.

Þ  Pourtant, la poussée barbare est trop forte : exode massif des Celtes de Bretagne, chassés par les Saxons. Se réfugient en Armorique. Les légions romaines évacuent la Bretagne ds le premier I/4 du Vème siècle.

Þ  Les derniers arrivés = les Francs, restés un demi siècle en Belgique et dans le N. de la Gaule, qu’ils envahissent complètement, dans la dernière moitié du Vè s.

Þ  Le coup de grâce est donné en 476, lorsque le barbare Odoacre (sans doute un skire : peuple du Danube moyen) dépose l’emp. d’Occident Romulus Augustule et envoie les insignes impériaux à Constantinople. Il s’agit là d’un coup d’Etat accompli à visage découvert sans prétexte impérial. L’empire est renversé de l’intérieur. Lui succède pluralité de royaumes barbares, qui se mettent progressivement en place.

B- La transmission d’une tradition durable

Par la durée de son emprise, par l’éclat de sa culture, par les séductions de son mode de vie, Rome a transmis à l’Occident un héritage particulièrement riche, dont les nations européennes ne cesseront de se nourrir tout au long du M.A. Cet héritage concerne aussi bien la conception du pouvoir (1) que l’organisation d’un système juridique extrêmement cohérent (2). D’ailleurs, dt romain à l’origine de nombreux concepts et outils du droit français. Perfection technique de ce droit.

1- Le legs politique

L’avènement de l’empire romain, avec Auguste, n’avait pas entraîné la suppression, des institutions républicaines, mais la nouvelle répartition des compétences provoque en fait un déclin progressif du rôle des assemblées populaires, dont les attributions sont pour l’essentiel désormais assumées par l’emp. Le titre d’imperator est l’expression de ce pouvoir qui couvre aussi bien le commandement de l’armée, fonction essentielle de l’imperator, que le pouvoir judiciaire et législatif. Grand pontife = mainmise et contrôle de la religion romaine et des grands collèges religieux ; c’est en fonction de ce titre qu’il peut autoriser ou interdire les cultes nouveaux ds l’ER. En outre, une partie imptante du pouvoir impérial est aussi fondé sur les liens privilégiés de l’emp. Et de son peuple, dont il est le protecteur en tant que « père de la patrie ». Cette protection s’exerce par les gratifications offertes au peuple de Rome (du pain et des jeux, constructions) et par son action auprès des provinciaux et de l’armée dont il renforce la fidélité par des dons en argents (donativum).

Culte impérial : Dès le règne d’Auguste, on honore à Ro