Histoire des institutions politiques.

La construction de L’ÉTAT

(XIIè-XVIIIè siècles)

A partir du XIIème siècle, entrée ds une ère nouvelle, marquée par la fin des attentes eschatologiques, la sortie de la zone de turbulences créée par la disparition du monde antique et la reprise d’un mouvement d’expansion, continu jusqu’à nos jours, qui affecte l’ensemble du monde occidental, à tous les niveaux :

– réouverture d’anciens circuits de commerces et d’échanges ;

– conquête de nouvelles terres, soit par la charrue (défrichements), soit par l’épée (croisades, conquêtes), sur les franges méridionales (Espagne, États latins), septentrionales ou orientales de l’Europe ;

– lancements d’audacieuses entreprises intellectuelles marquées notamment par la redécouverte du droit romain ou de la philosophie d’Aristote : va induire une modification en profondeur des cadres mentaux, un vaste élan de curiosité et une poussée sans précédent de rationalité scientifique.

D’où une nouvelle conception de l’espace, plus unifié, mieux maîtrisé, et du temps, comptabilisé, domestiqué, programmé : conscience qu’ont les hommes de pouvoir agir sur le réel et de n’être plus simplement les jouets d’une providence capricieuse ou d’une nature cruelle.

Phénomène étatique, ds son infinie complexité, est issu de cette nouvelle dynamique conquérante et sure d’elle même. Marque une entreprise de rationalisation de l’espace, de structuration de l’autorité, d’organisation des forces sociales et de concentration des richesses ds une atmosphère de plus en plus désacralisée dont témoigne une philosophie politique nettement sécularisée.

L’émergence de l’Etat ne s’est toutefois pas opérée selon un processus d’une continuité absolue et d’une force irrésistible : s’est heurtée à des crises, à des retours en arrière et à des mises en question : construction difficile de la souveraineté pendant les derniers siècles du MA (1ère partie) a ainsi préludé à l’affirmation d’un absolutisme monarchique triomphant sous l’AR (2ème partie).

1ère partie: L’affirmation de la souveraineté monarchique (XIIè-XVIè siècles)

Période du MA « classique » (1150-1300) marquée par l’émergence de deux grands facteurs structurels ayant permis une vigoureuse croissance :

– climatique : réchauffement permettant des défrichements importants ; d’où une alimentation plus variée et plus abondante : desserrement des contraintes naturelles et de l’étau de la famine ;

– démographique : expansion continue de la pop. jusqu’au XIVè s. : l’Europe touchée par la peste en 1347 est un « monde plein » : dans certaines campagnes, il faudra attendre la fin du XIXè s. pour trouver des taux de peuplement comparables.

D’où des conséquences nombreuses :

  • Économiques:
  • réappropriation des grands circuits d’échanges, interrompus au VIIIè s. par l’expansion musulmane en Méd.
  • multiplication des marchés et des lieux d’échanges, avec en particulier les foires de Champagne, protégées par le comte ;
  • dév. de la circulation monétaire ; apparition des 1èrres banques pour le change ; dév. de l’assurance pour permettre la réalisation d’importantes opérations commerciales, notamment ds le domaine maritime (prêt à la grosse aventure) ; apparition de nouvelles techniques comptables et financières, etc.
  • Sociales:
  • apparition d’une classe marchande, souvent composée de cadets de famille : cherchent l’aventure et s’organisent de plus en plus dans des guildes puissantes, des confréries et des associations de paix pas toujours contrôlées par l’Eglise ; constitution d’une culture profane spécifique, servie par l’essor des universités et affranchie là aussi de la tutelle ecclésiastique ;
  • dilatation du phénomène urbain : fondation de villes nouvelles (autour des portus) ; agrandissement de villes anciennes ; amélioration du confort urbain : construction d’enceintes, drainage des rues ; organisation municipale émancipée de la tutelle seigneuriale ; naissance d’un droit municipal spécifique faisant la part belle aux libertés bourgeoises : liberté d’organisation politique (ds les communes et les villes de consulat) ; liberté personnelle et réelle : justice spécifique, desserrement de l’étau seigneurial et allégement des taxes : l’air de la ville rend libre.
  • Politiques:
  • affaiblissement de la puissance seigneuriale, peu adaptée à une économie dynamique et marchande ; en outre conquête de fronts pionniers réalisée par le relâchement des anciennes sujétions féodales : octroi de chartes de sauveté et de franchise ; débandade des corvées ; amélioration très sensible de la condition paysanne ; noblesse appauvrie par le relatif déclin de la rente foncière qui réduit ses revenus, la croissance de l’Etat qui diminue son prestige et la multiplication des dépenses somptuaires qui minent son mode de vie.
  • reconstitution d’ensembles territoriaux plus vastes : temps des principautés, puis des monarchies ; reconquête du pouvoir royal capétien, favorisé par un afflux sans précédent de richesses. L’Église va désormais devoir compter avec des États de mieux en mieux structurés, dotés en outre d’un appareil, conceptuel qualitativement équivalent à celui des clercs et largement informé par une science du droit en plein essor.

Bénéficiant de ses différents atouts, la monarchie capétienne parvint à sortir de l’état d’impuissance où l’avait réduite le développement d’une féodalité diffuse et peu structurée d’une part en imposant la permanence de ses institutions grâce à un lent mais patient processus de dépersonnalisation du pouvoir (chapitre I), d’autre part en unifiant sous son contrôle le territoire morcelé du royaume (chapitre II).


Chapitre I : La maîtrise de la durée

La monarchie française

et l’institutionnalisation du

pouvoir politique

La construction puis l’affirmation de la souveraineté étatique ne dépendirent pas seulement d’une croissance territoriale d’ailleurs aussi irrégulière que continue ; elles s’inscrivirent plus généralement ds un lent processus d’institutionnalisation du pouvoir tendant à pérenniser son exercice au delà de l’échange provisoire de fidélités conjoncturelles qui avait prévalu jusque là. L’enjeu est ici l’inscription de l’Etat ds le temps long de la permanence, qu’il s’agisse de sacraliser le pouvoir (section I), de régler de manière définitive les problèmes de succession (section II) ou de poser les principes intangibles d’un gouvernement dévoué au bien commun (section III).

Section I- La sacralité du pouvoir

Persistance de la royauté malgré les crises engendrées par la diffusion du système féodal (cf. supra). Demeure un référent important, même si indifférence croissante de la plupart des grands laïcs à l’égard du sort de l’institution royale et de la dévolution du titre (notamment au Sud du royaume), et même si recul très sensible du pouvoir et de l’influence monarchiques avec l’arrivée au pouvoir de la nouvelle dynastie capétienne, à partir de 987.

En fait, Xè-XIè s. constituent incontestablement une période de fort retrait de la royauté : n’est pas en position de prendre des initiatives ; se contente simplement de gérer le quotidien, dans une situation de conservatisme prudent et d’attentisme forcé. Dispose cepdt le sacre constitua un atout idéologique majeur, qui permit à la monarchie de résister aux forces centrifuges de la féodalité.

Élection et sacre : ces 2 étapes franchies par Hugues Capet en 987 sont celles-là mêmes que Pépin le Bref avait parcourues 2 siècles plus tôt, lors de la 1ère mutatio regni. Cette combinaison de l’acclamation et du sacre qui fait de Hugues Capet un roi des Francs plonge donc ses racines ds la tradition carolingienne, à laquelle elle emprunte une bonne partie de sa construction idéologique (§I). C’est au travers des principes ainsi posés que doit être lu le cérémonial du sacre (§II).

§I- Le ministère royal

Reprise d’une bonne partie de l’héritage carolingien :Dès le temps de Hugues Capet, le canoniste Abbon de Fleury ne fait que prolonger les théories d’Hincmar de Reims ou de Jonas d’Orléans. Consacre tout un chapitre de son œuvre à la fonction royale dont il analyse les pcipales prérogatives. A ses yeux, ce qui distingue l’autorité du roi de celle des autres princes c’est qu’elle est la seule à être un pouvoir politique institutionnel, c’est à dire fondé sur un ensemble de textes sacrés. Pour cette raison, elle doit dépasser le domaine pour régir l’ensemble du royaume : tout se passe donc comme si « la perte de prestige qui atteint alors la personne du roi incitait les contemporains à réactiver une réflexion théorique spécialement orientée vers la garantie de l’institution » (J. Krynen). Délibérément, Abbon ignore les autres pouvoirs nés de l’émiettement politique : à ses yeux, tt ce qui n’est pas royauté ne peut que ressortir de l’usage, de défaillances passagères, mais ce n’est pas institution, ne bénéficie pas du soutien des textes canoniques et ne mérite pas crédit. Insiste plus particulièrement sur la fidélité que les grands doivent au roi : devoir d’autant plus strict que chacun d’entre eux se trouve être dépositaire d’une partie du ministerium royal, dans la stricte mesure où le roi les en a jugés dignes : vision typiquement caro.

Souci d’inculquer aux rois de l’âge seigneurial l’idée que leur pouvoir se situe ds la sphère élevée du public et s’exerce comme office ou magistrature, en vue d’un bien commun dont ils sont seuls les garants. Notion d’utilité commune dont est porteuse l’expression très utilisée de res publica renvoie enfin à un comportement de modération, excluant toute oppression par abus de pouvoir et faisant une large place au gouvernement par conseil : mélange du politique et du moral, où les vertus de justice, de prudence, de piété, ainsi que les pratiques d’austérité soulignent le caractère quasi religieux d’une fonction qui, malgré son déclin, demeure aux yeux des clercs porteuse d’un principe d’unité e d’une mission divine.

Cette conception apparaît aussi porteuse d’avenir car implique une prise de conscience témoignant de la nécessité ressentie par l’entourage royal de structurer à nouveau l’Etat autour du pouvoir du roi, dont la spécificité est ainsi soulignée. Même si ce pouvoir ne pénètre plus à l’intérieur des grandes seigneuries et moins encore des grands fiefs, il est le seul à être royal et à puiser sa source ds le sacre (cf. infra). Voilà qui suffit à justifier sa prééminence et à faire de lui le pivot autour duquel doit s’inverser le mouvement de dissociation territoriale. D’où l’évocation de quelques uns des principaux rôles spécialement dévolus au monarque : gardien (A) ; protecteur (B), et juge (C).

A- Un gardien

Placé à la tête du regnum Francorum, le roi doit lui apporter une double sécurité, externe et interne: c’est la tuitio regni, la garde du royaume.

– Vis à vis de l’extérieur, il est tenu de le défendre contre tous ses ennemis en veillant au maintien de l’intégrité territoriale (limitée à l’espace défini par le traité de Verdun). Même si idée d’un territoire unifié pas encore devenue réalité, conscience existe cepdt que le roi doit tout mettre en jeu pour s’opposer à une domination de l’extérieur et faire en sorte qu’un grand feudataire ne devienne pas le vassal d’un prince étranger. En cas de péril, a donc le doit de lever le ban et l’arrière-ban pour réunir autour de lui des contingents suffisants. Pouvoir encore très difficile à mettre en oeuvre, mais qui s’avéra décisif.

– A l’intérieur de son regnum, le roi a mission d’assurer partout l’ordre et la paix en réprimant les violences et en s’opposant aux entreprises turbulentes des grands féodaux. Pour y parvenir, les rois des XIè-XIIè siècles s’efforcent d’étendre à tout le royaume les institutions de paix mises en place par l’Eglise (cf. supra). A partir du milieu du XIIè s., roi assez fort pour instituer sa propre paix.

B- Un protecteur

Cette fonction constitue un des aspects essentiels du ministère royal. Limitée ds son application aux XIè-XIIè siècles, elles alla ensuite en s’élargissant, tant à l’égard des églises que des simples particuliers.

– Protection des églises souvent tombée entre les mains des grands seigneurs au cours des temps féodaux. Redevient cepdt réalité monarchique au cours du XIIè siècle, lorsque ce devoir de protection se mue en un véritable droit de garde de mieux en mieux réglementé : garde strictement limitée au temporel ; rapporte des profits au roi (en particulier : droit de percevoir des taxes, de lever des hommes et d’utiliser les éventuels châteaux).

– A l’égard des simples particuliers : développement des 2 techniques de l’asseurement et de la sauvegarde :

– asseurement : 2 ou 3 personnes prêtent serment réciproque de ne pas se faire la guerre ; le roi les place alors sous sa protection, et si l’une d’entre elles contrevient à son serment, elle est passible de peines sévères devant les seuls juges royaux ;

– sauvegarde permet au roi de placer sous sa protection particulière une ou plusieurs personnes et de sanctionner lourdement ceux qui la méconnaissent. Là encore, la justice royale a un rôle essentiel à jouer.

C- Un juge

Maintenir la paix et protéger l’ensemble du regnum avait un corollaire, rendre la justice. Cette mission devint même un des idéaux fondateurs de la monarchie capétienne. Très vite, le roi chercha à personnifier la justice et ne manqua jamais de faire connaître, à travers ses « actes législatifs », sa volonté d’être très présent sur ce terrain.

Cf Hugues Capet lui-même :

« La sublimité de notre piété n’a de raison d’être en droit que si nous rendons la justice à tous et par tous les moyens. Les rois n’ont été institués que pour examiner avec perspicacité ls droits de chacun, supprimer ce qui est nuisible et faire grandir ce qui est bon. »

Cf. aussi la déclaration d’un grand féodal, le comte Eudes II de Blois :

« La racine et le fruit de l’office royal, c’est la justice. »

Très timide encore et totalement dépourvu de structures aptes à favoriser sa mise en œuvre, ce pouvoir judiciaire reconnu au roi le place obligatoirement ds une position d’arbitre. Elle favorise ses capacités d’intervention ds un monde féodal qu’il ne pouvait ignorer ; elle signifie enfin de manière privilégiée la mission qui lui a été explicitement dévolue par le sacre.

§II- La liturgie sacramentelle

De cette mission divine, le sacre demeure, ds les représentations mentales du temps, l’élément fondateur. Par le sacre, Dieu est censé choisir le nouveau roi et le constitue pleinement ds sa fonction. Reprise de l’acte légitimant auquel avait eu recours le premier Carolingien et toute sa suite après lui. Ainsi se trouvait mieux assurée la continuité dynastique et renforcée l’assise religieuse de l’institution royale.

Depuis Pépin le Bref, le sacre a donc évolué pour devenir et demeurer, au moins jusqu’au XIVè siècle, un acte créateur destiné à placer ds un nouvel état celui qui, en vertu de la règle de primogéniture, se trouve appelé à régner. Pareil événement ne pouvait manquer de s’intégrer ds un cérémonial soigneusement réglé (1) et marquer profondément de son empreinte le caractère religieux de la monarchie médiévale (2).

A- Le cérémonial du sacre

Depuis l’époque carolingienne, le sacre se déroule toujours en présence e nombreux évêques, avec une prééminence progressivement reconnue à l’archevêque de Reims choisi comme prélat consécrateur. Ce choix s’explique avant tout par le rayonnement exceptionnel de la métropole de Reims au IXè siècle, sous l’impulsion de son archevêque Hincmar. Toutefois, jusqu’au XIè siècle, le privilège de présider la cérémonie fut simplement personnel et non contraignant : les villes de Sens, Noyon et Orléans furent ainsi tour à tour des lieux de sacre. A partir du XIè siècle (1027) au contraire, ce privilège devint réel, c’est à dire attaché à l’église cathédrale de Reims et ne fut quasiment jamais violé. Pape et évêques le reconnurent comme une coutume qui les liait (rappel opportun du baptême de Clovis).

Quant à la cérémonie proprement dite, elle obéit à un rituel qui s’est fixé très tôt et qui nous est relativement bien connu grâce à plusieurs P.V et descriptions des ordines.

  • 1ère phase : la promesse du sacre

Est précédée d’une admonitio de l’officiant sur les devoirs attachés à la fonction royale. Il s’agit d’une simple promesse et non d’un serment. Souhaitée par l’épiscopat tout entier, elle est introduite par Hincmar ds le rituel, ; par souci de définir avec précision la mission du roi et de fixer un cadre strict son action pour mieux la contrôler.

Concrètement, cette promesse revêt la forme d’une réponse apportée par le monarque à la demande que lui fait l’archevêque consécrateur :- est-il disposé, une fois roi, à faire régner la paix et la miséricorde ?

– apportera-t-il au peuple chrétien dont il a la garde justice et respect du droit en combattant les ennemis de Dieu ?

– maintiendra-t-il aux églises qui lui sont confiées l’ensemble des privilèges dont elles jouissent ?

Sur tous ces points, le roi s’engage. Il prononce alors sa promesse dont le texte, figé en quelques formules, est transcrit, signé et scellé du sceau royal. Cf. la promesse prononcée par Philippe 1er :

« Je promets que je conserverai à chacun de vous et à chacune des Églises qui vous sont confiées le privilège canonique, la loi sous laquelle vous vivez et la justice qui vous est due, que je vous défendrai avec l’aide de Dieu, autant que je pourrai, comme un roi est obligé ds son royaume de faire droit à chaque évêque et à l’Eglise qui lui est commise. Je promets aussi que ds l’élaboration des lois, j’emploierai mon autorité à faire jouir de ses droits légitimes le peuple qui est sous ma garde. »

De cet engagement préalable dépend un sacre dont il constitue la condition 1ère.

Le couronnement du roi Louis XIV en costume de sacre

  • 2ème phase : les rites sacramentels:
  • Rite d’élection : fiction entretenue de l’ancienne élection par les grands désormais devenue inutile (sauf crise majeure comme au XIVè) ; souvenir également de la vieille acclamation des rois francs par leurs guerriers (avec élévation sur le pavois) : « Nous approuvons et voulons qu’il en soit ainsi. »
  • Onction : le prélat consécrateur oint le roi de l’huile sainte et su saint chrême sur le front, la nuque et les épaules : oint du seigneur (selon le même mode que les évêques) le roi devient en même temps son élu : légende de la Sainte Ampoule.
  • Remise des insignes royaux : anneau scellant l’union du monarque et de son peuple ; sceptre symbolisant la toute-puissance ; glaive remis pour lutter contre les ennemis de la foi ; main de justice matérialise la fonction de justice exercée au bénéfice de tous ; couronne imposée par les 12 pairs. Instrument suprême de la dignité royale, sa remise a été incorporée au sacre dès le règne de Louis le Pieux qui fut sacré et couronné en même temps : jonction entre 2 traditions : le sacre d’origine juive et le couronnement, directement emprunté à Byzance.

Sceptre_de_Charles_V sceptre et main de justice éperons du sacre épee de charlemagne

Tous ces rites, qui s’intègrent à la messe du sacre (juste avant l’épître) ne sont pas sans rappeler la consécration épiscopale (onction, remise d’un anneau, sceptre rappelant la crosse). Parallèle tendant à renforcer encore plus le caractère sacré de la royauté.

B- La portée du sacre

Créateur du roi, le sacre le transforme aussi en une sorte d’évêque investi d’un véritable sacerdoce qui le place ds une position intermédiaire entre Dieu et son peuple.

Rite constitutif, le sacre est aussi un rite distinctif : fait du roi un prince différent des autres. Seul à être sacré, aucun autre pouvoir que le sien n’est frappé du sceau du choix de Dieu. En conséquence, aucun prince, même très puissant, ne saurait aller à l’encontre de l’action du pouvoir royal, à la tête du peuple de Dieu.

Effets du sacre investissent le roi d’un véritable pouvoir surnaturel et thaumaturgique : guérison des écrouelles par simple toucher : adénites d’origine tuberculeuse que les gens du MA qualifiaient de mal royal. Ce pouvoir, dont les rois se transmettaient la formule sur leur lit de mort, leur valut une extraordinaire dévotion populaire. Mystère et surnaturel impliquaient donc croyance et adhésion en sa personne. Ont constitué autant d’éléments de résistance de l’institution face à l’érosion féodale : puissance symbolique inversement proportionnelle à l’autorité réelle.

Le toucher des écrouelles

A côté de la religion, le droit offre un autre outil pour penser la continuité de l’institution et la permanence de l’Etat, au travers de la réflexion menée sur la transmission de la couronne.

Section II : La transmission de la Couronne

Autant les premiers Capétiens eurent à se soucier du pb. et à assurer, par la double procédure d’association au trône et de sacre anticipé le pouvoir du futur roi face aux grands féodaux, autant la question ne paraît plus se poser depuis que Philippe Auguste avait estimé la règle de primogéniture assez solidement établie pour n’avoir plus à s’entourer d’une telle garantie. Théoriciens et membres de l’entourage royal s’accordent à reconnaître que la fonction assumée par le roi transcende sa personne et que, par delà sa disparition physique, l’exercice du pouvoir continue sans heurt en la personne de son fils aîné. Permanente, la fonction royale se transmet sans rupture avec la couronne.

Le miracle capétien, renouvelé pendant 12 générations, se heurta toutefois au début du XIVè s. à une crise de succession qui vint interrompre la lignée des Capétiens directs. Durent alors être formulés expressément de clairs principes de transmission de la couronne, coutumièrement réservée aux mâles (§I) puis déclarée indisponible tandis que s’estompait la valeur constitutive du sacre, tout particulièrement au lendemain de la mort de Saint Louis, en 1270 (§II).

§I- Une succession masculine et nationale

Formulation de la règle liée de façon immédiate à une authentique crise de succession (A). Reçut ultérieurement toutes sortes de justification (B).

 Philippe le Bel et ses fils

A- La formulation de la règle

Il convient ici de distinguer les 2 successions de 1316 et 1322 qui permirent de formuler explicitement la pratique coutumière observée jusque là d’exclusion des femmes (1) de la succession de 1328 qui posa en outre le principe d’exclusion des descendants par les femmes (2).

1)- Les successions de 1316, 1322 et 1328 : l’exclusion des femmes
  1. Généalogie. Mariage du futur Louis X avec Marguerite de Bourgogne donne naissance à une fille : Jeanne (1312). Mais un doute s’éleva très vite sur la légitimité de cette enfant. Remariage de Louis avec Clémence de Hongrie ; meurt le 8 juin 1316 sans laisser d’héritier mâle mais reine enceinte. Suspense. Pour répondre à l’incertitude ainsi engendrée (et non pas créée) : accord entre Philippe de Poitiers (aîné des frères de Louis) et Eudes, duc de Bourgogne, oncle maternel de Jeanne : réserve le sort de celle-ci, en cas de naissance d’une fille, à la date de son mariage. En attendant, Philippe était investi du titre de gouverneur et de lieutenant général du royaume. Position encore renforcée par la réunion d’une assemblée de prélats et de barons convoquée à Paris le 16 juillet 1316 qui lui confie la régence qu’il conserverait jusqu’à la majorité d’un fils à naître. Le titre de roi lui était par avance reconnu en cas de naissance d’une fille.

Succession 1316

Après la mort de Jean 1er le Posthume, survenu en novembre 1316, Philippe prend immédiatement le titre de roi sous le nom de Philippe V, en dépit des protestation d’Eudes de Bourgogne. Sacré à Reims le 9 janvier 1317. Nouvelle assemblée de notables convoquée à Paris en février 1317 : déclare solennellement que « femme ne succède pas à la couronne de France », avec la bénédiction des docteurs de l’université de Paris. Au terme de ces longs mois de tergiversation, il était maintenant acquis que les femmes ne pouvaient accéder au trône, en vertu d’une règle de masculinité que tous les partisans de Philippe présentaient comme acquise de longue date.

Acceptée par tous, cette règle n’appela aucune contestation en février 1322, à la mort de Philippe V qui laissait 4 filles. La couronne passa sans difficulté à son frère cadet, Charles de la Marche, 3ème et dernier fils de Philippe le Bel, immédiatement reconnu comme héritier légitime et roi sous le nom de Charles IV.

2)- La succession de 1328 : l’exclusion des descendants par les femmes

Mort de Charles IV le 1er février 1328 : dernier des Capétiens directs (la malédiction de Jacques de Molay venait une fois encore de frapper). Il n’y a plus de frère en stock. Vers quel héritier mâle pouvait-on alors se tourner ? 3 solutions possibles :

– Édouard III d’Angleterre : le plus proche parent du roi défunt, puisque c’est son neveu (fils d’Isabelle de France)

– Philippe de Valois : fils de Charles de Valois (frère de Philippe le Bel) : cousin germain du roi défunt ;

Philippe VI de Valois

– Philippe d’Evreux : fils de Louis d’Evreux, également frère de Philippe le Bel.

Position d’Edouard III semble apparemment la plus forte. Cepdt :

– règne déjà sur l’Angleterre ;

– on ne peut donner ce que l’on n’a pas (Nemo dat quod non habet) : principe du droit romain opposé à l’adage coutumier selon lequel les femmes peuvent faire « pont et planche » et transmettre à leurs héritiers mâles des droits qu’en raison de leur sexe elles ne pouvaient exercer.

– en outre, si l’on retient ce dernier adage, la couronne aurait alors dû revenir à Charles le Mauvais, fils de Jeanne.

Charles_le_mauvais_et_les_Parisiens

Finalement, comme en 1316, une assemblée composée de barons, d’évêques et de délégués des villes reconnut et consacra la position juridiquement très solide de Philippe de Valois, qui devint roi sous le nom de Philippe VI. Fureur d’Edouard III qui revendiqua la couronne de France : origines de la guerre de Cent Ans.

Nouveau système successoral vient donc parfaire celui mis sur pieds en 1316 et 1322 : faute de descendant mâle en ligne directe, la couronne est dévolue à l’infini à l’aîné de la branche collatérale, c’est à dire à celle qui se rattache au roi défunt par l’ancêtre le plus proche. Paraît aussi désormais bien acquise, même si elle n’est pas clairement exprimée, la condition de nationalité. Corps de règles imposé plus par les circonstances que par des justifications théoriques qui ne manquèrent pourtant pas d’être ultérieurement invoquées.

B- Les justifications de la règle

Ds l’ensemble, celles qui furent avancées sur le moment furent de peu de poids. Elles vinrent plus tard, ds la 2nde moitié du XIVè puis tout au long du XVè , enveloppée ds l’impressionnante littérature politique destinée à fonder la légitimité des Valois face aux revendications anglaises.

1)- Les justifications politiques

Aussi bien en 1316 qu’en 1322, les considérations strictement politiques dominent toute l’évolution : grand réalisme

– En 1316, Jeanne a contre elle d’être une fille, très jeune et suspecte d’illégitimité. Inversement, Philippe de Poitiers apparaît comme l’homme de la situation, celui qui permet de sortir d’une situation de vide institutionnel ds laquelle l’Etat a horreur de se trouver.

– En 1328, ce qui prévaut : le réflexe nationaliste.

2)- Les justifications religieuses

Vers 1322, le franciscain François de Meyronnes, ds son commentaire sur la Cité de Dieu, constate que, ds la Bible, les femmes sont exclues de la prêtrise, ce qui leur interdit tout naturellement de succéder à une dignité sacrée, telle que la royauté. Si leur droit aux héritages privés ne saurait leur être contesté, il n’en va pas de même pour les dignités publiques au 1er rang desquelles il convient de placer le sacerdoce royal.

3)- Les justifications juridiques

Nombreux exemples de succession féminine, tant ds les coutumes féodales (Aquitaine, Champagne, Artois), que sur les trônes étrangers (Portugal, Navarre), et même à la couronne impériale ou en Terre Sainte.

Ce n’est donc qu’avec le début de la guerre de Cent Ans que l’on tente (laborieusement) de trouver de véritables fondements juridiques au pcipe de masculinité. Entreprise ardue, tant la règle ne devait son affermissement qu’à un heureux hasard biologique dont on avait bien voulu ériger les résultats en coutume. On s’efforça donc de la corroborer à l’aide d’un texte aussi ancien que possible. D’où l’exhumation de la Loi salique par un moine de l’abbaye de Saint Denis, Richard Lescot : assimilation entre le royaume et la terre salique. En même temps qu’était forgée cette identité, parfaitement artificielle, la lex salica gagnait en prestige ds la hiérarchie des normes. De simple coutume des Francs saliens, elle devint coutume immémoriale régissant la succession, puis véritable « loi royale », 1ère loi des Français qu’aurait édictée Pharamond, ce 1er roi des Francs : véritable constitution.

§II- Une succession indisponible et immédiate

A- Le Dauphin, héritier nécessaire

1)- Le traité de Troyes (20-21 mai 1420)

Guerre contre les Anglais doublée d’une guerre civile :

– 23 novembre 1407 : assassinat du duc d’Orléans ;

– mai 1418 : assassinat du connétable Bernard d’Armagnac

– 10 septembre 1419 : assassinat de Jean sans Peur sur le Pont de Montereau. A cette nouvelle, tous les Bourguignons prirent le parti des Anglais contre le Dauphin, réfugié à Bourges.

Signature du Traité de Troyes :

– convention matrimoniale entre Catherine, fille de Charles VI et Henry V d’Angleterre ;

– convention successorale : le Dauphin Charles est écarté de la succession, tandis qu’Henry V est reconnu comme le fils adoptif du roi et l’héritier du royaume. D’où la naissance d’une double monarchie ds une France profondément divisée.

Mais les événements vont contrarier ces arrangements : mort prématurée de Henry V le 31 août 1422, seult âgé de 35 ans, puis de Charles VI, le 21 octobre de la même année. Le fils d’Henry, Henry VI, alors âgé de seulement 10 mois devenait théoriquement roi de France, sous la tutelle de son oncle le duc de Bedford, et le traité de Troyes semblait appliqué. Mais était-il vraiment applicable en droit ?

2)- La défense du roi de Bourges

Les juristes favorables à la cause royale et aux droits du Dauphin soutiennent avec vigueur le contraire. Dès avant la signature du traité de Troyes, ils avaient déjà forgé toute une contre argumentation, qu’ils exposent ds une littérature politique de combat destinée à renforcer les droits du roi de Bourges.

Le principal représentant de ce mouvement = Jean de Terrevermeille, juriste languedocien, auteur de 3 Tractatus. Constate d’abord que toutes les règles successorales qui ont jusque là réglé la succession de la couronne sont de nature coutumière. Ces coutumes constituent un ordre juridique indépendant et supérieur : ensemble objectif échappant à la volonté du corps politique comme au bon vouloir des princes : ainsi s’est forgé un véritable statut coutumier de la couronne.

