Introduction
1) Brève exégèse du titre
– il s’agit d’une introduction historique, c’est à dire d’un exercice qui n’aborde pas le fond actuel de la matière, mais qui se propose de mieux la faire comprendre en l’abordant dans sa dimension historique et chronologique. On le verra, ce point de vue diachronique est particulièrement pertinent s’agissant du droit anglais, puisque celui-ci est structurellement ancré dans l’histoire, dont il ne cesse de se nourrir pour avancer.
De façon à honorer cette dimension, nous avons fait le choix d’un plan à forte structuration chronologique.
– cette introduction historique porte sur les « systèmes juridiques européens ». Il convient en premier lieu de critiquer cette notion de « système » qui est surdéterminé d’un point de vue théorique (le droit comme « système » : cf. Kelsen, Troper, Teubner, etc.) et qui peut poser pb d’un point de vue historique (le droit apparaissant aux yeux des historiens beaucoup plus comme un champ de forces ou comme une dynamique instable que comme un système clos).
Pour autant, si l’on accepte de dépasser cette difficulté d’approche, cette expression fait référence à deux grands mondes juridiques :
- le monde continental, dominé par le droit romano-germanique : c’est celui dans lequel s’est développé le droit français. Couvre tout le continent européen et l’Ecosse. Son émergence est due à la redécouverte du droit romain puis à la reconstruction de l’Etat : double influence des docteurs des universités et des légistes de cour. D’où un caractère savant, abstrait, centralisateur. Droit écrit, fixé dans la forme législative d’une parole d’autorité. La règle de droit y revêt préférentiellement la structure abstraite d’un impératif catégorique, impersonnel, visant la conformité à des règles de conduite déterminées : possède un caractère programmatique, qui s’épanouit particulièrement dans la codification.
- Le monde anglo-saxon, qui a vu l’avènement de la common law au XIIè siècle. Historiquement parlant, la common law fut la plus précoce. Elle est liée à l’âge d’or de la monarchie judiciaire, à l’idéal du roi-juge. D’où l’importance spéciale qu’y revêtent les garanties juridictionnelles, la forme processuelle, le débat dialectique. Droit fondamentalement oral, parlé, débattu, construit sur un équilibre toujours à conquérir. Common law modelé par des juges qui avaient des pbs à résoudre et des jurys qui devaient faire apparaître collectivement la vérité. Règle de droit vise donc avant tout à donner une solution concrète à un procès, non à définir une norme à valeur générale. Appel constant au bon sens, à la congruence, à la raison. Pragmatisme de la démarche. Common law est d’ailleurs moins un système qu’une sorte de nébuleuse conglomérée au fil du temps.
2) Quelques mots sur la méthode : le comparatisme
Développement du droit comparé comme science = un phénomène relativement récent, qui ne remonte pas au delà du XIXème siècle. Pendant des siècles, science du droit s’est efforcée de dégager les principes et les solutions d’un droit juste, conforme à la volonté de Dieu, à la nature et à la raison. Elle était dissociée du droit positif.
En outre : idéal du jus commune hérité de la renaissance du droit romain.
Il faut attendre le XIXè, l’apparition des grandes disciplines académiques, les codifications, l’éclatement du jus commune, la montée des nationalismes pour que la notion d’un droit de valeur universelle tombe en discrédit et pour que l’opportunité puis la nécessité du comparatisme finisse par s’imposer.
Etude qui obéit, d’ailleurs, à une certaine actualité politique, celle de la construction européenne : réduction recherchée des différences. A l’histoire d’une diversité persistante, voire d’une concurrence agressive répond l’actualité d’un projet d’unification juridique. Le passé, déchiré, est assumé au nom d’un avenir rayonnant et serein où le droit se taille la part du lion, avec le libéralisme économique. Le droit apporte sa pierre à la construction à venir. Il n’est plus au service de souverainetés nationales rivales, comme il avait pu l’être au XIXème siècle. Il façonne l’unité européenne à coup de directives et de jugement de la CJE.
L’utilité du comparatisme n’est donc pas seulement heuristique et pédagogique. Elle est aussi politique.
Mais : difficultés du comparatisme :
- suppose une connaissance suffisante des objets comparés
- suppose une certaine neutralité axiologique : pas un droit meilleur qu’un autre.
- En l’occurrence difficulté accentuée par le fait que e cours s’adresse à des débutants dans les deux droits et qu’au comparatisme spatial s’ajoute le comparatisme temporel (dimension historique) : il faudra donc procéder avec la plus grande prudence.
Plan de l’étude
Afin de répondre aux différents écueils présentés dans l’introduction (la nécessité d’une analyse sur la longue durée conjointe à une connaissance souvent insuffisante des familles de droit à étudier), le plan s’articule autour de deux grandes parties dédiées l’une à la famille de la common law, l’autre aux droits romano-germaniques.
Pour des raisons purement pédagogiques, c’est à l’intérieur de chacune de ces parties que se fera le séquençage chronologique puis que viendra prendre place la démarche comparatiste.
1ère partie. Le monde de la Common law.
Remedies precede rights
Introduction
Jusqu’au XIXè siècle, présence, en Angleterre, comme dans tous les pays d’Europe, d’une multiplicité de droits : droit canonique, droit romain, droit seigneurial, droit coutumier, droit des marchands.
Focus sur deux traditions juridiques :
- le droit romain. Loin d’être totalement ignoré en Angleterre, le droit romain y fit l’objet, tout comme le continent européen, d’ailleurs, d’une double réception :
- aux XIIè-XIIIè siècles. Dès l’époque de la conquête normande, l’un des premiers gestes de Guillaume fut de faire venir à ses côtés le célèbre Lanfranc, juriste de l’école de Pavie, qui devint archevêque de Canterbury. Sur ce siège, Lanfranc exerça une certaine influence sur la législation établie par Guillaume, en facilitant, grâce à la méthode romaine, la transformation du droit antérieur, en assurant la transition entre les règles anglo-saxonnes et la création du droit nouveau. Les successeurs et disciples de Lanfranc sur le siège de l’archevêché de Canterbury (primatie d’Angleterre), Anselme puis Théobald, maintinrent la tradition romaniste. Théobald appela même en Angleterre Vacarius, le premier professeur et le réel fondateur de l’étude du droit romain et du droit canonique dans ce pays. On sait que Vacarius enseigna notamment à Canterbury et qu’il fut à l’origine directe de la tradition de l’enseignement universitaire du droit romain en Angleterre.
A l’époque de Glanvil (fin XIIè), le droit romain avait engendré des règles, inspiré des comparaisons, suggéré des réformes qui eurent une influence notable sur le droit anglais. Mais par dessus tout, il a fourni une méthode de raisonnement approprié aux matières juridiques et assuré la diffusion d’un langage technique bien distinct de celui de la common law.
Le représentant le plus brillant de ce courant romaniste = le grand juriste Henry de Bracton (cf. infra).
A noter également que les tribunaux ecclésiastiques usèrent constamment du droit romain, sous sa forme canonique, tout au moins jusqu’au XVIès siècle.
- La réception du XVIè siècle. Du XIIIè au XVIè, la common law n’a cessé de s’affirmer, dominant exclusivement les cours de Westminster. Toutefois, deux changements majeurs intervinrent au XVIè siècle, provoquant de fait une seconde renaissance du droit romain :
- La réforme de l’Eglise d’Angleterre porta un coup mortel au droit canonique, qui cessa d’être enseigné. Pour éviter que les études de civil law ne succombassent du même coup, deux chaires royales furent à Oxford et Cambridge : titre de Regius professor. La couronne avait en effet tout intérêt à conserver l’étude du droit civil dans le cadre des universités, car il permettait de trancher de nombreuses questions diplomatiques et commerciales qui mettaient les représentants du droit en contact direct avec les juristes romanistes du continent. En outre, les Tudors avaient un intérêt politique à favoriser un droit romain à forte dominante absolutiste.
- 2ème circonstance favorable : la crise de la Common Law au XVIè siècle, en raison de son hyper formalisme et de son archaïsme : baisse importante du nombre d’affaires traitées par le cours de Westminster et développement concomitant de la juridiciton d’Equity et d’autres juridictions spéciales (star chamber) non soumises à la CL.
Au total, le droit romain n’a jamais cessé d’être enseigné et pratiqué en Angleterre depuis le XIIè siècle, mais il y a joué un rôle secondaire, cantonné à certain segments de la vie juridique.
- L’incorporation de la law merchant. La consuetudo mercatorum s’est développée sur le continent au cours du MA, grâce aux juridictions dites « consulaires ». Elle fut également reçue précocement outre Manche sous le vocable de Ley merchande ou law merchant dans les cours spécialement affectées à la connaissance des litiges commerciaux :
- Cours des portes et des villes (Londres, Newcastle, Bristol…)
- Cour des piepoudrés (foires)
- Cours des villes désignées come places d’entrepôts
- Juridictions arbitrales diverses organisées par les guildes
Peu à peu, la centralisation de l’organisation judiciaire anglaise entraina la disparition des petits tribunaux au profit d’un prétoire unique : la cour de l’Amirauté, qui tirait ses origines d’une juridiction disciplinaire de la flotte royale. Elle se tenait à Londres et sa compétence ne cessa de croître : connut, à partir de la fin XVIè, de l’ensemble du droit commercial, tel qu’il avait été développé d’après les principes du civil law. Triomphe de la cour de l’Amirauté au XVIIè fut de courte durée :
- sur la compétence : concurrence victorieuse des cours de CL
- sur le fond du droit, intégration progressive du droit commercial par la CL. D’abord traité comme une coutume spécifique et donc donnant lieu à l’audition d’experts, puis, considéré comme une simple branche de la CL dès la fin du XVIIIè : process inverse de celui qui s’observe en France à partir de Colbert, qui tend à une singularisation du droit commercial par rapport au droit civil.
Pour autant, malgré la persistance de droits plus ou moins irréductibles à la CL, le trait marquant de l’histoire et de l’identité juridique anglaise : la common law. C’est sur elle que nous allons donc, fort logiquement, concentrer toute notre attention.
D’abord un bref point de vocabulaire :
Common law : vocable intraduisible en français, « droit commun » ayant un sens différent et « loi commune » ne renvoyant à rien de juridiquement précis. Le genre de cette expression est variable selon les auteurs (féminin ou masculin).
L’expression « commune ley » se rencontre dès le XIIIè siècle, traduisant bien la prise de conscience d’une spécificité juridique : commune ley distincte du droit canonique, des coutumes locales, de la ley merchande, du civil law. Le vocable aurait été choisi à l’imitation des canonistes qui opposaient le jus commune (droit général de l’Eglise) aux consuetudines qui faisaient obstacle à l’unité du droit de la chrétienté.
Polysémie du terme :
- un sens large : droit non écrit, par opposition au droit écrit (statute law)
- un sens étroit, plus spécifique : coutume générale du royaume élaborée par les cours royales depuis le XIIè siècle : remarquable continuité du droit.
A ce point de la réflexion, il convient sans doute de s’interroger sur les causes de l’émergence précoce et de la cristallisation rapide de la CL, alors que les royaumes du continent européen étaient encore en proie aux divisions féodales et à l’hyper dispersion du droit.
A noter, d’ailleurs, le caractère très idéologique du sujet. Ainsi, très longtemps, « les Anglais ont été persuadés de l’antiquité immémoriale de leur système juridique : pour John Fortescue (juriste du XVè siècle), la CL d’Angleterre est fondée sur le plus ancien et vénérable corpus de coutumes existant dans le monde. L’Angleterre ea été gouvernée par les Bretons , les Romains, par les Bretons encore, les Saxons, par les Danois, par les Saxons à nouveau et finalement par les Normands. Mais ces coutumes sont les mêmes, eles n’ont jamais été changées par les conquérants : pourquoi changer ce qui reste meilleur ? On trouve l’écho distant de ce tableau flatteur dans les écrits de Sir Edward Coke et de sir Jon Davies (juristes du XVIIè). Le récent réexamen des sources par Paul Brand montre que le grand changement se situe sous Henri II ».
3 causes principales sont identifiables :
Causes structurelles de l’émergence de la CL :
- La faiblesse de la romanisation.
Occupation partielle de la grande ile par les Romains, pratiquement toujours restés au sud du mur d’Hadrien (cf. Cartes).
En outre, romanisation demeurée superficielle, limitée à la plaine et aux villes. Caractère fondamentalement militaire de l’occupation. La plupart des vestiges sont de caractère militaire.
Christianisation également superficielle, ne résista pas aux invasions germaniques. Elément celtique pas étouffé comme en Gaule et a gardé une importance fondamentale dans l’histoire sociale et politique du pays.
Entre 410 et 450, les Romains évacuent la Bretagne, pour défendre le continent : cœur de la romanité. Ile livrée aux infiltrations de peuplades diverses : Celtes (Pictes d’Ecosse, Scots d’Irlande), populations germaniques : Angles, Jutes, Frisons, Saxons venus de Germanie et du littoral gaulois. Après avoir progressé lentement, l’expansion prend une forme active dès la seconde moitié du VIème siècle, se répandant d’Est en ouest et marginalisant les Bretons en Cornouailles et dans le pays de Galles, voire en Armorique, où beaucoup émigrent au cours du VIème siècle. Invasions sans doute assez brutales, qui vont se traduire dans un premier temps par un certain chaos, puis, à partir du VIème siècle, par une organisation politique à plusieurs royaumes : c’est l’heptarchie anglo-saxonne. Intensité des luttes politiques entre les royaumes.
Culturellement, cette situation peut être illustrée par une singularité linguistique. « La fortune du latin ne fut longtemps pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul dès le Xème siècle à développer une littérature et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire. Les traductions des grands textes voulues par Alfred le Grand, les œuvres religieuses d’Aelfric et de Wulfstan, les différentes versions de l’Anglo-saxon chronicle régulièrement mise à jour, une épopée comme Beowulf et la rédaction de nombreuses chartes offrent, entre le IXè et le XIè siècle, un éventail de textes vernaculaires d’une richesse et d’une variété sans égales dans le reste de l’Occident. Mais la conquête normande a tout changé : reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné. ».
- La précocité du self government :
C’est un héritage du passé celte, mais sans doute aussi de l’administration anglo saxonne. Sur la plan social en effet, la domination anglo-saxonne s’est traduite par une importante classe d’hommes libres, à la fois cultivateurs et guerriers, qui ont pris possession des anciens villages bretons et en ont adopté les pratiques collectives et les règlements.
L’administration est centrée autour du village (township), qui constitue l’unité fiscale et légale de base, puis l’unité paroissiale avec la christianisation. Celle-ci fut tardive et n’intervint pas avant la fin du VIème siècle, avec l’envoi en mission d’Augustin par le pape Grégoire en 597 : il en subsista toujours une proximité particulière avec le siège romain. L’Eglise anglaise ne fut structurée qu’au VIIème siècle par Théodore de Tarse (669-690), autour des deux sièges principaux de Canterbury (siège primatial) et d’York.
Toujours sur la plan administration, au dessus du township, on trouve la centaine (hundred), sorte d’équivalent saxon du pagus carolingien. Il s’agit d’un district judiciaire, où toutes les 4 semaine se tient une cour pour juger les criminels. L’apparition des justices seigneuriales et l’organisation des tribunaux royaux en affaiblit l’importance, sans jamais faire disparaître la cour de centaine.
Au dessus de la centaine : le shire, que les Normands appelleront « comté ». Il s’agit d’un cadre territorial plus vaste. Apparu initialement dans le oryaume anglo-saxon du Wessex, s’est propagé dans les autres royaumes en raison de son utilité pour le gouvernement monarchique. Formation de 39 comtés qui existent encore. Deux fois par an s’y réunissait une cour de justice. La direction du shire était assurée par un chef de guerre, l’ealdorman et par un fonctionnaire, chargé de percevoir les revenus du roi (en particulier le danegeld : cf. infra) : le sheriff.
3) Une cause conjoncturelle majeure : la conquête normande
La conquête normande de l’Angleterre est l’invasion du royaume d’Angleterre par le duc de Normandie Guillaume le Conquérant, qui a culminé avec la bataille d’Hastings en 1066 et qui s’est traduite par l’appropriation de ce territoire par les Normands.
Loin de se limiter à la seule année 1066, elle se prolonge pendant près de cinq ans, jusqu’en 1070. C’est un événement capital dans l’histoire du Moyen Âge pour plusieurs raisons. Elle a pour conséquence première la réunion du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre L’élite anglo-saxonne, vaincue, disparut au profit d’une autre, venue du continent. Les conquérants apportèrent leur langue et leur culture. Détaché de l’influence de la Scandinavie, le pays sera dorénavant beaucoup plus étroitement lié à l’Europe continentale. Surtout, 1066 prépare la montée en puissance de l’Angleterre qui bientôt intégrera le cercle des monarchies les plus puissantes d’Europe.
Origines : une conquête mûrement préparée
Les liens entre Angleterre et Normandie précèdent largement la conquête de 1066. Longtemps commerciaux, ils se renforcent autour de l’an 1000. Deux traités sont conclus. Les Normands jurent notamment de ne pas soutenir les Vikings qui depuis plusieurs dizaines d’années intensifient leurs raids sur l’Angleterre. En 1002, le roi anglo-saxon Æthelred II épouse Emma, la sœur du duc de Normandie Richard II. Les attaques vikings contre l’Angleterre prennent une telle ampleur qu’en 1013, Ethelred et ses deux fils fuient leur royaume et se réfugient en Normandie. Richard II accueille les exilés. Outre-Manche, le Viking Knut II de Danemark monte sur le trône (1016). Ce n’est qu’en 1042 que le fils aîné d’Ethelred, Édouard le Confesseur, fortement normanisé, peut retourner en Angleterre pour régner. Pendant ce règne : noyautage méticuleux de la cour d’Angleterre par des ecclésiastiques et des nobles normands.
