Chapitre II Le droit des obligations après
Rome
La construction progressive d’une
théorie générale du contrat
Section I- Le recul du consensualisme au Haut Moyen Age (Vème-Xème siècles)
§I- Le formalisme de l’époque franque
Eléments de contexte :
Vers le milieu du IVe siècle, le monde barbare vit dans un dangereux état de fermentation. Dans les pays germaniques, à l’est du Rhin et au nord du Danube, les Barbares prennent conscience de leur force ; leurs attaques se reproduisent avec une fréquence sans cesse accrue et chaque jour plus redoutable par le nombre même des assaillants comme par la cohésion qu’assurent les victoires et le butin.
Les Huns entrent en Europe au cours de la seconde moitié du IVe siècle. Conscients du danger, les Ostrogoths tentent d’arrêter l’envahisseur. Ils lui opposent une résistance farouche, mais ne peuvent que retarder la catastrophe.
Suivant la trace des conquérants Goths, Vandales, Francs ou Burgondes, les Huns s’élancent à l’assaut des derniers débris du monde romain. En 476, la disparition de l’autorité impériale provoque l’effondrement de l’Empire d’Occident. Le Germain Odoacre ( vers 434 – 493 ), officier de la garde, dépose l’empereur Romulus Augustule. Désormais l’Occident se trouve aux mains des Barbares.
Au VIIe siècle l’invasion arabe porta un coup qui devait séparer la Gaule franque, et plus généralement l’Occident, de l’Orient : la Méditerranée cessait d’être la mer romaine et le lieu du plus intense trafic commercial international. Cette période est indéniablement une période de déclin pour la civilisation : les usages des peuples implantés sur une bonne partie de l’ancien Empire d’Occident, de la Gaule en particulier, ne comportent en effet qu’un minimum de relations obligatoires Durant cette période, comme au temps des débuts de l’ancienne Rome, la notion d’obligation s’insère dans un cadre formaliste. L’accord des volontés ne produit d’effet que s’il se manifeste par une forme solennelle ou une prestation. Les Germains, autant qu’on puisse le savoir, n’ont jamais reconnu l’effet obligatoire du seul consentement ( Tacite, Germaniae, XXIV ).
Caractères généraux de la société franque, d’un point de vue juridique :
– prévalence du groupe sur l’homme isolé : le groupe, famille, tribu, compagnonnage guerrier, intervient forcément pour contrôler ou pour garantir l’engagement de l’un de ses membres
– commerce rudimentaire : rétractation des échanges ; troc, achat au comptant ;
– complexité juridico-sociale : personnalité des lois, est particulièrement difficile à mettre en œuvre en matière de contrat : nbreux conflits. En outre, droit gallo-romain lui-même disparate
– absence d’élaboration doctrinale du droit ; pas de distinction entre les différentes branches du droit.
– Faiblesse de la puissance publique explique un sentiment assez répandu d’insécurité juridique : chartes accumulent en csqce les précautions contre les transgressions ; multiplication des clauses pénales, à l’efficacité douteuse, menaçant les contrevenants d’une amende (DI pour le créancier + amende à caractère fiscal) ; clauses de malédiction ou d’imprécation diverses : tt cela donne une impression d’instabilité du contrat, dont la force obligatoire semble s’être dissipée. En outre écrit donne une liste de témoins susceptibles de garder le souvenir de l’acte. Déjà , la loi ripuaire conseillait de faire comparaître les enfants (pour garder plus longtemps le souvenir) et d’éveiller leur attention par des gifles.
Il résulte de ces différents caractères que le contrat ne peut être secret ou implicite et que la volonté des parties doit prendre une forme déterminée, visible et audible, qui permette le contrôle et l’intervention de la famille et qui ne laisse place à aucune difficulté d’interprétation ou de preuve. D’où le formalisme et le symbolisme des premiers contrats ; d’où aussi l’assitance de témoins nombreux et presque forcément pris ds la famille.
Dans la loi Salique ( 51 & 52 ), qui représente sans nul doute le droit le plus « pur », les contrats sont soit formels ( A ) soit réels ( B ). Ce formalisme disparaîtra au XIIIe siècle, sous l’influence du droit canonique.
A- Les contrats formels : la fides facta
Au cours de la période franque, les contrats formels jouent de nouveau un rôle très important. A l’image de la stipulation romaine ( stipulatio ), la fides facta ( foi jurée ) germanique comporte une promesse faite par le débiteur sur une interrogation du créancier. Cependant la loi Salique va au-delà du droit romain, en ajoutant le geste à la parole. Le formalisme consiste en une promesse rituellement prononcée, accompagnée d’un geste rituel et symbolique, double solennité par conséquent de paroles et de gestes dont dépend la validité de l’acte.
Les parties doivent donc prononcer des paroles rituelles et faire les gestes appropriés. Mais sur la nature de ces gestes la loi Salique reste à peu près muette. La loi voisine des Francs ripuaire parle d’une festuca ( fétu ), rameau d’arbre, bâton, (il pourrait s’agir aussi d’une dérivation de la framée, sorte de javelot, emblème des francs et attribut de l’homme libre), parfois ornée de runes (baguette magique ?) qui passe du débiteur au créancier, symbolisant renonciation à un droit transféré ( loi Ripuaire, 3, 66 ). Tantôt le débiteur montre qu’il s’engage en jetant la festuca à terre (c’est ce qu’on appelle l’exfestucatio), tantôt les deux parties rompent la festuca et gardent chacune un morceau, pour montrer que l’affaire est conclue. Cette habitude tendra à disparaître dès la fin de l’époque franque, mais, longtemps encore, les paysans conserveront la pratique de rompre une paille pour conclure une affaire : « Une paille rompue rend entre gens d’honneur une affaire conclue » (Molière, Dépit amoureux, IV, 4 ).
Présence probable de fidéjusseurs
En cas d’inexécution de la fides facta, le débiteur récalcitrant est frappé d’amende (composition de 15 sous), puis sommé trois fois par le créancier qui doit l’attendre jusqu’au coucher du soleil. Il peut ensuite saisir ses biens et le retenir prisonnier : la frontière entre contrat et délit est ténue.
B- Les contrats réels
Le contrat réel se forme par une prestation faite par une des parties à l’autre. Il se conclut par le transfert d’une chose ( res ). Tantôt la chose devra être restituée par celui qui l’a reçue, comme dans le prêt, le dépôt ou le gage (res prestita); tantôt la remise de la chose est définitive, comme dans la vente, la donation ou l’échange. Notion de res prestita, assez extensive, est commune aux divers contrats réels que le droit romain avait distingués.
Dans la société franque, la terre représente la richesse par excellence. La vie économique étant liée au régime foncier, l’activité contractuelle concerne presque exclusivement la terre ( vente, échange, partage, concessions foncières, etc. ). Les Barbares envahissant l’Empire voulaient d’abord obtenir des terres : c’est ce qu’ils demandaient toujours à l’autorité romaine. La conquête devait être productive. De là dut résulter nécessairement une dépossession partielle des propriétaires gallo-romains. Nous savons que chez les Wisigoths les deux tiers des terres furent attribués au guerrier wisigoth ; car les propriétés laissées au Romains sont appelées par la loi les « tertiae Romanorum » ( Lex Wisigothorum, 10, 1, 16 ).
Le plus souvent on fait tradition du bien en remettant un symbole : une motte de terre, un cep de vigne, un rameau, un couteau, des lacs de soie, des boucles de cheveux ; parfois même l’objet demeure attaché à l’acte : un acte daté de 777 garde encore fixé au parchemin le rameau qui servit à la tradition ( Neues Archiv, XXXII, p. 169 ). Les clercs tendront à substituer aux objets profanes des accessoires du culte : un missel, mais aussi l’anneau ou la crosse. De tels symboles convenaient parfaitement aux contrats qui comportaient le transfert du bien, vente ou partage.
On prétend que le contrat élémentaire était l’échange dont procéderait la vente ( Loi Burg., 35, 5 ; Loi Bavarois, 15, 8 ; Lex Wisigothorum, 5, 4, 1 ). Pour cette raison, une prestation suppose toujours une contre-prestation : une donation ne peut être valable sans un contre-don symbolique ( un anneau par exemple ), qui lui donne l’allure d’un échange.
Dans la donation comme dans la vente, il suffit qu’une partie du prix soit payée pour que le contrat devienne immédiatement obligatoire ( Lex Wisigothorum, 5, 4, 5 ). Cette solution figure également dans les Assises de Jérusalem : un « seul denier de paiement » suffit ( Chap. 27 ).
Contrat et délit sont fort mal distingués : dans la société franque, les obligations les plus fréquentes ont leur source dans un délit. L’activité contractuelle est des plus réduites ; elle est gênée par la pénurie monétaire comme par l’incertitude du recours à la justice. Le commerce ne concerne que qques denrées rares et précieuses qui sont normalement payées au comptant.
En outre, bien des relations juridiques devaient avoir lieu entre parents, ds le cadre du groupe familial et sans laisser de traces écrites ; les actes de disposition demeurent rares ; la famille prétend contrôler les aliénations, et après le VIIè siècle, les paiements se font plutôt en denrées qu’en espèces métalliques..
Enfin, dans bien des cas, l’accord des volontés matérialisé par le contrat est plus fictif que réel et la loi du contrat est imposée par l’un des contractants à l’autre : la volonté n’intervient que pour « adhérer » à la proposition faite, pour accepter de subir les effets du statut qui lui est offert : sorte de contrat d’adhésion. D’ailleurs, les rapports fonciers absorbent presque tous les rapports qui ressortissent aujourd’hui du louage de services, une concession de terres appelant ou rémunérant le travail fourni ou les services imposés.
§II- Les engagement de l’époque féodale (Xème-XIIème siècles)
Société nouvelle, organisée selon de nouveaux modes.
Un mot est désormais employé couramment pour désigner le contrat : convenientia, issu du latin populaire convenire, dont le français devait faire convenance. Les actes du Midi en usent avec une particulière insistance. Le sens ne peut en être douteux : il s’agit bien du contrat au sens moderne du mot, contrat solennel où interviennent des témoins de rang élevé, mais où la volonté suffit à obliger.
Néanmoins, on a tjrs également affaire à des contrats formels et à des contrats réels. Parmi les premiers se présentent surtout des contrats qui se forment oralement (A), et beaucoup plus rarement par écrit (B). Parmi les seconds, le caractère réel est plus ou moins affirmé (C).
A- Les formes orales
Elles sont très diverses. Les unes sont nettement religieuses, les autres purement laïques.
1- Le mode religieux : le serment
Interdit évangélique (Mt. 34, 37 : ( .. ) je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le Ciel, car c’est le trône de Dieu ; ni par la Terre, car c’est l’escabeau de ses pieds » ( Sermon sur la Montagne, Matthieu, V, 34-35 ; Épître de saint Jacques, V, 12 ).
Eglise incapable d’empêcher le serment ; va donc s’efforcer de le contrôler et de réprimer le parjure : violation du serment peut entraîner excommunication ; Mais comme l’usage se développait malgré tout, elle atténua peu à peu son hostilité au serment ; d’après Gratien, il ne s’agit pas d’un péché ( Décret, 2e part., XXII, 5, 12, Juramenti ). Puis aux XIIe et XIIIe siècles, l’Église intervenant dans le règlement des contrats et des obligations, elle consentit à l’admettre pour faciliter la recherche de l’intention réelle des parties. Le droit canonique construisit alors une théorie très développée du serment qui s’imposa ensuite à la jurisprudence séculière ( Décrétales de Grégoire IX, de Jurejurando, II, 24 ; Sexte, de Jurejurando, II, 2 ; Saint Thomas, Somme théologique, II-II, Q 89 ;
Emploi considérable : prendre Dieu à témoin = le meilleur moyen d’assurer le respect des engagements, en période de faiblesse de la puissance publique ; on a ainsi recours au serment, dès l’époque franque, pour confirmer une promesse dont la validité apparaît douteuse (par exemple le serment d’un mineur).
