Chapitre II. La Loi, entre discrétion et omnipotence
Section I: la synthèse Romaine
§I- La législation à Rome
Sous la République, la lex, entendue stricto sensu, était votée par les comices (centuriates et surtout tributes) sur proposition d’un magistrat à imperium (préteur, consul ou dictateur) qui lui donnait son nom. Avant le scrutin, le projet – dûment revêtu du visa senatorial (auctoritas) depuis que la lex Publilia de 339 av. J-C. l’avait déplacé en amont du processus normatif – était affiché pendant 24 jours, afin de permettre au peuple d’en prendre connaissance et d’en discuter de manière informelle. Le jour du vote, le magistrat ayant initié le texte en donnait lecture à l’assemblée (lex vient d’ailleurs de legere, lire). Il ne lui posait ensuite qu’une seule question : « Citoyens, acceptez-vous ou non cette loi ? » Les comices y répondaient par « oui » ou par non, sans avoir la faculté de débattre de son contenu ou de sa forme et de lui proposer des amendements. Une fois les votes décomptés, le magistrat devait s’acquitter d’une dernière formalité substantielle, la renunciatio (proclamation), qui validait le scrutin, sauf veto toujours possible d’un tribun. Si le projet avait été adopté, sa publicité était assurée au moyen d’un affichage qui demeura assez sommaire au début de la République. Les textes des lois étaient en effet simplement peints en lettres noires et rouges sur des planches de bois blanchies. Plus tard, on les grava sur des tables de marbre ou de bronze pour mieux en perpétuer la mémoire. Leur style, souvent assez verbeux, préférait la forme casuistique (« si quelqu’un fait quelque chose… ») à l’énoncé abstrait et se signalait par un ton impérieux destiné à rappeler que les leges étaient les ordres du peuple.
A partir de 286 av. J-C., les plébiscites, étant assimilés à des lois, suivirent une procédure comparable pour leur élaboration, avec pour seules différences d’être proposés par les tribuns et votés par les conciles de la plèbe.
Pendant les sept siècles d’existence de la législation populaire, environ 800 lois furent votées, ce qui est fort peu, surtout si l’on considère que seule une trentaine d’entre elles concernèrent le droit privé. L’évolution du jus civile se fit donc largement par le jeu d’autres sources du droit (édit du préteur, responsa des prudents, puis senatus-consultes au début de l’Empire).
Sous le principat, une fois la puissance législative de l’empereur affirmée au détriment des assemblées populaires, le terme de leges servit presque exclusivement à désigner les constitutions impériales.
§II- Les compilations impériales
A- Le Code Théodosien
Au Bas Empire, l’abondance de la législation impériale, qui représentait à elle seule la quasi-totalité du droit « vivant », son importance croissante, ainsi que les insuffisances notoires de sa diffusion et de sa conservation suscitèrent précocement l’idée d’en constituer des recueils afin de fournir aux praticiens un accès commode à ces textes essentiels. En la matière, les premières expériences émanèrent d’initiatives privées, qui se signalèrent également par leurs modalités inédites de présentation matérielle. Répudiant la forme traditionnelle des rouleaux de papyrus, de consultation malaisée, ces compilations adoptèrent en effet la technique du codex (livre de papyrus puis de parchemin), appelée à un brillant avenir, qui s’imposa pour leur désignation. Il s’agit respectivement
– du code Grégorien, composé probablement en 291-292, qui rassemble des rescrits de droit privé ;
– du code Hermogénien, réalisé pour le compléter, entre 295-305 ;
Ces œuvres, dépourvues de valeur officielle et dénommées d’après leurs auteurs, juxtaposaient les textes impériaux (exclusivement des rescrits) sans essayer de les analyser, mais en prenant parfois le risque de les résumer. Elles ne couvraient enfin que le seul droit privé. De telles tentatives devinrent donc insuffisantes, lorsqu’au cours du IVè s., la multiplication des constitutions impériales amena de profonds changements dans l’économie générale du droit romain. C’est ce qui rendit nécessaire la mise en œuvre de codifications officielles.
Un premier projet, très ambitieux, fut présenté par l’empereur Théodose II dans une constitution de 429. Il prévoyait la rédaction de deux compilations dévolues l’une aux constitutions impériales de portée générale adoptées depuis Constantin (306-337), l’autre à des constitutions, à des rescrits et à des fragments du jurisconsultes classiques qui auraient ainsi acquis « valeur de loi ». Pour des raisons mal élucidées, ce programme ne fut pas mis en œuvre.
Revenant à la charge quelques années plus tard, le même Théodose II désignait dans une lex datée du 20 décembre 435 une commission de 16 membres, tous fonctionnaires du palais (un seul est qualifié de iuris doctor), afin qu’elle procédât à la codification officielle tant attendue. Le même texte, réaffirmant l’unité de l’ER, énonçait que l’œuvre ainsi produite aurait vocation à s’appliquer uniformément en Orient et en Occident. Plusieurs principes directeurs devaient guider la tâche des compilateurs. Il leur fallait d’abord rassembler toutes les constitutions générales émises depuis Constantin (= depuis 1 siècle) et les répartir par matière entre les divers titres du nouveau code. Pour parvenir à cette fin, il leur était loisible de procéder au découpage des textes et d’en distribuer les fragments ente les différents titres auxquels ils se rapportaient. A l’intérieur de chaque titre, les constitutions étaient classées par ordre chronologique, ce qui permettait de déterminer aisément quelles dispositions avaient éventuellement été abrogées par des textes plus récents. Surtout, l’empereur indiquait clairement qu’il n’entendait nullement faire œuvre d’historien mais forger un outil pratique, utilisable immédiatement. Les compilateurs étaient donc invités à ne reproduire que ce qui, dans chaque constitution, avait valeur législative, en supprimant les développements jugés inutiles (comme les préambules), en mettant fin aux contradictions entre les textes, en modifiant, si nécessaire, ce qui n’était plus adapté aux besoins de l’époque, en ajoutant, au besoin, les éléments nouveaux qui paraitraient utiles. En bref, les rédacteurs avaient pour mission d’interpoler les textes et de les mettre à jour.
Le code fut réalisé conformément à ces directives et achevé dès 437. Promulgué le 15 février 438 en Orient, il entra en vigueur dans les parties orientale et occidentale de l’Empire le 1er janvier 439. Il comprenait 16 livres rassemblant des textes échelonnés entre le 18 janvier 313 et le 16 mars 437.
En Orient, sa durée de vie fut assez brève, puisqu’il fut supplanté par le Code Justinien dès 529. Dans la partie occidentale de l’Empire, au contraire, il constitua le seul recueil officiel de la législation impériale reçu avant la déposition de Romulus Augustule en 476, et donc la source essentielle de connaissance du droit romain avant la redécouverte des compilations justiniennes au XIè siècle. Son utilisation fut d’ailleurs le plus souvent médiatisée via la loi romaine des Wisigoths ou « Bréviaire d’Alaric » (506) qui le simplifia et en assura la diffusion la plus large dans tout l’Occident. Le Brévaire fit lui même l’objet de nombreux abrégés. Enfin, l’Eglise, dont les membres étaient statutairement soumis au droit romain, puisa largement dans les dispositions du Code, notamment dans celles du livre XVI, consacré aux affaires ecclésiastiques et à la foi chrétienne.
B- Le corpus iuris civilis
Cette appellation, qui ne devint habituelle qu’au cours du XVIè siècle[1]par souci de symétrie avec le corpus iuris canonici, sert à désigner un ensemble factice de quatre recueils de droit romain composés sous le règne de l’empereur byzantin Justinien (527-565). De nature différente, chacun de ses ouvrages couvrait des champs nettement distincts du droit et servait des ambitions d’inégale amplitude. L’ensemble ainsi formé ne s’inscrivait pas moins dans le projet global de restauration de l’Empire caressé par le dominus oriental. Dans la perspective tracée par Justinien, l’éclat des armes faisait écho à la majesté des lois. Aux conquêtes de Bélisaire et de Narsés en Afrique (victoire sur les Vandales en 534), en Italie (campagnes contre les Ostrogoths en 535-554) et dans la partie orientale de l’Espagne (reconquête opérée en 550-554 sur les Wisigoths) répondait l’exaltation d’un héritage juridique romain à la fois pieusement conservé et patiemment reconstruit pour la postérité. L’entreprise juridique se révéla, au demeurant, infiniment plus durable que l’aventure militaire, rapidement balayée par la double offensive lombarde (en Italie) et musulmane (en Afrique du Nord, puis en Espagne, à partir de 711). En Occident, les compilations ordonnées par Justinien devaient irriguer le puissant mouvement de renaissance du droit de la fin du XIè siècle, susciter la curiosité passionnée des humanistes du XVIè siècle, nourrir la réflexion des jus naturalistes, accompagner le développement du rationalisme, inspirer la plume des rédacteurs du Code civil et, défiant les millénaires, continuer à fournir au droit contemporain un vaste réservoir de concepts, de vocables, de techniques et de procédures toujours utilisables.
Plus prosaïquement, la remise en ordre voulu par l’empereur s’imposait aussi pour des raisons techniques (les codifications antérieures étaient dépassées ; la jurisprudence classique dispersée dans des milliers de volumes de textes peu sûrs, mal connue, desservie par la consternante loi des citations, déformée par les médiocres résumés postclassiques, concurrencée par l’invasion des coutumes non officielles), politique (exaltation de l’autorité impériale), voire culturelle (affirmation de la supériorité de la tradition romaine sur l’hellénisation de la culture).
Compte tenu des caractéristiques propres de chacun de ces ouvrages, leur présentation séparée s’impose.
– Le code fut l’œuvre d’une commission de dix membres, (six hauts fonctionnaires, deux avocats, deux professeurs de droit) présidée par Tribonien, qui présentait l’intéressante particularité de cumuler les fonctions enseignante (il était professeur à l’école de doit de Constantinople) et administrative (maître des offices puis questeur du palais, ce qui en faisait un proche de l’empereur). Une première version, perdue, fit l’objet d’une promulgation le 7 avril 529. La seconde version, seule conservée, émana d’une commission plus réduite, de cinq membres, toujours dirigés par Tribonien, et fut publiée le 16 novembre 534. Elle comprend un choix de constitutions impériales (édits et rescrits) allant d’Hadrien (IIè s.) à Justinien lui-même. Les constitutions antérieures à Constantin (306-337) ont été reprises aux Codes grégorien et hermogénien. Celles qui couvrent la période comprise entre la mort de Constantin et la promulgation du Code Théodosien (438) sont empruntées à ce dernier. Les textes les plus récents ont été tirés des archives impériales. Le code de Justinien complète donc largement l’œuvre de son prédécesseur Théodose II, dont il suit d’ailleurs les principes d’organisation : répartition en douze livres (par référence et en hommage à la Loi des XII Tables), subdivisions des livres en titres portant chacun sur une matière déterminée. A l’intérieur des titres, les constitutions étaient classées selon un ordre chronologique et contenaient chacune l’indication de l’empereur qui les avaient promulguées, l’identité de leur destinataire et leurs lieu et date de publication. Quelle que soit leur nature (édits ou rescrits), elles reçoivent toutes une autorité égale, dans la forme où elles sont citées et reproduites par le Code. Les textes désuets ont été rejetés ou interpolés (= remaniés). Appliqué en Orient, le Code y fit immédiatement l’objet de commentaires qui corrigèrent ses dispositions en partie anachroniques. Reçu en Italie, à la faveur de la reconquête byzantine du VIè siècle, il n’y fut pas complètement oublié au haut Moyen Age, notamment sous la forme d’Epitomé qui en fournirent des versions abrégées, plus aisément assimilables.
– Les Institutes sont un manuel d’enseignement du droit publié le 21 novembre 533 à l’attention de la « jeunesse avide de droit » et entré en vigueur le 30 décembre 533. Rédigé par trois professeurs de droit (Tribonien, Dorothée et Théophile), l’ouvrage s’inspirait fortement des Institutes de Gaius dont il reprenait le plan (personnes, biens et successions, obligations, délits et actions). Il connut un grand succès en Orient, mais aussi en Occident, où plusieurs gloses y furent rédigées, dans une perspective d’ailleurs plus grammaticale que juridique : les Institutes figuraient en effet au nombre des ouvrages étudiés dans le cadre du Trivium (matières littéraires à la base de l’enseignement dans le système antique et médiéval : grammaire, rhétorique, dialectique).
– Le Digeste, appelé également de son nom grec « Pandectes » constitue une œuvre beaucoup plus ambitieuse que les autres et forme le cœur de l’entreprise justinienne. Il regroupe 9142 fragments d’œuvres de 38 jurisconsultes classiques allant de Q. Mucius Scaevola (fin du IIème siècle av. J-C.) à Hermogénien (fin du IIIème siècle ap. J-C.), avec une forte prévalence de Gaius, Paul, Papinien et surtout Ulpien (juristes du IIIè siècles ap. J-C.). L’ampleur de la tâche à accomplir posait de redoutables difficultés pratiques, auxquelles s’attela une commission de 18 membres (11 avocats, 4 professeurs, dont Théophile et Dorothée, 2 hauts fonctionnaires) emmenés par l’infatigable Tribonien. Pour baliser au mieux ses travaux, Justinien jugea utile de promulguer une cinquantaine de constitutions de réforme (les Quinquagintae decisiones) afin de préciser la méthode à suivre (mise au clair du droit, abrogation des dispositions désuètes, choix d’une opinion déterminée parmi des options doctrinales contradictoires exprimées sur tel ou tel sujet, etc.). La constitution Deo auctore du 15 décembre 530 revenait sur la question en définissant la mission des compilateurs. Aux dires de l’empereur, la « collecte du droit sur plus de 1400 ans » (en fait 500 ans seulement) exigeait l’examen de 2000 livres et de 3 millions de lignes portant aussi bien sur le droit civil que sur le droit prétorien (d’où le nom de Digesta donné à l’ensemble). Dix ans étaient jugés nécessaires pour parvenir à ce résultat. Trois se révélèrent suffisants, en appliquant une méthode draconienne de sélection, de découpage, de classement et d’interpolation des textes. Le 16 décembre 533, Justinien promulguait le Digeste dans sa constitution Tanta. L’ensemble, comptait 150 000 lignes et se répartissait en 50 livres divisés en titres. Chacun de ses titres répondait à un thème et comportait un certain nombre de fragments numérotés, parfois subdivisés en paragraphes, tous précédés de leur inscription (auteur et titre de l’ouvrage.
L’œuvre ainsi réalisée n’excluait pas une certaine ambiguïté, par son souci de synthèse entre tradition (l’essentiel des textes cités datait de plus de 3 siècles) et innovation. Certes, les auteurs les plus représentés (Paul et surtout Ulpien qui comptabilisent à eux deux près des deux tiers des fragments). Toutefois, les compilateurs ne crurent pas utile d’écarter tout ce qui, dans le droit ancien, était tombé en désuétude, (comme la procédure formulaire par exemple). Il en résulta un ensemble partiellement anachronique, à la gloire du droit privé des IIè-IIIème siècles, peu utilisable immédiatement par les praticiens contemporains de sa rédaction. La dimension idéologique de l’entreprise (souci d’affirmer la permanence et la supériorité de la culture romaine, défense de la pureté du droit classique contre les déviations vulgaires ; volonté de placer l’unité du droit au service de l’unité du pouvoir politique) semble ici avoir amoindri sa portée pratique.
Inconnu en Occident lors de sa promulgation, le Digeste fut envoyé en Italie, à la demande du pape Vigile, une fois achevée la reconquête byzantine. Il n’y fut guère utilisé (pour le haut Moyen-Age, la dernière mention qui en est faite figure dans une lettre du pape Grégoire le Grand datée de 602) avant d’être redécouvert, dans des circonstances assez mystérieuses à la fin du XI7 siècle. Il est alors cité par un dénommé Pepo au cours d’un procès qui eut lieu en Toscane, non loin de Sienne (Plaid de Marturi, 1076). Au Moyen-Age, où il est abondamment cité, le Digeste est découpé en trois parties : le Digestum vetus ou Digeste Vieux, (livres 1 à 34,2) ; l’Infortiat (livres 34, 3 à 38, 3) ; le Digestum novum ou Digeste neuf (livres 38,4 à 50.