La mort d’Édouard, en 1066, sans enfant ni héritier direct au trône, crée un vide institutionnel que tentent d’occuper trois partis concurrents :
- Le premier est Harald Hardraada le Norvégien, lié par le sang à la famille anglo-saxonne.
- Le second est Guillaume le Bâtard, que le défunt aurait désigné comme héritier.
- Le troisième est un puissant aristocrate anglo-saxon du nom de Harold Godwinson, élu roi à la manière anglo-saxonne traditionnelle par le Witan
Apprenant que Harold est monté sur le trône, Guillaume convoque les principaux barons normands et les convainc de se lancer à la conquête du royaume, avec l’aide du pape Alexandre II, qui transmet au duc de Normandie son propre étendard. En moins de dix mois, il parvient à rassembler dans l’estuaire de la Dives une flotte d’invasion d’environ 600 navires et une armée estimée à 7 000 hommes.
Ces préparatifs comprennent également d’importantes négociations diplomatiques. Il s’agit de se trouver d’abord des alliés.
Il s’agit notamment d’éviter que les principautés voisines (Bretagne, Flandre, Anjou, etc.) ne profitent de la campagne pour s’emparer de la Normandie. En outre, Guillaume désigne de grands vassaux : Roger de Beaumont, Lanfranc, Roger II de Montgomery pour gouverner le duché en son absence. Beaucoup de soldats dans son armée sont des puînés auxquels le droit d’aînesse laisse peu de chance d’hériter d’un fief. Guillaume leur promet, s’ils se joignent à lui en apportant leur propre cheval, une armure et des armes, qu’il les récompensera avec des terres et des titres dans son nouveau royaume.
Une conquête rapide
La bataille de Stamford bridge
Retardée quelques semaines par des vents défavorables et des conditions météorologiques contraires, l’armée normande attend dans la baie de Saint-Valery-sur-Somme le moment propice pour embarquer tandis que le sort de l’Angleterre continue à se jouer dans le nord de l’Angleterre envahi en septembre par le roi norvégien Harald Hardraada qui conquiert York le 20 septembre et trouve des alliés (Morcar de Northumbrie, les Écossais, etc.). Harold II d’Angleterre, dont les forces sont réunies à la va-vite, marche néanmoins vers le nord et, le 25 septembre, surprend les Vikings à la bataille de Stamford Bridge. C’est une victoire pour le roi anglo-saxon. Le roi norvégien y meurt.
Hastings
Poussée par un vent enfin favorable, l’armada normande débarque entre temps dans la baie de Pevensey (Sussex) le 28 septembre 1066 quelques jours à peine après la victoire d’Harold sur les Norvégiens. Cette conjonction s’avère cruciale : l’armée d’Harold déjà épuisée par les combats contre Harald doit traverser à marches forcées toute l’Angleterre du Nord au Sud et se battre contre un ennemi reposé et qui a eu le temps de se retrancher. Guillaume ne tarde pas à prendre pour base la bourgade voisine de Hastings où il met sur pied un château de terre et de bois. Le choix du Sussex comme lieu de débarquement est une provocation directe pour Harold car cette région était son domaine personnel. Guillaume commence immédiatement à ravager la terre ce qui incite peut-être Harold à répondre dans la précipitation au lieu d’attendre des renforts de Londres.
La rencontre entre les deux armées a lieu le 14 octobre, à Hastings. Lors de cette bataille, la cavalerie normande enfonce les lignes anglo-saxonnes. Harold trouve la mort et l’armée anglo-saxonne s’enfuit.
Couronnement
Après sa victoire à Hastings, Guillaume se dirige vers Londres, en passant par le Kent.
Il y recevra la soumission de Stigand, l’archevêque de Cantorbéry. Le reste des nobles saxons s’étant rendus à lui, il est proclamé roi d’Angleterre fin octobre et couronné le 25 décembre 1066 à l’abbaye de Westminster.
Les conséquences de la conquête
1) les conséquences sociales.
Une fois l’Angleterre conquise, les Normands eurent à faire face à un certain nombre de défis pour conserver le contrôle du pays. Les normannophones étaient, par comparaison avec la population anglaise autochtone, en nombre extrêmement limité. Les historiens estiment leurs effectifs à 5 000 chevaliers en armure.
NB : L’Angleterre appartient au roi par droit de conquête (on y renviendra). Transfert massif des terres au détriment du groupe important des propriétaires libres qui existaient dans l’Angleterre saxonne. Dépossession générale
L’écrasement des anglo-saxons. Les seigneurs anglo-saxons étaient accoutumés à être entièrement indépendants, contrairement au système de gouvernement centralisé des Normands qui déplaisait aux Anglo-Saxons. Les révoltes commencèrent presque immédiatement dès le couronnement de Guillaume, mené par des membres de la famille de Harold ou des nobles anglo-saxons mécontents.
Guillaume relève ces défis de plusieurs manières.
- Les nouveaux seigneurs normands construisent divers forts et châteaux tels que les mottes féodales afin de fournir un lieu retranché contre les soulèvements populaires (ou les attaques, de plus en plus rares, des Vikings) et pour dominer la ville et la campagne environnante.
- Tout seigneur anglo-saxon refusant de reconnaître la légitimité de Guillaume au trône ou révoltant fut sommairement dépouillé des titres et des terres qui sont redistribuées aux favoris normands de Guillaume.
- Tout seigneur anglo-saxon mort sans succession était toujours remplacé par un successeur normand.
C’est ainsi que les Normands éliminèrent l’aristocratie autochtone et prirent le contrôle des échelons supérieurs du pouvoir.
Le maintien de l’unité et de la loyauté des seigneurs normands était tout aussi important, toute friction pouvant donner aux autochtones anglophones une chance facile de division afin de vaincre la minorité normannophone. Guillaume a accompli ceci en accordant des terres morcelées. Un fief normand typique était éparpillé un peu partout en Angleterre et en Normandie. Ainsi, un seigneur essayant de se séparer du roi ne pouvait, à n’importe quel moment, défendre qu’un nombre restreint de ses fiefs. Ce système, qui s’est avéré constituer une force de dissuasion très efficace contre les rébellions éventuelles, a permis de conserver la fidélité de la noblesse normande au roi.
Une autre conséquence directe de l’invasion est la disparition quasi totale de l’aristocratie anglo-saxonne, tant militaire qu’ecclésiastique. Guillaume ayant confisqué les terres des rebelles pour les donner à ses défenseurs normands, il ne reste plus, au moment de l’établissement du Domesday Book, que deux propriétaires fonciers anglais d’importance à avoir survécu aux purges. En 1096, tous les évêchés sont passés aux mains des Normands. Dans le courant du xiie siècle, l’assimilation progressa. À tel point que certains descendants de conquérants normands se considéraient principalement comme des Anglais.
Aucune autre conquête dans l’Europe du Moyen Âge n’a eu de conséquences aussi désastreuses pour la classe régnante vaincue. Le prestige de Guillaume parmi ses partisans a reçu une prodigieuse impulsion due à sa capacité à leur attribuer à faible coût de vastes terres. Ses récompenses ont également servi à affirmer son propre pouvoir, chaque nouveau seigneur étant soumis à l’obligation de construire un château et de soumettre les autochtones. La conquête a donc été un système en renouvellement perpétuel.
2) Les conséquences culturelles.
Les conquérants apportèrent leur langue, donnant naissance à l’anglo-normand, évinçant l’anglo-saxon d’origine germanique dans les classes dirigeantes. Jouissant du statut de langue de prestige pendant près de trois siècles, l’anglo-normand eut une influence significative sur l’anglais moderne. C’est à cause de ce premier afflux principal des langues latines ou romanes dans la langue parlée prédominante en Angleterre, que celle-ci a commencé à perdre beaucoup de son vocabulaire germanique et scandinave, bien qu’elle ait, dans nombre de cas, maintenu la structure de la phrase germanique. Ainsi le mot anglais cat (provient de « cat » en normand, « chat » en français), de même que war (« werre » en normand, « guerre » en français) ou garden (« gardin » en normand, « jardin » en français)…
3) Les conséquences politiques : création de la monarchie anglo normande, sur les deux rives de la Manche.
Une interprétation de la conquête consiste à affirmer que la conquête de l’Angleterre en a fait un désert économique et culturel sur près d’un siècle et demi. Peu de rois d’Angleterre résidèrent réellement pour une durée significative en Angleterre, préférant leur patrie normande et se concentrer sur leurs possessions françaises plus lucratives. En effet, quatre mois après la bataille d’Hastings, Guillaume a laissé la charge de l’Angleterre à son demi-frère tandis qu’il retournait en Normandie. Le pays est resté une annexe sans importance des terres normandes et plus tard des fiefs angevins d’Henri II.
À l’inverse, une autre interprétation affirme que les rois normands ont négligé leurs territoires continentaux où ils devaient, en théorie, fidélité aux rois de France, afin de consolider leur puissance dans leur nouveau royaume souverain d’Angleterre. Les ressources investies dans la construction de cathédrales, de châteaux et dans l’administration du nouveau royaume aurait détourné l’énergie et la concentration nécessitée par la défense de la Normandie. De même, les barons auraient progressivement négligé leurs terres normandes pour développer leur patrimoine anglais, souvent plus important et plus riche.
La perte du contrôle de la Normandie continentale a divisé les familles dont les membres durent choisir entre la loyauté et la conservation de leurs terres.
Au total : conquête normande a profondément changé le modèle de l’Angleterre, en y introduisant un nouveau modèle socio-politique, dominé par la figure royale, une unification territoriale précoce et une très forte structuration de l’aristocratie. C’est dans ce contexte qu’est née la common law : fruit de la recomposition politique consécutive de la conquête.
Paradoxe de la CL : née d’un projet politique de domination (chapitre 1), est devenue, dès le XIIIè siècle, un outil d’affranchissement (chapitre 2).
Pour autant, la CL ne suffit pas à elle seul à résumer toute la richesse du système anglais : existent à ses côtés d’autres droits (l’Equity, la loi), dont il conviendra de préciser le fonctionnement et les contenus (chapitre 3).
chapitre I : L’émergence d’un droit national.
La common law
L’apparition de la CL est tout sauf un hasard historique. C’est très directement le fruit de la conquête normande et d’un projet royal de domination politique et judiciaire. Il importe donc de préciser en premier lieu quelles furent les conditions d’émergence de cette singularité juridique (section II) avant, de détailler les principaux caractères revêtus par les innovations royales en matière juridictionnelle (section II).
Section I- Des conditions socio-politiques exceptionnelles
§I- La forte structuration de la société politique anglaise
Guillaume le conquérant a structuré lui-même l’aristocratie militaire et seigneuriale, en répartissant entre ses membres les terres conquises. De lui date la structuration en deux niveaux de l’aristocratie en « barons » (ce sont les « tenants en chef » et en « chevaliers », qui sont à l’origine de la future gentry.
A noter que le cordon ombilical entre le roi et la classe seigneuriale est toujours resté fort : des institutions aussi fondamentales, pour la structuration de cette classe que la chevalerie d’une part et l’organisation du parlement de l’autre le prouvent
Ensuite, l’ensemble des relations entre ces hommes ainsi que tout ce qui a trait à la détention de la terre est absorbé par les tribunaux royaux et le droit qu’ils pratiquent : la CL. Au total : alliance entre le roi et son aristocratie qui perdurera jusqu’aux Stuarts.
A- Les chevaliers et la gentry
Fluidité de ce groupe : ne s’est jamais mué en ordre, mais est resté ouvert et fluide, favorisant ainsi un dynamisme ascendant au sein de la classe seigneuriale et un brassage rapide avec d’autres groupes sociaux.
Les chevaliers continentaux installés par le Conquérant étaient peut être 4 à 5000. Leur niveau social était contrasté :
- certains disposaient d’un bloc de domaines équivalent à 5 hides (environ 250 ha) et donc des revenus nécessaires à leur équipement : petite noblesse
- d’autres, avec un ou deux hides, restaient dépendants de leur seigneur pour leur équipement ou leur subsistance : soldats professionnels.
Début XIIIè siècle, les choses ont changé :
- les knights du premier groupe se sont détachés de la maison de leur seigneur, qui a du mal à obtenir leur présence.
- Le second groupe a disparu e s’est fondu dans les couches supérieures de la paysannerie libre
L’évolution des structures sociales et économiques a altéré la situation de la classe chevaleresque, qui commence à se muer en gentry, et les rapports respectifs de ce groupe, et de la haute aristocratie avec la monarchie se transforment : augmentation rapide du prix de l’équipement réduit le nombre des chevaliers. Certains, qui disposent des revenus suffisants, refusent la chevalerie et ses contraintes : cascade d’obligations militaires et administratives imposées par le roi : bcp de chevaliers préfèrent rester écuyer (esquire) ou simples gentlemen : 1250 chevaliers seulement en 1310, quand ils auraient du être 3000.
Dans la société du comté, les knights restent au 1er rang de ceux qui assurent les nombreuses missions imposées par l’adm. Royale : juges, sheriffs, etc. . Un petit groupe de knights et d’esquires monopolisent ces positions : si la gentry est ouverte et mobile, les détenteurs d’offices locaux forment en son sein une élite relativement stable et fermée.
La gentry est donc étroitement associée à l’exercice du pouvoir royal. Roi a besoin de connaître son opinion : convocation de ses représentants, d’abord isolément puis dans le cadre des parlements. L’adhésion de la gentry fait le succès des réformateurs en 1258, de Simon de Montfort en 1263-1264, et du Lord Edouard en 1265. La collaboration administrative entre pouvoir et gentry = l’un des canaux par lesquels chemine le dialogue entre prince et élites sociales.
B- La noblesse des barons
100 à 200 familles maximum, dont le nombre n’a cessé de décliner au XIIIè. s. Cette noblesse stricto sensu comprend les magnats et les barons, deux catégories distinctes au XIIIè siècle qui se mêlent ensuite. .
1) Les historiens réservent le terme de « magnats » à la noblesse titrée (earls, comtes, et, à partir du règne de Richard II, ducs, marquis et vicomtes). Au total, une quinzaine de titres et de familles. En général, 12 à 15 earls seulement sont en activité aux côtés du roi et dominent le reste de l’aristocratie.
S’ils sont peu nombreux, leurs revenus et leurs terres les mettent largement au dessus des autres nobles.
2) Les barons sont les autres tenants en chef du roi, qui les convoque individuellement par un writ à leur nom au conseil puis au parlement : en raison de leur statut féodal et parce qu’il ne peut se dispenser de l’avis de ces vassaux importants.
La convocation au parlement modifie donc la nature de la noblesse anglaise : magnats et barons, désormais « lords » se fondent dans une noblesse distinguée par sa participation à ce qui bientôt s’appelle la chambre des lords : la redéfinition de la noblesse par l’adjonction au groupe restreint des magnats de celui des barons au sein de l’ensemble plus large des pairs parlementaires = un résultat de l’action de la monarchie.
L’hérédité féodale est la règle chez les magnats, le fils ainé héritant seul du titre et de la noblesse. Dans la seconde moitie du XIVè siècle, l’hérédité des lors s’impose à son tour. Quand un lord meurt, son fils ainé est automatiquement convoqué au plt.
Mais rôle déterminant de la fortune : il faut un certain niveau de revenu pour être lord. La famille qui a acquis cette fortune est tôt ou tard promue, et le roi ne peut créer un lord pauvre. Le roi suit donc avec attention l’évolution de la fortune foncière des membres de la noblesse. La mécanique féodale des wards est particulièrement efficace : quand l’héritier d’un tenant en chef est mineur, il devient le pupille (Ward) du roi, qui peut donc gérer à son profit ses domaines et lui donner un conjoint à sa convenance. Nombreuses alliances avec la famille royale : alors qu’en France les princes des fleurs de lys forment un groupe à part, la famille royale anglaise se mêle étroitement, par ses alliances, au reste de l’aristo.
Forte compétition entre famille et réduction continue du nombre de familles.
Importance du service de la couronne : chanceliers, trésoriers. Le roi compte sur ses lords pour exercer un rôle dirigeant au niveau régional : mission de good lordship et de maintien de l’ordre qui ne prendra fin qu’avec les Tudors et les Stuarts, désireux, pour leur part, de court-circuiter un pouvoir noble jugé trop dangereux.
NB : mobilité sociale plus forte qu’en France. Est principalement activée par le service du roi.
C- Les stratégies de contrôle et de transmission des terres
Angleterre = terre de conquête. Tout terre est fief et donc la transmission du fief conditionna la reproduction sociale et les stratégies familiales : le tenant d’un fief ne peut disposer librement de son héritage (car c’est la contrepartie du service militaire dû au roi). Coutume prévoit :
- transmission de la terre et des titres par primogéniture mâle
- à défaut, terres partagées à égalité entre les filles
- aliénation interdite par le roi en 1256
- sous inféodation interdite par statut de 1290 (Quia emptores)
En réalité, aristo anglaise soumis plus que toute autre à son seigneur unique : le roi, seigneur suprême de tous ces fiefs. Importance de la pratique du Ward
Bastard feudalism :
- relations entre seigneur (lord) et vassaux deviennent étroitement contractuelles. L’argent remplace la terre.
- Le fief cesse d’être un élément déterminant
Contrôle direct ou indirect de l’Etat
Développement de la CL et des tribunaux royaux, à partir du XIIIè s offre aux membres de la société aristocratique une série d’instruments qui leur permet de disposer de leurs biens et d’obtenir de solides garanties contre toute tentative d’usurpation. La tenure en fief se rapproche ainsi de la propriété pure et simple.