Aux mains des canonistes, le serment devient un mode de contracter d’une grande souplesse qui rappelle à bien des égards la stipulation du droit romain : Serment comporte paroles (formulaire plus ou moins stéréotypé. Par ex, à l’époque caro : sic me Deus adjuvet) et geste : juramentum corporaliter prestitum : prêté en général sur des reliques ou sur l’évangile ; forme atténuée consiste à lever la main droite mais en plaçant le pouce contre la paume au lieu d’étendre les doigts, mais on admet qu’il suffit d’invoquer le nom de Dieu ou même de sous-entendre cette invocation, au moyen d’un simple « juro », voire d’un signe non équivoque ( Décret de Gratien, 2e part., XXII, 1, 12, in communi loquela ; Panormitain, sur c. 10, X, de Jurejurando, II, 24 ). Il crée une obligation personnelle, imprescriptible et perpétuelle, qui engage le salut de l’âme ; s’il y a un créancier dans l’opération, disent les canonistes, ce créancier ne peut être que Dieu ( Décrétales de Grégoire IX, de Jurejurando, II, 24, 8 ). Engagement pris devant Dieu donc, tout serment doit être tenu pour valable dès lors qu’il n’est pas contraire au droit divin ou à l’équité naturelle ( Décret de Gratien, 2e part., XXII, 4, 23 ). Aussi le serment peut-il faire obstacle aux règles concernant la validité des contrats, lorsque les parties s’engagent par ce moyen à n’en pas tenir compte. En 1210, le pape Innocent III déclara qu’un serment devait être respecté, même à l’encontre d’une règle romaine ( Xa, II, 24, 28 ).
Peu à peu développement d’un serment simplifié : ne s’accompagnait plus du geste de toucher une chose sainte, n’était plus corporaliter praestitutm ; il n’était même plus nécessaire d’invoquer expressément le nom de Dieu : il suffisait de dire « je jure » pour que l’on voie dans cette formule un serment rendant la promesse obligatoire. Promettre sa foi, c’est engager sa foi de chrétien et seule compte l’intention.
Enfin, le serment étant chose spirituelle, c’est au juge d’Église qu’il revient, soit de dispenser du serment, soit d’en assurer l’exécution. Cette compétence canonique est concurrente à celle du juge laïque, qui se borne à constater l’existence du serment et à punir le parjure. Lorsqu’il y a contestation sur la validité et l’interprétation du serment, le juge séculier doit surseoir à statuer et en référer au juge ecclésiastique, seul compétent sur ces points. La puissance laïque reconnaîtra ces principes jusqu’à l’apparition du gallicanisme, au début du XIVe siècle.
2- Les mode profanes
Ils sont tous centrés sur une notion commune : celle de fides (fiance en français). La fides facta est devenue, depuis le haut MA, l’une des sources des obligations contractuelles : manifeste un engagement.
Il y a plusieurs façons de manifester la fiance : ttes sont susceptibles de démontrer, t concrètement, la réalité de celle-ci : pb de la preuve : le pacte nu demeure une hypothèse d’école.
– forme laïcisée du serment : la datio ou jonction des mains : foi manifestée physiquement : geste symbolique employé ds l’engagement du vassal
– paumée (palmata), qui survit encore ds les campagnes (vente de bestiaux) : consiste à se frapper la main ds la main. Ds certaines régions, on y ajoute (substitue) un baiser (oscle) : influence religieuse du baiser de paix + sens du concret du MA : baiser bouche sur bouche.
B- La confusion des formes contractuelles
Existe-t-il un contrat écrit ? Beaumanoir, au XIIIè siècle, traite longuement « des obligations par lettres », mais il ne paraît pas admettre que l’obligation puisse naître de l’écrit lui-même : l’écrit ne sert en fait qu’à prouver le contrat.
Ds le Midi, la tradition était bien plus favorable à l’écrit. Il est fréquent que le protocole des chartes rappelle qu XIè siècle qu’il n’y a d’aliénation valable que per cartam. Pourtant, ici aussi, écrit ne paraît avoir été qu’un mode de preuve ; la diffusion, à partir du XIIè siècle, du notariat, vint lui assigner la valeur d’un « instrument public », mais ss modifier sa fonction.
Il existe des contrats réels proprement dits, c’est-à-dire où l’on doit rendre ce que l’on a reçu (ou son équivalent) : prêt.
A côté de ces contrats réels véritables d’autres situations assez différentes peuvent exister : la plupart des actes, ds une économie peu développée, se fon tau comptant : par exemple la vente s’effectue par transfert de propriété et paiement concomitant du prix. Encore au XIIIè siècle, il semble que l’on puisse se dégager d’une vente dont aucune prestation n’a encore été exécutée : c’est l’une des deux prestations (livraison de la chose/paiement du prix ou d’une partie du prix) qui rend l’autre obligatoire : la vente doit être commencée. On ne se trouve donc pas en présence de contrats réels, mais, en somme, dans la même situation que ds les contrats innommés : celui qui a reçu ne doit pas rendre ce qu’il a reçu mais autre chose, qui en est la contrepartie.
C- L’apparition progressive d’un jus mercatorum
De très bonne heure, au plus tard dès le commencement du XIe siècle, se crée un jus mercatorum, pour régler les relations d’hommes vivant du commerce et de l’exercice des métiers. Ce droit embryonnaire, formé d’usages nés de la pratique, représente une sorte de coutume internationale que les marchands appliquent entre eux dans leurs transactions. Dépourvu de toute consécration légale, ils ne peuvent l’invoquer devant les juridictions des États. Aussi les marchands s’accordent-ils pour choisir parmi eux des arbitres ayant la compétence nécessaire pour trancher les différends. C’est là, probablement, qu’il faut chercher l’origine de ces cours que le droit anglais désigne par l’expression de courts of piepowders, autrement dit « cours des pieds poudreux », parce que les marchands qui les saisissent ont encore les pieds couverts de la poussière des chemins. Très rapidement, ces juridictions de circonstance se transformeront en juridictions permanentes : à Ypres, en 1116, le comte de Flandre supprimera le duel judiciaire au profit d’échevinages locaux ; en Italie, en France, en Allemagne, en Angleterre, les villes obtiendront l’autonomie judiciaire dès le XIIe siècle.
Durant cette période, débute toute une organisation de crédit à laquelle semble bien remonter l’origine des lettres de change dont les Italiens, beaucoup plus avancés que les gens du continent, prirent sans doute l’initiative. Il ne s’agit encore que de simples promesses écrites de payer une somme dans un autre lieu, ou, pour employer des termes juridiques, « d’un billet à ordre avec remise de place » : le signataire s’engage à payer dans une autre place au remettant ou à son nuntius, c’est-à-dire son préposé ( clause à ordre active ), ou à faire payer par un nuntius agissant pour lui ( clause à ordre passive ). Les actes obligatoires auxquels se rattachent les origines de la lettre de change étaient dressés soit par des notaires, en Italie et dans le sud de la France, soit par des scribes d’échevinage en Flandre.
Malgré la rareté des textes, nul doute ne subsiste aujourd’hui sur l’existence, déjà au Xe siècle, d’un nombre considérable de sociétés commerciales : dès que Gênes et Pise s’adonnèrent à la navigation, quantité de nobles et de bourgeois vénitiens engagèrent aussitôt de l’argent dans les affaires maritimes. Pour répartir les risques, ils prennent des « parts » dans plusieurs bateaux à la fois. La société en commendata, très florissante au XIIe siècle, fonctionne selon des règles précises : le commanditaire avance au commandité, moyennant une participation dans les bénéfices éventuels, un capital que celui-ci fera fructifier à l’étranger ; la part revenant au premier comprend les trois quarts, celle du second le quart du bénéfice ( le bénéfice normal des compagnies génoises au XIIe siècle était de 25% ). Les sociétés adonnées au commerce terrestre se développeront un peu plus tard, à la fin du XIIe siècle, dans les villes marchandes d’Italie, où s’exerce depuis peu l’influence du droit romain et du droit canonique.
Section II- Les créations du droit savant
Au début du XIIe siècle, l’influence romaine demeure encore incertaine ; les souvenirs qu’en gardent les actes de la pratique sont d’ordinaire sommaires et imparfaits. Ce n’est qu’au milieu du siècle, après la découverte des Pandectes, qu’apparurent véritablement les premiers symptômes d’une renaissance (§I). Ce mouvement eut une répercussion profonde sur la doctrine canonique qui, malgré tout, sut conserver son inspiration propre (§II).
§I-Les apports du droit romain
A- Rappel : la redécouverte du corpus juris civilis
Jusqu’au XIe siècle, malgré des survivances formelles, la pratique juridique n’a semble-t-il plus rien de romain. Les concepts les plus élémentaires paraissent avoir été oubliés : propriété, possession, contrat, obligation, etc. La renaissance résulte pour partie de la redécouverte des principaux textes perdus du droit romain, et ensuite de leur publication progressive, achevée vers 1140. L’étude de l’œuvre de Justinien se développa d’abord en Italie avec l’enseignement de Irnerius à Bologne ( 1088-1125 ), qui fonda l’École des glossateurs, puis avec ses élèves, les « quatre docteurs », Bulgarus ( + 1166 ), Martinus Gosia ( + avant 1166 ), Hugo ( + vers 1170 ) et Jacobus ( + 1178 ), et enfin en France avec Placentin ( vers 1135-1192 ), un élève de Martinus, qui, après avoir quitté l’Italie, vint enseigner à Montpellier ( 1160-1192 ) où il introduisit cette nouvelle science. Tous firent appel aux méthodes d’enseignement de l’époque, consistant à gloser les textes : le professeur lit et explique tel fragment du Code ou du Digeste, puis résume son interprétation en une formule très brève, une glose ( glossa ), que les étudiants inscrivent en marge de leur texte. L’École des glossateurs produisit une telle quantité de gloses qu’il fallut en faire des résumés ( « Sommes » ), auxquels vinrent s’ajouter des recueils ( Apparatus ) et ensuite des « Commentaires ». La Summa Codicis d’Azon ( + 1200 ) et la « Grande Glose » d’Accurse ( 1182-1260 ), ou glose ordinaire, acquirent alors une autorité considérable. Elles permirent d’éclairer les Glossateurs sur le sens du droit romain, et de certains principes qui les laissaient perplexes : en particulier la formule selon laquelle d’un pacte nu ne peut naître aucune action ( ex nudo pacto non oritur actio ). Azon donna un début de réponse. Il déclare ( Somme sur le Code, 2, 3 ) que les pactes sanctionnés par une action ont été « vêtus » : par la remise d’une chose, par la prononciation d’une formule solennelle, par la rédaction d’un écrit, etc. ; sans aborder toutefois le cas des contrats consensuels, qui paraissent contredire le principe initial. Accurse compléta l’explication aux alentours de 1230 : ils portent, dit-il, le plus léger des vêtements : le consentement ( Jurisgentium, 1, 7, Digeste, 2, 14, Glose, § 5 ). Mais assez rapidement les romanistes se heurtèrent à la résistance des juges et des praticiens qui trouvaient leur méthode trop éloignée de la réalité : ils durent abandonner l’étude directe des textes au profit de la méthode dialectique ( ou scolastique ), qui cherche à dégager les principes généraux du droit et en tirer les applications pratiques.
