Introduction
« Rien n’est plus digne d’étude que l’autorité des lois, qui disposent au mieux des choses divines et humaines et bannissent toute iniquité. »
Justinien, Constitution Deo auctore du 15 XII 530
Critique du libellé de ce cours
« Introduction historique au droit public et au droit privé » : dénomination idéologique, pour au moins deux raisons :
– fait de la division du droit en public et privé une sorte d’invariant nécessaire, alors que c’est le résultat de circonstances ponctuelles et localisées.
– postule la dépendance de l’histoire à l’égard du droit et la réduit au rôle d’entrée en matière : le passé ne serait que la simple rétro-projection du présent, et sa connaissance ne constituerait que l’un de ornements superflus distinguant l’esprit du juriste cultivé. C’est le dogme classique défendu par les positivistes (privatistes en particulier) dans les très classiques ouvrages d’introduction au droit. Cf. par exemple J. Luc Aubert : Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil , qui transforme l’histoire en « science auxiliaire du droit » et, qui plus est, en « science descriptive ».
S’il est vrai que le droit se construit dans l’histoire, il serait aussi vain qu’erroné de voir dans l’histoire l’image racornie, mais somme toute rassurante, du droit contemporain. Bien au contraire. L’histoire est décalage et remise en question. Détour, rupture dans la continuité apparente d’un positivisme repu. D’où un double enseignement :
- esprit critique ; mesure du décalage entre discours et réalité. L’historien est toujours soupçonneux, attentif aux distorsions et aux décalages. Aucun langage n’est neutre, aucune production juridique n’est nécessaire : ils sont toujours le produits de compromis et de rapports de forces.
- prise de conscience de la liberté humaine. Possibilité d’agir sur les événements et sur les institutions. Le droit n’est pas un raisonnement mathématique ; c’est une construction humaine.
Intérêt de cette étude
Essayer de comprendre au mieux ce qu’est le droit, au travers de ce qu’il a été : s’attacher sinon a saisir son essence, du moins à mesurer la variété de ses manifestations. Il importera donc, notamment :
* de ne pas réduire le droit à la loi ou aux règlements (tendance forte du droit contemporain) : illusion fétichiste qui fait du Code civil l’alpha et l’oméga du droit. Tentation de l’esprit humain visant à saisir dans un volume fini l’infinité des possibles juridiques.
* de s’interroger sur les rapports entre droit et pouvoir. Est-ce le pouvoir qui fait le droit ? Ou est-ce le droit qui fonde le pouvoir ? Peut-on concevoir un droit sans pouvoir ? Peut-il exister un pouvoir sans droit ? Par quelles procédures le pouvoir rend-il le droit vénérable et aimable, bref, incontestable ?
* de comprendre que l’on ne saurait limiter le domaine du pouvoir au seul champ étatique. D’autres formes d’influences ou de dominations existent ou ont existé, qui sont largement extérieures à l’Etat (Eglise, conscience collective, leaders d’opinion, classe sociale, etc.)
Au total, donc, une histoire juridique qui est aussi, largement, une histoire sociale et une histoire politique, au sens large.
Difficulté de cette étude :
* porte sur la longue durée : de la chute de l’E.R (476) à la codification révolutionnaire et napoléonienne. Soit plus de 13 siècles (1328 ans exactement), riches de faits nombreux et capitaux, qu’il s’agira d’exposer dans un volume horaire modeste. D’où l’importance fondamentale d’une imprégnation chronologique (cf. chrono + biblio.)
* concerne une nouvelle discipline, le droit, dont les mécanismes sont encore largement ignorés. Attention, en outre, aux idées fausses et aux opinions « toutes faites ».
C’est pourquoi, plutôt que de s’essouffler à décrire le fond du droit, ou le fonctionnement minutieux d’innombrables institutions, il a été jugé préférable de centrer l’étude sur les sources du droit, c’est à dire sur les mécanismes de son élaboration et de sa production, pris dans leur contexte socio-économico-politique.
Le plan suivi
Comme il importe de rendre CS de l’épaisseur chronologique, le plan est logiquement chronologique, autour de trois temps forts à privilégier :
– la genèse médiévale (Vè-XIIè), marquée par le pluralisme juridique
– les premières synthèses de la modernité (XIIè-XVIIè ), avec un double effort de rationalisation et d’unification du droit
– l’œuvre de codification, ordonnée à des buts philosophiques, mais sousmise à des fins politiques (fin XVIIIè-début XIXè) qui inaugure l’ère du positivisme contenmporain.
Première partie
Le pluralisme juridique médiéval
(Vè-XIIè siècles)
Les 10 siècles qui s’étendent de la chute de l’ER d’occident (476) à la découverte de l’Amérique et à l’entrée dans l’époque moderne = une période très riche de genèse de la civilisation occidentale.
– fusion de la latinité et des traditions germaniques
– approfondissement de la christianisation de l’Occident
– expérimentation de nouveaux modes d’exercice du pouvoir (féodalité, monarchie héréditaire) marquant à la fois l’enracinement dune conscience européenne (idée de chrétienté) et l’apparition des identités nationales : apparition des langues vernaculaires, construction d’Etats nations, etc.
Sur le plan du droit, cette période est caractérisée par une profonde discontinuité liée à la redécouverte du droit romain au XIè siècle. D’où une présentation qui choisit d’isoler les 7 premiers siècles du Moyen Age par rapport aux 3 suivants, largement annonciateurs des intuitions de la modernité.
Concentrons nous donc sur ces 7 siècles d’histoire. Deux traites essentiels les caractérisent.
1) la disparition d’une autorité politique unique, investie d’un pouvoir sacralisé, édictant une norme reçue et appliquée sur un large territoire (chapitre 1).
2) En contrepartie, la multiplication des instances productrices d’un droit souvent assez sommaire, répondant aux besoins concrets de groupes sociaux livrés à eux mêmes, mais dont le rayon d’action n’excédait guère l’horizon proche de la seigneurie ou de la ville (chapitre 2) .
chapitre 1
La disparition d’une référence normative unique
E. R = Empire du droit. Unité scellée par l’appartenance à une communauté de citoyens dotés des mêmes droits.
L’E.R. finissant, fortement militarisé pour faire face à la menace germanique – omniprésente sur le limes – avait mis en place des structures d’autorité fortement centralisées autour de la personne de l’emp. La disparition de l’Empire ouvrit dès lors la voie à une longue période de déliquescence du modèle étatique, que ne parvint pas à interrompre, en Gaule tout au moins, la double expérience mérovingienne puis carolingienne (section I).
Pour pallier ces défaillances, un nouveau modèle d’organisation socio-politique, caractérisé par un pouvoir organisé en réseau et par une appropriation privée de la puissance publique se substitua peu à peu aux derniers vestiges de la Res publica (section II).
ER né à la fin du 1er siècle av J-C. Après une phase de conquêtes close dès le IIème siècle ap. J-C., était parvenu à une forme de maturité politique et juridique (pax romana) qui lui permit de diffuser largement des modèles culturels, politiques et juridiques qui exercèrent une influence durable sur l’ensemble des monarchies occidentales, bien après que les invasions germaniques eurent mis fin à l’existence de l’Empire, en 476.
Rappel historique : La diffusion de la romanité
Phénomène historique d’une importance considérable dans l’histoire occidentale, la conquête romaine affecta diversement les différentes parties du continent européen (§ I). Pourtant, quelle que fût la variété des statuts et des situations, Rome sut transmettre aux provinces subjuguées un certain nombre de références communes qui servirent ultérieurement de matrice à leurs histoires singulières (§ II).
§I- La construction d’un espace unifié
Elle fut rendu possible par la conquête d’un espace européen (A) progressivement unifié par une administration centralisée qui sut développer un commun sentiment d’appartenance au monde civilisé (B). Le legs romain = avant tout un patrimoine commun rendu possible par la première tentative d’une construction européenne puissamment intégrée.
A- L’achèvement des conquêtes
1- L’intégration des provinces occidentales
Provinces gauloises et hispaniques conquises dès l’époque républicaine et en voie d’intégration rapide dès le règne d’Auguste (31 av. J-C-14 ap. J-C.) : cf. les trophées édifiés à St Bertrand de Comminges et à La Turbie. Poussée ds les régions de l’arc alpin concrétisée par la création des provinces de Norique et de Rhétie.
Germanie présente plus de difficultés : Auguste souhaita t l’annexion ds provinces situées entre le Rhin et l’Elbe. Malgré de nombreuses campagnes menées de puis le Rhin et le Danube, Rome ne peut briser l’opposition des tribus germaniques et subit même un désastre en 9 ap. J-C. lorsque les 3 légions de Varus sont anéanties par le Chérusque Arminius qui coordonne la résistance germanique. Situation de retour à la conception d’une frontière appuyée sur le Rhin et le Danube concrétisée à la fin du 1er siècle ap. J-C., sous le règne de Domitien, par la création des 2 provinces de Germanie inférieure et de Germanie supérieure.
Conquête de la Bretagne décidée par l’emp. Claude, reprenant les tentatives ss lendemain de César ap. la conquête des Gaules. Le débarquement romain en Bretagne a lieu en 43 ap. J-C. et la prise de la capitale des Catuvellauniens, Camulodunum (Colchester) marque le début de l’emprise romaine sur l’île de Bretagne, nouvelle province ajoutée à l’espace impérial occidental.
L’Europe orientale offre les mêmes difficultés que l’espace rhénan. A l’est du Norique, les régions de la Pannonie (Hongrie) et de l’Illyrie (Yougoslavie) forment un obstacle pour les communications entre l’Occident et la partie orientale de l’Empire ; elles peuvent même constituer une menace pour l’Italie = révolte des peuples d’Illyrie entre 6 et 9 ap. J-C. oblige Rome à intervenir pour établir 2 provinces au cœur de l’empire : la Dalmatie et la Pannonie. L’occupation des régions danubiennes est achevée au 1er siècle ap. J-C. par la création des provinces de Mésie, en 15 ap. J-C. et l’annexion du royaume de Thrace, réduit en province en 46 ap. J-C.
Enfin, entre 101 et 106, l’emp. Trajan lance deux campagnes contre le royaume des Daces (Transylvanie, Carpates) pour se prémunir contre les incursions ravageuses de ce peuple et s’emparer de leurs richesses aurifères. La colonne trajane commémore cet événement, qui marque la fin de l’expansion romaine en Occident : ne subit ensuite que des modifications de détail.
2- La défense de l’Empire
Le pouvoir impérial et la sécurité ds l’Empire reposent fondamentalement sur l’armée. Protection des territoires européens assurée par un dispositif militaire comprenant des légions (composées de citoyens romains) et des troupes d’auxiliaires, ailes de cavalerie et cohortes d’infanterie (recrutées parmi les populations indigènes de l’ER). La répartition des forces est inégale et dépend de l’imptance stratégique des secteurs, ainsi que de la variation géo. des périls ext. Une seule légion en péninsule ibérique (à León) ; 4 puis 3 en Bretagne (Caerleon, York ; Chester). Le gros des troupes est stationné sur le Rhin et le Danube : 8 à 4 légions sur le Rhin (camps de Nimègue, Xanten, Neuss, Mayence, Strasbourg), entre 18 et 20 légions sur le Danube, soit environ 200 000 hommes avec les auxiliaires.
Syst. défensif = limes fondé sur des routes et des fortifications. Mis en place en Germanie supérieure pour protéger les régions entre les cours inférieurs du Rhin et du Danube = les champs décumates : fossés, palissades de murs, fortins séparent ainsi le monde romain de la Germanie indépendante depuis Coblence jusqu’à la province de Rhétie. Ce type de défense se retrouve en Dacie et ne Mésie. Pour la Bretagne c’est un véritable mur qui est construit, sous Hadrien, vers 122 ap. J-C. depuis l’estuaire de la Tyne jusqu’au Sollway Firth, sur 128 km., avec fossés, tours et camps. Antonin complète le système par un mur plus au nord entre le Firth of Clyde et le Firth of Forth, mais moins solide (terre et bois) et plus exposé : il est abandonné à la fin du 2ème siècle ap. J-C.
Ainsi, au IIème siècle, l’Europe se divise nettement en 2 ensembles : une Europe méditerranéenne des cités autour de Rome, et une Europe de peuples ou prédominent les mouvements de migrations des Germains.
§II- La pax romana
Situation unique dans l’histoire européenne : plusieurs siècles d’une longue paix ininterrompue, simplement troublée par la menace, de plus en plus précise, des avancées barbares.
A permis une intégration de plus en plus poussée des régions occidentales, grâce à un statut administratif en cours d’homogénéisation (A) et à la diffusion des valeurs de la culture romaine (B).
A- L’administration provinciale
En dehors de l’Italie, qui demeure un territoire privilégié, les régions de l’Europe romaine sont soumises au système provincial :
n doivent acquitter un impôt = marque de la conquête
n gouvernement confié à un représentant du pouvoir central, choisi en fonction d’une répartition des provinces établie en 27 av. J-C. entre l’emp. Et le Sénat : 2 grands groupes de provinces :
* provinces sénatoriales, en général des provinces anciennes ou éloignées des frontières. Le Sénat y envoie pour un an un gouverneur avec le titre de proconsul = provinces ss armée : Gaule Narbonnaise, Bétique, Sicile, Macédoine et Achaïe ;
* provinces impériales : forment la majorité du territoire de l’ER. Statut de leur administrateur, nommé pour 3 ans, plus ou moins élevé selon le prestige de la province :
- pour les + imptantes = légat membre de l’ordre sénatorial 5Espagne citérieure, Lusitanie, Aquitaine, Lyonnaise, Belgique, Bretagne, Dalmatie, Germanie) ;
- Pour celles qui sont jugées secondaires : un chevalier doté du titre de « procurateur-gouverneur » : Sardaigne-Corse, Epire, Thrace, Rhétie, Norqiue ;
Grave crise survenue au IIIème siècle, ; marquant les prémisses de la chute de l’ER : expansion des peuples germaniques se poursuit pendant t l’empire, sous le poids de la pression démog. interne et avec l’arrivée d’éléments nouveaux : des ligues s’organisent, regroupant plusieurs peuples ; reprise de la migration des Goths en 2 groupes (Wisigoths et Ostrogoths) entraînant avec eux les Vandales. 1ères infiltrations se produisent ds le secteur est de l’Europe, sur la côte de la mer noire (prise d’Olbia). Les Goths ravagent les provinces de l’empire oriental ; pour la 1ère fois, un emp. Est battu et tué au combat (Dèce en 251) ; en Occident poussée des ligues germaniques des Francs et des Alamans aboutit à l’invasion partielle de la Gaule et de la péninsule ibérique ; le littoral océanique gaulois et les côtes de la Bretagne sont régulièrement attaqués par des raids de la piraterie franque. Nombreuses dévastations e villes en Gaule du Nord et de l’Est, sur les rivages de la mer noire, ds les régions danubiennes et en Grèce (Athènes incendiée en 267) ; climat d’insécurité généralisé. Pour la 1ère fois, Rome doit accepter une diminution de son espace territorial européen : déjà à la fin du IIème siècle, il avait fallu renoncer à défendre le mur d’Antonin, ; au nord de la Bretagne, pour se replier sur celui d’Hadrien ; moins d’un siècle plus tard, devant la pression barbare, Aurélien décide l’évacuation de la Dacie en 276, tandis qu’en Occident on laisse aux Alamans le contrôle des Champs Décumates, à l’est du Rhin ; les villes s’entourent de murailles
Reprise en mains assurée fin IIIè siècle par les emp. Illyriens : poussées germaniques sont contenues ds les provinces rhéno-danubiennes ; écrasement des bagaudes ; Europe partagée en plusieurs nouvelles provinces, plus réduites pour mieux assurer la défense et la perception des impôts. Ainsi, la Bretagne, déjà divisée en 2 par Septime Sévère comprend désormais 4 provinces ; péninsule ibérique passe de 3 à 5, etc. D’autre part, l’Italie perd son statut privilégié et est elle aussi divisée en provinces. Pour pallier ce morcellement, une structure intermédiaire est créée : le diocèse, regroupant plusieurs provinces et administré par un vicaire ; réorganisation de l’armée : dédoublement des légions + renforcement du limes.
B- Une culture commune
Pendant 4 siècles, au sein d’un empire unifié, l’Europe a connu une période unique ds son histoire, où les formes de la civilisation gréco-romaine pénétrèrent largement toutes les provinces sans toutefois effacer les caractères propres des composantes régionales.
Le centre de la civili. = la ville, la civitas qui domine et exploite les campagnes environnantes. Les villes sont administrées par ds magistrats (questeurs, édiles et duumvirs) mais en dehors des colonies romaines, où les habitants bénéficient du droit romain, les autres cités ont un statut juridique restreint ; elles peuvent cepdt obtenir une promotion avec la concession d’un droit inférieur, le droit latin, qui est une étape vers la citoyenneté romaine, qui ne cesse de progresser ds oles provinces de l’Europe occidentale avant d’être étendue à tous les habitants libres de l’Empire par l’Edit de Caracalla en 212 : 1er exemple d’une citoyenneté unique sur le territoire européen. Ne fait que renforcer la fierté liée au sentiment d’appartenance à la Romanité : Cf. Rutilius Namatianus :
« Ecoute-moi reine magnifique d’un monde soumis à tes lois, Rome qui a pris place parmi les divinités du ciel (…). Tu as fondu les nations les plus diverses en une seule patrie (…), tu as offert aux peuples vaincus le partage de ta civilisation. »
Écoles urbaines vivantes et actives. Enseignement dispensé en latin qui devient la langue officielle des régions d’Europe occidentale, même si les idiomes locaux peuvent encore se maintenir, ds de faibles proportions ; le grec = la langue dominante en Europe orientale. Ds l’ensemble des provinces se diffuse un modèle de culture gréco-latine dont les enfants font l’apprentissage à travers les œuvres d’Homère ou de Virgile. Rome, Athènes, mais aussi Autun en Gaule possèdent des écoles réputées, où l’enseignement se fait surtout à base de rhétorique.
A la campagne même : mode de vie raffiné des grands propriétaires terriens dans leurs immenses villae dotées de tous les avantages du confort moderne (piscine, chauffage central par hypocauste, décor de mosaïques, etc.).
D’où un mépris profond pour les barbares, c’est à dire l’ensemble de ceux qui, extérieurs à l’E.R, ne parlent ni grec ni latin : grande variété de populations, mêlant aussi bien des ethnies issues de l’actuelle Norvège que des groupes venus d’Iran. Dominante germanique toutefois t. forte. Cf. Sidoine Apollinaire (év. de Clermont au Vè s.) qui fait tout pour éviter de fréquenter les Burgondes qui « sentent l’oignon et se graissent les cheveux avec de l’huile rance. »
Section I : La Dislocation de l’autorité publique
et la fin du Monde antique
La poussée germanique liée aux grandes « migrations de peuples » s’est d’abord traduite par la disparition de l’E.R.O (§I) avant de permettre la lente émergence d’un nouvel espace politique européen , mixant le fonds romain et le droit des vainqueurs (§II).
§ I- La Disparition de l’Empire romain d’Occident (476)
Phénomène d’une portée historique considérable, la du monde antique (A) n’apure pas pour autant la dette de l’Occident à l’égard de la Romanité (B).
A- La fin du monde antique
1- La situation dans les provinces occidentales avant les invasions germaniques du Vème siècle
à Partition de l’immense empire amorcé pour des raisons pratiques dès le début du IVè s. (réforme de la Tétrarchie, avec Dioclétien), puis rendue définitive en 395, après la mort de l’emp. Théodose. :
– à l’ouest, les provinces de langue latine, avec Rome pour capitale, puis Milan ou Ravenne. Empire gouverné par Honorius ;
– à l’est, les provinces grecques, gouvernées par l’emp. Arcadius depuis Constantinople.