Cette coutume s’impose donc désormais comme le seul mode de transmission de la couronne. Il en résulte que les règles qui régissent la succession royale se trouvent placées hors du champ du droit commun, puisqu’elles sont totalement intangibles. La succession royale est donc bien spécifique et organisée par des règles coutumières de nature particulière, ayant valeur supérieure aux règles successorales de droit commun. Spécifique, cette succession n’est ni héréditaire, ni patrimoniale.

En effet, le roi n’exerce sur son royaume aucun droit personnel. Simple administrateur de cet ensemble de biens et de droits, il ne peut en aucune circonstance en disposer, même pas à titre héréditaire. Son successeur est simplement désigné par la coutume et ne peut refuser de s’y soumettre. Bloc normatif intangible transcendant aussi bien la volonté du roi que le bon vouloir de ceux qui l’entourent. C’est pourquoi la couronne est indisponible et le traité de Troyes nul. CQFD.

Arguments des juristes en outre relayés par toute une littérature de combat qu’enflamme les prémices d’un sentiment nationaliste, mêlés de loyalisme monarchique.

B- Le Dauphin, successeur immédiat

Complément logique de l’indisponibilité, la succession immédiate a pour effet d’éviter que ne se crée aucune rupture ds l’exercice du pouvoir. De cette continuité dépendait aussi celle de l’Etat.

Doctrine : depuis le XIIè s. s’affine la théorie de la nature bicorporelle du Christ, consacrée par le IVè concile de Latran : l’Eucharistie = le corpus verum Christi ; la société chrétienne = le corpus mysticum Christi. La pensée politique fait sienne cette dualité en la transposant progressivement à l’organisation des royaumes :

corpus verum Christi = corpus naturale regis : corps physique et mortel ;

corpus mysticum = l’Etat. « La dignité ne meurt jamais alors que les individus meurent chaque jour » : dépersonnalisation de la dignitas royale permettant d’assurer la transmission ininterrompue d’un patrimoine intangible.

A parfaire cette vision nouvelle, la coutume apporta aussi sa contribution, à travers l’adage «  le mort saisit le vif » attesté dès 1259 ds un arrêt du parlement de Paris : destiné à renforcer la propriété virtuelle du lignage sur les biens familiaux : héritier immédiatement saisi de la succession, à l’instant même de la mort du de cujus, en dehors de toute formalité de transmission ou d’acquisition.

Principe étendu à la succession royale et aboutissant à refuser au sacre toute valeur constitutive.

Consécration législative :

– ordonnance d’août 1374 fixe la majorité royale à 13 ans et surtout précise que le jeune roi a pleine capacité pour agit sitôt atteinte sa 14ème année, sans avoir besoin d’attendre le sacre ;

– ordonnance d’avril 1403 dispose que le fils aîné « en quelque petit âge qu’il soit ou puisse être, soit après nous incontinent sans aucun dilation appelé roi de France, succède à notre royaume et soit couronné roi le plus tôt que faire se pourra. ». Au terme de ce texte capital, plus aucun doute n’était permis : la succession à la couronne devait être instantanée, quel que soit l’âge du jeune prince. Sacré ou non, il doit être tenu pour roi dès la mort de son prédécesseur. Ordonnance confirmée et renforcée par une nouvelle, le 26 décembre 1407, enregistrée à l’occasion d’un lit de justice.

Sur le plan des rituels, plus on avance ds le temps, et plus les instants qui suivent la mort du roi et le cérémonial de ses obsèques se coulent ds le moule d’une succession immédiate, sans avoir à attendre le couronnement : enterrement du roi défunt = le moment où le nouveau roi sort de sa cachette et succède vraiment. Effigie du roi mort le représentant vivant devient le point central de la cérémonie. Les membres du parlement conservent leur robe rouge ; tous les officiers de la maison du roi restent en fonction. Cri du héraut d’armes : « Le roi est mort ! Vive le roi ! » : acte constituant du pouvoir monarchique, ce cri enlevait de manière définitive toute portée constitutive au sacre, en même temps qu’il signifiait liturgiquement l’impeccable continuité de l’Etat.

Section III- La permanence du gouvernement

§I- L’État débiteur des justiciables

Imptce centrale du pouvoir de juger ds la genèse de l’Etat moderne. Constitue un des pcipaux garants de la cohésion de l’Etat à travers le respect qu’il impose de la norme édictée. En outre, depuis les temps carolingiens, assurer la justice apparaît comme le pcipal attribut du ministère royal : fonction intimement liée à la mission de paix dont est investi le souverain.

Parce qu’il doit maintenir la paix, le roi est en effet « grand débiteur de justice », dette qu’il contracte envers ses sujets dès son avènement, à l’occasion du serment du sacre. Elle fait de lui un roi juge, garant suprême de la concorde. Portrait du roi juge, toujours campé en termes identiques, devient d’ailleurs l’un des thèmes favoris de la littérature politique à partir du XIIIè s. : cf. Saint Louis sous son chêne. Cf. aussi les Miroirs des princes, présentant un monarque accessible à tout moment à ses sujets. Lettres de rémission émanent massivement de lui, car il connaît sans restriction, de tous crimes et délits, même les plus graves.

A cette mission s’ajoutent aussi des revendications de justice sociale : roi justicier, autant que roi juge, qui veille à l’équilibre des services, des corvées et des prestations, autant qu’à la bonne confection des lois et à la saine administration de la chose publique : élargissement progressif des missions de l’Etat.

Structurellement, il convient de distinguer :

– la justice retenue, exercée directement par le roi ou son conseil : tranche les requêtes des justiciables préalablement sélectionnées par les maîtres des requêtes, ou simplement présentées par les intéressés à la sortie de la messe ou du palais.

– la justice déléguée, rendue au nom du roi par des juridictions spécialisées : tribunaux de prévôtés, de bailliages, de sénéchaussées, ou parlements. Délégation peut toutefois être suspendue à tout moment. En dépit de cette menace, connaît cepdt d’incontestables progrès pdt toute la période, surtout face à des cours féodales siégeant de manière discontinue : permanence et qualité du personnel royal.

A- Les progrès de la justice royale

Ils accompagnent très logiquement la renaissance des structures étatiques : long combat qui se poursuit jusqu’à la fin de l’AR. Plus vulnérables, parce que moins bien organisées et moins performantes que les juridictions ecclésiastiques, les justices seigneuriales sont les premières à subir la concurrence des tribunaux royaux.

1)- L’intégration progressive des justices seigneuriales à l’appareil judiciaire d’État

Archaïsme des justices seigneuriales : personnel incompétent (vassaux de la cour féodale, prévôt de la cour seigneuriale), procédure dépassée (ordalies, refus de l’appel : les seules voies de recours = le déni de justice, ou défaute de droit et le faux jugement, débouchant sur une prise à partie du juge, et donc sur un duel judiciaire). Face à cet état de fait : dynamisme conquérant des justices royales qui parviennent tout à la fois à subordonner les justices seigneuriales et à réduire leurs compétences :

  • Subordination : l’appel:

Politique s’inscrivant ds l’exploitation systématique des conséquences qu’emporte la hiérarchie féodale. Puisque tous les fiefs du royaume relèvent du roi en sa qualité de suzerain suprême, il en va de même de toutes les justices qui leur étaient attachées = idée que toutes les justices du royaume sont tenue en fiefs ou en arrière fiefs du roi : règle que font triompher les légistes à partir des années 1250. Si élevé que soit un seigneur ds la hiérarchie féodale, il ne peut en aucun cas exercer une justice souveraine : doit en toute hypothèse rester ds le ressort du roi souverain justicier. Ainsi se trouvait posé le pcipe de l’appel hiérarchique, renforcé par la redécouverte du droit romain et le modèle de la procédure romano-canonique. Se met lentement en place, au cours du XIIIè s et du début du XIVè s. : au début, se distingue mal de la prise à partie : contestation du juge autant que du jugement (mise en cause d’un pcipe de responsabilité civile).

Inconvénient du système : appel présentant autant de degrés qu’il e existe ds la hiérarchie des seigneuries. D’où une extraordinaire superposition de recours allongeant considérablement les procédures.

  • Réduction de compétences: est réalisée grâce à une double pratique : la prévention et les cas royaux.
  • La prévention : C’est le droit pour les juges royaux de se saisir d’une affaire que les règles normales de compétences attribuent aux juges seigneuriaux. Fondée sur l’idée de supériorité, de souveraineté du roi, cette procédure permet donc à la justice du roi de « venir avant », de « prévenir » l’action d’un juge seigneurial négligent ou trop lent, au nom du maintien de l’ordre public (si crime par exemple). Il peut en outre arriver qu’un plaideur placé face à 2 justices concurrentes se saisisse spontanément de la juridiction royale.
  • Les cas royaux : il s’agit de toutes les causes, civiles ou criminelles, dont la connaissance est expressément réservée aux juges royaux alors que le défendeur ou l’accusé aurait normalement dû relever de la justice d’un seigneur. Système existant déjà ds certaines grandes principautés territoriales comme la Normandie ou la Bourgogne (cas ducaux). Étendu au roi en vertu de sa souveraineté. Pas d’énumération limitative de ces cas (car souveraineté elle-même sans limite), dont le nombre ne fait d’ailleurs que croître : atteintes portées à la paix publique, entendue au sens large (bris de sauvegarde, port d’armes), protection des agents royaux, droits découlant de la souveraineté et plus généralement les conditions ds lesquelles ils sont exercés (fabrication de fausse monnaie, falsification des sceaux et des lettres du roi, violation d’une ordonnance royale posant une interdiction ou prohibant un acte qui, jusque là, n’était pas tenu pour délictueux).
2)- De la réduction de compétences des juges d’Église à leur subordination aux juges du roi

Justices d’Église en plein essor depuis le XIIè s. (conséquence de la réforme grégorienne), connaissent leur apogée au XIIIè s. où elles gênent souvent la construction d’un système judiciaire d’État, tant en raison de leur organisation fortement structurée (avec possibilité d’appel hiérarchique) que de leur procédure rationalisée (procédure romano-canonique : écrite et inquisitoire) et de leurs compétences toujours élargies (aussi bien ratione personae que ratione materiae). Contre ces juridictions en plein essor, les justices royales ont dû déployer une stratégie particulièrement efficace, jouant à la fois sur la réduction de leurs compétences et sur le contrôle de la procédure ecclésiastique par le bais de l’appel comme d’abus.

  • Réduction de compétences:

Politique engagée dès le règne de Philippe le Bel, puis allant en se renforçant au cours du XIVè s. Aboutit avec un siècle de retard par rapport aux justices seigneuriales.

La clef du système = la théorie des cas privilégiés, pendant exact des cas royaux pour les justices seigneuriales : permet de réserver aux juges royaux toute une série de cas jusque là normalement dévolus aux officialités. La justification en est également la souveraineté du monarque et la nécessité pour lui de protéger l’ordre public. Tout clerc qui se rend coupable de LM, de fausse monnaie, de violation d’asseurement ou de sauvegarde royale ou de violation d’une ordonnance royale doit être obligatoirement jugé par un juge royal (en fait, souvent double compétence débouchant sur un double procès pour le délit commun et le cas privilégié).

Prévention connaît aussi une application partielle, notamment en matière bénéficiale (pour le possessoire).

Au total : privilège du for ne cesse de se réduire, tandis que les cas de compétence des tribunaux d’Église à l’égard des laïcs sont de moins en moins nombreux, aussi bien au pénal qu’au civil (compétence des juges laïcs l’emportant notamment en matière contractuelle).

  • Contrôle et appel comme d’abus:

Notion d’abus est avérée chaque fois qu’un acte émanant d’une autorité ecclésiastique, ou qu’une décision rendue par une juridiction d’Église paraît aller à l’encontre de l’ordre établi. Ainsi, tout excès de pouvoir, qu’il résulte d’un abus de compétence judiciaire ou d’une utilisation extensive du droit d’édicter reconnu à l’Eglise, entre ds le champ de la notion d’abus. D’où 2 réactions successives développées par les autorités laïques :

– Dès le règne de Philippe le Bel, les juges procèdent par voie de contrainte, par le biais de la saisie du temporel ecclésiastique, pour sanctionner toute décision qui leur paraît abusive, qu’elle soit judiciaire ou adm. Simple moyen de pression ne résolvant pas le pb posé par la décision incriminée.

– A partir de la fin du XVè s. perfectionnement de la procédure d’appel comme d’abus : recours à la justice laïque (plt ou conseil du roi) contre une sentence ou un acte de l’autorité ecclés. (s’opère ds la foulée de la pragmatique sanction de Bourges). Recours plus proche en fait d’une voie de cassation que d’un appel véritable. Si un abus est effectivement constaté, il n’y a jamais réformation de la sentence ou de la décision ; simple cassation de l’acte incriminé suivi d’un renvoi devant l’autorité compétente.

Au total, au terme de cette évolution, l’Eglise de France ds son ensemble devait accepter que la totalité de ses actes, adm. ou judiciaires, soient soumis au contrôle des plus hautes instances judiciaires du royaume, donc à l’autorité souveraine du roi. Triomphait ainsi un véritable droit de regard de l’Etat sur la voie adm. et judiciaire de l’Eglise, qui perdura jusqu’à 1905.

B- Les structures de l’appareil judiciaire

A l’aube du XIIIè les structures judiciaires sur lesquelles peut s’appuyer le roi sont encore rudimentaires : essoufflement des juridictions prévôtales, timide mise en place des bailliages et des sénéchaussées, caractère encore largement féodal de la cour du roi.

Gonflement des affaires traitées, puissance croissante de l’Etat et complexification de la procédure entraînèrent la constitution progressive d’une hiérarchie des juridictions, dominée par les plts (a) et reposant solidement sur le socle essentiel des bailliages et des sénéchaussées (b).

1)- Du parlement aux parlements
  • Le parlement: Né du démembrement de la Curia regis au XIIIè s. (v. 1250), le Parlement demeure pdt presque 2 siècles l’instance judiciaire suprême du royaume. Sa genèse est ente, et s’étaler sur ¾ de siècle à partir des années 1250. Depuis longtemps déjà, le souv. s’assurait le concours d’hommes de loi chaque fois qu’il jugeait en sa cour ; mais ces réunions deviennent de plus en plus fréquentes à partir du moment où Saint Louis, rentré de croisade et de captivité (1254) reprend en mais les rênes du pouvoir : roi profondément attaché à l’idéal de justice. D’où une double évolution :

– spécialisation d’une partie du personnel, composée de juristes chargés de « parlementare » = délibérer à propos des affaires qui leur sont soumises ; se réunissent ds des sessions temporaires dissoutes dès que l’ordre du jour est épuisé. Ces sessions tendent toutefois à devenir progressivement de plus en plus longues et de moins en moins nombreuses, pour ne plus former qu’une seule session, simplement coupée une fois par an par les vacances d’été.

– individualisation de l’institution : jusqu’à la fin du règne de Saint Louis, les séances de la curia in parlamento sont dominées par la personne du souverain qui occupe toujours le devant de la scène. Ce qui prévaut = la fonction de conseil ; c’est toujours le roi qui tranche. A partir de la fin XIIIè s. le roi n’est plus ds sa cour qui délibère seule pour juger en son nom.

La galerie du Parlement aux Archives Nationales

Développement continu de l’élément professionnel, aux dépens d’un élément aristo. vite réduit aux seuls pairs de France ; pérennisation des fonctions de conseillers à partir du milieu du XIVè s. Division du plt en 4 chambres :

– Grand chambre, devant laquelle ont lieu toutes les plaidoiries et sont rendus tous les arrêts ;

– Chambre des requêtes : reçoit les plaintes des plaideurs et statue sur leur validité ;

– Chambre des enquêtes : enquête, instruction et préparation des décisions que la Grand’Chambre n’avait le plus souvent qu’à transformer en un jugement définitif ;

– Chambre criminelle ou Tournelle : n’apparaît qu’à la fin XIVè s. demeura pdt longtemps une simple délégation de la Gd chambre, délégation devenue permanente en 1446. N’est composée que de conseillers laïcs. Mêmes compétence que la chambre des enquêtes, mais au pénal cette fois ; autonomie acquise seult en 1515.

Champ d’intervention des plts de plus en plus étendu, parallèlement au gonflement du domaine royal. D’où la nécessité de rapprocher la justice des justiciables et de tenir compte au mieux des réalités locales. 2 moyens furent utilisés à cette double fin :

  • Les Grands jours : délégations temporaires de maîtres du plt envoyés en province pour y rendre la justice au nom du roi = équivalent d’une sorte de déconcentration. Grandes assises limitées ds le temps et organisées à l’occasion de circonstances graves, elles assurent une justice à la fois rapide et proche des justiciables. Pratique généralisée surtout à partir de la fin du règne de Charles VII. Se poursuivit également sous l’AR.
  • L’érection de nouveaux parlements provinciaux. Jusqu’au XVè s. La règle d’un plt unique siégeant à Paris fut toujours observée : seule juridiction souveraine, contrôlait l’ensemble des décisions rendues ds tt le royaume, qu’elles émanent de tribunaux royaux, de justices seigneuriales ou de cours princières. Néanmoins, là encore : besoins locaux de plus en plus forts nécessitant cette fois une véritable décentralisation de la justice souveraine. Mouvement amorcé là encore sous le règne de Charles VII avec le plt de Toulouse ( carte p. 8), se poursuivit tout au long du Ma et de l’AR. N.B. : Ds l’ensemble, les ressorts des plts provinciaux correspondent aux régions périphériques du royaume qui avaient servi d’assise aux principautés territoriales du Xè s. et qui constituaient aux XIVè-XVè s. les aires des développement pour le dév. des États provinciaux

Cepdt : ces plts, égaux entre eux et crées à l’image du plt de Paris, ont la même organisation que lui et conservèrent toujours le souvenir d’une origine commune, justifiant l’élaboration de la théorie des classes à partir du XVIIè s : partage de souveraineté avec le roi.

Compétences des plts :

  • justice souveraine en 1ère instance (pour les causes importantes ou pour les personnes jouissant du privilège de committimus) et surtout en appel ; possibilité de cassation devant le conseil du roi ;
  • missions diplomatiques : sauvegarde des intérêts du roi et de l’intégrité du domaine ;
  • compétences législatives liées au caractère souverain des plts :

– pouvoir édictal autonome et parallèle à la législation royale : technique des arrêts de règlement (décisions à valeur normative ayant portée générale, permettant au plt de régler provisoirement et à titre supplétoire, ds son ressort, un point sur lequel ni la coutume, ni la législation n’avaient apporté de solution : statue donc ds un vide juridique et permet de généraliser des pcipes nouveaux appliqués au cas d’espèces ;

En matière d’adm. le plt peut également prendre des décision en dehors de toute situation contentieuse : législation véritablement autonome.

– droit de remontrance progressivement constitué : enregistrement purement matériel au départ, devenant à partir de la 2nde 1/23 du XIVè un contrôle d’opportunité (cf. cours du 1er semestre).

2)- Les tribunaux de bailliage ou de sénéchaussée

Bailliages et sénéchaussées = une pièce maîtresse de l’adm. territoriale dès la fin du Ma (cf. supra). Constituent également un rouage essentiel de l’appareil judiciaire. Triple évolution :

  • Spécialisation du personnel: Au départ, baillis et sénéchaux sont simplement entourés d’un personnel extrêmement restreint et assument seuls la responsabilité de la justice ds le cadre du tribunal qu’ils président. Puis afflux des affaires est tel qu’une décharge d’activité devient nécessaire. Ds un 1er temps, délégation de pouvoir à des lieutenants par les baillis eux-mêmes (XIVè s.). Puis effort de la monarchie pour contrôler ces agents et les placer directement sous son emprise. A partir du XVè s. le roi prend l’habitude de les nommer directement en exigeant d’eux capacité et formation suffisantes. Parallèlement, leur offre des garanties de carrière stable. Évolution achevée au XVIè s. : ordonnance de 1510 fait du lieutenant un véritable officier royal nommé par le monarque. N’est plus qualifié, désormais, de lieutenant du bailli, mais de lieutenant du roi ds tel bailliage.

Deux types de lieutenant : lieutenant général siégeant au chef lieu de la juridiction ; reçoit délégation générale du bailli pour toute l’étendue du bailliage ; à ses côtés et pour le seconder ds les diverses circonscriptions du bailliage : des lieutenants particuliers.

  • Fixation des structures: Ds sa formation initiale, le tribunal du bailliage est organisé en assise : formation très marquée par les traditions féodales : justice itinérante siégeant tour à tour ds les principales localités du bailliage. Composition variable selon la qualité du défendeur. Toutefois, tendance à voir les techniciens du droit s’imposer de plus en plus nombreux devant la complexification croissante du droit.

Peu à peu évolution de l’assise vers le plaid = formation sédentaire et permanente s réunissant à dates fixes ds chaque ville importante du bailliage, et placée sous la présidence du lieutenant particulier.

  • Élargissement des compétences: constitue un phénomène tellement important qu’il fallut limiter ces compétences en 1ère instance pour faire de ces tribunaux essentiellement des juridictions d’appel.

En 1ère instance : jugent surtout les affaires intéressant les nobles (ratione personae) ainsi que les délits intéressant les officiers royaux ds l’exercice de leurs fonctions.

Appel de toutes les sentences rendues par les prévôts royaux et les juges seigneuriaux.

§II- L’État créancier des imposables

Construire l’Etat impose de multiples contraintes qu’ignorait le roi féodal : suscite d’importants besoins en hommes et en matériel auxquels ne peuvent répondre les seules ressources du domaine royal : dès la fin du XIIè s. la règle féodale selon laquelle « le prince doit vivre du sien » tend à s’estomper devant la pression des réalités politiques et administratives. En outre, domaine souvent mal géré et objet constant d’aliénations rapporte peu. Souverain doit donc chercher de nouvelles sources de financement.

  • Complément de revenu non négligeable fourni par l’utilisation judicieuse de l’instrument monétaire: passage progressif du monnayage baronnial à la monnaie du prince. Pdt la période féodale, en effet, le droit de battre monnaie, tout comme ceux de juger, de légiférer ou de lever l’impôt, était en partie tombé aux mains des seigneurs qui l’exerçaient en concurrence avec le roi. Jusqu’à la fin du XIIè s. le monarque ne bat monnaie qu’à l’int. de son domaine. Partout ailleurs, elle a u caractère très local.

En fait, il faut attendre Saint Louis pour que soit véritablement affirmée la primauté de la monnaie royale : législation des années 1263-1265 posant 5 grands principes :

– la monnaie du roi est la seule à avoir cours ds le domaine

– elle a cours ds tout le royaume, mais parfois en concurrence avec les monnayages seigneuriaux locaux lorsqu’ils existent ;

– la circulation des monnaies étrangères est interdite ;

– l’imitation de la monnaie royale est interdite ;

– prohibition de rogner les pièces.

A partir de là double politique de disparition et de contrôle des ateliers monétaire baronniaux : se poursuit et s’intensifie au XIVè s. tandis que se multiplient les ateliers royaux.

Ecu d'or de saint Louis Franc de Jean le Bon

Monnaie est en effet une source considérable de profits : possibilité de jouer sur le titre (ou aloi : proportion de métal fin, or ou argent), le poids (quantité totale de métal utilisée) et le cours (déf. de la valeur de la pièce au moment de son émission, chaque pièce d’or ou d’argent ne portant sur ce point aucune indication) D’où de nombreuses manipulations monétaires opérées pour des raisons autant politiques qu’économiques et financières (idée selon laquelle le roi = le maître de la monnaie).

  • Développement d’un droit royal d’imposer: besoins d’argent toujours plus grand suscitant le passage d’une fiscalité féodale (A) à une fiscalité d’État (B).

A- L’administration des profits domaniaux

En droit féodal, tout vassal doit aider son seigneur en fonction de ses engagements et de ses moyens. Cette aide, qu’elle soit en argent ou en service, n’a plus à être discutée à partir du moment où elle a été acceptée ds le cadre du contrat féodal. Seulement due en pcipe pour les 4 cas définis par la coutume, elle peut être étendue à d’autres, à conditions d’avoir été expressément consentie par le vassal auquel elle est demandée. En outre, cette aide, qui se traduit pdt toute la période féodale par le service effectif du vassal peut être rachetée : pratique devenue courante ds les années 1250. Fait l’objet d’âpres négociations, au cours desquels le roi exige parfois des versements complémentaires, qu’il justifie par l’invocation du « commun profit » : sortie progressive d’une logique purement féodale. En réalité, si les sommes ainsi débloquées grèvent fortement les budgets urbains, ds la 2nde ½ du XIIIè siècle, elles représentent pau au regard des besoins immenses du roi.

Quant à l’adm. des finances, elle n’a d’autre mission que de centraliser et gérer les finances ordinaires que procurent au roi son domaine et ses revenus. D’abord confié à la garde des Templiers, le Trésor royal est transféré au Louvre sous le règne de Philippe le Bel, qui en profite pour perfectionner sa gestion adm. 2 catégories pcipales d’agents :

– les administrateurs : les Trésoriers de France, au nombre de 4 : assurent chacun la gestion du domaine situé ds leur champ d’attribution (royaume étant lui-même divisé en 4 zones) : veillent à sa mise en valeur et décident des modes d’exploitation des biens domaniaux ; préparent annuellement un état approximatif portant prévision des recettes à encaisser.

– les comptables : receveurs et changeur du Trésor : sont investis de la responsabilité du maniement des fonds. Interviennent au niveau local (receveurs des bailliages et des sénéchaussées) et central (receveur central ou changeur du Trésor).

Ressources ordinaires vite insuffisantes furent toutefois complétées par les ressources extraordinaires, qui fournirent en fait l’essentiel des revenus monarchiques.

B- La mise en place d’une fiscalité monarchique

  • L’affirmation du droit royal d’imposer : repose sur l’idée de légitimité de l’impôt, elle-même fondée sur une double considération :

– cause de l’imposition : défense du royaume : période de la guerre de Cent Ans joua donc un rôle décisif ds la genèse de cette pratique ;

– bénéficiaire de l’imposition : l’Etat, transcendant la personne du prince : poursuite du mouvement d’institutionnalisation et de dépersonnalisation.

Genèse de ce droit royal d’imposer fut cepdt lente et difficile. Au départ, nul ne conteste qu’au roi seul revient le pouvoir d’imposer ses sujets, au nom de la nécessité publique et de l’utilité commune. Néanmoins, les députés des diverses assemblées convoquées par le monarque, les représentants des villes et des corps, et les contribuables eux-mêmes savent rappeler au roi que l’impôt levé pour la défense du royaume ne doit ni connaître une autre affectation, ni durer au-delà de la cause qui l’a motivé : idée d’un impôt non obligatoire, toujours consenti, entouré de multiples garanties et toujours périodique : années 1350 marquées par une relative faiblesse du pouvoir monarchique. États généraux en profitent donc pour fonder le pcipe d’une périodicité annuelle de l’impôt.

Pourtant, sous la pression des circonstances, militaires en particulier, et afin de financer la mise sur pieds d’une armée permanente, le roi parvient progressivement à faire triompher l’idée d’un impôt levé sans le consentement exprès des États : idée d’un consentement tacite suffit. Évolution achevée dès le règne de Charles VII, ds les années 1440. Est d’autant mieux acceptée que les élites y trouvent leur compte : d’une part profitent largement d’un système d’exemptions ; d’autre part, bénéficient d’une redistribution, au moins partielle du produit de l’impôt.

  • Les structures de la fiscalité étatique:
  • La fiscalité directe: S’inscrit ds le prolongement de la fiscalité seigneuriale. Son poids ne cesse de s’alourdir depuis le règne de Philippe Auguste. Frape aussi bien les laïcs que les ecclés., mais sous des formes différentes :

* Le fouage : ainsi nommé parce qu’il est levé sur chaque feu. Son lien avec la taille de l’ost est évident : a donc succédé à l’aide militaire et n’a d’autre mission que d’alimenter les caisses de la royauté en période de difficultés militaires.

* La taille : impôt de répartition par excellence, la taille, souvent proche du fouage, se substitue progressivement à lui. Sans le faire disparaître, elle devient le pcipal impôt direct au XVè s. Prolongement de la taille seigneuriale, toujours justifiée au départ par les nécessités de la défenses et des opérations militaires. Assiette différente entre le Nord (taille personnelle) et le Midi (taille réelle). T mauvais rendement (de l’ordre de 50%) ;

* La décime : cf. supra. Une seule obligation pour le roi : obtenir le consentement préalable du clergé (tantôt en envoyant des commissaires ds chaque diocèse, tantôt en réunissant une assemblée du clergé) ; autorisation pontificale, en revanche, n’est que très rarement sollicitée, depuis l’affrontement entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Imposition devenue quasi annuelle.

  • La fiscalité indirecte: t. impopulaire

* Les aides : tout impôt indirect perçu à l’occasion du transport ou de la vente de certaines denrées. Assiette extrêmement large : produits destinés à l’alimentation, avec une prédilection particulière pour les boissons, et spécialement pour le vin, graines et farines ; animaux « à pieds fourchés » : moutons, bœufs, veaux et porcs ; laines et cuirs ; matériaux de construction (‘bois, pierres, ardoise, métaux) ;

* La gabelle : Terme utilisé à l’origine pour qualifier n’importe quel impôt sur la consommation, le terme de gabelle prend un sens précis ds les 1ères décennies du XIVè s. au fur et à mesure que la royauté organise et contrôle le commerce du sel. : sert alors pcipalement à désigner le droit perçu par le roi à l’occasion de la vente ou de la consommation de sel. Organisation reposant sur la création d’entrepôts royaux, les greniers à sel, placés sous le contrôle d’agents royaux, les grenetiers. Sel mis en vente par les grenetiers auprès de consommateurs qui ne peuvent s’approvisionner en dehors d’eux. Prix fixé par ordonnance.

Gabelle moins lourde ds le Midi (« pays de petite gabelle ») que ds le Nord (« grande gabelle) où une obligation pèse sur chaque chef de famille d’acheter une quantité minimale de sel (le « sel du devoir »). Complexité du système favorise la fraude (faux-saunage) pourtant durement réprimée.