L’impulsion nouvelle partit, semble-t-il, d’un groupe de romanistes français, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle : le Lorrain Jacques de Revigny ( + 1296 ), professeur de droit à l’Université d’Orléans, puis évêque de Verdun ; le Nivernais Pierre de Belleperche ( + 1308 ), chargé de mission du roi Philippe le Bel, puis chancelier de France, et enfin évêque d’Auxerre ; Jean Faure ( + 1340 ), avocat et professeur à Montpellier, qui écrivit un commentaire remarquable des Institutes ; mais aussi Pierre Jacobi, l’auteur de la Pratica Aurea Libellorum, également professeur à Montpellier vers 1311. Ces jurisconsultes, dont certains avaient étudié en Italie sous la direction des glossateurs de l’École de Bologne, contribuèrent par la force logique de leur enseignement à l’établissement et au développement de l’École française de Postglossateurs
Suivant la tradition, ces tendances passèrent ensuite en Italie par l’intermédiaire de Cinus de Pistoie ( 1270-1337 ), qui aurait suivi l’enseignement de Belleperche à Orléans vers 1300 ( v. William Michael Gordon, Cinus and Belleperche, Daube Noster, Edimburg, 1974, pp. 105-154 ). Après son retour en Italie, Cinus enseigna d’abord à Sienne, puis à Pérouse et à Naples, et enfin à Bologne, où il introduisit la nouvelle méthode. Son commentaire du droit romain ( Lectura super Codice et Digesto veteri, Pavie, 1483 ) bénéficia longtemps d’une célébrité méritée. Il eut pour élève Bartole de Sassoferrato ( 1314-1357 ), qui allait devenir le chef d’une nouvelle école, celle des postglossateurs ou bartolistes, dont la richesse de l’oeuvre explique le succès de beaucoup de ses théories juridiques.
Esprit pratique et pondéré, Bartole chercha dans l’arsenal des lois romaines des solutions aux problèmes d’interprétation que soulevaient à cette époque les lois municipales italiennes. En droit privé, les bartolistes s’intéressèrent notamment à la question de la liberté du consentement, afin de protéger les personnes dont l’ignorance est présumée ( femmes, mineurs, soldats, ruraux, etc. ), leur octroyant le bénéfice de restitution. Ils accordent la liberté contractuelle aux marchands et restent fidèles au droit romain classique dans les rapports individuels.
Mais à partir du XVIe siècle, face à la montée de l’individualisme, le sens « social » de la scolastique médiévale ( respect des promesses, loyauté, protection des faibles, etc. ) ne répondit plus aux besoins de la pensée. En liaison avec le mouvement d’Humanisme de la Renaissance, une pléiade de jurisconsultes entreprit alors de restituer la romanité dans sa teneur ancienne : Guillaume Budé ( 1467-1540 ), François Douaren ( 1509-1559 ), François Baudouin ( 1520-1573 ), François Hotman ( 1524-1590 ), Hugues Doneau ( 1527-1591 ) ou encore Antoine Favre pour la Savoie ( 1557-1624 ). Cette nouvelle École, dite « Historique », se donna pour objectif d’étudier les interpolations du droit romain et de retrouver les textes originaux. Profitant de la découverte de nouveaux manuscrits, elle restitua les textes corrompus de plusieurs jurisconsultes ( Paul, Ulpien, Julien, Modestin, Papinien, etc. ) et facilita le rétablissement des vraies doctrines romaines. Le promoteur de cette nouvelle méthode fut le professeur italien André Alciat ( 1492-1550 ), mais son principal artisan demeure Jacques Cujas ( 1522-1590 ), le fondateur de l’étude moderne du droit. Plusieurs des membres de cette École, qui avaient adhéré aux thèses de la religion réformée, durent se réfugier auprès des nations protestantes où leur influence sera grande, en Allemagne en particulier, où ils deviendront les instruments de la réception du droit romain.
A- Les principales avancées doctrinales
On peut distinguer 2 mouvements successifs, en fonction de l’affinement progressif de la technique juridique :
1- Une solution imparfaite : La théorie des Vestimenta
Au début, les Glossateurs reprennent à beaucoup d’égards la position romaine des derniers temps, y compris dans ses contradictions ou ses tensions :
– grande imptce des contrats consensuels ds la vie quotidienne ;
– droit romain fondamentalement pas consensualiste. Cf. en particulier la règle Ex nudo pacto nulla nascitur actio : le simple concours de volontés, le pacte, ne suffit pas à faire le contrat. Selon Accurse, un tel pacte serait comme une « femme stérile ».
Effort des romanistes pour réduire ces contradictions. Par opposition au pacte nu, ils remarquent qu’il existe des pactes et des contrats munis, en droit romain, d’actions, ce qui leur conférait une sanction, t donc une existence juridique. Les Glossateurs les appellent des pactes vêtus et classent avec soin les divers vestimenta pactorum, les vêtements qui permettent de valider les pactes. Azon, par exemple, vers la fin du XIIè siècle, en distingue 6 : les 4 premiers, (les verba, la scriptura, la res et le consensus) correspondent aux 4 catégories de contrats romains, auxquelles Azon ajoute la cohaerentia (pour les pactes adjoints : qui viennent se blottir sous le vêtement du contrat) et la rei interventus (cas où une chose est remise après le consentement. Azon vise ici les contrats innommés qui sont validés par l’exécution de son engagement de la part d’une partie). Accurse devait ensuite ajouter, avec qques nuances, le serment t Bartole la causa ; mais à cela près, les commentateurs médiévaux restent fidèles à la pure théorie romaine.
Or, ds ces 6 vestimenta, l’un était bien paradoxal, le consensus, puisque normalement le consentement (= le simple pacte) n’est pas un vêtement. Accurse a tenté, laborieusement, de l’expliquer, en disant que le consentement est un vêtement léger, certes élégant mais un peu froid, qui ne peut convenir qu’à un petit nombre de pactes, ceux qui sont vus avec faveur par le droit et qui sont « gras et chauds » : ils peuvent donc se contenter d’un vêtement léger.
En réalité, ds tt cela, à part une pittoresque description, aucune nouveauté ne se faisait jour par rapport aux solutions du droit romain.
Quant au pacte nu, il engendre une exception et une obligation naturelle : solution fondée sur la raison naturelle qui « impose de respecter les pactes » (Belleperche).
2- Les innovations de la seconde génération
Lorsqu’ils se sont mieux occupés de pratique, les Romanistes, abandonnant l’idée de plaquer le droit romain sur des réalités qui lui étaient irréductibles, se sont montrés plus imaginatifs. Ne pouvant renverser le pcpe selon lequel le pacte nu ne suffit pas, ils ont cherché à tourner le pcipe par des expédients.
– stipulation simplifiée. Passage des Institutes précisant que si l’on a écrit dans l’instrumentum que le débiteur a promis, la stipulation est présumée. De fait, les notaires insérèrent régulièrement ds leurs actes que le débiteur avait promis, afin d’en renforcer l’efficacité ;
– pactes géminés : technique utilisant le constitut = pacte ss forme permettant de transformer une obligation civile en obligation naturelle. D’où 1er pacte nu générant une obligation naturelle ; puis 2ème pacte « jumeau » du premier, analysé comme un constitut.
§II- Les inventions du droit canonique
A- La naissance d’une doctrine canonique
Entre les années 1140 et les débuts du XIVe siècle, l’Église latine se dota d’une série de quatre compilations, profondément différentes les unes des autres, qui lui servirent de code jusqu’en 1917 : le Décret de Gratien ( vers 1140 ), les Décrétales de Grégoire IX ( 1234 ), le Sexte ( 1298 ) et les Clémentines ( 1314-1317 ). La technique des copistes et l’acquiescement des maîtres les réunirent sous un titre commun, le Corpus iuris canonici, expression symétrique de celle de Corpus iuris civilis que les romanistes utilisaient pour désigner les compilations de Justinien. En principe clos en droit, le Corpus iuris canonici continua de s’accroître, en fait, d’époque en époque ; dans l’édition officielle de 1583 ( Editio romana des Correstores ), le Corpus comprend deux nouveaux recueils de bulles : les Extravagantes de Jean XXII et les Extravagantes communes.
Les premières oeuvres de la doctrine sont des « Sommes », qui suivent l’ordre des textes du Décret de Gratien, souvent en les paraphrasant, expliquant un mot ou une phrase dans une courte glose ; pour la période 1150-1210, près d’une trentaine de « Sommes » ont été recensées. Elles préfigurent les grandes « Sommes » du XIIIe siècle, composées par les plus célèbres canonistes de la période, tels que Johannes Teutonicus ( + 1246 ), Bernard de Parme ( + 1263 ), William de Drogheda ( + vers 1245 ) ou Hostiensis ( + 1271 ). La multiplication des gloses obligea cependant à faire des choix et à ne retenir que les plus importantes. Les Apparatus sont des recueils de gloses choisies par un maître ayant autorité : Alain l’Anglais ( début du XIIIe s. ), Laurent d’Espagne ( + 1248 ), Sinibaldo Fieschi ( + 1254 ), Bernard Raymond ( début du XIVe s. ), etc.
Avec les Quaestiones, la doctrine s’ouvrit davantage à la pratique : une question relative à un cas concret est posée, à laquelle répond le canoniste, dans un développement parfois fort long. Cette méthode, inspirée de l’enseignement juridique médiéval, connut un grand succès au Moyen Âge chez les canonistes ; comme d’ailleurs chez les romanistes, qui composèrent également des traités de réponses à des questions pratiques, appelés Quaestiones ou Responsa. Vers la fin du XIVe siècle, apparurent enfin des « Commentaires », semblables à bien des égards à ceux qu’écrivaient à la même époque les interprètes du droit romain
Les canonistes tirèrent profit de la transmission, grâce à l’Espagne arabe, de l’oeuvre d’Aristote, et surtout de sa logique, qui enseigne aux « dialecticiens » et aux hommes de droit l’art de penser, de construire, de raisonner. Aux XIIe et XIIIe siècles, cette renaissance intellectuelle transforma les écoles épiscopales de l’âge carolingien en des universités ( Paris, Montpellier, Oxford, etc. ), auxquelles vinrent s’ajouter quelques universités créées de toutes pièces : Cambridge, née en 1208 de la sécession des étudiants d’Oxford ; Naples, fondée en 1224 par l’empereur germanique Frédéric II pour contrer l’influence du pape en Italie du Sud ; Toulouse, érigée en 1229 par le pape Grégoire IX pour combattre l’hérésie cathare
Les collections canoniques des XIe et XIIe siècles renferment nombre de dispositions empruntées à des recueils laïques de toutes sortes : Institutes, Digeste, Code, Novelles, Bréviaire d’Alaric, etc. Une collection connue sous le nom de Britannica, dont il subsiste un exemplaire à la British Library, fournit un exemple significatif de la place qu’occupe, dès la fin du XIe siècle, les textes du droit de Justinien dans les collections canoniques. Soucieux de faire triompher certains principes moraux, les canonistes donnèrent leur propre interprétation du droit romain et constituèrent une doctrine romano-canonique.
B- Le développement du consensualisme
Le droit canonique était naturellement conduit par le fondement moral qu’il donne aux rapports juridiques à reconnaître la force obligatoire des promesses. S’inspirant de l’idée romaine de la fides, les canonistes posent en règle le respect de la parole donnée, d’où ils tirent cette conséquence juridique que le simple consentement est obligatoire sans aucune formalité ( Huguccio de Pise, Summa Decreti Gratiani, XXII, 2, 2 ; Bernard de Pavie, Compilatio prima ) ; ils proclament que toute convention doit s’interpréter en bonne foi en recherchant la commune intention des parties. A l’exemple du Christ, qui enseigne la franchise et l’honnêteté, tout chrétien doit respecter sa parole donnée, y compris lorsqu’elle ne revêt pas les formes requises pour la rendre obligatoire selon le droit positif. La parole donnée suffit à engager le chrétien, car le manquement à cette parole serait mensonge et donc pêché. « Quand vous dites » oui « , que ce soit un » oui « , quand vous dites » non « , que ce soit un » non « , disait le Christ, tout ce qui est en plus vient du Mauvais » ( Sermon sur la Montagne, Matthieu, V, 37 ). Cf. commentaire d’Huguccio sur le canon Juramenti (C. 22, q. 5, c. 12) : entre un serment et une simple parole, Dieu ne fait pas de différence.