– Les Novelles. Une fois Code achevé, Justinien continua de légiférer en abondance, dans les matières les plus diverses du droit privé. Cette intense activité normative des années 535-540 suggéra logiquement l’idée d’un quatrième et dernier recueil de droit. Toutefois, à la différence des trois autres, celui-ci ne fut pas le fruit d’une volonté officielle de l’empereur, mais d’initiatives privées qui donnèrent naissance à trois collections d’inégale importance :
- Une collection de 124 novelles publiée entre 535 et 555. Elle est due au travail d’un professeur de droit de Constantinople, Julien et porte le nom d’Epitome Juliani. Elle regroupe les constitutions impériales, traduites en latin, dans un ordre censément chronologique. Elle semble avoir très diffusée en Italie, où l’on en a retrouvé plusieurs manuscrits.
- Une collection de 134 novelles réunie vers 556. Là encore, les constitutions, écrites en grec, furent traduites en latin. IL est d’ailleurs possible qu’elle ait été rassemblée en Italie (à Ravenne). Cette collection fut utilisée par les Romanistes occidentaux du Moyen-Age sous le nom de l’Authentique (Authenticum ou Liber authenticorum), parce qu’elle avait d’abord été soupçonnée de n’être qu’un faux avant d’être déclarée authentique.
- La collection la plus complète est un recueil de 168 novelles en grec (dont 158 de Justinien) composé sous le règne de Tibère II (578-582). Elle ne fut connue en Occident qu’au XVè siècle.
Certaines de ces novelles enregistrèrent des évolutions décisives du droit romain tardif. Ainsi, la célèbre Novelle 118 sur le droit de la famille, rompant avec le vieux substrat agnatique de l’ancien droit civil (primat du seul pater familias) se fondait sur la proximité des degrés de parenté cognatique (= parenté indifférenciée établie par les deux ascendance paternelle et maternelle) pour l’ordre des successibles. Ces dispositions inspirèrent les rédacteurs du Code Napoléon, où elles demeurèrent inchangées jusqu’en 1957. Les Novelles transmirent ainsi un droit évolué, associant la perfection de la technique classique à un réel souci d’innovation.
Après les invasions germaniques :
Le droit romain a survécu aux invasions, qui n’ont altéré ni son autorité, ni la connaissance et la compréhension déjà limitées qu’on en avait. La vigueur qu’il a conservée aux Vè-VIè siècles est attestée par les compilations des lois romaines ordonnées par les rois barbares à l’imitation des empereurs, ou dues à des initiatives privées, pour aider juges et praticiens à distinguer celles qu’il convenait de conserver et qui pouvaient utilement être invoquées en justice.
Contrairement à une idée reçue, ces lois romaines ne semblent pas avoir eu pour seuls destinataires les Gallo-romains, en application du pcipe de personnalité des lois, dont la portée a été exagérée, mais bien l’ensemble de la population, barbares compris.
Ne disposent pas de législation spéciale, mais sont soumis au droit romain. Cepdt., pose de nbreux pbs d’application :
– sources abondantes
– ignorance des juges
– complexité technique de la législation romaine
Il fallut donc assez vite rédiger des compilations simplifiées. 2 sont connues pour la Gaule (réalisées significativement ds le S. du royaume) :
– Lex romana Burgundiorum, rédigée sur l’ordre de Gondebaud, roi des Burgondes.. Appelée également le Papien.
– Lex romana wisigothorum, qui éclipsa la précédente. + connue sous le nom de Bréviaire d’Alaric : rédigée sur l’ordre d’Alaric II en 506, ap. avoir été préparée par une commission de savants et approuvée par une assemblée d’évêques et de notables. Comprend à la fois des extraits de constitutions et des fragments de jurisconsultes romains, accompagnés d’une interpretatio en latin vulgaire. Code appliqué non seult ds l’ancien roy. Wis , mais également ds l’ensemble du roy. Franc = seul recueil des lois romaines en France étudié jusqu’à la renaissance justinienne du XIè s.
N.B : dans les 2 cas :
– compilations d’origine publique
– visée politique du droit : souci d’intégration, voire de ralliement des pop. gallo-romaines, largement majoritaires (c’est vrai surtt pour Alaric II).
Section II : L’effacement du pouvoir normatif royal (VIè-XIIè siècles)
1ère partie de l’époque médiévale marquée par un grand effacement du pouvoir normatif royal (§ I) et par la concurrence d’autres sources du droit, notamment ecclésiastiques (§ II).
§ I- Une activité législative déclinante
Au lendemain des invasions, les rois barbares, en héritiers des empereurs, ont maintenu une activité législative, d’abord ds le cadre de la rédaction des lois nationales de leurs peuples, mais aussi pour édicter des lois autonomes sous la forme de capitulaires.
Les Mérovingiens avaient déjà recours à de grandes réunions annuelles au cours desquelles étaient adoptés des édits ou « constitutions ». En mars, des assemblées baptisées « champs de mars », réunissaient autour du roi les grands du royaume, laïcs comme ecclésiastiques.
Lors de ces « plaids généraux », le souverain faisait part à ces vassaux de ses décisions. Ces ordonnances royales (concernant quasi exclusivement la vie militaire ou la justice) étaient approuvées par acclamation. Charlemagne, puis son fils Louis le Pieux, perpétuent et amplifient cette pratique législative. La cavalerie succédant aux fantassins, c’est désormais en mai (puisqu’il faut de l’herbe dans les prés pour les chevaux) que les puissants de l’empire s’assemblent. Ces « champs de mai » (les soldats étant conviés en armes) précèdent bien souvent des raids de pillage. Au cours de ce rassemblement, qui si les circonstances l’imposent, peut avoir lieu plusieurs fois dans l’année, sont examinés, discutés, élaborés puis rédigés en latin les capitulaires. Ces textes législatifs doivent leur nom à leur découpage en petits chapitres, les capitularia.
Le roi soumet s’abord ses propositions à l’assemblée. Puis, et parfois pendant plusieurs jours, les nobles, les évêques et les militaires délibèrent. Une fois le consensus trouvé, ils font part de leurs décisions au roi, qui a cependant le dernier mot. Mais de fait, le souverain n’est plus, en apparence du moins, seul décisionnaire des lois régissant son royaume : il en devient à la fois l’arbitre, le médiateur et le garant. Finalement, il se préoccupe moins de l’assentiment général que de l’établissement, avec ceux qui l’entourent, des bases consensuelles permettant à son pouvoir de se maintenir.
Maître de l’Empire chrétien d’Occident, Charlemagne est persuadé qu’il est responsable devant Dieu de la façon dont vivent les peuples soumis à son autorité. Il n’a donc de cesse de tenter de légiférer dans tous les domaines touchant à la vie quotidienne. Un de ses capitulaires, datant de 789, s’étonne ainsi « de la pâleur des religieuses causée par des saignées trop fréquentes ». Un autre, datant de 803, condamne explicitement les mariages consanguins. Le premier capitulaire émanant de Charlemagne est celui de Herstal datant de 779. Il existe quatre catégories de capitulaires : les per se scribenda émanent directement du roi, les pro lege tenenda, approuvés par le conseil de l’empire, ont force de loi, les legibus addenda amendent les lois nationales des peuples germains, les missorum renferment les instructions destinées aux missi dominici.
Pourtant, même s’ils ont parfois force de loi, les capitulaires ont bien souvent de grandes difficultés à être appliqués. D’abord parce qu’ils ne peuvent pas toujours se substituer à la diversité des droits coexistant sur tout le territoire. Les Carolingiens, en effet, respectent le principe ancestral du « à chaque peuple sa loi ». Selon qu’il est Franc, Aquitain, Lombard, Burgonde ou Alaman, esclave ou homme libre, chacun doit préciser, avant d’être jugé, à quelle législation nationale il appartient. Charlemagne, soucieux de ce respect, fait d’ailleurs consigner par écrit les lois des peuples placés sous sa domination jusqu’alors transmises par la tradition orale.
La seconde difficulté est qu’une fois les capitulaires entérinés et promulgués par le roi, il revient aux comtes de les faire connaître dans leurs comtés, et de veiller à leur application. Mais les comtes ne sont pas toujours très fiables. C’est pourquoi Charlemagne décide d’instituer des missi dominici, ses envoyés spéciaux dans les provinces, dont un capitulaire datant de 802 précise le rôle et les pouvoirs. Malgré ces précautions, les capitulaires demeurent lettre morte.
Même si les historiens s’accordent à reconnaître l’importance fondamentale des capitulaires, notamment pour l’étude des institutions entre le VIIIème et le IXème siècle, peu de textes originaux sont parvenus jusqu’à nous. De ces actes législatifs, il ne reste le plus souvent que des copies, exécutées par des moines. Plus de 220 capitulaires ont été recensés, de Pépin le Bref à Charles le Simple, le plus récent datant de 884. Subsistent également plusieurs recueils de ces textes dont le plus célèbre est celui de Saint Anségise, abbé de Fontenelle, qui a réuni en 827 les capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux.
B- La Renaissance carolingienne et l’augustinisme politique
Vaste essor culturel tout entier marqué par l’Église : à la mort de Charlemagne, en 814, le monde occidental est entièrement chrétien (même s’il est toujours loisible de discuter de la réalité et surtout de la profondeur de cette christianisation) : c’était là la mission que s’était assignée l’empereur. Avant lui, jamais tant de peuples n’avaient confessé le nom du Christ. L’Église, qui a la gestion exclusive du baptême, est donc la grande pourvoyeuse d’identité personnelle, du plus humble des rustres jusqu’au roi : unité du peuple chrétien. Du haut en bas de la société, dieu, ses saints et son Église fournissent à tous les pcipes nécessaires de compréhension du monde, d’organisation de la société et de comportement individuel.
Ordinatio, renovatio, consecratio : définissent les termes d’un programme immense tendant à placer le monde terrestre de la société des hommes en état de se conformer au projet divin, à réaliser l’harmonie entre ces deux univers pour le plus grand bien du peuple chrétien. Travailler à mettre le monde en ordre, contribuer à l’accomplissement des écritures, faire connaître plus et mieux le nom de Dieu requièrent des instruments adéquats : Pour diriger, encadrer, amender les populations, une compétence, une science sont nécessaires. Il entre ds la mission du roi et de l’Eglise, conjointement, de développer les moyens de mieux savoir pour mieux servir
Obsession de la norma rectitudinis = norme de ce qui plaît à dieu directement à l’origine de la dynamique de renaissance : L’homme doit croire en Dieu, suivre ses préceptes et le servir toute sa vie ; mais par dessus tous, il doit vivre sa foi en honorant Dieu ds l’office divin, lui adressant ses louanges, ses remerciements ses prières. Ds son palais, avec ses reliques et son clergé palatin, le roi est le 1er de ceux qui prient pour l’ensemble du royaume et de ses habitants. Période carolingienne = époque dont toutes les manifestations artistiques sont essentiellement un ornement du service divin, un sacrifice offert au Seigneur et une propagande pour la royauté catholique.
– Souci d’une langue sacrée, pure et ornée, confortée par la grammaire, la rhétorique et l’art poétique : langue savante, purgée des scories du siècle afin d’être à la fois universelle et parfaite : amour des lettres et désir de Dieu se conjuguent. Le latin à retrouver, le modèle = celui de la littérature romaine à son apogée (Cicéron et Virgile : bene dicere, bene vivere) : christianisation de la culture païenne. Langue de plus en plus éloignée de celle des laïcs (= le roman), dont la culture écrite tend au même moment à se rétracter considérablement, en dépit de quelques brillantes exceptions (comme Duoda).
Posséder la grammaire, connaître les secrets de la rhétorique, c’est s’ouvrir le chemin de la vérité : les mots sont en effet le reflet des choses.
De même = exigence impérieusement ressentie de se procurer le plus de textes possible, ds la meilleure leçon possible, car un texte altéré = un péché contre l’esprit. Entre intellectuels, entre établissements religieux, prêts et échanges de livres vont bon train. L’effort d’édition, déjà entamé à la génération précédente, s’intensifie. La quantité de textes transcrits au IXè s. ds les scriptoria monastiques, pcipalement, au nord de la Loire, est au total considérable tant en ouvrages profanes que sacrés. Toutefois, qualité inégale en raison d’une méconnaissance croissante du grec.
Pureté doit également toucher la forme écrite des textes sacrés. Apparaît alors une écriture claire et régulière : la belle caroline, qui apparaît vers 780, sans doute à l’abbaye de Corbie. Est fondée sur quelques pcipes simples : régularité et lisibilité d’une part ; rotondité et largeur d’autre part. Cette écriture trompera les humanistes du XVIè s. qui la croiront « antique ». Est également l’ancêtre de nos caractères d’imprimerie. D’où une éclosion de manuscrits riches d’initiales enluminées et souvent hardies ; l’or, l’argent et les couleurs exubérantes rehaussent les manuscrits liturgiques : évangéliaires, sacramentaires, psautiers, bréviaires.
– Architecture atteignant une monumentalité nouvelle : Saint Riquier, Fulda (église abbatiale construite de 791 à 819 sur le modèle de Saint Pierre de Rome), Aix la Chapelle : monuments les plus importants situés à l’est, ds les pays de conquête militaire et spirituelle. En France : nombreux monuments détruits ; demeurent cepdt, entre autres : crypte de Saint Germain d’Auxerre, de Saint Médard de Soissons, mosaïque de Germigny des Prés. Au total, 27 cathédrales, 232 monastères et 65 ensembles palatiaux ont été édifiés entre 768 et 814, sans compter de simples oratoires comme celui de Théodulfe, précisément.
S’inscrit ds un programme plus général de propagande ecclésiastique, articulé autour de nombreuses entreprises hagiographiques, de rédaction de Gesta episcoporum, et surtout du culte des reliques = véritable trésor des églises (nombreuses importations en provenance de Rome) : permettent la promotion des patrons locaux (cf. en particulier l’œuvre d’Hincmar d Reims autour de Saint Rémi : translation des reliques, rédaction d’une Vita Remigii, légende de la Sainte Ampoule).
– Ds l’entourage royal : brillant aréopage d’intellectuels qui forment « l’Académie du Palais » : Pierre de Pise (grammaire et poète italien), Alcuin, d’origine anglo-saxonne, abbé de Saint Martin de Tours ; Paul Diacre (Lombard) historien, Théodulfe, d’origine espagnole : théologien poète, évêque d’Orléans ; sous le règne de Louis le Pieux : Eginhard (architecte, biographe de Charlemagne), Smaragde de Saint Mihiel, Jonas d’Orléans, Loup de Ferrières, etc.
Rationalisme et humanisme pas absents de cette renaissance : celle-ci est tournée vers des valeurs et des formes complètement différentes de celles du monde germanique. Expression vivante de la réussite définitive d’une fusion entre les éléments romains, gaulois et germaniques de ce qui allait devenir l’Europe.
Force du projet carolingien servi par une dynamique volontariste et une incontestable réussite intellectuelle n’est cependant pas exempt de contradictions internes, qui entraînèrent à terme son irrésistible délitement.
Note sur l’idéologie politique. Dans l’Empire romain en déliquescence où l’Église assume des charges temporelles, à l’encontre d’autres auteurs qui imbriquent le religieux et le politique (Eusèbe de Césarée, Prudence), dans la Cité de Dieu, Augustin distingue radicalement les deux sphères en montrant la permanence de la cité de Dieu dans les pérégrinations de l’Histoire, qui s’oppose à la contingence de la cité terrestre.
L’interprétation qui est généralement faite de la Cité de Dieu dans les siècles suivants est la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. Cela conduit à l’augustinisme politique, dont on situe l’apparition au pape Grégoire le Grand (590-604) : le pouvoir politique est au service du pouvoir spirituel, ce qui entraîne notamment que le bien public et les vertus chrétiennes sont identiques, et la cité terrestre de la perdition d’Augustin devient la cité temporelle et politique.