* Les traites : taxes perçues sur les marchandises lorsqu’elles franchissent une frontière extérieure du royaume (sorte de taxe à l’exportation) ou une zone de démarcation intérieure de celui-ci, aux termes d’une géographie fiscale extrêmement embrouillée. Repose sur les conceptions économiques médiévales : conviction que tout domaine devait se suffire à lui-même et qu’en conséquence, tout ce qui sortait du territoire – en particulier les produits de 1ère nécessite – entraînait une diminution de ses réserves et de sa richesse.

Assiette très large : denrées ou animaux nécessaires à l’alimentation (blés, orges, avoines, légumes, vins, bestiaux) ; matières 1ères ou manufacturées indispensables à la confection des vêtements (laines draps, pelleterie, toiles), matériaux de 1ère nécessité (fer, cuivre, étain, bois).

Conclusion :

– éclatement des anciennes structures féodales, autarciques et étriquées ;

– passage d’une pensée contractuelle à une révérence institutionnelle : assure une indispensable permanence ;

– monopolisation des moyens de contrainte et de coercition entre les mains de l’Etat ;

– transfert de sacralité de l’Eglise à l’Etat.


Chapitre II- La mesure du royaume. L’unité du territoire

Face à l’éparpillement féodal, l’Etat affirme immédiatement la force de sa logique unitaire, elle-même enracinée ds un véritable continuum territorial. Le 1er défi des Capétiens fut donc autant géographique que politique, et consista à accroître la réalité de leur emprise matérielle sur le pays, face à des féodaux puissants et bien implantés (cf. cartes). Ils y réussirent à force de stratégies patientes et de conquêtes brutales, en faisant tour à tour de l’espace du royaume le cadre d’une unification nécessaire (section I) et le lieu d’une identité nationale (section II).

Section I- L’émergence d’un espace homogène

Période considérée a vu le développement de plusieurs tendances favorables à la monarchie capétienne :

– affirmation d’un modèle hiérarchique qui profite d’ailleurs aussi bien aux pouvoirs princiers qu’à l’autorité royale, et qui s’impose progressivement à tous les échelons de la société nobiliaire. Chaîne continue d’obéissance du sommet à la base réalisée grâce à un renforcement très sensible de l’emprise juridique exercée sur les seigneuries et les ensembles territoriaux plus vastes (§I) ;

– Le développement du monde urbain, créateur de richesses, et de plus en plus émancipé de la tutelle seigneuriale (§II).

– lutte acharnée menée par le Capétien contre le terrible étau représenté par l’empire Plantagenêt (carte) à partir du milieu du XIIè s. : mariage désastreux d’Henri II avec Aliénor d’Aquitaine, malencontreusement répudiée par Louis VII (1152). Ds ce dur conflit, la victoire ne se dessina qu’au tout début du XIIIè s., sous le règne énergique de Philippe Auguste : permit à la monarchie française d’augmenter substantiellement son assise matérielle, en accroissant à la fois sa base territoriale et ses ressources financières (§III).

§I- Le renforcement de l’emprise juridique du monarque

Ce phénomène s’est traduit à la fois par l’affirmation de la suzeraineté générale du roi sur l’ensemble du royaume, ds un cadre de référence qui demeure donc largement féodal (A) et par le développement de prérogatives propres à la monarchie et de nature à fonder l’incontestable souveraineté de celle-ci, préfigurant ainsi l’émergence d’un État libéré des contraintes de la médiatisation contractuelle (B).

A- La suzeraineté du prince

  • Lente émergence d’un ordre féodal : existait déjà ds un certain nombre de principautés « pilotes » comme la Normandie ou la Catalogne, mais tend à s’étendre, au cours du XIIè s., sous l’effet des mouvements de paix. En bien des régions du royaume, au moment même où la papauté entreprend d’étendre la paix et la trêve de Dieu à l’échelle de la chrétienté (fin XIè-début XIIè s.), ducs et principaux comtes s’appuient sur le mouvement de paix, se présentent comme les protecteurs naturels des églises, et s’attachent à faire de la paix de Dieu une véritable paix du prince : mutation encouragée par l’Eglise elle-même, qui s’efforce toutefois d’en conserver le contrôle juridictionnel et de confiner les autorités laïques ds un rôle d’exécutant.

Au total, donc : efficacité accrue de certains princes ds un rôle pacificateur qui contribue de façon décisive au resserrement des liens qui les unissaient aux maîtres des châteaux. Dynamique de reconstitution des pouvoirs princiers observables ds la plupart des grandes seigneuries du Nord : Champagne, Bourgogne, Anjou, Flandre, Nivernais, etc. Toutes ces régions connaissent le même mouvement de féodalisation des terres et de raréfaction de la propriété allodiale, d’extension de la notion de ligesse et de définition plus stricte des obligations découlant de la possession du fief.

Elle connaissent de même la diffusion d’une terminologie mettant l’accent sur le fief et sur son insertion ds une hiérarchie des terres : ainsi le verbe « movere », « mouvoir », qui traduit la dépendance d’une terre par rapport à une autre, ou le mot « feudataire » appliqué au vassal, qui montre que la dépendance vassalique est désormais clairement appréhendée comme la résultante de cette dépendance réelle, dont la contrepartie = la constitution d’un lien infiniment plus objectif et tangible que la seule fidélité interpersonnelle.

Tendance comparable ds le Sud du royaume

  • L’apparition de ce nouvel ordre princier ne se réalise pas, contrairement aux évolutions qui avaient précipité l’effondrement carolingien, au détriment de l’autorité royale. Le roi du XIIè siècle est d’abord le chef d’une principauté territoriale et, à l’instar des autres princes, s’efforce d’en consolider l’assise. Le règne de Louis VI (1108-1136) marque, à cet égard, un tournant : en défendant les églises contre les seigneurs d’Île de France, la royauté sait, avec une remarquable constance, utiliser sa force coercitive, pour, finalement, faire prévaloir le principe en vertu duquel toute décision de sa cour – sentence arbitrale, mais aussi, plus souvent qu’auparavant, véritable jugement – possède pleine force exécutoire. Ici aussi, donc, utilisation du mouvement de paix de Dieu : le roi se présente ainsi comme l’instrument armé de la justice ecclésiastique

A l’égard des grands titulaires d’honores, l’idée de hiérarchie féodale est pour une large part l’expression d’une supériorité de nature depuis toujours reconnue par ces grands au roi. Va permettre d’affirmer de façon définitive la primauté royale, par la reconnaissance de la supériorité féodale du roi (1), par la mise en relief de son indépendance politique (2) et par l’utilisation habile du droit féodal lui-même (3).

1)- La supériorité féodale du roi

Vision nouvelle qu’ont les princes du XIIè s. de l’espace qu’ils dominent = territoire tendant à se présenter comme une sorte d’emboîtements de fiefs mouvant les uns des autres et mouvant en bout de chaîne de l’unité territoriale que constitue la principauté : profite au roi, chef de cette entité territoriale supérieure qu’est le regnum Francorum. L’affirmation de la « suzeraineté » royale n’est donc pas simplement le fruit d’une doctrine abstraite imaginée par les conseillers de l’entourage du Capétien : elle s’impose aux princes comme procédant de la même logique que celle qui préside à leur réussite.

La nouveauté du XIIè s. ne consiste pas tant ds les hommages rendus par les grands princes au roi que ds le lien plus systématiquement affirmé par les textes entre l’hommage rendu et l’honor concédé. Homogénéisation du vocabulaire (honor remplacé par fief, grands ds leur diversité qualifiés indifféremment de barons) traduisant le souci de faire entrer ds un même moule la relation vassalique : identité de dépendance.

Ds le même temps, on met l’accent sur une hiérarchie des terres aboutissant au roi. Cf. la phrase prononcée par le duc d’Aquitaine au roi Louis VI le Gros :

« Le comte d’Auvergne tient de moi l’Auvergne que moi je tiens de vous. »

Cepdt, cette logique hiérarchique ne s’impose pas toujours d’elle-même :

  • Certains grands princes, tout en acceptant, bon gré mal gré, le lien plus affirmé entre l’hommage et la concession en fief, refusèrent longtemps l’étroite subordination qu’impliquait un tel lien.

Ex : C’est le sens profond de l’attitude des ducs normands au XIIè s., notamment celle d’Henri II Plantagenêt qui, tout en prêtant hommage au roi pour la Normandie, n’en revendique pas moins une conception restrictive de cet hommage : simple hommage de paix, source d’amitié réciproque et d’obligations de se conserver mutuellement « leur vie, leurs membres et leur honneur terrestre. » : cf. la pratique de l’hommage en marche, prêté à la frontière des zones des domination respective, et non à la cour du seigneur.

Cette pratique de l’hommage en marge est également revendiquée par les comtes de Champagne et de Nevers vis à vis du duc de Bourgogne et des multiples seigneurs dont l’un et l’autre reconnaissent tenir des fiefs. Toutefois, ni ces grands ni les autres princes ne semblent avoir revendiqué un tel privilège vis à vis du roi auprès duquel ils se rendent plus souvent qu’auparavant à partir des années 1140-1150 pour s’acquitter du service de cour caractéristique de la subordination vassalique.

  • Le second obstacle rencontré par la royauté tient à la place assignée à chaque détenteur de puissance ds la construction hiérarchique : schéma roi-duc-comte que les grands tentent d’imposer au monarque et qui s’oppose à la volonté d’un rattachement territorial direct manifesté par celui-ci. L’intérêt du roi, qui le pousse à un e politique d’intégration immédiate des grandes seigneuries traditionnellement situées hors de sa zone de rayonnement, se heurte ainsi à celui des princes, qui entendent affermir leur domination sur l’ensemble des territoires relevant des regna dont ils sont nominalement les chefs.

Ex : prétentions du duc d’Aquitaine opposant aux rois Louis VI puis Louis VII l’appartenance – d’ailleurs plus théorique que réelle au siècle précédent – de l’Auvergne à la mouvance aquitaine.

La politique royale d’élargissement du cercle de ses vassaux directs trouve sa pleine efficacité ds un principe qui paraît progressivement s’imposer entre le milieu du XIIè s. et les années 1230 : tout hommage prêté au roi par un noble du royaume tend de plus en plus systématiquement à devenir un hommage prioritaire, quand bien même celui qui le contracte aurait antérieurement prêté un hommage lige à un ou plusieurs seigneurs. Le fait que l’élaboration de cette règle ne paraît pas avoir suscité de véritable opposition traduit bien l’idée d’une prééminence naturellement reconnue au roi.

Autre principe qui, sans être neuf, retrouve une nouvelle vigueur au XIIè s. : nul, fût-il vassal d’un autre, ne peut prêter la main à une action susceptible de « menacer le roi ds sa personne, sa dignité, son corps. » Ceci annonce de loi le principe d’une tout autre portée selon lequel les rapports féodo-vassaliques ne peuvent en aucune manière préjudicier au roi, contre qui « hommage ne vaut rien ». De la vague reverentia due par tous au roi du XIIè s., çà l’égard de laquelle vassaux et arrière-vassaux conservent une certaine marge d’appréciation qui peut les conduire, lorsque le monarque est agresseur et agit hors de toute règle, à recourir légitimement aux armes contre lui, on passera ainsi, au XIIIè s., à l’idée d’une fidélité d’essence publique inopposable au roi.

2)- L’indépendance féodale du roi

Ds un tel système où hiérarchie des hommes et hiérarchie des terres sont indissolublement liées, la position dominante du roi suppose qu’il demeure invariablement l’ultime maillon vers lequel convergent les chaînes des feudataires, et par conséquent qu’il ne soit jamais en position de devoir l’hommage à quiconque.

Il est cepdt assez fréquent, à partir de la fin du XIè siècle, que le droit acquiert une terre relevant féodalement d’un autre que lui. L’acquisition du Vexin, (fin du XIè s.), fief de l’abbaye de Saint Denis, par Philippe 1er, celle de l’Amiénois et du Vermandois et d’autres seigneuries (Hesdin Gien, Beaumont sur Oise) relevant de seigneuries ecclésiastiques, ont ainsi permis de consolider une doctrine conforme à l’idée de suzeraineté absolue du roi.

A propos du Vexin, l’abbé Suger de Saint Denis constate, ds l’un de ses écrits, que le monarque est le feudataire de son abbaye et Que c’est à ce titre qu’il reçoit, sur l’autel de cette église, l’oriflamme royal :

Oriflamme de Saint Denis

un rituel qu’il est tenté d’interpréter comme un véritable acte d’investiture. Et Suger de préciser qu’en cette qualité, Louis VI aurait dû lui prêter hommage « s’il n’était roi » (si rex non esset).

Puissance royale ne dépendant d’aucune puissance terrestre. En France il est inconcevable que le roi puisse être en position de prêter personnellement hommage, et l’évolution ne fit que confirmer ce principe. Il s’agit bien d’un simple dispense d’hommage qui ouvre droit à une forme de compensation pour le seigneur privé de l’hommage auquel il a normalement droit et qui serait levée si le fief venait à échoir à un autre vassal que le roi.

Il peut d’ailleurs arriver que les seigneur du fief renonce, contre forte compensation, à sa seigneurie éminente, et, par voie de conséquence, au statut féodal du bien acquis par le roi : renonciation définitive donnant lieu à des récompenses définitives. Solution devient courante à partir de 1193( renonciation de l’évêque de Thérouanne pour Hesdin).

Les juristes de l’entourage royal, dès la fin du XIIè s., semblent donc avoir fait admettre le principe en vertu duquel le roi, non seulement ne prêt pas hommage, mais ne peut, de par sa position, tenir fief de quiconque : une règle que les auteurs coutumiers du XIIIè s. rappelèrent ultérieurement en quelques formules lapidaires : « Le roi ne doit tenir de nul » ou « le roi ne tient que de lui et de Dieu. »

3)- L’utilisation du droit féodal

Vers 1220, à la veille de la mort de Philippe Auguste, le roi de France n’apparaît pas seult comme situé au sommet de la pyramide féodo-vassalique. Il est aussi en mesure d’utiliser toutes les ressources d’un droit féodal en pleine maturation.

  • Intervention du Capétien ds la dévolution des fiefs dépendant de la Couronne.

Cette dévolution peut être la conséquence normale d’un mariage (acquisition du comté d’Artois par l’union entre Philippe Auguste et Isabelle de Hainaut, en 1180) ou d’une succession (acquisition en 1213 du comté de Vermandois, tenu depuis la fin du XIè s. par une branche cadette de la lignée capétienne dont l’ultime descendante désigna dès 1192 le roi comme son héritier).

Reste l’écrasante majorité des situations où le roi intervient ds les successions sans y être lui-même partie prenante et où l’on constate, entre 1108 et 1223 une forte évolution de la prérogative royale :

– en matière de succession le pcipe demeure au XIIè s. comme au siècle précédent que le roi ne possède qu’un simple droit d’investiture du plus proche héritier dont il tire profit en exigeant un droit de relief à chaque mutation.

Ex : Affaire de la succession du comté de Flandre : révolte des Flamands contre Guillaume Chiton ; Louis VI doit accepter de reconnaître Thierry d’Alsace.

– Pour les affaires matrimoniales, après 1180, en revanche, le roi affirme clairement son droit d’autoriser le mariage ou le remariage de toute femme tenant fief soit à tire d’héritière, soit au titre de la garde d’un héritier mineur (à la différence de ce qui s’était produit en 1152 pour le remariage d’Aliénor.) A la fin du règne de Philippe Auguste, le droit d’autorisation du roi s’exerce à l’égard des grands vassaux comme à l’égard de feudataires de moindre importance, et le Capétien l’utilise pour réaliser ses propres objectifs politiques.

  • Les obligations du vassal et les sanctions prescrites à son égard en cas d’inexécution.

– Aide militaire : au temps de Philippe Auguste, les textes distinguent clairement le bellum (guerre pour la défense du royaume : implique un service illimité) de la guerre ordinaire, pour laquelle est dû le classique service d’ost (exercitum) réglementé par la coutume pour de nombreux vassaux, objet, pour d’autres, et notamment pour les plus grands, de véritables négociations entre eux-mêmes et le roi.

– Conseil : Règnes de Louis VII et de Philippe Auguste marquent un très net changement : en rétablissant des liens plus étroits avec sa haute aristocratie, la royauté renoue, au cours des années 1140-1150, avec la tradition des grandes assemblées royales, sessions particulièrement solennelles de la Curia regis réunissant autour du monarque les principaux feudataires. A la fin du siècle, le roi est même en mesure de prononcer la commise des fiefs de ses vassaux, ce dont il était jusque là totalement incapable : reconnaissance par les plus grands de leur double rôle de juge, mais aussi de justiciable au sein de la Curia.

Le premier exemple est aussi le plus remarquable date de 1202 et concerne les possessions continentales des Plantagenêts. A la mort de Richard Cœur de Lion (1199) l’empire angevin est tombé entre les mains de Jean sans Terre, dernier fils d’Henri II et d’Aliénor. En lute contre ses vassaux d’Aquitaine, Jean outrage l’un d’entre eux, le comte de la Marche, Hugues de Lusignan en lui enlevant sa fiancée. Hugues riposte aussitôt en saisissant la cour de son suzerain, le roi de France : un des 1ers exemples de saisine effective de la cour du suzerain par un arrière-vassal : montre à quel point la vision d’un emboîtement rigoureux des fiefs et les progrès de l’idée hiérarchique agissent sur les comportements. Jean sans terre assigné à comparaître devant Philippe Auguste s’y refuse en prétextant qu’étant duc de Normandie, il bénéficie du privilège de ne rencontrer le roi qu’à la frontière, « en marche ». Philippe rétorque le le roi d’Angleterre est cité non comme duc de Normandie mais comme duc d’Aquitaine et la Curia condamne Jean à la commise de la totalité de ses fiefs pour manquement à ses obligations et refus de comparaître. La commise implique la nullité du serment de fidélité prêté par Jean et par voie de conséquence, le retour des fiefs en la main du roi, avec rattachement direct à sa personne des anciens vassaux de Jean : autant d’effets juridiques qu’il appartient au roi et aux grands qui ont prononcé la sentence et sont tenus de lui fournir l’aide militaire, de faire appliquer : Dès 1202, le roi reçoit l’hommage du comte de Bretagne. En 1204 il entre en campagne, conquiert la Normandie, puis le Maine et l’Anjou, et enfin, plus de 10 ans plus tard, le Poitou : la juridiction qu’exerce le roi sur ses grands vassaux cesse d’être théorique pour se traduire au niveau des faits.

Suzeraineté et juridiction suprême sont désormais étroitement liées. Mieux : l’exercice de la juridiction royale est devenu un moyen d’élargissement du « domaine » au détriment des plus hauts princes. La victoire remportée à Bouvines en 1214 contre une coalition de féodaux alliés aux deux autres grands monarques d’Occident, tous menacés et inquiétés par l’essor du Capétien, consolida définitivement cet ensemble de prérogatives coutumières exprimant la suzeraineté royale et dotant celle-ci d’une pleine efficacité.

  • Rapports avec les arrières vassaux (XIIIè s.):

Même seigneur suzerain au plus haut niveau, le roi n’avait sur eux aucune emprise et devait s’en remettre au bon vouloir de ses vassaux, en particulier chaque fois qu’il fallait mobiliser l’arrière-ban. La suzeraineté ne pouvait devenir un efficace moyen de renforcement de l’autorité royale que si le roi et son entourage réussissaient à imposer deux règles nouvelles allant à l’encontre des anciens principes. Il fallait d’abord que le monarque pût toujours bénéficier de manière absolue et prioritaire du service qui lui venait de ses vassaux ; il était ensuite indispensable que s’estompât progressivement la règle de non-emprise du suzerain sur ses arrière-vassaux (le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal). Acquis ce double renversement, la royauté se trouvait en grande partie libérée des entraves que constituait la médiatisation féodale pour son action.

Évolution rendue possible au cours du XIIIè s. grâce à un certain nombre de facteurs :

– renforcement très sensible de la puissance monarchique elle-même, grâce notamment à l’extension du domaine (cf. infra), et au prestige croissant de la justice royale ; deux règnes essentiels ds cette perspective : celui de Philippe Auguste (1180-1223) et celui de Louis IX (1226-1270) ;

– influence des pratiques anglo-normandes très sensibles après 1204 et l’intégration de la Normandie : ds cette principauté, la féodalité est toujours demeurée très structurée ; l’autorité du duc s’y est donc maintenue avec plus de force qu’ailleurs et la règle « le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal » ne lui est guère opposable : permanence des principes carolingiens d’où découle en priorité l’obligation d’une fidélité prioritaire au duc. Dès le milieu du XIIIè s. le Grand coutumier de Normandie précise que tous les habitants du duché doivent au duc une fidélité qui l’emporte sur tous les autres engagements et qui emporte, en toute situation, aide et conseil ;

– redécouverte du modèle romain d’un souverain capable d’exercer sur l’ensemble de son royaume une emprise territoriale très forte par laquelle doivent être également soumis à son contrôle tous les sujets, quelle que soit leur place ds la hiérarchie sociale. Passage insensible de la suzeraineté à la souveraineté.

Toutes ces influences convergentes se combinent pour faire du roi, dès le milieu du XIIIè s. le seul bénéficiaire du renversement des grands principes traditionnels du droit féodal qui s’opère à ce moment. Ainsi, vers 1260, le Livre de jostice et de plet pose avec force le postulat selon lequel le souverain se trouvant placé au-dessus de la hiérarchie féodale, ilk devait échapper à toutes les conséquences contraires que risquaient d’avoir à son égard les rapports noués entre les membres de cette hiérarchie. Partant du pcipe d’après lequel le roi ne tient son pouvoir de personne, il insiste sur le fait que si un duc, comte , vicomte et baron peuvent être l’homme l’un de l’autre, ils doivent, en toute hypothèse, respecter la « dignité » due au roi contre qui l’hommage ne vaut rien. Et tous ceux qui viennent au dessous de cette hiérarchie de grands, qu’ils soient simples châtelains ou vavasseurs, qu’ils soient habitants des villes ou des campagnes, leur sont certes soumis, mais demeurent, en toute situation, ds la main du roi. C’était affirmer avec une vigueur accrue et sans le moindre doute possible, que tout individu, quelle que soit sa position ds la hiérarchie féodo-vassalique, était non plus le vassal ou l’arrière vassal du roi, mais simplement son sujet : non seulement le schéma hiérarchique est remis en ordre, mais encore il est dépassé par un cadre nouveau : celui de la souveraineté étatique. Passage d’une suzeraineté personnelle et contractuelle à une souveraineté collective et institutionnelle.

B- La souveraineté du roi

Son affirmation est rendue possible grâce au concours de plusieurs évolutions convergentes inséparables de la construction de l’Etat monarchique :

  • L’institutionnalisation de la couronne:

Tandis que s’édifie le modèle d’une construction hiérarchique dont le roi occupe le sommet, les théoriciens du pouvoir royal en viennent à mettre l’accent sur 2 notions aptes à soutenir les tendances unitaires alors en plein développement :

  • l’une est ancienne, mais le morcellement territorial lui avait fait perdre, au XIè s., une grande partie de sa consistance, au point que nombre de sources contemporaines l’avaient réduite au seul domaine de l’Île de France : il s’agit du concept de regnum, si vivant à l’époque carolingienne, où il signifiait à la fois la puissance royale et l’entité territoriale majeure sur laquelle s’exerçait cette puissance.

Au cours du XIIè s., la notion de mouvance, selon laquelle toute entité territoriale procède nécessairement d’une autre plus vaste réhabilite cette entité territoriale suprême. Celle-ci reçoit en outre une formulation plus ferme, qui permet d’en préciser les contours et d’en souligner l’unité : utilisation de la classique symbolique du corpus, utilisée depuis toujours pour désigner l’Eglise. Sert maintenant à décrire le regnum : « totutm corpus regni ». Au seuil du XIIè s., la métaphore organique, celle d’un corps pourvu d’une tête et de membres, devient opérationnelle pour imposer une vision unitaire et hiérarchique de la société française : le royaume est un corps entier dont la dignité royale occupe la têt, dont chaque entité territoriale, chaque chef de principauté, de comté ou de seigneurie constituent une partie ou un membre.

  • L’autre notion, étroitement liée à la première, s’impose au cours du XIIè s. : c’est celle de « couronne ». Plusieurs siècles durant, le terme n’avait désigné que l’insigne matériel de la royauté, cet ornement du sacre que conservait l’abbaye royale de Saint-Denis. A partir du règne de Philippe 1er et plus nettement sous celui de Louis VII, la corona regni devient une entité abstraite, distincte de la personne physique du monarque, sorte de principe supérieur symbolisant la permanence de la fonction royale, cercle idéal dont la substance serait faite de toutes les églises et de toutes les seigneuries du royaume : véritable titulaire des droits et des devoirs du roi., symbole d’un tout autonome, regroupant aussi bien les clercs que les laïcs et dont le monarque occupe le centre. Marque la puissance de commandement et la transcendance d’un pouvoir royal existant par lui-même et exerçant en pleine indépendance les prérogatives qui lui sont propres. Traduit aussi le début du processus de dépersonnalisation, de désincarnation qui se prolongea tout au long du Ma et de l’AR.

Notion de Corona regni possède enfin, dès l’origine, la force dynamique qui s’attache aux abstractions : en elle résident tous les acquis idéologiques des siècles antérieurs, notamment la certitude que l’on a toujours eue, ds l’entourage des premiers Capétiens, d’une mission d’ordre public impartie au roi à l’échelle de son royaume, assortie de moyens spécifiques auxquels l’ordre féodal naissant redonna, au fil du temps, plus de consistance.

  • La paix du royaume:

Cette paix apparaît comme la mission privilégiée et spécifique du pouvoir royal. N’a jamais cessé d’habiter les esprits des contemporains, même au plus fort de la rétractation de la puissance monarchique. Connaît toutefois un surcroît de dynamisme et d’importance sous le règne de Louis VII (1137-1180) et plus particulièrement sous la rigoureuse régence exercée par Suger tandis que le monarque est parti en Terre Sainte, mener la seconde croisade (1147-1149). Grâce au « privilège de croisade » plaçant le royaume sous la protection du siège apostolique, paix de Dieu et paix du prince, protection des églises et protection du royaume tendent à se confondre, tandis que chemine l’idée, qui guida l’action de Louis VII, selon laquelle toute atteinte au droit des églises et des pauvres constitue une injuria coronae regni, une amputation de la couronne et de la dignité royales. En outre menace que fait planer le Plantagenêt sur le royaume accroît la dimension unificatrice et pacificatrice du monarque capétien.

  • Un texte capital en la matière : l’ordonnance de 1155. Le 10 juin 1155, une assemblée comprenant les évêques des provinces ecclésiastiques de Reims et de Sens, ainsi que la plupart des grands barons qui n’appartiennent pas au bloc angevin se réunit à Soissons sous l’égide du roi. Agissant à la demande du clergé, et du consentement des grands laïcs, Louis VII y proclame une paix de 10 ans pour l’ensemble du royaume. Texte ne ressemblant à aucun des documents dressés au temps des assemblées fondatrices de la paix de Dieu :

– le roi s’y exprime à la 1ère personne : il « constitue », il « ordonne », il proclame ex verbo regio : il s’agit donc d’un acte législatif, au sens plein du terme, l’un des tout 1ers textes royaux de portée générale depuis plus de 2,5 siècles.

– reflète certes les limites de l’autorité royale, sur la forme comme sur le fond :

– en la forme : a nécessité l’accord des prélats et des barons présents, qui ont concouru « de leur bon plaisir », ; c’est à dire sur un pied d’autonomie absolue, à son établissement : sorte de pacte conclu entre le roi et les grands.

– sur le fond : l’ordonnance fait explicitement de caque seigneur justicier le juge ordinaire des infractions à la paix, ce qui signifie que le roi entend bien ne pas contester les prérogatives et la fonction pacificatrice des grands.

– Il reste qu’à d’autres égards, ce texte marque un très profond changement :

– par l’engagement du roi à « faire justice selon nos possibilités, contre les briseurs de paix », il ouvre la voie à un contrôle de la curia regis agissant comme juridiction ;

– par la démarche des grands qui entourent le roi lors de l’assemblée de Soissons : princes ayant accepté l’idée d’une collaboration entre eux et le roi et le principe d’une responsabilité éminente du roi en matière de paix ; Église qui requiert l’intervention royale, signe qu’elle reconnaît au monarque non plus une simple « faculté » mais une vocation particulière à veiller à la tranquillité du royaume et à assurer la paix.

Compétence juridictionnelle du roi est ainsi fondée en matière de paix.

  • Applications concrètes :

– La paix des églises : A partir de 1155, le pouvoir royal est constamment sollicité d’agir à l’extérieur du domaine contre les perturbateurs de paix. La plupart des requêtes émanent d’églises situées en des zones où la paix princière ne peut s’appliquer en raison de l’absence d’un pouvoir politique fort, ou à cause de l’existence d’une forte compétition entre seigneuries laïques et ecclés. : Auxerrois, Auvergne, Bourgogne du Sud, Midi Languedocien.

Intervention royale revêt plusieurs formes, de la simple mission d’information débouchant sur une sentence arbitrale informelle à l’action armée, en passant par l’engagement de procédures juridictionnelles. Doit le plus souvent tenir compte des hiérarchies féodales locales (ainsi le roi ne peut intervenir contre un de ses arrière-vassaux qu’en cas de défaut de droit de son seigneur direct), mais n’en accroît pas moins considérablement son champ d’action en s’implantant directement ds des régions où la monarchie ne possédait plus, depuis longtemps, aucun domaine propre : formation de véritables îlots à partir desquels se diffusèrent vers les contrées environnantes les premières manifestations d’un ordre public royal. En outre : renforcement de l’idée selon laquelle le roi est le protecteur naturel de toutes les églises du royaume : droit de garde général se substituant bientôt au droit de garde spécial des principaux barons.