- L’entail, décrite dans le statut de Westminster II (1285) : permet de transmettre une terre et de régler sa transmission aux générations suivantes. L’objectif est de permettre la dotation des branches cadettes, tout en garantissant un retour à la branche principale à défaut d’hériter mâle (même mécanisme que l’apanage). Consiste à remettre au roi les terres tenues de lui en fee simple pour les recevoir de nouveau en fee tail, par exemple en tail male, assurant la transmission aux seuls mâles, la terre revenant au donateur ou à ses descendants directs à défaut de fils. L’un des avantages de l’entail, dans les luttes politiques des XIVè-XVè siècles est de garantir contre les confiscations : l’entail équivaut en effet à une donation. Le donateur continue à avoir l’usufruit du bien, mais une fois l’entail constituée, elle n’est plus modifiable, et le donateur ne peut plus disposer de son bien. On ne peut davantage le lui confisquer. Cela peut d’ailleurs devenir un inconvénient, par ailleurs en cas de remariage, lorsque tous les biens sont bloqués sur la descendance du premier lit par entail. Un âtre système se développe donc parallèlement : celui des uses.
- Les uses sont une fiction juridique. Un homme (le cestui que use ou feoffor) donne ses biens à des hommes de confiance (feoffes). Les feoffes sont les vrais propriétaires aux yeux de la CL. Mais ils doivent tenir les terres à l’use du feoffor sa vie durant et les transmettre selon les volontés exprimées dans son dernier testament. Les feoffees sont tenus de respecter les volontés du donateur. S’ils ne le font pas, sont jugés en équité par la cour de chancellerie, jugeant en droit romain. Comme l’entail, les uses garantissent contre les confiscations. Mais dans ce cas, la liberté du testateur reste entière jusqu’au bout. Très large recours aux uses à partir de la fin XIIIè: deviennent une méthode privilégiée d’intervention sur les marché de la terre.
Pour prospérer, il faut combiner judicieusement ces différents instruments, tout en s’assurant, par le biais des feoffees et le choix des alliances matrimoniales, les soutiens locaux et nationaux permettant de soutenir la fortune d’un lignage. Les protections politiques du bastard feudalism sont ici déterminantes.
§II- La puissance de la monarchie britannique
Aperçu historique sur le règne des Plantagenets.
Le règne de Henri II (1155-1189). Ce roi n’est pas un Normand. Sa mère, Mathilde, descendait des anciens rois saxons. Son père était Angevin et lui-même est né au Mans. C’est un prince cosmopolite, subtil entreprenant et ambitieux. Peu de souverains furent aussi puissants pendant le Moyen âge
L’Angleterre n’est qu’une faible partie de ses domaines. Il l’agrandit par l’annexion de l’Irlande, conquise par l’aventurier Richard Strongbow; il oblige Alexandre d’Ecosse à se reconnaître son homme-lige. Ses guerres avec Louis VII le Jeune, premier époux de sa femme Aliénor d’Aquitaine, et les révoltes de ses fils ont mêlé étroitement son histoire à celle de la France
Enfin, sa querelle dramatique avec Thomas Becket est comme un écho attardé de la querelle des investitures.
Son gouvernement est une monarchie fiscale. L’échiquier d’Angleterre, dont le trésorier Richard Fitz-Neal expliqua le mécanisme dans son fameux Dialogus de Scaccario, devient l’organe essentiel de l’Etat.
L’ordre le plus minutieux est introduit dans l’administration des revenus royaux. On est frappé d’étonnement quand on examine dans le détail le jeu de ces rouages si compliqués en apparence, si simples en réalité. Quand ce roi maltôtier monta sur le trône le revenu royal n’était que de 22.000 livres sterling. Il le releva rapidement en reprenant les provinces du Nord perdues pendant les guerres civiles, du règne précédent. Il lève, sous le nom de scutage, un impôt de guerre sur tous les fiefs dont les titulaires ne se présentent pas à l’armée. Il peut ainsi équiper des armées mercenaires. Les comtes se révoltent, le roi écrase l’insurrection en 1174.
Par les assises de Northampton (1176), il divise le territoire anglais en six circonscriptions ou circuits dont chacun est assigné à trois juges qui vont de comté en comté rendre la justice. Ce sept les itinérant justices, et cette organisation subsiste encore dans ses traits essentiels. Ranulf Glanville, justicier d’Angleterre, écrit le Liber de legibus Angliae, dans lequel il codifie les coutumes saxonnes et les lois normandes. Dans la dernière année du règne, le revenu régulier de la couronne monte à 48.000 livres sterling.
Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre et Henri III.
Dur, brutal, fourbe et prodigue, Richard Coeur de Lion mérite peu la réputation chevaleresque que lui ont faite ses malheurs mérités. C’est le moins Anglais des rois du Moyen âge. S’il fut rançonné assez durement par l’empereur d’Allemagne, à son retour de la croisade, il avait commencé par rançonner les ministres de son père et les siens propres. Ce fut lui qui imagina de se faire fabriquer un nouveau sceau et d’obliger tous ses sujets de faire sceller de nouveau leurs chartes, en payant, cela s’entend. Les Anglais se soumirent sans révolte à ses exigences. Ils payèrent sa rançon, payèrent à trois reprises le scutage. Tant à la fin qu’en 1198, le roi demandant de nouvelles sommes pour sa guerre en Normandie, les évêques refusèrent formellement de payer. Richard fit alors ingénieusement lever une nouvelle taxe foncière à laquelle il soumit tout le monde, sans coup férir.
Jean sans Terre (1199–1216) avait été le favori de son père Henri II et de sa mère. Il se fit élire roi au détriment de son neveu Arthur de Bretagne. Il s’empare du jeune prince et le fait disparaître; a-t-il été cité pour ce fait devant la cour des Pairs, par le roi Philippe-Auguste; il perdit la Normandie et l’Anjou en 1203, le Maine et la Touraine en 1204, une grande partie du Poitou l’année suivante.
Philippe-Auguste fut aidé, il est vrai, par la trahison, il le fut aussi par la force des choses. L’Angleterre se lassait de payer des armées pour garder des territoires d’où venaient sans cesse à la cour des intrus qu’il fallait pourvoir.
La mort de l’archevêque de Canterbury en 1205, l’élection presque simultanée de deux rivaux et I’intervention d’Innocent III mettent aux prises le roi et le pape. Jean résiste énergiquement aux prétentions pontificales. Le royaume est mis en interdit, et, par une curieuse tentative, le roi organise un véritable schisme. Pendant cinq ans (1208–1213) l’Eglise anglicane est séparée en fait de l’Eglise romaine
Mais Innocent III donne à Philippe-Auguste la mission de conquérir l’Angleterre. Jean, menacé d’une croisade française, trahi par une partie de sa noblesse, fait sa soumission et se déclare vassal de Rome. Il prend l’offensive contre le roi de France et descend en Poitou, tandis que son allié, Othon IV, envahit la Flandre. La bataille de Bouvines (1214) rompt cette coalition. A son retour en Angleterre, Jean est attaqué par ses vassaux révoltés. Il est forcé de signer la Grande charte (Magna carta libertatum) dans la plaine de Runnimede, près de Windsor (15 juin 1215).
Cet acte est, sans contredit, un des plus importants de l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre. Les rois précédents avaient, sans doute, à plusieurs reprises, accordé à leurs sujets des chartes garantissant les antiques libertés anglaises; mais aucun de ces documents n’avait l’ampleur et la précision de la grande charte. Les circonstances mêmes dans lesquelles le roi avait été contraint de la signer en faisaient un traité de paix solennel entre la royauté et la nation. Ce traité de paix ne fut pas exécuté. Les barons restèrent en armes, et appelèrent Louis le Lion, fils aîné de Philippe-Auguste. Malgré cette intervention Jean sans Terre maintint son autorité dans la plus grande partie de son royaume, parvint à ramener ses ennemis dans Londres, et fit une grande expédition dans le Nord où se trouvaient les domaines de ses principaux adversaires. ll mourut dans cette expédition (octobre 1216).
Son fils, Henri III, avait neuf ans. Il eut un règne aussi long que troublé (1216–1272). Dans son enfance, ses ministres et ses tuteurs, qui réussissent à chasser les Français de Londres, ne peuvent se mettre d’accord. Les légats du pape draînent une partie des ressources du royaume au profit de la cour de Rome.
Devenu majeur (1227), le jeune roi, par son despotisme incohérent et sa diplomatie aventureuse, se rend odieux à tout le monde. On lui reproche de s’entourer de Français et de Poitevins. L’Angleterre se lasse d’être traitée par les Latins en pays conquis. Louis IX, provoqué par Henri III, envahit le Poitou et gagne les victoires de Saintes et de Taillebourg. Ces défaites que ne compensent pas de médiocres chevauchées dans le pays de Galles, encouragent les barons à revendiquer l’exécution de la charte. Ils forment des parlements et mettent à leur tête Simon de Montfort, comte de Leicester, beau Frère de Henri III. Le Parlement d’Oxford (1258) réclame l’institution d’une régence. La bataille de Lewes fait tomber le roi entre les mains des rebelles et Simon de Montfort, régent du royaume, appelle à lui les chevaliers des comtés et les représentants des villes (janvier 1265). Il est battu et tué à Evesham, ses partisans sont traqués dans l’Angleterre.
– Les dernières années de la vieillesse du roi Henri ont aussi été ensanglantées par des proscriptions, des assassinats; le bon plaisir et les exactions du roi et du légat contrastent avec la sage administration de Louis IX. Et cependant, malgré ces secousses et ces convulsions, l’Angleterre ne cesse de grandir. Elle commencé à exploiter les mines quasi-inépuisables de son territoire. Sa marine marchande entretient plus de relations avec la Normandie et la Gascogne que du temps de Henri II. La richesse matérielle s’accroît. Les défaillances sont passagères, les progrès sont constants et définitifs.
La période de la guerre de Cent ans
Le siècle des trois Edouard (1272–1377) est un siècle de transition. L’unité de la nation anglaise s’achève : la guerre de Cent ans s’amorce.
Edouard ler (roi : 1272-1307), qui avait, le premier des fils de rois anglais, porté le titre de prince de Galles était en Terre-Sainte quand son père mourut. Il ne revint prendre possession de la couronne qu’en 1274. La tranquillité de l’Angleterre pendant l’interrègne atteste la force nouvelle du principe de l’hérédité. Edouard ler fut un prince guerrier et législateur. Il a achevé la conquête du pays de Galles (1277–1283); imposé son arbitrage aux deux rivaux qui se disputent la couronne d’Ecosse, Bruce et Bailliol. Son protégé, Jean Bailliol, se tourne contre lui. Edouard envahit I’Ecosse, conquiert Berwick, gagne la grande victoire de Dunbar (1295) et prend pour lui la couronne. Mais il fait en même temps la guerre au roi de France en Gascogne et dans les Flandres.
Sa noblesse lui refuse le service militaire hors du royaume. Sir William Wallace soulève les Ecossais, chasse les garnisons anglaises (Stirling, 1279). La France a trouvé un allié dont la fidélité sera séculaire. En vain Edouard, par la victoire de Falkirk et après plusieurs expéditions, reprend possession de tout le royaume et fait subir à Wallace la mort des traîtres; Robert Bruce se révolte. Son frère Edouard, ses deux lieutenants Randolph et Douglas, l’aident à faire aux Anglais une guerre d’embuscades qui devient atroce. Edouard Ier lègue à son fils la tache ardue de réduire l’Ecosse ou de la désarmer.
Le règne d’Edouard ler offre certaines ressemblances avec celui de Philippe IV au point de vue religieux. Comme son voisin et son ennemi, il entreprend de mettre un terme aux empiétements du clergé. Comme lui, il s’appuie sur la nation pour résister à l’Eglise.
Edouard Ier est le véritable créateur du parlement anglais, qui devient, sous son règne, la réunion des trois ordres clergé, noblesse et communes. Le parlement qui se rassembla à Westminster, le 20 novembre 1295, peut être regardé comme le parlement modèle. Les deux Chambres, haute et basse, sont constituées définitivement. L’organisation judiciaire prend, sous son règne, la forme qu’elle a à peu près gardée jusqu’à l’époque contemporaine. La cour de la chancellerie (court of chancery), la cour des Common pleas, celle du banc du roi (king’s Bench) et celle de l’échiquier se partagent les procès. La charge de grand-justicier est abolie; à sa place sont créés les chiefs-justices dont la liste s’est prolongée sans interruption jusqu’à l’époque contemporaine. Le roi et ses principaux ministres fondent à Oxford et à Cambridge des collèges qui florissent encore. Enfin, l’armée et la marine sont réorganisées. L’amirauté anglaise date aussi d’Edouard Ier. Toutes ces créations sont d’autant plus remarquables qu’Edouard était d’instinct un prince absolu; c’est par un effort continu de volonté qu’il s’astreignit lui-même à développer les institutions de son royaume en suivant la tradition. L’histoire détaillée de ce règne est fort dramatique à cause de cette lutte continuelle entre la passion et la raison.
Edouard II (1307–1321) est faible, couard, cruel; il n’a d’énergie que pour défendre ou venger ses favoris. L’indépendance de l’Ecosse est assurée par la victoire de Robert Bruce à Bannockburn (1314). La scandaleuse faveur du Gascon Gaveston, puis des deux Despensers, père et fils, soulève le mécontentement de toutes les classes de la nation. Le parlement de 1327 dépose Edouard II, qui est remplacé par son fils Edouard III et assassiné dans sa prison d’une manière atroce. C’est la reine Isabelle de France, fille de Philippe V, et son favori Mortimer, qui avaient fait tuer Edouard II. Ils gouvernent quelques années au nom du jeune Edouard III. Mais celui-ci se délivre de cette infâme tutelle, fait périr Mortimer, enferme Isabelle dans un couvent (1330).
Aussitôt libre, Edouard se tourne contre l’Ecosse, lui impose Edouard Balliol, le jeune roi David se retire à la cour de France et les Anglais expérimentent sur les Ecossais la supériorité de leur armement et de leur discipline. L’intervention du roi de France Philippe VI dans les affaires d’Ecosse, les intrigues des Flamands entraînent Edouard et l’Angleterre dans la guerre de Cent ans.
Au moment où commence cette période, désastreuse surtout pour la France, l’Angleterre, couverte de villes populeuses et commerçantes, admirablement cultivée, est arrivée au terme de la grande lutte pour les chartes et les libertés. Elle a son parlement régulièrement convoqué par le roi, dès qu’une grosse dépense est nécessaire. Les classes commerçantes regorgent de richesses, dans les campagnes vivent à côté des nobles opulents de riches fermiers qui fournissent de laine les filatures de Flandre.
La Guerre de cent ans, côté anglais.
En France, on s’est habitué à considérer la longue série de guerres soutenues par les rois de France contre les rois anglais, depuis Philippe VI de Valois jusqu’à Charles VII, comme une seule et désastreuse crise de la seule histoire française. Si l’on se place au point de vue anglais, elle apparaît sous un autre jour. Ce n’est pas une guerre unique, mais deux grandes guerres d’un caractère bien différent et séparées par un long intervalle. La première occupe la seconde et la troisième partie du règne d’Edouard III. La seconde comprend le règne de Henri V et le commencement du règne de Henri VI. Dans l’intervalle de ces deux périodes d’expansion extérieure l’Angleterre est agitée par des guerres civiles et religieuses qui attestent la profonde révolution accomplie en cinquante ans.
Edouard III remporte sur la flotte française la bataille de l’Ecluse (1340), prend le titre de roi de France, bat à Crécy (1345) son rival Philippe VI, et s’empare de Calais, cependant que sa femme Philippa de Hainaut, restée en Angleterre, arrêtait une invasion de David Bruce et faisait prisonnier cet allié de la France. La grande supériorité des armées anglaises consistait dans la forte organisation de leur infanterie composée d’archers fournis par les comtés de l’Ouest. L’incapacité militaire de la chevalerie française est prouvée une fois de plus par la défaite du roi Jean II, à Poitiers (1356). Tandis que le roi de France est envoyé prisonnier à Londres et que les provinces françaises du Nord sont désolées par la Jacquerie, les Anglais s’emparent de l’ancien domaine des Plantagenets, et le traité de Brétigny (1360) reconstitue la principauté d’Aquitaine, avec le droit reconnu à Edouard de l’ériger en royaume. Jusqu’à ce moment les Anglais ont toujours pris l’offensive. La guerre est dynastique en ce sens qu’Edouard III revendique la couronne de France; elle est populaire, en ce sens que les Anglais y apportent une passion farouche et font un énorme butin. Le traité marque le point culminant de la grandeur anglaise pendant cette première période. L’Ecosse, mise à feu et à sang par Édouard, dans cette expédition qu’on appela la Chandeleur brûlée (Burned Candlemas), paraissait définitivement domptée. La Bretagne était, par le traité de Guérande, laissée au comte de Montfort, protégé de l’Angleterre. Le prestige du nom anglais était énorme. Mais le prince de Galles, nommé gouverneur d’Aquitaine, se laisse entraîner à une guerre en Espagne, au profit du roi Pierre le Cruel, détrôné par Du Guesclin (1365-1360).
Les dépenses de cette guerre contraignent le prince anglais à lever de lourdes taxes sur les provinces de son gouvernement. Le mécontentement, excité par les manoeuvres habiles de Charles V, devient universel. Le prince Noir brûle Limoges révoltée (1370); mais les Français reprennent l’offensive et adoptent une nouvelle tactique; refusant toute bataille rangée, ils font aux Anglais une guerre d’escarmouches et de surprises qui les démoralise complètement. Le prince de Galles, épuisé et mourant, retourne en Angleterre. Du Guesclin et ses compagnons, en dépit des invasions de Knolles et de Lancastre (1374), reprennent une à une les forteresses d’Aquitaine.