A l’inverse, l’opposition à Augustin à partir de la Renaissance consiste à prôner l’autonomie de la sphère politique par rapport à la sphère spirituelle. Ce sera la démarche de Machiavel, Hobbes et Rousseau.
A la fin de la période franque (VIè-IXè s), la décomposition du pouvoir a fait disparaître, pour plusieurs siècles, la législation royale des sources du droit.
En même temps, interruption de l’activité législative du roi : le dernier capitulaire carolingien est de 884 ; le 1er établissement capétien de 1154. Entre les 2 270 ans de silence normatif. Coutume est donc apparue dans une époque de vacance juridique, en pleine fragmentation de l’espace territorial et en plein reclassement des rapports sociaux. Si les actes du Xè siècle invoquent encore, çà et là , la lex romana et gotha, voire la lex salica, il ne s’agit plus de références cohérentes mais de formules quasiment magiques, protectrices de l’acte réalisé. Extrême confusion des notions juridiques.
§II- La concurrence normative de l’Eglise
A- La diversité des instances normatives
Il convient ici de distinguer les dispositions d’application générale (1) des règles à valeur locale (2).
1- La voix de l’Eglise universelle
Elle s’incarne ds deux institutions majeures, appelées à jouer un rôle croissant au sein de l’institution ecclésiale : la papauté et l’assemblée conciliaire : double aspect monocratique et collégial qui caractérise assez bien les 2 visages et les 2 tentations de l’Eglise occidentale.
a)- Les décrétales pontificales
Pape = évêque de Rome, successeur de Pierre et tête de l’Eglise occidentale. Dispose depuis le IVè s. (fin des persécutions) d’une chancellerie encore rudimentaire et qui laisse place à bien des défaillances. Expédie les lettres envoyées par le pe et en conserve une copie, parfois placée à l’int. d’un registre.
L’essentiel de la législation pontificale est encore assez modeste. Elle s’exprime précisément ds ces lettres, appelées décrétales (epistolae decretales) que le pape adresse le + svt. à des év. , mais aussi à d’autres clercs ou à des laïcs. Suscitées par une question particulière, elles ont d’abord une valeur limitée ds le temps et l’espace. Mais l’autorité de + en + affirmée du pontife sur l’ensemble de l’Eglise occidentale confère bientôt à ses documents une valeur générale (//rescrits impériaux), surtt si le pape qui les a édictées est lui même doté d’un grand prestige : cf. notamment la correspondance de Grégoire le Grand (590-604).
b)- La collégialité épiscopale : la législation conciliaire
Concile = assemblée d’év. pouvant réunir des prélats des églises locales (concile régional), métropolitaines (concile provincial), nationales (concile général) ou universelles (concile oecuméniques). Ttefois : flou de la terminologie pr cette période. Pas de vraie périodicité ds ces réunions, en dépit de nombreuses revendications des év. eux-mêmes
Époques méro. et surtt caro. virent se dév. une intense activité conciliaire : Eglise à organiser, peuple chrétien à discipliner, contenu dogmatique de la foi à préciser, hérésies à juguler, morale à définir, mais aussi affaires politiques à trancher.
(Ex : concile réuni en 962, à l’occasion du couronnement d’Othon 1er prétend débattre du « statut et du gouvernement de tte la chrétienté. »)
D’ailleurs, conciles svt ouverts à d’autres participants que les seuls év. Voire conciles convoqués par le roi :
Ex : 2 conciles d’Orléans : – 1er réuni à l’initiative de Clovis en 511 ;
– 2nd en 533 à la demande de ses 3 fils, les rois de Paris, de Soissons et de Reims.
La moitié des conciles mérovingiens ont été réunis par la volonté des rois. Même ingérence de la part des Caro.
Les conciles n’en restent pas moins des actes religieux. Ils s’ouvrent et se closent par des cérémonies cultuelles et comportent un rituel : Vocation mixte. Leurs décisions s’imposent à tous. En vertu de quelle autorité ?
– parfois : confirmation séculière (réception par le roi des décisions adoptées par les Pères conciliaires)
– tjrs : autorité tirée de la tradition (succession apostolique), de la conformité aux écrits des Pères et à l’orthodoxie, de l’inspiration de l’Esprit Saint.
Rôle du pape encore assez effacé, mais tend à affirmer de + en + ses prétentions sur cet instance privilégiée de régulation de la vie religieuse.
2- Les dispositions issues d’initiative locale
N.B : Elles peuvent avoir une origine locale et comporter ultérieurement une portée bcp + générale. 2 sources majeures à considérer ici, touchant aussi bien le clergé séculier (a) que le clergé régulier.
a)- Les statuts épiscopaux
Ds son diocèse, l’év. est législateur pour son peuple. Il doit sans doute respecter les dispositions générales édictées par les conciles et les décrétales, mais il est libre de les interpréter, de les expliciter ou de les compléter. Les conditions de rédaction de ces statuts sont assez mal connues : concertation ou non avec le clergé local ? Avis de laïcs ?
Une seule certitude : l’importance de cette législation, notamment au cours du IXè s, sous l’impulsion des grands év. de la renaissance caro. comme Théodulf d’Orléans ou Hincmar de Reims.
L’ampleur de ces statuts est inégale. Certains constituent de véritables codes à l’usage du clergé, et même des laïcs (qui ne peuvent malheureusement pas les lire).
b)- Les règles monastiques
Formulent un droit propre à certaines familles religieuses : moines cénobites animant la christianisation des campagnes et la culture cléricale. Plusieurs règles fondamentales ont vu le jour pdt cette période. En particulier :
– Césaire d’Arles (470-542)
– Benoît de Nursie (règle rédigée vers 534-547)
– Colomban (v. 590-615)
Révision de la règle de Saint Benoît par Benoît d’Aniane. Devient règle officielle de l’Empire carolingien, approuvée par tous les abbés en vertu du capitulaire monastique promulgué par Louis le Pieux en 817.
Vaste effort d’encadrement et d’organisation de la vie religieuse, après les fantaisies des temps héroïques.
B- La variété des domaines concernés
Église = seule institution à avoir survécu au cataclysme provoqué par la chute de l’ER, puis à faire face aux forces de dissolution nées du mouvement féodal. Se trouve donc contrainte d’assumer des rôles pour lesquels elle n’avait pas de vocation particulière : fonction de suppléance et de substitution, face à un État fragilisé par le manque de cadres compétents et la virulence des appétits territoriaux. Se voit donc investie d’une compétence quasi universelle, qui dépasse de bcp ses traditionnels domaines d’intervention que sont la défense du dogme, l’organisation interne du clergé, ou la détermination du contenu liturgique des célébrations. Ingérence de + en + marquée en direction des laïcs (1).
Multiplicité des textes produits et des sources du droit conduit donc peu à peu à la constitution de collections canoniques de + en + complètes, étayant parfois des prétentions peu compatibles avec le strict esprit évangélique (2).
1- L’encadrement des Laïcs
Ds la primitive Église, ce qui domine les préoccupations des clercs, après l’arrêt des persécution = l’attente de la fin du monde. Conviction que le siècle est profondément contaminé par le mal, de + en + svt identifié à la sexualité. D’où un vaste mouvt de fuga mundi qui culmine avec la diffusion des deux grands modèles monastiques que sont le cénobitisme et l’anachorétisme, et une exaltation de la virginité comme signe d’une perfection int. L’idéal de vie chrétienne = l’existence retirée et paisible menée par le moine : négation des fonctions de production et de reproduction propre à l’univers séculier. Espace et temps du cloître tournés vers l’éternité.
Peu à peu, retombée des tensions eschatologiques exacerbées par la chute de l’ER. Période de compromis (et même parfois de compromission) avec le monde laïc. Effort des clercs pour définir un état de vie profane acceptable pr un chrétien + amélioration de l’encadrement des fidèles, par le dév. du réseau paroissial, la mise en place d’une pastorale exigeante et le renforcement de la présence sacramentelle. Passage de la pénitence unique et solennelle, appelant à une conversion radicale des modes de vie à la pénitence tarifée, réitérable, importée d’Irlande : floraison des pénitentiels aux VIIè-Xè s. : recueils allant de qques feuillets à de petits traités donnant des listes de péchés avec pr chacun d’eux le tarif de la pénitence imposée (jours, mois, années de jeûne, mortifications ou oeuvres de charité diverses) // syst. du wergeld des lois barbares. Obsession des fautes sexuelles, qu’accompagnent d’étranges fantasmes. Curieuse hiérarchie des fautes. La nature et la gravité de la faute y comptent + que la culpabilité (intention) de l’auteur : conception objective de la culpabilité et caractère automatique de la peine, indépendamment des circonstances. Marque ttefois un progrès vers la confession auriculaire, qui ne triomphera qu’au XIIIè s.
Autre domaine d’intervention de l’Eglise : les mouvements de paix de l’époque féodale : là encore : canalisation des excès désordonnés des laïcs.
2- L’affirmation de prétentions politiques : La constitution de collections canoniques
Masse des textes normatifs produits par l’Eglise au cours de son histoire. Aux sources citées ci-dessus (décrétales, canons des conciles, en particulier des grandes assemblées oecuméniques des IVè-Vè s : Nicée (325), Ephèse (431), ou Chalcédoine (451) et statuts synodaux) s’ajoutent encore l’autorité des textes sacrés (A.T et N.T, dont le canon fut fixé au IVè s.), la tradition des Pères de l’Eglise d’Orient (Jean Chrysostome, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze) et d’Occident (Tertullien, Cyprien, Jérôme, Ambroise, Augustin), et même certaines dispositions du droit romain, christinanisé à partir du IVè s. Dès le IVè s. prise de conscience de la nécessité d’ordonner ces textes en les rassemblant et en les classant ds diverses collections : vaste travail de collecte des textes accompli à Rome en particulier sous le pontificat de Gélase 1er (492-496) : cf. la Dionysiana, œuvre du moine Denys le Petit = Pdt longtps, la + imptante des collections canoniques d’Occident.
D’emblée, donc, équipement juridique de l’institution ecclésiale t. supérieur à celui des royaumes barbares, déchirés par la personnalité des lois et desservi par la disparition de la culture écrite : clercs sont les dépositaires du savoir. Ont un statut homogène qui leur permet de tous vivre conformément aux dispositions d droit romain, quelles que soient leurs origines ethniques personnelles. Imptce que les h. d’Eglise accordaient au droit pour guider leurs réformes et régir la vie chrétienne de leur communauté : le droit comme instrument de bonification sociale et d’amendement moral.
Fin période méro. et époque caro. marquées par une nouvelle floraison de collections canoniques comme l’Hibernensis (v. 700 : vient d’Irl.), la Dionysio-Hadriana (774, la Dacheriana (800), etc. Suivent un ordre chronologique ou thmatique, pour les plus innovantes d’entre elles. Plusieurs nouveautés caractérisent d’ailleurs ces textes :
– Introduction massive de textes de pères de l’Eglise, dont l’autorité était jusque là simplement reconnue en matière de dogme : leurs ouvrages prennent dès lors valeur juridique, tandis que le droit canonique se colore d’une teinte morale bcp plus marquée.
– Dimension pratique revêtue par certaines collections comme les II libri de synodalibus causis de l’abbé Reginon de Prüm (906) : sorte de guide destiné aux évêques ds leurs visites diocésaines.
– Souci démonstratif au service des prétentions croissantes de la papauté en matière temporelle : le droit devient un instrument du combat pol.
– A l’appui de ces prétentions, rédaction de nombreux faux pendant la période caro. ds le souci de soutenir le combat pr la primauté romaine. Parmi ces documents, 2 méritent d’être cités :
* Recueils des « Faux Isidoriens » : groupe de 4 collections canoniques rédigées aux VIIIè-IXè s. qui connut un immense succès au cours du MA, au point de fournir le soubassement de collections authentiques, elles, rédigées ultérieurement.
* Surtt : La Donation de Constantin, réalisée ves 654, peut-être à Saint Denis, et insérée précisément ds les pseudo-Isisdoriens. Utilise une légende qui circulait à Rome ds les années 500. Elle mentionnait une donation faite par Constantin, atteint de la lèpre puis miraculeusement guéri par le baptême, au pape Sylvestre. La donation portait sur les termes suivants :
– reconnaissance par Constantin de la primauté romaine à l’égard des autres patriarches ;
– donation au pape du palais impérial du Latran ;
– concession à Sylvestre des insignes impériaux et des symboles du pouvoir temporel ;
– donation de l’Occident au pape, Constantin se retirant en Orient.
Prise au pied de la lettre, la donation de Constantin aboutissait donc à faire du pape l’emp. d’Occident (même si ultérieurement, prétentions réduites à la domination de la seule Italie + supériorité du pouvoir spirituel). Document largement utilisé par les juristes de l’entourage pontifical, qui, durant de longs siècles, dominèrent largement le droit et la théorie politique de leur temps.
N.B : Authenticité de la donation contestée dès le MA (légistes impériaux de l’entourage de Barberousse en 1152). Fut mise en évidence de manière définitive Par Lorenzo Valla en 1440 : un des tt premiers exemples de critique historique rigoureuse, fruit de l’humanisme naissant.
Au total, par la solidité de ses structures et par la maîtrise de l’instrument juridique, l’Eglise romaine joue en Occident un rôle qui dépasse de bcp le seul contenu religieux. Son influence s’étend enfin jusqu’au cœur de la vie des familles, en vertu du dynamisme conquérant qu’elle su donner à sa juridiction.
Section III : L’affirmation d’une souveraineté legislative
§i- la reconquête du pouvoir normatif par l’institution monarchique
Fruit de la reconstruction de l’Etat qui lui a assuré des bases matérielles solides, l’affirmation d’un pouvoir édictal autonome est intimement liée à une meilleure maîtrise des cadres conceptuels qui triomphe au cours du XIIIè s. ds la définition d’un nouveau modèle politique (A). Ce dernier, largement informé par le renouveau du droit romain et par la redécouverte des catégories philosophiques aristotéliciennes s’épanouit progressivement ds un processus législatif rénové de plus en plus complexe, sur lequel le roi de France exerça dès le XIIIè s. un quasi monopole de fait (B).
A- Les fondements théoriques du pouvoir édictal
Au XIIè s., portée par le renouveau des cadres intellectuels, la loi s’insère au coeur des débats doctrinaux contemporains, alimentant aussi bien la réflexion des juristes, qui s’efforcent d’en proposer une définition de plus en plus rigoureuse (1) que les spéculations des théologiens et des philosophes, qui en rattachent plus globalement l’exercice à une nouvelle forme de légitimité politique : réflexion menée sur la nature du pouvoir et les fondements de l’autorité (2).
1- L’élaboration d’une définition juridique opératoire (XIIè-XIIIè s.)
Droits savants en porte à faux avec la tradition juridique antérieure marquée par l’imprécision des concepts et l’émiettement des instances normatives :
– droit romain = véritable raison écrite, offre les cadres d’une nouvelle science juridique faite de rigueur et de technicité, fournit le modèle d’une autorité publique autonome et centralisée;
– droit canonique au service de la théocratie pontificale.
Ds cette double perspective, émergence rapide d’un concept essentiel, issu du droit romain, mais défriché par le double effort des glossateurs et des canonistes : celui d’universitas, conçu comme un groupe possédant une personnalité juridique distincte de celle des individus qui le composent, et déléguant sa potestas aux représentants qu’il s’est donné. T. tôt appliqué à l’Eglise, aux collectivités urbaines, aux communautés de métiers, ce concept est aussi inséparable d’autres notions comme la res publica et l’utilitas publica qui vont également concourir à l’élaboration d’une théorie de l’Etat. L’influence décisive fut ici celle du droit romain :
– Réflexion serrée sur les sources du droit, au sein desquelles l’importance de la lex, magnifiée par le Corpus juris civilis, est particulièrement soulignée. T. tôt, les glossateurs bolonais fondent sur qques uns de ces textes (Quod principi placuit habet legis vigorem et princeps legibus solutus notamment) le pouvoir de condere legem, d’établir la loi, qui n’appartient qu’ua princeps : origine de la norme, loi vivante. Certains d’entre ces théoriciens n’hésitent pas à réserver cette compétence à l’emp. germanique, considéré comme l’unique héritier du princeps romain. De leur côté, les décrétistes l’attribuent au pape, tandis qu’un fort courant doctrinal, alimenté en France comme en Angleterre par les canonistes, la revendique dès la 2nde moitié du XIIè s. pour les rois : loi = enjeu politique.