Entre ces deux moitiés, une solidarité très relative, qui se mue bientôt en une rivalité opiniâtre.
à Faiblesse de emp. Occidentaux du Vè s. Hommes trop jeunes, influencés par leur entourage. Succession d’assassinats et de coups d’Etat. Après 454 (mort d’Aetius), il n’y a plus à Rome d’autorité centrale capable d’assurer la défense effective des provinces les plus exposées.
à ER : une forteresse assiégée, concentrant l’essentiel de ses ressources humaines et fiscales sur la défense de sa frontière, face à des barbares toujours plus nombreux et agressifs. Hors, depuis la crise du IIIè siècle, l’économie et la démographie romaines sont en net déclin. L’empire n’a plus les force suffisantes pour s’opposer aux vastes mouvements de population qui traversent toute l’Europe.
2- L’implantation des barbares à l’intérieur du Limes
à Elle fut d’abord progressive et relativement pacifique : nombreux contacts existant de longue date :
– échanges éco.
– appel à de la main d’œuvre barbare pour le travail de la terre
– enrôlement de barbares dans l’armée romaine, non plus seulement comme troupes auxiliaires (comme sous le Haut Empire), mais dans les troupes régulières (=la légion) et dans les Etats majors : désertée par les romains, la défense de l’empire contre les Barbares est assurée par une armée complètement barbarisée.
– signature de traités autorisant l’installation massives de groupes de barbares, et non plus simplement d’individus isolés sur le territoire de l’E.R, avec le droit express de conserver leurs coutumes et leur organisation sociale : statut de fédérés.
à Les invasions proprement dites eurent plusieurs causes essentielles :
– une crise climatique affectant gravement les territoires de pacage de ces populations pastorales, en Europe septentrionale et centrale ;
– la poussée hunnique, terrorisante ;
– l’attrait des richesses d’un empire affaibli et dépeuplé
Les invasions s’étagèrent en plusieurs phases (cf. carte). Notamment, au Vè siècle :
Þ Grande invasion du 31 déc. 406 : Effondrement du limes rhénan : une grosse partie des troupes avait été déplacée vers le sud à cause de la menace wisigothique sur le Nord de l’Italie. Vandales, Suèves et Alains franchissent le Rhin gelé et progressent rapidement le long des voies romaines. Toute la Gaule, puis l’Espagne et l’Afrique sont ravagées. D’autres peuples entrent par cette brèche et ainsi une grande partie de l’Occident est occupée.
Þ Au Sud : poussée des Goths, fuyant les Huns : prise de Rome par Alaric en 410. Le retentissement est énorme. Les païens disent qu’il s’agit là des conséquences du passage au christianisme ; Augustin déprime à Carthage et écrit « La Cité de Dieu » où il explique qu’il ne faut pas confondre la fin du monde et la fin d’un monde. Les Wisigoths remontent en Gaule et s’installent en Aquitaine.
Pourtant, l’Empire n’est pas mort. De nombreux peuples sont fédérés, comme les Burgondes en Sapaudia et on espère une stabilisation des éléments barbares.
Þ En outre, les Huns subissent un double échec : en Gaule en 451, contre une coalition disparate formée de Romains, de Francs, de Wis. et de Burgondes (victoire du Campus Mauriacus, près de Troyes) et en Italie en 452 : prise de conscience d’un destin commun et du rôle que commencent à jouer les Germains ds l’Empire.
Þ Pourtant, la poussée barbare est trop forte : exode massif des Celtes de Bretagne, chassés par les Saxons. Se réfugient en Armorique. Les légions romaines évacuent la Bretagne ds le premier I/4 du Vème siècle.
Þ Les derniers arrivés = les Francs, restés un demi siècle en Belgique et dans le N. de la Gaule, qu’ils envahissent complètement, dans la dernière moitié du Vè s.
Þ Le coup de grâce est donné en 476, lorsque le barbare Odoacre (sans doute un skire : peuple du Danube moyen) dépose l’emp. d’Occident Romulus Augustule et envoie les insignes impériaux à Constantinople. Il s’agit là d’un coup d’Etat accompli à visage découvert sans prétexte impérial. L’empire est renversé de l’intérieur. Lui succède pluralité de royaumes barbares, qui se mettent progressivement en place.
B- La transmission d’une tradition durable
Par la durée de son emprise, par l’éclat de sa culture, par les séductions de son mode de vie, Rome a transmis à l’Occident un héritage particulièrement riche, dont les nations européennes ne cesseront de se nourrir tout au long du M.A. Cet héritage concerne aussi bien la conception du pouvoir (1) que l’organisation d’un système juridique extrêmement cohérent (2). D’ailleurs, dt romain à l’origine de nombreux concepts et outils du droit français. Perfection technique de ce droit.
1- Le legs politique
L’avènement de l’empire romain, avec Auguste, n’avait pas entraîné la suppression, des institutions républicaines, mais la nouvelle répartition des compétences provoque en fait un déclin progressif du rôle des assemblées populaires, dont les attributions sont pour l’essentiel désormais assumées par l’emp. Le titre d’imperator est l’expression de ce pouvoir qui couvre aussi bien le commandement de l’armée, fonction essentielle de l’imperator, que le pouvoir judiciaire et législatif. Grand pontife = mainmise et contrôle de la religion romaine et des grands collèges religieux ; c’est en fonction de ce titre qu’il peut autoriser ou interdire les cultes nouveaux ds l’ER. En outre, une partie imptante du pouvoir impérial est aussi fondé sur les liens privilégiés de l’emp. Et de son peuple, dont il est le protecteur en tant que « père de la patrie ». Cette protection s’exerce par les gratifications offertes au peuple de Rome (du pain et des jeux, constructions) et par son action auprès des provinciaux et de l’armée dont il renforce la fidélité par des dons en argents (donativum).
Culte impérial : Dès le règne d’Auguste, on honore à Rome le génie de l’emp. Et son culte est associé à celui d’autres divinités comme les ares. D’autre part, prestige personnel de l’emp. Accru par le rappel de sa filiation avec sa mort qui, après sa mort, fut divinisé. En outre cérémonie de l’apothéose, décidée à la mort des emp. Par le sénat. En province, mise en place d’un culte de Rome et d’Auguste : renforce l’image dynastique qui tend progressivement à s’imposer, même si en théorie la désignation de l’emp. Et l’attribution de ses pouvoirs reste du domaine du Sénat et du peuple romain.
Après la crise survenue au cours du IIIè siècle (crise morale, crise économique, crise démographique, infiltrations de barbares provoquant des dévastations, usurpations du titre impérial) et l’ébranlement du pouvoir impérial nette reprise en mains intervient avec Dioclétien (284) : renforcement du caractère absolu et du poids religieux de la fonction impériale, associée au culte solaire (Aurélien), à Jupiter et à Hercule (Dioclétien). Imptce croissante du poids de l’armée, qui désigne de plus en plus souvent les emp.
Au total, conception du pouvoir héritée du B.E : celle d’un pouvoir fort, puissamment centralisé, militarisé et législateur : cf. la distorsion introduite entre les sources du droit.
2- Le Legs juridique
Il est essentiel, et peut être décomposé en deux grands ensembles :
– les sources vives du droit
– les codifications
§ Les sources vives du droit
Trois grands types de sources du droit ayant exercé une influence plus ou moins durable sur les destinées du monde occidental.
a)- La coutume
Droit non écrit, extérieur le plus souvent à l’autorité publique, et auquel un usage répété et paisible a fini par conférer une force obligatoire. C’est donc en quelque sorte le produit d’une conscience juridique collective, scellée par la répétition identique des mêmes actes. Ce fut longtemps la source la plus importante du droit romain, avant que l’institution impériale ne s’appropriât à elle seule l’essentiel du pouvoir créateur de droit. Demeure cepdt. vivante, en raison de l’étendue de l’Empire et de la généralité souvent excessive des constitutions impériales : usages suivis par les populations provinciales non complètement romanisées ou pratique quotidienne peu soucieuse des principes théoriques du droit. Menacent l’unité du droit.
– assouplissement des décisions de l’emp. Par la prise en compte d’usages locaux, même si ceux-ci tendent à æ après l’édit de Caracalla.
– pénétration d’usages locaux dans les constitutions impériales, à partir de Const. Ces usages en effet n’ont pas disparu après l’Edit de Caracalla : en tolérant officiellement leur maintien au profit des nouveaux Romains, l’édit renforça leur capacité de contamination sur le droit officiel. C’est en Orient surtout que l’on constate la pénétration des usages locaux.
– En dehors des usages locaux, une autre forme de droit coutumier tient, au B.E., une place imptante = la pratique romaine ou provinciale, sorte de droit romain simplifié, + attentif aux réalités concrètes qu’aux subtiles analyses. N’est pas le produit de coutumes pérégrines, mais se distingue du droit officiel comme le latin vulgaire, ou la langue parlée de la langue littéraire. Droit né de la pratique, appliquant, en les dénaturant et en les simplifiant, les concepts théoriques. Adapté aux besoins de la vie, il donne la part belle aux réalités économiques. On voit ainsi apparaître les notions juridiquement aberrantes de propriété inaliénable ou de propriété limitée ds le temps. La possession de longue durée et l’usufruit sont confondues avec la propriété. Ce droit vulgaire émerge à partir de la fin IIIème siècle. Il, s’affirme en profitant du déclin de la jurisprudence et tend à envahir les chancelleries que ne protège plus la science des grands juristes.
Face à ces deux formes nouvelles de coutume, attitude variable du pouvoir. Certains emp. comme Dioclétien opposèrent aux usages provinciaux et aux déviations vulgaires le barrage de leurs rescrits ; d’autres, comme Constantin, se montrèrent moins sensible à la défense de la pureté classique ; leurs constitutions étaient perméables à bien des innovations provinciales ou vulgaires.
b)- Les constitutions impériales
Au B. E., constitutions appelées le + svt « lois » (leges), car disparition des autres formes de création du droit (lois votées, senatus-consultes, édit du préteur et responsa des prudents) et donc de la lex traditionnelle. L’emp. s’affirme même « loi vivante « (nomos empsychos) : ! l’expression, apparue sous la plume d’un rhéteur du IVè siècle, est reprise dans la Novelle 105 de Justinien : « Dieu a soumis les lois à l’emp., envoyé par lui aux hommes comme loi vivante ». Ces constitutions = la source essentielle et presque exclusive du droit. Sont préparées dans les bureaux de la capitale (chancellerie, consistoire sacré) par des juristes fonctionnaires dont la personnalité reste inconnue. Rédaction assurée par le questeur du palais, de formation + rhéto. que jurid. D’où un style svt assez prétentieux. La langue reste largement le latin, même dans la partie orientale de l’ER, tt au moins jusqu’au début du VIè s.
Un exemplaire de la constitution est conservé aux archives impériales. La diffusion du texte est assurée par l’envoi aux fonctionnaires. Puis affichage, largement insuffisant, cpte tenu de l’immensité de l’ER. Pour les textes les plus importants : reproduction sur des tables de pierre ou de bronze.
3 types essentiels de constitutions :
– les édits, de portée générale. Au B.E on parle aussi de pragmatiques sanctions, lorsque ces constitutions ont un caractère moins solennel.
– les décrets et surtout les rescrits : décisions prises par l’emp. et concernant des cas particuliers (procès pour les décrets, affaires adm. pour les rescrits). Prennent une imptce croissante : emp. consulté sur tout. En outre, son autorité est telle que ces textes font office de précédents, et peuvent ensuite être utilisés dans des affaires analogues. Porcédure nouvelle « par rescrit » a conduit à déférer aux emp. la solutio,n de nomlbreux procès pendants devant des juridictions subalternes ; le rescrit s’est donc développé au détriment des décrets.
– les mandats : instructions aux fonctionnaires. Imptceæ au B.E.
Avec la partition définitive de l’ER, à la fin du IVè s., se pose la question du champ d’application de ces constitutions, tout au moins, les édits et les pragmatiques sanctions. Théoriquement : règle de l’unanimitas, assurant une application universelle des constitutions prises par l’un ou l’autre emp. En fait, nbreuses entorses à ce pcipe. D’où constitution de Théodose II (438) prévoyant la transmission des textes législatifs d’une pars à l’autre pour y être reçus, approuvés et promulgués. C’était à la fois :
– reconnaître l’autonomie législative de chaque emp.
permettre par cette communication de poursuivre l’indispensable unité législative.
c)- La doctrine
œuvre doctrinale des juristes classiques (1er-3ème siècles) reste applicable : « jus vetus » par opposition aux nouvelles « leges » : commentaires à l’édit du préteur, responsa et exposés de droit civil. Doctrine des IVè-Vème siècles beaucoup moins brillante et profondément différente de la doctrine classique :
– anonyme : De + en + de juristes servent l’emp. dans les bureaux. Leur œuvre créatrice la + imptante = leur participation à la législation impériale. D’où un déclin de l’autonomie du pôle doctrinal
-+ dogmatique, composée par des professeurs et étroitement liée à l’enseignement. Goût pour les classifications et les définitions. Ds les universités où l’activité d’enseignement reste vivante (Rome, Cple, Beyrouth), l’œuvre créatrice s’est tarie ; on glose, on résume, on publie des manuels destinés aux étudiants et aux praticiens.
– doctrine + simple, voire sommaire : composition de nombreux abrégés, résumés, le plus souvent assez brefs (Ex : Les sentences de Paul, extraites des ouvrages de Paul et compilées verts 325 ; cf. aussi les Règles d’Ulpien)
– œuvre de compilation, + que de création : l’emp. s’est réservé le quasi monopole d’une production originale de la norme jurid. D’où également l’imptce des commentaires des œuvres des grands juristes de la doctrine classique.
Phénomène de calcification encore accentué par la fixation officielle de l’autorité de la doctrine, rendue nécessaire par la multiplicité des opinions doctrinales et leurs contradictions entre elles, qui embarrassent les juges.
Pour répondre à ce pb. promulgation, en 426, de la loi des citations par l’emp. Valentinien III : confirme de façon officielle et impérative l’autorité que les œuvres postclassiques avaient déjà accordée à 5 juristes : désormais, Gaius, Papinien, Paul, Ulpien et Modestin pourront tjrs être allégués devant les tribunaux. Les autres jurisconsultes ne pourront l’être que sous d’importantes restrictions, en particulier s’ils sont eux-mêmes cités par l’un des 5 grands. Sinon, seule l’opinion de ces derniers est recevable.
En cas de divergences d’opinions entre ces 5 docteurs, le juge devait statuer conformément à l’opinion de la majorité. En cas d’égalité, Papinien l’emportait. S’il ne s’était pas prononcé, le juge retrouvait sa liberté.
Cette loi signe donc l’aveu de la médiocrité du personnel judiciaire, et marque une aggravation de la mainmise impériale sur la doctrine, qui s’affirme également avec les grandes codifications des Vè-VIè s.
§ Les codifications impériales
Au B.E. constitutions impériales sont désormais appelées leges
L’abondance de la législation impériale, qui représente à elle seule la quasi-totalité du droit « vivant », son imptce croissante, et les insuffisances notoires de sa diffusion incitèrent de bonne heure à en faire des recueils dont le but principal = fournir aux praticiens une anthologie commode des décisions les plus imptantes. Les premières expériences = le fruit d’initiatives privées, parmi lesquelles on peut citer, notamment :
– le code Grégorien, composé probablement en 291-292 (rescrits de droit privé) ;
– le code Hermogénien, réalisé pour le compléter, en 295-305
Ces oeuvres = anonymes, privées, donc sans autorité officielle, juxtaposant les textes des constitutions impériales sans essayer de les analyser : but essentiellement pratique.
Ce telles tentatives deviennent elles-mêmes insuffisantes, lorsqu’au cours du IVè s., la multiplication des constitutions impériales amena de profonds changements dans l’éco. générale du droit romain. D’où la mise en œuvre de codifications officielles.
a)- Le Code Théodosien
Constitution promulguée par Théodose II le 20 déc. 435 posant pl. principes directeurs devant permettre de parvenir à une codification officielle utilisable par tous et valable partout : il s’agissait e réaffirmer l’unité de l’ER : le Code devait donc être appliquéuniformément en Orient et en Occident.
– rassembler ttes les constitutions générales émises depuis Constantin (= depuis 1 siècle) ;
– les répartir par matières entre les divers titres du nouveau code, et pour cela, au besoin, en disperser les fragments ente pl. titres ;
– classer, à l’int. de chaque titre, les constitutions par ordre chronologique ;
– reproduire seult ce qui, ds chaque constitution, avait valeur législative, en supprimant les dév. inutiles, en mettant fin aux contradictions de textes, en modifiant, si nécessaire, ce qui n’était + adapté aux besoins de l’époque, en ajoutant éventuellement des éléments souhaitables. Les compilateurs avaient donc pour mission d’interpoler les textes et de les mettre à jour.
Travail confié dès 429 à une commission de 16 membres, ts hauts fonctionnaires. Un seul est qualifié de docteur en droit. Achevé en 437, le Code fut promulgué en 438 et comprend 16 livres subdivisés en titres. Pour chacun, les constitutions sont classées par ordre chronologique. Les contradictions, les textes désuets ont été suprimés. Reçu en Orient et en Occident, où, après la chute de l’ER, il demeura ds les royaumes barbares, la source essentielle de la connaissance du droit romain jusqu’au XIIème siècle.
b)- Les compilations justiniennes (début VIè s.)
Elles constituent une œuvre bcp + ambitieuse que le Code théodosien, parce que bcp + globale. S’insèrent en outre dans un projet politique de restauration générale de l’ER. (cf. les reconquêtes opérées en Afrique sur les Vandales, en It ; sur les Ostr. Et en Esp. Sur les Wis.). Techniquement, cette remise en ordre du droit s’imposait : les codifications antérieures étaient dépassées ; la jurisprudence classique dispersée ds des milliers de volumes de textes peu sûrs, mal connue, desservie par l’absurde loi des citations, déformée par les médiocres résumés postclassiques, concurrencée par l’invasion des coutumes non officielles. Politiquement, affirmation de l’autorité impériale et de la supériorité de la tradition romaine sur l’hellénisation de la culture.
Justinien = emp. de l’E.R d’orient (527-565). Prit comme pcipal collaborateur, pour mener à bien son œuvre juridique, un prof de l’école de doit de Cple, Tribonien, maître des offices puis questeur du palais. S’est entouré d’une équipe formée de professeurs et d’avocats : la chaire et le forum, la théorie et la pratique marchaient du même pas.
Cet ensemble comprend 4 ouvrages distincts, que depuis le MA on rassemble sous le nom commun de Corpus Juris civilis.
* Le Code Justinien : 2 versions promulguées successivement en 529 (version non conservée) et en 534. Comprend un choix de constitutions impériales allant d’Hadrien (IIè s.) à Justinien lui-même. complète donc le Code Th., dont il suit d’ailleurs les pcipes d’organisation : répartition en 12 livres (par référence et en hommage à la Loi des XII Tables), subdivisés en titres portant chacun sur une matière déterminée. A l’int. Des titres, les constitutions sont classés selon un ordre chronologique, chacune contenant l’indication de l’emp. qui l’a promulguée, l’identité de son destinataire et les lieu et date de publication. Edits ou rescrits, toutes les constitutions reçoivent du Code une autorité égale. Les textes désuets ont été rejetés ou interpolés (= remaniés). Appliqué en Orient, le Code y fit immédiatement l’objet de commentaires qui corrigèrent ses dispositions en partie anachroniques. Reçu en Italie, à la faveur de la reconquête éphémère, il n’y trouva guère de succès et y fut rapidement oublié.