– La paix des bourgeois : effort de la royauté pour étendre son contrôle sur les associations bourgeoises de paix (à l’origine des communes) et utiliser cette fonction comme un moyen d’élargissement de son champ d’action. Elle l’a fait dès le temps de Louis VI, en accordant systématiquement sa garantie aux 1ères communes constituées au sein des cités épiscopales du nord (Noyon, Amiens, Laon) : traitées comme d’authentiques associations de paix destinées comme telles à prolonger la fonction pacificatrice de la monarchie ds des zones où elle n’exerce pas de domination directe. Inversement, le Capétien n’éprouve pas la nécessité d’établir des communes ds les cités où, seigneur dominant, il est en mesure d’y maintenir lui-même la paix.

Ainsi se diffuse l’image d’une royauté arbitre des tensions du corps social, soucieuse de susciter, de garantir ou de conserver la paix des cités. Champ d’action illimité ouvert à la paix et à la justice du roi. Avec un remarquable effet de retour, puisque, au seuil du XIIIè s., les milices de paix des cités du Nord furent présentes autour du roi sur le champ de bataille de Bouvines pour concourir à la pax et defensio regni.

  • L’effacement progressif de la médiation féodale:

A partir des années 1260, théoriciens et légistes contribuèrent à poser le principe de la souveraineté royale. Même s’il n’existait pas encore de mot spécifique pour la désigner, la double règle était désormais acquise d’une supériorité du roi à l’égard de tous et de l’égale soumission de tous à cette supériorité. Elle est reconnue au roi parce qu’il est supremus, superanus (terme populaire forgé à partir du très classique super qui a donné aussi superior), c’est à dire le plus haut placé ds la hiérarchie. A partir de ces superlatifs sont apparus les adjectifs suzerain et souverain qui, jusqu’au milieu du XIIIè s. ont un sens à peu près identique. Puis, progressivement, le terme souverain est utilisé ds un sens de plus en plus spécifique ds l’expression « souverain fieffeux » pour désigner le suzerain supérieur, placé au sommet de la hiérarchie des fiefs et des hommes. Cf. Beaumanoir et ses Coutumes de Beauvaisis (1283) : dit que le roi est « souverain par dessus tous ».

Évolution achevée : reconnaissance de la position suréminente et spécifique du roi : ne relève de personne alors que tous les sujets du royaume relèvent de lui, qu’ils soient engagés ou non ds un rapport féodo-vassalique. Détient à la fois une suzeraineté à l’égard des seuls vassaux, et une souveraineté à l’égard de tous les autres habitants du royaume. Depuis longtemps placé au sommet de la pyramide féodo-vassalique, il la transcende maintenant et ne dépend plus d’elle, au moins juridiquement, pour assurer son pouvoir. Se voit même reconnaître par certains auteurs le titre de princeps, dont se paraient autrefois les empereurs romains et qui vaut au roi de France capacité de revendiquer des prérogatives identiques à celles qu’ils exerçaient. Ainsi, à la fin du XIIIè s. les jugements de tous les théoriciens du droit s’accordent pour voir ds le roi de France un « souverain seigneur » de son royaume. Seul à l’être, il y jouissait de la plénitude du pouvoir, d’une souveraineté aussi « pleine et ronde » que celle de l’empereur, qui pouvait désormais s’exercer par delà les barrières féodales et sur l’ensemble des sujets. Construction d’une souveraineté législative et idéologique autour de la notion de majestas qui tend à se développer à partir du milieu du XIIè s. : autos-sacralisation du pouvoir tendant à renforcer sans cesse l’étendue du domaine d’intervention monarchique.

Réunification juridique du royaume passe aussi par le renforcement de l’assise matérielle de la monarchie.

§II- L’essor urbain

Les villes = une des caractéristiques majeures d’un Empire romain qui identifia la civilisation à l’urbanité ; ne disparaissent pas avec le ht Ma, mais tendent à se rétracter à l’intérieur de murailles de plus en plus massives, mais aussi souvent de plus en plus resserrées : crainte du dehors, de l’ext., de l’étranger. Villes parasites au milieu de campagnes populeuses et actives.

Avec le renouveau éco., et l’expansion démog., les villes se retrouvent placées, pour la première fois depuis des siècles, au cœur d’un processus de développement dynamique et continu. S’étendent et accueillent une population nouvelle, aventureuse et entreprenante : classes sociale nouvelle prenant très vite conscience de son irréductible spécificité et du radicalisme de ses prétentions.

Caractère fondamentalement libre de ce nouveau phénomène urbain (cf. l’adage : « l’air de la ville rend libre »), qui échappe à la formulation trifonctionnelle des 3 ordres, tout en prétendant éviter l’emprise seigneuriale : corps nouveau et étranger, annonciateur d’une grande modernité. Révolutionnaire et libertaire, portant en lui la négation des hiérarchies en place comme celle de l’idéologie dominante : c’est ainsi qu’on serait tenté de qualifier, au moins à ses origines, le mouvement d’émancipation des collectivités urbaines.

– Quelquefois : formes insurrectionnelles revêtues par la contestation de l’autorité seigneuriale (laïque ou religieuse) : Phénomène des « conjurationes » (= communes = associations de défense et d’entraide conclue sous la forme d’un serment mutuel que se prêtaient les habitants d’une ville) revêtant parfois le caractère violent d’un soulèvement armé contre l’autorité : Cambrai (1077), Laon (1112), Sens (1147), Vézelay (1153), etc.

– Cepdt, non seulement ce mouvement est loin d’avoir été partout si meurtrier, mais en outre il s’en faut de bcp qu’il ait débouché ds chaque cas sur une « émancipation » au sens complet du terme, sous la forme d’une liquidation pure et simple du système seigneurial. Attention , donc au schématisme, à l’égard d’un phénomène complexe dont on retracera d’abord les origines (A), avant d’examiner les diverses formes d’organisation qui en découlent (B), puis les caractères proprement juridique générés par cette évolution (C).

A- Des origines contrastées

En simplifiant quelque peu, on peu dire qu’elles tiennent soit à l’apparition d’une conscience collective au sein de la bourgeoisie marchande (a), soit à une initiative proprement seigneuriale (b).

1)- L’apparition d’une conscience collective au sein de la bourgeoisie marchande
  1. fréquente ds les cités du Nord et de l’Est du royaume, plus ouvertes que les autres aux circuits du commerce international, elle est également souvent liée à des pratiques associatives plus ou moins anciennes : associations religieuses (confréries, charités) et associations de défense des intérêts professionnels (ghildes et hanses).

Un cas particulier = les associations jurées de paix (cités épiscopales du Nord) créées à l’initiative des évêques à la faveur de la trêve de Dieu et regroupant en pcipe ttes les classes de la société. Filiation entre commune et paix diocésaine perceptible ds les 1ers soulèvements communaux soutenus par l’autorité épiscopale et dirigés contre l’aristocratie laïque : ex. : conjuration du Mans (1069) ou commune d’Amiens (1113).

Toutefois, assez vite, la « paix » ouverte à tous et contrôlée par le clergé tend à devenir une « paix » catégorielle et u instrument d’émancipation de la classe bourgeoise. Début XIIè s.: le mouvt échappe définitivement aux év. pour devenir autonome et encourir, de ce fait, la condamnation unanime du haut clergé, vers qui sont svt dirigées les révoltes du Nord (cf. Guibert de Nogent : « Commune, mot nouveau et exécrable« ). Les communes persistent cepdt à se considérer comme des associations pour la paix et les chartes reconnaissant l’institution insisteront régulièrement sur cette dimension.

Dernier facteur de prise de conscience : les fonctions souvent anciennes exercées par les bourgeois les plus influents au sein d’organes de concertation institués entre la communauté et le pouvoir seigneurial et parfois assortis d’un rôle juridictionnel sous le contrôle du seigneur ou de son agent : échevins des villes flamandes, prud’hommes ou bons hommes des cités ligériennes.

Svt, les dirigeants des ghildes ou des hanses jouent un rôle analogue, contribuant à l’entretien, à la défense et à l’administration de leur cité. Autant de pratiques qui peuvent conduire, par une pression exercée en période d’affaiblissement de l’autorité à la reconnaissance d’une commune par le seigneur, ou plus simplement à une participation de l’élite bourgeoise à la gestion urbaine, et cela sans qu’il y ait eu de véritables heurts.

N.B : schéma d’opposition entre bourgeois et seigneurs devient inopérant ds le Sud, ou forte présence nobiliaire existe en ville et prend part au renouveau économique. Ds ce cadre : étroite association entre l’élite bourgeoise et le monde aristocratique.

Quoi qu’il en soit, bien souvent, ds le Nord comme ds le Sud, c’est au seigneur lui-même que revient l’initiative d’une redéfinition de ses relations avec les communautés qu’il gouverne.

2)- Les effets d’une initiative seigneuriale

Plusieurs motifs possibles : concurrence éco. entre seigneur ; rivalités pour la maîtrise d’une localité où coexistent 2 ou plusieurs dominations ; volonté d’attirer des populations ds une cité seigneuriale ancienne ou nouvelle (Caen, Lille), ou crainte d’une émigration vers des lieux privilégiés. Plusieurs types d’initiatives seigneuriales :

  • 1er type : délivrance de chartes déterminant les libertés et les obligations de leurs sujets par des seigneurs laïcs ou ecclésiastiques.

Ce qui caractérise ces statuts, c’est que, négociés ds un climat de relative paix sociale, ils maintiennent l’autorité politique du seigneur et organisent prfois une représentation de la collectivité auprès de lui, voire une association de ses représentants à la gestion locale = pol. de concessions mesurées caractéristique des villes dites de « franchises » ou de « prévôtés ». T. fréquente pour bon nombre de localité du B.P, de l’Est du royaume et des zones soumises aux Plantagenêts (Normandie, Maine, Anjou, Aquitaine).

Un des exemples les plus connus = la charte concédée par Louis VI aux habitants de Lorris en Gâtinais. Confirmée par Louis VII (1155) et Philippe Auguste (1187), elle accorde e larges libertés personnelles, fiscales ou éco., tt en maintenant la localité sous la domination du prévôt royal.

  • Dernier type d’initiative seigneuriale : vise non à accorder un corps de franchises mais à abolir, moyennant rachat par les communautés d’habitants, des incapacités telles que la mainmorte et le formariage ou certaines charges et exactions comme la taille et les corvées. Mouvt né ds la Seconde 1/2 du XIIè et allant en s’amplifiant au cours du XIIIè s., libérant d’une condition proche de la servitude la plus grande partie des communautés paysannes du royaume.

Au total, donc, un phénomène multiforme qui tantôt met à mal l’institution seigneuriale t qui tantôt lui permet au contraire de s’adapter aux nouvelles nécessités sociales et éco. Empirisme de la royauté, qui maîtrise chez elle le phénomène communal (Paris ne sera jamais une ville de commune) et l’encourage, par intérêt pol., chez ses grands feudataires. Diversité qui se retrouve ds les modèles d’organisation institutionnelle.

B)-Les formes institutionnelles et l’agencement de l’autorité

Pr évoquer les institutions municipales, il faut se placer ds le cadre des chartes octroyées par les seigneurs, qu’elles l’aient été de leur propre mouvement, ou à la suite de négociations plus ou moins tendues avec les habitants : définit le cadre institutionnel soit de manière t. libérale (1), soit en laissant au pouvoir seigneurial une large part d’autorité et de contrôle (2).

1)- Les villes de commune (au Nord) et de consulat (ds le Midi)
  • Serment d’entraide et de paix prêté en pcipe par tt bourgeois relevant d’une ville de commune :

– a une imptce majeure ds les tt premier temps du mouvement ;

– ds le cadre statutaire, demeure un moyen de cohésion et d’identification du groupe, d’affirmation de sa personnalité juridique (universitas).

Les conditions posées pour sa prestation révèlent bien les caractéristiques sociologiques de l’association urbaine :

– ici largement ouverte, au point d’inclure, à l’exception des chevaliers et du clergé (cités du Nord) tous les hab. ayant depuis 1 an et 1 jour leur résidence sur le territoire urbain ;

– là étroitement limitée au monde des notables : représentants de certains métier jugés honorables, chefs des familles bourgeoises (Nord), ou bourgeoises et nobles (Midi) les + en vue.

  • Toutefois, nombre de chartes de communes n’y font pas référence et la liberté politique d’une communauté d’habitants, au Nord comme au Midi, obéit à d’autres critères :

La nature, le mode de désignation et de fonctionnement des organes délibératifs ou décisionnels mis en place. A la base : l’assemblée plénière des citoyens, variable ds sa composition (cf. supra) et ds son rôle : consultatif, électif, voire de proposition.

Au niveau intermédiaire : conseils délibératifs ou « communs conseils » (Toulouse) svt désignés par cooptation, ou par tirage au sort ; plus rarement par élection par la base. D’une durée limitée (en général 1 an), délibèrent sur les questions que leur soumettent les magistrats et parfois jouent un rôle ds la désignation de ces derniers.

Au sommet : exécutif collégial

– Ds le Nord : collège de 12 membres (le + svt) appelés échevins (Flandre) ou jurés (Normandie) dirigé par un maire ou bourgmestre qui préside les séances et fait figure de 1er magistrat de la ville ;

– Ds le Midi : parfaite collégialité des consuls ou capitouls dt le nombre varie de 2 à 24 mais qui sont ts sur un pied de stricte égalité.

Le caractère oligarchique ou au contraire démoc. d’un pouvoir urbain dépend donc de la composition et du rôle de l’assemblée plénière des citoyens, ainsi que des modes de désignation et de contrôle des magistrats. Rôle exercé par le prince également à prendre en considération : intervient-il ou non ds la nomination du maire, par exemple ? Quelle est la marge laissée à l’autonomie institutionnelles ?

Les attributions reconnues par la charte aux magistrats municipaux. Il peut s’agir, ds certains cas « limites » d’un simple transfert d’attribution du seigneur à la cité. Mais la plupart du temps : situation nuancée.

– Ds le domaine judiciaire, l’une des grandes conquêtes du mouvement communal = la reconnaissance du droit de tt bourgeois à être justiciable devant ses pairs. Communes et consulats disposent donc d’un tribunal ad hoc. Des variations existent cepdt : ds certaines villes de consulat et communes du Nord et de Flandre, consuls, échevins et jurés disposent d’une pleine juridiction civile et pénale qui s’étend même aux étrangers se trouvant sur le territoire urbain : juridiction ratione loci. ds d’autres cités, d’ailleurs t. nombreuses, on assiste au contraire à un partage de compétences entre le seigneur (crimes de sang ; minorités, affaires concernant des forains) et la justice échevinale (conflit civils ou commerciaux ; petit délits + vols).

– En matière d’administration : pouvoir de ban permettant de réglementer la voirie, les métiers, les taxes commerciales et industrielles, l’impôt (fixation du montant + perception) ; police économique : surveillance des marchés, des changeurs, etc. , gestion du domaine public.

– Au regard de la défense, les bourgeois assument eux-mêmes la sécurité de leur ville : formation de milices permanentes, réglementation des tours de garde, entretien des murailles et des portes. C’est la communauté en son entier et non plus chaque individu qui doit au seigneur le service d’ost et de chevauchée dont les modalités sont en général précisées par la charte. Au XIIIè s. certaines villes en obtiennent même l’exemption, ou tout au moins sa limitation, moyennant finances. Villes perçues comme des vassales collectives intégrées ds la hiérarchie féodale.

2)- Les villes de « simples franchises » ou « de prévôté »

Les habitants n’y ont obtenu que de simples franchises ou privilèges, non la reconnaissance d’une structure communale ou consulaire. Le seigneur y conserve ban et justice t son représentant, le prévôt, demeure en place.

Toutefois, octroi de privilèges suppose la représentation des intérêts collectifs, qui n’est pas toujours mentionnée ds la charte, mais qui n’en est pas moins réelle : concertation pragmatique, non statutaire. Parfois, évolution favorable à certains groupements, comme à Paris : puissance croissante de la corporation des marchands de l’eau.

Etienne_Marcel

Au XIIIè s. certaines villes reçoivent même des chartes les dotant d’un corps municipal siégeant ordinairement sous la présidence du prévôt : absence d’autonomie de décision, mais pas nécessairement absence de pouvoir.

B- Les libertés bourgeoises et l’évolution coutumière

Liberté pol. est donc t. diversement répartie. Liberté juridique connaît également des variations, mais celles-ci sont bcp moins imptantes : presque toujours : existence d’un tronc commun de privilèges qui font des villes et de nombreux bourgs de campagne des espaces de liberté.

Privilèges de diverses natures :

– certains tendent à réduire les prélèvements seigneuriaux les + lourds : disparition – parfois contre rachat – de la taille, des corvées et autres exactions ou remplacement par une taxe annuelle dont le montant est défini par la charte ;

– d’autres s’attachent à l’amélioration de la condition personnelle des hab. et au statut de leurs biens : abolition du servage et limitation du droit de poursuite du maître dont le serf s’est réfugié en ville; liberté d’aller et venir ; abolition du formariage ; liberté des héritages et de tout acte de disposition entre vifs.

– d’autres enfin s’attachent à protéger les sujets contre les abus des agent seigneuriaux et à limiter l’arbitraire judiciaire du seigneur ou de son prévôt : à l’exception des pcipaux crimes, pour lesquels le coupable et ses biens sont à la merci du seigneur, les délits font l’objet d’une tarification précise, souvent en baisse par rapport aux tarifs antérieurs : préfigure de manière lointaine le pcipe de légalité des peines. Certaines dispositions imposent en outre le recours au témoignage pour trancher certains litiges, limitent l’emprisonnement préventif et offrent diverses garanties à l’accusé.

Au total, donc, une profonde libéralisation du système seigneurial qui touche aussi, à un moindre degré et plus tardivement, le monde rural : tend à faire échec aux cloisonnements antérieurs, nés du pluralisme pol. et favorise la circulation des richesses et des hommes. Impose surtout une définition plus nette des systèmes normatifs au sein desquels les juridictions municipales paritaires jouèrent un rôle décisif : justice plus rationnelle, plus respectueuse des droits individuels ; dév. d’un juridiction gracieuse permettant aux particuliers ds faire aisément authentifier leurs actes : assure ainsi une meilleure sécurité des transactions. Ignoré ou presque par la coutume, un droit des contrats s’élabore en pleine liberté, intégrant des pratiques complexes et puisant des concepts ds l’ancien droit romain.

§III- Le développement de l’assise matérielle de la monarchie

Au monde politiquement cloisonné légué par la féodalité ds lequel rivalisaient des autorités concurrentes, le pouvoir royal s’applique, depuis la 2nde moitié du XIIè s. à substituer un ensemble territorial plus unitaire, point d’ancrage indispensable à l’exercice d’une souveraineté que renforce chaque monarque successif. Reconquérir le territoire, c’était en même temps modeler un nouvel espace politique (A). L’incorporer progressivement au domaine valait aménagement d’un espace juridique sur lequel pouvaient librement s’exercer toutes les prérogatives souveraines (B). L’évolution passait enfin par l’organisation d’un système administratif efficace et cohérent, capable d’apporter à une monarchie en expansion les ressources dont elle avait besoin (C).

A- Les frontières du royaume

Commencée depuis les règnes de Louis VI et de Louis VII, la reconquête du territoire se poursuit avec Philippe Auguste et dure jusqu’aux dernières décennies de l’AR. Tout comté, tout duché, ou toute seigneurie de moindre importance que contrôle à nouveau le roi en fait le successeur du précédent titulaire. Automatiquement subrogé ds ses droits et pouvoirs, le souverain augmente d’autant ses prérogatives en élargissant en même temps l’assise de son pouvoir mais aussi le contrôle qu’il exerçait sur les hommes, ds la mesure où les hommes de l’ancien feudataire passaient automatiquement sous sa dépendance immédiate : recul de la médiatisation féodale + poussée monarchique effectuée avec des méthodes diverses et selon une continuité aléatoire : succession de périodes d’avancées et de reculs : guerre et diplomatie ; mais aussi et surtout large utilisation du droit féodal (puisque fief assimilé purement et simplement à un bien patrimonial) : mariages, héritages (avec notamment un large recours aux règles féodales relatives à la déshérence, ou à l’institution testamentaire), acquisitions moyennant finances.

carte-evolution-france-1180-1223 Carte du domaine royal

2 grandes phases peuvent être distinguées ds ce mouvement général d’expansion territoriale :

  • De la mort de Philippe Auguste (1223) à l’événement de Philippe de Valois (1328)

Seigneur le plus puissant du royaume et peut-être d’Europe depuis Bouvines, Philippe Auguste laissait à sa mort un domaine dont l’étendue avait quadruplé tout au long de son règne. En outre, plusieurs des grands fiefs qui l’entouraient étaient gouvernés ds des conditions qui les rapprochaient de la couronne.

Efforts de ses successeurs vont surtout porter vers le Midi, et ds une moindre mesure, vers le Nord et vers l’Est :

  • L’acquisition du Languedoc: vaste ensemble géopolitique situé entre Rhône et Garonne constituant pour partie le comté de Toulouse. Marque un temps fort ds la reconstruction de l’unité territoriale. Acquisition effectuée en 2 temps :

– Croisade contre les Albigeois lancée en 1208 par le pape Innocent III : opérations militaires confiées à Simon de Montfort ; à sa mort, la royauté accepte d’intervenir ouvertement face au comte Raymond VII qui cherche à reconquérir le terrain perdu face aux barons d’Île de France. Comte de Toulouse finalement contraint de faire AH en 1229 à ND de Paris et de signer le 12 avril de la même année le traité de Paris avec la régente Blanche de Castille : Raymond abandonnait au roi de France les territoires du Languedoc oriental (sénéchaussées de Beaucaire-Nîmes et Carcassonne-Béziers) ; conserve sa vie durant son comté de Toulouse, ainsi que le Rouergue, l’Albigeois, le Quercy et l’Agenais, mais doit marier sa fille unique avec l’un des frères du roi. Ces territoires devaient revenir à la couronne si aucun héritier ne naissait de cette union (c’est ce qui se produisit en 1271, à la mort d’Alphonse de Poitiers).

  • L’Aquitaine: Traité de Paris de 1258 entre Henri III et Louis IX : Le roi d’Angleterre renonçait à ses prétentions sur la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine. En contrepartie il tenait du roi de France en hommage lige la totalité de ses possessions du SO mais il s’engageait à ne pas porter les armes contre son seigneur. Ds cette dernière hypothèse, ces vassaux devraient se mobiliser contre lui en faveur du roi de France.

Également en 1258 : signature d’un traité avec Jaime 1er d’Aragon : renonce à ses prétentions sur les parties les plus méridionales du Languedoc, tandis que le roi de France abandonne toute suzeraineté sur l’ancienne marche d’Espagne (Catalogne et Roussillon).

Traités fixant pour longtemps la position de la royauté et les droits de la Couronne ds le Midi Languedocien et aquitain.

  • Les extensions vers le Nord et vers l’Est: La grande affaire = l’annexion du comté de Champagne et de Brie. D’abord soumis au régime de l’union personnelle, n’est finalement intégré au domaine qu’en 1361.

Au total, lorsque s’éteint, en 1328, la branche aînée de la dynastie capétienne, la royauté contrôle près des 2/3 d’un royaume qui couvre environ 414 500 km². 4 grands fiefs échappent encore plus ou moins directement à la main du roi : la Flandre, la Bretagne, la Gascogne anglaise (Guyenne) et la Bourgogne. Ils constituent autant de points de résistance à l’œuvre de réassociation territoriale que devait parfaire la Guerre de Cent Ans, au terme de bien des épreuves.

  • De l’avènement de Philippe de Valois (1328) à la mort de Charles VIII (1498)

La guerre de Cent Ans, qui domine toute l’histoire de cette période, trouble le jeu de la réassociation territoriale, dans la mesure où les opérations militaires tantôt amputent l’espace reconstruit, tantôt au contraire favorisent son extension : processus plus subi que contrôlé par la monarchie.

  • Les avatars de la Guerre de Cent Ans: Répétés et lourds, ils remettent régulièrement en cause un équilibre encore fragile :

– Traité de Brétigny (8 mai 1360) : Captif à Londres, Jean le Bon doit consentir à la cession d’une Aquitaine qui retrouvait les limites de l’ancien duché d’Aliénor, allant de la Loire au massif central et aux Pyrénées. Edouard III conserve en outre Calais et ses marches, le Ponthieu et le comté de Guines : au total presque le 1/3 du royaume.

– Traité de Troyes : 20-21 mai 1421 prévoyait le mariage entre Henry V et la fille de Charles VI + la désignation du roi d’Angleterre comme héritier du roi de France (cf. infra).

– Traité d’Arras (21 septembre 1435) entre le duc de Bourgogne Philippe le Bon et Charles VII : en contrepartie de rudes concessions territoriales, le roi de France obtient du duc la reconnaissance de sa souveraineté sur l’ensemble du royaume, y compris sur ses terres bourguignonnes et casse l’alliance anglo-bourguignonne : peut désormais mener contre les Anglais une guerre devenue nettement nationale.

Celle-ci est marquée par les progrés rapides de la reconquête territoriale, en Île de France, en Normandie, puis en Guyenne : reddition de Bordeaux (19 octobre 1453) marque le terme de la Guerre de Cent Ans, même si aucun traité ne vient sanctionner le nouvel équilibre territorial qui en découle.

  • Les avancées vers le Midi et le Sud-Est: elles sont considérables, et surtout très révélatrices de la volonté des monarques français d’assurer leurs positions ds des régions d’où ils avaient été jusque là singulièrement absents : acquisition de la seigneurie de Montpellier en 1361 ; conquête de la Cerdagne et du Roussillon, réunis au domaine en 1463 : volonté royale de faire de l’ensemble de la côte méditerranéenne méridionale du royaume à la fois la frontière méridionale du royaume et une vaste zone ouverte au commerce maritime.

Acquisition du Dauphiné, principauté qui relevait traditionnellement de l’Empire = 1er dépassement de la frontière issue du traité de Verdun. Opération financière (Hmbert II de Viennois criblé de dettes et sans descendance) réalisée en 1349 au bénéfice du fils aîné du roi Jean II, le futur Charles V. Désormais, tous les héritiers présomptifs de la couronne portèrent le titre de Dauphin. Toutefois l’incorporation définitive à la couronne n’eut lieu qu’en 1461, soit après un siècle de transition (car le Dauphiné = terre d’Empire)

Réunion de la Provence eut lieu pour sa part en 1481, par héritage.

  • Le retour de la Bourgogne au domaine: Cédée comme apanage à Philippe le hardi en 1361. Devient rapidement une puissante principauté possessionée également en Flandre, en Artois, et en Franche-Comté : véritable État présentant toutefois une grave faiblesse : géographiquement séparé en 2 régions bien distinctes, il était difficile à préserver à partir du moment où la royauté, qui se relevait lentement des difficultés de la guerre de Cent Ans n’était plus disposée à laisser se développer une puissance bourguignonne toujours plus paralysante ds la politique d’expansion que souhaitaient conduire, depuis longtemps, les souverains français en direction de l’Est. C’est au moment où Charles le Téméraire tente de réaliser, par la Lorraine, la jonction des 2 pôles géographiques de son État que Louis XI décide de frapper un grand coup. Mort du Téméraire en 1477, puis de sa fille, Marie de Bourgogne, en 1482. Traité d’Anvers du 23 décembre 1482 règle le sort des autres possessions bourguignonnes : démembrement de l’héritage au profit du roi de France qui obtient la Picardie, le Boulonnais, l’Artois et la Franche-Comté. Le reste (la Flandre) revenait à Philippe le Beau, fils de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne (et père du futur Charles Quint).

Le duché de Bourgogne-1477

  • Le rattachement de la Bretagne à la couronne: Territoire jusque là complètement étranger à l’emprise du pouvoir royal. 1488 : mort de François II, dernier duc de Bretagne. Ne laisse qu’une fille, Anne, alors âgée de 13 ans, dont le mariage devint immédiatement un enjeu diplomatique de poids. En 1491 épouse Charles VIII et prend l’engagement solennel que si ce dernier mourait sans enfant, elle se marierait avec l’héritier de la couronne devenu roi. Ce qu’elle fit, dès 1498, avec Louis XII. De cette union naquit une fille : Claude de France qui fut unie au successeur de Louis XII, le futur François 1er. Enfin naissance d’un fils : Henri, futur Henri II : rattachement définitif de la Bretagne à la France (ouf !).

B- Le statut du domaine

Même à la fin du XVè siècle, où le roi a réuni à la couronne la presque totalité des fiefs et des principautés, le royaume ne saurait être confondu avec le domaine qui constitue à la fois un ensemble de territoires, de revenus, de prérogatives et de droits.

 

1-Le domaine, assise territoriale d’un pouvoir direct

Ce qui caractérise le domaine, par rapport au royaume, c’est qu’il est constitué de biens tenus directement par le roi et qu’il n’y existe pas d’autre seigneur haut-justicier que lui : s’oppose donc radicalement aux fiefs, dont le rattachement au roi est indirect. Plusieurs critères d’appartenance peuvent dès lors être mis en évidence :

– mode d’exercice de la propriété : la domanialité recouvre alors l’ensemble des biens et des territoires sur lesquels le roi dispose de l’essentiel des droits utiles : absence d’interposition aux prérogatives royales ;

– domanialité par ancienneté : concerne l’ensemble des biens qui composaient le patrimoine des 1ers Capétiens ;

– domanialité par nature : désigne le plus souvent des biens qui ont à un moment ou à un autre fait partie intégrante du domaine, puis en ont été distraits. L’avantage d’un tel critère était d’assurer, de manière permanente et une fois pour toutes, le caractère domanial d’un bien et de pouvoir ainsi toujours le réincorporer au domaine s’il en avait été séparé.

2- Le domaine, ensemble de prérogatives, de droits et de revenus :

Productif de revenus, le domaine apparaît comme le véritable fisc du roi. Principale assise d’exercice des prérogatives royales, il figure un domaine éminent qui annonce le domaine public.

Est domanial tout ce dont le roi peut tirer profit, à l’exception des ressources extraordinaires : ensemble de droits extrêmement variés :

– recettes fixes : droits et revenus versés au roi de manière perpétuelle : revenus en nature ou rentes assises sur des terres du domaine ; biens de peu de valeur souvent donnés à ferme ;

– rentes muables : produits des affermages de certaines parties du domaine conclu pour une courte durée ; produits des sceaux et écritures, droits versés pour l’authentification des contrats, amendes, droits de mutations, droits correspondant à l’exercice des prérogatives royales. Enquêtes régulières ont lieu pour connaître la consistance exacte des biens domaniaux.