Certes, la conception d’une royauté détentrice d’un pouvoir normatif n’avait pas disparu aux Xè-XIè s. Mais elle s’inscrivait ds une vision statique du droit, fondé e sur la croyance en un ordonnancement du monde voulu par Dieu et défini une fois pour toutes, que le roi était tenu de respecter : ds ce cadre, donc, pas de véritable pouvoir créateur, innovant, mais un simple souci de la conformité à un modèle prédéfini, sur lequel on n’a aucune maîtrise.
Au contraire, la vision qu’offrent les sources justiniennes = celle d’un démiurge juridique, d’un legum conditor plus actif, dont la volonté est créatrice de règles nouvelles de portée générale.
Élucidation des rapports entre loi et coutume : une coutume raisonnable, élaborée ex certa scientia, c’est à dire en tte connaissance de cause, peut mettre en échec une loi. Toutefois, cette soumission de la coutume à la censure de la raison ouvre la voie à une législation princière destinée à en corriger les abus ou à en combler les lacunes au nom de l’utilité publique : extension du champ de la lex, qui va progressivement grignoter les marges du monopole coutumier, jusqu’à finir par l’abolir tout à fait, au cours de l’époque moderne.
– A l’image d’un roi justicier succède donc, peu à peu, au cours du XIIIè s., celle d’un roi législateur, servie par le renouveau de la réflexion doctrinale : capacité et même obligation de légiférer pour le souverain justifiée par le commun profit, dont il est seul juge, et l’utilité publique dont il est le garant : élargissement considérable du champ de l’activité normative royale, d’autant que les 2 notions précédentes ne sont guère définies… Peuvent d’ailleurs être également rattachées aux importants dév. qui touchèrent la philosophie politique au cours du XIIIè s, sous l’influence d’un renouveau des idées aristotéliciennes.
2- L’émergence d’une nouvelle philosophie politique (XIIIè-XIVè s)
Jusqu’au XIIè s., la vision du politique que se font penseurs et théoriciens de l’Etat, ou de ce qui en tient lieu, demeure largement tributaire de la théo. Cette discipline, qui s’était imposée comme champ dominant de la réflexion et paradigme de la pensée, constitue alors un axe structurant autour duquel s’organise la construction d’un État profondément enraciné ds le religieux (cf. le syst. caro. par exemple). Ds un tel contexte, la lente marche des structures étatiques vers leur laïcisation progressive a été pdt longtps freinée. Tant la domination idéologique de l’Eglise que le modèle politique engendré et légitimé par la théologie laissent peu de place pour une construction autonome de l’Etat.
Toutefois, au XIIè s., cette position hégémonique est battue en rêche pour plusieurs raisons – oeuvres des théologiens trop pointues et trop orientées ne débordent guère le cadre universitaire ;
– système trop englobant, ne répondant plus aux besoins d’une société qui se laïcise lentement, mais sûrement, pour favoriser l’émergence d’un État dont les assises sont en plein renouvellement ;
– relais théorique assuré par les nouveaux courants philosophiques qui apparaissent au cours des XIIè-XIIIè s. La philosophie de Thomas d’Aquin et de ses émules ouvrent ainsi un champ rénové à la réflexion politique. Puisant principalement aux oeuvres d’Aristote, ces nouveaux courants favorisent la naissance d’une science autonome des gouvernements et des régimes politiques, ayant pour elle son vocabulaire, ses structures de pensée et ses genres littéraires ;
– diffusion de ce nouveau stock de connaissances assurée notamment par les ordres mendiants qui investissent à la fois le milieu urbain et le tissu universitaire : s’efforcent de rendre intelligible à un public laïc et souvent de modeste culture toute une vision de l’organisation politique dont la compréhension était jusque là demeurée le monopole d’une élite : véritable révolution culturelle.
S’ouvrait ainsi tt un champ nouveau que devaient progressivement investir les juristes dont la réflexion avait contribué depuis longtemps déjà à rendre autonome une véritable « science civile » par rapporta à la théologie et à la philosophie politique. Cette science civile, qui se confond avec une véritable science du droit, s’élargit rapidement à l’étude des mécanismes de gouvernement et d’administration. Le droit se substitue donc à la théologie comme paradigme dominant : réunit en lui une triple vertu :
– sapientia : sagesse ouvrant la voie à la réflexion sur le divin ;
– scientia : chemin qui conduit à l’étude des choses humaines ;
– ars : discipline politique résolument tournée vers l’Etat et vers l’action de l’adm.
A la fin du MA le juriste est partout et le droit a tellement envahi la pensée et l’action politiques qu’il est devenu un instrument privilégié du prince et de ses agents, ce dont témoignent particulièrement les développements du processus législatif.
B- Les développements médiévaux du processus législatif
Un perpétuel décalage existe entre le pouvoir normatif que la théorie reconnaît au souverain et celui dont il peut quotidiennement user. Constamment soumis à de lourdes contraintes qui en restreignent le libre jeu, il n’autorise le souverain qu’à édicter des normes limitées à la fois en nombre et en portée. Cela jusqu’au début de l’époque moderne (XVIè s.)
1- Penser la loi
1ère phase : Du Xè au XIIè s. : silence législatif
2ème phase : au moins jusqu’au règne de Philippe Auguste, le souverain ne peut légiférer en dehors de son domaine qu’avec le consentement donné par chacun de ses vassaux. Ceux-ci, en effet, exerçant librement le droit de ban à l’intérieur de leur seigneurie, se trouvent de ce fait habilités à décider de l’ordre juridique qu’il convenait d’y introduire. Même encore en plein XIIIè s., la règle, d’application stricte, est svt rappelée. Résultat de la médiatisation féodale, elle obligeait le roi à réunir une cour plénière de vassaux chaque fois qu’il voulait arrêter une mesure de portée générale.
Tout au long du XIIIè s., tant la pression exercée par l’entourage royal que l’évolution de la pratique apportent à cette procédure des correctifs au bénéfice du roi : continue certes, à consulter les grands vassaux, mais considère désormais que la décision est acquise dès lors qu’une majorité a clairement manifesté son adhésion au projet. Afin d’écarter tte contestation, l’habitude est prise de mentionner ds l’acte élaboré les noms de ceux qui lui ont apporté leur accord.
Sous le règne de Philippe le Bel, cette évolution favorable à un exercice plus souple du pouvoir normatif royal se poursuit et dégage progressivement le souv. de l’emprise des barons. L’habitude s’instaure alors de ne plus consulter que qques uns d’entre eux, réunis en conseil : instance où légistes et techniciens de la pol. l’emportent chaque jour d’avantage, à la fois par le nbre et la capacité, sur les vassaux royaux : apparition de la technique du gouvernement par conseil : doit être consulté, mais ne lie pas le souverain.
Beaumanoir : Coutumes du Beauvaisis (1282) : dégage les conditions de validité des actes royaux :
– En temps normal : procédure rigide
– adoption par « grand conseil » = conseil large, d’allure encore féodale et regroupant un assez grand nombre de vassaux : a pour mission d’éclairer le monarque et de donner plus de force à la décision prise ;
– commun profit : justifie l’intervention royale et en limite l’objet ;
– raisonnable cause : exigence de rationalité ;
– En temps de crise : seules les deux dernières conditions doivent être remplies. La notion d’urgence dispense de l’obligation de consulter le conseil.
2- Ecrire le droit
Trois derniers siècles du MA marqués par un dév. considérable du gouvt par l’écrit. Services de chancellerie appelés à rédiger des actes tjrs plus nombreux et svt difficiles à qualifier, ds la mesure où leur forme et leur contenu doivent ss cesse se couler ds le moule d’une législation en pleine mutation. 2 grandes catégories se dessinent :
– Actes ayant valeur spéciale et ne statuant que pour une personne ou pour un groupe de personnes. Objet limité au seul destinataire, qu’il s’agisse de conférer un privilège, donner un ordre précis, faire un don, conférer une grâce ou un office : roi gouverne t administre alors plus qu’il n’use vraiment de son pouvoir normatif. Ces textes, qualifiés de lettres royaux prennent une grande extension avec le dév. de l’autorité royale. Sont régulièrement transcrits sur des registres et expédiés à leur destinataire sans publicité particulière ;
– Actes à portée générale, soit parce qu’ils s’adressent à un grand nombre d’individus, soit parce qu’ils disposent pour un ensemble territorial suffisamment étendu ou les 2 à la fois. Plusieurs termes utilisés :
– d’origine romaine : edictum, constitutio : caractère perpétuel
– stabilamentum = établissement domine au XIIIè s. le vocabulaire des actes normatifs. A la fin du siècle : ordonnance.
Nomenclature pas encore bien fixée, donc.
Ces actes généraux sont préparés sous le contrôle et la responsabilité du chancelier (2ème personnage de l’Etat). Le conseil, saisi du projet, en délibère. Après quoi le chancelier, appelé à sceller l’acte, exerce à cette occasion un contrôle, tant en ce qui concerne la forme que le fond. Puis le texte est envoyé au parlement pour y être lu, publié et enregistré : formalités de publication.
Toujours ouvertes (lettres patentes) et signées par le roi, ttes les ordonnances débutent par une adresse suivie d’un préambule qui contient des considérations sur la religion et les devoirs du roi. Vient ensuite l’exposé des motifs à l’origine de la décision, puis le dispositif, et enfin les indications de lieu et de date. Ainsi scellée, enregistrée et signée, l’ordonnance est envoyée aux baillis et sénéchaux qui doivent, sur place, en assurer publication et application : opération t. délicate car insuffisance des moyens de transmission de l’info. + précarité de l’arsenal de sanctions et de contraintes.
§ iI : L’expansion de la loi : le développement du pouvoir normatif royal
Érigée en source créatrice du droit, la loi joua, à l’époque moderne, un rôle bcp plus importante que celui de la coutume qui, désormais privée de sa fonction dynamique, se trouva confinée ds un rôle statique de source normative du seul droit privé (cf. infra). Phénomène lié :
– à l’évolution générale d’une société de plus en plus individualiste, ds laquelle la conception sociale et juridique de la famille et des groupements diminue inexorablement : sécurité de l’individu passe désormais par l’Etat, garant puis gérant de l’ordre politique, économique et social, et dont la loi constitue le pcipal instrument d’action.
– au dév. de la culture écrite et à l’accroissement des connaissances ;
– surtout : au renforcement des pouvoirs souverains confondus en une même main ds la plupart des États d’Europe. La grandeur de la monarchie et l’unification de la France passaient par une activité législative de plus en plus envahissante : la loi = un instrument efficace de modification du réel politique, social et économique. La suprématie de la loi correspond donc clairement à la mainmise de l’Etat sur le droit. La France d’AR prépare le légalisme triomphant de l’époque contemporaine.
Théorie du pouvoir législatif royal : La loi se définit matériellement par son caractère impératif, général et permanent. L’Antiquité grecque, puis romaine, nous en a légué le concept, et même les modèles formels : manifestation étatique par excellence, dont la réapparition à partir du XIIè s. est liée à la volonté de puissance de la royauté capétienne (cf. supra).
Cepndt : la notion de pouvoir législatif du roi n’a jamais été vraiment précisée jusqu’à la Rév. et le terme même de pouvoir législatif fut ignoré jusqu’au XVIIIè s. Il faut donc l’entendre comme :
« le droit pour le roi de prendre des mesures contraignantes, d’un certain degré de généralité et de permanence, connues à l’époque sous le nom de lois du roi ou d’ordonnances. »
Des origines médiévales illustrées par les développements de Philippe de Beaumanoir (cf. supra) subsista toujours le pcipe du gouvernement par conseil, qui put d’ailleurs revêtir des formes diverses :
– conseil féodal médiéval
– États généraux (XVè-XVIè s.)
– conseils de gouvernement plus techniques et plus resserrés de la monarchie administrative (XVIIè-XVIIIè).
Notion de bien commun persiste également, sous les espèces de l’intérêt général, dont le roi apparaît comme le seul véritable garant : « ce qui plaît au roi a force de loi ». Le souverain, moteur de tt l’appareil étatique, incarna t. vite les intérêts de la nation naissante ; il en tira une légitimité l’autorisant à légiférer sur le mode d’un droit universel, à organiser l’ordre public économique et à s’immiscer ds les divers droits procéduraux dès le XVIè s., voire ds le champ bien gardé du droit privé au cours du XVIIIè s.
Dès lors que cette mutation se trouva réalisée, on commença à considérer la coutume comme le droit collectif d’une somme d’intérêts particuliers : caractère infiniment moins universel que celui de la loi.
Croissance progressive de l’Etat et dév. concomitant du pouvoir royal ont donc entraîné une multiplication des actes législatifs offrant une grande diversité de forme (A) mas une commune complexité de procédure (B).
A- La diversité des actes royaux
L’exercice du pouvoir législatif à l’époque moderne :
Þ Le principe : A la différence du syst. anglais, c’est le roi seul qui légifère, puisqu’il résume en lui tt le pouvoir monarchique : comme seul représentant de Dieu et de l’intérêt général, il est la loi vivante la lex animata. Loysel : « Qui veut le Roy, si veut la loy » (Institutes coutumières de 1607) : le roi est à l’origine de tout l’ordre juridique (cf ; la formule « car tel est notre plaisir. »). Pouvoir théoriquement illimité parce que la puissance souveraine ne sauroit être bornée, se trouvant hors des lois elles-mêmes : princeps legibus solutus est (D. I, 2, 31).
Néanmoins, en pratique, la monarchie se plaça t. en retrait de cette doctrine qui constitua d’avantage une prétention politique qu’une maxime de gouvernement (cf. La loi Digna Vox : « C’est une parole digne de la volonté du prince que de se reconnaître soumis aux lois. »). Tant par prudence politique que par fidélité aux droits acquis et à la tradition, la royauté s’accommoda couramment d’un état de droit antérieur, souvent archaïque, qui freina la modernisation de la France.
En outre, respect nécessaire des privilèges et prégnance de la loi morale : espaces de libertés corporatistes (« Sire, vous pouvez tout mais vous ne devez pas tout vouloir. »)
Þ Le domaine des lois du roi :
- Territorialement : Les principes de territorialité absolue et d’exclusivité s’appliquaient ds te leur force. Les lois du rois étaient exécutées ds tt le royaume, mais par une manifestation expresse de la volonté royale, un texte pouvait être limité seulement à une fraction du territoire.
Au terme d’une concentration étatique irréversible, la monarchie exerçait seule l’autorité législative, puisqu’en vertu d’un édit de 1572, les seigneurs territoriaux ne pouvaient plus faire d’ordonnances et de règlements, sauf en les conformant aux ordonnances royales ;
En outre, les villes, jadis autonomes, avaient perdu tt pouvoir créateur de droit pour ne conserver qu’une activité réglementaire exercée en matière de voirie, d’urbanisme, de fiscalité locale, sous la tutelle du représentant du roi.
- Matériellement : Par un partage de pcipe issu de la tradition et de la crise de l’Etat au MA, les coutumes générales et particulières régissaient pcipalement les droits réels et personnels et une large part du droit pénal, tandis que les lois du roi réglaient les autres rapports socio-économiques. Toutefois, il n’est pas loisible d’opposer à ce propos un droit privé, de nature coutumière, et un doit public, plutôt législatif : distinction trop contemporaine, ss véritable correspondance ds l’ancien droit. En outre, la prééminence de la coutume en matière de droit privé ne valait que pour les matières fixées ds le passé, non pour celles à venir après le processus de rédaction des règles coutumière ; roi incité à légiférer en matière civile et notamment familiale.