* Le Digeste ou les Pandectes = compilation de fragments de jurisconsultes classiques = œuvre bcp. + considérable que le Code ; + originale aussi. Ne comprend que le jus = extraites de la jurisprudence classique. Son nom, lui vient de ce qu’il amalgamait le droit civil et le droit prétorien. Sa réalisation posa d’énormes difficultés pratiques. Masse doctrinale énorme, échelonnée sur 5 siècles et 1500 livres à dépouiller . Nombreux choix à opérer car opinions souvent anciennes et contradictoires, conformément aux directives données par la constitution Deo auctore du 15 déc. 530. Volonté de Justinien de faire un tout homgène et actuel. Méthode très stricte : la commission (composée de 4 profs et de 11 avocats) devait faire des choix draconiens, tailler ds les textes trop longs, les faire éclater en menus fragments pour les ranger sous des thèmes uniques, supprimer les divergences et les anachronismes. Digeste promulgué le 16 déc. 533, et donc achevé en un temps record : 10 années avaient été prévues, 3 suffirent. De 3 millions de lignes que formaient les matériaux d départ (au dire de Justinien), 150 000 seulement furent extraites. Les oeuvres de 38 juristes différents ont fourni des citations de Q. Mucius Scaevola (fin du IIème siècle av. J-C.) à Hermogénien (fin du IIIème siècle ap. J-C.), avec une forte prévalence de Gaius, Paul, Papinien et surtout Ulpien. 50 livres divisés ent itres répondant chacun à un thème ; titres formés de fragments numérotés précédés de son inscription (auteur et titre de l’ouvrage).
Œuvre de synthèse entre tradition (l’essentiel des textes cités date de plus de 3 siècles)et innovation. Souci de citer et de respecter les sources même si nbreuses interpolations par ajouts, suppressions, modifications. Toutefois, la rapidité du travail mené interdit de supposer des remaniements profonds. Pour le fond, c’est donc bien le droit privé des IIè-IIIème siècles qui est contenu ds le Digeste ; il en résulte une œuvre anachronique, marquant la victoire de l’école sur les praticiens. L’œuvre est si dépassée quand elle paraît que Justinien dut la compléter, ou plutôt la corriger par de très nombreuses constitutions rassemblées sous le titre de Novelles (cf. infra). Succès donc assez médiocre de l’ouvrage auprès des praticiens, même en Orient, où il ne fut guère utilisé. Reste une œuvre d’école, connue essentiellement par un seul manuscrit complet (du VIè-VIIè s). : la Florentine.
La signification idéologique du Digeste ressort plus nettement. La volonté impériale qui l’anime affirme la permanence et la supériorité de la culture romaine : défense de la pureté du droit classique contre les déviations vulgaires ; l’unité du droit se place au service de l’unité du pouvoir. Efforts tardifs et sans doute vains ds l’immédiat. Porteront leurs fruits aux XIè-XIIème siècles. Sans Justinien, l’œuvre juridique de la Rome classique eût été engloutie.
* Les Institutes = manuel d’enseignement du droit (promulgué le 21 nov. 533) rédigé par 3 profs. L’ouvrage s’inspire fortement des Institutes de Gaius dont il reprend le plan en 4 livres (personnes, biens et successions, obligations, délits et actions).Grand succès en Orient surtout.
* Les Novelles : recueil des 158 constitutions impériales post. au Code de Justinien. Publiées ne grec, apportent souvent des innovations considérables. Prise de recul par rapport aux solutions du droit classique rassemblées par les soins de l’emp. en hommage au passé. Avec réalisme, bon sens et courage, Justinien prend acte de l’évolution du droit et des moeurs. Ex. Novelle 118 sur le droit de la famille ; reconnaît l’imptce des liens du sang pour définir l’ordre de succession (inspirera les dispositions du Code civil, inchangées jusqu’en 1957). Les Novelles transmirent ainsi un droit évolué, associant la perfection de la technique classique l’innovation. Grand succès en Orient, et même en Occident, où, traduites en latin elles furent connues à partir du XIIème siècle (Epitome Juliani).
N.B : L’ensemble des compilations justiniennes, promulguées en Orient ap. La chute de l’ERO, demeura longtemps inconnu en Occ. , même si elles furent introduites en It. Au VIè s. , à la demande du pape Vigile. Elles n’en servirent pas moins de socle à la redécouverte du droit romain, au XIè s.
Section II- L’établissement des monarchies germaniques en Europe
N.B : Ap. la chute de l’ER, 2 phénomènes majeurs vont dominer l’histoire de l’Occident :
n le morcellement politique, même si souvenir de l’empire romain reste très vivant tout au long du MA ;
n l’établissement de monarchies, régimes honnis par les Romains : rupture par rapport à la tradition politique classique.
Grandes migrations de peuples introduisent ds le monde romain des populations nouvelles, pour la plupart d’origine germanique, qui s’enracinent de gré ou de force sur une portion de l’ancien territoire impérial : les Vandales en Afrique, les Suèves en Lusitanie et au N-O. de la péninsule ibérique, les Wisigoths ailleurs en Espagne et en Gaule méridionale, les Ostrogoths en Italie, les Burgondes en Gaule du S-E., les Francs et les Alamans d’abord ds la région rhénane, puis en Gaule, les Angles et les Saxons en Bretagne, les Bretons en Armorique.
Ces migrations bouleversent également la carte politique de l’Occident, désormais morcelé en petites dominations guerrières, mais ne portent pas sur des effectifs considérables. Ceux-ci ne sont guère chiffrables mais ne dépassent guère qques dizaines de milliers d’hommes. Néanmoins, ces migrations introduisent ds l’Empire des groupes cohérents de barbares que tt sépare et distingue des populations autochtones romanisées : invasion et installations des peuples germaniques se sont accompagnées de violences et de spoliations créant des haines durables. En outre, ces peuples se distinguaient des populations romanisées par leur genre de vie exclusivement rural et militaire, par leur langue et leur absence de culture écrite, par leurs croyances religieuses enfin : les Germains étaient restés païens ou devenus chrétiens hérétiques (ariens). Tout concourait donc à réduire les contacts au minimum et à juxtaposer des mondes radicalement différents.
Pas d’unité véritable ds un Occident constamment envahi par des peuples gouvernés par des rois dont les héritiers se déchirent entre eux pour conserver ou partager les possessions, sans notion claire de permanence ou d’existence supérieure de l’Etat : monarchies patrimoniales fondées sur la valeur guerrière du chef et sur le prestige de son sang (cf. les reges criniti). Les seules institutions a avoir survécu à l’effondrement du monde antique = la cité et surtout l’Eglise, qui arbitra une bonne partie des destinées de l’Occident, en résistant aux tentatives d’unification arienne menées par les wisigoths et les Ostrogoths puis en soutenant le pouvoir des mérovingiens, devenus catholiques après la conversion de Clovis.
La dislocation de l’ERO, si elle créa incontestablement une période de vide jurid. Et de chaos politique, permit néanmoins la cristallisation de nouvelles entités territoriales, autour de quelques chefs charismatiques. En Gaule, Clovis fut l’un de ceux là, servi par le succès des armes (cf., Tolbiac, Soissons, Vouillé 507), l’efficacité de son sens politique, et surtout le soutien inconditionnel de la toute puissante Église catho. 1er exemple d’alliance du trône et de l’autel.
2 pbs essentiels vont alors se poser :
– celui de la coexistence dans un même espace de plusieurs traditions et de plusieurs ethnies radicalement différentes : pourront elles fusionner pour donner naissance à une entité nouvelle ? (sous section I)
– celui de la stabilisation politique des nouveaux ensembles ainsi crées, autour d’une dynastie durable et d’institutions efficaces ( sous section II).
sous section I- La difficile fusion des traditions juridiques romaine et germanique
§ I- Territorialité et personnalité des lois
* En droit positif, la loi de l’Etat régit en pcipe ceux qui, nationaux ou étrangers, vivent sur son territoire : c’est la règle de la territorialité des lois. Cf. Art. 1 C. Civ. :
« Les lois sont exécutoires sur tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite. »
Dans l’E.R, depuis l’édit de Caracalla, et quelles que soient les variantes du droit romain dit « vulgaire » appliquées dans les diverses provinces d’Occ., le pcipe de l’unité jurid. de la romanité avait toujours été pareillement sauvegardé : l’ensemble des pop. vivant sur les terres où s’exerçait le pouvoir des emp. suivait des usages sinon semblables, du moins inspirés de sources communes, puisée dans les constitutions ou les codifications du B.E. Le droit était donc d’application territoriale.
* Les choses changèrent avec l’installation des peuplades « barbares » : coexistence d’éléments ethniques diversifiés et de cultures différentes. D’où une juxtaposition des traditions jurid. Pas de tentative des envahisseurs pour imposer aux Gallo-romains l’obéissance à leurs lois : reconnaissance implicite de la supériorité technique du droit romain.
En pratique, donc : application du syst. de la personnalité des lois, c.a.d. détermination du droit applicable effectuée en fonction de l’origine ethnique de la pers. : imptce de la professio legis : « sous quelle loi vis-tu ? » C’est la naissance qui règle le pb ; : l’enfant légitime suit la loi de son père ; l’enfant naturel la loi de sa mère. Le syst. connaît cepdt des exceptions :
– f. mariée prend la loi de son mari, si elle est différente de la sienne ;
– affranchi suit la loi en vertu de laquelle a été accompli son affranchissement ;
– clercs suivent tjrs la loi romaine.
Syst. prévalant pdt pl. siècles. D’autant + imptant en Gaule que le royaume méro. = le + puissant d’Europe : force conquérante qui assujettit de nbreux peuples sous son joug.
* Cepdt, nbreux éléments poussent à la territorialisation :
– territorialité des lois de police et du droit public : la personnalité des lois ne jouent qu’en droit privé et en droit pénal ;
– complexité du syst., notamment en cas d’instance mixte : détermination pratique de la loi applicable : conflits de lois
– existence de contaminations réciproques entre les droits romain et barbare, surtout au S. du royaume (t. romanisé) et au N. (t. barbarisé).
– incompétence des juges
– imptce des mariages mixtes et des phénomènes d’acculturation : vident peu à peu le syst. de la pers. des lois de sa substance. De + processus de fixation et de territorialisation des coutumes (cf. infra.)
§ II- L’équipement juridique romano-germanique
A- Le droit des Gallo-romains
Ne disposent pas de législation spéciale, mais sont soumis au droit romain. Cepdt., pose de nbreux pbs d’application :
– sources abondantes
– ignorance des juges
– complexité technique de la législation romaine
Il fallut donc assez vite rédiger des compilations simplifiées. 2 sont connues pour la Gaule (réalisées significativement ds le S. du royaume) :
– Lex romana Burgundiorum, rédigée sur l’ordre de Gondebaud, roi des Burgondes.. Appelée également le Papien.
– Lex romana wisigothorum, qui éclipsa la précédente. + connue sous le nom de Bréviaire d’Alaric : rédigée sur l’ordre d’Alaric II en 506, ap. avoir été préparée par une commission de savants et approuvée par une assemblée d’évêques et de notables. Comprend à la fois des extraits de constitutions et des fragments de jurisconsultes romains, accompagnés d’une interpretatio en latin vulgaire. Code appliqué non seult ds l’ancien roy. Wis , mais également ds l’ensemble du roy. Franc = seul recueil des lois romaines en France étudié jusqu’à la renaissance justinienne du XIè s.
N.B : dans les 2 cas :
– compilations d’origine publique
– visée politique du droit : souci d’intégration, voire de ralliement des pop. gallo-romaines, largement majoritaires (c’est vrai surtt pour Alaric II).
B- La mise par écrit des coutumes germaniques
v Avt les invasions, Germains régis par des coutumes non écrites, issues de la CS jurid. du peuple, conservées et transmises de génération en génération par les sages de la tribu.
v Avec les invasions : mise en contact avec des civili. techniquement + avancées. D’où la nécessité d’une mise par écrit, à des fins de conservation. En outre, chose remarquable : cette rédaction se fit partt en latin, sauf chez les Angles et les Saxons. Ce sont ces coutumes rédigées qui portent improprement le nom de « lois barbares ».
En Gaule, furent notamment diffusées :
– la loi des Wis. ou Code d’Euric, la + ancienne (v. 470-480)
– la loi des Burgondes (ou loi Gombette), rédigée sur ordre de Gondebaud au début du VIè s.
– surtout : la loi salique, ou loi des Francs saliens (installés au N. de la Gaule, dans la partie la + occidentale). Celle de lois germaniques ayant le + conservé son originalité primitive. En outre = loi d’un peuple conquérant, dont les monarques, méro. puis caro. Imposèrent leur pvoir à la + grande parie de l’Ouest européen.
Nbreuses rédactions. + de 60 manuscrits connus. La + ancienne version date de l’époque de Clovis (510) et la dernière de Charlemagne (fin VIIIè s.). T. peu de traces de christianisme ; présence de gloses malbergiques en francique.
* Contenu : 5 titres seult sur les 65 de la rédaction primitive concernent le droit privé (soit 8 %), avec notamment le fameux titre 59 De alodis, excluant les f. de la succession à la terra salica (texte invoqué à tort au XIVè s. pour fonder l’exclusion des f. de la succession à la Couronne de France).
Le reste une énumération de compositions tarifées sensées constituer une alternative facultative à la vengeance privée (faida). Syst. Dit du wergeld (prix du sang), variant en fonction de :
– la nature du crime : énumération de nbreuses circonstances aggravantes :
- · casuistique des blessures
- · dissimulation du corps de la victime avec des branches
– la qualité de la victime :
- âge (S.M, procréation)
- sexe
- condition sociale
Soc. violente et rudimentaire, mal encadré par un pvoir pol. svt défaillant.
sous section II- L’échec des tentatives de reconstruction politique
Il tient d’une part à l’immaturité de l’expérience mérovingienne, encore trop proche des conceptions barbares (§ I) et d’autre part à l’insuffisance des moyens dégagés pour assurer la pérennité de la Renaissance caro. (§ II).
§ I- L’immaturité de l’expérience mérovingienne (Vè-VIIIès)
Pvoir franc institue pour la 1ère fois dans l’histoire de France une monarchie (syst. Pol. abhorré des Romains, qui y voyaient l’une des caractéristiques propres du monde barbare ou des tyrannies orientales).
Royauté méro. présente deux spécificités remarquables, qui seront à l’origine de son effondrement :
A- La patrimonialisation du royaume
Disparition de l’idée d’État et des notions de droit public. Royaume = propriété du roi, acquise par droit de conquête. D’où 2 conséquences majeures :
* aliénation : le roi peut donner ou vendre des terre, mais aussi le droit de juger, de lever des impôts ou de recruter une armée. D’où un terme un risque de démembrement du royaume.
* transmission à cause de mort : droit privé des successions entraînant un partage du royaume en parts égales entre les fils du roi, après sa mort (cf. carte). N.B : Ces partages sont effectués sur une base purement éco. : le royaume doit rapporter de l’argent. Ils n’ont donc aucune cohérence géographique, culturelle ou ethnique (Austrasie ; Neustrie).
B- Le caractère personnel du pouvoir royal :
Autorité fondée sur le charisme propre à la personne royal, qui s’enracine dans une dynastie élue (celle des reges criniti) et qui se marque par les victoires au combat. D’où une administration de caractère personnel et l’absence de capitale : monarchie itinérante qui suit le roi dans ses déplacements.
Conséquence : une certaine fragilité du pouvoir, privé de bases stables et durables, en dehors de la fidélité dynastique, qui est réelle (cf. la difficulté qu’ont eue les Pippinides à déposer le dernier roi méro.). Attention en outre à ne pas caricaturer : 1ers Méro. jusqu’à Dagobert (milieu du VIIè s.) ont exercé une autorité forte, sanctionnée par d’importantes victoires militaires, mais aussi par une abondante activité législative et diplomatique : 1ère puissance de l’Occident, traitant notamment avec l’Empire d’Orient.
Au milieu du VIIè s., les choses se gâtent :
– appauvrissement de la monarchie, du fait de distributions excessives de terres à une aristocratie de + en + puissante ; En outre = effets négatifs de la crise éco (fermeture des débouchés méd.)
– phénomène de médiatisation du pouvoir aboutissant à une dislocation progressive de l’autorité centrale ;
– succession de monarques t. jeunes et débiles, usés précocement par une vie de débauche (cf. généalogie). Le maire du Palais occupe le 1er plan. Ascension de la famille Pippinides :
§ II- Les limites de la Renaissance carolingienne (VIIIè-Xè s.)
Expérience pol. et jurid. bcp + aboutie que la monarchie méro. Utilisation du double apport de la romanité et du christianisme pour fonder une doctrine cohérente du pouvoir et une pratique efficace de l’autorité royale, puis impériale.
A- la sacralisation de l’ordre politique
Trait fondamental du pouvoir carolingien, cette sacralisation est intimement liée à l’avènement de la dynastie, largement favorisé par les plus hautes autorités religieuses, épiscopale et papale. Alliance première du trône et de l’autel fondant à la fois une théologie de l’autorité (c’est à dire une justification du pouvoir) (1) et une morale du gouvernement (c’est à dire une définition de ses modes d’exercice) (2).
1- une théologie de l’autorité
Le pb. majeur posé aux Carolingiens au début de leur règne = un pb. de légitimité, né d’une usurpation originelle du titre royal : renversement de Childéric III, dernier descendant des Mérovingiens, dont la dynastie présidait aux destinées e la Gaule depuis Clovis, c’est à dire depuis près de 3 siècles.
Or légitimité = un élément fondamental pour l’exercice et surtout la pérennisation d’un pouvoir, quel qu’il soit. Puisque légitimité dynastique pas possible, Carolingiens se tournèrent vers d’autres sources de légitimation, par l’Eglise, d’une part (a), par l’histoire d’autre part (b).
a)- La légitimation ecclésiale : les sacres royaux de 751 et 754
Événements ne sont pas intéressants en soi mais par ce qu’ils révèlent des forces historiques à l’oeuvre pendant des décennies, parfois pendant des siècles. Événement de 751 ne fait pas exception à la règle : constitue à la fois un point de départ et un point d’arrivée
= le point d’arrivée du processus de décomposition interne du pouvoir mérovingien conjugué avec l’ascension rapide d’une grande famille aristocratique, celle des Pippinides (a).
= le point de départ d’une nouvelle dynastie qui ne règna guère que pendant un peu plus de deux siècles -et encore, avec des phases d’interruption – mais dont le bilan effectif marqua d’une empreinte profonde l’histoire de l’Europe continentale en général, de la France en particulier (b).
a)- La puissance d’une famille : Les Pippinides
Royauté mérovingienne minée par les partages successoraux qui entraînèrent dès le VIIè s. la constitution d’entités territoriales plus ou moins indépendantes élevées au rang de regna : l’Austrasie à l’est, la Neustrie, au Centre et à l’ouest et la Bourgogne vers le centre et le sud. Aquitaine et Bretagne échappent désormais totalement à l’emprise des rois méro.