Monarchie ayant su faire triompher l’idée qu’elle était le principal dépositaire du bien commun, se trouve investie de la mission de protéger et sauvegarder tous les biens qui, par leur nature, étaient liés à l’utilité commune : réglemente donc l’affectation de ces biens considérés comme publics par leur usage :

– fleuves et rivières navigables ;

– autres voies de communication : chemins publics et chemins royaux : empiètent de plus en plus sur les prérogatives des seigneur, notamment en matière de justice ;

– péages situés sur ces voies ;

– rivages de la mer ;

– mines ;

Sans que soit encore affirmé un droit de propriété du roi sur ces zones, effort constant pour faire reconnaître les prérogatives éminentes de la monarchie sur les composantes d’un domaine dont le caractère public ne cesse de s’accuser. Évolution facilitée par l’émergence de la notion de couronne : permet de distinguer le patrimoine privé du prince et le domaine de la couronne ou de l’Etat, de nature publique et soumis pour cette raison à un régime protecteur.

 

3- L’élaboration de règles protectrices du domaine de la couronne

Genèse du pcipe d’inaliénabilité à rechercher ds le droit canonique, à propos de la protection des biens d’Église, puis des biens de la couronne royale (aliénation d’un important patrimoine de la couronne par le roi de Hongrie suscitant la décrétale Intellecto prise par Honorius III : en procédant de la sorte le roi abuse des prérogatives de sa fonction et ne respecte point la promesse de son sacre) : forme le principal point d’ancrage de toutes les réflexions sur l’inaliénabilité.

Réflexions des civilistes prennent plutôt pour point de départ la donation de Constantin considérée comme contraire à la règle d’inaliénabilité. L’idée est que le souverain n’est pas maître du domaine, mais simple administrateur avec mission de gouvernement et de gestion. L’ensemble des biens et droits qui font partie intégrante de ce domaine sont donc indisponibles. Qualifié d’Augustus, le roi ne peut qu’augmenter le domaine, en aucun cas le diminuer. Ne tient pas le royaume par droit héréditaire mais du fait de sa fonction ; tous les biens soumis à son administration, tout comme les prérogatives et droits dont il dispose sont donc indisponibles.

Imprescriptibilité liée à la notion de souveraineté : on ne saurait prescrire contre la souveraineté du prince. : sorte d’indisponibilité politique fondée à la fois sur la nature de la fonction exercée par le prince et sur les obligations qu’il contracte au moment du sacre.

Ces principes entrent peu à peu ds la pratique législative et jurisprudentielle de la monarchie française, grâce au concours actif des États, des parlements et de la chambre des comptes, qui s’opposent de plus en plus aux actes d’aliénation. A la fin du MA, le principe d’inaliénabilité du domaine, exprimé ds la doctrine, transparaît ds la législation sans y être toutefois officiellement consacré. Tous les rois des XIVè-XVè s. y ont vu une règle fondamentale, qui devait s’imposer aussi vigoureusement qu’une norme constitutionnelle. Mais la pratique séculaire était trop forte pour que ne s’interposent pas des exceptions qui allaient en retarder l’expression. Combinées à d’autres éléments, elles risquaient de menacer une unité à grand peine reconstruite.

 

4-La cohésion menacée
  • Le droit des apanages et des engagements
  • La constitution d’apanages : un frein à la réunification: Famille royale organisée à l’image des lignages aristocratiques et empruntant de nombreux usages à leur droit successoral. Cadets reçoivent donc des donations foncières distraites des biens de la Couronne afin de pouvoir « tenir leur état » . A l’origine simples donations ad panem, constituent à partir du XIVè s de vastes fiefs qui contredisent en pratique le pcipe d’inaliénabilité du domaine, qui sont à l’origine d’une seconde féodalité et qui surtout font échapper à la couronne des provinces entières dont le rôle politique et stratégique était de 1er plan : cf. les apanages consentis par Jean le Bon à ses 3 plus jeunes fils :

– Louis reçoit l’Anjou, le Maine et la Touraine ;

– Jean le Poitou et le Mâconnais, puis le Berry et l’Auvergne (en compensation du Poitou, cédé à l’Anglais après le traité de Brétigny) ;

– surtout : Philippe (le chouchou) reçoit la Bourgogne qui lui est confiée de façon plus durable, puisque la clause de retour est bien prévue, mais seulement à défaut d’héritier (et non d’héritier mâle) : Bourgogne accède ainsi quasiment au rang de principauté indépendante.

N.B. cepdt : apanages peuvent aussi être considérés comme les instruments d’une administration déconcentrée de l’Etat destinés à favoriser à terme une intégration définitive à la couronne de France : structures administratives calquées sur les rouages de l’administration royale.

Avec Jean le Bon se clôt toutefois l’ère des grands apanages. Deviennent ensuite plus rares, plus petits et de localisation moins stratégique. Néanmoins, malgré cette prudence tardive, ils ont pdt plus de 3 siècles ralenti la politique de restauration de l’assise territoriale de l’Etat.

  • Le recours à la pratique des engagements : une immobilisation temporaire des biens domaniaux: Strictement défini, l’engagement est une technique juridique qui permet au roi de remettre en gage un bien domanial, terre, droit ou fonction, entre les mains d’un des ses créanciers (l’engagiste). A servi pour payer les dots des filles de France, pour garantir le règlement d’une assignation à venir, ou, plus souvent, pour financer des opérations militaires. Engagements sans doute nombreux et importants ds les 2 derniers siècles du Ma (cf. les nombreuses ordonnances qui les interdisent).
  • Le respect des privilèges locaux: le roi, garant du bien commun et en charge de la cohésion du royaume, préfère se poser en défenseur des particularismes locaux, qui s’expriment parfois en bouffées de revendications plus ou moins violentes (comme le mouvement ligueur des années 1314-1315). L’habitude fut même prise très tôt de garantir aux territoires nouvellement incorporés au domaine le maintien de leurs coutumes, franchises et privilèges. De même, respect des structures administratives, judiciaires et fiscales des provinces annexées, entraînant au demeurant une certaine confusion ds l’organisation générale du système (cf. la situation chaotique de la fin de l’AR) : royauté conservatrice, procédant par sédimentations successives, par agrégats progressifs, plus que par suppressions brutales ou réaménagements arbitraires. Pari sur la durée fait par la monarchie : son meilleur allié = le temps. Système équilibré demeurant toujours partiellement contractuel, même aux beaux jours de la monarchie absolue.

C- Les moyens de l’administration

Plus les limites du domaine tendent à se confondre avec celles du royaume, plus les structures héritées de la période féodale se révèlent inadaptées. Voilà pourquoi, dès le régne de Philippe Auguste, le pouvoir central s’efforce d’abord de connaître et de maîtriser au mieux l’espace qu’il prétend contrôler (a), avant de parvenir à la quadriller de ses structures et de ses hommes (b) pour en assurer efficacement la défense (c).

1)- La maîtrise de l’espace
  • Connaître et délimiter l’espace

A partir du règne de Philippe Auguste prend lentement corps la notion d’unité et de territorialité du royaume, qualifié de regnum Franciae. D’où le souci d’une meilleure connaissance de l’espace, qui s’exprime au travers de 2 pratiques essentielles :

– les déplacements du monarques : volonté constante des souverains de s’informer en parcourant le royaume : le voyage royal, qui devient un instrument politique, apparaît tout autant comme un moyen , pour le souverain et son entourage de mieux connaître le territoire, même si son justificatif essentiel demeure encore longtemps la visite du roi à ses vassaux et la nécessité pour lui de consommer sur place une partie du produit de ses revenus ;

– l’enquête : collecte et fixation des informations par écrit, obéissant à des préoccupations avant tout fiscales et financières. Entreprise commencée avec Philippe Auguste, au moment de l’annexion de la Normandie ; se poursuit ensuite sous Saint Louis et sous Philippe VI (grande enquête de 1328 sur les paroisses et les feux des bailliages et sénéchaussées de France).

Néanmoins, pas de représentation figurée du territoire : pdt lgtps, administrateurs, agents du fisc et voyageurs se sont bornés à utiliser des suites de noms et des répertoires de renseignements pratiques pour leurs déplacements. La représentation médiévale de l’espace ne débouche que tardivement sur des cartes faisant apparaître des limites clairement tracées : pas avant le tout début du XVIè s.

De même, cristallisation progressive de la notion de frontière, sous l’influence conjuguée du souci de circonscrire l’exercice de la souveraineté monarchique, du développement d’une spécificité linguistique, et de la mise en place d’une fiscalité nationale : multiplication, aux limites du royaume et sur les principales voies de passage, des postes de contrôle fiscal qui contribuent lentement à fixer une véritable ligne. Politique, fiscale, linguistique, cette limite devient également militaire : aux places fortes disséminées partout sur le territoire à l’époque féodale, succèdent des ouvrages fortifiés pour arrêter les ennemis aux franges du royaume. Cette évolution s’incarne au moment de la guerre de Cent Ans. La nécessité de « faire frontière » conduit à construire, partout où la limite est menacée, des places fortifiées qualifiées dès la fin du XIVè s. de « frontières ».

  • Habiter et gouverner l’espace : les capitales: C’est plus autour du domaine royal et des institutions monarchiques que d’une capitale que s’est construit l’Etat, tant le pouvoir, ses symboles, ses institutions et son chef sont en prise avec des lieux divers jusqu’à la fin du MA. Depuis le début du XIIè s., Reims est la ville du sacre, Saint Denis celle des funérailles et Paris le pôle de l’administration royale, même si le roi n’y réside pas en permanence. Louis VII l’avait préféré à tout autre ville et Philippe Auguste, ds son souci de construire l’Etat, lui donna en moins de 20 ans les fonctions d’une vraie capitale en y fixant les institutions centrales (chancellerie, comptes, Trésor) qui gravitent autour de la Curia. Il contraint les officiers royaux à venir y rendre des comptes périodiques. Construction de la grosse tour du Louvre dont on dit que meuvent tous les fiefs du roi. Travaux poursuivis avec Saint Louis (construction de la sainte Chapelle) et surtout par Philippe le Bel qui inaugure en 1313 un nouveau palais. Agrandissements réalisés par Charles V au Louvre et à Vincennes.

A quelques exceptions près, cepdt, les souverains résident assez peu à Paris, d’où les éloignent souvent la nécessité de retrouver les châteaux du domaine, le voyage, la croisade, la guerre ou la révolte qui gronde périodiquement. A partir de la 2nde moitié du XVè : attrait exercé par la Loire l’emportant sur la force politique de Paris, appelé à faire pdt lgtps figure de capitale inachevée.

2)- Les structures de l’administration

Tout au long de l’époque féodale, l’administration locale royale a une coloration fortement domaniale et privée. Les administrateurs du domaine sont véritablement les hommes du roi. Jusqu’à Philippe Auguste, le souverain ne peut compter que sur une administration rudimentaire pour gérer son domaine, y transmettre ses ordres et y exercer ses pouvoirs : les prévôts y font alors figure de spécialistes du général mais ils parviennent de moins en moins bien à faire face aux multiples obligations qui leur incombent.

Face à ces insuffisances sources de nombreux abus, Philippe Auguste met en chantier une véritable politique de rénovation administrative, sans cepdt brusquer les choses : confie souvent le contrôle des structures existantes à de nombreux agents, sans supprimer les anciens : les baillis et sénéchaux, bientôt eux-mêmes surveillés par les enquêteurs réformateurs. Puis nouveaux besoins surgissant au cours du XIVè s. (guerre, nécessité de maintenir l’ordre et d’assurer la cohésion de la nation) : d’où la mise en place des lieutenants généraux et des gouverneurs.

  • Les baillis et les sénéchaux:

Leur présence se généralise sur l’ensemble du territoire ds les deux dernières décennies du XIIè s., surtout avec la grande ordonnance de 1190 que Philippe Auguste édicte juste avant de partir pour la croisade. Ne constituent pas une création royale : origine des baillis doit être recherchée ds les traditions de l’administration anglo-normande : officiers locaux y rendant la justice ds le cadre de circonscriptions qualifiées de bailliages. Philippe Auguste s’inspire donc de cette expérience quand il généralise l’institution des baillis : d’abord juges itinérants, voient peu à peu leurs compétences s’élargir et leur ressort se fixer (de manière définitive seult vers 1250)

Gd officier royal, le sénéchal n’existe plus sous le règne de Philippe Auguste, qui décide de ne pas le remplacer, en raison de son influence grandissante. Mais les grands princes territoriaux, tout comme les grands féodaux avaient eux aussi des sénéchaux qu’ils conservent ert qui constituent l’un des rouages essentiels de leur adm. Restent en place une fois annexées les provinces dont ils avaient la charge (ouest et sud du royaume sous adm. anglaise).

Exerçant ds le cadre de leur circonscription des pouvoirs identiques à ceux du roi et agissant pour son compte, baillis et sénéchaux prolongent en permanence le ministère royal. Désignés par le souverain, révocables par lui et comptables devant lui de leur action, ils constituent, dès le début du XIIIè s. le principal rouage d’une administration déconcentrée. Recrutement fondé sur des critères d’honnêteté, de compétence, mais aussi d’origine géo : doivent être étrangers à leur circonscription ; sont le plus souvent issus de la moyenne bourgeoisie ou de la petite noblesse, catégories sociales sur lesquelles la royauté cherche de plus en plus à s’appuyer pour faire pièce aux grands féodaux. Différence de carrière entre le Nord (soumis à une intense mobilité géo. : en moyenne une mutation tous les 3 ans) et le Midi, où les sénéchaux ne bougent guère une fois qu’ils ont été nommés à un poste, mais où ils ont aussi moins de chances d’intégrer les organes centraux du gouvernement.

Capétiens soucieux de se prémunir contre leurs agents locaux, afin d’éviter que ne se reproduise la malencontreuse expérience des comtes carolingiens : multiplient donc les garanties : prestation d’un serment lors de l’entrée en charge (rappelle le contenu de la charge à exercer), obligation de résidence ; interdiction de se marier ou de marier des domestiques ds la circonscription ; interdiction d’y acquérir des biens ; interdiction de recevoir des présents de la part des justiciables ; lors des mutations, obligation de demeurer sur place 40 jours avant de quitter la circonscription, afin de permettre à d’éventuels plaignants de se manifester ; reddition de comptes devant le plt. et la chambre des comptes à l’occasion de chaque session.

Jusqu’au début du XIVè s. baillis et sénéchaux s’imposent partout comme d’efficaces constructeurs locaux de l’Etat. Prolongement de la personne du roi sur l’ensemble du pays, ils y exercent en son nom tous les pouvoirs :

– tâches d’adm. très diversifiées : enregistrement et application de toutes les décisions royales adaptées aux nécessités locales (sorte de pouvoir réglementaire dérivé) ; pouvoirs de police : foires, marchés, commerce, prix, jeux, tavernes, maintien de l’ordre public, tutelle des villes et des communautés d’habitants ; désignation des prévôts ;

– justice : défense acharnée des droits du roi. Appel des cas prévôtaux + jugement en 1ère instance des causes nobles et des cas royaux. Font exécuter eux-mêmes leurs sentences.

– finances : conservation et exploitation financière du domaine. Centralisation des recettes collectées par les prévôts, perception des impôts, des profits et des amendes tirés des condamnations, des droits de sceau et de monnayage ou des droits de mutation ;

– défense : recrutement et mobilisation des troupes. Commandement du contingent féodal de l’ost royal ; levée du ban et de l’arrière-ban ; entretien des remparts, châteaux, places fortes.

Croulant sous les tâches, baillis et sénéchaux n’hésitent pas à déléguer une partie de leurs compétences à agents spécialisés comme des lieutenants (pour la justice) ou à des receveurs (pour les finances). C’est ds ces circonstances qu’après 1320-1330 leur rôle passe progressivement au 2nd plan , au bénéfice de leurs anciens subordonnés : vide de pouvoir, leur charge se remplit d’honneurs, et ne se réduit en pratique qu’à un rôle politique de concertation et de coordination : autorité véritable appartient désormais aux techniciens.

  • Les enquêteurs et les réformateurs:

Nombreux abus commis par les baillis et les sénéchaux ds l’exercice de leur charge, soit par intérêt personnel, soit par zèle excessif ds le service du roi. D’où la désignation d’agents de surveillance :

– enquêteurs : généralisés par Saint Louis, ds la lignée des vieux missi dominici, avec une mission ponctuelle de contrôle toujours très souple, et adaptable en fonction des circonstances. Conduites publiquement, les enquêtes font l’objet de rapports officiels remis au roi et examinés à la Curia. Les pouvoirs de ces agents ne cessent de se développer : ils dénoncent, corrigent, sanctionnent tous les abus, puis luttent systématiquement contre tout empiétement sur les droits du roi. D’où une évolution : de redresseurs de tort, ces agents deviennent de plus en plus les oppresseurs des administrés et de leurs administrateurs, qui se plaignent de leurs agissements. Progressivement, reprise en main de l’institution, qui en marque aussi le terme.

– réformateurs (d’abord appelés enquêteurs réformateurs) se substituent lentement aux enquêteurs à partir de l’extrême fin du XIIIè s. Devenus « réformateurs généraux », ils sont de véritables inspecteurs de l’administration locale, investis d’une mission sensiblement élargie par rapport à celle des enquêteurs : au pouvoir d’enquêter et d’instruire, s’ajoute désormais mandat de châtier les officiers coupables, de rétablir l’ordre, réformer tous les abus et même servir très directement les intérêts du prince.

Ds la 2nde ½ du XIVè s. mutation radicale de l’institution : les réformateurs deviennent de véritables envoyés extraordinaires du roi investis des pleins pouvoirs à la fois judiciaires, financiers et militaires, ce qui les autorise, en cas de nécessité, à se substituer aux administrateurs en place, comme l’attestent de nombreux exemples. Véritables lieutenants du roi, ils annoncent la mise ne plca progressive de nouveaux agents chargés d’assurer partout le triomphe de la « souveraine seigneurie » du monarque.

  • Les lieutenants généraux et les gouverneurs:

Ds la pratique, ils ne s’intègrent pas véritablement au système administratif. Ils sont désignés en fonction des besoins et envoyés ds les « pays » où, en raison des circonstances, leur présence s’impose. Véritables vice-rois, redoublement efficaces ds un contexte de guerre quasi permanente, ces agents restent de plus en plus longtemps en place. Issus au départ de la très haute aristocratie, voire de la famille royale elle-même (cas des princes apanagistes), ils sont, au cours du XVè s., de plus en plus choisis parmi des gentilshommes de moyen état, souvent membres du Conseil et très dévoués au souverain. Pouvoirs très larges, notamment en matière militaire, rémunération conséquente ;

CCL sur les administrateurs royaux en général : parfaitement intégrés ds une organisation de plus en plus structurée et rigide, les agents du roi, toujours mieux formés et plus conscients du sens de l’Etat, n’ont pas tenté de créer à leur profit une nouvelle féodalité. Ils ont, bien au contraire, combattu ce qui restait de l’ancienne et largement contribué à assurer la défense du territoire.

3)- La défense du territoire

Du règne de Philippe Auguste à celui de Louis XI (fin XVè) : profonde évolution ds l’organisation de l’armée et l’aménagement de la défense. En gros, 2 périodes sont décelables :

  • 1ère période : de la fin du XIIè s. au début du XIVè: longues phases de paix combinées avec le déclin du service vassalique : liquidation de la vieille armée féodale.

Tout au long du XIIè s. et plus encore au XIIIè les 2 1ères formes de service féodal (l’ost et la chevauchée) subissent une importante limitation ds l’espace et ds le temps : nombreuses défections malgré les lourdes amendes et les supplications. Quant à la 3ème forme de service, la garde des places fortes, elle se révèle tout aussi insuffisante : nombre et importance des lieux fortifiés ne cessant d’augmenter.

Solutions adoptées par la royauté :

– appel aux contingents urbains : mais là aussi, les bourgeois ont de plus en plus tendance à diminuer l’ampleur de leur aide ou à la remplacer par des versements financiers.

– effort pour ressusciter la vieille notion d’arrière-ban en élargissant l’obligation militaire à tous les sujets (règne de Philippe le Bel). Il en résulta une armée sans formation, sans discipline et sans efficacité.

Au total, les ressources militaires du Capétien apparaissent fort restreintes, d’autant que l’on observe à la même époque un déclin sensible de la place de l’infanterie sur les champs de batailles, au profit d’une cavalerie de plus en plus lourdement équipée et donc onéreuse à armer. La monarchie commence alors, au début du XIVè s. à se tourner vers de véritables entrepreneurs militaires, qui prennent le titre de capitaine et qui constituent des bandes, routes ou compagnies qu’ils vendent au plus offrant : ds l’immédiat, le roi en tire des avantages immédiats, tant il se trouve libéré des contraintes du recrutement et de l’entretien de sa propre armée. Mais les inconvénients ne tardèrent pas à se faire sentir, une fois venu le temps de la Guerre de Cent Ans, avec ses longues périodes de trêve.

  • 2ème période : début XIVè à fin XVè: Évolution vers la création d’une armée permanente ds un contexte de guerres continuelles.

Dès le règne de Jean le Bon (milieu du XIVè s.) les compagnies présentent en effet un danger réel dès lors qu’intervient une trêve ou une paix : même dissoutes au moment du « cassement », elles survivent souvent autour de leur chef et utilisent alors tous les moyens à leur disposition pour assurer leur subsistance en se nourrissant sur le pays. Se répandent ds toute la France où elles font régner la terreur (écorcheurs, routiers, etc.). Manque de ressources financières joint à la faiblesse politique de la monarchie à l’extrême fin du XIVè et au tout début du XVè s. consomment la débâcle des institutions militaires françaises, à laquelle la défaite d’Azincourt (1415) apporte une sanglante confirmation : liquidation définitive du vieux système féodal + disparition d’une bonne partie de la fine fleur de l’aristocratie française.

Efforts menés par Charles VII pour réorganiser en profondeur le système militaire : – Essaie d’arracher les gens de guerre à leur vie d’errance et de les fixer ds des garnisons cantonnées ds les régions frontalières, d’où ils étaient incités à mener des opérations à l’extérieur du royaume ;

– Met tout en œuvre pour rompre le lien d’allégeance qui unissait la plupart du temps les gens de guerre à quelques grands princes ou quelques grands seigneurs et en revendique pour lui seul le contrôle et le commandement ;

– Surtout : procède à la refonte des institutions militaires : ordonnance de Louppy prise le 26 mai 1445 : jette les bases d’une armée permanente : désignation de 15 capitaines, choisis pour leur naissance, leur probité et leur expérience militaire ; en contrepartie d’une solde majorée et permanente, sont eux mêmes invités à conserver auprès d’eux leurs hommes les plus expérimentés et les mieux équipés pour constituer de nouvelles compagnies dont la composition était strictement réglementée par l’ordonnance, d’où leur appellation de « compagnies d’ordonnance ». Chaque compagnie se comportait de 100 lances, regroupant chacune 6 ou 7 hommes (soit un noyau d’environ 10 000 hommes).

Les compagnies ainsi retenues furent d’abord chargées de rétablir l’ordre ds le royaume, puis de reconquérir les territoires occupés par les Anglais. Néanmoins, ne furent pas dissoutes après l’arrêt des hostilités, en 1453 mais formèrent la base d’une armée permanente.

Sous le règne de Louis XI : effort pour organiser une infanterie, autour de 6000 Suisses recrutés pour leur valeur militaire.

Au terme d’une longue évolution, qui couvre les règnes de Charles VII et de Louis XI, cavalerie permanente puis infanterie permanente voient lentement le jour, ce qui vaut à la monarchie de pouvoir entretenir 20 à 25 000 hommes à la fin du XVè s. L’État n’exerce pas encore le monopole de la violence légale, mais il est dores et déjà engagé ds un long processus d’encadrement de l’armée et de civilisation des moeurs.

CCL : C’est autour de la seule institution que le royaume de France a pu retrouver son identité territoriale, politique et humaine à partir du milieu du XIIIè s. Plus cette identité s’affirme, plus l’Etat se cristallise et plus le roi apparaît comme le pivot autour duquel s’organise cette entité politique qui devient lentement la France. Cf. le changement de titulature intervenu en 1204 : Rex Francorum devient Rex Franciae : prise de conscience collective d’habiter un seul et même territoire sur lequel se scelle un destin commun, dont l’unité se trouve progressivement renforcée par une langue qui, lentement, devient elle aussi commune. En France, l’Etat a précédé et crée la nation, comme en témoigne d’ailleurs la constitution progressive d’un véritable espace identitaire, arraché aux convoitises territoriales, mais surtout aux prétentions juridiques des puissances étrangères.

Section II- La conquête d’un espace identitaire

L’idée qui avait pendant longtemps dominé d’une chrétienté occidentale entièrement soumise au pape et à l’empereur s’estompe peu à peu devant la montée des nouveaux États souverains qui constituent autant d’entités autonomes aspirant à une existence propre. Le roi de France, étant parvenu à réaliser un début d’unité nationale grâce au double processus de réassociation territoriale et de liquidation du passif féodal, s’efforça donc très logiquement de prendre stature de chef d’État indépendant face à l’empereur d’abord (§I), face au pape, ensuite et plus difficilement (§II).

Enfin, point d’orgue du processus d’unification l’identité du royaume se marqua par la constitution d’un espace juridique commun, manifesté, à partir du XVème siècle , par la maîtrise royale en matière de coutumes (§III).

§I- La rivalité avec l’Empire

Elle fut plus théorique que réellement politique et se résolut assez rapidement, tant du fait de l’irréversible effacement de la suprématie impériale (A) qu’à cause de l’irrésistible affirmation de la souveraineté des États monarchiques (B).

A- L’irréversible effacement de la suprématie impériale

  • Fiction de l’unité impériale tenant l’empereur pour seul détenteur de l’auctoritas et de l’imperium mundi tend de plus en plus à s’estomper devant la consistance territoriale des États monarchiques, la vitalité de leur sentiment national et le dynamisme de leur gouvernement. A partir des années 1200 la conjoncture européenne est en outre favorable à ces jeunes États qui, comme la France, l’Angleterre ou l’Espagne, s’affirment comme autant d’unités autonomes : éclatement de l’imperium au bénéfice de regna dont les canonistes ne manquent pas de faire l’apologie en vue d’affaiblir l’autorité impériale.
  • En outre prestige impérial de plus en plus affaibli :

– défaite d’Othon IV à Bouvines en 1214 ;

– grand interrègne ouvert en 1250 à la mort de Frédéric II : durant un siècle, à l’exception d’une année (1312-1313), la couronne demeure sans titulaire. Les rois des Romains, privés de la dignité suprême, affaiblis par une diplomatie incertaine, ne sont plus en mesure de revendiquer une quelconque prééminence sur les autres souverains. Plusieurs d’entre eux, d’ailleurs, loin de traiter le roi de France en inférieur, recherchent son appui pour tenter de reconquérir leur titre. Ainsi traités et courtisés, les souverains français font figure d’empereurs de fait, et certains d’entre eux caressent même le rêve impérial.

B- L’irrésistible affirmation de la souveraineté monarchique

Mobilisation idéologique et doctrinale au service des prétentions du roi de France.

  • Philippe II et son entourage donnent le ton :

– surnom Augustus donné par Rigord : traduit une volonté affichée de faire du roi de France un égal de l’emp. et de revendiquer en sa faveur toutes les prérogatives de la puissance impériale ;

– utilisation habile de la décrétale Per Venarabilem. Saisi par le comte de Montpellier, Guilhem VII, d’une demande de légitimation de ses enfants adultérins, le pape Innocent III décline sa compétence au motif que pour cette question purement temporelle, c’est au roi de France qu’il convient de s’adresser, puisqu’il ne reconnaît aucun supérieur temporel (cum rex superiorem in temporalitatibus minime recognoscat) : conclusion purement incidente massivement exploitée par les légistes de Philippe pour démonter que le roi de France, ne relevant d’aucune puissance temporelle, en saurait en aucun cas être soumis à l’emp. et à ses normes ;

– bulle Super specula de 1219 destinée à limiter l’enseignement du droit romain en France, encore trop souvent considéré comme le droit de l’empereur.

  • Toutefois, à cette phase initiale de méfiance, succéda bientôt une période d’utilisation systématique du droit romain au profit exclusif du roi, cette fois : idée que le monarque « ne doit tenir de personne », pas plus dans l’ordre interne, où sa qualité suprême de suzerain l’a définitivement placé au sommet de la hiérarchie féodale, que sur la scène internationale, où sa souveraineté naissante l’émancipe progressivement de l’autorité impériale.

C’est parce qu’il doit agir pour le bien commun et « l’utilité publique » dont les juristes considèrent que le roi a de plus en plus la charge exclusive, que ce même souverain doit se trouver investi de pouvoirs identiques à ceux d’un empereur dont l’imperium, désormais éclaté ne lui permet plus de maintenir sous son contrôle l’ensemble des États d’Occident. Face à lui, le roi de France acquiert lentement la qualité de princeps qui l’autorise à revendiquer l’exercice tout à la fois de l’imperium, de la potestas et de la jurisdictio. D’où la formule qui apparaît vers 1250 : le roi est empereur en son royaume : point d’aboutissement et point de départ d’une nouvelle dynamique qui prend cette fois la papauté pour cible.

§II- Le conflit avec la papauté

Même libéré de la tutelle impériale et fort d’une souveraineté qu’il se forge progressivement, le roi de France ne songe jamais à contester au spirituel la souveraineté du pape. Néanmoins, cette capacité du successeur de Pierre à intervenir constamment ds la vie des États représentait un facteur permanent de tension : oblige peu à peu à repenser les rapports entre le royaume et le Saint Siège.

Rappel : La réforme grégorienne

Suscitée par la crise sociale, institutionnelle et morale que traversait une Église profondément féodalisée, la réforme, initiée par des moines clunisiens et menée par la papauté, aboutit à une complète redéfinition des rapports du temporel et du spirituel. Elle fut en outre directement à l’origine de la renaissance intellectuelle, politique et juridique impulsée en Occident à partir de la 2nde moitié du XIème siècle. Un mouvement d’une tel ampleur mérite donc que l’on s’y arrête quelque peu en en examinant successivement les préliminaires (1) puis le plein développement (2).