Ds cette nomenclature matérielle des champs de compétence, imptce centrale de la notion de police, qui concourut pour une large part au développement des interventions législatives royales : concept aux contours flous se rapprochant d’un pouvoir d’administration générale dont le but avoué = la prospérité et l’ordre et qui tend à obliger chaque sujet à remplir les devoirs de son état. Champ immense allant ds le sens du dév. de la monarchie administrative.
D’une manière générale, donc , ttes les matières qui n’étaient pas soumises aux droits coutumiers rédigés ou aux privilèges des corps, pratiquement tous fixés au XVIè s., pouvaient entrer ds le domaine législatif royal : seul champ de compétence véritablement dynamique, face à une coutume sclérosée par la rédaction de ses principales dispositions. En outre, imptce quantitative et qualitative des besoins nouveaux engendrés par l’essor social et économique du pays.
Remarque concernant la nomenclature des actes législatifs :
Þ confusion des pouvoirs entraîne l’absence de distinction entre actes législatifs et actes réglementaires : nbreux actes d’administration individuels (comme par exemple une lettre de provision)pris sous une forme législative : ne doivent pas être confondus avec des actes de législation stricto sensu : définition purement matérielle, non formelle, du phénomène législatif.
Þ absence de système formaliste stable pour structurer l’expression de la souveraineté royale à travers ses actes : Jusqu’à l’époque moderne, les lois du roi ont porté des noms variés : établissements constitutions, statuts, pragmatiques sanctions, ordonnances. Ce dernier terme supplanta assez vite tous les autres pour signifier, ds une acception large, tte intervention législative du roi, quelle que soit sa forme ou son contenu.
Toutefois, ce même mot d’ordonnance, pris au singulier, possédait un sens plus étroit et surtout plus technique, et désignait un type bien précis d’intervention législative. Langage juridique encore mal fixé et mal assuré ds ses techniques empiriques : signe d’un Etat encore ne construction. Terminologie flottante ; formes diplomatiques diversifiées. D’où une impression générale de grande confusion. Par conséquent, la nomenclature qui suit = une simplification valable seult pour la fin du XVIIè et surtout pour le XVIIIè s.
Ds le dernier état du droit, les actes législatifs revêtent une forme principale : les lettres patentes, et 3 formes complémentaires (les arrêts du conseil du Roi ; les ordonnances ss adresse ni sceau ; les lettres closes). Le choix de la forme d’un acte dépendait :
– du sujet traité (notamment de son degré de généralité) ;
– du mode de contrôle qu pouvait s’attacher à telle ou telle catégorie d’actes. Si la tradition commandait encore le recours aux lettres patentes, le pragmatisme gouvernemental domina svt pour échapper à la surveillance des plts en multipliant les arrêts du conseil, par exemple. D’où une distinction faite par la doctrine contemporaine entre deux types d’actes :
– les actes de puissance « ordinaire » ou « réglée » du roi : mode de gouvt associant le souv. à des corps constitués capables de le conseiller, de collaborer avec lu et de le tempérer (États, plts, …) : puissance législative exprimée sous le forme traditionnelle des lettres patentes enregistrées et publiées par les cours souveraines (1) ;
– les actes de « pleine puissance » ou de « puissance absolue » que le roi émettait seul en cas de nécessité, de raison d’État ou de prérogative impartageable (affaires militaires ou diplomatiques par exemple). Formes diverses, nouvelles, que la monarchie absolue employa de + en + svt pour se soustraire à l’opposition parlementaire (2).
Ce dernier point montre bien que la seule limite véritable imposée à la souveraineté royale = la raison et Dieu, non le formalisme de procédures qui peuvent toujours être tournées.
1- Les formes traditionnelles d’expression du pouvoir normatif
Elles constituent l’expression privilégiée de la puissance ordinaire du roi. Il s’agit de lettres patentes, c’est à dire ouvertes, écrites sur parchemin et commençant par une adresse au nom du roi : « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France à tous ceux qui cette lettre verront, salut ». Suivaient un préambule plus ou moins long, indiquant les motifs de l’action, puis le dispositif où le roi exprimait sa souveraineté par le pluriel de majesté. Les articles s’y articulaient si nécessaire en titres et en chapitres. L’acte se terminait par une longue formule exécutoire puis par la signature du roi contresignée depuis le XVIè s. par u secrétaire d’État. Apposition du sceau du royaume dont la couleur de la cire (jaune, verte ou rouge) et la nature des lacs de soie et de laine variaient selon le type et la solennité de l’acte.
Lettres patentes toujours soumises à l’enregistrement, donc au contrôle des cours souveraines : caractéristique essentielle les opposant aux autres formes auxquelles le roi recourut le + svt.
Distinction à opérer entre ces actes selon des catégories fonctionnelles, en précisant que c’étaient la matière et le destinataire qui les différenciaient, et non le degré de normativité. 2 types pcipaux :
– les grandes lettres patentes, de portée générale (a)
– les petites lettres patents, mesures de portée plus individuelle (b).
a)- Les grandes lettres patentes
Là encore, une nouvelle distinction s’impose, tjrs en fonction du plus ou moins grand degré de généralité et de solennité de l’acte, entre les ordonnances (a), les édits (b) et les déclarations (g).
a)- L’ordonnance
Il s’agit ici de l’ordonnance, considérée ds son acception stricte et technique.
Acte de portée générale et permanente, réglant une matière ou une série de matières, l’administration de la justice ou des eaux et forets par exemple. L’ordonnance peut également contenir les dispositions les plus diverses, telle une loi fourre-tout.
L’ordonnance se caractérisait donc surtout par la généralité de son champ territorial et par sa solennité : les grandes réformes et les tentatives de codification des XVIIè-XVIIIè s. se firent par voie d’ordonnances. Bref, l’ordonnance = l’acte législatif par excellence, expression de la plénitude de la majesté royale.
b)- L’édit
Traitait au contraire d’un sujet bien défini (le duel, la taile), ou n’intéressait qu’une région délimitée ou une catégorie spéciale de sujets (noblesse, corps de métiers, protestants,…).
La différence entre ordonnances et édits était svt bien mince. Toutefois, à titre d’exemple fameux, on cite svt 2 textes datés des mêmes lois et lieux et que l’on ne doit pourtant point confondre :
– l’ordonnance de Moulins de février 1566 : réforme l’administration de la justice ds son ensemble = vaste question s’appliquant à la totalité des justiciables du royaume ;
– l’édit de Moulins de février 1566 également : définit la gestion du domaine de la couronne et confirme son inaliénabilité ; ne concerne par conséquent qu’une catégorie spécifique de biens, ceux qui appartiennent au domaine public de l’Etat royal.
g)- La déclaration
Se présente comme un acte interprétatif d’une ordonnance ou d’un édit, d’un privilège, voire d’un article de coutume en vigueur : explique, réforme ou restreint des textes antérieurs sur des points particuliers. N’est donc pas à proprement parler un acte pleinement créateur de droits nouveaux : simple aménagement d’institutions juridiques existantes. A la différence des édits et ordonnances, seult datés du mois et de l’année, les déclarations portent également la mention du jour de leur adoption.
b)- Les petites lettres patentes
Ne portent aucune dénomination spéciale (= ni ordonnance, ni édit, ni déclaration). Dûment scellées et enregistrées, comme les autres lettres patentes, elles concédaient le privilège d’une situation juridique spécifique à une province, une ville, une cour souv., un corps de métier, ou un simple particulier. Relèvent bien de la confusion des pouvoirs, ds la mesure où il est t. difficile de dire si elles constituaient des actes de législation, d’administration ou de juridiction.
On les subdivise en 3 catégories pcipales :
– lettres royaux (a) ;
– lettres de sceau (b) ;
– lettres de privilèges permanents (g)
a)- Les lettres royaux
On appelait ainsi ttes sortes de lettres émanées du roi scellées du grand ou du petit sceau. Elles intervenaient sur requête, toujours pour délivrer une concession ou accorder un droit nouveau, le + svt exorbitant du droit commun.
¨ Lettres de grâce délivrées en grande chancellerie et scellées du grand sceau : accordées par faveur par le roi à qui bon lui semblait : bon vouloir fondé sur le pcipe de souveraineté.
– ds le domaine pénal lettres d’abolition (remise de la peine de mort), de pardon, de commutation de peine, de rappel de ban , etc.
– ds le domaine civil ou commercial : lettres de séparation de biens, de bénéfice d’inventaire, de permission de vendre, etc.
¨ Lettres de justice : lettres de petit sceau, fondées sur le droit commun ou portant mandement de rendre la justice. Ce qui les distinguait des précédentes = la volonté du roi d’en institutionnaliser la délivrance en abandonnant à ses officiers de judicature l’examen du bien fondé des requêtes.
b)- Les lettres de sceau plaqué
Relevaient ds leur ensemble du domaine de l’adm. publique. Elles étaient adressées à des officiers de finances, de justice, etc., et contenaient des instructions adm. analogues aux circulaires ministérielles modernes. Elles furent innombrables sous le nom de mandements, jusqu’au XVIè s. Elles prirent la forme de lettres de sceau aux XVIIè-XVIIIè s. sceau plaqué sur un carré de papier recouvrant la cire.
g)- Les lettres de nomination et de privilège
Lettres patentes à caractère individuel contenant une nomination (lettres de provision d’offices ou de commission) ou une concession personnelle (lettres de noblesse ; création de manufactures royales ; lettres de course). Pouvaient également concerner la concession d’un privilège collectif à un corps de métier (monopole éco.), une ville (exemption fiscale) ou la constitution d’une nouvelle personne morale (un corps professionnel, une société littéraire, etc.).
2- Les formes nouvelles revêtue par la puissance du roi
Échappant à la pesante censure des cours souveraines, elles se multiplient au cours des XVIIè-XVIIIè s., tant en ce qui concerne les actes à portée générale (a) qu’en ce qui regarde les actes à portée spéciale (b). On notera toutefois que cette distinction commode souffre un certain nombre de tempéraments, tenant à la nature hybride de la plupart de ces textes.
a)- Les actes à portée générale
Il s’agit essentiellement des arrêts du conseil du roi (a) et des ordonnances sans adresse ni sceau (b).
a)- Les arrêts du Conseil du Roi
Procédure d’enregistrement des lettres patentes est politiquement aléatoire, conduisant la royauté, surtout à partir du règne de Henri IV, à utiliser la forme des arrêts du conseil. De nombreuses et importantes mesures novatrices prirent ainsi cette forme, les arrêts pouvant au demeurant être rendus hors de la présence du roi, et simplement signés et expédiés par un secrétaire d’État.
Env. 800 000 arrêts du conseil du roi : sont encore mal connus. Conseil = un organe complexe, polymorphe, qui, près du roi, et théoriquement toujours à titre consultatif, participait au gouvt, à la justice retenue du roi et à la préparation de la loi. Les particuliers, comme les collectivités, y portaient leurs affaires. Les actes du Conseil étaient donc multiples et divers :
– arrêt simple : décision de justice parfois investie d’une portée générale et réglementaire ;
– arrêt en commandement de procédure expéditive, immédiatement exécutoire par les autorités auxquelles il était adressé = acte d’administration et de gouvernement pris ds les conseils de gouvernement où siégeaient ordinairement le roi et ses ministres (Conseil d’État, Conseil des Dépêches, Conseil des finances). Manifestation la plus directe, pour ne pas dire la plus brutale du pouvoir législatif du roi. Échappant à tout contrôle, même à celui du chancelier, ces arrêts furent svt de véritables lois et exaspérèrent considérablement les cours souveraines.
b)- Les ordonnances sans adresse ni sceau
Elles constituent l’expression de la pleine puissance du roi sous sa seule signature. Genre parfaitement caractérisé, dont on possède de nombreux exemples depuis le XIVè s. Leur emploi s’amplifia au XVIè pour subsister jusqu’à la fin de la monarchie adm.
Elles se présentaient sous une forme impersonnelle, sans adresse, avec pour simple formule : « Le roi veut et ordonne », ou, au XVIIIè s. « De par le Roi », à l’instar des lettres de cachet. Le sceau du royaume n’y était pas apposé, la seule signature du Roi, avec le contreseing d’un secrétaire d’État les validait, sans avoir à subir l’enregistrement en cours souveraines. Elles étaient donc directement appliquées par les autorités civiles ou militaires auxquelles elles étaient adressées. Régissaient des domaines ds lesquels le roi avait toujours décidé seul et sans contrôle : celui des affaires militaires et de sa propre maison. Les impératifs de la guerre justifièrent cette pleine souveraineté qui permit la libre adm. de l’armée, de la marine et des colonies. Il en était de même de l’organisation du Conseil du Roi t de la Maison du Roi. Les déclarations de guerre, enfin, étaient également faites ds cette forme péremptoire, pour manifester que cette prérogative appartenait au Roi ss dépendance et ss partage.
b)- Les actes à portée spéciale
a)- Les brevets
Brevets en forme de P.V. par lesquels le roi concédait une grâce quelconque, ou nommait à un poste ou à un grade : brevet de conseiller du roi, par exemple.
b)- Les lettres closes
Ce n’étaient certes pas des actes de législation, même si leur émission se fondait parfois sur le pouvoir législatif du roi. Elles n’en apparaissent pas moins comme une forme complémentaire et bâtarde des actes royaux.
Lettres closes préparées par les bureaux des ministres, signées par le roi et contresignées par un secrétaire d’État ; elles étaient scellées du sceau du secret (sceau personnel du roi). Servaient à toutes sortes d’usages : ordres de détail donnés à des agents royaux ; convocation aux assemblées d’États provinciaux ; lettres aux bonnes villes, etc.
Les plus connues = les lettres de cachet, portant toujours en en tête « De par le Roi » et exprimant un ordre adressé à un corps constitué pour une réunion, à un magistrat pour le mettre en possession de son office, à une cour souveraine pour la prier de procéder à l’enregistrement d’une ordonnance, ou à un lieutenant de police pour lui enjoindre d’arrêter ou d’exiler une personne nommément désignée, sans autre forme de jugement : prises autant pour affaires d’État, de religion, de police, que ds l’intérêt des familles, sur requêtes des particuliers. Véritables actes de juridiction, plus que d’adm., fondés sur la toute puissance judiciaire du roi.
B- La relative complexité du processus législatif
Cette complexité tient moins aux conditions d’élaboration des textes normatifs, largement maîtrisées par le roi (1) qu’aux procédures de vérification de leur contenu, qui, dépassant le cadre du seul contrôle juridique, prirent souvent l’aspect d’une véritable censure politique fondée sur la défense d’intérêts sociaux, sur la promotion d’un programme de réformes ou sur des considérations d’opportunité (2).
1- Élaboration
Phase de concertation où s’exprime bien l’ambiguïté de la monarchie absolue : à la fois affirmation d’une puissance souveraine sans partage et prise en compte des revendications des corps constitués et des requêtes des particuliers. 2 phases essentielles sont à distinguer : celle de l’initiative, svt partagée (a), et celle de la rédaction proprement dite, confie aux spécialistes de la chancellerie (b).
a)- Initiative
Elle appartenait théoriquement au roi. Cepdt, le souverain ne manquait point de s’entourer des conseils les plus sûrs de diverses autorités compétentes par application du pcipe de gouvernement par grand conseil. Rôle essentiel joué par certains chanceliers (Michel de L’Hospital, D’Aguesseau, Maupeou) et ministres (Colbert, Necker) : furent de grands législateurs, ayant incontestablement exercé une activité créatrice.
Initiative pop. pas négligeable :
– requêtes des particuliers ou des corps sollicitant lettres patentes ou privilèges ;
– États généraux : les 3 ordres, eurent, jusqu’à leur dernière réunion, en 1614, une influence certes limitée mais non négligeable, par le biais des « cahiers de doléances », contenant de nombreuses propositions de réformes. Toutefois, tenus à l’écart de l’exercice du pouvoir législatif, ils demeuraient frappés d’impuissance lorsque le roi refusait de tenir compte des voeux qu’ils avaient formulés.