A la différence du droit romain, qui n’admet pas qu’un simple pacte ( pacta nuda ) puisse faire naître une action ( Digeste, 2, 14, 7, 4 ), le droit canonique se dégage complètement du formalisme au profit du seul consensualisme : le simple consentement, une promesse nudis verbis, suffit à créer l’obligation ( solus consensus obligat ) ; sa violation peut être dénoncée devant le juge d’Église, soit au moyen d’une action soit dans le cadre d’une demande « équitable » ( Décrétales de Grégoire IX, de Pactis, I, 35, 1 & 3 ).
Cette adhésion doctrinale au consensualisme s’exprime à partir des années 1140, avec l’insertion, dans le Décret de Gratien, d’un texte du concile œcuménique de Tolède de décembre 633 ( présidé par Isidore de Séville ) visant à prévenir certains litiges : « Ceux qui ont fait une promesse doivent respecter l’accord » ; même lorsque cette promesse, ajoute Huguccio ( vers 1180 ), « est faite en mots nus ( nudis verbis ) ». Au départ, il ne s’agit encore que d’une simple obligation morale, inspirée par la religion et propre au for interne. C’est cepdt sur ces textes que l’in va se fonder et introduire par là une interrogation sur les promesses sans forme. Idée qu’un péché serait commis si un pacte, même nu, n’était pas observé. Mais c’est Jean le Teutonique qui, aux alentours de 1215, donnera sa pleine signification à la pensée d’Huguccio : « Une action naît d’un pacte nu ( Ex nudo pacto actio nascitur ) ». Le consensualisme s’imposera dès lors comme la conséquence nécessaire du lien entre la Foi religieuse et la bonne foi qui doit régner dans les contrats. Il répond, dans une large mesure, à l’accroissement des actes de commerce ( v. Jean-Pierre Baud, « La bonne foi depuis le Moyen Age », Conférence à l’École doctorale des Sciences juridiques de l’Université Paris X – Nanterre, 2001 ).
Pas supplémentaire franchi avec le Liber Extra de 1234 : insertion
– du canon Antigonus (X, 1, 35, 1) : canon d’un concile de Carthage de 348 : Pax servetur, pacta custodiantur : que la paix soit conservée, que les pactes soient observés. : devient un pcipe à valeur générale : pacta sunt servanda
– du canon Qualiter (X, 1, 35, 3)
En définitive, la règle morale était étendue au domaine civil et un devoir de conscience devenait une obligation juridique.
C’est sur ces éléments, enrichis de tout l’apport de la théologie des XIIe et XIIIe siècles, que les canonistes élaborèrent des théories demeurées célèbres : théorie du libre arbitre, théorie de la cause, théorie du serment (cf. supra). Elles permirent d’ordonner l’apport du droit canonique au domaine des contrats.
La théorie du libre arbitre
Qu’il s’agisse de promesse ou de serment, l’Eglise fait tjrs prévaloir la volonté des contractants. Mais cette volonté n’est pas conçue comme une volition abstraite ; elle est enrichie de tt l’apport de la théologie des XIIè-XIIIè siècles. Naturalisme chrétien.
Pour les théologiens des XIIe et XIIIe siècles, le libre arbitre de l’homme associe liberté et morale. Qui possède le libre arbitre peut vouloir et ne pas vouloir, agir et ne pas agir. Selon l’Ecclésiastique ( 15, 14 ) : « Dieu a créé l’homme ( .. ) et il l’a laissé au pouvoir de son conseil ». La volonté, c’est-à-dire l’acte de vouloir, le vouloir d’une chose, qui a pour objet la fin, est un « appétit rationnel » qui tend nécessairement au bien, donc à l’amour : le bien engendre le devoir, et le devoir lie la liberté ( v. Aristote, Ethique à Nicomaque, 1113, a, 11 ).
L’homme étant libre, la liberté représente la condition première de la responsabilité : un être ne peut répondre que des actes qu’il dépend de lui de faire ou de ne pas faire. Aussi la volonté disparaît-elle sous l’effet de la contrainte, que celle-ci soit physique ou bien morale ; elle rend le sujet irresponsable des actes accomplis en ces divers états : on peut obliger l’homme à faire quelque chose, on ne peut pas l’obliger à le vouloir ( v. Saint Thomas, Somme théologique, II-II, Q 89, a 7, s 3 ). Cependant, être empêché de réaliser son choix, soit par contrainte soit par le manque de moyens, n’est pas cesser d’être libre : nos choix, en effet, continuent de nous appartenir ( v. Saint Thomas, Somme théologique, I, Q 83, a 1, s 4 ).
Ces doctrines, directement applicables au droit, puisent pour l’essentiel au naturalisme chrétien : c’est la raison qui confère à la nature de l’être son caractère proprement humain. Beaucoup en reviennent à la formule fameuse de Cicéron définissant la moralité comme l’habitude d’agir selon la raison et la nature ( De inventione, II, 53 ) ; mais raison et nature revêtent ici un sens chrétien ; l’homme doit compte à Dieu de ses pensées, « qui scrutes les coeurs et les reins » ( Psaumes, VII, 10 ). La volonté – et dans son prolongement l’intention, l’orientation de l’acte volontaire – doit d’abord être jugée par sa rectitude morale.
C- La limité du consensualisme : La théorie de la cause
En principe donc, les canonistes étaient hostiles au formalisme germanique ou romain. Mais d’un autre côté, conscients des dangers que la force obligatoire des promesses fait courir à la volonté, ils ne tirèrent pas du principe juridique du contrat consensuel toutes les conséquences qu’il aurait pu leur inspirer. L’acte de volonté n’étant pas toujours respectable par lui-même, les raisons de s’engager étant parfois insuffisantes, ils furent amenés à se préoccuper de la cause de l’obligation.
Pour les canonistes, le débiteur se rend coupable d’une faute s’il vient à manquer à son engagement. Cependant, encore faut-il rechercher si cet engagement se trouve être fondé. La réponse ne peut être donnée qu’en recourant à l’analyse de la volonté : les raisons de s’obliger ont-elles été suffisantes pour que le débiteur soit tenu en conscience de respecter la parole donnée ? L’idée de justice commutative ( échange de droits et de devoirs fondé sur l’égalité ) intervient ici pour pénétrer le for interne et permettre d’apprécier la valeur morale de l’obligation ( Saint Augustin, Abélard ) : le contrat ne doit pas conduire à une situation d’iniquité au détriment de l’une des parties, ni mettre en péril l’âme du promettant ; dans le même sens, Gratien considère que la promesse dont le but est illicite ne doit pas être tenue. Ainsi donc, c’est la cause finale qui donne son espèce à l’acte en même temps que sa valeur morale ( v. Saint Thomas, Somme théologique, I-II, Q 1, a 1, s 1 ).
S’agissant des contrats unilatéraux, les canonistes ont été confrontés à la difficulté de savoir dans quel but les parties ont contracté : le simple consentement créant désormais l’obligation, aucune formalité n’étant requise, les contractants oublient semble-t-il assez régulièrement d’indiquer la prestation qui justifie l’obligation. La question s’est notamment posée au sujet de la preuve : la promesse étant d’ordinaire constatée par un écrit ( cautio ), le créancier doit établir l’existence de la cause, si l’écrit n’en porte pas mention ; dans l’hypothèse inverse, il revient au débiteur de prouver que l’obligation est dénuée de cause. Aussi exigea-t-on, pour limiter les risques, que l’opération juridique apparaisse clairement au contrat ( cautio discreta ). Pour qu’une promesse soit valable, disent les canonistes, il faut un but méritant une protection juridique ( v. John L. Barton, « Causa promissionis again », Tijdschrift voor Rechts-geschiedenis, 34, Haarlem-Bruxelles, 1966, pp. 41-73 ). Le pape Grégoire IX interviendra sur cette question vers 1230, dans la Décrétale si cautio ( X, 2, 22, 14 ).
Les canonistes ont introduit la notion de cause là même où elle était demeurée ignorée en droit romain : dans les contrats synallagmatiques. La volonté de s’obliger trouve sa justification dans le fait que l’autre partie s’oblige à fournir une prestation corrélative ; chacun des contractants peut en conséquence être délié de son devoir de conscience, si l’autre vient à manquer à sa parole. Ce principe, inscrit dans un texte célèbre de la Summa aurea d’Hostiensis ( 1250-1261 ), domine toute l’exécution des contrats synallagmatiques.
Toute obligation, ajoutent les premiers glossateurs, n’est contractée qu’en vue d’un avantage pécuniaire ou d’une intention libérale ( causa naturalis ). A défaut, l’engagement apparaît sans fondement, sine causa, car il ne procure aucune satisfaction au contractant. Il s’agit-là d’une condition essentielle de validité des contrats. Cette doctrine prévaut, dès le XIIe siècle, dans la Summa trecensis et lo Codi ( vers 1150 ).
§ III- La pratique des contrats dans l’ancien droit (XIIIème-XVIIIè siècles)
A- Les contrats reels. La question du prêt à intérêt
S’agissant des contrats réels, il convient de concentrer son attention sur le prêt, plutôt que sur ce que le doyen Savatier qualifiait de « petits contrats » et que sont le commodat, le gage et le dépôt. Ceux-ci, en effet, après la fin de l’Empire Romain, jouèrent un rôle somme toute marginale dans un contexte socio-économique beaucoup plus favorable aux opérations financières. Par ailleurs, un contrat comme le commodat par exemple, fut facilement identifié avec la res prestita et absorbée par elle. Quant à la fiducie, on n’y eut recours de que façon ponctuelle.
L’essentiel de l’intérêt de la matière se concentre donc sur le prêt, et plus spécialement sur la prohibition du prêt à intérêt. On examinera successivement la prohibition initiale (1), puis son atténuation (2) et enfin sa levée (3) à l’époque moderne et contemporaine.
1- La prohibition initiale de l’usure
Au mot latin de mutuum se substitue précocement celui de prêt. Celui-ci peut être gratuit et constituer un beneficium. Mais le plus souvent, le prêteur n’est pas mû par l’esprit de bienfaisance et exige des intérêts, qui ont en outre tdnce à augmenter (période de « faim monétaire). Contre une telle prétention s’élève tt l’enseignement de l’Eglise.
3 raisons expliquent cette hostilité :
– du point de vue économique, le MA fut lgtps une période de stagnation. Encore au XIIIè siècle à Toulouse, ville commerçante, le prêt ne se présente guère que sous la forme du prêt à la consommation, en vue de parer à des besoins passagers et urgents. Lorsqu’on veut investir des capitaux, on recourt plutôt à la société.
– du point de vue religieux, la prohibition du prêt à intérêt se fonde sur les Ecritures saintes. Ds l’AT (Lv et Dt), il est prescrit de ne pas prêter à intérêt à son frère ; ds l’évangile de Luc (Lc 6, 35), le Christ déclare de son côté : « Prêtez sans rien espérer en retour » ; en outre méfiance générale de l’Eglise pour l’esprit de lucre.