1- Les préliminaires

Pb. posé = celui de la pérennité des structures de l’Eglise carolingienne. A bien des égards, la réforme grégorienne est apparue comme une lutte entre le parti des moines, réformateurs et clunisiens, et le parti des évêques, profondément ancré ds les rouages du pouvoir et les affaires du siècle. 2 points de friction essentiels : la question de l’exemption (a) et l’affirmation de la primauté romaine (b).

a)- Le combat pour l’exemption

Dès sa fondation, Cluny avait été donnée au pape, pour qu’il exerce directement sur le monastère le pouvoir qui revenait normalement à l’évêque du diocèse. De même, en 997, Abbon de Fleury obtient du pape Grégoire V un privilège libérant son abbaye du pouvoir coercitif de l’évêque et lui permettant de recourir à l’arbitrage romain en cas de conflit avec le diocésain.

Dans le même temps, toujours à Cluny, on prépare un privilège libérant le monastère non seulement du pouvoir coercitif de l’ordinaire, mais encore de son pouvoir d’ordre : ce qui signifie que l’évêque diocésain ne pourrait plus procéder, au sein du monastère, aux ordinations, consécrations d’églises célébrations de messes, sans l’autorisation abbatiale, et que les moines pourraient faire appel à un évêque de leur choix pour la bénédiction d’un nouvel abbé : Exemption totale obtenue en 998 ou 999 de Grégoire V. Est étendue par Guillaume de Volpiano, ancien moine clunisien, à 3 grands monastères qu’il avait réformés : Fécamp en Normandie (1006-1016), Fruttuaria en Lombardie (1006), Saint Bénigne de Dijon (1012).

En 1024, enfin, alors que s’ébauche, sous l’action de l’abbé Odilon, une politique visant à faire de Cluny un chef d’ordre regroupant abbayes et prieurés affiliés, la papauté étend l’exemption à l’ensemble des établissements rattachés au monastère bourguignon.

Exemption et ordre clunisien se combinent ainsi, au début du XIème siècle, pour mettre fondamentalement en cause les vieilles structures ecclésiastiques fondées sur la prééminence de l’évêque. En un sens, il existe un parallélisme d’évolution entre structures laïques et structures ecclésiastiques : l’autorité épiscopale se trouve contestée au moment même où s’effondre l’unité du pagus.

On comprend dès lors que les zones de forte autorité princière et de vieille tradition carolingienne n’aient connu ni l’exemption sous sa forme clunisienne, ni l’affiliation de monastère:  Allemagne impériale ; Flandre comtale ; Normandie ducale (structure fortement hiérarchisée et soumise à l’autorité du seul duc).

En revanche, ce sont presque exclusivement les régions où l’autorité publique est faible et dispersée, où l’épiscopat est moins enracinée ds la tradition carolingienne qui ont connu successivement l’expansion clunisienne puis l’exemption épiscopale : régions ayant également été affectées, plus que les autres par la paix et la trêve de Dieu : lutte contre l’ingérence laïque et pour la sauvegarde du patrimoine monastique.

b)- L’affirmation de la primauté romaine

2ème pôle du nouveau dispositif : la réforme de la tête de l’Eglise elle-même. Il s’agit ici de déterminer où, ds l’ordre du religieux, se trouve le véritable siège de l’auctoritas. Car ce que met en cause l’exemption, tout autant que l’autorité de l’évêque sur le clergé régulier de son diocèse, c’est l’autonomie de l’épiscopat du royaume par rapport au pontife romain : refonte institutionnelle débouchant sur une redéfinition politique. La question en fait, ne revêt pas la même acuité selon les zones géographiques concernées :

– clergé du sud : depuis l’effacement royal, son horizon ne dépasse guère celui de la province. Faiblement organisé, n’offre que peu de résistances aux entreprises clunisiennes et pontificales ;

– épiscopat du Nord beaucoup plus cohérent. Véritable pilier du trône, s’estime dépositaire de la tradition carolingienne de non ingérence pontificale : ne voit ds le pape qu’un primus inter pares détenteur d’une simple préséance sur les autres évêques et affirme la supériorité du « concile des Gaules » sur le pontife romain : « autorité éternelle » des canons sacrés s’opposant au « caprice d’un seul ». Légalisme conciliaire déjà au cœur du débat sur l’exemption.

Ce débat de fond, qui secoue l’Eglise pendant la 1ère ½ du XIè siècle permit en outre à la papauté de se forger, dès les années 1010-1020 certaines des armes juridiques et idéologiques qui lui servirent ultérieurement à fonder ses prétentions :

  • arme juridique: élargissement de la notion de « propriété du saint siège » dont Cluny et quelques monastères fondés à la fin du IXè et au début du Xè siècle avaient bénéficié au temps de leur établissement : libertas signifiant le statut d’appartenance de toute abbaye affiliée au système clunisien : faire d’un monastère une dépendance de Cluny revient donc à en faire une traditio à l’Eglise romaine. Devient dès lors l’un des membres d’un corps dont Rome est la tête : conception organiciste de l’ordre clunisien. De l’ébauche d’une organisation, on est passé à la réalité d’une structure groupant « par delà le cadre du diocèse et de la province, des monastère affiliés à un chef d’ordre qui relève du pape. » Fournit à ce dernier des équipes nouvelles et d’ardents défenseurs de la supériorité romaine : esquisse du système grégorien puissamment hiérarchisé et fondamentalement différent de l’ancienne structure carolingienne.
  • arme idéologique se trouve ds les 1ères affirmations d’une primauté de l’Eglise romaine : lettre du pape Jean XIX à l’évêque de Mâcon affirmant que l’Eglise romaine est « la tête et le gond (caput et cardo) de toutes les autres églises» : emprunt à une collection de fausses décrétales forgées en France 2 siècles plus tôt, et plus particulièrement à une fausse lettre du pape Anaclet mettant en relief le rôle assigné à l’Eglise de Rome « par l’auctoritas de laquelle toutes les églises se trouvent régies de par la volonté de Dieu. » : texte invoqué 25 ans plus tard par les 1ers grégoriens pour fonder et réaliser pleinement cette primauté du siège apostolique.
2– L’affermissement théocratique

C’est à partir du milieu du XIè siècle que débute, sous l’égide du pape Léon IX et de ses successeurs une véritable révolution qui marque un tournant ds l’histoire de l’Eglise et de l’Occident chrétien. A cette révolution, on a donné le nom du pape Grégoire VII (1073-1085) qui, avant comme durant son pontificat, en a été le principal artisant, orientant la papauté vers un raidissement doctrinal et des solutions extrêmes.

Réforme morale du clergé, entreprise d’affranchissement de l’Eglise de l’ingérence des puissances laïques, cette révolution est aussi et d’abord une réforme des structures ecclésiastiques en même temps qu’un bouleversement profond et durable de la place des puissances traditionnelles ds la direction du monde chrétien. Enfin, mouvement inséparable d’une vaste entreprise de recherche, de groupement, d’interprétation des textes scripturaires et d’élaboration de collections canoniques. Elle a donc largement contribué à préparer la renaissance intellectuelle des XIIè-XIIIè s.

Peut être décomposée en 3 grandes phases :

– une phase d’approfondissement doctrinal (1049-1059 (a)

– une phase politique centrée sur la querelle des investitures (1059-1084) (b) ;

– une phase d’apaisement et de compromis (c)

a)- L’analyse doctrinale (1049-1059)

La phase doctrinale débute sous l’impulsion d’un pape d’origine romaine, Léon IX, et surtout sous la direction d’un moine lorrain lui aussi, Humbert de Moyenmoutier. L’un et l’autre sont convaincus que l’affirmation de la primauté romaine constitue la condition d’une lutte efficace contre les maux dont souffre le clergé. D’où la réalisation de plusieurs ouvrages de propagande :

Collection en 74 titres (1050) : recueil de plusieurs textes favorables à la paputé, dont le fameux passage de la lettre attribuée à Anaclet. Rappel de l’incidence judiciaire de la primauté : jugements prononcés par les évêques doivent pouvoir faire l’objet d’un recours à Rome, en vertu de la parole adressée à Pierre par le Christ : « ce que tu lieras sur la terre sera lié ds le ciel » (pouvoir des clefs) ;

Adversus Simoniacos : dénonciation vigoureuse de la chaîne des causalités reliant l’investiture laïque aux pratiques simoniaques et la simonie au nicolaïsme (moeurs dissolues du clergé). Propose un remède : la papauté doit imposer le retour à la liberté des élections épiscopales et abbatiales et lutter contre l’investiture laïque, source de tous les maux.

Primauté romaine également affirmée face à Constantinople, où une ambassade conduite par Humbert se rend en 1054. Excommunication du patriarche Michel Cérulaire provoquant la rupture définitive entre les 2 Églises.

b)- Les luttes politiques (1059-1084)
  • Le décret de Nicolas II modifiant l’élection pontificale (1059)

Est adopté pendant la minorité de l’empereur, Henri IV. En pcipe élu par le clergé et le peuple de Rome, le pape était en fait, depuis la fin du Xè siècle, la créature de l’empereur germanique qui avait la haute main sur sa désignation. Le décret d’avril 1059 confie son élection aux seuls cardinaux de l’Eglise romaine, désormais constitués en « sacré collège », le clergé et le peuple de la cité n’intervenant que pour acclamer l’élu. L’empereur est écarté du processus électif et ne conserve plus qu’un rôle purement honorifique au moment de l’intronisation. Afin d’éviter toute pression provenant des factions romaines, il est enfin prévu que l’élection et l’intronisation pourront porter sur un non-romain et se dérouler à l’extérieur de Rome.

La réforme débute donc par le sommet, même si ses promoteurs entendent dès l’origine en étendre les effets à l’ensemble des églises : cf. le canon 6 du décret de 1059 qui interdit à tout clerc de recevoir « une église des mains d’un laïc, soit gratuitement, soit contre argent. » : condamnation reste cepdt encore purement morale.

Action des légats pontificaux en France tend à prolonger cette réforme : président plusieurs conciles où ils font adopter la législation de 1059 sur la réforme morale, n’hésitant à prononcer des peines contre certains évêques ou clercs notoirement simoniaques.

  • Le pontificat de Grégoire VII (1073-1085)

avec l’élection de Grégoire VII, l’action des réformateurs prend sa pleine ampleur et tend même à sa radicaliser.

En février 1075, Grégoire promulgue un décret faisant défense à quiconque de recevoir « de la main de quelque personne laïque » un évêché ou une abbaye sous peine de nullité ; interdiction également faite aux métropolitains de consacrer un « élu » qui aurait reçu « don de son évêché ». Ce sont cette fois les rois et surtout l’empereur qui se trouvent principalement visés par l’interdiction : remise en cause de la vieille idée carolingienne d’une « sacralité royale » se situant sur le même plan que la « sacralité sacerdotale » et justifiant la désignation des évêques et des abbés par les rois : attitude révolutionnaire justifiée par le pape par un retour à la primitive Église. Heurte de plein fouet le système d’église impériale mis en place en Germanie.

D’où l’amorce d’un long conflit au cours duquel la papauté fut conduite à revendiquer une primauté ds l’ordre du politique : théocratie pontificale. Tenant pour lettre morte le décret de 1075, Henri IV d’Allemagne continue à nommer comme par le passé aux évêchés et abbatiats vacants ; riposte du pape avec les Dictatus papae : 27 propositions solennelles formulant la doctrine officielle de l’Eglise romaine :

  • Absolutisme religieux:

– universalité su siège apostolique et de son titulaire ;

– droit de déposer et d’absoudre les évêques ;

– droit d’adopter de nouvelles lois

– droit d’ordonner la réunion de conciles généraux ;

– droit de connaître de toute sentence en dernier appel ;

  • Revendications politiques :

– droit d’user (seul) des insignes impériaux (VIII), en vertu de la fausse donation de Constantin abandonnant au pape Sylvestre 1er les insignes impériaux et la juridiction sur la pars occidentalis de l’empire ;

– droit de déposer les empereurs (XII)

– droit de délier les sujets du serment de fidélité fait aux injustes (XXVII) ;

Revendications fondées sur des textes de la tradition scripturaire et patristique : suprématie politique conçue comme le prolongement naturel de la primauté spirituelle. Jn, 21, 15 (« Pais mes brebis ») ; Mt 16, 18-19 (« Je te donnerai les clefs du royaume des cieux et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié ds le ciel. »). Hiérarchie des sanctions supposant une hiérarchie des dignités : Grégoire VII oppose la royauté terrestre « dignité inventée par les hommes du siècle, voire par les hommes ignorant Dieu » à la dignité pontificale « que la Providence du Tout-Puissant a instituée pour son honneur et miséricordieusement accordée aux hommes. »

Origine divine de la potestas royale ne peut être que médiate : découle d’un engagement du monarque à protéger l’Eglise en respectant les lois de Dieu ; procède d’une habilitation conférée par l’Eglise, de l’accomplissement des devoirs de la fonction contrôlé par une autorité pontificale gardienne et dispensatrice des lois divines. D’une sacralité intrinsèque à la dignité royale on passe à une sacralité extrinsèque, subordonnée à l’exercice du pouvoir et donc dévalorisée : gauchissement du schéma gélasien ds le sens d’une subordination du temporel au spirituel. Combat entre 2 sacralités, 2 théocraties concurrentes revêtant une extrême violence :

– Réponse d’Henri IV aux Dictatus papae : en janvier 1076, fait déposer Grégoire VII, accusé d’avoir détruit la paix de l’Eglise par un concile d’évêques germaniques réunis à Worms ;

– un mois plus tard, Grégoire VII excommunie et dépose l’empereur qui voit alors plusieurs princes allemands et de nombreux membres de son épiscopat faire défection. Menacé de déchéance, Henri IV se trouve contraint de se rendre à Canossa en janvier 1077 s’humilier devant le pape. L’excommunication est alors levée ;

– Henri IV reprend alors la lutte et chasse Grégoire VII de Rome (1081) ; n’y revint que peu de temps avant sa mort (1085), grâce à l’alliance des Normands du Sud.

N.B. : Querelle des Investitures circonscrite à la seule Allemagne : ds l’empire anglo-normand qui vient de se constituer, Grégoire VII ferme les yeux sur l’investiture royale ou ducale ; de même en France, où le roi contrôle peu d’évêchés, le pape laisse faire, car il ne sert à rien de s’en prendre trop ouvertement à ce monarque. La papauté ne se crispe donc pas sur la question des investitures et ne fait pas déposer, lorsqu’il n’y a pas eu d’élection scandaleuse, les évêques investis par les rois ou les princes.

c)- La synthèse institutionnelle : le concordat de Worms (1122)

Après la mort de Grégoire VII et d’Henri IV, évolution des esprits vers une solution plus modérée du problème.

1ers jalons posés par Albert de Marmoutier (abbé réformateur) dès le milieu du XIè siècle : a réussi à imposer pare sa pratique, le recours à une double investiture :

– l’une ayant trait au temporel : seul signe de l’ingérence laïque ;

– l’autre relevant seulement du spirituel

La solution est reprise ds la plupart ds élections aux grands monastères normands.

Elle s’impose avec Yves de Chartres et prévaut lors du Concordat de Worms conclu en 1122 entre le pape Calixte V et l’empereur Henri V : l’accord met fin à la querelle des investitures.

– prévoit la libre élection de l’évêque par un collège de chanoines de l’église cathédrale, ainsi que par quelques hauts dignitaires du diocèse ;

– consécration effectuée par le métropolitain, qui remet à l’impétrant la crosse et l’anneau, signes de son pouvoir spirituel ;

– investiture des regalia, par l’empereur ou le roi (remise d’un sceptre) : implique une relation de type féodal, un devoir de fidélité de l’évêque à l’égard du prince : est scellé par un simple serment, sans immixtio manuum, qui aurait signifié une soumission de type personnel. L’honneur de Dieu, seul bénéficiaire de l’engagement total de l’évêque ou de l’abbé, est réputé passer avant l’honneur et le service du roi.

Signification de la réforme grégorienne :

  • Phénomène de renouveau spirituel dont le monachisme réformé du Xè siècle fut l’un des premiers propagateurs : souci eschatologique d’agir sur le monde pour en extirper les forces du mal et l’orienter ds la voie de la purification : modèle monastique donnant naissance à des mouvements d’inspiration évangélique qui en viennent à critiquer le modèle clunisien (liturgie envahissante et collective ; mode de recrutement excluant l’idée d’engagement personnel ; etc.) : Chartreux (1084), chanoines réguliers (Prémontrés), Cisterciens (1098) ;
  • Renforcement de la présence ecclésiale autour de structures de plus en plus nombreuses et cohérentes : pcipe hiérarchique réaffirmé et mis en œuvre par l’activité inlassable des légats pontificaux : connaissent du contentieux des élections ecclésiastiques, jugent en appel des sentences rendues par les évêques, enquêtent d’office et se saisissent par évocation de toutes causes qu’ils estiment devoir traiter eux-mêmes ou réserver à la décision du pontife romain.

Progrès de l’idée d »’universalisme chrétien ; développement d’une législation uniforme à l’ensemble de l’Eglise ; extension des champs de compétence des officialités : encadrement de plus en plus resserré de la vie des hommes.

  • Aspect politique de la réforme: les papes du XIIè-XIIIè siècles persisteront à revendiquer la direction du peuple chrétien, prétendant subordonner à leur auctoritas les puissances séculières dotées d’une simple potestas conçue comme un pouvoir second de coercition (cf. la bulle Unam Sanctam).

Séparation définitive des 2 pouvoirs (image des 2 glaives) temporel et spirituel. Se retourna finalement contre la papauté elle-même : souverains de France et d’Angleterre reprochent notamment au saint siège son ingérence ds la sphère qui leur revient. En attendant que la divulgation des maximes du droit romain et de la philosophie politique d’Aristote ne leur suggère que la puissance étatique porte en elle une finalité et une légitimité qui lui sont propres.

Évolution du contexte au cours du XIIIè s. : Capétien de plus en plus puissant et donc de plus intransigeant face à toute atteinte susceptible d’être portée à l’encontre de son pouvoir ; papauté victorieuse de son long conflit avec l’Empire élabore une doctrine selon laquelle le pape, maître du monde au spirituel, peut de ce fait intervenir au temporel, tout au moins ds certains cas : décrétale Novit d’Innocent III (1198-1216). Donne naissance à une véritable poussée théocratique.

Équilibre délicat compromis par les nouvelles prétentions du pape qui, au nom de la morale et de la religion, affirme qu’il peut intervenir ds les royaumes ratione peccati pour orienter ou même limiter l’action du souverain : cf. le soutien apporté par Innocent III à Jean Sans Terre ds le conflit qui l’oppose à Philippe Auguste.

Renouveau spirituel et doctrinal apporte des munitions aux jeunes États :

– critique morale développée par les Franciscains contre la richesse de l’Eglise : a trahi la pureté évangélique des origines ;

– critique radicale des Dominicains qui ds leurs analyses, dissocient radicalement la société, qu’ils dénoncent comme corrompue, de l’Eglise du Christ ;

– critique philosophique de Thomas d’Aquin (1125-1274) élaborée à partir de la lecture d’Aristote : s’oppose à la vision augustinienne de la société et du pouvoir politique ; toute cité, au sens aristotélicien du terme, a une valeur en soi, qui réside ds la poursuite du bien commun ; la société politique est naturelle à l’homme ; il existe donc un ordre social et politique autonome, complètement indépendant de l’ordre religieux et même antérieur à lui. L’État ne saurait donc se couler ds le moule de l’Eglise et en dépendre ; temporel et spirituel doivent être soigneusement distingués, d’autant que

« Ds les matières qui concernent le bien civil, il vaut mieux obéir à la puissance séculière plutôt qu’à l’autorité spirituelle. »

Dualisme clairement affirmé va trouver une illustration polémique ds le conflit qui opposa Philippe le Bel à Boniface VIII (A) avant de fournir des bases précieuses au développement du Gallicanisme (B).

A- Un conflit politique : Philippe le Bel et Boniface VIII

Malgré d’inévitables périodes de tensions, les relations entre le Saint-Siège et le royaume de France sont assez bonnes jusqu’aux dernières années du XIIIè s. Tout change avec le pontificat de Boniface VIII qui s’ouvre en 1294. Tout oppose le roi de France et le nouveau pape : l’âge (Boniface a presque 50 ans de plus que Philippe), la formation (le pape a baigné ds les années 1235-1240 ds une ambiance favorable aux idées théocratiques ; le roi de France est pétri de droit romain), le tempérament.

En outre : nombreuses causes de conflits existent : empiétements juridictionnels de l’Eglise ; collation des bénéfices ecclésiastiques destinée à récompenser des serviteurs de la monarchie ; et surtout : question fiscale, qui provoqua un premier conflit (1) bientôt suivi d’un second, de teneur plus franchement idéologique (2).

1)- L’affaire de la décime (1296-1297)

Définition : la décime = une contribution exceptionnelle levée par le pape sur le temporel de tous les titulaires de bénéfices ecclésiastiques afin de financer la croisade. Elle représentait le 1/10è du revenu net, une fois déduits les frais d’entretien et de gestion, et devait faire l’objet d’une double autorisation, du pape, et du clergé. Devenue très vite une tentation pour les princes, qui s’efforcèrent de s’en approprier le produit sous des prétextes divers, plus ou moins en rapport avec la croisade (expédition en Languedoc contre les Cathares, en Tunisie, en Sicile, etc.)

Affermissement de l’Etat sous le règne de Philippe le Bel et les besoins financiers qu’il crée conduisent à remettre en cause les avantages acquis en matière fiscale (exemption et immunité) et à réclamer le bénéfice de la décime pour participation au financement des défenses communes.

Philippe le Bel obtient ainsi de son clergé un accord pour lever une décime, mais il n’en demande pas l’autorisation au pape qui réplique par la bulle Clericis Laicos du 24 février 1296, rappelant en termes généraux l’interdiction faite à toute puissance temporelle d’imposer les clercs sans autorisation du Saint Siège, et faisant obligation aux clercs de n’accorder à leur souverain aucune aide sans autorisation préalable de Rome = ingérence ds les affaires du royaume qui suscite une réplique virulente du roi de France et de ses conseillers : pamphlets + interdiction de toute sortie d’or et d’argent du royaume, paralysant ainsi une bonne partie des mouvements de fonds vers Rome. Le clergé de France soutient à fond son souverain et le pape jette l’éponge : en juillet 1297, autorise le roi à obtenir l’aide financière des clercs de son royaume en cas d’urgente nécessité, même en dehors de toute autorisation du Saint Siège. Courte trêve.

2)- Le conflit de souveraineté (1301-1303)

Point de départ : propos excessifs et injurieux tenus par l’évêque de Pamiers contre le roi de France. Lui valent d’être traduit devant une cour royal, composée d’évêques et de barons (octobre 1301), en violation des privilèges judiciaires des clercs.

Réaction immédiate du pape : bulle Ausculta Fili (décembre 1301) dont les termes même (« Écoute fils… »), empruntés au début de la RB sont particulièrement blessants pour le Capétien, placé immédiatement en position d’infériorité. Ton condescendant pour un texte sans nuance qui affirmait que le chef de l’Eglise avait été placé « au dessus des rois et des royaumes », ce qui revenait à en faire le supérieur de Philippe le Bel, tant au spirituel qu’au temporel. Examinant ensuite les actes politiques du roi de France, le pape se proposait de réunir un concile à Rome pour les faire condamner.

Réunion à Paris d’une assemblée des 3 ordres qui préfigure les États généraux (avril 1302) pour obtenir le soutien du pays. Aux évêques, le roi fait dire qu’ils tiennent directement de lui leurs évêchés, au temporel ; aux nobles, qu’ils ne relèvent que de lui pour leur fief, tout comme lui-même ne relève que de Dieu dont il tient directement le royaume de France. Est donc le protecteur naturel de l’Eglise de France. Clergé convaincu par ce plaidoyer refuse de se rendre à Rome et écrit au pape pour lui dire qu’il voit ds le roi le protecteur des libertés et le réformateur de l’Eglise de France.

Défaite de Philippe le Bel face aux Flamands à Courtrai (juillet 1302) redonne vigueur au pape. Réitère son intention de tenir le concile convoqué pour novembre 1302 et réussit à convaincre 39 prélats d’y participer. Bulle Unam Sanctam (18 novembre 1302) faisant écho aux idées théocratiques les plus dures : L’Église est une et n’a qu’un seul chef, le Christ, représenté sur terre par son vicaire, le pape.

« Les 2 glaives sont au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le temporel, mais l’un doit être manié pour l’Eglise et l’autre par l’Eglise, l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois et des chevaliers, mais sur l’ordre du prêtre et tant qu’il le permet. »

Riposte du roi : appel au concile universel, considéré comme supérieur au pape. Pour que cet appel fût crédible, il lui fallait un soutien populaire. Ds ce but, le roi entreprend à partir du 15 juin 1303 une vaste consultation du royaume qui rencontre une adhésion unanime à cette idée. Guillaume de Nogaret, qui dirige les opérations, décide de notifier à Boniface VIII l’acte d’accusation rédigé contre lui ds le cadre d’un concile oecuménique convoqué à Lyon. Attentat d’Anagni et mort du pape qques jours après.

Constatant le désaveu par l’Eglise des positions de Boniface VIII, Benoît XI absout de toute condamnation le roi de France, mais s’apprêtait à condamner Guillaume de Nogaret lorsqu’il meurt opportunément le 7 juillet 1304. Son successeur, Clément V, est tout dévoué au roi de France en qui il voit un souverain »absolument innocent et sans faute » (il ne faut quand même pas exagérer…). Ainsi le roi de France parvenait à une reconnaissance totale de sa souveraineté + manifestation d’indépendance de l’Eglise de France à l’égard des injonctions pontificales. Progrès de l’idée nationale.

B- Des enjeux théoriques : l’effondrement de la théocratie et la naissance du Gallicanisme

Si le conflit qui avait opposé Philippe le Bel à Boniface VIII n’eut ni la longueur, ni la gravité de ceux qui avaient éclaté entre la papauté et l’Empire, il n’en eut pas moins des conséquences plus durables et plus profondes :

– pape et empereur s’étaient affrontés pour la direction de la chrétienté ds un système politico-religieux de type moniste ;

– Boniface et Philippe se disputent le contrôle de l’Eglise de France, ds une ambiance doctrinale largement aristotélicienne qui sape les bases de la théocratie pontificale (cf. le De monarchia de Dante : 1311 ou le Defensor pacis de Marsile de Padoue : 1324). Déclin irréversible des thèses de la papauté, qui s’installe en outre en Avignon, sous la dépendance directe du roi de France.

En outre, toujours français, les papes d’Avignon sont contraints de servir la politique du roi de France. Éloignée de ses attachées traditionnelles, la papauté rencontre bien des difficultés à gouverner une Église dont elle contrôle de plus en plus mal des structures conçues à partir de Rome et pour Rome. Ce malaise aboutit, en 1378, à l’élection de 2 papes : l’un à Rome, Urbain V, et l’autre à Avignon, Clément VII. Le schisme ainsi créé permet au roi de France et à son Église de renforcer leur position d’autonomie par rapport au Saint Siège.

Le Grand Schisme ouvre une période d’intense réflexion ds la chrétienté : nombreuses critiques contre la papauté, sa richesse, sa fiscalité. Le système bénéficial, largement détourné de son fonctionnement primitif, apparaît comme la cause 1ère de la crise, d’autant que le pape l’utilise pour s’ingérer de plus en plus ds les affaires de l’Eglise de France. Un concile parisien réuni en 1398 et composé d’une cinquantaine d’évêques français décide en conséquence la soustraction d’obédience, supprimant ainsi toute soumission au pape et suspendant son autorité sur l’Eglise de France, l’habilitant à gérer elle-même, avec l’accord du roi, ses propres affaires. Nouveau concile de 1406 va encore plus loin : c’est à l’Eglise de France de fixer elle-même ses propres règles disciplinaires et d’en demander au roi la confirmation, en le chargeant aussi de veiller au bon déroulement des élections. Retour aux « anciennes libertés gallicanes ». C’était, du même coup, reconnaître au concile et à ses décisions une véritable suprématie.

1)- Le gallicanisme religieux et conciliariste

2 conciles de 1398 et 1406 contribuèrent largement à faire triompher le pcipe selon lequel, pour l’Eglise de France au moins, des mesures conciliaires pouvaient se substituer aux décisions pontificales.

La doctrine emboîte l pas de la supériorité du concile sur le pape. Inspirée pour l’essentiel par les textes canoniques contraignant un pape hérétique à se soumettre au jugement du concile, amplifiée par Marsile de Padoue et Guillaume d’Ockam, elle est très largement développée par les maîtres parisiens tels Jean Gerson et Pierre d’Ailly. L’université de Paris voyait en fait ds la voie conciliaire l’unique moyen de mettre fin au schisme et de renforcer en même temps la position du roi et de l’Etat face au Saint Sièfge.

Concile de Constance (1414-1418) parvint d’ailleurs à imposer ses décisions : déposa les 3 papes en exercice et en élit un nouveau : Martin V. Ainsi triomphait la supériorité du concile oecuménique, entérinée par le concile de Bâle en 1431 et que le clergé de France, appuyé par le roi, ne manqua pas d’adopter.

2)- Le gallicanisme politique et juridique

A l’occasion du concile de 1406, commence à s’imposer l’idée selon laquelle le pouvoir séculier peut, en certaines circonstances, imposer son contrôle sur la législation canonique avant même qu’elle ne soit appliquée en France : pcipe de la réception relevant de l’autorité séculière (représentée en l’occurrence par les parlements). Idée sous-jacente d’une hiérarchie des nomes subordonnant les décrétales pontificales à la législation conciliaire et aux canons de l’Eglise primitive.