Malgré tout, au XVIè s. leur emprise sur la législation royale fut réelle : plusieurs ordonnances imptantes prises suite à leurs doléances (ordonnance d’Orléans faisant suite aux États d’Orléans de 1560, et ordonnance de Blois de 1579 consécutive à ceux tenus à Blois en 1576). Au XVIIè s. cette pratique tomba en désuétude, jusqu’à ce que Louis XVI les convoque de nouveau en 1789 pour faire adopter des réformes fiscales.
– États provinciaux, là où ils subsistent (Artois, Bretagne, Languedoc, etc.) faisaient annuellement parvenir au roi des cahiers particuliers pour le prier de prendre, ds tous les domaines du droit, des mesures appropriées à la conjoncture locale.
b)- Formalisation
Le souv. faisait préparer par son conseil ou l’une des sections de celui-ci le projet dont lui-même ou l’un de ses collaborateurs avait eu l’initiative. Pour les grandes réformes législatives, plusieurs procédures consultatives pouvaient être organisées :
Þ Parfois, une commission spéciale de magistrats et de conseillers d’État, instituée à cette fin, procédait aux travaux préparatoires indispensables avant l’élaboration définitive de l’acte (cf. les grandes ordonnances de Louis XIV des années 1667-1685 : infra)
Þ De même des enquêtes préparatoires furent fréquemment ordonnées pour élaborer plus sûrement des réformes prenant en compte les réalités locales et les avis fournis par les corps et communautés, les États, les notables, les praticiens, les parlements consultés à des degrés divers : méthode suivie par D’Aguesseau au XVIIIè s.
Þ Enfin, jusque vers 1550, le roi associait volontiers les gens de sa cour de parlement qui donnaient ainsi leur avis avant la rédaction définitive d’un texte qu’ils enregistraient ensuite d’autant plus facilement.
Toutefois, ds la grande majorité des cas, les documents étaient simplement préparés par les commis des bureaux et les conseillers d’État rompus aux pcipes d’une monarchie de plus en plus administrative.
Finalement, et à l’ordinaire, un examen avait lieu au cours d’une dernière délibération du conseil du roi prise en présence du souverain qui tranchait les ultimes difficultés. Si l’acte était en forme de lettres patentes, il était alors envoyé à la chancellerie pour l’apposition du sceau ; sinon, il ne subissait plus aucun contrôle et était expédié directement par l’un des secrétaires d’État chargés d’en faire assurer l’exécution par les autorités locales.
2- Vérification
N’intervenant que ds le cadre des lettres de patentes, elle constituait le pcipal moyen juridique d’opposition à la volonté du monarque. 2 instances en étaient plus spécialement chargées : la chancellerie (a) et les parlements (b).
a)- En Chancellerie
Le chancelier, 1er personnage du royaume après le roi, était non seulement ministre de la justice, mais également chef du service des écritures et gardien permanent des sceaux du royaume. Homme d’expérience et le plus souvent éminent juriste, le chancelier avait le devoir de vérifier la conformité du texte avec la législation du royaume et de déceler si la confiance du roi n’avait pas été surprise à l’occasion d’un acte sollicité par un particulier : contrôle exercé sans exception et sans réserve de 1318 (date de l’ordonnance en portant institution) à la fin de l’AR. 2 hypothèses :
à Texte conforme : apposition du grand sceau de France lors d’une audience publique (l’Audience du Sceau). Devait ensuite être envoyé aux cours souveraines afin d’enregistrement.
à Texte jugé non conforme : le chancelier refusait d’apposer le sceau ; l’acte devait alors subir un nouvel examen, sauf si le roi passait outre et ordonnait à son chancelier de procéder aux scellement de l’acte. A ce stade, 2 attitudes du chancelier sont alors possibles :
- acquiescement du chancelier, qui pouvait alors sceller le document avec la mention « scellé de l’exprès commandement du roi », ce qui aboutissait à décharger sa responsabilité ;
- refus d’obtempérer plus ou moins durable. En cas de crise grave, le roi pouvait soit sceller lui-même, en reprenant temporairement les sceaux (comme Louis XV en 1757-1762), soit confier ceux-ci à un garde des sceaux nommé pour quelques mois ou pour quelques années = simple commissaire révocable.
N.B. : Cette phase d’authentification de l’acte était incontournable, correspondant, mutatis mutandis, à l’actuelle procédure de promulgation. Ensuite suivait l’étape ultime de la publication, assurée par le truchement de l’enregistrement devant les cours souveraines en l’absence d’un J.O.
b)- Par les cours souveraines
a)- La procédure d’enregistrement
- Formalités de publication : La pratique de l’enregistrement des lettres patentes et de leur publication s’est introduite en coutume ds la 1ère moitié du XIVè s.. L’aspect technique l’emportait alors largement sur l’aspect politique. Il convenait simplement de porter à la connaissance de tous le contenu de la loi nouvelle. La formalité de l’enregistrement apparaît ainsi à l’origine comme un mesure d’ordre tendant à assurer la conservation, la publication et l’exécution des lettres royaux, ainsi que des traités et même des concordats. Se traduisait, d’un point de vue matériel, par la simple copie sur un registre conservé parmi les séries du greffe d’une cour de justice (registre aux ordonnances ; registre aux placards) : mémoire du droit législatif.
L’enregistrement se pratiqua donc ds ttes les cours souveraines d’abord à Paris, au plt et à la chambre des comptes, avt de s’étendre aux autres plts au fur et à mesure de leur érection et aux diverses cours souveraines financières, cours des aides, chambres des comptes, chambre du Trésor ou cour des monnaies. Prééminence morale et politique du plt de Paris.
- Formalités de vérification : De bonne heure, et à l’invitation du roi, les cours souveraines, les cours souveraines lui ont adressé des observations à l’occasion des lettres qui leur étaient envoyées pour enregistrement. Ces observations, toute techniques, prirent le nom de remontrances ou de représentations. Prérogative générale des remontrances vite introduite en coutume, qu’il s’agisse de lettres de portée individuelle ou des ordonnances fixant la loi générale.
Par extension, les cours se virent investies d’un contrôle de légalité, tant sur la forme que sur le fond, non seult pour sauvegarder les intérêts du roi, mis aussi pr éviter les contradictions de sources, les conflits des lois et des coutumes. Bcp de plts en tirèrent profit pour protéger leurs particularismes locaux de droit coutumier ou de droit écrit. La prérogative d’enregistrement et de remontrance freina donc svt l’unification du droit.
- Procédure : Procureur général du roi requérait l’enregistrement conformément aux ordres du souv. dont il représentait les intérêts au titre du ministère public. Les ordonnances relatives au droit privé, à l’état des personnes à la police générale, aux affaires d’Église, allaient devt le plt, tandis que les lois fiscales, financières et monétaires étaient transmises aux cours financières spécifiques qui possédaient les mêmes pouvoirs.
Le texte faisait ensuite l’objet d’un examen et d’un rapport par un ou plusieurs conseillers de la cour afin d’y déceler les éventuels erreurs, les anomalies, les abus de droit. En audience de Grand’Chambre, après avoir entendu les gens du rois, la cour opinait. S’il y avait conformité, le texte était transcrit immédiatement par le greffier. La cour souveraine, par les soins de son Procureur général en faisait exécuter des copies certifiées conformes, le plus svt imprimées pour les actes d’intérêt général qui étaient ensuite notifiées pour exécution aux juridictions subordonnées. Parfois, lecture prescrite au prône du dimanche ou « à cors et à cris » ds les lieux accoutumés.
b)- La pratique des remontrances
La cour pouvait également refuser l’enregistrement et, ds le secret de ses délibérations, adresser au roi de « très humbles et très respectueuses remontrances ». En renvoyant le texte, elle formulait ts ses griefs. Lorsqu’il s’agissait d’une ordonnance de grande imptce, le 1er président venait en personne exposer les motifs du refus au chancelier ou au ministre concerné. 2 hypothèses possibles :
– Le roi faisait droit aux observations : le texte était amendé et passait alors ss difficulté : solution fréquente car jeu du gvt à grand conseil.
– Le roi estimait au contraire que les remontrances n’étaient pas justifiées, il passait outre et ordonnait l’enregistrement d’autorité. Ce fut parfois le début de conflits fort longs :
* envoi de lettres de jussion (lettres patentes solennelles ou lettres closes, encore plus péremptoires)
* si refus persistant des parlementaires et remontrances itératives : nouvelles lettres. Ce jeu de navette entre le plt et le gvt se déroulait tandis que des tractations avaient lieu ds les coulisses. Lorsque le compromis échouait, soit la cour se résignait à enregistrer, en précisant qu’elle le faisait « de l’exprès commandement du roi », soit elle ne déférait pas aux lettres de jussion et se préparait à l’enregistrement « forcé ».
* procédure du lit de justice : recours extrême employé sult à l’égard des plts, et plus précisément du plus turbulent d’entre eux : le plt de Paris. Présence du monarque, accompagné de son chancelier, de pairs de France et de conseillers d’État suffisant à assurer la suspension de délégation accordée au plt : restauration momentanée du conseil du roi, au sein duquel précisément les pltaires n’étaient plus assujettis qu’à un devoir de conseil. Les lettres destinées à l’enregistrement étaient lues devant le roi ; le chancelier recueillait les vais de ses conseillers et le roi lui-même prononçait l’arrêt d’enregistrement. Le greffier transcrivait et le procureur n’avait plus qu’à veiller à l’exécution. Le roi avait donc le dernier mot. Néanmoins, l’histoire des remontrances révèle que plusieurs plts paralysèrent l’exécution des textes ainsi enregistrés par des arrêts contraires ou par la suspension du service de la justice, poussant la royauté à des mesures extrêmes, telles que l’assignation à résidence ou l’exil des parlementaires les plus rebelles.
Lorsque l’événement ne l’exigeait pas, ou si la cour souveraine était de moindre importance et éloignée, le roi ne siégeait pas en lit de justice et envoyait un porteur d’ordre (commissaire, conseiller d’État, gouverneur de province, ou le plus souvent : intendant) muni d’ordres enjoignant l’enregistrement forcé. C’était à vrai dire le procédé le plus habituel.
g)- Du contrôle de légalité à l’esquisse d’une censure politique
C’est donc seult au terme de l’enregistrement qu’une ordonnance pvait être exécutoire ds le ressort du plt concerné. La formalité avait une justification juridique et technique qui ne pouvait, en fin de compte, mettre en échec la souveraineté législative du roi. Toutefois, en invoquant des thèses politiques qui exaltaient la monarchie tempérée et au grè des événements qui mirent les plts au 1er plan, les pltaires dévièrent insensiblement d’un contrôle de légalité vers un contrôle d’opportunité leur assurant un pvoir politique : prérogative des remontrances devint le droit de remontrances que la monarchie absolue tenta de limiter : « procès des 300 ans. »
Contestation pltaire née avec l’affirmation de la monarchie absolue et cristallisée autour du plt de Paris. S’est développée pour 3 raisons essentielles :
– absence de séparation des pouvoirs autorisait les plts à intervenir autant sur le terrain judiciaire que fiscal ou adm. au nom d’une compétence polyvalente naturellement porté à se développer.
– royauté avait soutenu l’action des plts ds leur lutte contre les grands seigneurs ;
– circonstances de la fin du XVIè (guerres de religion, Ligue) firent des plts des autorités quasi-gouvernementales
Dév. d’une théorie politique faisant des pltaires les héritiers de la tradition et les représentants permanents des États généraux unis les uns aux autres ds la théorie des classes et ne formant qu’un seul corps. Imitation du plt britannique.
D’où un conflit très long, qui ne connut guère de répit qu’entre 1673 et 1715 (droit de remontrance a posteriori) et qui gêna considérablement les tentatives de réforme de la monarchie. N’a toutefois pas empêché une première esquisse de codification du droit aux XVIè-XVIIIè .
Section II : Le mouvement de codification
§ I- Les premières synthèses législatives
Il semble difficile de parler, sur le fond, d’une véritable œuvre législative, inscrite ds un programme d’ensemble cohérent, avant le XVIè s. Certes, dès le XIVè et par intermittence, le roi rendit de grandes ordonnances pour la réforme générale de l’Etat, le plus svt pour donner suite à des doléances de États généraux. Toutefois, il s’agit de textes épars, confus et faiblement novateurs : la coutume, bcp plus que les ordonnances royales faisait avancer le droit.
A partir du XVIè s. une succession de plusieurs souv. (Louis XII, François 1er et Henri II notamment) fit évoluer rapidement les institutions en prenant davantage conscience de l’importance cardinale du pouvoir législatif comme mode de transformation du réel. Dès lors, durant ce siècle, la royauté s’efforça de déterminer par voie d’ordonnances, en s’appuyant sur les États généraux ou sur les assemblées de notables, le nouveau cadre de l’activité publique et privée. Œuvre imparfaite mais assez bien perçue, car la volonté de réforme était autant celle des sujets que des monarques. 2 grandes périodes à distinguer :
– une période de réformation générale (XVIè-début XVIIè s.)
– un mouvement d’unification du droit inauguré par Louis XIV et ds une moindre mesure par Louis XV, qui parvinrent à une codification partielle grâce à une suite d’ordonnances dont une grande partie du contenu fut d’ailleurs reprise ds les codes napoléoniens (B).
A- Les ordonnances de réforme générale (XVIè – début XVIIè s.)
Réponses aux doléances des « États » du royaume, ces ordonnances, par l’extrême étendue des secteurs traités et leur grande diversité, se présentent sous un jour un aspect essentiellement hétéroclite :
– traitent des matières fort variées : une même ordonnance pouvait concerner la justice, la religion, la noblesse, le droit civil.
Ex : Ordonnance de 1561 : article 105 relatif à la révision des statuts de l’Université suit immédiatement une disposition prescrivant l’expulsion des Bohémiens.
– absence de systématisation et de classification ds ces lois : cela tient autant au peu de progrès de l’esprit de méthode qu’à l’état complexe de la société, et surtout aux réponses empiriques faites aux doléances des États généraux : sorte de dialogue législatif continu.
Caractère novateur pas moins incontestable, tant en droit public qu’en droit privé.
1- L’ordonnance de Villers-Cotterêts ( août 1539)
192 art. Sobrement intitulée « ordonnance sur le fait de justice » ; œuvre du chancelier Poyet apportant d’importantes innovations ds tous les domaines :
– En droit civil : mesures protectrices d’ordre public : insinuation des donations entre vifs (à l’origine de la transcription moderne) permettant à quiconque veut acquérir un droit réel sur un bien de vérifier sur un registre public si ce bien se trouve encore ds le patrimoine du cocontractant ; interdiction de tester ou de disposer en faveur de son tuteur ou curateur.
– En droit processuel : Limitation de la compétence des cours d’Église en matière matrimoniale ; réglementation de l’appel comme d’abus ; instauration de la procédure inquisitoire d’office par le ministère public en matière pénale ;
– Substitution du français au latin ds la rédaction des actes notariés ; 1ère organisation de l’état civil : curés enjoints de tenir à l’avenir des registres de baptêmes et de sépultures. Néanmoins, ces registres paroissiaux, conservés aujourd’hui ds les A.D, ne furent convenablement tenus qu’au siècle suivant.
Au total, cette loi demeura un monument du droit et s’inscrit comme un exemple type de texte pluridisciplinaire conforme à l’esprit de l’époque.
2- L’ordonnance de Moulins (février 1566)
Œuvre du chancelier Michel de L’Hospital. Réformait principalement la justice (perte de la compétence civile des justices municipales), mais touche aussi, d’une manière générale, le droit privé et le droit public :
– droit privé : exigence de la preuve écrite pour toute convention dépassant 100 L (art. 54), reprise ds l’art. 1341 du C. Civil. Interdiction de prouver contre et outre les actes = rév. ds le droit des preuves, puisque désormais « lettres passent témoins. ». Substituions soumises à un régime de publicité par la procédure de l’insinuation.
Au pénal : généralisation de la règle de la compétence du juge du lieu du délit plutôt que celle du domicile du délinquant : autant de nouveautés voulues par le pouvoir royal mais qui allait contre la tradition du MA.