Pour les seconder ds leurs tâches, ces derniers s’entourent de maires du palais, d’abord confinés ds des tâches domestiques, puis investis, à partir de 613 de prérogatives territoriales très larges dans chacun des trois regna : deviennent en quelque sorte de véritables vice rois. Or parmi ces maires du palais, une famille issue de l’Austrasie, puissamment possessionnée et dotée d’une abondante clientèle de guerriers, ne tarde pas à se faire remarquer : celle des Pippinides : tire son nom de Pépin l’ancien, fondateur de la dynastie. Son petit fils, Pépin le jeune, parvient même à unifier les 3 mairies du palais entre ses mains après la bataille de Tertry (687) et se fait donner le titre de duc des Francs. face au pouvoir morcelé des rois, celui des Pippinides apparaît donc fort et unifié. En outre, derniers souverains méro. faibles et dégénérés (cf. Texte d’Eginhard évoquant les rois fainéants).
– 2ème phase amorcée avec le fils bâtard de Pépin le Jeune : Charles, surnommé Martel, qui parvint assez rapidement à s’imposer à l’ensemble du royaume mérovingien, faisant et défaisant les rois. 2 armes essentielles entre ces mains :
– l’appui de l’Eglise, et notamment de la papauté, désireuse d’évangéliser les peuples encore païens d’Europe du Nord : Requête de Grégoire II priant le « glorieux seigneur duc Charles » d’accorder sa protection au Saxon Boniface, qu’il vient de nommer évêque afin d’accomplir cette tâche missionnaire. Or le soutien traditionnel de l’Eglise de Rome, pour ce qui touchait s propre défense, depuis la conversion de Constantin = l’empereur. La requête de Grégoire II adressée à Charles Martel, et non au basileus de Constantinople ou au roi mérovingien = une 1ère approche des Francs en vue d’assurer la relève impériale. Par ce biais, Charles affirmait en outre à la fois sa primauté politique et sa vocation de défenseur de la chrétienté.
Dès 724, Charles se voit très logiquement reconnaître le titre de Princeps Francorum : sans avoir jamais reçu aucune investiture de quelque roi e titre, il attirait à sa personne les prérogatives les plus importantes qui désignaient hier les monarques et qui leur étaient venues de l’ER.
– les victoires militaires, obtenues face au danger musulman grâce :
– au recrutement d’une puissante armée : sécularisation massive des biens d’Église fondée sur les pouvoirs que conférait le titre de princeps : celui-ci est considéré comme le détenteur originaire des biens et des droits des églises épiscopales, ainsi que comme l’abbé originaire de toute abbaye soumise à s protection. devt l’urgence du péril, Charles a interprété de façon large ce type de prérogative, pour distribuer à ses fidèles les biens d’Église, pour installer qui il voulait, fût-ce des laïcs, à la tête des églises épiscopales ou des abbayes placées sous sa protection. Ultérieurement, on en déduira que toutes les églises épiscopales ainsi que toutes les abbayes protégées sont royales, c’est à dire que le roi est libre d’en désigner les titulaires à sa guise.
– à la concession de fiefs : introduction d’une première forme de vassalité royale (cf. infra).
– au recours à la cavalerie.
Expansion musulmane en Espagne commencée en 711 avec le franchissement du détroit de Gibraltar opéré par des Arabes, aidés par des contingents berbères récemment convertis. Passent facilement les Pyrénées orientales pour cueillir en Septimanie l’héritage des Wisigoths vaincus : Narbonne occupée en 719, Carcassonne et Nîmes en 725. Raid fut même lancé cette année là jusqu’à Autun, le long de l’axe Rhône-Saône. Prince d’Aquitaine, débordé, fait appel à Charles Martel. A la tête d’une nombreuse armée défait et tue le chef musulman Abd-al-Rahmân, non loi de Poitiers (pillée), sur la route de Tours, le 25 octobre 732. Portée de l’événement :
– n’est plus considéré comme le coup d’arrêt décisif à l’expansion conquérante de l’Islam en Occident : celle-ci avait déjà commencé de s’essouffler en Espagne et le raid d’Abd-al-Rahman ne fut dès le départ qu’une simple opération de razzia ;
– eut néanmoins un retentissement considérable ds tt l’Occident, faisant de Charles et de sa famille les protecteurs « naturels » de la chrétienté ;
– Permit enfin au princeps Francorum de se rendre maître de tte la Gaule en obtenant la soumission du Midi. Ce titre de princpes lui fut d’ailleurs reconnu très officiellement par le pape en personne, et après sa mort, survenue en 741, passa à ses 2 fils Carloman et Pépin.
– 3ème phase : Charles Martel, en dépit de toute sa puissance et de toute sa gloire, ne légiféra semble-t-il jamais : h. d’action avant tout. Ce furent ses deux fils, Carloman, d’abord, puis Pépin, entre lesquels il avait partagé par avance des royaumes francs, qui entreprirent de le faire, en union étroite avec la papauté. L’objectif essentiel = la réforme de l’église franque, perturbée par l’incurie méro. puis par les sécularisations de Charles Martel. Réunion de plusieurs conciles, sous l’égide de Boniface, devenu archevêque pour le royaume d’Austrasie.
746 : Carloman se retire au monastère du Mont Cassin ; Pépin reste seul princeps des Francs. Il va pouvoir opérer dès lors uns évolution décisive vers la monarchie.
b)- La naissance d’une dynastie : les Carolingiens
Vigueur de la fidélité dynastique aux Mérovingiens, en dépit de l’affaiblissement de ceux-ci. Pour Pépin le Bref, qui exerçait déjà une parfaite maîtrise de la fonction royale franque, l’accession à la royauté en titre ne méritait donc d’être entreprise qu’à coup sûr. D’où une préparation soigneuse qui visa surtout à obtenir le plus complet appui de la part des autorités ecclésiastiques.
Ø L’ambassade auprès du pape Zacharie et l’intervention de ce dernier (750)
cf. le témoignage des Annales du royaume des Francs, composées vers 788 :
« Bouchard, évêque de Wurzbourg et le chapelain Fulcrade ont été envoyés auprès du pape Zacharie, pour lui demander au sujet des rois en Francia qui en ces temps n’avaient pas de potestas royale, si cela était bon ou non. Et Zacharie fit dire à Pépin que mieux valait appeler roi celui qui avait la potestas que celui qui restait sans potestas royale ; pour ne pas perturber l’ordre, il ordonna, de par l’autorité apostolique, que l’on fît roi Pépin. »
Il s’agit donc bien plus qu’un simple avis, voire qu’une autorisation : véritable ordre donné par le pape, au nom d’une meilleure administration des affaires temporelles, conforme à l’harmonie de la cité céleste (vision augustinienne du monde). Prend significativement la forme d’une sorte de rescrit impérial (question/réponse : cf. infra).
Ø La cérémonie de Soissons (751)
Fort de la réponde pontificale, Pépin réunit à Soissons une assemblée de « tous les Francs » qui, « par leur élection » l’élevèrent à la royauté, tandis que « les évêques des Gaules présents l’oignirent du Saint Chrême« , ainsi d’ailleurs que sa femme, la reine Berthe. D’où le double caractère de cette cérémonie :
– « élection » profane par les Francs : caractère populaire traditionnel de la royauté franque. Désignation collective par acclamation ;
– nouveauté majeure : la consécration épiscopale : Pépin fut le premier roi des francs à avoir été sacré à la manière des évêques (le dernier en France = Charles X). On doit y voir la double influence
– des wis. , dont certains réfugiés taient peut-être présents ds l’entourage de Pépin et qui se souvenaient que depuis 672 et Wamba, tous leurs rois avaient été sacrés ;
– des Anglo-saxons, et en particulier de Boniface qui dut jouer un rôle imptant ds les événements de 751 et qui savait que l’onction royale était un rituel pratiqué ds les royaumes celtiques de l’ouest.
Ds tous les cas, on s’inspirait d’un précédent illustre, celui des rois de l’AT, Saül, David et les autres, que l’onction fondatrice avait littéralement investis de la grâce divine. Pépin sut d’ailleurs opportunément saisir l’avantage que lui conférait une telle initiation : il rappellerait volontiers ds ses diplômes que c’est « la divine providence qui l’avait oint pour le trône royal. »
Ø Les sacres de Saint Denis
Scalp de Childéric III renvoyé ds le monastère de Saint Bertin. Son fils Thierry fut pour sa part enfermé à Fontenelle : inévitablement, l’événement provoqué des remous, que nous cachent presque toutes les sources écrites, majoritairement sorties du milieu pippinide. Rome, où Étienne II succéda à Zacharie en 752, offrit alors à Pépin l’occasion inespérée d’asseoir plus solidement sa légitimité, grâce à un nouveau sacre.
Le seul témoignage précis sur cet événement capital = la clausula de unctione Pepini, rédigée en 767 (cf. dossier de textes). Fait état d’un nouveau sacre effectué ds l’illustre basilique de Saint Denis des mains mêmes du pape Étienne II. Touchant à la fois Pépin et ses 2 fils Charles et Carloman, il leur donne à la fois le titre de roi (des Francs) et de patrice (des romains). Il s’accompagne également d’une bénédiction de la reine Berthe puis des grands. Enfin, la cérémonie est prolongée par l’engagement que prend le pape d’excommunier quiconque élirait roi une personne étrangère à la souche de Pépin et de Berthe. C’est donc le pape qui, par le biais d’une menace spirituelle, fonde la dynastie carolingienne et sa vocation perpétuelle à régner.
Cet engagement a été la source d’un soutien effectif assuré par la papauté, même en des temps très critiques : alliance très puissante dont il importe de pénétrer les raisons :
1)- Défense de l’Eglise de Rome. Lors du voyage préliminaire qu’il fit en Francia, le pape Étienne II avait obtenu un certain nombre de garanties et de promesses de la part de Pépin : mois de janvier 754 tout entier consacré à d’âpres négociations.
– reconnaissance de son autorité supérieure par un ensemble de gestes symboliques et ritualisés : inclinaison de Pépin jusqu’à terre, comme pour l’adoratio impériale, service d’écuyer (signe de déférence dont avaient usé les derniers empereurs d’Occident à l’égard des évêques de Rome, etc.
– surtout : assurances données quant à la situation politique de la péninsule italienne en proie à l’invasion des Lombards : tt ce que ces derniers avaient réussi à conquérir comme terres relevant de l’empereur (comme l’exarchat de Ravenne) ou comme possessions propres de l’Eglise de Rome devait être « restitué » au pape, en vertu du serment prêté par Pépin. Engagement aboutissant à la papauté d’établir sur une fraction importante du territoire italien une véritable domination politique.
Il fallut deux expéditions franques en Italie pour donner à ce basculement une sanction juridique et territoriale. Au terme de la deuxième campagne, l’abbé de Saint Denis, venu en personne, prit possession de 22 cités reprises sur le roi lombard, et vint en déposer les clefs sur l’autel de Saint Pierre, ds la basilique romaine du Vatican, avec un acte de donation perpétuelle. Ainsi se trouvait fondé le patrimoine de Saint Pierre ou État pontifical, organisé autour de 2 pôles l’un – adriatique – centré sur Ravenne et l’autre -tyrrhénien – centré sur Rome, reliés l’un à l’autre par un mince ruban de terre à travers l’Apennin. A Byzance, l’emp. eut beau protester, il ne pouvait rien faire.
2)- Statut politique de l’Eglise de Rome : A la faveur de la collaboration croissante de la papauté et des Pippinides, remarquable dès les années 740, effort fait par le successeur de Pierre pour se substituer aux prérogatives de l’empereur d’Orient, ss cepdt rompre avec lui. Plusieurs signes :
– demande de restitution de l’exarchat de Ravenne : en réalité une terre impériale qui n’a jamais appartenu au pape ;
– désignation d’un patrice des romains : titre relevant traditionnellement de la compétence exclusive du seul empereur.
– qques décennies plus tard : élaboration du faux le plus célèbre de l’histoire : la pseudo donation de Constantin, aux termes de laquelle l’emp. romain aurait fait don au pape du palais du Latran, de la ville de Rome, des provinces d’Italie, et même de l’Occident tout entier.
Le contrat passé entre le pape et Pépin procure donc bien aux deux parties de substantiels avantages matériels, de nature à leur assurer à tous deux la domination temporelle de la plus grande partie de l’Occident. Pour les Pippinides, ce n’est toutefois qu’une étape ds une destinée plus glorieuse encore.
b)- La légitimité historique : le couronnement impérial de l’an 800
Règne des deux premiers Pippinides marqué par un grand dynamisme politique, culturel, mais aussi territorial, qui aboutit d’une part à l’intégration d’une grande partie de l’espace européen continental ds un vaste ensemble unifié (1) et d’autre part à la restauration d’un empire en Occident pour la première fois depuis 476 (2) : Logique unitaire prévalant ds un premier temps.
a)- Événements : le règne de Charlemagne et l’intégration de l’espace européen (768-814)
768 : mort de Pépin III. Conformément au partage traditionnel de la royauté franque, ses deux fils, Charles et Carloman « furent de pair élevés sur le regnum par leur grands et la consécration des évêques » : reprise des formes utilisées pour l’accession première de Pépin en 751. Mais dès 771 mort de Carloman et éviction de ses 2 fils : Charles reste seul à la tête de tt le royaume, qu’il va rapidement s’employer à étendre.
Guerres conduites au coup par coup, un peu au gré des circonstances : Charlemagne souvent obligé de se précipiter d’Espagne en Saxe ou de Saxe en Italie. Il convient toutefois de nuancer la vision d’un peuple tenu en armes pedt des années entières et de mouvts de troupes incessants d’un bout à l’autre du regnum :
– la guerre ne durait normalement que la belle saison : convoqué en pcipe en mai ds un lieu de rassemblement proche du théâtre des opérations, l’ost était normalement démobilisé 3 mois plus tard.
– en outre existence de restrictions géographiques et sociales à la levée en armes. (multiplication des vassi dominici, casés sur de confortables bénéfices et tenus d’une disponiblité totale) ;
– usage confirmé de la terreur, sensé garantir une pacification durable : Charles convaincu de l’origine divine de sa mission : l’extension de son regnum est donc aussi celle du royaume de Dieu.
– à un peuple vaincu étaient impoosés le serment de fidélité : caution sacrale (cf. infra), ainsi que la livraison d’otages (caution humaine) ;
– à un peuple en révolte et donc parjure, étaient infligés le sacage de sa terre, la mutilation de ses chefs (mains coupées, yeux crevés), l’exécution de ses otages, la déportation du plus grand nombre de ses memebres.
Au total, royaume profondément militarisé où la guerre joua un rôle décisif. Phénomène de « dilatatio christianitatis » lié au règne de Charlemagne : expansion se fit ds plusieurs directions :
– En Gaule même : politique d’unification favorisée par la constitution de glacis défensifs en Bretagne et en Aquitaine, toujours mal soumises : intégration de toute la Gaule ds l’esapce carolingien : délégation de comtes francs par le roi, avec la charge d’administrer et de rendre la justice en son nom, en particulier à l’occasion de l’assemblée du mallus, d’assurer l’ordre et la levée des armes ;
– En direction de la Germanie continentale : au delà du Rhin, la pénétration franque se fit plus intensive, mais ne parvint jamais à effacer des particularismes qui furent plus nationaux que régionaux :
– Colonisation de la Franconie ;
– installation de lignages aristocratiques, généralement clients des Pippinides et d’origine austrasienne en Hesse, Thuringe, et ds l’Alémanie Transrhénane ;
– intégration de la Bavière, après les révoltes du duc Tassilon III ;
– écrasement de la Saxe : récurrences successives de révoltes et d’écrasements (772-799) : multiplication des raids de représailles de plus en plus lointains, enlevant les uns après les autres les principaux retranchements, détruisant les lieux de culte comme le fameux Irminsul, soumettant par la terreur les différents territoires et leur substituant un nouveau découpage en comtés.
782 : Révolte de Widukind écrasée ds le sang : décapitation de 4500 otages à Verden. 785 : adoption du cpaitulaire De partibus Saxoniae punissant de mort tout manquement à la fidélité due au roi et tt trouble apporté à l’ordre public et multipliant les mesures destinées à extirper toute trace de paganisme : conquête militaire // croisade.
– expéditions contre les Avars (791-796) : peuple venu des steppes asiatiques installé à la fin du VIè s. ds la plaine de Pannonie, sur les ruines de l’empire Hun : constitue une menace pour la tranquillité du regnum. Destruction du Ring, la capitale des Khagans (sur le Danube) et récolte d’un gigantesque butin.
– Esquisse d’un epolitique méditerranéenne avec des poussées vers l’Espagne et l’Italie :
– Espagne : 778 : échec du siège de Saragosse ; massacre de l’arrière garde de l’armée à Ronceveaux. Mais dès les années 800 : constitution d’une véritable marche d’Espagne autour de Barcelone et Tarragone : Catalogne ;
– Italie : conquête du royaume des Lombards en 774 ; intrusion croissante ds les affaires pontificales et sur les chasses gardées byzantines. Elaboration de la fausse donation de Constantin, par laquelle l’emp. Constantin était sensé avoir donné au pape le palais de Latran, la ville de Rome, des provinces d’Italie et même l’Occident.
Au total, donc, dynamisme irresistible du roi des Francs : auréolé de gloire, apparaît de très loin comme le prince le plus puissant de tout l’Occident. Or, deux évènements précipitèrent l’évolution vers une restauration impériale :
– 795 : élection de Léon III au pontificat, en remplacement du grand Adrien 1er : pape faible ;
– 797 : usurpation d’Irène : régente de l’empire byzantin au nom de son fils, Constantin VI, elle le destitue et lui fait crever les yeux, tout en se proclamant basileus. Le pouvoir impérial apparaît dès lors vacant.
La proclamation de l’empire franc = le couronnement logique d’une politique véritablement européenne, servie par une idéologie puissamment structurée. Enfin, rayonnement exceptionnel du monarque caro. : reçoit des envoyés du roi Offa de Mercie, de l’Etat chrétien des Asturies, engagé ds la Reconquista, et même du patriarche de Jérusalem qui, brûlant la politesse à Byzance, ui envoya en 800 les clefs du Saint Sépulcre pour en faire le protecteur attitré des lieux saints. Magistère politique et moral dépassant donc de bcp les limites déjà vastes de ses propres Etats.
b)- Avènement : le couronnement de l’an 800
Sitôt Hadrien 1er mort, l’accession immédiate de Léon III va donner lieu à la première phase de l’offensive visant à réduire à presque rien le rôle du pape et à magnifier celui de Charlemagne : nouveau pape d’origine sociale t. modeste, contesté à Rome et peu considéré ailleurs. D’où une offensive idéologique de grande envergure tendant à assimiler le peuple soumis à Charlemagne au peuple élu, et le roi des Francs au lieutenant du Dieu sur terre : pape relégué ds un rôle spirituel. Esquisse d’une théocratie royale articulée autour de la notion nouvelle d’Empire chrétien(cf. infra).
En outre : successeur de Pierre emprisonné ds Rome, et victime des pires avanies : n’est délivré que grâce à l’intervention des envoyés de Charlemagne.