L’irritation est profonde en Angleterre. Le Bon Parlement d’avril 1376 oblige le roi à se séparer de l’aimable Alice Perrers dont il subissait aveuglément l’influence. Le ministre Latimer est décrété d’accusation. Le Parlement décide même la question de successibilité à la couronne. L’Angleterre n’a pas seulement perdu ses possessions du continent, sauf quelques villes, elle a presque totalement perdu l’Irlande, et le brigandage sévit même dans le royaume. Il faut renouveler le statut de Winchester de 1285 qui ordonnait d’abattre arbres et buissons sur une bande de 200 pieds de chaque côté des routes. L’Angleterre souffre autant que la France des ravages des grandes compagnies.
Le règne de Richard II est aussi désastreux que celui de Charles VI. Wycliffe prêche des doctrines qui sont condamnées par la cour de Rome, mais protégées par le gouverment. Wat Tyler soulève les misérables du comté de Kent et s’empare de Londres. On ne peut se débarrasser de lui que par trahison. C’est la première explosion, en Angleterre, des haines sociales. La réaction s’étendit aux partisans de Wycliffe, les Lollards, qui sont persécutés.
Devenu majeur, Richard gouverne si mal que le parlement lui impose une commission à peu près analogue au gouvernement des Marmousets en France, à la même époque. Le Parlement Admirable (Wonderful Parliament) condamne les partisans du roi (1388) et oblige Richard à prendre un conseil dont il se débarrasse dès qu’il peut. Après la mort de la bonne reine Anne il épouse Isabelle de France (1396) et se débarrasse par trahison des chefs de l’opposition. Sa tyrannie provoque la révolte du duc Henri de Lancastre, son cousin, qui débarque à Ravenspur (juillet 1399), s’empare du roi, l’oblige à abdiquer et l’enferme au château de Pontefra. Richard y mourut quelques mois après (février 1400).
L’avènement de Henri de Lancastre (1399–1413) était une menace à l’adresse de la France; mais les difficultés intérieures furent telles que ce roi fut contraint de différer ses projets d’invasion. Il avait été élu régulièrement par le parlement; mais il fut considéré néanmoins comme ayant usurpé la couronne non seulement sur le roi Richard, mais encore sur ses cousins de la Marche et d’York; aussi des révoltes éclatent sur tous les points de l’île : le Gallois Owen GIyndwer, les Percy, les Mortimer, au Nord, se soulèvent, l’Écosse invente un faux Richard II. La bataille de Shrewsbury (1407) affermit la maison de Lancastre sur le trône, Percy est tué, et, pour faire diversion aux haines nationales, Henri IV songea à intervenir en France entre Armagnacs et Bourguignons. Il est en coquetterie réglée avec les deux partis, surtout avec celui de Bourgogne. Ses projets passent avec sa couronne à son fils aîné.
Henri V de Lancastre n’a régné que neuf ans (1413–1422). Ce temps lui a suffi pour se classer parmi les grands conquérants. Energique, orthodoxe, il écrase une nouvelle insurrection du Nord, extermine les Lollards et réclame la couronne de France. Il s’empare de Harfleur le 25 octobre 1515, par la victoire d’Azincourt, gagnée sur les Armagnacs, par la prise de Caen (1417), de Rouen (1419), devient maître de la Normandie. L’assassinat de Jean sans Peur, à Montereau, lui donne tout le royaume. Le traité de Troyes (21 mai 1421) lui donne, avec la main de Catherine de France, la succession de Charles VI.
Mais il meurt quelques années avant le vieux roi dément, laissant un fils âgé de quelques semaines. Il faut scinder le conseil de régence. Humfroi de Gloucester gouverne l’Angleterre tandis que le duc de Bedford fait face, en France, au roi de Bourges.
Cette division du pouvoir affaiblit les forces anglaises juste au moment où se réveille en France le sentiment national. Les troupes de Jeanne d’Arc délivrent Orléans (1429), Charles VII est couronné dans Reims. La prise, le procès, l’exécution de la Pucelle, le couronnement à Paris du jeune Henri VI ne rendent pas la supériorité aux armes anglaises. Charles VII se réconcilie avec les Bourguignons (1435), rentre à Paris l’année suivante. La supériorité d’armement, de tactique et de direction passe du côté de la France. Gloucester resté seul, après la mort de Bedford, se brouille avec le cardinal de Beaufort, ce qui permet aux Français d’enlever la Gascogne (1442). Henri VI épouse Marguerite d’Anjou et renonce à presque toutes les provinces françaises pour obtenir une trêve. Mais la guerre recommence en 1448, les Français s’emparent de Rouen, reprennent Bordeaux révolté. La victoire de Castillon (1453) termine la guerre de Cent ans.
La même année, Henri VI devenait fou et la naissance d’un prince de Galles, exaspérant l’ambition déçue du duc d’York, donnait le signal de la guerre des Deux Roses. Pendant ce long siècle de luttes extérieures et de luttes intestines, l’esprit politique de l’Angleterre et sa condition sociale avaient subi de profondes transformations. Les levées incessantes avaient épuisé la forte classe des hommes libres. Les gains immenses des expéditions en France avaient enrichi outre mesure les grands seigneurs et les bourgeois des villes. Une nouvelle féodalité s’était constituée, belliqueuse, oppressive et sanguinaire. L’Angleterre était mûre pour la guerre civile. De toutes ses conquêtes elle ne gardait plus sur le continent que la seule ville de Calais.
La guerre des Deux Roses
La maison de Lancastre descendait de Jean de Gand, troisième fils d’Edouard III. Lorsque Henri IV avait déposé Richard II, la couronne, d’après les lois de succession, aurait dû être donnée au comte de la Marche, descendant de Lionel de Clarence, second fils du même Edouard. Après les défaites de la guerre de Cent ans, Richard d’York, descendant par sa mère, Anne Mortimer, de Lionel de Clarence, revendiqua les droits de sa succession. Il commence par se faire proclamer protecteur du royaume pendant la folie de Henri VI, fait arrêter et exécuter le favori du roi et de la reine Marguerite, Somerset (1454). Revenu à la santé, Henri VI essaie de secouer la tutelle, mais, à la bataille de Saint-Albans, il est fait prisonnier (1455). Ce fut la première bataille de la guerre des Deux Roses. Les partisans d’York prennent pour emblème une rose blanche, ceux de Lancastre arborent la rose rouge. Le vrai chef de la faction d’York est d’abord le duc d’York lui-même, puis Warwick, le faiseur de rois.
La cause de Lancastre est soutenue avec une énergie désespérée par la Française Marguerite d’Anjou. Vaincu à Ludlow (1459) et forcé de s’enfuir à Calais, York reprend l’offensive, gagne la victoire de Northampton et se fait proclamer héritier présomptif; à la bataille de Wakefield il est écrasé par le nombre, tombe mort sur le champ de bataille; sa tête tranchée est exposée avec une couronne en papier à la porte de sa ville ducale. Mais son fils Edouard, comte de la Marche, est vainqueur à la Croix de Mortimer (1461); entré dans Londres, Henri VI est déposé. La bataille de Towton l’oblige à se réfugier en Écosse et le parlement, fidèle au parti victorieux, proclame Edouard IV roi d’Angleterre. Le mariage romanesque de ce jeune prince avec Elisabeth Wydeville irrite Warwick qui conspire avec le duc de Clarence, frère d’Édouard, se réconcilie avec Marguerite au traité d’Angers (1470).
Edouard IV est forcé à son tour de se réfugier en Hollande. Le duc de Bourgogne lui donne le moyen de retourner dans ses Etats. Edouard débarque à Ravenspur comme avait fait Henri de Lancastre; Clarence revient à son frère, Warwick est tué à Barnet et la grande bataille de Tewksbury anéantit les dernières ressources de la Rose rouge. Le jeune prince de Galles, fait prisonnier, est égorgé par l’immonde Richard, duc de Gloucester. Henri VI est assassiné dans la tour de Londres.
Edouard IV règne sans contestation mais non sans trouble jusqu’à sa mort (1483). Edouard est proclamé roi, mais Richard de Gloucester, nommé tuteur des jeunes princes et protecteur du royaume, se débarrasse d’abord des parents de la reine-mère, fait tuer lord Hastings, enferme ses pupilles à la Tour et les fait déclarer bâtards. Une tourbe ameutée par ses agents l’acclame roi. Il accepte la couronne et le parlement le reconnaît. Mais la tyrannie de Richard III est si odieuse que son complice Buckingham se révolte contre lui, et qu’un nouveau rival réclame le trône, Henri Tudor, duc de Richmond, descendant, par sa mère Marguerite, du premier duc de Lancastre. Buckingham est tué et Richmond se réfugie en France. Anne de Beaujeu lui donne des secours et, le 22 août 1485, à la bataille de Bosworth, il bat et tue Richard III.
L’avènement de Henri Tudor met fin à la guerre des Deux-Roses. Il épouse Elisabeth, fille d’Édouard IV, et réunit ainsi les droits des deux maisons rivales. La longue série de batailles, de secousses dynastiques, avait trop profondément ébranlé l’Angleterre pour que le besoin de repos ne fût impérieusement ressenti. La noblesse avait été décimée, le parlement déshonoré par ses palinodies et ses rares protestations ne rencontraient pas d’écho. La situation des classes agricoles, ruinées par les ravages des gens de guerre, était devenue légalement une véritable servitude. Des statuts du parlement avaient interdit aux ouvriers agricoles de quitter leur comté. L’habitude de l’illégalité et des juridictions exceptionnelles avait été prise. La torture, inconnue à l’ancienne loi anglaise, s’était sournoisement introduite dans les mœurs judiciaires.
Par delà les péripéties de la conjoncture historique, plusieurs éléments contribuant au renforcement précoce de l’emprise étatique doivent être relevés.
Concourent à a formation d’une nouvelle structure politique, qualifiée d’ « Etat moderne » (travaux de Jean-Philippe Genet) ou de « féodalisme d’Etat ». A la différence du féodalisme seigneurial, où l’autorité publique se répartit au sein des classes dominantes de sorte que le prélèvement peut tout entier être assuré par le maître éminent de la terre et par ses hommes dans le cadre de la seigneurie, dans le féodalisme d’Etat, on assiste, sur fond de reconcentration de l’autorité publique, à l’apparition d’un prélèvement d’Etat, à côté du prélèvement seigneurial et domanial, qui, s’il persiste, perd peu à peu de son importance.
Même si ce phénomène s’opère dans la connivence entre l’Etat et les classes dirigeantes, un pas immense est franchi par le recours à la fiscalité d’Etat : impose progressivement un dialogue (B. Guenée) de plus en plus complexe entre le prince et une société qui se définit par là même comme une société politique. : avec des rythmes, des spécificités et des intensités diverses, ce phénomène est détectable dans tous les royaumes d’Occident.
La première transformation essentielle que l’on observe, particulièrement en Angleterre, est liée à la guerre.
A- Le poids de la guerre
Si le prestige et l’Antiquité du titre de roi de France est indéniable, il a objectivement un rival depuis 1066 : concurrence qui connaît un premier pic en 1194-1214, puis un second pic à la fin du XIIIè avec les guerres entre Philippe e Bel et Edouard 1er. 2 champs d’affrontement :
- l’Aquitaine : remise en cause incessante de la souveraineté anglaise par des appels des plus turbulents des sujets au plt de Paris
- la Flandre travaillée par les luttes sociales et la vendetta nobiliaire des Avesnes et des Dampierre : or Edouard ne peut se désintéresser du principal débouché des laines anglaises, source de l’essentiel de ses revenus douaniers.
Ainsi se noue une étreinte fatale, aucun des deux souverains ne pouvant reculer : la guerre de 100 ans s’inscrit dans ce contexte géostratégique plus global.
Pour l’Angleterre, la guerre = une constante, du début général des hostilités, en 1294, à la bataille de Stoke en 1487 (dernier épisode de la guerre des 2 Roses) :
- les guerres contre l’Ecosse (1296-1323, 1327-1328, 1332-1357, 1384-1389, 1400-1438, 1448, 1455-1464, 1482, 1513)
- les expéditions en Irlande (1361, 1394, 1399)
- les expéditions en Gascogne (1294-1298, 1324-1325)
- les révoltes galloises (notamment dans les années 1401-1408)
- tout cela se combine avec les divers épisodes de la guerre de Cent ans.
- S’y ajoutent encore les fréquentes opérations militaires liées aux troubles civils dans le royaume
Les guerres = de véritables gouffres financiers (cf point suivant). Evolution profonde des armées anglaises après le milieu du XIIIè :
Les armées du premier XIIIè siècle sont un mélange d’armées féodales et de mercenaires : la levée féodale ne coute rien mais le service n’est que de 40j, et les levées sont peu dociles. Les rois leur préfèrent souvent l’appel à des mercenaires.
Edouard 1er opte pour une solution de compromis : il utilise le système de l’ost féodal, mais paie des soldes pour conserver la maitrise du processus. Invoque le principe général selon lequel tout homme libre doit défendre son pays. Son objectif est d’en trouver une traduction fiscale pour lever une armée de professionnels soldés qu’il commandera (d’ailleurs essentiellement dans l’aristocratie) : c’est ce modèle qui va s’imposer. Transition progressive.
Les archers sont le corps le plus important, mais les innovations tactiques restent timides et ce n’est qu’avec les guerres écossaises du début du règne d’Édouard III que les anglais maitrisent le combat combiné de la cavalerie et de l’infanterie.
Au final, la guerre est de plus en plus clairement identifiée comme une fonction de l’Etat, qui tend à en interdire son exercice en dehors de sa sphère d’action : c’est la thèse de M. Weber. La guerre a cessé d’être le moyen normal de régler les conflits entre les membres de l’aristocratie.
Le corollaire de cela c’est la limitation de ceux qui jouent un rôle militaire effectif, ce qui pose un pb d’identité à l’aristocratie militaire : d’où ne concurrence acharnée entre les groupes.
B- Le dynamisme du prélèvement fiscal
Plusieurs particularités à souligner.
- d’abord, Angleterre est par droit de conquête domaine du roi
- ensuite : précocité du système fiscal anglais. En théorie, « il n’y a impôt, au sens moderne du terme que lorsque la puissance publique impose à ceux qu’elle régit une contribution d’un montant spécifique et reconnue comme légitime à la fois dans sa destination et dans sont exigence même. »Or, l’Angleterre offre une nouvelle particularité de ce point de vue car la pression viking a conduit la dynastie du Wessex à inventer le système des danegelds afin de disposer rapidement des sommes exorbitantes exigées par les chefs des flottes vikings pour prix de leur départ. Certaines traditions a administratives anglaises remontent à ce lointain passé. La capacité à quadriller l’espace pour mesurer les ressources et connaître ses structures d’exploitation dont dispose la monarchie normande à la fin du XIè siècle et dont le Domesday book est le témoignage saisissant est sans équivalent en Occident.
Le rendement du danegeld n’en a pas moins décliné à cause des exemptions accumulées avec le temps. Il rapporte à peine 3000 livres au XIIè siècle et Henri II finit par abandonner une redevance difficile à percevoir et peu rentable.
Pour l’essentiel, la fiscalité de la monarchie anglaise est jusqu’au XIIIè siècle féodale, dérivant du concept d’auxilium.
On ne peut cependant comprendre la fiscalité anglaise sans considérer dans son ensemble le pb administratif. Absents pendant la plus grande partie de leur règne, anxieux de disposer des hommes et de l’argent nécessaires à leur action sur le continent, rois normands et angevins profitent de la relative solidité des cadres territoriaux anglo-saxons pour y greffer avec succès des pratiques féodales normandes.
- pratiques féodales : l’Angleterre est « normanisée », toute terre étant tenue en fief du roi.
- Mais traditions anglo-saxonnes :
- D’une part, le cadre uniforme des circonscriptions administratives (shires et hundreds), théâtres des activités publiques (justice, levées militaires et fiscales) qui incombent aux assemblées d’hommes libres.
- D’autre part, le rôle du roi, garant de la paix intérieure et défenseur du pays contre l’envahisseur.
Ainsi, la féodalisation ne détruit pas le cadre national et le Conquérant ne distribue pas les fiefs sur une base régionale, mais réparti les terres de chacun sur plusieurs shires. Les barons agissent de même à l’égard de leurs plus puissants vassaux. La cour royale reste ainsi le centre national du pouvoir et devient la plus importante institution du royaume, où qu’elle soit : elle cesse d’être itinérante au XIIIè siècle. Jusque là, elle avait souvent été sur le continent, si bien que, cas exceptionnellement précoce en Europe, 2 départements sédentaires se sont développés en Angleterre :
- le Trésor à Winchester
- l’Echiquier à Westminster. L’Echiquier centralise les sommes dues au roi, notamment par les sheriffs responsables de la perception dans les comtés. L’Echiquier effectue les paiements royaux ; il a aussi des fonctions judiciaires.
- La coordination de l’ensemble et la cohésion entre départements itinérants et sédentaires est assurée par le Justicier.
Même si la Household reste + longtemps itinérante, le groupe des king’s clerks souvent formé dans les nouvelles universités, a rapidement acquis sa cohésion : ils font de l’administration une bureaucratie qui recourt systématiquement à l’écrit, organise ses archives, affine ses procédures et sa gestion. Le roi dispose en Angleterre d’un appareil administratif certes restreint mais + précoce et + efficace que celui de ses concurrents.
Face aux contraintes permanentes des guerres, efforts pour trouver de nouvelles sources de revenus, en plus des prélèvements féodaux classiques et du vieux danegeld :
- Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre essaient le carrucage (taxe sur le charruage), qui rapporte trop peu. Se tournent alors vers des taxes proportionnelles aux revenus et aux biens meubles, déjà expérimentées pour financer les croisades (1/4è, 1/7è, 1/13è, etc.). Le rendement d’un tel impôt est considérable mais pour l’imposer, le roi doit admettre le consentement formel de ses sujets, censés être représentés dans le Grand conseil (cf. infra) : cout politique élevé pour la couronne
- Règne de Henri III est l’illustration de ce dernier point : s’est vu accorder 4 fois l’aide d’une telle taxe pour 6 refus, le conseil ou le parlement se montrant toujours soucieux de déterminer si le roi demandait bien cet argent pour les affaires du royaume ou pour les siennes propres : contrôle politique d’autant plus pbtique que rendement de la taxe très élevé (toutes taxes confondues, Ed. 1er aurait ainsi levé le ¼ de la masse monétaire en circulation en Angleterre entre 1294 et 1297). Or, les membres du plt ont généralement considéré que la reconquête des terres continentales des Plantagenêts et l’affaire de Sicile concernaient le roi, non le royaume. Au final, le rendement d’une telle taxe, s’il peut être très important, dépend avant tout de son acceptation sociale et politique.