– droit public : restriction du pouvoir des gouverneurs de provinces (avaient svt abusé de leur autorité à la faveur des troubles) ; défense d’imprimer des livres ss l’autorisation du pouvoir : nécessité d’obtenir un privilège spécial.
3- Le « Code Michau » (janvier 1629)
Vaste loi promulguée sous Louis XIII : vient clore, par un échec, la série des ordonnances générales. Répondait en pcipe aux voeux du peuple consulté : « Ordonnance sur les plaintes des États assemblés à Paris en 1614 et de l’assemblée des notables réunie à Rouen et à Paris en 1617 et 1626 ». Louis XIII s’était notamment engagé « au rétablissement de tous les ordres de son royaume » et à développer « la grandeur de son État et la dignité de sa Couronne. ». Conçue ds un esprit d’harmonisation et de novation, cette longue ordonnance de 461 art. traitait encore de sujets aussi divers que les affaires ecclésiastiques, universitaires, fiscales, maritimes et judiciaires. Elle s’efforçait de régler une série de questions touchant au droit privé (propriété, substitutions, donations, successions, faillites, prêts à intérêt), et c’est d’ailleurs la 1ère fois que le pouvoir royal visait à tant de réformes en un seul texte.
L’ordonnance n’en suscita pas moins une levée de boucliers, en particulier parce qu’elle allait à l’encontre de traditions biens établies (prétendait notamment établir la « directe universelle » du roi sur toutes les terres du royaume, sauf preuve expresse de leur allodialité) : les plts du Midi refusèrent l’enregistrement et nourrirent une longue polémique ; partout ds ceux du Nord (sauf en Bourgogne), l’enregistrement fut forcé. La royauté, pas encore assez affermie, ne put faire appliquer le texte, qui fut alors retiré. Par dérision, l’ordonnance prit le surnom de « Code Michau », du prénom de son auteur, Michel de Marillac, garde des sceaux de 1626 à 1630.
Annonçait pourtant les grandes ordonnances d’unification de la fin du siècle.
B- Les grandes ordonnances de codification
A la différence de leurs homologues du XVIè s., les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV ont l’empreinte de l’unité. Le souci d’unité juridique est alors le corollaire de l’unité politique. A partir de Louis XIV, effort de la monarchie pour unifier et codifier, répondant ainsi à un besoin ressenti depuis longtemps, mais que seule une force coactive pouvait parvenir à concrétiser : multiplicité des textes royaux, confusion de leurs dispositions source de complexité, d’insécurité juridique et de divergences jurisprudentielles. D’où le dév. d’une aspiration générale vers plus de simplicité, même si l’unification totale du droit paraissait encore constituer une entreprise prématurée.
Méthode suivie : avant de réaliser l’unité ds le droit privé, qui variait considérablement d’une région à l’autre, il fallait d’abord l’imposer dans chacune des branches du droit. D’où l’idée de Colbert d’abandonner les réformes générales pour se concentrer sur des ordonnances n’envisageant à chaque fois qu’un sujet clairement déterminé. Par leur ampleur, leur clarté et leur méthode, ces ordonnances constituèrent immédiatement de véritables codes, divisés en titres et en articles cohérents. Comme oeuvres de composition et de législation, elles étaient en tout état de cause, très supérieures à leurs devancières des XVè-XVIè s. et annonçaient les codes napoléoniens, dont certains (Code de commerce, code de procédure pénale), n’en constituèrent que des éditions remaniées.
1- Colbert et la systématisation du droit
A l’époque où la monarchie absolue consolida son acquis, l’impulsion législative ne vint plus du chancelier mais de ministres d’État tels que Colbert et son fils le marquis de Seignelay : passage de la monarchie justicière à la monarchie adm. : « L’unité de la législation serait assurément un dessein digne de la Grandeur de Votre Majesté et lui attirerait un abîme de bénédiction et de gloire. »
But = réunir toutes les lois en cours d quelques codes et profiter de cette révision pour y introduire des réformes rendues communes à toute la France. L’idée est également d’abaisser la morgue des cours souveraines en rendant les textes législatifs plus clairs, et en limitant d’autant leurs possibilités d’interprétation et d’intervention.
Grandes ordonnances publiées entre 1661 et 1685, inspirées le plus souvent de Colbert et préparées par des commissions spéciales : conseil de réforme suscité par Colbert : composé de conseillers d’État et de praticiens et dirigé par son oncle Henri Pussort. En même temps, mais de manière indpdte : travail mené par le 1er président du plt de Paris, Lamoignon, en collaboration avec quelques éminents juristes. Le roi, informé de ce 2nd projet, fit se rejoindre les 2 initiatives ds une commission mixte : le conseil de réformation de la justice. C’est elle qui élabora, non sans tensions et controverses, les 2 premières ordonnances, civile (a) et criminelle (b).
a)- L’ordonnance civile (Avril 1667)
Code Louis = véritable code de procédure civile en 35 titres. Est avant tout l’œuvre de Pussort, défenseur des idées absolutistes tendant à limiter les pouvoirs des plts (à la différence de Lamoignon).
Une même procédure fut dorénavant imposée à tous les tribunaux français ; procédure surtout écrite, simplifiée par la suppression de formalités inutiles pour assurer des jugements plus rapides. Ordonnance de 1667 reprise à peu près textuellement ds le code de procédure civile de 1806 qui resta t. longtemps en vigueur. Le code civil de 1804 lui emprunta également le chapitre relatif aux preuves.
L’application du code suscita quelques résistances, mais la fermeté du gouvernement l’imposa, tandis que ses qualités et sa modernité assurèrent son succès.
b)- L’ordonnance criminelle (Août 1670)
1er code de procédure pénale. Vint combler le retard de la France sur les pays voisins. A l’instar de ce qui s’était passé pour l’ordonnance civile, le roi, ne pouvant pas plus intervenir de plain pied en droit pénal qu’en droit civil, réglementait la forme à défaut du fond.
Au cours des travaux préparatoires, Pussort s’est efforcé de simplifier les règles de procédure écrite en vue d’une répression plus rapide et exemplaire des crimes et délits ; Lamoignon se fit, sans succès, le défenseur des intérêts des inculpés. Cet texte prolongeait l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539), maintenant notamment l’instruction secrète et les pénalités de cette époque. Peu libérale, l’ordonnance confirma l’interdiction pour l’accusé d’avoir un défenseur, et conserva la torture et le serment de dire la vérité imposé aux accusés, même contre eux-mêmes. Le système des preuves légales et les procès aux cadavres subsistèrent également.
Malgré ces défauts, l’ordonnance présentait un progrès indéniable sur l’état antérieur du droit :
– appel obligatoire au plt en cas de condamnation à une peine capitale ;
– réduction de la justice pénale à 2 degrés ;
– contrôle plus sérieux de la justice seigneuriale ;
L’ordonnance servit de base aux lois criminelles plus libérales de 1791 et de l’an IV, mais surtout elle fut littéralement la source du Code d’instruction criminelle de 1808.
Ce texte, comme celui de 1667, fit l’objet de nombreux commentaires, dont le + fameux et le + minutieux = celui de Daniel Jousse.
Enfin, d’autres ordonnances furent rédigées par le seul conseil de réforme cette, fois, c’est à dire sans l’intervention des magistrats : ordonnance sur les eaux et forêts (août 1669) ; ordonnance de commerce, également appelée Code Marchand ou Code Savary (mars 1673) ; ordonnance de la marine (Août 1681) ; Code noir (mars 1685) « touchant la police des îles de l’Amérique » : 1er code colonial, réglemente notamment l’esclavage.
2- D’Aguesseau et l’évolution vers un droit civil commun
Henri-François d’Aguesseau, chancelier de 1717 à 1750, travailla ds le sens d’un droit civil commun en publiant 3 ordonnances dont l’objet avoué = l’harmonisation de la jurisp. de quelques matières (donations, testaments, substitutions), sans prétendre porter atteinte aux coutumes des lieux.
Le chancelier avait cepdt le projet d’une codification bcp plus imptante, à laquelle il travailla toute sa vie, mais il dut se contenter d’une unification t. parcellaire. Son principal collaborateur ds cette tâche = le procureur général du plt de Paris, Joly de Fleury, h. de dossiers et d’une grande autorité morale. Afin de bien connaître la jurisprudence des plts : rédaction d’un questionnaire relatif à chacune des matières visées par les réformes et portant sur les points les plus controversés. Réponse t. détaillée émanant des différentes cours souveraines servant de base à la rédaction des différentes ordonnances :
¨ Ordonnance sur les donations (février 1731)
¨ Ordonnance sur les testaments (août 1735) : Déf. de 2 régimes, l’un pour le Nord, l’autre pour le Midi : représente paradoxalement une étape vers l’unité.
¨ Ordonnance sur les substitutions (août 1747)
Apport donc apparemment limité : ne concerne qu’un secteur étroit du droit privé, celui des actes de transmission à titre gratuit : domaine technique où l’unification du droit parut le plus facile à réaliser.
En outre : caractère fragmentaire et lacunaire de cette entreprise : en droit privé surtout, peu de questions ont été réglées, et les ordonnances de Colbert traitent de sujets qui n’étaient en rien du ressort de la coutume (commerce, procédure, droit maritime). De manière significative d’ailleurs, il est à remarquer, à côté de l’absence d’un J.O, le défaut de recueils officiels de législation royale : collections privées s’efforcent d’y suppléer (comme les Édits et ordonnances des rois de France depuis François 1er jusqu’à Louis XIV, de Néron et Girard, publié pour la 1ère fois en 1647).
Œuvre néanmoins imptante par sa postérité doctrinale et surtout législative : Brèche par laquelle l’Etat monarchique a imposé son rôle de législateur général, ouvrant une voie qui fut ultérieurement poursuivie par la Rév. puis par les codifications napoléoniennes. A été rendue possible par l’assomption de la loi et par l’abaissement concomitant des autres sources du droit.
§II- L’œuvre codificatrice
A- Les principes révolutionnaires
1- Les fondements du droit nouveau
2- Le légicentrisme révolutionnaire
Volonté pol. d’unifier les règles du droit privé applicables ds tt le royaume remonte, on l’a vu, au début des Temps Modernes et s’est dév. avec la centralisation monarchique. Grandes ordonnances des XVIIè-XVIIIè siècles laissent de côté pour l’essentiel le domaine du pur droit privé régi parles coutumes ds le Nord et le Centre de la Franc,e par le droit romain ds le Midi. Le roi, gardien des coutumes, reste respectueux du droit de chaque province. En outre, scepticisme doctrinal face au succès d’une entreprise de codification et préfèrent, comme Pothier, s’en tenir au droit existant. Pas de trace ds l’opinion d’un mouvement pour parvenir rapidement à l’unité du droit privé.
Révolution juridique de 1789, en détruisant les bases de l’AR a renversé un certain nombre d’obstacles à la codification :
– destruction des privilèges ;
– avènement du règne de la loi : doit correspondre à la rédaction d’un « code de lois civiles communes à tt le royaume » et de lois « simples et claires » promises à la fois par la loi des 16-24 sept. 1790 sur la réforme judiciaire et par la constitution de 1791.
Pourtant, si constituante vota un code pénal en 1791, elle se contenta de promesses en matière civile : membres trop conscients de la difficulté de la tâche ; quant à la Législative, se contenta de l’adoption d’une législation civile fragmentaire(2 lois du 20 sept. 1792 sur l’état civil et le divorce). La Convention entama véritablement le chantier du code civil : pl. projets successifs :
– un en 1793, sous la direction de Cambacérés : projet vraiment rév. (égalité absolue de tous les enfants, même naturel ; adm. Commune des époux sur les biens du ménage ; abolition de la puissance paternelle, etc.). Projet non retenu pour des raisons pol. (ajourné jusqu’à la paix) ;
– 1794
– 1796 (ces deux projets, également s. d. Cambacérés). 2 nouveaux échecs, dus également à la conjoncture
Opinion déprimée croit de moins en moins à la possibilité d’aboutir. Pourquoi ces échecs ? Ne tiennent certes pas en l’incapacité des assemblées rév. à élaborer et à voter des textes de grande envergure, mais plutôt de la rapide évolution des opinions et du décalage fréquent entre l’esprit des projets et le climat politique dominant au moment de leur discussion.
Régime du Consulat réunit au contraire tous les facteurs favorables à la codification du droit civil : après 10 ans de bouleversements, Français aspirent à la pacification des esprits et à la pacification sociale. Bonaparte fait du C. Civ. Une priorité car ce projet sert ses desseins : achever la Rév., renforcer l’unité nationale autour d’un Etat puissant, garantir aux citoyens un minimum de liberté civile en échange d’une forte diminution de leur liberté politique, structurer la soc. Par les masses de granit. Enfin, domestication des assemblées législatives (Tribunat et Corps législatif) garantit succès de l’entreprise.
B- Le code civil
La loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) réunit sous le titre de Code civil des Français, les 36 lois votées de mars 1803 à mars 1804 qui réalisaient l’unification du droit civil. La même loi abrogeait « les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements » dans toutes les matières traitées par le nouveau Code. Pourtant, code civil ne fait pas table rase du passé : a une histoire dont il faut tenir compte : cf. ses conditions de réalisation (1). Expliquent en partie les choix rédactionnels repérables dans ses grandes lignes directrices (2). Ceci est d’autant plus essentiel que pendant longtemps, le Code fit l’objet d’une minutieuse exégèse (3) dont les civilistes n’osèrent s’émanciper que tardivement (4).
1 -Rédaction
Procédure suivie : * Désignation de 4 commissaires chargés de présenter un projet de code civil en qques mois : 4 anciens avocats, proches des partisans de la monarchie : Portalis (Provence), Maleville (Périgord), Bigot de Préameneu (Bretagne), et Tronchet (Paris) : représentent les différentes traditions de l’ancien droit ; n’ont pas rejeté les pcipes de 1789 ss pour autant adhérer aux lois civiles de l’an II. N’ont guère fait preuve d’esprit d’innovation : c’étaient des disciples, et non des prophètes :ont emprunté largement à la doctrine de l’ancien droit, aux droits savants et à la coutume. Influence de théoriciens de l’école du droit naturel (Grotius, Pufendorf, Wolff, Barbeyrac) perceptible ds le plan du Code, bâti autour de l’idée de droit subjectif et ds la reconnaissance de certains pcipes (transfert de propriété par simple accord des volontés, responsabilité pour les faits de l’h. causant à autrui un dommage).
* Examen de l’avant projet devant le Trib. de Cass. et les tribunaux d’appel ; discussion devant le CE à laquelle participa partiellement le 1er consul (Bonaparte présida 55 séances sur 107). Au total, procédure mêlant concertation et autoritarisme, réussit à réunir le plus large consensus de juristes sur un texte présenté comme la synthèse de l’histoire du droit français.
2- Organisation
Présentation du Code par ses rédacteurs (notamment par le Discours préliminaire rédigé par Portalis) en fait une œuvre essentiellement transactionnelle (entre Nord et Midi, ancien et nouveau droit). En réalité, les choses sont plus complexes : influence des coutumes septentrionales nettement plus forte que celle du droit romain ; caractère assez fortement réactionnaire du nouveau code : conformisme à l’égard des règles sociales et morales admises à l’époque : code renonce à imposer une régénération de l’h. à travers de lois de combat.
Au total, Code inspiré par une idéologie autoritaire (celle du Consulat) : pessimisme foncier sur la nature humaine ; vision mécaniste du comportement dont l’intérêt serait le grand moteur ; soumission de l’intérêt individuel à l’intérêt collectif : l’Etat = le maître de cette pol. de maintien de la paix bourgeoise qui passe par la famille. Texte n’en demeure pourtant pas moins ouvert : interprétations nombreuses sont possibles, y compris ds un sens libéral. Code reste porteur d’une partie de l’héritage rév. Accepté « sous bénéfice d’inventaire » : rupture avec la société d’AR ; substrat égalitaire ; dose de laïcité.