2ème phase : Charles se rend à Rome vers la fin de l’an 800. Est accueilli par le pape à 12 milles de la Ville, suivant le rituel prévu pour les entrées impériales. Dès son arrivée, Charles s’applique à ce que le pape Léon III soit admis à se purger des accusations qui pèsent contre lui au cours d’une cérémonie publique (serment purgatoire) : réunit un concile :
« Comme à cette époque, ds le pays des Grecs, le titre d’empereur n’était plus porté et qu’une femme chez eux tenait l’Empire, il parut au successeur des apôtres et à tous les saints Pères réunis en concile, ainsi qu’à tout le reste du peuple chrétien, que Charles, roi des Francs, devait recevoir le titre d’empereur, lui qui tenait Rome elle-même, où de tout temps les Césars avaient eu coutume de résider. »(Annales de Lorsch)
Le jour de Noël 800, qui, à l’époque, était considéré comme le 1er jour de l’année nouvelle, c’est à dire le 1er jour du IXè s., le roi franchit le seuil de Saint Pierre pour y être couronné par le pape, puis acclamé par l’assistance au cri, trois fois répété de « Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur, vie et victoire » + adoratio de l’emp. par le pape : rituel inspiré de Byzance mais inversé : Léon III voulait absolument montrer que c’était lui, et non le peuple, qui faisait l’empereur. d’où un certain courroux manifesté ultérieurement par Charlemagne : il était fâcheux pour lui, qui entendait suppléer par sa personne à la papauté défaillante, de recevoir d’abord de Léon III cette couronne.
Reconnaissance du couronnement difficilement obtenue de Byzance ; intervient néanmoins en 812 : ambassadeurs grecs vinrent à Aix la Chapelle chargés de présents et acclamèrent Charles imperator et basileus.
Sens très important de cette cérémonie : constitue à la fois :
– une restauration : pour la première fois depuis la fin de l’ERO, intégration de la presque totalité de l’espace européen ds un cadre impérial unifié et puissant : victoire de l’unité sur le processus de morcellement amorcé depuis le IIIè s.
– un renouvellement du concept impérial : assise territorial réduite aux royaumes des Francs et des Lombards ; contenu idéologique avant tout chrétien : théologie de l’autorité associée étroitement à une morale de gouvernement.
2- Une morale de gouvernement
Pouvoir carolingien = autorité construite : ne constitue pas seulement une méthode de conquête ou d’exercice du pouvoir ; est aussi un programme de gouvernement, pensé et conscient, où la réflexion religieuse guide l’action politique : système profondément marqué par la pensée augustinienne. Charlemagne et son fils Louis le Pieux entourés par un cour d’intellectuels brillants qui fournirent les cadres conceptuels de son autorité. Dimension idéologique t. imptante, pour la première fois depuis la fin de l’ER. A telle enseigne que la force des constructions conceptuelles a pu parfois éclipser la pesanteur des réalités matérielles.
Si le sacre de Pépin avait tendu à faire de la fonction royale un véritable sacerdoce, la promotion de Charles à l’empire fit assurément de lui le représentant de Dieu ds l’ensemble de ses États, spécialement détaché pour faire régner un ordre qui voulait que chacun fût à la place que le créateur lui avait assignée ds l’harmonie de la cité terrestre (a), et une paix qui permît à tous, ds le respect de la justice et de la charité, de vivre ds l’attente de la cité céleste (b).
a)- L’ordre : la gloire de la cité terrestre
Le bon ordre voulu par Dieu concerne aussi bien la tête que les membres du corps politique: il passe donc à la fois par le nécessaire exercice des vertus de l’empereur (a) et par l’institutionnalisation de l’ordre ds l’empire (b).
a)- Les vertus de l’empereur
Importance de la réflexion doctrinale élaborée par les clercs, notamment ceux de l’entourage de Louis le Pieux, sur le ministère royal. En effet, sacre crée entre l’Eglise et le roi un lien particulier, en même temps qu’il fait du roi un personnage à part, voué, comme tous les hommes d’Église, à un ministère particulier.
Origine divine du pouvoir royal ne fait aucun doute pour personne. Le sacre, s’il n’est sans doute pas indispensable, manifeste visiblement le choix de Dieu et lui donne toute sa mystérieuse portée :
« L’onction très sainte se répand sur la tête du roi, descend ds son intérieur et pénètre le fond de son coeur. » (Hincmar de Reims)
Le roi possède ainsi une vertu surnaturelle, qui le rend notamment garant de la fécondité des animaux, de la terre et des hommes : pcipe nourricier. Détermine en outre une éthique de la fonction royale signifiée par le sacre : le roi est l’oint du Seigneur, il est son vicaire, son représentant sur terre : responsabilité morale du salut du peuple chrétien. Légitimité religieuse du pouvoir caro. articulée à un récit légendaire (Sainte Ampoule) forgé par l’archev. Hincmar de Reims. Institue une théocratie royale. 3 missions essentielles découlent de cette vocation privilégiée :
* Roi vengeur des crimes (vindex) : monarchie guerrière ; lutte contre les païens saxons : les soldats sont missionnaires et les missionnaires sont des soldats.
* Roi pacificateur : pax latronum. Exercice d’une justice inflexible
* Roi correcteur des erreurs : rector errantium. Respect d’une stricte orthodoxie religieuse et intervention croissante de l’emp. Dans les affaires du dogme : présidence de 2 conciles relatifs à la déf. de la Trinité (pb. de la procession de l’Esprit Saint).
Au roi voulu par Dieu, chacun doit obéissance et soumission, pour autant qu’il exerce comme il convient sa mission. De ce ministère royal, les définitions et l’interprétation se précisent au cours des siècles. L’étymologie même les commande : est rex celui qui agit recte, avec rectitude. Cf. Jonas d’Orléans :
« S’il dirige (regit) avec piété, justice et compassion, il mérite d’être appelé roi (rex). Mais s’il manque à ses vertus, il perd le nom de roi. »
D’où une cléricalisation de plus en plus marquée de la fonction royale, qui aboutit à une double évolution, très perceptible entre le règne de Charlemagne et celui de Louis le Pieux :
– moralisation : Charlemagne resté profondément laïc ds son mode d’existence : dynamisme guerrier trouvant son complément naturel ds une grande exubérance vitale.
Louis le Pieux mena au contraire une vie retirée et semi contemplative, en retrait par rapport aux fureurs de son siècle :
– dès son avènement, purge son entourage et son propre sang des pollutions du monde : les nombreuses soeurs de l’emp. sont expédiées ds des monastères propres à raffermir leurs vertus ; leurs amants sont éloignés ; les femmes au statut mal défini, aux fonctions ambiguës, disponibles pour les grands de la cour, sont expulsées et maintenues à bonne distance. Ce ne sont pas la joie ni ses filles qui prévalent désormais au palais, devenu sacristie du temple divin. C’est la pureté, à laquelle l’Eglise tente, avec des succès divers, d’appeler la société laïque, trop gourmande de la chair.
– affaire de Bernard d’Italie et pénitence d’Attigny (817-822) : révolte de Bernard, neveu de l’emp., qui s’estime lésé par la nouvelle politique de Louis. Dès la fin de l’année 817, se rend à Louis. Procès ; peine de mort commuée « par grâce » en une condamnation à avoir les yeux arrachés ; opération mal faite ; souffrances atroces ; Bernard meurt trois jours après. D’où en 822, sous l’influence de son puissant entourage épiscopal, l’aveu public que Louis le Pieux fit de sa faute, en demandant pardon et en invitant son aristocratie à en faire autant. Démonstration ostentatoire d’humilité très sainte sensée purifier l’Empire des miasmes qui le viciaient. Au dynamisme du règne précédent fait donc place la contemplation statique de l’oeuvre accomplie : exemple glorieux de Théodose n’empêcha pas l’affirmation croissante d’une subordination du temporel au spirituel. La dilatation de la chrétienté paraissant avoir recouvert tout le champ du possible, l’Eglise se trouve maintenant en position dominante par rapport à l’emp.
– Subordination du temporel au spirituel : esquisse d’une royauté missionnaire ou conditionnelle : outre le cas exemplaire de la pénitence d’Attigny, on peut en voir plusieurs exemples ds la politique de Louis le Pieux :
– illustration liturgique : sacre de 816. Certes, Charlemagne, de sa propre autorité, avait désigné son fils comme empereur en 813. La dignité impériale, alors, ne requiert pas d’autre consécration. Louis, pourtant, ressentit le besoin d’une légitimation spirituelle plus forte : se fit donc sacrer emp. à Reims, en compagnie de son épouse Irmentrude, des mains débiles du vieux pape Étienne IV. Signification complexe de l’événement:
– manière de renouer, d’une certaine manière, avec Clovis (dont Louis porte le nom, pour la 1ère fois ds la dynastie des Pippinides) qui s’était fait baptiser ds la même église, des mains de l’évêque Rémi ;
– manière d’arrimer l’empire non plus à Rome, mais sur le lieu symbolique de la conversion des Francs, et d’en montrer la vocation missionnaire : basculement du centre de gravité de l’empire vers le Nord et vers l’Est.
– déclaration faite par Louis à cette occasion témoigne d’une conception dualiste : le peuple de Dieu a deux pasteurs, et non un seul comme le prétendit Charlemagne : l’empereur et le pape : Louis prétendait ainsi réhabiliter le pape au spirituel, mais aussi au temporel, puisque ds les mois qui suivirent, il fit savoir à la papauté que lui et ses successeurs lui garantiraient les possessions de Saint Pierre et le droit de désigner librement tt nouveau pape.
– enfin, à partir de 816, il est acquis, au moins implicitement, que l’accession à l’empire nécessite l’onction papale. De cette volonté de remise en ordre le chef de l’Eglise tira à terme un bénéfice considérable : la balance penche de nouveau de son côté, pour la première fois depuis Pépin le Bref.
– illustration politique : entourage du prince formée essentiellement d’ecclésiastiques : ce ne sont plus les grands aristocrates, parents ou compagnons du caro. qui font cortège à l’empereur, mais de graves personnages comme le prêtre Helisachar, l’évêque Hincmar ou le moine Benoît d’Aniane.
– illustration matérielle : distribution massives des biens du fisc royal à l’Eglise : l’Occident tout entier étant devenu chrétien, et la violence n’ayant plus lieu d’être : arrêt des conquêtes : de l’enrichissement de naguère, il est temps que Dieu reçoive, largement, sa part : prélèvement, en amples gestes d’aumônes, sur un patrimoine qui ne se renouvelle plus : si l’Eglise s’était appauvrie avec les premiers Pippinides, aux dépens des propriétés royales et des patrimoines aristocratiques, elle se retrouve de nouveau engagée ds un puissant processus d’enrichissement qui la situe au premier plan des forces socio-politiques de l’époque.
– illustration idéologique : définition d’un ministère royal : ne se fit pas ds le sens d’un renforcement des pouvoirs temporels : cf. Jonas d’Orléans :
« Le propre du ministère royal est de gouverner le peuple de Dieu, de diriger avec équité et justice, en tâchant d’établir la paix et la concorde. Lui même doit être en effet le défenseur des églises et des serviteurs de Dieu. contre les puissances du siècle e t de la richesse. »
D’où il découle plusieurs conséquences :
– quant au contenu du ministère royal : chargé de défendre la justice et la paix, le prince est là pour garantir la tranquille jouissance et la transmission paisible du patrimoine ecclésiastique, et si possible pour l’accroître (cf. infra) ;
– quant à la nature du ministère royal : esquisse d’une royauté conditionnelle. C’est par les évêques que le roi est sacré et donc que s’exprime le choix de Dieu ; c’est logiquement à ces mêmes évêques qu’il revient de dire si le roi s’écarte du bon chemin, s’il cesse de placer le gouvernement de ses pensées, de ses paroles, de ses actes sous le commandement de Dieu (Hincmar de Reims) : compétence ecclésiastique reconnue par Louis le Pieux. Trouve une partie de son expression ds le serment du sacre, qui commence à se fixer à cette époque (cf. infra).
Tout au long du siècle, la communauté des évêques rappelle ainsi le roi à ses devoirs, tâche d’enserrer son action ds des règles de droit, tendant pour l’essentiel à la protection et à l’accroissement des églises. Car le comportement du roi n’engage pas seult l’ordre, la justice et la paix du peuple qui lui est confié, mais aussi son propre salut.
Pour bien se faire comprendre, l’Eglise fait notamment circuler de saisissants récits, empruntés à la riche tradition des rêves et des visions recueillis à des fins édifiantes (cf. la légende autour du « péché de Charlemagne » sensé être en proie à de vifs tourments pour cause d’amours illicites : circule dès 824 ; ou encore la vision d’Euchaire, évêque d’Orléans, témoin des souffrances infernales de Charles Martel, damné pour avoir usurpé des biens d’Église) : Ainsi les clercs s’érigent en censeurs naturels du pouvoir royal, tant ds l’ici-bas que ds l’au-delà.
– conséquence également quant aux relations tissées entre les pouvoirs temporel et spirituel : système du dualisme tend de plus en plus à s’imposer, supplantant progressivement le monisme de Charlemagne : si les évêques doivent obéissance au roi, s’ils leur prêtent serment d’aide et de conseil, ils ne tirent pas pour autant leur légitimité de la puissance royale : à mesure que l’autorité effective du roi diminue, la séparation se fit de plus en plus nette entre les 2 ordres ; indépendance croissante de l’Eglise. Associé à l’autorité royale pour guider le peuple vers le salut, le ministère royal n’en est pas pour autant ds la main du roi. Les églises, confiées par Dieu aux évêques, n’ont rien à voir avec les bénéfices et les biens propres que le roi peut donner ou ôter.
Gestion matérielle de l’empire se fit néanmoins en collaboration étroite avec les autorités ecclésiastiques, tant à l’époque de Charlemagne, qu’à celle de ses successeurs immédiats.
b)- L’empire de la vertu : l’ordre carolingien
Ordre voulu par Dieu se reflète ds l’harmonie instaurée par ceux qu’il a désignés pour protéger et régir la vie de ses créatures.
Ø L’ordre rêvé : le palais d’Aix la Chapelle
Site d’Aix la Chapelle choisi pour ses forêts giboyeuses, ses thermes et ses bains (antique Ad Aquas Granni : station thermale privilégiée des celtes et des romains). A partir de 794 : construction d’un vaste complexe palatial, dont le gros oeuvre fut terminé en 798 et la chapelle consacrée en 805. Plan longuement médité et à forte charge symbolique.
– palais à l’orientation strictement définie par les points cardinaux (prend ainsi la mesure du monde). S’y inscrivent les bâtiments nécessaires à l’habitation, à l’exercice de la justice et surtout à la représentation royale : l’édifice principal = l’aula palatina, au Nord : salle de cérémonie où étaient rçus les hôtes de marque. Par sa fonction même, par son abside, elle suggère le rapprochement avec les grandes basiliques d’exhibition impériale du Bas Empire ;
– au Sud : la chapelle, reliée au palais par une vaste galerie de 120 m. de long articulée de part et d’autre d’un porche monumental. Recèle la cape de Saint Martin, qui lui donna son nom. Un atrium et un narthex, peut-être inspirés de Saint Pierre de Rome, et qui se voulaient la représentation des portes de Jérusalem, donnaient accès à l’église même, faite d’un octogone parfait, que deux étages de colonnes venues de Ravenne portaient jusqu’à une coupole ornée d’une mosaïque représentant le Christ en majesté. Autour de l’octogone, une galerie basse au dessus de laquelle le roi, installé sur un trône qu’éclairait le soleil à son levant, pouvait assister aux offices liturgiques, ds une position ostensiblement médiatrice entre l’au-delà et l’ici bas.
Signification de ce programme architectural :
– sédentarisation de la monarchie correspondant à une meilleure maîtrise de l’espace ;
– constitution d’une seconde Rome, d’une seconde Byzance, image terrestre de la Jérusalem céleste, élevés en pleine terre franque, au coeur de la grande forêt austrasienne ;
– union du spirituel (la chapelle) et du temporel (le palais) garante d’une meilleure administration des hommes et des choses.
Ø L’ordre restauré : l’administration de l’Empire
– Administration centrale localisée ds le palais d’Aix la Chapelle. Chancellerie exclusivement composée de clercs occupés à rédiger des actes et à valider les diplômes royaux. Grands officiers laïcs occupant des fonctions de cour héritées des temps mérovingiens (sénéchal, connétable, bouteiller, chambrier = c’est à dire gardien de la camera, ou trésor royal) ; comte du palais jugeant en dernière instance les appels venus de partout.
Autour d’eux : un petit noyau d’intellectuels forment l’Académie (Alcuin ; Théodulfe, etc.)
Cour composée de vassaux royaux, de barons laïcs et surtout de jeunes gens, fils des comtes et des plus grands vassaux nourris et logés au palais (les nutriti), venus pour de longs séjours d’apprentissage qui faisaient de la cour une véritable école des cadres : souci d’homogénéiser et de fidéliser les agents de l’administration, en tissant avec eux des liens affectifs.
– Administration territoriale : systématisation de l’institution comtale, répartie en près de 200 circonscriptions, appelées pagi et généralement centrées autour d’anciennes cités, sur lesquelles le comte, représentant exclusif du roi, détenait le comitatus = ensemble des attributions de la puissance publique ds les domaines adm., financier, judiciaire et militaire : le comte ne devait pas seult faire rentrer ds les caisses de l’Etat les revenus des terres et des droits fiscaux et régaliens, il avait aussi pour mission de faire régner l’ordre et la paix voulus en haut lieu. Pour ce faire, il était assisté d’un suppléant, le vice-comes, ou vicomte et d’agents subalternes, les viguiers et centeniers, attachés à des circonscriptions plus petites.
Rémunération du comte assurée par :
– le tiers des amendes et revenus de justice ;
– l’usufruit d’une part des domaines fiscaux de sa circonscription ;
– le patrimoine propre des comtes, souvent vassaux royaux.
D’où un effort pour moraliser la fonction :
– recrutement quasi exclusif des comtes parmi les nutriti ;
– envoi des comtes ds des pagi où ils n’ont pas d’intérêts personnels ;
– reddition de comptes de gestion une fois par an ;
– obligation de se rendre au palais une fois par an ;
– surtout généralisation des missi dominici, dépendant directement du prince, à partir de 802. Institution existant depuis 789 (admonitio generalis) = innovation majeure assurant la diffusion de l’auctoritas royale, et non plus seulement de sa potestas : tt le pouvoir souverain du prince, toute sa faculté pour dire la loi et le droit sont maintenant à même de se diffuser, grâce aux missi.
Mission confiée en général à plusieurs grands, un laïc et un ou deux dignitaires ecclésiastiques, choisis avec soin et discrétionnairement pour effectuer une tournée d’assez courte durée sur un certain nombre de pagi bien déterminés : pouvoir de corriger tous abus et de faire appliquer les décisions prises ds les capitulaires.
Grâce à ce système, les abus purent être limités et l’importante législation impériale diffusée aux 4 coins du regnum Francorum : nul ds le passé n’avait fait autant que Charlemagne pour en assurer la cohésion. Programme politique prolongé par une action idéologique et culturelle.
b)- La paix : L’attente de la cité céleste
Le mot clef des Carolingiens, c’est norma rectitudinis : la norme de ce qui plaît à Dieu : idée d’une régularité, d’une ordonnance des choses de ce monde portant en soi un élément esthétique, à la différence de la survie désordonnée du monde gallo-romain sous les Mérovingiens : construction carolingienne s’est avant tout voulue un projet, lucide et ordonné qui permit notamment une réforme profonde des institutions ecclésiastiques (a), mais qui permit surtout l’émergence d’un vaste mouvement de renaissance culturelle (b).
a)- La louange de Dieu : l’encadrement de l’institution ecclésiale
Théocratie royale impossible sans le soutien effectif et puissant de l’Eglise : forme les cadres indispensables à la réalisation de l’entreprise carolingienne : ecclésiastiques fréquemment chargés de tâches d’administration, de gouvernement ou de justice. Confusion du spirituel et du temporel marquée dès les origines du pouvoir des Pippinides, favorisées par la papauté et marquées par plusieurs conciles réformateurs, au milieu du VIIIè s., destinées à remettre l’Eglise franque dans le droit chemin, après les troubles de la fin de la période mérovingienne.