- Importance de la taxation indirecte : insularité de l’Angl favorise sont implantation précoce. Dès 1275, Édouard 1er institue, après négociation avec un syndicat de marchands, l’ancient custom, taxe de 6s et 8d par sac de laine. A l’origine, ces droits ne représentent pas plus de 10 000 livres/an mais ils forment le socle sur lequel s’appuie le roi pour emprunter au banquiers italiens des sommes importantes et immédiatement disponibles. En combinant les revenus dits « ordinaires » (domaine, justice, droits féodaux issus de la prérogative royale) ceux des douanes et les recettes extraordinaires (taxes sur les biens meubles accordées par le plt), l’Angleterre crée au XIIIè siècle (surtout en 1260 et 1297) un système fiscal équilibré dont l’efficacité sera encore améliorée au cours des siècles suivants.
Les niveaux de prélèvements sont difficiles à établir car documentation incomplète. Mais probable révolution fiscale des années 1280-1330, à la fois en termes de niveaux de taxation et en termes de structures. Il est vrai que la quantité d’argent disponible a été multipliée par 5 ou 6 pendant le XIII è. Au haut niveau des dépenses royales a donc correspondu un niveau élevé d’imposition. Maintenu pendant la 1ère ½ du XIVè siècle, il ne put l’être par la suite, si ce n’est pdt la brève période du règne d’Henri V. Après sa mort, le déclin se poursuit jusqu’à un effondrement qui correspond au règne de Henri VI.
Si les rois Yorkistes et Henri VII ont pub rétablir un bon fonctionnement des finances royales, le niveau d’imposition reste faible par rapport à ceux du XIVè siècle. Henri VII semble même s’être délibérément détourné du modèle « fiscal » au prix d’un non engagement dans les conflits continentaux.
Sous les règnes d’Henri VIII, Ed. VI et Mary Tudor, la part de la fiscalité directe augmente à nouveau, mais recommence à baisser sous Elizabeth. Le niveau général des revenus reste assez faible, à l’exception de la période 1530-1560 : les besoins du souverain ont brutalement augmenté lorsque l’Angleterre s’est trouvée en guerre à la fois contre l’Ecosse (1542) et contre la France (1543). Les dépenses sont alors essentiellement consacrées à la guerre (près de 56% des dépenses entre 1534 et 1547).
Eglise d’ailleurs fortement mise à contribution. A fourni le ¼ du revenu royal sous le règne d’Henri VIII.
Ce n’est que sous Elizabeth que reparait un certain équilibre, mais au prix de l’acceptation d’un niveau de revenu assez fable, interdisant les grandes aventures militaires.
2 conclusions majeures :
- L’impôt direct, sous la forme d’une taxe sur les biens meubles, d’exceptionnel devient permanent, sinon régulier, même s’il ne fournit qu’une part des revenus de l’Etat. Taxation qui doit apparaître légitime dans son motif, dans ses modalités de perception comme dans son utilisation. Le consentement doit être aussi large et manifeste que possible : cf. corps de doctrines politiques et théoriques qui s’est développé sur le sujet de l’impôt en Occident. Si l’impôt est juste, il est contraire à la justice de ne pas le payer : théologiens et canonistes insisteront sans cesse sur ce point.
L’Angleterre est remarquable en ceci qu’elle s’est engagée précocement dans un processus d’institutionnalisation des procédures de consentement, ce qui suppose que 3 principes soient posés :
- que l’autorité royales en matière fiscale s’étend à tous : le pb de savoir si le clergé est soumis à l’impôt est réglé dès la fin du règne d’Edouard 1er, même si l’argumentation pro et contra continue. Le roi d’Angleterre se pose efficacement en défenseur de son clergé et le pape ne peut espérer une levée que s’il a auparavant demandé (et obtenu) une autorisation royale. L’Eglise est donc partie prenante dans ce dialogue institutionnalisé.
- Le roi lève l’impôt non pour satisfaire ses propres besoins, ce à quoi son domaine est censé suffire, mais ceux du royaume.
- Enfin, il doit effectivement être en situation de nécessitas, sans autre moyen que les biens de ses sujets à sa disposition.
- La seconde conclusion apparaît contradictoire avec la 1ere : les rois anglais empruntent, et leurs emprunts sont même intégrés aux procédures fiscales : le roi emprunte par anticipation ce qu’il remboursera sur les revenus des impôts directs et indirects.
Jusque vers 1340, ces emprunts ont été contractés auprès des grandes banques italiennes. A partir des années 1540, ils sont effectués sur le marché d’Anvers, avec de lourds intérêts.
Entre ces deux dates : emprunts contractés auprès des sujets du roi : qu’ils soient volontaires ou forcés : comme dans le cas de la taxation directe, la société politique rend son verdict par le crédit. Les mécanismes de taxation directe ont crée une structure de dialogue dans laquelle les autres formes d’imposition qui la complètent, y compris celles faites pour la tourner, s’intègrent. Finalement, c’est toujours la société politique qui décide.
§III- La précocité des mécanismes de représentation
A- Du conseil féodal à l’assemblée représentative
Au XIIIè siècle, le plt n’est pas encore une institution bien définie : c’est un conseil élargi, spécialement convoqué et donc distinct du conseil royal, lui-même encore très informel siégeant in parliamento (terme apparu en janvier 1237) afin de discuter un pb politique et/ou adm. nécessitant un échange approfondi entre le gouvt et ceux qui disposent localement de pouvoir et d’influence. Le plt est donc une forme particulière de Grand Conseil.
Le texte de la magna carta, souvent republié ou relu dans des occasions solennelles, reste fondamental durant toute la période médiévale, ne révèle aucune principe fondateur : ses articles 12 et 14 sont strictement féodaux, précisent seulement les cas dans lesquels l’assentiment du conseil est requis :
- –
Nul écuage ou aide ne sera établi dans notre royaume sans le consentement du commun conseil de notre royaume, à moins que ce ne soit pour le rachat [la rançon] de notre personne, pour armer notre fils aîné chevalier, ou pour le mariage de notre fille aînée, une fois seulement ; et dans tous ces cas, nous ne lèverons qu’une aide raisonnable ; il en sera de même pour les aides que nous lèverons sur la cité de Londres.
- –
Et, pour avoir le commun conseil du royaume au sujet de l’établissement d’une aide, autrement que dans les trois cas susdits, ou au sujet de l’écuage, nous ferons semondre les archevêques, les évêques, les abbés, les comtes et les grands barons du royaume, individuellement par des lettres ; et, en outre, nous ferons semondre collectivement par nos shérifs et nos baillis, tous nos tenanciers en chef, au jour dit et au lieu dit, avec un délai de quarante jours au moins ; et, dans toutes les lettres de cette semonce, nous déclarerons la cause de la semonce. Et, la semonce étant ainsi faite, la question sera décidée, au jour fixé, selon le conseil de ceux qui se trouveront présents, quand même tous ceux qui auront été semons n’y seraient pas.
La composition du conseil est fondé sur une argumentation féodale, liant la présence à la détention d’un fiel tenu en chef du roi : l’universitas baronum représente la communauté du royaume à travers la structure féodale des vassaux et des arrière-vassaux.
Dans le siècle qui suit, les réunions se font plus nombreuses sans que la périodicité des réunions, souvent demandée, soit accordée, et la composition du conseil varie. NB : les chevaliers ne « représentent » que la cour de leur comté : logique qui reste féodale.
De 1258 à 1265 (épisode de Simon de Montfort), les réunions sont régulières, mais la périodicité ne survit pas à la chute de Montfort. Le dernier parlement de cette période « réformatrice » est cepdt le 1er plt « classique » :
- siègent des magnats et prélats
- des chevaliers représentant les comtés
- des bourgeois représentant les villes.
NB : ces réunions sont fréquentes : de 1216 à 1307, 181 réunions du conseil élargi, 67 étant dites de plt. Composition variable. Magnats presque toujours là, parfois seuls (23 fois). Jusqu’à 1258, ils sont le plus souvent réunis avec les prélats. A l’occasion d’une réunion, d’autres groupes peuvent s’y adjoindre : juifs, barons des 5 ports….
DE 1265 à 1307, sur 90 assemblées, 10 utilisent la configuration classique de 1265, avec à partir de 1295 (« plt modèle ») des représentants du clergé diocésain qui disparaitront par la suite. A partir de 1295, en effet, la structure étendue du plt tend à devenir la norme. 2 raisons à cela.
1) Pendant la 1ère ½ du XIIIè siècle, 2 concepts de représentation coexistent, l’un féodal, l’autre administratif et juridique (cf. progrès décisifs du droit romain et du droit canonique pdt cette période).
– Le « commun » a ainsi longtemps désigné les barons. Les chevaliers qui représentent la cour de comté se contentent de véhiculer l’information, dans les deux sens, entre deux niveaux adm.
– à partir des années 1250 et notamment pdt la crise montfortiste et au début du règne d’Edouard 1er, le concept et la pratique de la représentation se transforment, complètement, notamment sous l’influence des droits savants : le célèbre quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari débet (discuté par les canonistes dès le XIIè) + droit des procurations.
Un nouvelle notion se fait jour : l’idée que ceux qui représentent une communauté jouissent de la plena potestas du droit romain : leurs propres actes ont le pouvoir d’engager leurs mandants, comme si ceux-ci agissaient en personne.
2) Importance de la préoccupation fiscale : c’est elle qui est à l’origine directe de cette transformation : engageant ceux qui les ont élus, les représentants interdisent toute contestation de l’impôt qu’ils ont accepté. Inversement, le souverain qui lèverait l’impôt dans les avoir consultés se heurterait à une hostilité renforcée : un véritable dialogue politique est ainsi fondé, plus large et mieux structuré que celui qu’autorisait le seul conseil, fut-il élargi, et ce d’autant plus que le rôle du plt ne se limite pas à la fiscalité. C’est à partir du règne d’Edouard 1er qu’affluent de toute l’Angleterre les pétitions dont discute le plt, c’est à partir de son règne que peu à peu la législation par statut devient l’apanage du plt.
B- L’évolution du parlement à la fin du Moyen Age
Histoire du plt pas linéaire, contrairement à ce qu’ont longtemps soutenu les historiens anglais. Le XIVè est marqué par des avancées décisives :
- création d’une procédure de négociation triangulaire entre roi, Lors et Communes
- répartition des tâches et des procédures entre Lords et communes
- apparition du Speaker des communes
Par contre, la législation des plts de la fin du MA a moins d’envergure : elle est de + en + dépendante des pétitions communes et des pétitions des Communes. A partir de la fin des guerres continentales (1453) et de la guerre des Deux Roses, le plt semble avoir perdu bcp de son utilité pour la monarchie. Le rythme de ses réunions se ralentit sensiblement sous Henri VII et au début du règne d’Henri VIII.
Ce qui a alors changé le cours de l’histoire du plt : la nécessité pour H. VIII de faire approuver sa politique religieuses par l’opinion publique nationale. 1529 marque ainsi un nouveau départ de l’institution pltaire, qui prendra un nouvel essor sous le règne d’Elizabeth.
A partir de 1530, apparaît l’idée que le plt n’est + une institution distincte du roi, la + haute cour de justice à laquelle il a recours quand besoin est mais que le roi en fait en quelque sorte partie intégrante : le plt est la + haute cour du royaume, son autorité suprême, parce qu’il est constitué de 3 états, le Roi, les Lors et les communes, représentant tous l’ensemble du corps politique du royaume : King in parliament = la souveraineté.
NB : si le problème d’une périodicité régulière des plts est fréquemment évoqué, la réflexion des réformateurs porte surtout sur sa composition. En effet, en dehors des sessions du plt, le conseil de la « communauté du royaume » ne cesse pas de parvenir au souverain, mais ceux qui le transmettent sont les membres de son conseil : les contemporains ont l’impression d’une certaine continuité entre les deux (nombreux lords membres du conseil du roi).
C- Les membres du parlement
Composition du plt précisée par le Modus tenendi Parliamentum. Sans doute préparé pour le plt de juin 1321, il précise que doivent être rassemblés au plt :
- tous les archev., évêques, et autres clercs qui sont tenants pour un comté ou une baronnie complète
- tous les comptes et barons et leurs pairs, qui sont tenants pour un comté ou pour une baronnie. Il est de coutume qu’ils soient convoqués individuellement
- Par ailleurs, des writs doivent être envoyés (au moins 40 jours avant la tenue du plt) :
- aux barons des Cinque Ports[1] pour qu’ils fassent élire dans chaque port deux barons expérimenté
- à tous les sheriffs d’Angleterre, pour que soient élus dans chaque comté deux chevaliers
- au maire et aux sheriffs de Londres, au maire et aux baillis d’York et des autres cités pour que soient élus, dans chaque cité, deux citoyens
- aux baillis et aux prud’hommes des bourgs deux bourgeois.
NB : chacun de ces groupes doit venir avec ses mandats de procureur, prouvant qu’ils engagent bien leurs pairs.
Description qui ne tient pas compte des évolutions : la présence du clergé diocésain est dé à en partie tombée en désuétude sous le règne d’Edouard II. Cela ne fit que renforcer la structure de base féodale du Plt, qui n’est pas une assemblée d’Etats. Ainsi, les membres du clergé ne sont pas là en tant que clercs mais en tant que barons. De fait, de nombreux évêques sont aussi membres du conseil royal, et leur présence s’explique surtout pour des raisons politiques.
Pour les membres élus :
- les knights of the shire sont élus à la cour mensuelle du comté, où siègent tous les hommes libres, chevaliers, écuyers, et propriétaires possédant des terres d’un revenu suffisant. Le candidat doit être un chevalier, disposer de grandes propriétés, être un homme d’expérience, mais n’être ni juriste ni homme de loi.
- Pour les villes, la situation est plus variée : les cinque ports ne posent guère de pb, si e n’est qu’ils sont 8. Quant aux boroughs et aux cités, il n’en existe pas de liste. En général, on considère que les cités renvoient à une dizaine de villes, possédant des institutions analogues à celles du shire pour pouvoir précéder à l’élection (Londres et York, puis Norwich, Lincoln, Bristol, Newcastle).
- Pour les boroughs : liste variable. Le writ arrive au sheriff et c’est à lui de trouver une solution. Peu à peu, cepdt, la liste se stabilise et se réduit à environ 80-85 boroughs, mais en gros, d’une façon ou d’une autre, ce sont tjrs le maire et les aldermen qui désignent les élus. L’élu n’est pas forcément un bgeois, c’est souvent un gentleman voire un chevalier, recommandé au maire par le sheriff ou par le plus important des magnats locaux.
Les membres des communes sont donc, par leur mode de désignation même, des « hommes sous influence », sans parler des manipulations de procédure. Aussi manque-t-on souvent de candidats, d’autant que le séjour au plt coûte cher et est mal indemnisé. En outre le rôle principal dévolu aux Communes est de voter les impôts… Ainsi, en dépit des efforts des sheriffs, certains boroughs restent sans représentant.
Le point essentiel : celui des relations entre les membres des Communes et Lords d’une part et la couronne de l’autre. L’efficacité de l’intervention de la couronne dépend du contrôle qu’elle exerce sur les sheriffs. Interventions fréquentes des Lords dans la désignation des représentants des Communes.
Pourtant identité spécifique des Communes existe et est matérialisée par l’apparition du Speaker. A partir de 1376, chaque nouveau plt élit son Speaker, affirmant ainsi l’identité collective des Communes. Indépendance qui sera renforcée par une série de conflits avec la Couronne qui aboutiront progressivement à l reconnaissance de fait d’une immunité des membres des Communes leur garantissant la liberté de parole pendant les sessions du plt.
Remarque conclusive : La société politique, dans un Etat moderne, ne se limite pas aux élites. Elle est constituée par tous ceux qui ont une relation au pouvoir, que cette relation soit directe ou indirecte, proche ou lointaine, centrale ou périphérique. Ces relation impliquent une opinion qui se transforme en « conseil », normalement par le biais d’institutions représentatives, exceptionnellement par des prises de parole ou de pouvoir : l’intensité de la violence politique et la fréquence des révoltes populaires apparaissent comme un paradoxe dans une monarchie où le dialogue institutionnel est le plus avancé. Ce sont là, en fait les 2 faces d’un même phénomène : l’intensité du dialogue d’une société politique dynamique, face à une monarchie constitutionnellement rudimentaire.
Section II- La cristallisation de l’organisation judiciaire
§I- Une compétence d’attribution. Le maintien de la paix du roi
Malgré les affirmations longtemps répétées des juristes anglais, la CL n’est pas une entité immémoriale, antérieure à la conquête normande, qui aurait reconnu l’excellence de l’organisation juridique anglo-saxonne. C’est une création royale d’Henri II. D’ailleurs, Glanvill, auteur de l’un des premiers traités de droit anglais explique qu’il va exposer ce qui a trait « aux lois et coutumes du royaume d’Angleterre composées au temps de Henri le second ».
D’autre part, avant le règne d’Henri II, la grande masse des procès était traitée soit dans les cours seigneuriales, soit dans les antiques cours de comté ou de hundred. Les cours seigneuriales jugeaient non seulement les petites affaires intéressant le domaine, mais aussi et surtout les causes civiles intéressant les tenures : la protection des biens, en somme, dépendait surtout du lord : justice locale échappant en grande partie au Roi, la Curia étant surtout une cour féodale : affaires touchant les intérêts du roi comme seigneur + jugement des appels.