– du point de vue logique : arguments empruntés à Aristote. A la différence de la terre, l’argent est infertile, il ne se reproduit pas ; il est donc illicite de percevoir en qque sorte les fruits de cette chose infertile. En outre, recevoir un intérêt c’est vendre ce qui n’existe pas ; refus d’admettre la vente du temps : n’appartient qu’à Dieu. Enfin, idée que le prêteur reçoit un salaire sans travailler : invitation à la paresse.
Au total, cette hostilité se traduit par le fait que le terme d’usure change de sens et sert à désigner à la fois l’intérêt et le profit illicite.
Dans cette perspective : adoption de mesures contraignantes : Sur les invitations des Pères de l’Eglise, qui stigmatisaient le « tourbillon de l’usure », les conciles du IVè siècle, et en particulier, celui de Nicée (325) interdisent, au moins aux clercs, de prêter à intérêt. Peu après le pape Léon 1er, en 444, affirme que prêter à intérêt = péché mortel, même pour les laïcs. Idée reprise et développée au MA d‘une part par le Décret de Gratien (v. 1140), d’autre part par des conciles comme Latran II (1139) et Latran III (1179). En 1311, Clément V qualifie même d’hérésie la thèse qui prétendait soutenir la légitimité du prêt à intérêt.
Cette législation n’aurait pas été si efficace si elle était restée cantonnée à l’Eglise : fut bientôt doublée par le droit laïc : capitulaire de Charlemagne (789) interdit complètement le prêt à intérêt. Prohibition unanimement reprise jusqu’au XIIIème siècle : Beaumanoir consacre ainsi tt un chapitre à cette question. Conception médiévale tellement rigoriste qu’elle définit l’usure comme le fait de percevoir quoi que ce soit en plus du capital prêté : l’emprunteur doit rendre strictement ce qu’il a reçu et rien de plus.
Sanctions de 3 ordres :
– civil : contrats de prêt à intérêt frappés de nullité absolue ;
– pénal : le seigneur a le droit de confisquer les biens des usuriers, qui sont frappés d’une sorte d’infamie (incapables de témoigner en justice et de faire leur testament) ;
– religieux : usuriers excommuniés et privés de sépulture.
Compétence cumulative des officialités et des tribunaux séculiers (ceux-ci devenant seuls compétents à partir du XVIème siècle). L’ordonnance de Blois de 1579 édicte encore des pénalités contre les usuriers pouvant aller en cas de récidive, jusqu’à la peine des galères.
2- Les atténuations du principe d’interdiction
Renouveau de la vie éco sensible à partir du XIIIè siècle amène le recul de la prohibition : besoin de crédit sape l’interdiction, déjà inégalement appliquée. Ces tempéraments à l’interdiction du prêt se manifestent tantôt sous la forme d’exceptions personnelles tantôt et surtout par le recours à des palliatifs juridiques.
Les exceptions personnelles : MA tolère que certains groupes de personnes pratiquent ouvertement le prêt à intérêt : juifs, Lombards, Cahorsins.
Les palliatifs juridiques : constituent l’essentiel. Consistent à déguiser le prêt à intérêt sous l’apparence d’un autre contrat, anodin. Ces techniques peuvent êtrre réparties en 3 catégories : les unes ne constituent que des déguisements purs et simples ; d’autres sont des combinaisons d’ordre foncier ; les dernières d’habiles combinaisons commerciales.
Les déguisements plus ou moins élaborés : Le faux pur et simple : on indique devoir plus que ce que l’on a reçu : le remboursement de ce capital fictif constitue une rémunération de l’argent prêté ; confirmation par serment de la promesse d’intérêts usuraires ; remise en gage d’un objet valant plus que la somme prêtée et conservé en vertu d’un pacte commissoire (le créancier ne s’inquiète même plus de poursuivre le paiement de sa créance) ; Vente à réméré (le vendeur se réserve le droit de racheter la chose ds un certain délai : le prix de rachat est alors supérieur au prix de vente) ; parfois même : pseudo vente, le pseudo vendeur reprenant immédiatement son bien à bail, à titre de locataire, en payant un loyer correspondant en fait à des intérêts ;
Les combinaisons d’ordre foncier ou agricole : sont bcp plus sérieuses que ces divers expédients : différents ordres religieux, en particulier les Templiers, en firent usage aux XIè-XIIIè siècles :
i. Le bail à cheptel : bail d’un troupeau (//vente à réméré)
ii. Le mort gage (appelé auj antichrèse). En garantie d’un prêt reçu, l’emprunteur remet un bien frugifère un immeuble. Pendant tte la durée du prêt, le créancier en percevait les fruits. Pratiquement, les fruits jouaient le rôle d’intérêts. Mort gage eut un vif succès jusqu’au jour où pape Alex III ordonna que désormais les fruits d’un bien engagé soient imputés sur le capital et diminuent d’autant le montant de la dette. L’opération devenait alors u vif gage (vif parce que le gage « travaillait » en qque sorte à éteindre le montant de la dette) ;
iii. La rente constituée : combinaison de t loin la plus utilisée. Consiste à aliéner une partie de la rente d’un immeuble à un crédirentier. Au MA les constitutions de rente se font encore svt à tire gratuit, au bénéfice d’établissements religieux. Mais au XIII siècle on imagina de constituer des rentes à titre onéreux contre un prix en argent : au lieu de donner une rente, on s’est mis à la vendre. Rente en pcipe perpétuelle, mais en général assortie d’une clause de rachat. Validité de l’opération reconnue par pape Martin V en 1425 (décrétale Regimini) qui posait de strictes conditions : rente doit présenter un caractère foncier= assise sur un bien réel et attachée à lui : en cas de vente du bien, le nouvel acquéreur doit la rente : n’a pas de caractère personnelle ; si le débirentier ne paie pas la rente, le crédirentier peut faire saisir le bien sur lequel est assise la rente, mais pas les autres éléments de son patrimoine) ; contrat ne doit pas inclure une clause de rachat forcée. En réalité, au moment même où la papauté posait ces conditions, la pratique commence à ne plus les respecter : des débiteurs constituent des rentes non pas sur tel ou tel immeuble mais sur touts leurs immeubles à la fois : l’opération est suspecte car le support immobilier est évanescent : rentes volantes ou personnelles. Changt des circonstances éco au XVIème siècle : période de prospérité. Les emprunteurs ne sont plus des malheureux dignes de protection mais des riches, des nobles, des établissements religieux puissants et des entrepreneurs ; ce sont maintenant les prêteurs qui tendent à être de petites gens en quête de placements. Aussi, analyse juridique de la rente change : cf. Dumoulin : pour lui, l’assignat immobilier n’est pas un bien ont on a réservé ou aliéné une partie : il constitue simplement l’hypothèque garantissant le paiement d’une dette personnelle du débirentier. Du même coup, Dumoulin admet les rentes volantes et soutient la légitimité du prêt à intérêt. Le plt de Paris, par un arrêt de 1557 consacre partiellement les idées de Dumoulin. Ttefois, pour la forme, on continua, jusqu’à la fin de l’AR, à exiger un vague assignat immobilier. Ainsi, qd le roi empruntait, il constituait des rentes qui étaient théoriquement assignées sur l’Hôtel de Ville de Paris. Enfin, législation ne pouvant empêcher le prêt à intérêt, tend à en limiter les effets : réduction des taux.
Les pratiques commerciales : tolérance traditionnellement + grande ds ce domaine. Dès le XIVè siècle, le prêt à intérêt se pratique, ss trop de détours, aux foires de Lyon. Plusieurs techniques :
i. Change des monnaies
ii. Prêt à la grosse. D’abord condamné par Grégoire IX ; interdiction tournée en Italie puis en France. Finalement validé par la Rote romaine en 1673 : risques considérables pris par le prêteur.
Au total, grâce à ttes ces combinaisons, la prohibition, au début de l’époque moderne, commence à être profondément ébranlée. Elle avait d’ailleurs perdu sa raison d’être.
3- La levée de l’interdit
Evolution des doctrines religieuses : Dès la fin du XVè des religieux franciscains ouvrent des Monts de piété (Monte signifie banque en italien), pour éviter que les ptites gens ne s’adressent aux usuriers. Ces établissements se procurent eux-mêmes de l’argent en en empruntant, moyennant une faible rémunération.
Réflexion des théologiens et des canonistes, notamment jésuites, allant ds le sens d’un assouplissement. Finalement ce n’est qu’au cours du XIXè siècle que l’Eglise se résigne au prêt à intérêt et prescrit au clergé de ne pas inquiéter les personnes qui le pratiquent en se conformant aux lois séculières.
Evolution de la législation laïque. Dès le XIVè siècle, le roi, tt en continuant à prohiber l’usure, prend le parti, sous prétexte d’une répression + efficace, de concentrer les pénalités sur les taux excédant 20%/an : taux inférieurs civilement nuls mais non poursuivis sur un plan pénal.
Subtile construction doctrinale va apporter une solution de fond en considérant de façon différente l’usure, tjrs prohibée, et les intérêts licites. Le point de départ = la notion de DI compensatoires (en cas de retard ds le remboursement). Pratique s’empara de cette idée : une échéance, très proche de la date de remboursement du prêt était fixée : certes, celui-ci restait gratuit jusqu’à cette date ; ensuite, débiteur devait des intérêts pour le retard.
Ds le courant du XVIIIè siècle, des plts admirent franchement le prêt à intérêt en matière commerciale. Enfin, constituante, par le décret du 3 octobre 1789, valide le prêt à intérêt ds la limite d’un taux légal maximum.
Au total, prohibition du prêt dépend avant tt de la situation économique (cf micro crédit aujourd’hui).
B- Les contrats consensuels
1- La vente
La vente au comptant. Altération du droit romain classique déjà apparente au BE ds les actes de la pratique. T. nette chez les Wis et les Burgondes, pour qui le paiement du prix apparaît nécessaire à la validité de la vente. Droit franc trop fruste pour distinguer clairement le contrat de vente, créateur d’obligations, et le transfert de propriété : ne pratique pas l’acte à terme mais l’acte au comptant ; enfin, individualise mal les différents types de contrats : la vente, l’échange et la donation par exemple. Loi salique ne traite que de la vente au comptant déjà exécutée. Capitulaires caro réprouvent les paiements anticipés. Jusqu’au XIIè siècle, la confusion es à son comble : vente pas distinguée de la donation. Apparaît svt comme un contrat réel, qui n’est ferme qu’après la remise de la chose ou le paiement du prix. La nécessité du facteur temps apparaîtra qd a pratique imposera la conclusion de ventes à crédit ou de ventes à livrer : alors le caractère consensuel du contrat, son rôle de créer des obligations apparaîtra vraiment : cf. art. 1583 C. Civ.
Livraison de la chose et transfert de propriété : 1ers glossateurs reprennent les définitions romaines et admettent que le vendeur n’est pas tenu de transférer la propriété. Toutefois, actes de plus en plus nombreux portent la mention « vendo et trado ». Dès le XVIè siècle, on parle de clauses translatives de propriété et si les actes continuent à les insérer, Grotius et son école vont admettre que la volonté des parties suffit à opérer le transfert. La jurisprudence avait admis la tradition feinte, clause nommée souvent la dessaisine, par laquelle le vendeur déclare se dessaisir « de droit et à l’instant » de la chose vendue Le C Civ a fait disparaître ce vestige du droit romain en décidant que l’engagement est consommé dès que la foi est donnée (cf. art. 1583).
Les risques : La vente à terme pose la question de la perte de la chose vendue. La règle res perit emptori est reprise du Digeste par les glossateurs comme par les canonistes. Les premiers, les jus naturalistes Pufendorf et Barbeyrac montrent son anomalie : le vendeur qui n’a pas livré reste propriétaire ; il faudrait dire res perit domino. Les deux formules apparaissent finalement équivalentes à partir du moment où la vente opère transfert de propriété : art. 1138 C. Civ : « L’obligation de livrer la chose rend le créancier propriétaire et la met à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée. »
Les garanties : reprise des garanties romaines contre l’éviction : impose au garant de prendre fait et cause pour l’acquéreur.