Intervention royale se marque dans trois directions essentielles :
- En matière idéologique : État tout entier enrôlé au service de Dieu : sorte de solidarité politico-spirituelle marquée notamment, dès 762 (synode d’Attigny), par la constitution d’une « confédération de prières ». Chacun des évêques et des abbés est invité à prier pour le salut de l’âme des autres, et tous doivent prier pour ceux qui viendraient à mourir avant les autres. Partout, les monastères royaux établissent ainsi des listes de ceux pour lesquels ils s’obligent à prier : des communautés de moines prient pour d’autres communautés entrées ds cette « confraternité », mais aussi pour les membres de la famille royale, voire pour les grands et leurs épouses qui leur ont fait des donations.
Les rois caro. et leurs suite visitent les églises et surtout les monastères pour y faire des dons et se faire inscrire ds des « Livres de vie éternelle ». Le roi davidique renouvelle ainsi son alliance avec Dieu, la liturgie unissant ds les prières du peuple de l’Eglise le roi et son armée : une cité sainte est en marche. D’où le développement de fastes architecturaux destinés à magnifier les éclats d’un service divin de plus en plus complexe (cf. Saint Riquier, érigé sur les plans d’Angilbert « gendre » de Charlemagne, avec la construction de son vaste massif occidental, avec une vaste crypte contenant le « reliquaire majeur » de l’abbaye. Cité monastique desservie jour et nuit par 300 moines et 100 élèves de la schola) : le déploiement de la liturgie exprime l’ordre symbolique du monde.
Avec la propagatio fidei, l’extension de la foi parmi les hommes, la propagande tout court est également là, toujours assurée par des hommes d’Église : apparition d’une historiographie régulière et officieuse des Annales écrites à la cour, au service exclusif de la dynastie régnante. Les monastères commencent à noter ds leur calendrier, avec la date de Pâques et à côté des notices locales les hauts faits des Carolingiens. Très tôt, ; ces Annales deviennent indépendantes des tables chronologiques. On les échanges d’une abbaye à l’autre. Ds un royaume qui se dilate, on est ainsi, partout, au courant de ce qui se passe ailleurs, de l’activité des rois, des grands, des évêques. Comme leurs supports originaux, les Annales donnent l’année de l’Incarnation calculée avec une erreur de 4 ans par Denys le Petit au VIè s. et reprise par l’érudit anglo-saxon Bède le Vénérable.
- En matière dogmatique : Roi, puis empereur franc se reconnaît une prérogative essentielle, théoriquement réservée au seul emp. byzantin de réunir des conciles généraux pour fixer le dogme de l’Église entière.
Ainsi, en 794, Charles réunit ds son palais de Francfort un synode général de l’Occident avec deux représentants du pape : y furent présents des évêques d’Italie, d’Angleterre, de Galice et de tout le royaume franc.
– condamnation de l’hérésie adoptianiste apparue en Espagne : elle faisait du Christ le fils « adopté » de Dieu ;
– condamnation des canons du concile de Nicée réuni par le Basileus en 787 à propos de la vénération des « images » : les excès iconoclastes de l’Empire l’avaient séparé de l’Occident au début du VIIIè s. La réaction de 787, en faveur non d’un culte, mais d’une « vénération » des images fut jugée excessive par les théologiens de la cour de Charlemagne et en particulier par Théodulfe, un clerc d’origine hispano-wisigothique. Sur l’ordre de Charlemagne, ils écrivirent les « livres de Charles », Libri Carolini, où l’on contestait à l’empereur oriental le droit d’imposer à l’Occident les décisions de ses synodes. Les Libri Carolini n’admettaient que la vénération pour la Croix et déclaraient l’Orient tombé sur ce point ds l’erreur.
Autre exemple : le capitulaire d’Aix la Chapelle de 809 sur la définition trinitaire : décrète, toujours contre Byzance, que le Saint Esprit procède non « du Père par le Fils », mais du « Père et du Fils » : nouvelle définition établissant le Filioque doit en outre figurer ds le credo. Le souci d’affirmer l’autonomie idéologique et politique de l’empire occidental a donc eu des conséquences profondes en matière de foi, renforçant entre les mondes orthodoxe et catholique une séparation que les querelles ecclésiologiques avaient déjà largement contribué à creuser.
- En matière institutionnelle : pouvoir carolingien fondé sur une collaboration étroite du spirituel et du temporel. Ds le prolongement du temps de Pépin le Jeune et plus encore de Charles Martel, le prince franc est compris comme celui de qui les évêques et les abbés, à leur accession, reçoivent les biens, les seigneuries de leurs églises. Un trait général est donc le caractère décisif, ds la procédure d’accession, de la désignation par le roi, qui, d’une manière quasi officielle, atténue l’effet des désignations canoniques (pour les évêques, l’élection clero et populo) ou régulières (pour les abbés moines, selon la règle bénédictine, l’élection par la communauté) et même, souvent, les élimine.
Þ Pour les évêques, ce pouvoir du prince commande, à leur accession, la consécration canonique, donnée désormais depuis la tête de chaque province ecclésiastique par l’archevêque (qui remplace le métropolitain) et les suffragants. Compte tenu du fait quze Charlemagne est reconnu comme roi et prophète, chaque évêque, en la plénitude de sa fonction, est compris comme venant en dessous de la majesté royale et comme assumant une tâche qui fait de lui, sur tous les plans un auxiliaire du roi. Charlemagne a en effet toujours considéré que tout évêque de son royaume était soumis à sa volonté, placé à son service (il en alla différemment avec Louis le Pieux).
Ce trait se prolonge ds tt le clergé séculier relevant de chaque évêque qui voit sa structuration se diversifier en vue d’établir une stricte hiérarchie. L’échelle, partant de l’évêque, atteint l’archidiacre (assume certaines tâches précises ds le cadre de l’archidiaconé), puis le doyen (à la tête du doyenné) et le ou les prêtres desservant les églises et y encadrant les fidèles : différenciation des paroisses loin d’être encore achevée ; processus de christianisation des campagnes d’ailleurs largement inachevé.
Cette hiérarchie atteint ainsi les sujets à la base. Elle est à la fois le vecteur des sacrements, de la liturgie, de la pastorale auprès des fidèles laïques et l’instrument de la discipline publique de l’ordre public émanant du prince et des « services publics » de l’époque (comme la petite école primaire que doit animer chaque prêtre). Matériellement, cette structure de plus en plus complexe est financée par la création de l’impôt de la dîme accordée par Charlemagne pour compenser très approximativement les sécularisations d’église opérées par ses prédécesseurs.
En outre, chaque évêque, par son église cathédrale, est à la tête d’une seigneurie considérable, portant souvent sur des dizaines de milliers d’hectares et des domaines dispersés sur tout le royaume. Le roi lui accorde l’immunité, et c’est donc de l’évêque que dépend tout l’administration publique, la justice, etc. (y compris sous ses aspects militaires).
Immunité : Institution qui ferme un territoire (souvent un établissement ecclésiastique) aux officiers royaux ; les bénéficiaires (immunistes) remplissent chez eux des tâches normalement dévolues aux représentants de l’autorité publique, notamment la justice (mais sous certaines conditions).
D’une manière générale, Charlemagne se montra très désireux de structurer la hiérarchie ecclésiastique en sorte qu’elle convergeât vers lui et non vers le pape. Il réaffirma la prééminence des métropoles (anciennes capitales des 17 provinces romaines), enjoignant aux archevêques de surveiller étroitement leurs suffragants et aux évêques d’ordonner les prêtres « suivant la loi canonique » et de les visiter régulièrement ds leurs paroisses, fussent-elles privées.
Þ Les abbayes royales : Sous le pouvoir de l’évêque ordinaire, les abbayes monastiques ou canoniales sont organisées en pcipe chacune suivant sa règle. Pour les plus importantes et les plus riches, ce sont des ensembles patrimoniaux qui sont considérés comme royaux et dont il appartient au prince de désigner les abbés. Il peut s’agir soit d’un moine (conformément aux prescriptions de la règle), soit d’un puissant laïque, qui recevra la mense abbatiale à titre de bénéfice.
Là encore, en dépit des sécularisations, on trouve des seigneuries considérables, dont les abbés assurent svt remarquablement la gestion domaniale, et ds lesquelles, par le jeu de l’immunité, c’est l’abbé qui dirige l’adm. de la justice et de tous les droits publics. Droits exclusifs parfois accordés à certaines grandes abbayes pour en soutenir et en accroître le prestige :
Ex : Saint Denis (berceau de la dynastie : abbaye où un roi fut sacré, pour la 1ère fois ds l’histoire de la France) : reçoit des privilèges de foire, de frappe monétaire et d’exemption de droits à travers tt le royaume.
Þ Souci de réforme et d’unité développé par Louis le Pieux en direction du monde ecclésiastique, s’est notamment traduit par un processus tendant à introduire d’autorité une uniformité rigoureuse de règle et de « coutume » (c’est à dire des usages éprouvés et reconnus, élaborés en prolongement de la règle) pour les communautés de moines de moniales, et de chanoines.
Le plus remarquable = le capitulaire de 817 relatif à la réorganisation monastique. Adopté sous l’influence de Benoît d’Aniane († 821) s’efforçait de redonner toute sa pureté à la vie du moine et de tout faire pour que se rétablisse un accord entre le contenu de la profession faite par le moine à son entrée ds la communauté, et son existence ultérieure au sein du monastère. Uniformisation des pratiques opérée au profit de la règle de Saint Benoît († 547) et aux dépens de celle de Colomban († 615). Toutefois, pas d’exigence particulière sur la question pourtant fondamentale de l’élection de l’abbé par la communauté : désignation demeure donc ds la main du roi. Cette réforme se heurta à des difficultés considérables : résistances nombreuses opposées par les communautés elles-mêmes.
Réforme initiée également en direction des églises séculières. A cet égard, Louis le Pieux s’est surtout efforcé d’obtenir que chaque église fût affectée d’une mense (dotation foncière minimale) destinée à assurer la subsistance du prêtre la desservant. Jointe à la dîme, cette dotation achevait de donner aux curés les moyens de se défendre contre tout assujettissement des grands laïcs et même quelque autonomie par rapport aux évêques.
Au total, donc, une vaste entreprise de mise ne ordre et de structuration qui ne peut se comprendre sans la référence au vaste mouvement de renouveau culturel que l’on qualifie souvent de « renaissance carolingienne. »
b)- Les oeuvres des hommes : la richesse de la « Renaissance carolingienne »
Vaste essor culturel tout entier marqué par l’Église : à la mort de Charlemagne, en 814, le monde occidental est entièrement chrétien (même s’il est toujours loisible de discuter de la réalité et surtout de la profondeur de cette christianisation) : c’était là la mission que s’était assignée l’empereur. Avant lui, jamais tant de peuples n’avaient confessé le nom du Christ. L’Église, qui a la gestion exclusive du baptême, est donc la grande pourvoyeuse d’identité personnelle, du plus humble des rustres jusqu’au roi : unité du peuple chrétien. Du haut en bas de la société, dieu, ses saints et son Église fournissent à tous les pcipes nécessaires de compréhension du monde, d’organisation de la société et de comportement individuel.
Ordinatio, renovatio, consecratio : définissent les termes d’un programme immense tendant à placer le monde terrestre de la société des hommes en état de se conformer au projet divin, à réaliser l’harmonie entre ces deux univers pour le plus grand bien du peuple chrétien. Travailler à mettre le monde en ordre, contribuer à l’accomplissement des écritures, faire connaître plus et mieux le nom de Dieu requièrent des instruments adéquats : Pour diriger, encadrer, amender les populations, une compétence, une science sont nécessaires. Il entre ds la mission du roi et de l’Eglise, conjointement, de développer les moyens de mieux savoir pour mieux servir
Obsession de la norma rectitudinis = norme de ce qui plaît à dieu directement à l’origine de la dynamique de renaissance : L’homme doit croire en Dieu, suivre ses préceptes et le servir toute sa vie ; mais par dessus tous, il doit vivre sa foi en honorant Dieu ds l’office divin, lui adressant ses louanges, ses remerciements ses prières. Ds son palais, avec ses reliques et son clergé palatin, le roi est le 1er de ceux qui prient pour l’ensemble du royaume et de ses habitants. Période carolingienne = époque dont toutes les manifestations artistiques sont essentiellement un ornement du service divin, un sacrifice offert au Seigneur et une propagande pour la royauté catholique.
– Souci d’une langue sacrée, pure et ornée, confortée par la grammaire, la rhétorique et l’art poétique : langue savante, purgée des scories du siècle afin d’être à la fois universelle et parfaite : amour des lettres et désir de Dieu se conjuguent. Le latin à retrouver, le modèle = celui de la littérature romaine à son apogée (Cicéron et Virgile : bene dicere, bene vivere) : christianisation de la culture païenne. Langue de plus en plus éloignée de celle des laïcs (= le roman), dont la culture écrite tend au même moment à se rétracter considérablement, en dépit de quelques brillantes exceptions (comme Duoda).
Posséder la grammaire, connaître les secrets de la rhétorique, c’est s’ouvrir le chemin de la vérité : les mots sont en effet le reflet des choses.
De même = exigence impérieusement ressentie de se procurer le plus de textes possible, ds la meilleure leçon possible, car un texte altéré = un péché contre l’esprit. Entre intellectuels, entre établissements religieux, prêts et échanges de livres vont bon train. L’effort d’édition, déjà entamé à la génération précédente, s’intensifie. La quantité de textes transcrits au IXè s. ds les scriptoria monastiques, pcipalement, au nord de la Loire, est au total considérable tant en ouvrages profanes que sacrés. Toutefois, qualité inégale en raison d’une méconnaissance croissante du grec.
Pureté doit également toucher la forme écrite des textes sacrés. Apparaît alors une écriture claire et régulière : la belle caroline, qui apparaît vers 780, sans doute à l’abbaye de Corbie. Est fondée sur quelques pcipes simples : régularité et lisibilité d’une part ; rotondité et largeur d’autre part. Cette écriture trompera les humanistes du XVIè s. qui la croiront « antique ». Est également l’ancêtre de nos caractères d’imprimerie. D’où une éclosion de manuscrits riches d’initiales enluminées et souvent hardies ; l’or, l’argent et les couleurs exubérantes rehaussent les manuscrits liturgiques : évangéliaires, sacramentaires, psautiers, bréviaires.
– Architecture atteignant une monumentalité nouvelle : Saint Riquier, Fulda (église abbatiale construite de 791 à 819 sur le modèle de Saint Pierre de Rome), Aix la Chapelle : monuments les plus importants situés à l’est, ds les pays de conquête militaire et spirituelle. En France : nombreux monuments détruits ; demeurent cepdt, entre autres : crypte de Saint Germain d’Auxerre, de Saint Médard de Soissons, mosaïque de Germigny des Prés. Au total, 27 cathédrales, 232 monastères et 65 ensembles palatiaux ont été édifiés entre 768 et 814, sans compter de simples oratoires comme celui de Théodulfe, précisément.
S’inscrit ds un programme plus général de propagande ecclésiastique, articulé autour de nombreuses entreprises hagiographiques, de rédaction de Gesta episcoporum, et surtout du culte des reliques = véritable trésor des églises (nombreuses importations en provenance de Rome) : permettent la promotion des patrons locaux (cf. en particulier l’œuvre d’Hincmar d Reims autour de Saint Rémi : translation des reliques, rédaction d’une Vita Remigii, légende de la Sainte Ampoule).
– Ds l’entourage royal : brillant aréopage d’intellectuels qui forment « l’Académie du Palais » : Pierre de Pise (grammaire et poète italien), Alcuin, d’origine anglo-saxonne, abbé de Saint Martin de Tours ; Paul Diacre (Lombard) historien, Théodulfe, d’origine espagnole : théologien poète, évêque d’Orléans ; sous le règne de Louis le Pieux : Eginhard (architecte, biographe de Charlemagne), Smaragde de Saint Mihiel, Jonas d’Orléans, Loup de Ferrières, etc.
Rationalisme et humanisme pas absents de cette renaissance : celle-ci est tournée vers des valeurs et des formes complètement différentes de celles du monde germanique. Expression vivante de la réussite définitive d’une fusion entre les éléments romains, gaulois et germaniques de ce qui allait devenir l’Europe.
Force du projet carolingien servi par une dynamique volontariste et une incontestable réussite intellectuelle n’est cependant pas exempt de contradictions internes, qui entraînèrent à terme son irrésistible délitement.
B- la privatisation de l’ordre public
L’Église des temps carolingiens est parvenue à donner à la nouvelle dynastie deux de ses atouts les plus précieux : une légitimité convaincante d’une part ; une armature idéologique consistante d’autre part. Toutefois, l’une comme l’autre sont essentiellement centrées sur les vertus morales prétendument exercées par le détenteur du pouvoir ainsi que sur les fins religieuses de son autorité. Peu de choses par conséquent sur les modes de transmission du pouvoir et surtout sur le statut même de la chose publique (1).
En fait, pensée religieuse constitua incontestablement un obstacle à la définition d’un espace politique autonome organisé autour d’une entité étatique abstraite et laïcisée. Processus de sacralisation alla au contraire ds le sens d’une personnalisation du pouvoir : qualités du gouvernant l’emportent sur les nécessités propres du gouvernement. Du point de vue de la pragmatique gouvernementale, ceci ouvrit donc le champ à un irrésistible mouvement de contractualisation des rapports de pouvoir fondés moins sur la reconnaissance abstraite d’une autorité que sur le jeu de l’intuitus personae (2).
1- Les insuffisances d’une théorie juridique de L’État
L’échec de l’entreprise carolingienne a souvent été identifié avec la rémanence des conceptions germaniques du pouvoir sensées privilégier une forte patrimonialité du royaume, au détriment d’une prise en compte satisfaisante de la chose publique. Cette tendance est indubitable et mérite par conséquent d’être soulignée.
Il convient toutefois de ne pas négliger non plus les conséquences indirectes que purent avoir l’exaltation ecclésiastique d’une royauté sacrée, donc personnelle ou la promotion des fidélités individuelles garanties sous serment sur la représentation consciente et inconsciente Que les contemporains eurent de la chose publique.
Quelle que soit la part respective de ces différentes tendances, un point demeure acquis : la forte prédominance des rapports personnels (a) sur l’homogénéité de l’emprise territoriale, qui demeure largement ténue (b).
a)- L’exercice de l’autorité : l’importance des rapports personnels
La reconnaissance de cette autorité se fait de manière très matérielle et personnelle par la prestation d’un serment. Initialement repris de la tradition germanique (a), celui se perfectionna bientôt par l’introduction de nouvelles dispositions (b).
a)- La reprise d’une tradition germanique
Ds les premières années de son règne, Charlemagne ne s’était guère soucié d’établir un lien direct entre lui et ses sujets comme l’avait fait son père Pépin. Seuls les grands, auxquels le roi prêtaient une attention particulière en leur accordant tel ou tel avantage, lui prêtaient personnellement un serment de fidélité.
Toutefois, vers les années 785-792, à cause d’une grave conspiration contre lui, Charles avait été amené à prescrire à l’intégralité de ses sujets libres, et même à certains non libres « membres du peuple depuis l’âge de 12 ans jusqu’à la vieillesse », la prestation d’un serment public général : en vertu de celui-ci, les sujets devaient s’engager, par une formule identique, à ne pas nuire à la personne du roi : contenu purement négatif visant seulement à le prémunir contre une nouvelle conjuration (les conjurés précédents, qd on les avait interrogés, avaient pris argument de ce qu’ils n’avaient auparavant jamais juré au roi de ne pas lui porter préjudice.)