La réussite de Henri II est d’avoir rendu la CL relativement efficace et suffisamment attractive pour que les cours royales supplantent les autres tribunaux. Le concept de base n’en est pas moins d’origine anglo-saxonne : le roi est responsable du maintien de la « paix du roi » : tout délit qui la trouble, meurtre, vol, incendie volontaire est donc un « plaid de la couronne » : 37 cas royaux sont ainsi dénombrés dans les Leges Henrici primi.
Le système judiciaire en vigueur au XIIIè siècle est structuré par les grandes assises d’Henri II, même si celles-ci ont repris un certain nombre d’éléments antérieurs. Son originalité tient au jury de présentation et au writ retournable.
A- L’institution du jury
La règle de base est tout suspect dans une affaire troublant la paix royale doit être « présenté » aux juges royaux par un jury de 12 membres. Arrêté par le sheriff, il attendra son jugement par un juge royal, seul habilité à juger ces cas.
Cette institution va vite rencontrer un vif succès et singulariser la procédure anglaise. Pourtant, il s’agit bien d’une importation du continent : Jurés des communes font leur apparition en France au tout début du XIIè (chartes). Régression à partir de 1180 (au moment où ils triomphent en Angleterre). L’apparition des jurés était liée à une réaction populaire contre l’arbitraire seigneurial. Groupes informels de jugeurs qui intervenaient au sein des tribunaux traditionnels pour accuser ou statuer.
L’introduction du jury est liée à la législation d’Henri II :
- En matière civile, le roi crée les 4 premières actions de CL (qui sont des actions possessoires) : novel disseisin (1166) utrum, darrain présentement, morte d’ancestor. Ces actions ont permis de régler tous les litiges ayant trait à la propriété, à la tenure, à la transmission des biens par héritage. Technique consistant à attribuer la saisine à celui des 2 adversaires qui démontre qu’il a exercé des droits, de la manière la + continue, sans contestation, avant le conflit qualifié de « trouble possessoire » : jury de voisinage. NB : les actions nouvelles reléguaient à une seconde étape éventuelle le contentieux sur le fond du droit, qui restait de la compétence des cours féodales. Cepdt, si celles-ci demeuraient attachées au duel, les cours royales préservaient les plaignants des risques d’un combat en leur offrant la résolution rationnelle d’un verdict des jurés. Textes anglo-normands précisent que les hommes qui formaient l’assise royale doivent prêter serment de « dire vrai ». A l’origine, groupe de voisins convoqué pour répondre sous serment à une question quelconque et prononcer le « vrai dit » (vere dictum).
- En matière pénale : constitutions de Clarendon (1166) et de Northampton (1176) mettent en place un système de tournées des juges royaux, destinées à réprimer les troubles à l’OP : vagues répressives sans précédent, conclues par des ordalies, souvent sous forme d’immersion. Politique criminelle du roi transforme donc l’ordalie en un simple instrument au service de l’accusation, en en appauvrissant les rituels.
NB : à partir de 1215 et le concile de Latran IV, avec l’interdiction des ordalies : substitution déterminante des jurys aux ordalies. Procès par jury a permis de sortir du système des duels judiciaires.
En matière pénale, l’accusation est assurée par un jury composé de 23 hommes dans chaque comté, 12 hommes dans chaque hundred : doit dénoncer les meurtriers et les voleurs devant les juges itinérants : Grand jury ou jury d’accusation. Les jurés devaient se prononcer d’après ce qu’ils savaient et d’après ce qu’on disait : ne se préoccupaient pas des preuves.
Celles-ci sont laissées à l’appréciation d’un second jury ou Petty jury, composé de 12 jurés, qui décide si l’accusé est innocent ou coupable.
Ces jurys sont désignés par élection : ce ne sont pas des professionnels mais des « reasonable men », à qui le juge doit expliquer le droit.
Le déroulement du procès : Justice before truth : le procès de common law entre liturgie et dramaturgie
Pleadings : 1ère phase. Correspond aux plaids du haut MA. Instance préparatoire, au cours de laquelle le juge et les avocats des parties discutent d’objections préalables avancées par le défendeur. Petite justice, au cours de laquelle le juge, en statuant sur les objections, émet les « jugements » qui, mis en chaine, formeront le corpus juridique de la CL matérielle. Au vu du déroulement des débats, la partie qui sent venir l’échec a la faculté de négocier.
A défaut d’accord des parties, le procès se prolonge jusqu’à la phase du trial, au propre « l’épreuve » : verdict du jury, composé à l’origine de gens du peuple de Dieu: « assises du roi » fondées sur le principe vox populi, vox Dei. Le verdict du jury tient ds la procédure le rôle du Deus ex machina, tenu autrefois par le jugement de Dieu. Héritier du jugement divin, le jury en reprenait à son compte la vertu d’omniscience.
Ds la procédure romano-canonique la vérité est établie par l’enquête, avant tout débat : l’établissement de la vérité judiciaire est une opération initiale, préalable à la confrontation des parties.
Au contraire, dans la CL, la confrontation des arguments opposés se fait ds la 1ere phase, celle des pleadings, et c’est au terme de ce débat que se produira la manifestation de la vérité, dévolue au jury. Le jury sait. Il est son propre témoin : présomption d’omniscience. Répond aux questions très précises formulées à l’issue des pleadings.
Désinvolture avec laquelle les records et les reports traitent les informations factuelles relatives aux causes. Il n’est pas jusqu’au nom et à l’identité des parties qui soient suspectes (cf. la référence à John Doe). Dans l’histoire de la culture judicaire anglaise, le ludique et le judiciaire sont très tôt imbriqués.
La seule chose qui compte : la cohérence (consistency) : principe de non contradiction, s’appliquant à toute affirmation proférée par chacun au cours du procès, voire avant si elle devait être produite.
Dans le travail de tri entre l’acceptable et l’irrecevable, la distinction du droit et du fait n’a joué qu’un rôle très secondaire. De même la distinction du vrai et du faux. Pour des raisons techniques, par ex, les juges pouvaient tenir pour recevable une allégation fantaisiste, comme par exemple considérer que la ville de Calais se trouve dans le comté du Kent, afin de fonder leur compétence. La CL peut parfaitement interdire de produire en justice une information vraie (par exemple présenter le casier judiciaire de l’accusé) ou de démentir une information fausse (le caractère imaginaire de John Doe). Si la vérité judiciaire reste une valeur cardinale, c’est celle qui procède de la rectitude des règles de procédure et non d’un rapport de concordance extérieur entre le vrai judiciaire et le réel social.
La CL = avant tout un état de procédure. Le procès = une confrontation du bien et du mal dans une dramaturgie : alliance avec l’imaginaire nouée de bonne heure.
La confiance ds le verdict des 12 hommes moyens, dument éclairés dans le cours d’un procès loyal, était telle qu’on prenait leur jugement pour supérieur à celui du législateur : caractère ordalique.
Vérité du devoir être. Les formes du procès sont celles du procès archaïque, ds lesquelles on a simplement remplacé l’ordalie par le jury. Construction mémorielle effectuée par le procès qui vise non une vérité extérieure, mais l’adhésion à la forme processuelle qui la produit. A l’égard de cette vérité là, le juge est passif, comme l’est le ministre du culte, dont les gestes créent les conditions de la manifestation d’un vrai sacramentel dont il n’est pas la cause.
La procédure de CL intègre le décalage entre la vérité judiciaire qu’elle produit et une vérité pure qu’elle renonce à poursuivre.
B- L’usage des writs
Le writ retournable est un ordre envoyé par le roi au sheriff de convoquer X devant une certaine cour à une date donnée pour y répondre d’une accusation spécifiée : le sheriff renvoie le writ à Westminster après exécution, écrivant au dos ce qui a été fait. La forme du writ est généralement brève : mandat par lettre émanant du roi, sur parchemin, scellé de son grand sceau et adressé au sheriff du comté. Le writ est le fruit de l’ancienne procédure du ban royal. La désobéissance à cet écrit constituait une infraction qualifiée de mépris de l’autorité royale (contempt of royal authority) et entrainait des conséquences pénales lourdes. La justice royale est donc fondée, au premier chef, sur le refus du défendeur d’obéir à l’injonction royale de faire droit au plaignant :
Exemple : le writ of gage
« Le roi au sheriff de X, salut. Enjoint à N qu’il restitue justement et sans retard à R telle portion de terre (ou telle terre) dans tel village, portion qu’il a occupée pour les 100 marcs qu’il a prétés et dont le terme est présent dépassé, selon ce qu’il dit et qu’il accepte désormais l’argent ou qu’il s’estime désormais quitte avec cette terre. Et s’il ne s’exécute pas, fais lui semonce par des semonceurs d’avoir à comparaitre devant moi ou devant mes juges à Westminster pour la session de Pâques dans 15 jours pour expliquer pourquoi il n’a pas obéi. »
Ce point est important car, en théorie, les cours de CL resteront jusqu’à la fin du XIXè s, des juridictions d’exception : il fallait donc d’abord leur faire admettre leur compétence, avant de pouvoir leur soumettre le fond du litige. Ces difficultés, d’ordre procédural, sont résumées par l’adage remedies precede rights. Cours de CL ont donc produit, mécaniquement, une hypertrophie de la procédure par rapport au droit substantiel.
La délivrance des writs, sur requête du demandeur, entrait dans les fonctions du chancelier qui y apposait son sceau, moyennant finance (fee). Le writ servit donc d’instrument au roi et à ses officiers pour développer la juridiction de la Curia Regis, au détriment des tribunaux locaux et seigneuriaux.
Les writs sont vite standardisés, du fait de la répétition de cas identiques, engendrant logiquement les mêmes writs. Plusieurs centaines de writs sont ainsi à la disposition des justiciables, chacun permettent d’initier une action particulière. N’importe qui peut démarrer une action. Il suffit d’acheter, pour un prix assez modique, un writ correspondant à l’action choisie, sommant l’adversaire de comparaitre devant le tribunal royal.
Ce dernier point est important car désormais tous les litiges (les « plaids communs »), et non plus seulement ceux touchant à la paix du roi, peuvent être évoqués devant les tribunaux royaux.
Dès la fin XIIè-début XIII se constitua une collection que Bracton qualifie de « brefs formés » ou « d’usage courant » (brevia formata ou brevia de cursu). Mécontentement des barons, qui se sentent dépossédés de leurs prérogatives judicaires par la couronne. Plt de la fin du XIIIè va donc porter deux coups d’arrêt au développement du processus :
- interdiction d’apporter la moindre modification aux brevia formata sans le consentement du plt.
- Surtout statut de Westminster II (1285) institue la prohibition de faire de nouveaux writs sans le consentement du roi et de son conseil. Permet toutefois à la chancellerie d’opérer par analogie en procédant à l’extension d’un writ existant, si un cas semblable venait à se présenter : origine des brevia in consimili casu.
Ce statut de Westminster II aura des conséquences importantes, en ceci qu’il entraina un ralentissement très important de la création de nouveaux writs et donc un vieillissement accéléré de la procédure de CL. Il est donc indirectement à l’origine de l’apparition de la procédure d’equity au XVè (cf. infra).
Dès l’époque de Glanvil, le droit anglais commence à prendre l’aspect d’un commentaire sur les writs : autant d’actions, autant de brefs écrivait Bracton ; autant de brefs, autant d’actions. Le choix du writ est grave car il détermine toute la procédure et est irrévocable : entre la formule initiale du writ et les conclusions, la concordance doit être absolue. R, le choix ne constitue pas une option simple entre un certain nombre de termes techniques bizarres. C’est un choix entre des méthodes de procédure adaptées aux cas de différentes sortes. Ces méthodes s’appliquent à une série de questions : compétence de la cour, comparution ou contumace du défendeur, confrontation des prétentions adverses, apport et appréciation des preuves, apparition des excuses pour non comparution et autres moyens dilatoires : voilà tout ce qui se cache derrière une formule d’action.
Sur chaque action vont aussi s’accumuler, à la longue, des séries de décisions judiciaires. Chaque action aura ses propres précédents. Cette conjugaison des writs avec les décisions de justice par le formalisme de la procédure = la clef de la CL. Permet de saisir à la fois la force du précédent et le caractère quasi-criminel de la CL : les décisions ne sont que la suite légale des ordres royaux contenus dans les writs ; elles mettent en œuvre les instructions de la Couronne ; elles assurent l’obéissance au commandement du souverain dont l’autorité revêt toutes leurs sentences.
Ce fonctionnement explique aussi la lenteur de formation de la CL : les décisions sur le fond sont rares. La plupart ne touche que la procédure, dont la technicité ne va cesser de s’accenteur, jusqu’à mettre la CL en péril de mort, au XVIè s.
§II- Les cours royales de Common Law
En conséquence du succès des réformes d’Henri II, le XIII è s voit une extraordinaire augmentation des plaids communs évoqués par les tribunaux royaux. Pour y faire face, on développe une justice itinérante, les juges visitant périodiquement les comtés en suivant un itinéraire régulier : système des eyres. NB : ces juges ont, surtout au début, été choisis parmi les familiers du roi : Thomas Becket, Ranulph de Glanvil, Gautier Map, Richard de Lucé
A partir du XIVè ce système, lui même engorgé, est remplacé, dès 1302, par des juges itinérants recevant pour les plaids de la couronne des commissions spécifiques et pour les plaids communs, qui exigent un jury de 12 hommes libres, une commission de petty assize. Ces juges itinérants s’organisent aussi en circuits.
En //, les cours royales fixes se développent. Sous Henri II l’Echiquier traite des affaires communes, amis l’afflux est tel qu’à la fin du XIIè siècle le Banc Commun est organisé pour entendre les litiges et qu’en 1234 on recrée le Banc du Roi, dont l’essor date surtout du XIVè siècle.
Le succès de la justice royale au XIIIè et incontestable. Et ce sont les « consommateurs » qui font ce succès, car ils sont surs que les décisions des cours du roi seront appliquées. H.II a vite admis que des plaintes officieuses soient déposées contre ses propres officiers. Bien sûr, le roi exige de ses barons qu’ils acceptent contre leur officiers ce qu’il accepte contre les siens.
Concurrence à la justice seigneuriale : dès qu’une affaire en vaut la peine, les justiciables préfèrent faire appel à la justice royale, grâce à un writ spécifique : le writ de poene, qui est attributif de compétence et qui permet de transférer les affaires de la cour d’un baron à celle du roi.
Au total, l’essor de la justice, royale, plus encore que l’ordre public, signifie avant tout la sécurité de la propriété privée, face à l’arbitraire féodal des seigneurs et même à celui du roi. Toutes les tenures sont ainsi amenées dans l’orbite de la justice royale et donc toute propriété privée : la CL est avant tout une land law. Elle a d’autres aspects mais aucun ne revêt l’importance sociale et politique de cette section du droit anglais qui permet la reproduction de la classe dominante des seigneurs.
Techniquement, les 3 cours de CL sont issus de démembrements successifs de la Curia Regis. Ce sont elles qui ont forgé la CL, jusqu’à leur disparition en 1875.
A- La cour des plaids communs
Article 17 de la Grande Charte à la fois confirme pour le passé et consacre pour l’avenir la création de cette cour de justice. Dispose que les plaids communs n’auront plus à suivre le souverain dans ses pérégrinations mais devront être jugés dans un lieu déterminé qui se fixa, après qques tergiversations, à Westminster : « serrure et la clef de la CL » selon Ed. Coke. Au départ, les juges n’étaient pas spécialement affectés à cette cour. Au nombre de 4 ou 5 avec à leur tête un chief justice. Notion de plaids communs très large : ce qui ne relève pas des « plaids de la couronne » : causes entre particuliers, droit privé au sens large. En réalité choses plus compliquées car CPC dut partager sa compétence avec d’autres cours comme la cour de l’Amirauté ou les cours ecclésiastiques. Monopole sur les vieilles actions réelles et quelques unes des plus anciennes actions personnelles (debt, covenant…) : lui valut sa popularité mais fut aussi la cause de son archaïsme.
B- La Cour du Banc du Roi
L’attribution des plaids communs à une cour spéciale laissait encore à la Curia regis la connaissance d’un lot considérable d’affaires judiciaires : celles où les grands étaient impliqués + affaires pénales. En outre, comme juridiction supérieure, la Curia pouvait recevoir les appels formés des décisions de toutes les autres juridictions. La technicité de ces affaires, le formalisme grandissant de la procédure de CL s’accommodaient mal d’un tribunal aussi composite que la Curia regis. Les juristes de celle-ci finirent par former un petit comité dirigé par le chief justice : cour tenue coram rege qui n’allait pas tarder à devenir la plus importante du royaume. Clairement individualisée au début du XIVè, soit un siècle après la CPC. Les juges du banc doivent accompagner le souverain dans tous ses déplacements. Mais peu à peu, fixation de ce tribunal à Westminster (peut être dès le règne d’Edouard 1er) : la présence du roi se transforma alors en pure abstraction, le rois cessant d’y paraître. L’évolution de la CL travailla en outre dans le sens d’une suprématie du droit. Cf l’opposition formelle du chief justice Coke au début du XVIIè s lorsque Jacques 1er prétendi reprendre la place abandonnée par ses prédécesseurs à son « banc » :
« Il est vrai que Dieu a favorisé votre Majesté d’une science excellente et de grands dons naturels, mais sa Majesté n’est point savante en les lois de son royaume. Or, les causes qui mettent en jeu la vie, l’héritage ou la fortune de ses sujets ne reçoivent pas leur décision d’après la raison naturelle, mais d’après les artificielles raisons et jugements du droit, lequel droit est un acte qui requiert longue étude et expérience avant qu’un homme puisse attendre à sa connaissance (…). Ce dont le roi fut grandement offensé. »
Maître de la juridiction criminelle, le banc du roi conquit sur la CPC une partie notable de la juridiction civile : encombrement du prétoire de la CPC + artifice de procédure (bill of Middlesex).