Quant à la garantie des vices cachés, elle apparaît au Ma comme affaire de police réglée par les coutumes et ds le Midi par les statuts urbains.
2- Le louage
Epoque barbare ne paraît aps avoir pratiqué le louage de choses ; mais les actes des XIè-XIIè en fournissent d’assez nbreux ex : ds les villes, on loue des maisons et des boutiques mais aussi des fonds ruraux, des pâturages, des moulins. 2 situations distinctes :
– l’époque inclinait v la perpétuité des rapports : emphytéose = droit perpétuel, bientôt analysé comme conférant le domaine utile ; toutes les fois, au contraire, où l’on veut créer un droit qui ne soit pas perpétuel, qui ne crée pas une tenure, on recourt à un louage : implique un rapport temporaire ;
– si le cens est perpétuel, sa valeur est souvent minime (on parle de cens recognitif). A l’inverse, le loyer représente la valeur de ce qui est loué. Le bailleur recherche non l’influence politique mais le profit : on parle alors svt d’arrentement.
Liberté des conventions : la liberté est la règle : la durée du contrat, les obligations des parties, notamment la fixation du loyer, sont laissées au libre jeu des volonté. La coutume paraît n’avoir joué qu’un rôle secondaire. Cepdt, un traits peut être noté : la prépondérance du bailleur : celle-ci apparaît ds les clauses du contrat qui mettent couramment des travaux ou des services à la charge du preneur, fixant longuement ses obligations (notamment pour la culture des terres). Cette prépondérance apparaît encore plus nettement ds les clauses concernant le paiement des loyers. Le bailleur peut, par exemple, rendre la maison inhabitable, en « ostant les huis de la maison ».
Le contrat de travail : Le contrat de travail qd il est pratiqué, et plus encore le contrat d’apprentissage, sont généralement reçus par des notaires ; ressortissent du droit corporatif. Pour les ouvriers, les statuts urbains se préoccupent de leur sort et de leur salaire comme d’interdire leurs réunions. Le louage d’ouvrage, pour sa part, a un caractère personnel très marqué : ainsi en est-il des baux à besogne conclus par des artistes.
Désintérêt du droit savant pour ce type de contrats.
Après 1789, au contraire, les interventions législatives sont fréquentes. On va protéger « la liberté naturelle de l’homme contre ses téméraires engagements ». Constitution de l’an III, suivant en cela la jurisprudence des XVIIè-XVIIIè siècles, ne permet de louer es services qu’à temps. Le C. Civ. Ignore l’idée de juste salaire mais reprend ds l’art. 1781 une jurisprudence du Châtelet de Paris et de certains plts selon laquelle le maître est cru sur sa simple affirmation pour la fixation et le paiement du salaire.
3- La société
Les communautés familiales : Evolution peut être aisément comparée à celle du droit romain. A l’antique consortium romain répond la communauté franque. En fait, il s’agit + d’une indivision que d’une société. Dès le ht MA la tdce à l’association est certaine ; et même qd l’association est volontaire, elle reste constituée sur le modèle familial ; les associés sont des frères ; le contrat est appelé un affrèrement (notamment en Provence) : communauté universelle impliquant une solidarité des créances et des dettes.
Les sociétés commerciales : Dév du commerce, trafic terrestre et maritime suscite, dès le Xème siècle, de nouvelles créations :
– la société en commandite : remonte à une haute Antiquité mais a pris ses traits définitifs en Italie au MA (Commendare en italien signifie confier) : commanditaire confie un capital à l’associé gérant, e vue de le faire fructifier ;
– la société par action : comportent le droit de céder l’action et une responsabilité limitée de la part des associés. Apparaissent fin du MA pour les grandes banques ; se développent aux XVIè-XVIIè siècles avec les grandes compagnies de commerce ; certaines ont célèbres, comme la compagnie des Indes orientales. En France, ces sociétés sont le plus souvent de création royale. Ds ces sociétés par actions, on se situe aux antipodes de l’idée romaine de fraternité entre associés.
La personnalité morale des sociétés apparaît aux alentours de 1600. On reconnaît alors aux créanciers de la société une priorité sur les biens sociaux par rapport aux créanciers personnels des associés. La grande ordonnance de L. XIV sur le commerce (1673) ne parle pas encore de cette personnalité morale des sociétés : elle résulte d’un privilège spécial, accordé par le roi aux sociétés par actions.
Depuis la Révolution : Crise des sociétés par actions se produit pdt la Rév., liée à des scandales : affaire de la caisse d’Escompte (août 1793), accusée d’avoir soutenu la monarchie ; ventôse et germinal an II, affaire de la compagnie des Indes, ds laquelle Fabre d’Eglantine est compromis. Convention décida donc la suppression des compagnies financières « et généralement de ttes celles dont le capital repose sur des actions transmissibles à volonté » (décret du 24 août 1793). Pour l’avenir, on prévoyait un syst d’autorisation préalable.
Il subsiste qqche des préoccupations de la Convention ds le code de commerce de 1807 : art. 37 précise que ttes les sociétés anonymes (mais non ttes les sociétés par actions : les sociétés en commandite sont libres) ne peuvent exister qu’avec l’autorisation du gouvernement. Cet art a fait l’objet de vives critiques : dérogation à la liberté du commerce ; autorisation pouvant être confondue avec un cautionnement de l’Etat. Ces critiques ont abouti à la L. 24/07/1867 qui établit la liberté totale ds constitution des sociétés anonymes.
4- Le mandat
Evolution du mandat : Technique du mandat inséparable de celle de la représentation.
1- Formalisme du droit Franc ne permet pas au mandataire de prendre la place du mandant, tandis que la structure de la société répugne à l’institution. Ds la famille, le mundium donne aux personnes en puissance un protecteur qui agit d’ailleurs en son proper nom. Pour les actes de la vie courante, o recourt, à l’époque féodale, à des expédients divers.
Hors de ce domaine, on peut trouver, dès l’époque féodale, qques exemples de mandat. Par exemple o confie à un intendant ou régisseur le « gouvernement » d’un domaine, et delà on en vient à l’institution du prévôt (royal ou seigneurial). Le mandat n’a alors plus rien d’un contrat : est un commandement, un ordre, rogatio, preceptum. Se rapproche même parfois du louage.
2- Renaissance du droit romain va marquer l’extension du mandat, mais aussi faire svt perdre à ce contrat ses caractères propres : Admission progressive de la représentation parfaite. Ds le droit franc, comme ds l’ancien droit romain, on l’a vu, le caractère solennel des contrats ne permettait pas l’usage de la représentation. La pratique de l’écrit rend au contraire la représentation possible, en même temps que les pratiques du commerce en font une nécessité.
On distingue mal le messager (nuncius) du mandataire et du procurateur. On trouve, au moins dès le XIIè siècle ds le Midi le bayle (bajulus) qui gère les biens d’autrui, d’une communauté comme d’un mineur. Représentation encore imparfaite : hésitations de la pratique.
Certains glossateurs (Martinus) imaginent de donner au mandat une action utile. Mais l’idée de représentation parfaite n’est pleinement admise que ds le Sexte : on peut agir pour un autre comme pour soi. Chez les Romanistes, Bartole devait admettre le même principe.
Après le XVè siècle, l’idée passe ds la pratique. Loysel écrit : « Assez fait qui fait faire ».
La seule difficulté subsistante = la représentation en justice : règle « nulle ne plaide par procureur ». Tombe en désuétude à la fin du MA et ne signifie plus qu’une chose : le nom des plaideurs (et non celui de leurs procureurs) figure seul sur les actes de procédure.
pdt tt le MA, les individus comme les collectivités agissent par procureur : o se marie par procureur ; on envoie un procureur siéger à sa place aux Etats ou, pour un évêque, au concile provincial ; un bénéficier prend possession par procureur. Il y a des procureurs ou mandataires de tt degré.
Technique romaine et pratiques nouvelles. A ttes ces solutions romanistes et décrétalistes vont appliquer les solutions romaines. Sur qques points, cepdt, hésitations :
1- on admet difficilement la responsabilité du mandataire pour les pertes fortuites
2- On regarde la gratuité comme de l’essence du mandat : tte convention concernant le salaire du représentant transforme le mandat en louage de services ;
3- Tdce à limiter les pouvoirs du mandataire : rejet du pouvoir d’aliéner ; mandant doit être consulté ttes les fois que la chose est possible ; rédacteurs du C civ. Marqueront une hostilité très nette au mandat tacite.
Pourtant, usage très fréquent du mandat par le droit commercial.
CCL: Evolution de la pratique et du droit coutumier
Très tôt, un grand nbre de coutumiers du XIIIè siècle, en particulier Beaumanoir (1283) se réfèrent à une maxime remarquable : « Toutes convenances sont à tenir » (convenances renvoyant à la vieille convenientia : cf. supra).
De même ds le livre de jostice et de plet, rédigé v. 1260 et qui est t. influencé par le droit romain, on trouve l’idée qu’il convient de s’attacher à la valeur du consentement.
Ceci n’empêche d’ailleurs nullement, encore au XIIIè-XIVè siècles la coexistence avec les anciens modes, formalistes, d’engagement : hésitation devant une modification du mécanisme de formation des obligations contractuelles. Persistance du formalisme encouragé par la méfiance populaire à l’égard des novelletés. : Peur des engagements inconsidérés : « belle promesse fait fol lié. »
Percée du consensualisme ds la jurisprudence du plt dès la fin du XIIIè siècle.
Néanmoins, méfiances suscitées par la réception du droit romain en France : hostilité des créanciers qui voyaient dans les lois romaines des pièves accumulés au profit des débiteurs et dirigés contre la certitude de leurs droits. Les notaires, tjrs soucieux de prémunir leurs actes contre la nullité, ne pouvaient que redouter les arguments et les exceptions tirés des lois romaines.
Le remède fut trouvé ds l’usage des renonciations. Ds les actes qu’ils recevaient, les notaires insérèrent les renonciations des parties à tous les bénéfices et exceptions qu’elles pourraient invoquer. Cette pratique atteignit une telle importance qu’elle tint en échec tte la législation romaine déchue au rang de simples règles interprétatives. Tjrs, d’ailleurs, la renonciation s’accompagnait d’un serment et par là, elle était mise sous la protection du droit canonique, plus large encore que le droit romain.
Ex de renonciations : mineur peut renoncer à l’exception de minorité comme à la restitutio in integrum ; femme peut renoncer au SV Velléien ou à l’inaliénabilité dotale ; o renonce aux exceptions de dol, fraude, violence, lésion, à l’exception non numeratae pecuniae.
Moyennant ces aménagements, le droit coutumier a reçu presque entièrement, en matière de contrats, le droit romain. A partir du XVè, les coutumiers ne traitent presque plus et même plus du tout des contrats : le domaine contractuel cesse désormais de ressortir du droit coutumier et dépend uniquement désormais du droit romain pour ce qui est de la technique. Les coutumes rédigées au XVIè siècle traiteront encore moins, s’il est possible, des contrats.
Progrès décisifs du consensualisme dst te l’Europe continentale entre le XVè et le XVIIè siècle.
En France, on rencontre encore, jusqu’à la fin du XVIè siècle, et même plus tard, l’usage du serment ou de la paumée. Mais le sens de la pratique notariale et commerciale est novateur : les notaires insèrent clause stipulatoire de style. Duaren, mort en 1559 peut ainsi écrire : « Auj. il n’y a pas de formule de contrat conçue sans stipulation. » Formulaire notarial s’embarrasse de moins en moins des longues clauses qui, au MA, étaient destinées à abriter les actes de tte contestation.