Pacte ainsi passé avec l’ensemble des hommes libres matérialise l’existence d’une collectivité civique également caractérisée par le service militaire et l’élection du roi : succession de rituels symboliques de tradition germanique et mérovingienne marquant la participation concrète du peuple à l’exercice du pouvoir et l’existence de liens affectifs entre chaque sujet et le monarque.
b)- Le serment de 802
En 802 = à un moment où Charles, ayant accédé à l’empire, développe une conception plus globale de son pouvoir, s’efforçant de faire une sorte de réformation générale des lois et de structurer au mieux son administration par la systématisation des missi dominici, décide une nouvelle prestation de serment faite « au nom de César », c’est à dire au titre de son accession à l’empire (cf. texte p. 6 de la fiche n°1).
Cepdt, le contenu de ce nouveau serment, exigé de la même manière absolument générale que le serment public antérieur, était compris d’une toute autre manière. La formule était :
« Je promets à nouveau que dorénavant je serai fidèle au seigneur Charles très pieux empereur (…) avec un esprit pur de toute fraude et de toute mauvaise intention de ma part envers lui et pour l’honneur de son règne, comme un homme doit l’être par droit envers son seigneur. Et avec l’aide de Dieu et des saints patrons qui sont ds ce lieu, que je m’y applique et que j’y acquiesce tous les jours de ma vie, de par ma volonté autant que Dieu m’en donnera l’intelligence. »
Contenu cette fois ci positif comportant 2 traits essentiels :
– intérêt porté non seulement à la personne de l’empereur, mais aussi à l’intérêt du royaume : lointaine préfiguration de ce que l’on pourrait appeler l’Etat ;
– contenu de la fidélité jurée se définit par référence à la fidélité due par le vassal à son seigneur : devoir d’aide et de conseil (cf. infra). Toutefois si parenté de structure différence de contenu : à la différence de l’engagement vassalique, dont le formulaire a sans doute servi de modèle, le serment de 802, prêté solennellement devant le roi ou devant ses missi, restait un engagement public, n’engendrant aucune sujétion personnelle et n’appelant aucune rétribution.
Mobilisant Dieu et ses saints, (serment prêté sur des reliques), il était nimbé d’une atmosphère religieuse qui faisait de chacun une partie prenante dans la construction d’une cité juste et pacifique qui annonçait la republica christiana bientôt proclamée par Louis le Pieux.
Au total, donc = une incontestable volonté de construire, d’unifier et d’homogénéiser ; mais aussi une personnalisation durable des relations de pouvoir sur laquelle ne manquera pas d’achopper la genèse d’un véritable État : abstraction insuffisante des relations, qui restent fondées sur une proximité réelle ou symbolique. Analogie avec la situation du vassal a certes pour objet de renforcer le lien unissant les sujets à leur prince ; mais aboutit aussi à changer la nature même de ce lien. A un rapport de type public, tenant à ce qu’il était le roi, exerçant par mission de dieu une autorité d’un ordre élevé, se substituait, au moins jusqu’à un certain point dans l’esprit des plus simples, un lien personnel d’homme à homme entre le sujet et le roi. Cela risquait de ruiner jusqu’à la notion même d’ordre carolingien.
Cette dernière tendance est encore plus nette en ce qui concerne la transmission de l’autorité au travers du sort dévolu au patrimoine de la couronne : prévalence de la dimension personnelle sur l’emprise réelle et territoriale.
b)- La transmission de l’autorité : les ambiguïtés de l’emprise territoriale
Diviser, morceler le territoire à chaque génération, voilà la règle : la royauté franque, depuis l’origine, en a toujours usé ainsi : répartir ce que l’on tient entre les héritiers mâles. Chacun a droit à quelque chose. La dévolution des règnes, des pouvoirs, des richesses en hommes et en terres qui en constituent le fondement est affaire de famille. Juste est le père qui partage équitablement. C’est pourquoi à Thionville, en 806, Charlemagne a procédé au partage de son empire, destiné à entrer en vigueur après sa mort :
– Division territoriale opérée entre ses trois fils et confirmant des attributions de royaume déjà faites lors du sacre des 3 garçons :
– Charles, l’aîné = toutes les terres franques avec la quasi totalité des domaines carolingiens ;
– Pépin : Italie + Bavière ;
– Louis : Aquitaine + Provence
Tout en faisant à l’aîné une part importante, Charlemagne n’ose donc pas exiger la subordination des cadets ;
– Dignité impériale n’est pas mentionnée ds l’opération car apparaît strictement personnelle : Charlemagne ne se conçoit pas de successeur, semble-t-il. Le titre impérial ne fait donc pas partie du patrimoine de la famille carolingienne.
Le partage effectif, cepdt est différé : Pépin, le puîné, meurt en 810 ; Charles, l’aîné, un an plus tard. Louis, le benjamin, subsiste seul. Dès lors, il est aisé de réunir laz dignité impériale et le gouvernement des royaumes ds les mêmes mains. A Aix la Chapelle en 813, à la demande de Charlemagne, l’assemblée générale reconnaît Louis, alors Roi d’Aquitaine, comme empereur Auguste, successeur de Charles le Grand. Une fois parvenu au pouvoir, s’efforça de développer une logique unitaire, sous l’influence de certains membres de son entourage ecclésiastique (a). Ce projet se heurta toutefois à la force des particularismes locaux, ainsi qu’à l’âpreté des luttes dynastiques et il fut totalement oblitéré par le partage opéré à Verdun en 843 (b).
a)- L’utopie d’un projet unitaire : l’ordinatio imperii de 817
Dès son accession à l’empire, l’entourage de Louis, surtout sa partie cléricale, était décidé à asseoir une fois pour toutes l’unité de l’empire. La lutte de cette tendance unitaire et « impérialiste » contre les droits coutumiers des cadets et à travers eux, une certaine indépendance des « nationalités » naissantes domina le IXè s.
Un événement qui faillit être fatal à Louis le Pieux précipita le règlement anticipé de sa succession. Le jeudi saint 9 avril 817, une partie du portique en bois qui reliait le palais et la chapelle palatine d’Aix la Chapelle s’effondra au moment où l’emp. et sa suite se préparait à franchir la colonnade. Il y eut une 20aine de blessés. Louis s’en tira avec des blessures légères. Que l’hypothèse d’un attentat soit ou non retenue, l’événement apparut comme un avertissement divin : il incita l’emp. à régler d’urgence sa succession.
Ordinatio imperii (nom moderne) = capitulaire adopté dès juillet 817. Sorte de constitution revêtue d’une solennité inusitée. L’emp. y affirme avoir souverainement décidé lui et son peuple, par une unanimité finalement obtenue grâce à Dieu, d’établir son fils aîné Lothaire comme emp. associé et son seul successeur à l’empire. Ses 2 cadets = Pépin et Louis sont simplement pourvus de royaumes subordonnés et reçoivent le nom de rois :
– A Pépin échoit l’Aquitaine ;
– A Louis revient la Bavière
L’un et l’autre peuvent présentement y régner sous le contrôle de leur père, puis, à sa mort, sous une forme impliquant une certaine prééminence de leur frère aîné emp.
Signification de ce texte :
– sur le plan idéologique : identification de l’Empire et de l’Église au pris de l’abandon du mos parentum, c’est à dire de la règle ancestrale de la patrimonialité du pouvoir. Ainsi, il s’agissait bien d’établir de manière durable un empire chrétien. Ds l’esprit de Louis, la cérémonie de 816 (sacre de Reims) et l’ordinatio de 817 avaient comme fin commune de sceller la naissance de cet empire, nécessairement et fondamentalement chrétien.
– sur le plan politique :
– manoeuvre contre Bernard d’Italie (neveu de l’emp.) dont la royauté n’est pas mentionnée : amena une vive réaction de celui-ci, suivie de sa condamnation à mort et de la pénitence d’Attigny (cf. supra) ;
– surtout : à l’âge de 39 ans, 3 ans seulement après le début de son règne, Louis le Pieux, en assurant le triomphe du « parti impérialiste », se plaçait ss nécessité ds la situation d’un prince dont on attend la disparition. Les mécontents de la cour impériale pouvaient, en attendant mieux, se grouper autour des fils à demi établis.
Enfin : règlement s’efforçant de tout prévoir, sauf l’inévitable imprévisible ; fut donc battu en brèche par …. l’amour et le hasard.
b)- Le réalisme de la logique territoriale : le traité de Verdun de 843
818 : mort de l’impératrice Ermengarde ; début 819 : remariage de Louis avec la belle Judith, file du comte Welf. 13 juin 823 : naissance à Francfort de Charles, futur Charles le Chauve. A la demande de Judith, Louis exerce une pression sur Lothaire pour qu’il prenne deux engagements jurés :
– céder à son demi-frère le territoire que l’empereur demanderait pour lui ;
– être pour lui un défenseur sûr ;
Louis le Pieux fut donc le premier à enfreindre l’Ordinatio qu’il avait lui-même promulguée. A partir de là : mise en cause de l’équilibre fragile difficilement réalisé en 817 et début des luttes de partis, avivées par le souci croissant de Louis le Pieux de remanier l’ordinatio de 817 au profit de son dernier fils : renvoi de Lothaire en Italie ; prend alors le parti de la révolte, aboutissant même à la relégation de l’empereur ds le monastère de Saint Médard de Soissons d’octobre 833 au début de 834. Finalement rétabli sur la dignité impériale, Louis le Pieux consacra les dernières années de son règne à multiplier les tentatives de partages afin d’élargir au maximum le lot de Charles. A sa mort, en 840, rien n’était donc réglé. D’où une lutte militaire et politique de plus de 3 ans.
2 camps : – Lothaire et Pépin II (fils de Pépin, mort en 838)
– Louis et Charles
En 841 : victoire de Louis et Charles ds la bataille sanglante de Fontenoy en Puisaye qui décima une grande partie de l’aristocratie franque (avec de très graves conséquences pour la lutte contre les envahisseurs normands). Défaite de Lothaire rendant impossible une victoire ultérieure de l’emp. Fut considérée comme un jugement de Dieu.
En 842 : renforcement de l’alliance entre Charles et Louis : se rencontrent à Strasbourg le 14 février 842 pour exclure tt arrangement séparé avec Lothaire : serments réciproques pris par les 2 rois devant leurs armées respectives : Charles s’exprima en langue germanique, pour être compris des soldats de Louis ; ce dernier parla en langue romane pour être entendu des hommes de Charles. Il s’agit là d’un texte inestimable pour les 2 langues, le plus ancien document connu en ce qui concerne le français.
Finalement : sous la pression de l’aristocratie des 2 camps, conclusion d’une paix préliminaire entre les frères (juin 842) avec désignation d’une commission de 40 grands pour chaque roi afin de préparer le partage : enregistrement patient des richesses de l’empire ; dénombrement des évêchés, abbayes, comtés, fiscs et palais royaux, bénéfices des vassaux et manses. Bonne maîtrise intellectuelle du territoire (cf. l’entretien du réseau des routes romaines).
L’acte final se déroula en août 843 à Verdun. Le monde franc fut divisé pour de bon (cf ; carte) :
– Francia de l’ouest pour Charles : De Tournai à Paris, se pose donc comme le successeur de Clovis tout en détenant la Neustrie de Dagobert qui représentait la plus ancienne tradition du regnum Francorum.
– Bavière pour Louis ;
– Zone médiane pour Lothaire, qui hérite également du titre d’empereur, mais du titre seul, avec ses droits et ses devoirs envers l’Eglise romaine et sa préséance protocolaire, mais ss aucun droit sur les deux autres « rois des Francs » à l’est comme à l’ouest ; dispose de l’axe Rome-Pavie-Aix la Chapelle (les 3 capitales de l’empire), ainsi que de la terre allant de Metz jusqu’à la basse vallée du Rhin, berceau des Pippinides = lot le plus prestigieux, mais aussi le plus fragile.
Verdun signifie donc bien plus que la fin de l’ordinatio imperii avec son empereur dominant le monde franc :
– marque le début des évolutions institutionnelles divergentes entre l’Est et l’Ouest ;
– servit de base juridique à l’indépendance du royaume de France face à l’empire, reconstitué au Xè s. au profit des Ottoniens. Extrême stabilité des frontières occidentales de Verdun, avec la ligne des 4 fleuves (Escaut, Meuse, Saône et Rhône) : contribua à la cristallisation d’un sentiment national, à partir d’un territoire homogène ds ses grandes lignes, bien que confronté à une expression de plus en plus vacillante de l’autorité.
2- Les dangers d’une pratique contractuelle du pouvoir
Carolingiens confrontés à une double réalité :
– absence d’État, au sens moderne du terme : personnalisation du pouvoir tendant à privilégier les liens d’homme à homme, le jeu des fidélités individuelles par rapport à un système abstrait d’obéissance institutionnelle ; corollairement, absence d’administration publique dotée d’un corps de fonctionnaires spécialisés, formés aux techniques de gestion et placés ds une position statutaire vis à vis de l’autorité publique ;
– immensité de l’empire conquis empêchant une emprise directe du souverain sur ses territoires : pouvoir nécessairement médiatisé, délégué à des relais plus ou moins scrupuleux, compétents et fidèles. Dans cette perspective, l’encadrement de la terre et des hommes est logiquement confié à une aristocratie qui, par ses qualités biologiques et morales, a en quelque sorte vocation « naturelle » à commander. Système de vassalité royale déjà utilisé par les Mérovingiens, repris à leur compte par les Carolingiens, sur une échelle beaucoup plus large. Donna ds un premier temps des résultats satisfaisants tant que le pouvoir central s’avéra capable d’en maîtriser la teneur (a). Puis, une fois venu le temps des partages et des minorités, se révéla un puissant facteur de dissociation des territoires et d’émiettement des fidélités (b).
a)- La maîtrise initiale du processus vassalique
Dès l’époque mérovingienne délégation de la potestas royale effectuée sur la base d’une fidélité jurée, conformément à la tradition germanique (la notion de délégation étant, elle, d’origine romaine). Ainsi, ce qui permettait à une certaine souveraineté de s’exercer tenait déjà à un lien personnel de fidélité.
Charles Martel reprit cette méthode pour étendre sa clientèle armée en puisant largement ds le réservoir des biens ecclésiastiques.
Avec les Carolingiens toutefois, si entre le prince et le détenteur de la charge publique (l’honor) se maintient la même délégation qu’à l’époque mérovingienne, deux différences importantes apparaissent :
– Une différence de degré d’abord : généralisation du système, de façon que chaque grand ou moyen propriétaire foncier (= milieu auquel se recrutait désormais le recrutement de l’armée) doublât le service public dû au roi d’un service privé dû à l’homme : engagement personnel bcp plus contraignant en effet.
– C’est là d’ailleurs que réside la seconde différence, non plus de degré, mais de nature : forme du lien personnel établi entre le titulaire et le roi. Ce n’est plus un simple rapport de fidélité jurée. C’est déjà un rapport vassalique, faisant du détenteur de la charge publique l’homme de son seigneur, susceptible de lui donner à tout moment son temps, sa force, son conseil et sa vie. Origine juridique de l’engagement privé remonte aussi bien au contrat (convenientia) de commendatio romain (fixant les règles de l’engagement d’un dépendant libre à l’égard de son patron) qu’au compagnonnage guerrier (Gefolge) germanique, utilisé par les rois mérovingiens pour fixer à leur service armé les membres de leur truste (cf. formulaire de Tours, texte p. 9). Prend à l’époque carolingienne une forme très codifiée qui traduit la double évolution subie à la fois par le statut du détenteur de l’honor (a) et par le régime juridique de l’honor lui même (b).
a)- Le statut du détenteur de l’honor
1er témoignage explicite sur ce type d’engagement provient des Annales du royaume des francs, à la date de 757. Concerne un certain Tassilon qui, dès 748, encore tout jeune, avait reçu de Pépin le Bref le duché de Bavière « par octroi de bénéfice ». Une fois Pépin devenu roi, le rapport personnel existant entre Tassilon et le roi doit être renouvelé par la prestation de la commendatio et de la foi vassaliques en contrepartie de laquelle l’honor est renouvelé ou octroyé.
« Tassilon, duc des Bavarois, se rendit [à Compiègne] avec ses grands, et, selon la coutume franque, se recommanda lui même en vasselage par les mains du roi et il promit fidélité tant envers le roi Pépin qu’envers ses fils Charles et Carloman en jurant sur le corps de Saint Denis. Il s’engagea à observer la foi (fides) tous les jours de sa vie envers les seigneurs susdits non seulement là, mais en faisant les mêmes serments sur les corps des Saints Martin et Germain. De même, les plus grands et les plus nobles des bavarois, qui s’étaient rendus avec lui en présence du roi, promirent d’observer la foi envers le roi et ses fils dans les mêmes vénérables lieux. »
Le rite d’investiture du duché se présente donc comme une très explicite cérémonie vassalique :
- geste des mains du vassus mises entre les mains du seigneur (le vassal étant à genoux face au seigneur) :
– aliénation de la volonté du vassal : se conforme désormais en tout point à celle de son seigneur ;
– échange, archaïque au fond, de flux d’énergie, de substance vitale.
- serments de fidélité prêtés sur les reliques : engagent Dieu et ses saints, au risque de l’excommunication qui frappe le parjure. Dimension spirituelle engageant le salut ds l’au-delà aussi bien que la vie d’ici-bas.
Rituel donc destiné à renforcer la subordination et l’obéissance du vassal envers son seigneur. Le pouvoir franc, en attribuant les honores au cours de telles cérémonies, espérait donc fidéliser au mieux ceux qui les détenaient. D’où la généralisation de cette méthode par Charlemagne :
– multiplie le nombre de ses vassaux, dont il fit des vassi dominici, souvent chasés ds les régions soumises ;
– oblige en outre tous les grands – comtes, marquis, évêques, abbés – à entrer ds sa propre vassalité en sorte que leur propre réseau de clientèle passât par leur relais à son service.
Doublement du service public normalement attaché à l’honor par un service privé beaucoup plus fort, scellé par le rite d’investiture. Dilution de la notion d’agent public, à laquelle se substitue celle de vassal strictement privé. Amène naturellement à s’interroger sur le régime juridique du bénéfice.
b)- Le régime juridique de l’honor
L’un des traits juridiques qui caractérisent la vassalité = l’avantage précaire matériel qu’en tire le vassal. Cet avantage est le plus souvent qualifié de beneficium (bienfait). En cas de rupture du lien, le seigneur le reprend aussitôt, ; puisqu’il est la contrepartie tangible de la fidélité jurée. Ainsi, ds le cas de Tassilon, c’est l’honor du duché de Bavière qui constitue le bénéfice. En effet, honor, quel qu’il soit (comtal ou ducal) comporte des revenus attachés à la charge publique. Ce sont ces revenus qui sont considérés comme bénéficiant à son titulaire durant l’exercice de ses fonctions.
N.B : cette dernière considération n’empêche pas le roi d’attribuer au vassus d’autres bénéfices qui, eux, ne sont pas nécessairement liés à la détention de l’honor et qui peuvent demeurer ds la main du vassal si le roi le veut, quand il reprend l’honor.