Compétence administrative également très importante : mission de veiller à la bonne observation du droit par les corps constitués et les titulaires d’offices : writs d’habeas corpus, de certoriari, de prohibition de mandamus, permirent au king’s bench de prévenir des actes illégaux d’organismes politiques ou d’individus chargés de la conduite du gouvernement : véritable tribunal administratif évitant à l’Angleterre la création d’une juridiction administrative spéciale.
C- Le Tribunal de l’Echiquier
Les origines de l’Echiquier sont obscures. Le mot scacarrium apparaît pour la 1er fois en 1118, sans que l’on sache au juste d’où venaient et le nom et la chose. L’Echiquier s’est séparé du Trésor dès le règne de Henri 1er Beauclerc (1100-1135).
La méthode de l’échiquier est utilisée en matière de comptabilité publique. Composé de barons, non de juges (bien que leurs fonctions soient rigoureusement semblables), cette juridiction s’est sans doute détachée de la Curia Regis vers le milieu de 1250. Elle est bien individualisée sous le règne d’Edouard 1er.
L’Echiquier comporte deux secteurs distincts : une section administrative et une cour de justice.
Tentative de l’Echiquier pour étendre ses compétences au détriment de la CPC, par le biais de la procédure de Quominus : règle fiscale coutumière établie au profit de la couronne et permettant à celle-ci de requérir le paiement de ses redevances non seulement au débiteur lui-même, mais au débiteur du débiteur, et ainsi de suite in infinitum. Le plaignant faisait en effet valoir que l’argent qu’on lui devait le rendait d’autant moins capable d’acquitter ses dettes.
NB : A partir du règne d’Edouard 1er, la notion de CL va se trouver techniquement restreinte au droit appliqué dans ces 3 cours et dans les tribunaux inférieurs dépendant d’elles.
D- Un organisme juridictionnel associé : les cours d’assises et de nisi prius
Cette institution est née d’une incompatibilité grave, apparue à la fin du XIIIè siècle, entre la centralisation de la justice à Westminster et le développement croissant de deux institutions juridiques majeures en CL : la preuve par témoin et le jury. Pb des coûts de déplacements posé non seulement aux parties mais aux jurés et aux témoins.
D’où la solution, trouvée par Edouard 1er et consignée dans le 2nd statut de Westminster (1285), avec la mise en place de circuits réguliers, parcourus deux fois par an par des commissaires dont la mission est très précisément définie en matière civile et pénale. Ces commissaires doivent faire trancher par un jury des différents comtés la véracité des questions de fait débattues devant les cours de Westminster. Ainsi, le procès devait toujours se dérouler devant le banc sédentaire des juges royaux, mais on ajouta la restriction suivante : « à moins que auparavant (nisi prius) une commission de juges nommés par la Couronne ne se soit rendue dans le comté au cours d’une tournée pour connaître de ces affaires. » Cette précision était introduite dans le writ de venire facias adressé au sheriff pour ouvrir la procédure et servir de base aux convocations en vue du procès.
Cette formule fut couronnée de succès, et permit en Angleterre de combiner une double tradition de centralisation de la justice et de décentralisation des affaires.
La réforme de 1285 eut une influence considérable sur la destinée de la CL : les tournées d’assises et de nisi prius engendrèrent de véritables cours de justice quasi permanentes, tenues par les juges de Westminster eux-mêmes. Grâce à ces circonstances, à la place des anciennes juridictions locales, soumises à des lois et à des coutumes disparates et tombées en désuétude, régnèrent partout sur le territoire anglais des principes juridiques identiques appliqués par un collège unique de magistrats : uniformité à la fois des règles de droit et de leur application, assurée par une formation commune (cf. infra). Ces cours ont bien joué un rôle considérable dans l’extension des règles de CL à l’ensemble du royaume d’Angleterre.
Conclusion
Durant toute la fin du MA, les chanceliers ont dans leurs sermons d’ouverture du parlement inlassablement répété que la bonne administration de la justice et la conservation des lois dans le royaume d’Angleterre étaient un devoir fondamental du roi et du plt : C’est une affaire nationale, car la loi qu’il s’agit de faire observer et de faire respecter est celle de l’Angleterre : bien commun de la nation, fierté nationale des juristes anglais : sorte d’insularisme.
Ainsi, sir John Fortescue insiste sur les principales caractéristiques de la CL
- une loi que le roi ne peut changer sans le consentement de ses sujets : c’est précisément cela qui fait que le royaume d’Angleterre est un dominium à la fois politique et royal (et non seulement royal, comme en France).
- Cette loi a 3 sources : la loi de nature, la coutume et les statuts, même si, une fois qu’elle est consignée par écrit et promulguée par le roi et le plt, la coutume est difficile de distinguer des statuts.
La CL est aussi une affaire collective. L’identité que la CL postule entre la monarchie et le droit en tant que law of the land en fait le fondement du système politique qui régit le pays et lui confère pour ainsi dire la valeur de constitution. L’équation entre le roi, la CL et la propriété est au cœur de l’Etat moderne anglais et du fonctionnement de la société politique anglaise. L’attachement des anglais à leur constitution exprime ne réalité leur attachement à la CL. D’où leur crainte viscérale à l’égard de tout autre droit : cf. les violences contre le droit romain (même si celui-ci est enseigné et pratiqué devant les cours de chrétienté.
Idée fondamentale selon laquelle le pouvoir du roi n’est pas absolu car il est limité par la loi positive et le roi was pleased to limit and stint his absolute power, ne retenant que dans certains cas ce pouvoir absolu et illimité que lui confère la loi des nations. NB : malgré l’Act of Supremacy, tous les changements religieux du XVIè siècle ont été faits par statuts. Henri VIII et Elizabeth surent toujours jouer de cette double couronne de roi féodal (et paradoxalement « moderne » parce que féodal) et d’empereur, prenant le prestige de la seconde formule mais conservant les procédures de la première : subtil mélange qu’un étranger comme Jacques 1er Stuart ne sut pas apprécier à sa juste valeur.
Les tribunaux royaux sont à la fois les garants et les régulateurs du système. Si la féodalité batarde structure les clases dominantes en réseaux concurrents, ceux-ci partagent un même système de valeurs et interviennent dans le nouvel espace du politique pour défendre les intérêts de leurs chefs et, partant, de leurs membres. L’aristocratie est ainsi complice et partenaire de l’Etat. Les progrès de l’Etat se font au détriment de certains de ses privilèges mais au profit de sa liberté économique et juridique de propriétaire. Or, contrairement à ce qui est dans le cas dans le féodalisme, ce n’est plus la terre qui fait fonctionner le système, mais l’argent. D’où sa sensibilité à la conjoncture.
C’est la société politique qui, en fonction de ses besoins et de ses exigences fait évoluer les structures de l’Etat moderne, non l’inverse. Ses impulsions sont véhiculées par un ensemble d’éléments liés à ce que les contemporains appelaient le « conseil » et aux institutions par lesquelles il circule, le plt et le conseil royal.
D’où l’existence de tensions, à partir du moment où l’équilibre a été rompu, au début du XVIIè siècle, avec le changement de dynastie.
Chapitre II- Du judiciaire au politique.
La common law contre la prérogative royale
Le juge : clerc en France, prêtre en Angleterre (R. Jacob)
Juges en France s’attachent à la séance de rentrée solennelle et à la prestation de serment qui les ré-institue. Occasion de rappeler la déontologie : sorte d’ordination. La grâce du juge = une grâce d’état, qui fait de la judicature une autre cléricature.
Un tel ordonnancement est étranger aux juges de CL qui se forment dans les inns of court dont les règles sont si détaillées qu’elles font penser à celles des ordres monastiques : rôle des repas pris en commun, qui rappellent l’eucharistie. Sens symbolique des commensalités sacrificielles des inns : rapport d’homologie entre le rite qui donne structure à l’ordre interne du corps des juristes et le rite que les juristes administrent en dehors pour donner structure au corps social. Agit ex opere operato.
Ces juges là ne sont pas les délégués du roi.
Justice = Eglise dans l’Etat. Elle tire son indépendance de son mode de fonctionnement. Le paradoxe, c’est que les pays de common law sont protestants, et qu’ils sont cessé de croire en l’efficacité des rites sacramentels en tant que porteur de grâce et de salut. Mais c’est là que s’est consolidée aussi, dans le champ judiciaire, l’adhésion à l’efficacité du rite, à sa capacité à produire par lui-même les véridictions bienfaisantes, constitutives du lien et de l’ordre social.
Type de formation pratiquée en terre de CL favorise la constitution d’un très fort esprit de corps, garant d’une certaine indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir politique (section I).
Cette forte identité sociale explique en partie que la CL a pu apparaître comme un rempart efficace contre l’absolutisme des Stuarts (section II).
section I La formation des lawyers
§I- L’apprentissage de la common law
A- Les inns of court
Il est difficile de mesurer le poids et l’impact des inns of court durant la période médiévale. On ne sait ni quand elles ont commencé à fonctionner, ni le nombre de ceux qui les ont fréquentées et rarement leur nom. Leurs traces sont ténues avant 1422 et la description qu’en fait sir John Fortescue. Les inns y sont présentées comme des institutions bien établies, fréquentées par des étudiants nombreux, dont l’existence est justifiée par le fait que le droit anglais exige la connaissance de 3 langues : latin, français, anglais et qu’en conséquence, il ne peut être enseigné à l’université, où l’on ne pratique que le latin. D’où la création d’un studium publicum, à proximité des tribunaux royaux où la CL est pratiquée chaque jour par les juges.
Toujours selon Fortescue, dans ce studium, il y a 10 hôtels mineurs, les inns of chancery, avec 100 étudiants chacun et 4 hôtels majeurs, les inns of court, avec près de 200 étudiants chacun. Les coûts d’entretien sont tels que les étudiants sont presque tous issus de familles de la noblesse et de la gentry.
En plus du studium juridique, les inns fonctionnent aussi comme un gymnasium, pour enseigner les bonnes manières, apprendre à chanter et à danser et à s’exercer à tous les divertissements convenables pour des nobles « tels que ceux qui sont pratiqués dans la maison du roi ». Pendant la vacance des tribunaux, on étudie le droit et les jours de fête, après le service divin, ont lit « la Sainte Ecriture et les chroniques ». Du coup, les aristocrates envoient leurs fils dans ces hôtels « bien qu’ils ne désirent pas qu’ils s’imprègnent de la science du droit ni qu’ils vivent de son exercice, mais seulement de leur patrimoine. »
Ce texte pose pb : la réalité décrite fait plus penser à ce que l’on sait des inns au XVIè siècle, qu’à ce que laisse deviner la maigre documentation du XVè. Les effectifs, notamment, paraissent exagérés. Pourtant, chief justice et lui-même formé aux Inns, Fortescue est incontournable : peut-on, à partir de lui, construire une chronologie rétrospective de l’essor des inns ?
Tout au long du siècle qui suit les réformes d’Henri II, les juristes, des niveaux les plus élevés aux plus modestes sont progressivement devenus des professionnels. Cette professionnalisation rapide pose un double pb.
- celui de la formation
- celui du contrôle de l’entrée dans le métier. Sur ce dernier point, une série de règles sont édictées dans les années 1280-1300, afin de sanctionner les fautes professionnelles et les comportements délictueux au détriment des « clients », comme l’ambidextérité (procédé par lequel un attorney ou un sergent se faisait payer par les deux parties adverses d’un même procès). Ces mesures assainissent la profession et redéfinissent la profession sur la base de la compétence que le client est en droit d’exiger de son homme de loi. Ainsi, si un attorney laisse passer les délais exigés pour faire telle ou telle opération, il peut être poursuivi. Contrôle encore plus important sur les sergents, qui ont le monopole du plaid. Ainsi, un ordre des serjeants at law (12 au plus), organisé depuis 1319, est seul habilité à plaider devant la cour des Common pleas. Il s’agit d’une dignité réservée aux avocats ayant au moins 16 années de barreau à leur actif. Ne constitue pas seulement un titre juridique d’un degré supérieur, mais l’acquisition d’un véritable status de futur juge. Les Serjeants forment d’ailleurs avec les juges l’ordre de la Coiffe (par référence à la coiffe de soie qu’ils portaient sur la perruque).
S’agissant de la formation, en Angleterre aussi droit canon et droit romain sont enseignés à l’université, d’abord surtout pour les juristes ecclésiastiques, puis pour servir les cours qui jugent en « équité » (cf. infra). L’Université forme les advocates, pour lesquels se posent d’ailleurs les mêmes pbs de contrôle d’accès au métier, mais où la régulation est facile à organiser à partir des grades universitaires. Ce corpus n’existe pas à l’origine de la CL, alors qu’il est indispensable de connaître la pratique quotidienne des cours de justice royale.
Les inns of court naissent ainsi en dehors de l’école : pour suivre les séances des cours pendant les périodes où elles siègent (les terms), les apprentis juristes auraient pris l’habitude de descendre dans des auberges (inns) situées à mi-distance de la city de Londres et de Westminster et s’y seraient regroupés en associations. Plus tard, tout en gardant leur désignation d’inns, elles auraient loué ou acquis des locaux plus vastes, comme ceux du Temple, vacants après la dissolution de l’ordre.
On entend parler d’elles pour la première fois en 1329, mais surtout à la fin du XIVè, où la documentation est bcp plus dense : « 3ème université » d’Angleterre, composée des 4 grandes inns :
- Lincoln’s inn
- Gray’s Inn
- Middle Temple
- Inner Temple
Les jeunes gens y arrivent après être passés par des inns préparatoires (les « inns of chancery ») (entre 8 et 10). On ne sait pas pourquoi ces deux types d’inns se sont différenciés dès le XIVè, mais au début du XIVè siècle, les clercs de la chancellerie avaient en tant que tels leur propres hôtels où ils vivaient en collectivité et on sait qu’ils avaient commencé à y enseigner. Or, cet habitat collectif disparaît au milieu du XIVè siècle, et il a bien fallu trouver une solution nouvelle à partir du règne de Richard II. Chronologie donc assez floue.
Pourtant, l’opposition entre apprentissage et école n’aboutit pas à la dichotomie qui sépare, dans le domaine médical médecins (école) et chirurgiens et barbiers (apprentissage) : les praticiens de la CL, quand la complexité de leur droit et l’essor d’un corpus textuel spécifique l’imposent, passent à l’école, mais leur position sociale et politique est suffisamment solide pour qu’ils prennent en mains eux-mêmes ce développement. Après tout, la culture juridique est, en Angleterre, issue de la culture seigneuriale. Dès 1302, le chief justice, à la fin d’un procès difficile, s’adresse directement aux apprentis, et plusieurs juges du XIVè font de même : le tribunal devient salle de classe. Maitland, le 1er, a suggéré que ce sont les apprentis qui ont pris les notes nécessaires à la rédaction des year books, rapports des procès marquants, qui ont donné aux juges l’occasion d’exprimer des opinions ayant valeur de précédents. Les year books sont une source essentielle du droit anglais, auxquelles s’ajoutent les sommes et une série de traités de toute évidence rédigés pour des étudiants apprenant leur métier (cf. infra).
Les inns développent une pédagogie originale. Quand les tribunaux vaquent, les sociétés d’apprentis s’assemblent en réunions pour s’aider mutuellement dans leur travail : quaestiones sur des sujets juridiques qui évoquent les discussions universitaires. Au début du XVè, les sociétés engagent des professeurs (readers) choisis parmi les praticiens les plus en vue, pour commenter dans le grand hall les statuts du royaume et les autres grands textes. Les readings, d’abord rudimentaires, deviennent vite aussi sophistiqués que des cours d’universités. Ils durent 3 semaines et demie, à raison de 4 matinées par semaine, mêlant ce qu’on appellerait aujourd’hui cours et séminaires. La lecture commentée du texte étudié est suivie d’une discussion des points difficiles avec les membres les plus expérimentés de l’auditoire (qui incluent souvent des invités de marque, comme des juges par exemple).
Au diner, anciens et invités entourent le reader à table et poursuivent la discussion, comme les étudiants, répartis par petites tables. Le soir, sous la direction des anciens, les étudiants mettent en scène des procès ficitifs (moots).
On connaît bien l’organisation des inns au XVIè siècle, mais peut être remonte-t-elle au XVè : elle ressemble à celle d’un collège universitaire, mais chaque inn offre dans sa topographie et ses règles de sociabilité l’image précise de la profession. Chacune des sociétés est gouvernée par un groupe de juristes du + haut niveau, en général anciens apprentis de l’inn : ce sont les benchers, ainsi appelés parce qu’ils mangent dans le hall de chaque inn à la High table. Les readers sont recrutés parmi eux.
Sur le low bench, sont ceux que les benchers ont appelés à la barre (called to the bar) et qui exercent ou sont considérés comme aptes à le faire. On y distingue aux extrémités les utter barristers et au centre les inner barristers. Ces désignations équivalent aux grades universitaires, mais dans les années 1530-1540, elles s’intègrent aux titres identiques portés dans la pratique.
Ainsi, les serjeants at law sont recrutés parmi les barristers : ils peuvent plaider où ils veulent, mais surtout à la court of common pleas, car ils y ont le monopole des procès. Ils ont leur propre inn, Serjeant inn, ce qui accentue encore leur esprit de corps. Les juges royaux, enfin, sont choisi parmi les serjeants : ordre de la coiffe.
Ceux qui ne sont ni juges, ni sergents continuent à être appelés apprentis, même s’ils sont établis et pourvus d’une abondante clientèle : ils sont les apprentis des tribunaux, non ceux d’un maître.