Les commerçants vont encore plus loin et, dès la fin du XIVè siècle, en Italie, l’on ne fait plus aucune différence, devant les cours des marchands entre un pacte nu et une stipulation. Les tribunaux seront obligés de suivre.
Le résultat de cette évolution est accueilli par les auteurs coutumiers. Loysel : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles » ; « Autant vaut une simple promesse ou convenance que les stipulations du droit romain. »
Même les plts méridionaux, qui sont pourtant largement responsables, à partir du XVIIè siècle, de la romanisation en profondeur du droit ds leur ressort, acceptent le consensualisme.
Evolution achevée, en France du moins, bien avant le XVIIIè siècle. Ce résultat explique que le Code de 1804 ne consacre même plus le consensualisme : il l’admet implicitement comme un point définitivement acquis. 2 choses devaient seult être retenues ds sa rédaction.
– l’une est l’art. 1134
– l’autre, les règles posées au sujet des contrats innommés : sont soumis aux mêmes règles que les contrats nommés (art. 1107). L’art. 1703 précise même que l’échange, comme la vente, se forme par le seul consentement…
– De cette formation de l’obligation contractuelle par le seul consentement, il faut rapprocher le transfert de propriété par ce seul consentement. Prôné aussi par Grotius et Pufendorf, il a été édicté par l’art. 1583, à la suite d’une intervention de Portalis. Néanmoins, cette fois, il s’agit d’ne innovation, car t en étant bien proche, la règle ne s’était pas encore imposée à la fin de l’AR.
Section III : de l’autonomie de la volonté à l’encadrement normatif des pratiques contractuelles
§I- La doctrine jusnaturaliste
A- La consécration théorique du contrat
Au XVIe siècle, l’humanisme, imprégné de l’idée de l’homme, défend la liberté intellectuelle, tout en donnant un fondement humain à la morale. A la suite de la Réforme protestante, se font jour des tendances qui renouvelleront à la fois la conception de l’État et le domaine des obligations ; prenant pour base le principe du contrat et le respect des conventions, les philosophes et les jurisconsultes libéraux, Spinoza ( 1632-1677 ) en Hollande, Pufendorf ( 1632-1694 ) en Allemagne, exposent que de ce contrat, transporté dans le droit politique, naissent les droits civils des personnes : comme par exemple la liberté ou la propriété. Cette théorie du contrat social constitue le fondement du Traité de théologie et de politique de Spinoza ( Hambourg, 1670 ). L’état de nature étant soumis au règne de la force, les hommes se trouvent dans l’obligation de s’unir pour assurer leur tranquillité ; d’où un contrat, qui les fait passer de l’état de nature à l’état civil ; ainsi il n’y a plus de dualisme entre la société et l’individu, l’individu créant la société comme il crée le droit. En politique donc, toutes les relations reposent sur des conventions qui, au besoin, peuvent être dissoutes.
L’idée de contrat, fondée sur la nature et la raison, servit également d’assise, à partir du XVIIe siècle, à la théorie de l’autonomie de la volonté. Être autonome, dira Kant ( 1724-1804 ), c’est être affranchi de toute autre loi que celle qu’on trouve en soi-même ( Willenstheorie, Willensdogma ). A partir de la même idée, le libéralisme économique considère que le libre échange des produits et des services, en dehors de toute intervention législative, représente le meilleur stimulant de la production et le plus juste procédé de répartition. Ramenée aux idées les plus simples, la théorie de l’autonomie de la volonté se traduit juridiquement par les principes suivants :
1° La volonté humaine, dotée d’une autonomie contractuelle presque illimitée, crée le droit et l’obligation par la soumission du débiteur au créancier ; elle peut, en sens inverse, modifier, transférer, ou supprimer le droit ; d’après Pufendorf, droit et liberté demeurent indissociables : un individu est lié comme il l’a voulu et tant qu’il l’a voulu ( Le devoir de l’homme et du citoyen d’après la loi naturelle, Lund, 1673 ). Il faut donc écarter tout formalisme dans la création de l’obligation, et admettre, contrairement au droit romain, que tout pacte oblige. Au XVIIIe siècle, les physiocrates présentent la société comme une série d’individus libres et autonomes, unis entre eux par des rapports contractuels d’échange ;
2° Le contrat, base de toute autorité parmi les hommes, est supérieur à la loi, qui doit seulement suppléer au défaut de volonté. La loi, explique Rousseau ( 1712-1778 ), n’est que l’expression de la volonté générale ; elle s’efface devant les volontés particulières, sauf dans le cas où l’ordre public est en jeu. Il faut donc user le moins possible de la force légale ; la loi peut être indispensable, mais il s’agit alors d’un mal nécessaire ( Du Contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, 1762 ) ;
3° La volonté ne peut que réaliser la justice. Le débiteur ne peut se plaindre d’être injustement obligé, dans la mesure où il a voulu être obligé. Volenti non fit injuria. « Qui dit contractuel dit juste », écrit Alfred Fouillée ( 1838-1912 ), un disciple de Kant, l’auteur de la philosophie des idées-forces. Kant a écrit lui-même : « Quand quelqu’un décide quelque chose à l’égard d’un autre, il est toujours possible qu’il lui fasse quelque injustice, mais toute injustice est impossible quand il décide pour lui-même » ( Doctrine du droit, trad. Barni, p. 169 ).
B- L’école française : la synthèse du droit romain et du droit naturel
Si les auteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles demeurèrent en général assez éloignés des idées philosophiques, ils subirent néanmoins ces courants et inclinèrent à trouver dans le droit romain une expression parfaite de la raison. Attentifs aux leçons de Grotius ( 1583-1645 ), de Vinnius ( 1588-1657 ) et de Pufendorf, l’auvergnat Jean Domat ( 1625-1696 ) et l’orléanais Robert-Joseph Pothier ( 1699-1772 ) firent de la liberté et de la volonté un élément créateur de droit ; ils ramenèrent les lois romaines à des idées abstraites, conformes aux principes premiers et à la raison naturelle : le droit romain, explique Domat, contient « le droit naturel et la raison écrite » applicables à tous les pays et à tous les temps, atteignant « l’ordre par le retranchement de l’inutile et la clarté par le simple effet de l’arrangement » ( v. Paul Ourliac et Jean-Louis Gazzaniga, Histoire du droit privé français, op. cit., p. 158 ).
A la fin du XVIIe siècle, l’affrontement se poursuit entre le droit romain et les coutumes, si chères jadis à Étienne Pasquier ( 1529-1615 ) et à Charles Dumoulin ( 1500-1566 ), qui voyaient en elles des manifestations du tempérament national ; mais les romanistes demeurent influents : après Claude Henrys, mort en 1662, accourt à la défense du droit romain le jurisconsulte Jean Domat, un ami de Pascal, qui passa la majeure partie de sa vie comme avocat au siège présidial de Clermont en Auvergne. Dans ses Lois civiles dans leur ordre naturel ( 1689 ), Domat réalise une construction géométrique, cartésienne, romaine, qui sera fort bien accueillie dans un pays où l’on vit sous l’empire d’une multitude de codes coutumiers, d’esprit différent ; il ouvrit la voie à l’unité future, qui n’était encore qu’un rêve.
Comme chez Domat, le raisonnement juste, la profondeur, la rigueur et la clarté, dominent l’oeuvre de Pothier. Fils d’un conseiller au Présidial d’Orléans, Pothier débute dans la carrière scientifique par un ouvrage sur la Coutume d’Orléans, qu’il donne au public en 1740 ; puis, en 1760, après un commentaire du Digeste ( Pandectae Justinianea in novum ordinem digestae, Paris-Chartres, 1748 ), paraît son Traité des Obligations, livre classique et essentiel, dont les solutions pratiques, élaborées à partir d’éléments empruntés au droit romain, seront du plus grand secours aux rédacteurs du Code civil. Jusqu’à la fin de ses jours, Pothier occupa le double poste de conseiller au présidial et de professeur de droit français à l’Université Orléans, où il avait été désigné en 1750, pour succéder à l’un de ses amis, le jurisconsulte Michel Prévost de la Jannès ( 1696-1749 ).
La nouveauté, chez Domat et Pothier, tient avant tout à l’esprit de synthèse qui domine dans leurs travaux et à la systématisation. A l’instar des canonistes, prenant pour base les textes des Institutes et du Digeste, ils présentent une théorie des obligations qui fait du seul consentement le fondement du contrat ; et d’expliquer, comme avant eux Grotius et Pufendorf, que les individus étant par nature libres et égaux, ils créent eux-mêmes leurs lois : « Les conventions, écrit Domat, sont des engagements qui se forment par le consentement mutuel de deux ou de plusieurs personnes qui se font entre eux une loi d’exécuter ce qu’ils promettent » ( Les loix civiles dans leur ordre naturel, Chez la veuve Savoye, Paris, 1767, t. 1, 1, 1 p. 19 ). La société civile, disent-ils, repose toute entière sur le contrat. Il y a autant de contrats que l’esprit humain peut en imaginer : « La matière des conventions est la diversité infinie des manières dont les hommes règlent entre eux les communications et les commerces de leur industrie et de leur travail, et de toutes choses selon leurs besoins » ( Jean Domat, Les loix civiles.., op. cit., t. 1, 1, 1, 1, 1, 3, p. 20 ).
Cependant, aussi libres que soient les parties, cette liberté n’est jamais absolue : les contractants doivent en effet être capables ; la convention ne pas être contraire aux lois ou aux bonnes moeurs ; et le consentement exempt de vices. La principale avancée, en ce domaine, demeure sans conteste l’élaboration de la théorie des vices du consentement ; en droit romain, le dol et la violence étaient des agissements sanctionnés par le préteur, mais qui n’altéraient pas la volonté. D’abord développée par les canonistes, l’idée de vice du consentement a ensuite été reprise par l’École du droit naturel, puis par Domat qui lui donna sa forme définitive : « Les conventions étant des engagements volontaires, qui se forment par le consentement, elles doivent être faites avec connaissance et avec liberté ; si elles manquent de l’un ou de l’autre de ces caractères ( .. ) elles sont nulles » ( Les loix civiles.., op. cit., t. 1, 1, 1, 1, 2, 2, pp. 21-22 ). Pothier range dans cette catégorie : l’erreur, la violence, le dol, la lésion et le défaut de cause ( Traité des obligations, n °16 ).
L’ensemble de ces principes se retrouve chez la plupart des auteurs du XVIIIe siècle ( Denisart, Ferrière, Guyot, etc. ). Telle peut être résumée la conception du contrat à la fin de l’ancien droit. Les rédacteurs et les commentateurs du Code civil l’enrichiront et la mettront en forme.
C.- Les obligations contractuelles dans le Code civil
Les rédacteurs du Code civil ne prétendent aucunement à être des créateurs ; comme le souligne très justement Esmein, ce sont des disciples et non des prophètes (« L’originalité du Code civil », in Le Code civil, 1804-1904.., op. cit., t. 1, p. 5 ). Dans le domaine des obligations, le Code emprunte pour l’essentiel aux juristes des siècles précédents : la matière toute entière était chez les auteurs de la fin de l’Ancien Régime, qui ont transmis la tradition romaine, corrigée par le droit canonique et le droit naturel.
S’agissant des dispositions relatives au contrat, le Code ne s’éloigne guère des principes exprimés par les philosophes et les juristes libéraux des XVIIe et XVIIIe siècles : consensualisme, autonomie de la volonté, liberté contractuelle. Le plan suivi reprend dans ses grandes lignes le Traité des obligations de Pothier. Mais avec l’unification des lois civiles, le Code ouvre une ère nouvelle dans l’histoire du contrat : pour la première fois, en effet, il met à la disposition des juristes un corps de règles organisant l’ensemble des rapports contractuels ( v. Jean-Louis Gazzaniga, Introduction historique.., op. cit., n°s 159-167, pp. 176-190 ).