Parallèlement à cela : développement d’une compétence législative royale en matière de discipline de l’Eglise de France : devient l’une des pierres angulaires du gallicanisme dès le début du XVè s. Aboutit à la Pragmatique Sanction de Bourges du 7 juillet 1438. Convocation par le roi Charles VII d’une assemblée qui réunit à Bourges des membres du clergé, des universitaires et des parlementaires tous acquis aux thèses gallicanes :

– proclame la supériorité du concile œcuménique sur le pape ;

– affirme le pcipe d’une périodicité obligatoire des conciles ;

– limitation des droits du Saint-Siège ds la nomination aux bénéfices situés en France, ds la fiscalité prélevée sur le clergé national et ds les possibilités d’appel devant les instances romaines.

Toutes ces décisions sont reprises par une ordonnance royale qui prend le nom de Pragmatique Sanction de Bourges et qui leur donne force exécutoire sur l’ensemble du territoire. Ainsi le roi se trouvait investi de la mission d’organiser l’Eglise de France par voie d’ordonnance, en marge du pouvoir pontifical. La PSB se heurta cepdt à d’importantes oppositions au sein même du clergé de France, et fut finalement abrogée en 1467. Question des rapports triangulaires entre le clergé, la monarchie et la papauté ne fut finalement réglé qu’au cours du XVIè s.

Le gallicanisme, néanmoins, avait pris son vrai visage : supériorité du concile sur le pape, union étroite entre le roi et l’Eglise de France, indépendance du roi au temporel face au Saint Siège, soustraction de l’Eglise de France par rapport au pape chaque fois que certaines libertés et franchises étaient menacées, capacité reconnue au roi d’intervenir pour examiner la législation pontificale destinée à l’Eglise de France et de légiférer, directement, en particulier en matière de discipline ecclésiastique.

Par-delà ce contrôle de plus en plus étroit que faisait peser le pouvoir sur l’Eglise, c’était la position même du roi de France en son royaume qui se trouvait renforcée, alors que s’était affirmée depuis quelques décennies déjà le principe de la permanence de l’Etat.

§ III- L’évolution vers un droit commun coutumier (XVIè-XVIIIè s.)

Amorcée par la réformation des coutumes qui intervint dès la 2nde moitié du XVIè s. (A), elle fut surtout encouragée par le développement d’une réflexion doctrinale originale qui s’épanouit pdt les 2 derniers siècles de l’AR (B).

A- Le mouvement de réformation

Le XVIè s. fut une période de modernité et de mutations culturelles, sociales, économiques, politiques. Assez rapidement, les 1ères rédactions de coutumes apparurent insuffisantes ; parfois effectuées trop vite, sans réflexion, elles firent l’objet d’une critique constructive de la part des commentateurs qui comparèrent leurs dispositions au droit commun et à la jurisprudence des plts et déplorèrent lacunes et contradictions. Charles Du Moulin (1500-1566) dénonça notamment l’hétérogénéité des coutumiers, et préconisa la formation d’un droit coutumier commun à toute la France qui s’inspirerait principalement de la coutume de Paris dont il assura un commentaire abondant.

Ainsi, pour adapter le droit aux nouvelles données socio culturelles, pour combler les carences et tenter une cohérence, le pouvoir royal fit procéder à la réformation des principales coutumes françaises entre 1555 et 1581 en utilisant la même procédure que pour leur rédaction.

Mouvt répondant largement à l’attente des juristes du temps et de l’opinion. Il fut surtout réalisé ds l’immense ressort du plt de Paris et fut en partie l’œuvre d’un seul homme : Christofle de Thou, 1er président du plt désigné comme commissaire royal. Humaniste et juriste de qualité, en même temps qu’homme modéré, il chercha surtout à harmoniser, à écarter les coutumes déraisonnables en essayant de faire adopter des solutions tirées de la jurisprudence du plt de Paris, ss pour autant dédaigner les règles d’origine romaine. Aboutit ainsi à une relative unification d’une partie du droit français sur la base du droit parisien : Réforme de la coutume de Paris (1580) fit passe le nombre de ses articles de 120 à 372. Pareillement, réforme de la coutume de Bretagne par Bertrand d’Argentré (1580).

Tendance générale à l’actualisation et à la clarification également perceptible ds d’autres pays d’Europe comme les PB. S’achève avec le XVIè s : on ne révisa guère les coutumes aux XVIIè et XVIIIè s. et seules qques rares rédactions furent entreprises au XVIIIè s. D’une manière générale, les textes réformés du XVIè s restèrent en vigueur jusqu’à la fin du l’AR. En effet, au XVIIIè s. la monarchie freina les nouvelles rédactions ou réformations qui auraient remis en vigueur des coutumes archaïques auxquelles la loi du roi aurait pu se substituer sans douleur. Il arriva d’ailleurs que le roi réglât par voie législative les difficultés inhérentes à certains articles totalement inadaptés. La souveraineté juridique du monarque s’en trouvait ainsi ponctuellement renforcée.

Au XVIIIè, le mot d’ordre n’est plus à la réformation des coutumes, mais plutôt à l’élaboration d’un droit commun coutumier.

b- Les tendances à l’unification du droit

Imptce jouée par la coutume de Paris ds ce mouvt : appelée de ses vœux par Dumoulin, sa réforme fut l’œuvre de de Thou qui en supprima les dispositions locales, en modéra les rigueurs, en romanisa l’esprit et en assura une certaine rationalisation : volonté de mettre en accord les articles de droit et les arrêts du plt. C’est pourquoi ds tt le ressort de celui ci (1/3 de la superficie du royaume) on reconnut la coutume de Paris comme modèle. D’autres provinces s’en inspirèrent ouvertement, voire l’adoptèrent purement et simplement . L’autorité royale l’imposa par ailleurs au Canada et ds les Antilles.

Ainsi, aux XVIIè-XVIIIè s., par l’effet de la centralisation, la coutume de Paris affirma sa prépondérance et devint l’expression d’une sorte de droit commun coutumier en formation.

Tdce allant ds le sens de ce que désirait l’opinion publique, comme en témoignent plusieurs cahiers de doléances du XVIè s. qui réclamèrent aussi bien la codification des ordonnances royales que celle des coutumes. Toutefois, c’est au sein de l’école doctrinale française que le commentaire comparatif et scientifique des différentes coutumes fit le plus progresser l’idée d’unification du droit.

Antoine Loysel (1536-1617), avocat, publia en 1607 un ouvrage intitulé de manière significative les Institutes coutumières où il entendait « réduire à la conformité d’une seule loi [les coutumes] plongées sous l’autorité d’un seul roi. ». Une fois encore, l’unification juridique devait parfaire l’unité politique. Recherchant l’esprit du droit coutumier traditionnel en remontant aux sources, il réduisait chaque institution juridique en principes élémentaires en les dégageant des divergences secondaires. La synthèse était alors formulée en maximes brèves qui firent bcp pour la formation d’une culture générale juridique du droit français.

Jean Domat (1625-1696) : représentant de l’école dogmatique : publia de 1689 à 1694 Les loix civiles ds leur ordre naturel, où il se proposait de donner un tableau d’une législation tant de droit public que de droit privé, conforme à la nature humaine et à la raison : 1ère synthèse juridique des Temps modernes, donnant au droit sa dimension scientifique et théorique.

Pothier (1699-1772) : après avoir été magistrat, consacra les 22 dernières années de sa vie à la Faculté des droits d’Orléans. Publia à partir de 1760 une longue série de courts traités, méthodiques et clairs, sur toutes les matières du droit français, en les comparante t rapprochant du droit romain. Exerça une influence décisive sur les rédacteurs du Code civil ?

Ds l’ensemble, à l’exception de Domat, droit français cristallisé à l’abri des tendances rationalistes qui prévalaient à la même époque aux PB ou en Allemagne. Volonté pragmatique de réaliser une synthèse réaliste des coutumes, du droit écrit et du contenu de certaines ordonnances royales. Cf. déclaration de Portalis : souhaite « conserver tout ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire. » effort qui ne fut consacré qu’avec la nécessaire table rase opérée par la Rév. et la volonté politique manifestée par Bonaparte.

Introduction

1) Brève exégèse du titre

– il s’agit d’une introduction historique, c’est à dire d’un exercice qui n’aborde pas le fond actuel de la matière, mais qui se propose de mieux la faire comprendre en l’abordant dans sa dimension historique et chronologique. On le verra, ce point de vue diachronique est particulièrement pertinent s’agissant du droit anglais, puisque celui-ci est structurellement ancré dans l’histoire, dont il ne cesse de se nourrir pour avancer.

De façon à honorer cette dimension, nous avons fait le choix d’un plan à forte structuration chronologique.

– cette introduction historique porte sur les « systèmes juridiques européens ». Il convient en premier lieu de critiquer cette notion de « système » qui est surdéterminé d’un point de vue théorique (le droit comme « système » : cf. Kelsen, Troper, Teubner, etc.) et qui peut poser pb d’un point de vue historique (le droit apparaissant aux yeux des historiens beaucoup plus comme un champ de forces ou comme une dynamique instable que comme un système clos).

Pour autant, si l’on accepte de dépasser cette difficulté d’approche, cette expression fait référence à deux grands mondes juridiques :

  • le monde continental, dominé par le droit romano-germanique : c’est celui dans lequel s’est développé le droit français. Couvre tout le continent européen et l’Ecosse. Son émergence est due à la redécouverte du droit romain puis à la reconstruction de l’Etat : double influence des docteurs des universités et des légistes de cour. D’où un caractère savant, abstrait, centralisateur. Droit écrit, fixé dans la forme législative d’une parole d’autorité. La règle de droit y revêt préférentiellement la structure abstraite d’un impératif catégorique, impersonnel, visant la conformité à des règles de conduite déterminées : possède un caractère programmatique, qui s’épanouit particulièrement dans la codification.
  • Le monde anglo-saxon, qui a vu l’avènement de la common law au XIIè siècle. Historiquement parlant, la common law fut la plus précoce. Elle est liée à l’âge d’or de la monarchie judiciaire, à l’idéal du roi-juge. D’où l’importance spéciale qu’y revêtent les garanties juridictionnelles, la forme processuelle, le débat dialectique. Droit fondamentalement oral, parlé, débattu, construit sur un équilibre toujours à conquérir. Common law modelé par des juges qui avaient des pbs à résoudre et des jurys qui devaient faire apparaître collectivement la vérité. Règle de droit vise donc avant tout à donner une solution concrète à un procès, non à définir une norme à valeur générale. Appel constant au bon sens, à la congruence, à la raison. Pragmatisme de la démarche. Common law est d’ailleurs moins un système qu’une sorte de nébuleuse conglomérée au fil du temps.

2) Quelques mots sur la méthode : le comparatisme

Développement du droit comparé comme science = un phénomène relativement récent, qui ne remonte pas au delà du XIXème siècle. Pendant des siècles, science du droit s’est efforcée de dégager les principes et les solutions d’un droit juste, conforme à la volonté de Dieu, à la nature et à la raison. Elle était dissociée du droit positif.

En outre : idéal du jus commune hérité de la renaissance du droit romain.

Il faut attendre le XIXè, l’apparition des grandes disciplines académiques, les codifications, l’éclatement du jus commune, la montée des nationalismes pour que la notion d’un droit de valeur universelle tombe en discrédit et pour que l’opportunité puis la nécessité du comparatisme finisse par s’imposer.

Etude qui obéit, d’ailleurs, à une certaine actualité politique, celle de la construction européenne : réduction recherchée des différences. A l’histoire d’une diversité persistante, voire d’une concurrence agressive répond l’actualité d’un projet d’unification juridique. Le passé, déchiré, est assumé au nom d’un avenir rayonnant et serein où le droit se taille la part du lion, avec le libéralisme économique. Le droit apporte sa pierre à la construction à venir. Il n’est plus au service de souverainetés nationales rivales, comme il avait pu l’être au XIXème siècle. Il façonne l’unité européenne à coup de directives et de jugement de la CJE.

L’utilité du comparatisme n’est donc pas seulement heuristique et pédagogique. Elle est aussi politique.

Mais : difficultés du comparatisme :

  • suppose une connaissance suffisante des objets comparés
  • suppose une certaine neutralité axiologique : pas un droit meilleur qu’un autre.
  • En l’occurrence difficulté accentuée par le fait que e cours s’adresse à des débutants dans les deux droits et qu’au comparatisme spatial s’ajoute le comparatisme temporel (dimension historique) : il faudra donc procéder avec la plus grande prudence.

Plan de l’étude

Afin de répondre aux différents écueils présentés dans l’introduction (la nécessité d’une analyse sur la longue durée conjointe à une connaissance souvent insuffisante des familles de droit à étudier), le plan s’articule autour de deux grandes parties dédiées l’une à la famille de la common law, l’autre aux droits romano-germaniques.

Pour des raisons purement pédagogiques, c’est à l’intérieur de chacune de ces parties que se fera le séquençage chronologique puis que viendra prendre place la démarche comparatiste.

1ère partie. Le monde de la Common law.

Remedies precede rights

Introduction

Jusqu’au XIXè siècle, présence, en Angleterre, comme dans tous les pays d’Europe, d’une multiplicité de droits : droit canonique, droit romain, droit seigneurial, droit coutumier, droit des marchands.

Focus sur deux traditions juridiques :

  • le droit romain. Loin d’être totalement ignoré en Angleterre, le droit romain y fit l’objet, tout comme le continent européen, d’ailleurs, d’une double réception :
    1. aux XIIè-XIIIè siècles. Dès l’époque de la conquête normande, l’un des premiers gestes de Guillaume fut de faire venir à ses côtés le célèbre Lanfranc, juriste de l’école de Pavie, qui devint archevêque de Canterbury. Sur ce siège, Lanfranc exerça une certaine influence sur la législation établie par Guillaume, en facilitant, grâce à la méthode romaine, la transformation du droit antérieur, en assurant la transition entre les règles anglo-saxonnes et la création du droit nouveau. Les successeurs et disciples de Lanfranc sur le siège de l’archevêché de Canterbury (primatie d’Angleterre), Anselme puis Théobald, maintinrent la tradition romaniste. Théobald appela même en Angleterre Vacarius, le premier professeur et le réel fondateur de l’étude du droit romain et du droit canonique dans ce pays. On sait que Vacarius enseigna notamment à Canterbury et qu’il fut à l’origine directe de la tradition de l’enseignement universitaire du droit romain en Angleterre.

A l’époque de Glanvil (fin XIIè), le droit romain avait engendré des règles, inspiré des comparaisons, suggéré des réformes qui eurent une influence notable sur le droit anglais. Mais par dessus tout, il a fourni une méthode de raisonnement approprié aux matières juridiques et assuré la diffusion d’un langage technique bien distinct de celui de la common law.

Le représentant le plus brillant de ce courant romaniste = le grand juriste Henry de Bracton (cf. infra).

A noter également que les tribunaux ecclésiastiques usèrent constamment du droit romain, sous sa forme canonique, tout au moins jusqu’au XVIès siècle.

  1. La réception du XVIè siècle. Du XIIIè au XVIè, la common law n’a cessé de s’affirmer, dominant exclusivement les cours de Westminster. Toutefois, deux changements majeurs intervinrent au XVIè siècle, provoquant de fait une seconde renaissance du droit romain :
    1. La réforme de l’Eglise d’Angleterre porta un coup mortel au droit canonique, qui cessa d’être enseigné. Pour éviter que les études de civil law ne succombassent du même coup, deux chaires royales furent à Oxford et Cambridge : titre de Regius professor. La couronne avait en effet tout intérêt à conserver l’étude du droit civil dans le cadre des universités, car il permettait de trancher de nombreuses questions diplomatiques et commerciales qui mettaient les représentants du droit en contact direct avec les juristes romanistes du continent. En outre, les Tudors avaient un intérêt politique à favoriser un droit romain à forte dominante absolutiste.
    2. 2ème circonstance favorable : la crise de la Common Law au XVIè siècle, en raison de son hyper formalisme et de son archaïsme : baisse importante du nombre d’affaires traitées par le cours de Westminster et développement concomitant de la juridiciton d’Equity et d’autres juridictions spéciales (star chamber) non soumises à la CL.

Au total, le droit romain n’a jamais cessé d’être enseigné et pratiqué en Angleterre depuis le XIIè siècle, mais il y a joué un rôle secondaire, cantonné à certain segments de la vie juridique.

  • L’incorporation de la law merchant. La consuetudo mercatorum s’est développée sur le continent au cours du MA, grâce aux juridictions dites « consulaires ». Elle fut également reçue précocement outre Manche sous le vocable de Ley merchande ou law merchant dans les cours spécialement affectées à la connaissance des litiges commerciaux :
    1. Cours des portes et des villes (Londres, Newcastle, Bristol…)
    2. Cour des piepoudrés (foires)
    3. Cours des villes désignées come places d’entrepôts
    4. Juridictions arbitrales diverses organisées par les guildes

Peu à peu, la centralisation de l’organisation judiciaire anglaise entraina la disparition des petits tribunaux au profit d’un prétoire unique : la cour de l’Amirauté, qui tirait ses origines d’une juridiction disciplinaire de la flotte royale. Elle se tenait à Londres et sa compétence ne cessa de croître : connut, à partir de la fin XVIè, de l’ensemble du droit commercial, tel qu’il avait été développé d’après les principes du civil law. Triomphe de la cour de l’Amirauté au XVIIè fut de courte durée :

  • sur la compétence : concurrence victorieuse des cours de CL
  • sur le fond du droit, intégration progressive du droit commercial par la CL. D’abord traité comme une coutume spécifique et donc donnant lieu à l’audition d’experts, puis, considéré comme une simple branche de la CL dès la fin du XVIIIè : process inverse de celui qui s’observe en France à partir de Colbert, qui tend à une singularisation du droit commercial par rapport au droit civil.

Pour autant, malgré la persistance de droits plus ou moins irréductibles à la CL, le trait marquant de l’histoire et de l’identité juridique anglaise : la common law. C’est sur elle que nous allons donc, fort logiquement, concentrer toute notre attention.

D’abord un bref point de vocabulaire :

Common law : vocable intraduisible en français, « droit commun » ayant un sens différent et « loi commune » ne renvoyant à rien de juridiquement précis. Le genre de cette expression est variable selon les auteurs (féminin ou masculin).

L’expression « commune ley » se rencontre dès le XIIIè siècle, traduisant bien la prise de conscience d’une spécificité juridique : commune ley distincte du droit canonique, des coutumes locales, de la ley merchande, du civil law. Le vocable aurait été choisi à l’imitation des canonistes qui opposaient le jus commune (droit général de l’Eglise) aux consuetudines qui faisaient obstacle à l’unité du droit de la chrétienté.

Polysémie du terme :

  • un sens large : droit non écrit, par opposition au droit écrit (statute law)
  • un sens étroit, plus spécifique : coutume générale du royaume élaborée par les cours royales depuis le XIIè siècle : remarquable continuité du droit.

A ce point de la réflexion, il convient sans doute de s’interroger sur les causes de l’émergence précoce et de la cristallisation rapide de la CL, alors que les royaumes du continent européen étaient encore en proie aux divisions féodales et à l’hyper dispersion du droit.

A noter, d’ailleurs, le caractère très idéologique du sujet. Ainsi, très longtemps, « les Anglais ont été persuadés de l’antiquité immémoriale de leur système juridique : pour John Fortescue (juriste du XVè siècle), la CL d’Angleterre est fondée sur le plus ancien et vénérable corpus de coutumes existant dans le monde. L’Angleterre ea été gouvernée par les Bretons , les Romains, par les Bretons encore, les Saxons, par les Danois, par les Saxons à nouveau et finalement par les Normands. Mais ces coutumes sont les mêmes, eles n’ont jamais été changées par les conquérants : pourquoi changer ce qui reste meilleur ? On trouve l’écho distant de ce tableau flatteur dans les écrits de Sir Edward Coke et de sir Jon Davies (juristes du XVIIè). Le récent réexamen des sources par Paul Brand montre que le grand changement se situe sous Henri II ».

3 causes principales sont identifiables :

Causes structurelles de l’émergence de la CL :

  • La faiblesse de la romanisation.

Occupation partielle de la grande ile par les Romains, pratiquement toujours restés au sud du mur d’Hadrien (cf. Cartes).

La Bretagne romaine Hadrian's wallHadrian's wall reconstitution

En outre, romanisation demeurée superficielle, limitée à la plaine et aux villes. Caractère fondamentalement militaire de l’occupation. La plupart des vestiges sont de caractère militaire.

Christianisation également superficielle, ne résista pas aux invasions germaniques. Elément celtique pas étouffé comme en Gaule et a gardé une importance fondamentale dans l’histoire sociale et politique du pays.

Entre 410 et 450, les Romains évacuent la Bretagne, pour défendre le continent : cœur de la romanité. Ile livrée aux infiltrations de peuplades diverses : Celtes (Pictes d’Ecosse, Scots d’Irlande), populations germaniques : Angles, Jutes, Frisons, Saxons venus de Germanie et du littoral gaulois. Après avoir progressé lentement, l’expansion prend une forme active dès la seconde moitié du VIème siècle, se répandant d’Est en ouest et marginalisant les Bretons en Cornouailles et dans le pays de Galles, voire en Armorique, où beaucoup émigrent au cours du VIème siècle. Invasions sans doute assez brutales, qui vont se traduire dans un premier temps par un certain chaos, puis, à partir du VIème siècle, par une organisation politique à plusieurs royaumes : c’est l’heptarchie anglo-saxonne. Intensité des luttes politiques entre les royaumes.

Culturellement, cette situation peut être illustrée par une singularité linguistique. « La fortune du latin ne fut longtemps pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul dès le Xème siècle à développer une littérature et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire. Les traductions des grands textes voulues par Alfred le Grand, les œuvres religieuses d’Aelfric et de Wulfstan, les différentes versions de l’Anglo-saxon chronicle régulièrement mise à jour, une épopée comme Beowulf et la rédaction de nombreuses chartes offrent, entre le IXè et le XIè siècle, un éventail de textes vernaculaires d’une richesse et d’une variété sans égales dans le reste de l’Occident. Mais la conquête normande a tout changé : reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné. ».

  • La précocité du self government :

C’est un héritage du passé celte, mais sans doute aussi de l’administration anglo saxonne. Sur la plan social en effet, la domination anglo-saxonne s’est traduite par une importante classe d’hommes libres, à la fois cultivateurs et guerriers, qui ont pris possession des anciens villages bretons et en ont adopté les pratiques collectives et les règlements.

L’administration est centrée autour du village (township), qui constitue l’unité fiscale et légale de base, puis l’unité paroissiale avec la christianisation. Celle-ci fut tardive et n’intervint pas avant la fin du VIème siècle, avec l’envoi en mission d’Augustin par le pape Grégoire en 597 : il en subsista toujours une proximité particulière avec le siège romain. L’Eglise anglaise ne fut structurée qu’au VIIème siècle par Théodore de Tarse (669-690), autour des deux sièges principaux de Canterbury (siège primatial) et d’York.

Toujours sur la plan administration, au dessus du township, on trouve la centaine (hundred), sorte d’équivalent saxon du pagus carolingien. Il s’agit d’un district judiciaire, où toutes les 4 semaine se tient une cour pour juger les criminels. L’apparition des justices seigneuriales et l’organisation des tribunaux royaux en affaiblit l’importance, sans jamais faire disparaître la cour de centaine.

Au dessus de la centaine : le shire, que les Normands appelleront « comté ». Il s’agit d’un cadre territorial plus vaste. Apparu initialement dans le oryaume anglo-saxon du Wessex, s’est propagé dans les autres royaumes en raison de son utilité pour le gouvernement monarchique. Formation de 39 comtés qui existent encore. Deux fois par an s’y réunissait une cour de justice. La direction du shire était assurée par un chef de guerre, l’ealdorman et par un fonctionnaire, chargé de percevoir les revenus du roi (en particulier le danegeld : cf. infra) : le sheriff.

heptarchie anglo saxonne Casque de parade de Sutton hoo (reconstitution)

3) Une cause conjoncturelle majeure : la conquête normande

La conquête normande de l’Angleterre est l’invasion du royaume d’Angleterre par le duc de Normandie Guillaume le Conquérant, qui a culminé avec la bataille d’Hastings en 1066 et qui s’est traduite par l’appropriation de ce territoire par les Normands.

Loin de se limiter à la seule année 1066, elle se prolonge pendant près de cinq ans, jusqu’en 1070. C’est un événement capital dans l’histoire du Moyen Âge pour plusieurs raisons. Elle a pour conséquence première la réunion du duché de Normandie et du royaume d’Angleterre L’élite anglo-saxonne, vaincue, disparut au profit d’une autre, venue du continent. Les conquérants apportèrent leur langue et leur culture. Détaché de l’influence de la Scandinavie, le pays sera dorénavant beaucoup plus étroitement lié à l’Europe continentale. Surtout, 1066 prépare la montée en puissance de l’Angleterre qui bientôt intégrera le cercle des monarchies les plus puissantes d’Europe.

Origines : une conquête mûrement préparée

Les liens entre Angleterre et Normandie précèdent largement la conquête de 1066. Longtemps commerciaux, ils se renforcent autour de l’an 1000. Deux traités sont conclus. Les Normands jurent notamment de ne pas soutenir les Vikings qui depuis plusieurs dizaines d’années intensifient leurs raids sur l’Angleterre. En 1002, le roi anglo-saxon Æthelred II épouse Emma, la sœur du duc de Normandie Richard II. Les attaques vikings contre l’Angleterre prennent une telle ampleur qu’en 1013, Ethelred et ses deux fils fuient leur royaume et se réfugient en Normandie. Richard II accueille les exilés. Outre-Manche, le Viking Knut II de Danemark monte sur le trône (1016). Ce n’est qu’en 1042 que le fils aîné d’Ethelred, Édouard le Confesseur, fortement normanisé, peut retourner en Angleterre pour régner. Pendant ce règne : noyautage méticuleux de la cour d’Angleterre par des ecclésiastiques et des nobles normands.

La mort d’Édouard, en 1066, sans enfant ni héritier direct au trône, crée un vide institutionnel que tentent d’occuper trois partis concurrents :

  • Le premier est Harald Hardraada le Norvégien, lié par le sang à la famille anglo-saxonne.
  • Le second est Guillaume le Bâtard, que le défunt aurait désigné comme héritier.
  • Le troisième est un puissant aristocrate anglo-saxon du nom de Harold Godwinson, élu roi à la manière anglo-saxonne traditionnelle par le Witan

Apprenant que Harold est monté sur le trône, Guillaume convoque les principaux barons normands et les convainc de se lancer à la conquête du royaume, avec l’aide du pape Alexandre II, qui transmet au duc de Normandie son propre étendard. En moins de dix mois, il parvient à rassembler dans l’estuaire de la Dives une flotte d’invasion d’environ 600 navires et une armée estimée à 7 000 hommes.

Ces préparatifs comprennent également d’importantes négociations diplomatiques. Il s’agit de se trouver d’abord des alliés.

Il s’agit notamment d’éviter que les principautés voisines (Bretagne, Flandre, Anjou, etc.) ne profitent de la campagne pour s’emparer de la Normandie. En outre, Guillaume désigne de grands vassaux : Roger de Beaumont, Lanfranc, Roger II de Montgomery pour gouverner le duché en son absence. Beaucoup de soldats dans son armée sont des puînés auxquels le droit d’aînesse laisse peu de chance d’hériter d’un fief. Guillaume leur promet, s’ils se joignent à lui en apportant leur propre cheval, une armure et des armes, qu’il les récompensera avec des terres et des titres dans son nouveau royaume.

 tapisserie de Bayeux

Une conquête rapide

La bataille de Stamford bridge

Retardée quelques semaines par des vents défavorables et des conditions météorologiques contraires, l’armée normande attend dans la baie de Saint-Valery-sur-Somme le moment propice pour embarquer tandis que le sort de l’Angleterre continue à se jouer dans le nord de l’Angleterre envahi en septembre par le roi norvégien Harald Hardraada qui conquiert York le 20 septembre et trouve des alliés (Morcar de Northumbrie, les Écossais, etc.). Harold II d’Angleterre, dont les forces sont réunies à la va-vite, marche néanmoins vers le nord et, le 25 septembre, surprend les Vikings à la bataille de Stamford Bridge. C’est une victoire pour le roi anglo-saxon. Le roi norvégien y meurt.

Hastings

Poussée par un vent enfin favorable, l’armada normande débarque entre temps dans la baie de Pevensey (Sussex) le 28 septembre 1066 quelques jours à peine après la victoire d’Harold sur les Norvégiens. Cette conjonction s’avère cruciale : l’armée d’Harold déjà épuisée par les combats contre Harald doit traverser à marches forcées toute l’Angleterre du Nord au Sud et se battre contre un ennemi reposé et qui a eu le temps de se retrancher. Guillaume ne tarde pas à prendre pour base la bourgade voisine de Hastings où il met sur pied un château de terre et de bois. Le choix du Sussex comme lieu de débarquement est une provocation directe pour Harold car cette région était son domaine personnel. Guillaume commence immédiatement à ravager la terre ce qui incite peut-être Harold à répondre dans la précipitation au lieu d’attendre des renforts de Londres.

La rencontre entre les deux armées a lieu le 14 octobre, à Hastings. Lors de cette bataille, la cavalerie normande enfonce les lignes anglo-saxonnes. Harold trouve la mort et l’armée anglo-saxonne s’enfuit.

Couronnement

Après sa victoire à Hastings, Guillaume se dirige vers Londres, en passant par le Kent.

Il y recevra la soumission de Stigand, l’archevêque de Cantorbéry. Le reste des nobles saxons s’étant rendus à lui, il est proclamé roi d’Angleterre fin octobre et couronné le 25 décembre 1066 à l’abbaye de Westminster.

Carte de la conquete normande

Les conséquences de la conquête

1) les conséquences sociales.

Une fois l’Angleterre conquise, les Normands eurent à faire face à un certain nombre de défis pour conserver le contrôle du pays. Les normannophones étaient, par comparaison avec la population anglaise autochtone, en nombre extrêmement limité. Les historiens estiment leurs effectifs à 5 000 chevaliers en armure.