Au début du XVè, tous les avocats et attorneys ne sont pas encore issus des inns, mais la formation comme apprenti chez un praticien recule nettement.
En devenant de véritables établissements d’enseignement supérieur, avec des programmes, une pédagogie distincts de ceux des universités, les inns, comme les écoles des humanistes italiens sont capables d’offrir à un public laïc un enseignement adapté à ses aspirations, qui échappe totalement au contrôle et à la domination symbolique de l’Eglise. Ecoles de droit, elles forment des professionnels, mais, pour ceux qui ne se destinent pas à exercer, la culture juridique qu’elles propagent est utile : école du gentleman.
Sorte de cursus informel s’établit pour les classes dirigeantes : un an ou deux à Oxbridge, puis un passage aux inns. Sociétés de résidents ayant leur convivialité propre et formant un milieu culturel spécifique. Milieux importants pour le développement de nouvelles sensibilités religieuses et des modes littéraires.
Au total : milieu fermé, fort auto-recrutement combinant cooptation et ancienneté. Esprit de corps et véritable religion de la CL.
B- La langue du droit
1- le latin et les langues vernaculaires
Rappel : la fortune du latin n’était pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul, dès le Xè siècle, à développer une littérature, et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire : traduction et écriture de textes en anglo-saxon : éventail de textes d’une richesse et d’une variété sans égales dans l’Occident.
Mais la conquête change tout. Reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné.
Parallèlement, le remplacement aux postes de commande des moines et des évêques anglo-saxons par des continentaux et les grandes campagnes de cré ation ou de recréation et de reconstruction des églises et des monastères détruits conduisent à reconstituer les bibliothèques monastiques : là encore, le latin remplace l’anglais. Au XIIè s, le latin est donc fermement établi en Angleterre.
Mais il partage cette situation avec le français notamment dans le domaine de l’administration et de la justice. Or, et c’est une exception qui mérite qu’on s’y arrête, le français finit dans le domaine judiciaire par s’imposer au détriment du latin, résistant même à l’anglais (cf. infra). Le maintien du law french contribua à la permanence de la francophonie dans une partie de la population et à l’existence d’une culture administrative de la langue française qui subsista bien après que le français eut cessé d’être la langue normale des élites. Il fat insister sur cette culture administrative et judiciaire du français (qui n’est pas à confondre avec le fait que les élites parlèrent longtemps français) : ce n’est pas un français naturel, c’est le français du management.
Par ailleurs, noblesse et genty parlent français. L’élite est en fait trilingue, même si ses performances sont modestes en latin et si bcp d’anglais ont déjà un fâcheux accent quand ils parlent français. En fait, ce n’est véritablement qu’à la cour et dans la noblesse que le français est la langue parlée naturellement : le beau français reste un trait de la culture aristocratique, au moins jusqu’au début du XVIè.
Plus largement, la culture aristocratique anglaise reste largement ouverte sur la culture française (et bourguignonne). Au XIIè siècle, quelques uns des textes les plus illustres de la langue française sont sans doute issus de la cour des Plantagenets (Tristan de Thomas d’Irlande, lais de Marie de France). A partir du XIIIè , ce haut niveau de qualité littéraire tend à disparaître, sans doute parce que la cour anglaise perd quelque peu de son brillant, mais plus profondément parce que le niveau de la qualité du français d’Angleterre baisse.
La production de textes français en Angleterre au XIIIè s et dans la 1ere ½ du XIVè semble se concentrer sur 2 secteurs : la littérature de dévotion et la littérature historique. Dans la 1ère ½ du XIV on commence à traduire en moyen anglais des textes pourtant écrits récemment. On traduit même, pour la 1ère fois, des textes écrits d’abord en anglais en français. La 1ère pétition parlementaire rédigée en anglais date de 1386. Peu à peu, dans tous les domaines, à l’exception de la justice et du droit le français va reculer puis disparaître devant l’anglais.
A dire vrai, il reste étonnant que l’anglais ait mis tant de temps à supplanter le français. En tant que langue littéraire, l’anglais semble avoir presque disparu au XIIè et son renouveau semble encore timide au XIIIè siècle.
2- Le law french
Pourquoi le français s’es-il imposé à titre principal dans le langage judiciaire, alors même que la Common Law s’est imposée comme un droit « national » ? 2 raisons majeures.
- Hommes de loi et juristes, en se professionnalisant, ont forgé leur langage technique, qui est à la fois un outil et un mode de distinction : plus l’usage du français recule ans la société anglaise, mieux le français juridique remplit cette fonction de distinction. C’est ce que soutient sir John Fortescue quand il insiste sur la qualité authentique du français parlé par les juristes anglais. Il en donne deux raisons : l’une est que le français des Français s’est corrompu par quadam ruditate; l’autre est que le français est au XVè siècle plus souvent écrit que parlé.
- Le droit anglais n’est pas enseigné dans les universités, donc en latin, mais dans les inns of court (cf. infra). Si le français isolait les professionnels du droit des amateurs laïcs anglophones, il les isolait tout aussi efficacement de la concurrence des universitaires juristes latinophones. Une grande partie de la littérature juridique est donc rédigée en français : le grand traité de Bracton (mort en 1268) « De legibus et consuetudinibus Angliae » est traduit en français dès 1290, et l’on trouve de courts traités de droit en français, soit seuls, soit réunis en collections.
Ceci dit, le français qui est utilisé comme la langue judiciaire officielle de l’Angleterre est profondément altéré par le temps, le jargon et la contamination de l’anglais. Au total, une langue obscure, qui nécessitait un apprentissage spécifique :
« Le case fuit que en home et se feme ayant longe temps vive incontinent ensemble, le home ayant consumé son substance (…) dit al feme que il fuit weary de son vie et que il voilait lui même occider ; a que la feme dit que donc il voilait auxi moryer ove lui ; per que le home praya la feme que ele voiloit vaer et atchater ratesbane and ils voilent ceo Biber ensemble, le quel elle fist et el ceo mist en le drink et ils bibent ceo. Mes la feme aprest prist sallet oyle, per que elle vomit et fuit recov, mes le home morust ; et le question fuit si ceo fuit murther en la feme. »
Ce français judiciaire fut une première fois interdit par Cromwell en 1650 au profit de l’anglais. Mais il fut réintroduit avec la Restauration. Il disparut cependant progressivement des prétoires, jusqu’à ce qu’un statut de George II en 1731 lui porte le coup de grâce, éliminant du même coup le latin.
C-La théorie du précédent judiciaire
1- Formulation de la règle
La règle du précédent ou stare decisis (latin : rester sur la décision) est une règle de droit s’appliquant particulièrement dans les pays de common law. Cette règle veut que les tribunaux rendent des décisions conformes aux décisions antérieures. Bien que moins importante dans les pays de droits de tradition civiliste, la règle du précédent y existe aussi, sous la forme du respect de la jurisprudence établie. Selon la Cour suprême de Louisiane, un état dans lequel le droit est inspiré du Code napoléonien, la différence entre le stare decisis et la règle de la jurisprudence constante résiderait dans le fait qu’une seule décision jurisprudentielle peut suffire à fonder la règle du stare decisis, tandis qu’il faudrait une série de décisions cohérentes pour fonder une règle de jurisprudence constante1. La différence est donc essentiellement de degré, plutôt que de nature. Cette règle n’empêche toutefois pas des revirements de jurisprudence constante.
Dans les pays de common law, d’une part, une part importante du droit est un droit coutumier, non écrit dans des lois ou des règlements, et d’autre part, on considère que le sens précis de ces coutumes ou usages – ainsi que des lois écrites – ne s’éclaire que lorsque des tribunaux ont eu à l’appliquer dans des situations concrètes. C’est la jurisprudence, l’accumulation des décisions (les précédents), et en particulier, les motivations (ratio decidendi) que les juges en donnent qui constitue l’essentiel des sources du droit, plus que la loi elle-même. On parle de case law, loi issue des jugements, qu’on peut traduire approximativement par « droit jurisprudentiel ».
Dans ce contexte, le principe de la sécurité juridique, selon lequel la loi doit pouvoir être connue et accessible à tous, exigerait que la jurisprudence soit effectivement respectée. Dans leurs arrêts, les cours de common law citent régulièrement de nombreuses décisions antérieures sur lesquelles elles prétendent fonder leurs décisions, beaucoup plus que la loi elle-même. La règle du précédent s’impose presque toujours aux cours inférieures quant aux décisions de leurs cours d’appels.
Au XVIIIè siècle, Théorie déclaratoire de Blackstone : le juge est le « vivant oracle de la coutume » : doctrine de la révélation. Le juge ne crée pas le droit par ses décisions, il ne fait que le révéler à lui-même. « C’est une règle établie que l’on doit s’en tenir aux anciens précédents, là où les mêmes points reviennent en litige », afin de « conserver à la balance de la justice l’équilibre et l’immobilité et de lui éviter les oscillations que chaque nouveau juge serait susceptible de causer. » « Le droit étant dans une espèce solennellement déclaré et déterminé, ce qui antérieurement était incertain et peut être indifférent et dès lors devenu une règle permanente qu’il n’est plus dans le pouvoir d’aucun juge ultérieur d’altérer ou de faire varier au gré de ses sentiments particuliers, ce juge étant assermenté pour trancher non d’après son jugement particulier mais conformément aux lois et coutumes connues du territoire, n’étant pas délégué pour dire un nouveau droit mais pour maintenir et proclamer l’ancien. »
La seule exception à cette règle : le caractère manifestement absurde ou injuste des précédents. La sentence ne peut alors se voir attacher d’effet obligatoire. Le droit en effet n’est pas autre chose que la perfection de la raison. Il ne souffre donc ni absurdité ni injustice. Ne constitue en aucune façon l’expression d’un caprice ou d’une volonté individuelle : Raison universelle qui gît dans le droit et à laquelle tous ont accès. Fiction selon laquelle la CL, sensée exister depuis un tems immémorial, serait restée inchangée depuis l’origine. Ici, le droit et l’idéologie se conjoignent.
2- Mise en œuvre de la règle
La règle du précédent judiciaire est apparue progressivement entre le XIIIè et le XIVè s, à la suite de la confection et de la publication des premiers Year books puis surtout des reports (cf. infra). Grâce à ce travail de collecte et d’archivage, les citations des cas antérieurs deviennent de plus en plus précises (à la différence de ce que l’on observer, à la même époque, dans le système français).
Pour autant, plusieurs précisions doivent être apportées quant à la valeur obligatoire des précédents :
- cette valeur obligatoire n’est pas attachée au jugement lui-même, qui ne vaut, par définition, que pour une espèce donnée, mais seulement à l’opinion du juge, en ce qu’elle comporte un exposé des motifs.
- Comme cet exposé est souvent fort long, il convient de distinguer entre els arguments qui constituent le soutien nécessaire de la décision (ratio decidendi) et ceux qui n’ont qu’une valeur superfétatoire, soit parce qu’ils ne touchent pas directement le pb posé, soit parce qu’ils ne sont avancés par le juge lui-même qu’avec prudence, et parfois à titre un peu expérimental : dicta ou obiter dicta.
- Il convient enfin de distinguer l’opinion majoritaire des opinions dissidentes et des opinions séparées (inconnues en droit français)
Seule la ratio decidendi peut éventuellement acquérir valeur obligatoire si elle émane d’un juge d’une cour supérieure. Elle s’impose alors aux juridictions placées en dessous de cette cour.
Face au précédent judiciaire, une marge d’appréciation existe donc bel et bien pour le juge :
- il peut en premier lieu tirer parti de la distinction entre ratio decidendi et obiter dicta pour écarter un argument tiré d’une espèce antérieure invoqué comme précédent et prétendre que cet argument ne constituait en réalité qu’un dictum sans valeur obligatoire.
- Il peut également distinguer entre les cas suivant la ressemblance ou la différence des situations de fait. Il est rare en effet que des circonstances parfaitement identiques se retrouvent dans deux espèces. Le juge est alors fondé à se demander si la nouvelle situation qui se présente devant lui est suffisamment proche de l’ancienne pour que lui soit applicable la même solution, ou suffisamment différente pour qu’il lui applique, au contraire, une autre solution. Il procède alors à une « distinction » : moyen de limiter la portée d’un précédent.
La technique des distinctions permet de compléter en la corrigeant la théorie de la valeur obligatoire des précédents.
En tout état de cause, extrême malléabilité du droit anglais : caractère a-systématique et ouvert qui l’oppose aux droits romanistes que l’on trouve sur le continent. Correspond à une autre manière de distinguer le fait du droit et, plus généralement, d’appréhender le réel.
§II- La mémoire de la Common law
Cette mémoire renvoie au passé, tel que l’ont façonné des centaines de recueils de décisions judiciaires (A), ainsi que quelques dizaines d’ouvrages de doctrine, attachés à théoriser et à synthétiser un processus fuyant (B).
A- Les recueils de décisions judiciaires
Les décisions des cours de justice, en raison de l’importance extrême qui s’y attache, ont fait l’objet en Angleterre d’au moins deux modes particuliers de conservation et de vulgarisation : les records et les reports.
1- Les records
Il s’agit d’actes et de procédures émanant directement des différentes cours et conservés par leurs soins sur des parchemins auxquels était attachée la force authentique : Plea rolls, sorte de PV de greffe formant une suite continue depuis le règne de Richard Cœur de Lion (1189) jusqu’à nos jours. Ces documents se présentent sous la forme de membranes de parchemin écrites recto verso. Chaque membrane mesure environ 1 yard (91 cm) de long sur 9 ou 10 pouces de larges (20-25 cm). Le nombre des membranes variait selon le nombre et l’importance des affaires plaidées au cours d’un term (une session). Sous Edouard III, par exemple, on rencontre des terms ayant exigé plus de 400 membranes, mises en liasses, brochées ensemble puis enroulées les unes sur les autres (d’où leur nom).
Ces rôles étaient certainement tenus en plusieurs originaux. Dès le XIIIè, l’art du recording ne tarda pas à se perfectionner, reflétant le rapide développement de la CL
Le contenu de ces archives ne porte pas tant sur les faits de l’espèce et ne consiste pas en la relation authentique des sentences prononcées : il s’agit des PV suffisamment exacts de la procédure et de son aboutissement, pour assurer l’autorité de la chose jugée et la perception des droits fiscaux engendrés par le procès : nom des parties, nature de l’action, exposé de la demande, réponse du défendeur, conclusion des parties, points soumis à l’appréciation du jury (issues), verdict du jury, sentence de la cour.
2- Les reports
Ils ont joué un rôle absolument fondamental dans la formation du droit anglais : sans eux, jamais la jurisprudence n’aurait obtenu l’autorité exceptionnelle qui s’attache aux sentences de justice.
Les reports = des sortes de succédas des records, destinés à mettre à la disposition du public, et plus spécialement des professionnels du droit des CR des évènements judiciaires susceptibles de les intéresser : narration des différents procès, courts résumés des procédures, décisions des cours.
Les reports servent même d’index et d’explication aux records. Toutefois, si la valeur juridique de ces deux sources n’est pas comparable (seuls les records sont authentiques), leur importance historique ne l’est pas plus : les reports, en vulgarisant le contenu des décisions de justice sont devenus un rouage essentiel du développement de l’ancien droit et du droit contemporain de l’Angleterre et des pays de langue anglaise.
Evolution sensible de ce genre
- Les years books (XIIè-XVIè) : il s’agit des premières grandes collections de reports, relatant des affaires jugées dans les cours royales entre 1290 (Edouard 1er) et 1537 (Henry VIII). Elles sont entièrement anonymes et comme leur nom l’indique, sont regroupées par années de règne des différents rois auxquelles ces sources correspondent. Les year books ont fait l’objet d’innombrables mss jusqu’à la découverte de l’imprimerie qui vit se réaliser de vastes entreprises éditoriales.
A l’origine, les year books auraient été de simples livres de pratique, des recueils judiciaires dont la forme relâchée indique qu’ils ont été rédigés sans soin, pris sur le vif par els praticiens eux-mêmes. Leur déclin a été causé par plusieurs circonstances :
- introduction du système moderne de a rédaction par écrit des pleadings
- pbs posés par la masse même des YB : encombrement, difficultés de consultation
- apparition d’abrégés rendant moins urgente leur consultation
- diffusion de l’imprimerie : amena la confection et la diffusion d’un nouveau mode de reports, plus perfectionnés, correspondant mieux aux besoins des praticiens de l’époque.
Malgré cela, les YB ont toujours été entourés de la vénération des juristes, compte tenu du caractère fondamentalement historique du droit anglais : bcp de questions du droit contemporain trouvent encore leur origine dans les décisions insérées au cœur des vieux YB.
- Les reports modernes. Reports signés. Emanaient, comme les YB, de praticiens qui en faisaient un usage professionnel. Les cas sont souvent rapportés de seconde main. Le soin de la rédaction est cepdt supérieur à celui des YB. Les principaux de ces reports :
- Reports de Dyer (chief justice des common pleas), écrits en français, XVIè
- Reports de Plowden, imprimés en 1571, écrits en law french
- Reports d’Ed. Coke (chief justice au king’s bench). 11 premiers volumes publiés en français, de 1600 à 1615. Les deux derniers en anglais, après la mort de Coke. Qualité exceptionnelle de ce travail, qui comporte de nombreux commentaires personnels.
A partir de la fin du XVIIIè s, nouveaux perfectionnements :
- caractère scientifique donné au report : vérification des références, annotations, table des matières et des cases
- périodicité de la publication
- identification du jugement grâce au système des reports faisant autorité au en vertu de l’approbation des magistrats
16 février 2017 at 11 h 18 min
Bonjour tres bon article j’attend avec impatience que vous postez la seconde partie ! C’est un tres bon complément du cours que l’on a amphi si vous pouvez j’aimerais que vous me l’envoyer par mail merci bien bonne journée