A en croire les rapporteurs, tout serait romain dans cette partie du Code ; qu’il s’agisse des définitions du contrat, des classifications, des effets, de l’exécution, ou même du plan des chapitres. Ainsi la définition du contrat de l’article 1101 est-elle mot pour mot la définition de l’obligation de Pothier ( Traité des obligations, op. cit., n° 3 ), elle-même empruntée au Digeste ( Digeste, 2, 14, 2 ). Mais il ne faut cependant pas exagérer la part faite au droit romain. Cela semble évident, en particulier s’agissant du principe du consensualisme : au Moyen Âge, les juristes facilitèrent la généralisation du consensualisme, moins par fidélité à la loi romaine qu’à raison des nécessités pratiques de se passer de formes pour conclure rapidement des marchés ; plus tard, dégageant l’autonomie de la volonté, l’École du droit naturel et la philosophie contribuèrent elles aussi, pour une large part, au triomphe du contrat consensuel. En réalité, il s’agit d’une théorie construite aux XVIIe et XVIIIe siècle, exposée par Domat et Pothier, puis reprise dans le Code civil, à partir d’éléments empruntés au droit romain.
Il n’y a pas à proprement parler dans le Code d’affirmation de principe de la liberté contractuelle : l’article 1134 dispose que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, lorsqu’elles sont légalement formées ; et l’article 6 d’ajouter qu’on « ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs » ; d’où il faut déduire qu’on peut déroger à toutes les autres. Or, comme d’après le jeu des règles de la preuve il faut nécessairement prouver l’illicéité d’une convention, la liberté contractuelle apparaît donc comme étant la règle. Cette liberté résulte, dans la pensée des rédacteurs du Code, du principe de l’autonomie de la volonté ; mieux vaut laisser aux personnes le soin de régler elles-mêmes leurs rapports juridiques plutôt que d’utiliser la force de la loi ; en tout cas, tant que celle-ci n’en décide pas autrement. « Le Droit au sens le plus large du mot, écrit Charles Beudant, est la science de la liberté » ( Le Droit individuel et l’État, A. Rousseau éd., Paris, 1891, p. 5 ) Pour les auteurs du XIXe siècle en effet, philosophes, juristes et sociologues, l’article 1134 n’est en définitive que la transcription juridique de l’autonomie de la volonté ( v. Jean-Louis Gazzaniga, Introduction historique.., op. cit., n° 165, pp. 187-188 ).
Au titre III, consacré aux « obligations conventionnelles en général », le Code donne une énumération sommaire des divers types de contrats ( art. 1101 à 1107 ). Mais de manière sous-jacente, les rédacteurs opèrent une triple distinction : 1° les contrats se divisent en consensuels, solennels et réels, d’après le mode de formation ; 2° en contrats synallagmatiques et unilatéraux, d’après le nombre des obligations qui en naissent ; 3° en contrats à titre onéreux et contrats à titre gratuit, d’après la nature de ces obligations. Il y a dans les expressions même du Code beaucoup de souplesse et une grande facilité d’adaptation. Puis au chapitre 2, l’article 1108 traite des conditions essentielles pour la validité des conventions : le consentement, la capacité, l’objet et la cause. Sous la rubrique du consentement figurent l’erreur, la violence et le dol ; pour la lésion, les rédacteurs ont rétabli les règles concernant la vente d’immeuble et le partage, tout en écartant la lésion comme cause de rescision dans la théorie générale des contrats : l’article 1118 décide à cet effet que la lésion ne vicie les convention « que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes » ( mineurs ).
§ II- La philosophie volontariste et l’autonomie de la volonté
Autour du Code, mais surtout après lui, au cours du XIXème siècle et essentiellement vers sa fin, le consensualisme a été exalté d’une manière véritablement extraordinaire, avec la théorie de l’autonomie de la volonté. Cette théorie s’est édifiée sur 3 bases : juridique, pol, philosophique.
– fondement juridique : art. 1134 C. Civ. Qui met la convention a égalité avec la loi ;
– fondement politique : doctrine libérale et individualiste (contrat social ; protection de la propriété individuelle) ; liberté du commerce prônée par les Physiocrates et consacrée par la Constituante ; liberté du travail. Les seules limites : le respect de l’OP et des BM.
– Fondement philosophique : philosophie humaniste kantienne ; Fichte. Juristes allemands du début du XIX proclament ainsi le « Willensdogma » : le dogme de la volonté et- élaborent la Willenstheorie. Ces idées seront acclimatées en France, mais après 1850, c’est-à-dire à un moment où les philosophes allds commencent à les abandonner.
A- La doctrine de l’autonomie de la volonté
Etym autonomie
1- L’élaboration de la doctrine
Expression « autonomie de la volonté » n’apparaît que tardivement. Ne figure pas ds le Code. Le 1er auteur à l’employer = A. Weiss, Traité élémentaire de droit international privé, paru en 1886. Les juristes français s’en emparent aussitôt et lui donnent une application considérable, y compris en droit interne, ce qui constitue une nouveauté indiscutable :
– En droit international privé : autonomie de la volonté signifie que les parties ont le droit de choisir librement la loi à laquelle le contrat serait soumis. On ira même jusqu’à accepter implicitement qu’un contrat international échappe à tte loi nationale.
– En droit civil interne. La volonté = le fondement de la force obligatoire des conventions, l’égale de la loi. Pour ce qui est de la forme des contrats, elle justifie le consensualisme ; elle explique aussi la notion de vices du consentement. Pour ce qui est du fond, le pcipe de liberté des conventions est proclamé, sous réserve des lois impératives et d’OP, qui doivent être réduites au minimum : le pcipe = lois ne sont que supplétives, présumant une volonté qui a omis de s’exprimer. NB : En France, la doctrine a considéré le consensualisme comme une application du pcipe d’autonomie de la volonté, ce qui est historiquement faux.
2- Les excès de la doctrine
« Le droit c’est l’autonomie de l’être humain » ; « l’idée de liberté = le pcipe du droit » (Ch. Beudant, 1891). Ds une telle perspective, tte institution finit par avoir une explication volontariste : le droit contractuel tend à se confondre avec le droit civil tt entier. Hauriou, adversaire de cette doctrine, parlera à son endroit de « débordement du contrat. »
Impérialisme de la notion. Il s’est produit un véritable retournement des positions : ds l’art. 1134, les conventions doivent être légalement formées ; désormais, ce n’est plus le contrat qui est fondé sur le droit, mais le droit qui est fondé sur le contrat. Telle n’avait pas été du tout la pensée des révolutionnaires…
Au lieu de cela, Fouillée écrit la phrase célèbre : « Qui dit contractuel dit juste. ». L’idée allait être poussée jusqu’en ses plus extrêmes conséquences par certains auteurs, prônant la liberté absolue des conventions, et proposant de réduire l’OP et les dispositions impératives au minimum, soutenant qu’il ne fallait faire aucune législation du travail, puisqu’il ne pouvait d’autre juste salaire que le salaire convenu. On comprend sans peine qu’on ait pu parler de « fétichisme de la volonté et du contrat », de « superstition » ou « d’exaspération métaphysique de l’autonomie de la volonté » (Carbonnier).
B- La révolte de la réalité sociale et la critique de l’autonomie de la volonté
1- Les changements dans la réalité sociale et juridique
2ème ½ 19ème siècle voit naître industrialisation et nouvelles préoccupations sociales. Un peu plus tard, à l’aube du XXème, c’est le contrat lui-même qui doit tenir compte d’un nouveau climat.
L’apparition du droit du travail : Enquête Villermé (1337-1840) : enfants de 6 ans travaillant au fond des mines 12 heures par jour. Lacordaire « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit. »
D’où vote des 1ères lois sociales (1841 et 1848)
La diminution du rôle de la volonté dans les contrats : contrats d’adhésion (R. Saleilles) ; règlements d’ateliers = fiction les fait considérer comme tacitement inclus ds le contrat de travail et par là sont réputés acceptés. Plus tard, conventions collectives. La liberté contractuelle tend aussi à s’estomper : extension considérable de la notion d’OP par la jurisprudence. Enfin jusque ds la formation des contrats, le rôle exclusif du consentement recule et l’on a pu parler d’une « renaissance du formalisme. »
2- La critique doctrinale de l’autonomie de la volonté
Objections souvent inspirées par l’idéologie politique et sociale, d’inspiration socialiste ou socialisante. Cf. Encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII (1891) : proclamait que la justice naturelle est au dessus de la liberté des contractants.
Réhabilitation doctrinale du formalisme : « la forme est le palladium de la liberté » (Ihering).
En France, l’attaque en règle est l’œuvre de R. Saleilles, Léon Duguit, Maurice Hauriou et surtout Emmanuel Gounot (1912) : réfutation énergique de la théorie de l’autonomie de la volonté, d’abord quant à son point de départ individualiste, qualifié de « robinsonisme social », puis de la volonté comme fondement du droit. La volonté, écrit Gounot, est « au service du droit ». Critique ensuite la volonté comme fondement des contrats : leur force dérive de leur fonction ds le monde, en vue du bien commun. La liberté ne donne qu’une présomption de justice, non une certitude. En réponse à Fouillée, Gounot affirme que la justice n’existe que si existe une équivalence des prestations ; liberté contractuelle peut devenir un instrument d’oppression.
6 décembre 2011 at 17 h 55 min
Bonjour,
Pourriez-vous mettre le cours d’anthropologie du droit en ligne?
Merci d’avance.
30 novembre 2014 at 16 h 46 min
Bonjour,
Pourriez-vous citer vos sources ? Une partie non-négligeable de votre article correspond à l’ouvrage « Histoire du droit civil » de Jean-Philippe Lévy et André Castaldo.
Merci d’avance
30 novembre 2014 at 17 h 06 min
Il s’agit d’un cours, non d’un article. Par conséquent, j’y reprends de très nombreux travaux de collègues, sans prétendre en aucune façon à l’originalité. L’objectif ici est pédagogique, non scientifique.
Sinon, pour info, j’ai peu utilisé l’ouvrage dont vous parlez, que je ne trouve pas très bon.
30 novembre 2014 at 17 h 21 min
Loin de moi l’idée de remettre en cause votre cours, il me semble simplement normal de faire preuve d’honnêteté intellectuelle.
De plus, vous affirmez avoir peu utilisé cet ouvrage, ne le trouvant « pas très bon ». Pourtant, ayant le livre sous les yeux, je constate que pour votre dernier paragraphe, vous avez repris le plan, les intitulés et les citations de cet ouvrage. Pas si mauvais finalement ?
30 novembre 2014 at 18 h 10 min
Écoutez, j’ai mis ce cours en ligne pour mes étudiants dans leurs révisions. Je ne revendique aucun travail d’auteur à ce sujet, puisque, je vous le rappelle, il s’agit d’un cours de L2, en d’autres termes d’une synthèse, dans laquelle je reprends des passages pris en notes de plusieurs manuels.
Et oui, l’ouvrage dont vous parle n’est pas très bon. Mais comme vous le savez aussi sans doute, il existe peu de manuels sur ce sujet, le droit des obligations étant peu étudié par les historiens du droit aujourd’hui (en dehors des travaux, excellents, de D. Deroussin).
Enfin, je goute assez peu l’allusion à l’honnêtete intellectuelle, puisque je n’ai jamais prétendu faire œuvre originale avec ce cours, ni monnayer quoi que ce soit en retour, mais seulement aider les étudiants, perdus dans leurs prises de notes.