Ds la plupart des cas, le roi choisit ceux auxquels il attribue ainsi les grands honores ds les familles de la noblesse qui ont de grands biens héréditaires : poussée sociologique qui pèse sur le roi de la part de ces familles. Il y a ainsi des sortes de dynasties de titulaires de certaines honores (cela existait déjà à l’époque mérovingienne). Il n’en demeure pas moins que l’on continue à faire une différence fondamentale entre le bénéfice et l’honor, essentiellement révocables, et les alleux, ou biens héréditaires que possèdent les familles.
Que cette distinction s’altérât, ou que le fisc royal en vînt à s’appauvrir, du fait de l’arrêt des conquêtes, et l’équilibre ainsi instauré pouvait se trouver gravement mis en cause.
b)- L’affirmation progressive d’une hérédité des charges publiques
En Francia de l’Ouest, milieu du IXè s. marqué par des difficultés croissantes que doit affronter un pouvoir carolingien replié sur lui même, et privé de possibilités d’expansion territoriale vers le sud et vers l’est :
– irrédentisme de certaines régions, mal soumises dès l’époque de Charlemagne : Bretagne et Aquitaine notamment : franges turbulentes et rebelles ;
– montée de l’insécurité due aux razzias des Sarrasins (ont établi un certain nombre de têtes de pont, comme la Garde Freinet, en Provence d’où ils ravagent les régions environnantes), et surtout aux incursions des Normands : partis de Scandinavie à la fin du VIIIè s. et au début du IXè s., à la suite de progrès dans les techniques nautiques et d’une expansion démographique, ils s’étaient lancés ds 3 directions pcipales :
– les Suédois allaient vers la Russie ;
– les Norvégiens vers l’Écosse du Nord et l’Irlande, d’où ils se rabattaient vers les côtes de la Manche ;
– les Danois pénétraient par la mer du Nord et le Pas de Calais et atteignaient également la Manche d’où ils opéraient une sorte de jonction avec les Norvégiens. Quelle que fut leur patrie d’origine, les Francs les englobaient sous le nom d’« hommes du Nord », Normanni, Normands.
Ils arrivaient par petites bandes sur des bateaux légers, remontaient les fleuves et allaient piller ; très vite, ils furent remarquablement organisés. Établis sur les côtes, en des caps abritant des estuaires (« hague », « hougue »), ils y construisent des postes d’observation, de surveillance et de renseignement d’où, par signalisations de feux, ils correspondaient avec les bateaux alliés passant au large. Mirent à profit la relative désorganisation du royaume franc, développant un fort sentiment d’insécurité, provoquant la déstructuration des réseaux d’économie domaniale gravitant autour des pcipales villes et des grands monastères, accélérant le processus de désagrégation administrative.
L’exemple le plus frappant, à cet égard = celui des missi : ne sont plus choisis parmi les agents du palais, mais parmi les notables locaux : peut-être à cause de l’insécurité des routes, parce que l’on se transporte moins facilement ; mais surtout parce qu’une tendance à la territorialisation des pouvoirs se fait de plus en plus jour : ces missi sont de moins en moins les hommes du roi et de plus en plus ceux d’une région ; d’ailleurs leurs tournées deviennent de plus en plus rares. De 843 à 864, il n’y a plus de tournées générales régulières ; passé 864, il n’y a plus que des tournées spéciales, par envoi d’un ou deux missi, en tel ou tel lieu précisément déterminé. Puis l’institution disparaît.
Face à ces nouveaux défis, l’administration carolingienne se révèle incapable de réagir rapidement : armée trop lente, arrive tardivement sur les lieux des pillages ; pouvoir central trop lointain ; d’où une forte poussée des forces centrifuges, relayées par la montées des grandes familles aristocratiques puissamment enracinées au niveau local et dont certaines, comme les Robertiens, s’illustrèrent précisément ds la défense du royaume contre les Normands (a). Cette dernière tendance s’accompagne de manière logique et concomitante d’un affaiblissement durable de l’autorité monarchique (b).
a)- La montée des lignages aristocratiques
Échec du projet unitaire de Charlemagne a tenu d’une part à l’essoufflement de la dynamique des conquêtes, et d’autre part à l’absence d’un cadre étatique suffisamment puissant pour résister aux tentations du délitement et de la décomposition interne : triomphe de la logique territoriale sur l’édifice fragile des fidélités unitaires.
Ø Les défaillances de l’éthique personnelle : l’émiettement des fidélités
Phénomène de contractualisation du pouvoir venant affaiblir la force de l’engagement personnel unilatéral marqué par la prestation du serment de fidélité. Affaiblissement de la puissance du prince permettant une participation croissante des grands aux instances de décision, et la possibilité pour eux de négocier l’importance de leur implication dans les affaires de l’Etat.
à Mouvement amorcé dès le règne de Louis le Pieux par le capitulaire de 823-825. Contient notamment cette formule :
« ‘Quoique le faîte du ministère impérial consiste en notre propre personne, celui-ci est divisé par l’autorité divine et l’ordre humain en sorte que chacun de ceux qui ont un honor a une part de notre ministère à sa place et selon son rang. »
– royaume implicitement analysé à l’image de l’Eglise, corps mystique du Christ, dont Louis prenait en quelque sorte la place ;
– surtout : formule à l’origine d’une nouvelle participation des grands au gouvernement, non seulement en groupe lors des assemblées générales (ce qui était normal), mais sous la double forme d’une critique, et même d’un jugement de l’action de l’empereur par des individus ou de petits groupements, et d’une conscience commune à tous ces grands : ils exercent leurs fonctions non seulement par mandat du prince, mais comme partie prenante de l’autorité suprême.
La « féodalisation » qui suivra part de cette réforme qui constitue un éparpillement légal du pouvoir suprême, préparé il est vrai par les traditions de la noblesse gallo-romaine et les idées aristocratiques germaniques. L’épiscopat, notamment joua de cette nouvelle position de force ds les crises de l’Empire ouvertes à partir de 827 : tout le monde se fit alors juge de celui qui, 15 ou 20 ans plus tôt était encore un maître incontesté.
à Tendance se poursuit et même s’accroît sous le règne de Charles le Chauve (843-877), marquée par deux étapes importantes :
Þ L’assemblée de Coulaines (843), prés du Mans. Début de règne très difficile : jeune roi de 20 ans qui n’a pas été sacré (simplement couronné en 838) et doit faire face à une révolte de la Bretagne, à l’insoumission de l’Aquitaine, groupée autour de Pépin II et aux exactions de Normands ds la basse Loire, autour de Nantes.
C’est ds ces circonstances que l’aristocratie fit sentir qu’elle considérait la royauté comme la partenaire d’un contrat : les grands du royaume se réunirent en effet de leur propre initiative à Coulaines pour y rédiger un acte auquel le roi fut ensuite invité à adhérer : « écrit unanime » souscrit par chacun ds les termes d’un véritable traité (foedus). 3 aspects essentiels :
– engagement du roi de respecter l’intégrité du patrimoine de l’Eglise ;
– reconnaissance de l’honor et de la potestas du roi par tous, avec promesse de soutien, d’aide et de conseil ;
– engagements du roi à ne « priver personne, quel que soit son ordre ou sa dignité, d’un honor dûment tenu de par notre inconvenant bon plaisir. » Ces engagements sont en outre présentés sans aucune équivoque comme la contrepartie des engagements précédents, le roi définissant lui-même ce donnant-donnant comme une attribution réciproque d’honor. Ils furent ultérieurement renouvelés en de nombreuses occasions, jusqu’à constituer le noyau de la promesse du sacre (cf. infra).
Il y a donc ici bel et bien un contrat passé entre le prince et ses grands. C’est en concluant cet accord que Charles, 3 mois après le traité de Verdun, a été effectivement reçu comme roi de la Francia de l’ouest. Et par là, le fondement du pouvoir monarchique ds ce royaume a commencé à se différencier de ce qu’il était ds les autres parties du monde franc.
Application à la lettre des dispositions du ministerium de chacun, préconisé dès 825 par Louis le Pieux (cf. supra). Servit également de fondement au développement de l’hérédité des charges publiques.
Cette reconnaissance précoce par la royauté occidentale des prétentions des grands comporte cepdt un aspect positif : la conscience qu’ils ont d’appartenir à un pays ds lequel ils ont conquis des droits que d’autres zones du monde franc n’ont pas encore admis renforça la cohérence des différentes parties du royaume occidental à travers leurs aristocraties respectives.
Þ Capitulaire de Quierzy sur Oise (juin 877) : adopté juste avant le départ pour l’Italie de Charles le Chauve, devenu empereur depuis 875, suite à la disparition des autres membres de la famille carolingienne. Avant d’aller secourir le pape, menacé par les incursions sarrasines, le prince organise par ce capitulaire la manière dont son fils, Louis le Bègue, qui restait en Francia de l’Ouest, devait gouverner le royaume en son absence. [texte reproduit à la p. 10 du dossier n°1]. Ce document reprend pour une large part les dispositions de Coulaines, en les aggravant :
* reconnaissance du gouvernement par conseil des grands : A Quierzy, l’emp. ne prend de décision qu’avec leur accord : cf. la forme même du capitulaire : suite de questions posées par le prince, auxquelles répondent les aristocrates. Décision est donc prise collectivement. En outre, le texte précise que Louis le Bègue ne pourra agir que de concert avec les grands pendant l’absence de son père. Cela revient par conséquent à instituer une sorte de gouvernement aristocratique, où les grands conseillent le roi comme titulaires de charges publiques, mais surtout en vertu de leur commendatio.
* avancée vers l’hérédité des fonctions comtales : n’est certes pas expressément reconnue. Mais est en quelque sorte présumée : c. 9 du capitulaire : si un comte meurt pendt l’expédition d’Italie et qu’il a au moins un fils, les droits de celui-ci sont réservés. Situation provisoire, qui ne donne au fils aucun droit précis, mais simplement la reconnaissance d’une sorte de vocation normale à prendre la succession de son père : glissement insensible vers l’hérédité des honores laïques.
* Confirmation de ces décisions dès décembre 877 : pour succéder à son père, mort entre temps, Louis le Bègue est contraint de négocier avec les grands ; il lui faut d’abord renouveler leurs charges comtales, accepter leurs marchandages et les cumuls de fonctions publiques avant de pouvoir être désigné comme roi. Le vieux système de l’élection des rois francs, qui, au temps où les Carolingiens étaient forts, n’était qu’un rite, devient une réalité, aux dépens du sacre, dont l’importance légitimante décline.
Les forces les plus dynamiques de l’époque appariassent donc de plus en plus concentrées ds les milieux aristocratiques dont certaines grandes familles commencent à se tailler de puissantes principautés territoriales.
Ø Le triomphe de la logique territoriale : l’apparition des principautés
Un exemple particulièrement significatif mérite de retenir l’attention : celui de la Marche de Neustrie ; toutefois, un processus comparable de décomposition territoriale est observable ds d’autres zones du regnum :
à La marche de Neustrie : territoire sis entre Loire et Seine, particulièrement exposé aux raids des Normands et constitué en marche ds les années 850 afin de mobiliser au mieux les ressources militaires. Commandement militaire confié à Robert le Fort, dont la famille tenait un haut rang ds le monde franc dès le VIIè s., avec des possessions établies ds la région de Worms (Rhénanie Palatinat), mais qui préféra quant à lui abandonner cet établissement après le traité de Verdun pour ne pas relever de Lothaire et passer en Francia de l’Ouest, ds la suite de Charles.
Est nommé Comte d’Anjou et de Touraine en 852 ; puis devient abbé laïc de Marmoutiers, près de Tours, comte de Blois et d’Orléans, et enfin abbé laïc de Saint Martin de Tours, fondement essentiel de la puissance de sa dynastie (cf. généalogie). S’est particulièrement illustré ds la lutte contre les Normands. C’est d’ailleurs en les combattant qu’il trouve une mort glorieuse lors de la bataille de Brissarthe, en 866.
Ses honores revinrent ensuite à un clerc, Hugues, de la famille des Welfs, un cousin germain du roi par l’impératrice Judith : phase de stabilisation territoriale.
Quant au fils aîné de Robert le Fort, Eudes, il est fait comte de Paris vers 884. Il s’illustre alors en 885 lors du siège de la ville par les Normands, et récupère tous les honores de son père à la mort d’Hugues l’Abbé : prestige considérable tiré à la fois des victoires remportées contre les envahisseurs normands et de la possession de la grande abbaye de Saint Martin de Tours : halo surnaturel. Homme de confiance de l’empereur Charles le Gros (881-888) pour le royaume occidental, il est élu et couronné roi de celui-ci le 29 février 888, mettant ainsi un terme provisoire à 137 ans de monarchie carolingienne.
à Les autres grandes principautés territoriales : processus de dissociation territoriale ne s’arrête pas à la seule Neustrie. Touche des zones de plus en plus nombreuses, précipitant d’autant le déclin du pouvoir monarchique. Partout, reconnaissance forcée du titre de princeps comportant l’octroi de certaines prérogatives :
– absence d’investiture royale ;
– absence de révocabilité des charges publiques assumées au titre de princeps ;
– possibilité d’attribuer souverainement des honores ds le cadre de la principauté ;
– 898 : reconnaissance de Guillaume le Pieux comme duc d’Aquitaine. S’interpose désormais entre le roi et ses sujets ds cette zone traditionnellement mal soumise à l’autorité centrale. Guillaume est en fait un véritable « princeps », bien que le roi refuse de lui reconnaître officiellement ce titre. Jouit en effet d’une véritable potestas publique qui le place au dessus de la hiérarchie ordinaire des honores. Par sa potestas, il peut contraindre un grand à se soumettre à sa justice. Il a également la haute main sur les églises de sa principauté. D’où la fondation de l’abbaye de Cluny, en 910, en marge de ses territoires, en Mâconnais, marquant l’élaboration d’un statut nouveau pour le monachisme. Hérédité des honores ds cette famille : à la mort de Guillaume, dépourvu de fils, c’est son neveu Guillaume le Jeune qui recueille son héritage (918).
– mêmes observations en Bourgogne, à partir de Richard le Justicier, intitulé duc à partir de 918. Après sa mort, son fils aîné Raoul assume le principat et paraît avoir continué à le faire quand il est devenu roi en 923.
– Établissement des Vikings en Normandie, à la suite d’un succès décisif remporté sur eux par une coalition des grands (regroupant notamment les marquis de Neustrie et de Bourgogne) en juillet 911. Acquis par les princes, sans que le roi y participe, ce succès renforce durablement leur prestige. Leur gloire est à la mesure des craintes, voire de la terreur qu’ont jusque là provoquées les Normands. Celui qui, grâce à Dieu, a réussi à vaincre les ennemis de Dieu, pourra également se dire prince par la grâce de Dieu. Les principautés vont ainsi rester pour trois siècles des réalités incontestées de la vie publique en France.
Suite à cette victoire : traité signé à Saint Clair sur Epte entre le roi Charles le Simple et Rollon, le chef des Normands, à qui un droit sur la terre est concédé dans une partie de la province ecclésiastique de Rouen, en contrepartie de la cessation des pillages et de la conversion des Normands au christianisme. Dès après 911, Rollon, puis son fils Guillaume Longue Épée ont été invariablement qualifiés, l’un après l’autre de « princeps » des Normands.
On le voit : la création des premières principautés, favorisée par la coalescence d’éléments ethniques, a soustrait au gouvernement royal presque l’intégralité des anciens regna francs de Bourgogne et d’Aquitaine à partir de 893-898, ainsi qu’une part notable du regnum de Neustrie pour la Normandie, à partir de 911. Ces principautés restaient bien ds le royaume (les actes y étaient datés par référence au règne du roi), mais elles constituaient chacune un ensemble politique relativement cohérent gouverné, selon le modèle de la fonction royale, par un princeps :
Situation traduisant par conséquent un incontestable affaissement du pouvoir monarchique.
b)- Le déclin de l’autorité monarchique
Déclin somme toute assez rapide D’une autorité capable de se servir des évêques, abbés et comtes, en les contrôlant par ses missi, elle est devenue un « partenaire » durement critiqué par le clergé et les grands. Pour être élu, le roi doit faire des promesses qu’on lui rappelle dès qu’il veut redresser la situation. Il est d’autre part considéré comme un « chef » qui doit victorieusement défendre le royaume pour les autres sans attendre d’eux une aide efficace, chacun se concentrant sur la défense de sa propre région. Les Normands n’ont pas seulement dévasté le pays, ils en ont aussi ruiné l’esprit politique. Rois de plus en plus coupés des forces vives du pays, au profit d’une aristocratie puissamment enracinée ds les intérêts locaux.
A partir de là, l’histoire des IXè-Xè siècle est tout entière dominée par la lutte inégale qui oppose une autorité centrale de plus en plus affaiblie à des aristocraties dynamiques et conquérantes. Le roi ne peut même pas compter sur le sacre pour raffermir un pouvoir dont le fondement essentiel semble moins tenir à l’onction religieuse qu’à la reconnaissance des grands.
Pcipe dynastique lui-même mis à mal par l’élection de 3 rois étrangers au sang carolingien : Eudes (888-898), Robert 1er (922-923) et Raoul de Bourgogne (923-936), gendre du précédent.
Puissance des Robertiens à son apogée au temps de Hugues le Grand (936-956) : fut en mesure de s’assurer une suprématie totale ds le royaume, sur le double fondement d’un titre ducal extraordinaire (dux Francorum : restauration d’une appellation ayant fait la fortune des Pippinides) et d’un pouvoir sur la Neustrie susceptible de faire de lui un princeps. Au faite de sa gloire, Hugues eut même l’audace de faire emprisonner le roi carolingien (Louis IV d’Outremer) et de le retenir incarcéré pendant presque un an.
Son fils Hugues Capet, rencontra plus de difficultés : mit 4 ans à obtenir l’investiture de son honor, période pdt laquelle la principauté neustrienne ne manqua pas de s’affaiblir au profit des comtes de Blois et d’Anjou. C’est pourquoi Hugues saisit la première occasion favorable d’accéder à la royauté, avec l’aide de l’archevêque de Reims : mort prématuré du jeune Louis V en mai 987 provoqua une réunion des grands qui procédèrent à l’élection de Hugues le 3 juillet 987. Passage d’une dynastie à une autre opéré ds le plus grand calme. Ne semble d’ailleurs pas exceptionnel.
Politique capétienne différa cepdt des options retenues par les Carolingiens sur deux points très importants :
– affaiblissement de l’alliance pontificale : réticence de la papauté envers une nouvelle dynastie qui se substituait à celle qu’elle avait largement soutenue et en bonne partie fondée. Le premier appui des Capétiens = leur épiscopat.
– reconnaissance rapide (et logique) de l’hérédité des honores, à laquelle les Carolingiens s’étaient toujours refusés. Ouvre largement la voie à une féodalité triomphante et irrésistible.
2 novembre 2011 at 13 h 19 min
Bonjour, j’ai copié collé ce cours et également celui que vous avez posté sur l’ent seulement il y a une différence, le cours sur l’ent est beaucoup plus dense. Quel cours faut-il prendre ?
1 décembre 2011 at 21 h 18 min
Bonjour, allez-vous poster la chapitre 2 du cours nommé « Le triomphe des particularismes juridiques » ? Car il me manque seulement un paragraphe et je n’ai réussi à le récupérer auprès de personne.
18 décembre 2011 at 16 h 36 min
Vous utilisez l’abréviation B.E. , que signifie-t-elle?
31 décembre 2011 at 16 h 03 min
B.E. = Bas Empire
Au fait, B.A. ! (=Bonne Année)
1 janvier 2012 at 17 h 21 min
Merci pour votre réponse, B.A.B.S (=bonne année, bonne santé)