Pcipales lignes directrices du Code :
- Primat de la propriété : « droit fondamental sur lequel toutes les institutions reposent » ; même les personnes ne sont considérées que sous l’angle de sujets potentiels du droit de propriété. Portalis le décrit ainsi comme « inhérent à la constitution même de notre être ». Pourtant, n’est pas conçu comme un droit naturel, mais comme l’attribut d’un Etat fort qui le garantissait tout en le limitant. C’est ds cet esprit qu’il faut comprendre le célèbre art. 544 : déf. Subjectiviste = aboutissement d’un long travail doctrinal des romanistes (bien éloigné en tout cas des conceptions romaines de la prop.) ; rejet de toute possibilité de renaissance des charges féodales (cf. aussi art. 686 et 530). Caractère absolu du droit de propriété est d’ailleurs tempéré par la renaissance du pouvoir de l’Etat d’en limiter l’usage par des lois et des règlements, ainsi que par le respect dû au droit des voisins ;
- Famille fondée sur le mariage. Soc. = un assemblage de familles scellées par le mariage « acte naturel, nécessaire, institué par le créateur lui-même », facteur d’harmonie sociale. Est placé sous le double contrôle de la famille et de l’etat ; divorce pas reconnu comme un effet de la liberté individuelle mais comme un remède extrême = énumération restrictive des causes de divorce pour faute ; soumission du divorce par consentement mutuel à une longue série d’épreuves. De même, extrême méfiance à l’égard de l’adoption (réservée aux pers ; de + de 50 ans, ss enfants, ne s’adresse qu’à des majeurs.) Enfants naturels rejetés hors de la famille ; action en recherche de paternité est interdite. Naissance illégitime ne peut être couverte que par une légitimation ultérieure (= par mariage).
Par ailleurs famille gouvernée par le père = image en réduction du chef de l’Etat. Prééminence maritale d’abord fondée sur une inégalité des sexes non dissimulée : « la force et l’audace sont du côté de l’h., la timidité et la pudeur sont du côté de la femme ». Femme mariée frappée d’une incapacité générale et l’art. 1124 la range à côté des interdits (c’est à dire des fous) et des mineurs. Ceci, quel que soit le type de régime mat. Choisi. Autorité du mari se prolonge à travers la puissance du père, qui exerce une véritable magistrature sur des enfants que les rédacteurs du code ont voulu soumis et respectueux (art. 371). Minorité prolongée jusqu’à 21 ans ;droit de correction paternelle (enfant de moins de 16 ans peut être détenu pdt un mois sur demande du père). Volonté d’établir une puissance paternelle forte « providence des familles » ; les enfants doivent rendre toute leur vie un »culte » à la « divinité domestique et tutélaire ». Relations familiales toujours placées par les rédacteurs du code sous le signe de l’intérêt. Par ex. l’obligation alimentaire est plutôt une sorte de succession anticipée qu’un véritable témoignage d’affection. De même, jeu sur la quotité disponible : permet un véritable chantage successoral appelé à être un des ressorts majeurs de la puissance paternelle.
- Droit des obligations : pcipe de liberté contractuelle conforme à la DDHC se heurte à la prédominance des impératifs d’ordre public : art. 1134 affirmant que « les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites » pas conçu sous le signe de l’autonomie de la volonté mais repose sur l’idée que le contrat « émanation de la loi » oblige les particuliers à respecter leurs propres engagements. Code pose ainsi de nombreuses limites au jeu des volontés individuelles : dès l’art. 6 il est rappelé que « l’on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les BM » ; art. 1133 insiste sur la nullité des oblig. Dont la cause est illicite parce contraire à l’OP et aux BM. Morale jansénisante (admission de la rescision de la vente pour lésion).
Par ailleurs, rédacteurs du C. Civ. Ont emprunté aux théoriciens du droit naturel l’idée d’une clause générale de responsabilité obligeant à réparer « tout fait quelconque de l’h. qui cause à autrui un dommage ». (art. 1382) = règle de prophylaxie sociale destinée à prévenir les comportements dommageables ; même la simple négligence ou imprudence (art. 1383) donne droit à réparation quand elle « blesse les droits d’un autre. ».
N.B : En même temps qu’avançait la rédaction du C. Civ. Le gouv. Consulaire avait mis en chantier d’autres codes sur le droit pénal, la procédure civile et le droit commercial. L’achèvement du C.Civ ; étant considéré comme une priorité absolue, l’entreprise de codification des autres branches du droit n’aboutit que sous l’Empire. Ensemble empreint d’un grand autoritarisme. Edifice social cadenassé par une pol. De « compression » visant les pop. Flottantes non intégrées ds le réseau familial ou ds le travail. Nombreuses atteintes à l’égalité (notamment contre les ouvriers, les juifs, les pop. Colonisées : rétablissement de l’esclavage ds les colonies, dès 1802) ou au profit d’une toute nouvelle noblesse de fonction. En fait, ds les dernières années de l4Empire, la liberté et l’égalité civiles, de même que la puissance paternelle (avec l’enrôlement forcé des mineurs) avaient du céder devant la puissance de l’Etat. Ds la conception napoléonienne, les droits civils n’étaient jamais que des concessions de l’Etat aux particuliers : l’autonomie du droit privé, pourtant sous-jacente ds le Code civil, restait encore largement à conquérir.
3- Interprétation
De 1814 à 1880, en dépit de multiples changements de régime, le code civil subit peu de modifications. Considéré comme la « constitution civile de la France », il fait l’objet d’un respect « quelque peu superstitieux ». Face à ce code neuf et sacralisé, tous les juristes conviennent de la nécessité d’un travail d’exégèse, c’est à dire d’interprétation littérale, comme on le faisait depuis des siècles pour la Bible (et le droit romain) (a) ce qui n’exclut d’aileurs ni la réalisation d’oeuvres doctrinales majeures (b), ni le dév. d’un courant critique (c).
a)-Le respect du Code civil
Avant même le retour de L. XVIII en France, question du maintien du code posée par les émigrés. Mais futur roi hostile à sa disparition car est censé reprendre les anciennes ordonnances et coutumes. Art. 68 charte du 4 juin 1814 dispose donc que le code civil et les lois existantes restent en vigueur ds ce qu’ils n’ont pas de contraire à la charte et « jusqu’à ce qu’il y soit légalement dérogé ».
En fait, offensive ultra se concentre presque exclusivement sur le divorce, aboli par la loi du 8 mai 1816. Pour les reste, absence de révision « aristocratique ». De même, monarchie de juillet ne trouve rien à redire idéologiquement au code qui correspond aux aspirations du « roi citoyen » et aux principes d’une monarchie bourgeoise. De manière significative, plt privilégie la réforme du code pénal, du code d’instruction criminel et du code de commerce. De même, vote de lois spéciales en rapport avec le dév. de l’éco. Le code civil apparaît hors d’atteinte des velléités réformistes : en plein essor de la légende napoléonienne, le respect ne cesse de grandir à l’égard de la « perfection » du code Napoléon.
De 1848 à 1880, modifications législatives apportées au code sont plus nombreuses sans pour autant que diminue la sacralisation de l’oeuvre majeure des codificateurs. C’est le Second Empire qui pousse le plus loin la vénération du Code (« la plus belle conquête des Temps Modernes »), alors que paradoxalement son texte subit pl. modifications d’imptance, sous l’influence de la rév. Industrielle : libéralisation du régime juridique des S.A, abrogation de l’art. 1781 qui consacrait l’inégalité entre maîtres et ouvriers, etc. Au total, qd les républicains arrivent au pouvoir, le code civil des Français n’a vu que 130 de ses art. modifiés depuis 1804.
Vénération d’autant plus grande que l’enseignement du droit est bien encadré : Ecoles de droit (devenues facultés en 1808) ont pour vocation de former des praticiens appliquant à la lettre le code (enseignement du droit français y est par ex. organisé « ds l’ordre établi par le code civil ») ; orthodoxie de l’enseignement assurée par le serment d’obéissance des profs et par la surveillance de 5 inspecteurs généraux. Ce strict cadre napoléonien subsista ds ses grandes lignes jusqu’en 1880. Création de nouveaux cours résulta essentiellement de décisions ministérielles prises au coup par coup (dt commercial : 1809 ; droit constitutionnel :1834, histoire du droit : 1829 à Paris). Méthodes d’enseignement ultra traditionnelles : prof dicte sa leçon avant de donner des explications verbales. Public étudiant d’ailleurs très restreint (5000 pour tte la France) requérant peu de profs (17 à Paris, 7 ou 8 ds les autres facs) ; conservatisme du corps professeoral. Il fallut attendre en 1855 l’établissement de concours nationaux d’agrégation pour voir apparaître une timide tendance à l’autonomisation du corps enseignant.
Quant à la jursiprudence, reste encore largement considérée comme une servante de la loi. En outre, techniques de cassation, très restrictives, nuisent au dév. d’uen oeuvre prétorienne d’importance de la part de la C. Cass. Qu’en fut-il de la doctrine ?
b)- Les commentateurs du Code civil
Ouvrages de droit publiés immédiatement après la promulgation du Cciv. N’avaient pas la prétention d’être des commentaires élaborés de la codification mais de simples analyses destinées à la faire connaître. Passé le temps des premiers tâtonnements, vint celui de réalisations plus ambitieuses. Parmi celles-ci, on n’en retiendra 3, dues à la plume d’auteurs originaux :
Commentaire de Raymond-Théodore Troplong (1795-1869) : autodidacte, d’abord employé de bureau à Châteauroux, entre ds la magistrature en 1819. Carrière fulgurante (président de la C. Cass pdt tt le Second Empire, pari de France). Assortit ses commentaires de nombreuses considérations sur l’histoire et la philosophie. Longues préfaces ds lesquelles il cherche à s’élever au dessus de l’exégèse vers les « vérités naturelles de la philosophie ». Vivement critiqué de son vivant (contemporains lui reprochaient de « faire des romans » et d’être « trop long »), fut pourtant l’un des commentateurs les + imaginatifs du Code. Montre en tt cas comment, de la Monarchie de Juillet au 2nd Empire, ce dernier a pu être glorifié et réinterprété ds le sens d’un prudent libéralisme.
Cours de droit civil français d’Aubry et Rau : Charles Aubry (1803-1883) et Frédéric-Charles Rau (1803-1877), tous deux profs à Strasbourg, avant d’intégrer la C. Cass. Après l’annexion de l’Alsace à l’Empire alld. Œuvre commune débuté en 1839, avec la parution du 1er volume d’un cours d’abord présenté comme la traduction du manuel alld. De Zachariae consacré au Code. Apportèrent une véritable rév. Ds la méthode d’exposition du droit civil. Ne s’astreignant pas à suivre le Code art. par art. , ils cherchèrent à réaliser un « traité raisonné » alliant la méthode exégétique et l’enseignement dogmatique. Positivisme étatique déclaré. Recours à l’interprétation grammaticale de la loi : refus de « tte innovation qui tendrait à substituer une volonté étrangère à celle du législateur » ; droit naturel = abstraction ss influence sur le droit positif qui prenait sa source ds la conscience collective de chaque peuple. Au total, interprétation « libérale du Code fondée sur les droits subjectifs, ss pour autant militer en faveur d’une réforme de la législation.
Charles Demolombe (1804-1888). Représentant le + glorieux de l’école de l’Exégèse. Avocat consultant de renom, a enseigné le droit civil pdt + de 50 ans à la fac ; de Caen, refusant aussi bien une chaire à Paris qu’un siège à la C. Cass. L’œuvre de sa vie = Cours de Code civil inachevé (31 volumes). Souhaite lui aussi transcender « la vieille querelle du commentaire et du traité » ; fait largement appel aux PGD, à l’histoire, à la jurisprudence, voire à des observations de nature sociologique ; style d’exposition chaleureux et souvent partisan.
c)- Les courants critiques à l’égard du Code civil
– La critique historique
Premières critiques syst. Du Code sont venues d’All. Dès 1814, parution de l’ouvrage de Savigny sur la vocation de notre temps pour la législation et pour la science du droit : droit considéré comme expression historique de la culture d’un peuple (volksgeist). « Toute la science juridique n’est rien d’autre que l’histoire du droit. » : le droit atteint une étape différente de son dév. à chaque âge ; la codification ne doit être que l’aboutissement d’un long travail de doctrine. Rédacteurs français donc critiqués comme insuffisamment versé ds le droit romain ou « dilettantes ». au delà de l’attaque, aux forts relents nationalistes, Savigny s’affirme comme le chef de file de l’école historique en s’opposant point par point aux conceptions des théoriciens de l’école du droit naturel. Idées relayées en France ds une revue fondée en 1819 : La Themis, où écrivit une pléiade de brillants jeunes juristes.
Au delà du cercle de La Themis, de nombreux juristes exprimèrent leur foi ds le rôle de l’histoire comme moyen de dépassement de l’étude exégétique du Code. A l’époque où la science historique est en pleine mutation (création de l’Ecole des Chartes en 1822, œuvres de Michelet et d’Augustin Thierry ou de Guizot), l’histoire du droit leur paraît fournir la méthode appropriée pour saisir les rapports entre le droit et els phénomènes sociaux. Nombreux travaux marquèrent alors des progrès sensibles ds la connaissance du dév. historique du droit romain.
Cf. aussi œuvre novatrice des premiers historiens du droit français comme Henri Klimrath (1807-1837), auteur d’une admirable cartographie de la France coutumière d’AR, Louis-Firmin-Julien Laferrière (1798-1861) ou Edouard-René Laboulaye (1811-1883), ces deux derniers cofondateurs de la revue historique de droit français et étranger. Toutefois, les fac. De droit ignorèrent cette nouvelle discipline jusque vers 1880 et les méfiances à l’égard de l’historicisme (alld.) demeurèrent fortes.
– La critique réactionnaire du Code
– De Bonald : exalte le rôle de la famille fondée sur la puissance paternelle et le droit d’aînesse. Toutefois, sous la Restauration, ce courant réactionnaire ne parvient pas à rallier de véritables théoriciens du droit.
– Paradoxalement, c’est ds l’œuvre de Balzac que l’on trouve, de manière dispersée, une critique plus large de « l’infâme code civil du sieur Buonaparte » : légitimiste convaincu, reprend et dév. Les idées de Bonald. Ds les Paysans, par exemple, il dénonce les méfaits du morcellement des terres qu’il imputait au Code : »grande plaie de la France ».
– Frédéric Le Play (1806-1882) : polytechnicien et ingénieur à l’école des Mines, inventeur des tourniquets enregistreurs et des bateaux-mouches, réalise en France un grand nombre de monographies de familles modestes, en étudiant les conditions de vie et les budgets d’agriculteurs, d’artisans et d’ouvriers. Ces enquêtes sociologiques ont servi de base à sa réflexion théorique. Considérant lui aussi la famille comme l’élément de base de la société, dégage 3 types d’organisation familiale :
– Famille patriarcale : risque d’opprimer l’individu
– Famille instable (désorganisée par l’individualisme)
– Famille souche où l’un des enfants mariés vit en communauté avec ses parents : a les faveurs de Le Play parce qu’elle sauvegarde l’autorité du père de famille, pcipal agent de l’ordre social. Or, selon Le Play, famille-souche menacée par les lois successorales, code civil poursuivant ds ce domaine le travail de destruction du droit rév.
– La critique libérale du Code :
Aspects autoritaires et dirigistes du code mieux perçus et plus critiqués au fur et à mesure que se dév. la pensée libérale. En particulier, souci de certains juristes comme Pellegrino Rossi (prof. De droit constitutionnel) de mettre en harmonie Code civil et charte constitutionnelle.
Toutefois, il faut attendre le 2nd Empire pour que soit élaboré un véritable modèle de drot civil républicain, s’opposant, sur des bases libérale, à l’esprit autoritaire du Code. Cf. œuvre d’E. Acollas (1826-1891) : dénonce âprement l’esprit de réaction du Code qui porte la marque du coup d’état du 18 Brumaire. Défend le divorce, l’émancipation des femmes, le droit de l’enfant, l’autonomie de la volonté en matière contractuelle.
[1] Pour parler de ces ouvrages, le Moyen-âge préféra l’expression leges Romanorum.
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