NB : L’Angleterre appartient au roi par droit de conquête (on y renviendra). Transfert massif des terres au détriment du groupe important des propriétaires libres qui existaient dans l’Angleterre saxonne. Dépossession générale

L’écrasement des anglo-saxons. Les seigneurs anglo-saxons étaient accoutumés à être entièrement indépendants, contrairement au système de gouvernement centralisé des Normands qui déplaisait aux Anglo-Saxons. Les révoltes commencèrent presque immédiatement dès le couronnement de Guillaume, mené par des membres de la famille de Harold ou des nobles anglo-saxons mécontents.

Guillaume relève ces défis de plusieurs manières.

  • Les nouveaux seigneurs normands construisent divers forts et châteaux tels que les mottes féodales afin de fournir un lieu retranché contre les soulèvements populaires (ou les attaques, de plus en plus rares, des Vikings) et pour dominer la ville et la campagne environnante.
  • Tout seigneur anglo-saxon refusant de reconnaître la légitimité de Guillaume au trône ou révoltant fut sommairement dépouillé des titres et des terres qui sont redistribuées aux favoris normands de Guillaume.
  • Tout seigneur anglo-saxon mort sans succession était toujours remplacé par un successeur normand.

C’est ainsi que les Normands éliminèrent l’aristocratie autochtone et prirent le contrôle des échelons supérieurs du pouvoir.

Le maintien de l’unité et de la loyauté des seigneurs normands était tout aussi important, toute friction pouvant donner aux autochtones anglophones une chance facile de division afin de vaincre la minorité normannophone. Guillaume a accompli ceci en accordant des terres morcelées. Un fief normand typique était éparpillé un peu partout en Angleterre et en Normandie. Ainsi, un seigneur essayant de se séparer du roi ne pouvait, à n’importe quel moment, défendre qu’un nombre restreint de ses fiefs. Ce système, qui s’est avéré constituer une force de dissuasion très efficace contre les rébellions éventuelles, a permis de conserver la fidélité de la noblesse normande au roi.

Une autre conséquence directe de l’invasion est la disparition quasi totale de l’aristocratie anglo-saxonne, tant militaire qu’ecclésiastique. Guillaume ayant confisqué les terres des rebelles pour les donner à ses défenseurs normands, il ne reste plus, au moment de l’établissement du Domesday Book, que deux propriétaires fonciers anglais d’importance à avoir survécu aux purges. En 1096, tous les évêchés sont passés aux mains des Normands. Dans le courant du xiie siècle, l’assimilation progressa. À tel point que certains descendants de conquérants normands se considéraient principalement comme des Anglais.

Domesday_Book_-_Warwickshire Domesday-Book

Aucune autre conquête dans l’Europe du Moyen Âge n’a eu de conséquences aussi désastreuses pour la classe régnante vaincue. Le prestige de Guillaume parmi ses partisans a reçu une prodigieuse impulsion due à sa capacité à leur attribuer à faible coût de vastes terres. Ses récompenses ont également servi à affirmer son propre pouvoir, chaque nouveau seigneur étant soumis à l’obligation de construire un château et de soumettre les autochtones. La conquête a donc été un système en renouvellement perpétuel.

2) Les conséquences culturelles.

Les conquérants apportèrent leur langue, donnant naissance à l’anglo-normand, évinçant l’anglo-saxon d’origine germanique dans les classes dirigeantes. Jouissant du statut de langue de prestige pendant près de trois siècles, l’anglo-normand eut une influence significative sur l’anglais moderne. C’est à cause de ce premier afflux principal des langues latines ou romanes dans la langue parlée prédominante en Angleterre, que celle-ci a commencé à perdre beaucoup de son vocabulaire germanique et scandinave, bien qu’elle ait, dans nombre de cas, maintenu la structure de la phrase germanique. Ainsi le mot anglais cat (provient de « cat » en normand, « chat » en français), de même que war (« werre » en normand, « guerre » en français) ou garden (« gardin » en normand, « jardin » en français)…

3) Les conséquences politiques : création de la monarchie anglo normande, sur les deux rives de la Manche.

Une interprétation de la conquête consiste à affirmer que la conquête de l’Angleterre en a fait un désert économique et culturel sur près d’un siècle et demi. Peu de rois d’Angleterre résidèrent réellement pour une durée significative en Angleterre, préférant leur patrie normande et se concentrer sur leurs possessions françaises plus lucratives. En effet, quatre mois après la bataille d’Hastings, Guillaume a laissé la charge de l’Angleterre à son demi-frère tandis qu’il retournait en Normandie. Le pays est resté une annexe sans importance des terres normandes et plus tard des fiefs angevins d’Henri II.

À l’inverse, une autre interprétation affirme que les rois normands ont négligé leurs territoires continentaux où ils devaient, en théorie, fidélité aux rois de France, afin de consolider leur puissance dans leur nouveau royaume souverain d’Angleterre. Les ressources investies dans la construction de cathédrales, de châteaux et dans l’administration du nouveau royaume aurait détourné l’énergie et la concentration nécessitée par la défense de la Normandie. De même, les barons auraient progressivement négligé leurs terres normandes pour développer leur patrimoine anglais, souvent plus important et plus riche.

La perte du contrôle de la Normandie continentale a divisé les familles dont les membres durent choisir entre la loyauté et la conservation de leurs terres.

Au total : conquête normande a profondément changé le modèle de l’Angleterre, en y introduisant un nouveau modèle socio-politique, dominé par la figure royale, une unification territoriale précoce et une très forte structuration de l’aristocratie. C’est dans ce contexte qu’est née la common law : fruit de la recomposition politique consécutive de la conquête.

Paradoxe de la CL : née d’un projet politique de domination (chapitre 1), est devenue, dès le XIIIè siècle, un outil d’affranchissement (chapitre 2).

Pour autant, la CL ne suffit pas à elle seul à résumer toute la richesse du système anglais : existent à ses côtés d’autres droits (l’Equity, la loi), dont il conviendra de préciser le fonctionnement et les contenus (chapitre 3).

chapitre I : L’émergence d’un droit national.

La common law

L’apparition de la CL est tout sauf un hasard historique. C’est très directement le fruit de la conquête normande et d’un projet royal de domination politique et judiciaire. Il importe donc de préciser en premier lieu quelles furent les conditions d’émergence de cette singularité juridique (section II) avant, de détailler les principaux caractères revêtus par les innovations royales en matière juridictionnelle (section II).

Section I- Des conditions socio-politiques exceptionnelles

§I- La forte structuration de la société politique anglaise

Guillaume le conquérant a structuré lui-même l’aristocratie militaire et seigneuriale, en répartissant entre ses membres les terres conquises. De lui date la structuration en deux niveaux de l’aristocratie en « barons » (ce sont les « tenants en chef » et en « chevaliers », qui sont à l’origine de la future gentry.

A noter que le cordon ombilical entre le roi et la classe seigneuriale est toujours resté fort : des institutions aussi fondamentales, pour la structuration de cette classe que la chevalerie d’une part et l’organisation du parlement de l’autre le prouvent

Ensuite, l’ensemble des relations entre ces hommes ainsi que tout ce qui a trait à la détention de la terre est absorbé par les tribunaux royaux et le droit qu’ils pratiquent : la CL. Au total : alliance entre le roi et son aristocratie qui perdurera jusqu’aux Stuarts.

A- Les chevaliers et la gentry

Fluidité de ce groupe : ne s’est jamais mué en ordre, mais est resté ouvert et fluide, favorisant ainsi un dynamisme ascendant au sein de la classe seigneuriale et un brassage rapide avec d’autres groupes sociaux.

Les chevaliers continentaux installés par le Conquérant étaient peut être 4 à 5000. Leur niveau social était contrasté :

  • certains disposaient d’un bloc de domaines équivalent à 5 hides (environ 250 ha) et donc des revenus nécessaires à leur équipement : petite noblesse
  • d’autres, avec un ou deux hides, restaient dépendants de leur seigneur pour leur équipement ou leur subsistance : soldats professionnels.

Début XIIIè siècle, les choses ont changé :

  • les knights du premier groupe se sont détachés de la maison de leur seigneur, qui a du mal à obtenir leur présence.
  • Le second groupe a disparu e s’est fondu dans les couches supérieures de la paysannerie libre

L’évolution des structures sociales et économiques a altéré la situation de la classe chevaleresque, qui commence à se muer en gentry, et les rapports respectifs de ce groupe, et de la haute aristocratie avec la monarchie se transforment : augmentation rapide du prix de l’équipement réduit le nombre des chevaliers. Certains, qui disposent des revenus suffisants, refusent la chevalerie et ses contraintes : cascade d’obligations militaires et administratives imposées par le roi : bcp de chevaliers préfèrent rester écuyer (esquire) ou simples gentlemen : 1250 chevaliers seulement en 1310, quand ils auraient du être 3000.

Dans la société du comté, les knights restent au 1er rang de ceux qui assurent les nombreuses missions imposées par l’adm. Royale : juges, sheriffs, etc. . Un petit groupe de knights et d’esquires monopolisent ces positions : si la gentry est ouverte et mobile, les détenteurs d’offices locaux forment en son sein une élite relativement stable et fermée.

La gentry est donc étroitement associée à l’exercice du pouvoir royal. Roi a besoin de connaître son opinion : convocation de ses représentants, d’abord isolément puis dans le cadre des parlements. L’adhésion de la gentry fait le succès des réformateurs en 1258, de Simon de Montfort en 1263-1264, et du Lord Edouard en 1265. La collaboration administrative entre pouvoir et gentry = l’un des canaux par lesquels chemine le dialogue entre prince et élites sociales.

B- La noblesse des barons

100 à 200 familles maximum, dont le nombre n’a cessé de décliner au XIIIè. s. Cette noblesse stricto sensu comprend les magnats et les barons, deux catégories distinctes au XIIIè siècle qui se mêlent ensuite. .

1) Les historiens réservent le terme de « magnats » à la noblesse titrée (earls, comtes, et, à partir du règne de Richard II, ducs, marquis et vicomtes). Au total, une quinzaine de titres et de familles. En général, 12 à 15 earls seulement sont en activité aux côtés du roi et dominent le reste de l’aristocratie.

S’ils sont peu nombreux, leurs revenus et leurs terres les mettent largement au dessus des autres nobles.

2) Les barons sont les autres tenants en chef du roi, qui les convoque individuellement par un writ à leur nom au conseil puis au parlement : en raison de leur statut féodal et parce qu’il ne peut se dispenser de l’avis de ces vassaux importants.

La convocation au parlement modifie donc la nature de la noblesse anglaise : magnats et barons, désormais « lords » se fondent dans une noblesse distinguée par sa participation à ce qui bientôt s’appelle la chambre des lords : la redéfinition de la noblesse par l’adjonction au groupe restreint des magnats de celui des barons au sein de l’ensemble plus large des pairs parlementaires = un résultat de l’action de la monarchie.

L’hérédité féodale est la règle chez les magnats, le fils ainé héritant seul du titre et de la noblesse. Dans la seconde moitie du XIVè siècle, l’hérédité des lors s’impose à son tour. Quand un lord meurt, son fils ainé est automatiquement convoqué au plt.

Mais rôle déterminant de la fortune : il faut un certain niveau de revenu pour être lord. La famille qui a acquis cette fortune est tôt ou tard promue, et le roi ne peut créer un lord pauvre. Le roi suit donc avec attention l’évolution de la fortune foncière des membres de la noblesse. La mécanique féodale des wards est particulièrement efficace : quand l’héritier d’un tenant en chef est mineur, il devient le pupille (Ward) du roi, qui peut donc gérer à son profit ses domaines et lui donner un conjoint à sa convenance. Nombreuses alliances avec la famille royale : alors qu’en France les princes des fleurs de lys forment un groupe à part, la famille royale anglaise se mêle étroitement, par ses alliances, au reste de l’aristo.

Forte compétition entre famille et réduction continue du nombre de familles.

Importance du service de la couronne : chanceliers, trésoriers. Le roi compte sur ses lords pour exercer un rôle dirigeant au niveau régional : mission de good lordship et de maintien de l’ordre qui ne prendra fin qu’avec les Tudors et les Stuarts, désireux, pour leur part, de court-circuiter un pouvoir noble jugé trop dangereux.

NB : mobilité sociale plus forte qu’en France. Est principalement activée par le service du roi.

C- Les stratégies de contrôle et de transmission des terres

Angleterre = terre de conquête. Tout terre est fief et donc la transmission du fief conditionna la reproduction sociale et les stratégies familiales : le tenant d’un fief ne peut disposer librement de son héritage (car c’est la contrepartie du service militaire dû au roi). Coutume prévoit :

  • transmission de la terre et des titres par primogéniture mâle
  • à défaut, terres partagées à égalité entre les filles
  • aliénation interdite par le roi en 1256
  • sous inféodation interdite par statut de 1290 (Quia emptores)

En réalité, aristo anglaise soumis plus que toute autre à son seigneur unique : le roi, seigneur suprême de tous ces fiefs. Importance de la pratique du Ward

Bastard feudalism :

  • relations entre seigneur (lord) et vassaux deviennent étroitement contractuelles. L’argent remplace la terre.
  • Le fief cesse d’être un élément déterminant

Contrôle direct ou indirect de l’Etat

Développement de la CL et des tribunaux royaux, à partir du XIIIè s offre aux membres de la société aristocratique une série d’instruments qui leur permet de disposer de leurs biens et d’obtenir de solides garanties contre toute tentative d’usurpation. La tenure en fief se rapproche ainsi de la propriété pure et simple.

  • L’entail, décrite dans le statut de Westminster II (1285) : permet de transmettre une terre et de régler sa transmission aux générations suivantes. L’objectif est de permettre la dotation des branches cadettes, tout en garantissant un retour à la branche principale à défaut d’hériter mâle (même mécanisme que l’apanage). Consiste à remettre au roi les terres tenues de lui en fee simple pour les recevoir de nouveau en fee tail, par exemple en tail male, assurant la transmission aux seuls mâles, la terre revenant au donateur ou à ses descendants directs à défaut de fils. L’un des avantages de l’entail, dans les luttes politiques des XIVè-XVè siècles est de garantir contre les confiscations : l’entail équivaut en effet à une donation. Le donateur continue à avoir l’usufruit du bien, mais une fois l’entail constituée, elle n’est plus modifiable, et le donateur ne peut plus disposer de son bien. On ne peut davantage le lui confisquer. Cela peut d’ailleurs devenir un inconvénient, par ailleurs en cas de remariage, lorsque tous les biens sont bloqués sur la descendance du premier lit par entail. Un âtre système se développe donc parallèlement : celui des uses.
  • Les uses sont une fiction juridique. Un homme (le cestui que use ou feoffor) donne ses biens à des hommes de confiance (feoffes). Les feoffes sont les vrais propriétaires aux yeux de la CL. Mais ils doivent tenir les terres à l’use du feoffor sa vie durant et les transmettre selon les volontés exprimées dans son dernier testament. Les feoffees sont tenus de respecter les volontés du donateur. S’ils ne le font pas, sont jugés en équité par la cour de chancellerie, jugeant en droit romain. Comme l’entail, les uses garantissent contre les confiscations. Mais dans ce cas, la liberté du testateur reste entière jusqu’au bout. Très large recours aux uses à partir de la fin XIIIè: deviennent une méthode privilégiée d’intervention sur les marché de la terre.

Pour prospérer, il faut combiner judicieusement ces différents instruments, tout en s’assurant, par le biais des feoffees et le choix des alliances matrimoniales, les soutiens locaux et nationaux permettant de soutenir la fortune d’un lignage. Les protections politiques du bastard feudalism sont ici déterminantes.

§II- La puissance de la monarchie britannique

Aperçu historique sur le règne des Plantagenets.

Le règne de Henri II (1155-1189). Ce roi n’est pas un Normand. Sa mère, Mathilde, descendait des anciens rois saxons. Son père était Angevin et lui-même est né au Mans. C’est un prince cosmopolite, subtil entreprenant et ambitieux. Peu de souverains furent aussi puissants pendant le Moyen âge

L’Angleterre n’est qu’une faible partie de ses domaines. Il l’agrandit par l’annexion de l’Irlande, conquise par l’aventurier Richard Strongbow; il oblige Alexandre d’Ecosse à se reconnaître son homme-lige. Ses guerres avec Louis VII le Jeune, premier époux de sa femme Aliénor d’Aquitaine, et les révoltes de ses fils ont mêlé étroitement son histoire à celle de la France

Enfin, sa querelle dramatique avec Thomas Becket est comme un écho attardé de la querelle des investitures.

Son gouvernement est une monarchie fiscale. L’échiquier d’Angleterre, dont le trésorier Richard Fitz-Neal expliqua le mécanisme dans son fameux Dialogus de Scaccario, devient l’organe essentiel de l’Etat.

L’ordre le plus minutieux est introduit dans l’administration des revenus royaux. On est frappé d’étonnement quand on examine dans le détail le jeu de ces rouages si compliqués en apparence, si simples en réalité. Quand ce roi maltôtier monta sur le trône le revenu royal n’était que de 22.000 livres sterling. Il le releva rapidement en reprenant les provinces du Nord perdues pendant les guerres civiles, du règne précédent. Il lève, sous le nom de scutage, un impôt de guerre sur tous les fiefs dont les titulaires ne se présentent pas à l’armée. Il peut ainsi équiper des armées mercenaires. Les comtes se révoltent, le roi écrase l’insurrection en 1174.

Par les assises de Northampton (1176), il divise le territoire anglais en six circonscriptions ou circuits dont chacun est assigné à trois juges qui vont de comté en comté rendre la justice. Ce sept les itinérant justices, et cette organisation subsiste encore dans ses traits essentiels. Ranulf Glanville, justicier d’Angleterre, écrit le Liber de legibus Angliae, dans lequel il codifie les coutumes saxonnes et les lois normandes. Dans la dernière année du règne, le revenu régulier de la couronne monte à 48.000 livres sterling.

Richard Coeur de Lion,  Jean sans Terre et Henri III.

Dur, brutal, fourbe et prodigue, Richard Coeur de Lion mérite peu la réputation chevaleresque que lui ont faite ses malheurs mérités. C’est le moins Anglais des rois du Moyen âge. S’il fut rançonné assez durement par l’empereur d’Allemagne, à son retour de la croisade, il avait commencé par rançonner les ministres de son père et les siens propres. Ce fut lui qui imagina de se faire fabriquer un nouveau sceau et d’obliger tous ses sujets de faire sceller de nouveau leurs chartes, en payant, cela s’entend. Les Anglais se soumirent sans révolte à ses exigences. Ils payèrent sa rançon, payèrent à trois reprises le scutage. Tant à la fin qu’en 1198, le roi demandant de nouvelles sommes pour sa guerre en Normandie, les évêques refusèrent formellement de payer. Richard fit alors ingénieusement lever une nouvelle taxe foncière à laquelle il soumit tout le monde, sans coup férir.

Jean sans Terre (11991216) avait été le favori de son père Henri II et de sa mère. Il se fit élire roi au détriment de son neveu Arthur de Bretagne. Il s’empare du jeune prince et le fait disparaître; a-t-il été cité pour ce fait devant la cour des Pairs, par le roi Philippe-Auguste; il perdit la Normandie et l’Anjou en 1203, le Maine et la Touraine en 1204, une grande partie du Poitou l’année suivante.

Philippe-Auguste fut aidé, il est vrai, par la trahison, il le fut aussi par la force des choses. L’Angleterre se lassait de payer des armées pour garder des territoires d’où venaient sans cesse à la cour des intrus qu’il fallait pourvoir.

La mort de l’archevêque de Canterbury en 1205, l’élection presque simultanée de deux rivaux et I’intervention d’Innocent III mettent aux prises le roi et le pape. Jean résiste énergiquement aux prétentions pontificales. Le royaume est mis en interdit, et, par une curieuse tentative, le roi organise un véritable schisme. Pendant cinq ans (12081213) l’Eglise anglicane est séparée en fait de l’Eglise romaine

Mais Innocent III donne à Philippe-Auguste la mission de conquérir l’Angleterre. Jean, menacé d’une croisade française, trahi par une partie de sa noblesse, fait sa soumission et se déclare vassal de Rome. Il prend l’offensive contre le roi de France et descend en Poitou, tandis que son allié, Othon IV, envahit la Flandre. La bataille de Bouvines (1214) rompt cette coalition. A son retour en Angleterre, Jean est attaqué par ses vassaux révoltés. Il est forcé de signer la Grande charte (Magna carta libertatum) dans la plaine de Runnimede, près de Windsor (15 juin 1215).

Cet acte est, sans contredit, un des plus importants de l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre. Les rois précédents avaient, sans doute, à plusieurs reprises, accordé à leurs sujets des chartes garantissant les antiques libertés anglaises; mais aucun de ces documents n’avait l’ampleur et la précision de la grande charte. Les circonstances mêmes dans lesquelles le roi avait été contraint de la signer en faisaient un traité de paix solennel entre la royauté et la nation. Ce traité de paix ne fut pas exécuté. Les barons restèrent en armes, et appelèrent Louis le Lion, fils aîné de Philippe-Auguste. Malgré cette intervention Jean sans Terre maintint son autorité dans la plus grande partie de son royaume, parvint à ramener ses ennemis dans Londres, et fit une grande expédition dans le Nord où se trouvaient les domaines de ses principaux adversaires. ll mourut dans cette expédition (octobre 1216).

Son fils, Henri III, avait neuf ans. Il eut un règne aussi long que troublé (12161272). Dans son enfance, ses ministres et ses tuteurs, qui réussissent à chasser les Français de Londres, ne peuvent se mettre d’accord. Les légats du pape draînent une partie des ressources du royaume au profit de la cour de Rome.

Devenu majeur (1227), le jeune roi, par son despotisme incohérent et sa diplomatie aventureuse, se rend odieux à tout le monde. On lui reproche de s’entourer de Français et de Poitevins. L’Angleterre se lasse d’être traitée par les Latins en pays conquis. Louis IX, provoqué par Henri III, envahit le Poitou et gagne les victoires de Saintes et de Taillebourg. Ces défaites que ne compensent pas de médiocres chevauchées dans le pays de Galles, encouragent les barons à revendiquer l’exécution de la charte. Ils forment des parlements et mettent à leur tête Simon de Montfort, comte de Leicester, beau Frère de Henri III. Le Parlement d’Oxford (1258) réclame l’institution d’une régence. La bataille de Lewes fait tomber le roi entre les mains des rebelles et Simon de Montfort, régent du royaume, appelle à lui les chevaliers des comtés et les représentants des villes (janvier 1265). Il est battu et tué à Evesham, ses partisans sont traqués dans l’Angleterre.

– Les dernières années de la vieillesse du roi Henri ont aussi été ensanglantées par des proscriptions, des assassinats; le bon plaisir et les exactions du roi et du légat contrastent avec la sage administration de Louis IX. Et cependant, malgré ces secousses et ces convulsions, l’Angleterre ne cesse de grandir. Elle commencé à exploiter les mines quasi-inépuisables de son territoire. Sa marine marchande entretient plus de relations avec la Normandie et la Gascogne que du temps de Henri II. La richesse matérielle s’accroît. Les défaillances sont passagères, les progrès sont constants et définitifs.

La période de la guerre de Cent ans

Le siècle des trois Edouard (12721377) est un siècle de transition. L’unité de la nation anglaise s’achève : la guerre de Cent ans s’amorce.

Edouard ler (roi : 1272-1307), qui avait, le premier des fils de rois anglais, porté le titre de prince de Galles était en Terre-Sainte quand son père mourut. Il ne revint prendre possession de la couronne qu’en 1274. La tranquillité de l’Angleterre pendant l’interrègne atteste la force nouvelle du principe de l’hérédité. Edouard ler fut un prince guerrier et législateur. Il a achevé la conquête du pays de Galles (12771283); imposé son arbitrage aux deux rivaux qui se disputent la couronne d’Ecosse, Bruce et Bailliol. Son protégé, Jean Bailliol, se tourne contre lui. Edouard envahit I’Ecosse, conquiert Berwick, gagne la grande victoire de Dunbar (1295) et prend pour lui la couronne. Mais il fait en même temps la guerre au roi de France en Gascogne et dans les Flandres.

Sa noblesse lui refuse le service militaire hors du royaume. Sir William Wallace soulève les Ecossais, chasse les garnisons anglaises (Stirling, 1279). La France a trouvé un allié dont la fidélité sera séculaire. En vain Edouard, par la victoire de Falkirk et après plusieurs expéditions, reprend possession de tout le royaume et fait subir à Wallace la mort des traîtres; Robert Bruce se révolte. Son frère Edouard, ses deux lieutenants Randolph et Douglas, l’aident à faire aux Anglais une guerre d’embuscades qui devient atroce. Edouard Ier lègue à son fils la tache ardue de réduire l’Ecosse ou de la désarmer.

Le règne d’Edouard ler offre certaines ressemblances avec celui de Philippe IV au point de vue religieux. Comme son voisin et son ennemi, il entreprend de mettre un terme aux empiétements du clergé. Comme lui, il s’appuie sur la nation pour résister à l’Eglise.

Edouard Ier est le véritable créateur du parlement anglais, qui devient, sous son règne, la réunion des trois ordres clergé, noblesse et communes. Le parlement qui se rassembla à Westminster, le 20 novembre 1295, peut être regardé comme le parlement modèle. Les deux Chambres, haute et basse, sont constituées définitivement. L’organisation judiciaire prend, sous son règne, la forme qu’elle a à peu près gardée jusqu’à l’époque contemporaine. La cour de la chancellerie (court of chancery), la cour des Common pleas, celle du banc du roi (king’s Bench) et celle de l’échiquier se partagent les procès. La charge de grand-justicier est abolie; à sa place sont créés les chiefs-justices dont la liste s’est prolongée sans interruption jusqu’à l’époque contemporaine. Le roi et ses principaux ministres fondent à Oxford et à Cambridge des collèges qui florissent encore. Enfin, l’armée et la marine sont réorganisées. L’amirauté anglaise date aussi d’Edouard Ier. Toutes ces créations sont d’autant plus remarquables qu’Edouard était d’instinct un prince absolu; c’est par un effort continu de volonté qu’il s’astreignit lui-même à développer les institutions de son royaume en suivant la tradition. L’histoire détaillée de ce règne est fort dramatique à cause de cette lutte continuelle entre la passion et la raison.

Edouard II (13071321) est faible, couard, cruel; il n’a d’énergie que pour défendre ou venger ses favoris. L’indépendance de l’Ecosse est assurée par la victoire de Robert Bruce à Bannockburn (1314). La scandaleuse faveur du Gascon Gaveston, puis des deux Despensers, père et fils, soulève le mécontentement de toutes les classes de la nation. Le parlement de 1327 dépose Edouard II, qui est remplacé par son fils Edouard III et assassiné dans sa prison d’une manière atroce. C’est la reine Isabelle de France, fille de Philippe V, et son favori Mortimer, qui avaient fait tuer Edouard II. Ils gouvernent quelques années au nom du jeune Edouard III. Mais celui-ci se délivre de cette infâme tutelle, fait périr Mortimer, enferme Isabelle dans un couvent (1330).

Aussitôt libre, Edouard se tourne contre l’Ecosse, lui impose Edouard Balliol, le jeune roi David se retire à la cour de France et les Anglais expérimentent sur les Ecossais la supériorité de leur armement et de leur discipline. L’intervention du roi de France Philippe VI dans les affaires d’Ecosse, les intrigues des Flamands entraînent Edouard et l’Angleterre dans la guerre de Cent ans.

Au moment où commence cette période, désastreuse surtout pour la France, l’Angleterre, couverte de villes populeuses et commerçantes, admirablement cultivée, est arrivée au terme de la grande lutte pour les chartes et les libertés. Elle a son parlement régulièrement convoqué par le roi, dès qu’une grosse dépense est nécessaire. Les classes commerçantes regorgent de richesses, dans les campagnes vivent à côté des nobles opulents de riches fermiers qui fournissent de laine les filatures de Flandre.

La Guerre de cent ans, côté anglais.

En France, on s’est habitué à considérer la longue série de guerres soutenues par les rois de France contre les rois anglais, depuis Philippe VI de Valois jusqu’à Charles VII, comme une seule et désastreuse crise de la seule histoire française. Si l’on se place au point de vue anglais, elle apparaît sous un autre jour. Ce n’est pas une guerre unique, mais deux grandes guerres d’un caractère bien différent et séparées par un long intervalle. La première occupe la seconde et la troisième partie du règne d’Edouard III. La seconde comprend le règne de Henri V et le commencement du règne de Henri VI. Dans l’intervalle de ces deux périodes d’expansion extérieure l’Angleterre est agitée par des guerres civiles et religieuses qui attestent la profonde révolution accomplie en cinquante ans.

Edouard III remporte sur la flotte française la bataille de l’Ecluse (1340), prend le titre de roi de France, bat à Crécy (1345) son rival Philippe VI, et s’empare de Calais, cependant que sa femme Philippa de Hainaut, restée en Angleterre, arrêtait une invasion de David Bruce et faisait prisonnier cet allié de la France. La grande supériorité des armées anglaises consistait dans la forte organisation de leur infanterie composée d’archers fournis par les comtés de l’Ouest. L’incapacité militaire de la chevalerie française est prouvée une fois de plus par la défaite du roi Jean II, à Poitiers (1356). Tandis que le roi de France est envoyé prisonnier à Londres et que les provinces françaises du Nord sont désolées par la Jacquerie, les Anglais s’emparent de l’ancien domaine des Plantagenets, et le traité de Brétigny (1360) reconstitue la principauté d’Aquitaine, avec le droit reconnu à Edouard de l’ériger en royaume. Jusqu’à ce moment les Anglais ont toujours pris l’offensive. La guerre est dynastique en ce sens qu’Edouard III revendique la couronne de France; elle est populaire, en ce sens que les Anglais y apportent une passion farouche et font un énorme butin. Le traité marque le point culminant de la grandeur anglaise pendant cette première période. L’Ecosse, mise à feu et à sang par Édouard, dans cette expédition qu’on appela la Chandeleur brûlée (Burned Candlemas), paraissait définitivement domptée. La Bretagne était, par le traité de Guérande, laissée au comte de Montfort, protégé de l’Angleterre. Le prestige du nom anglais était énorme. Mais le prince de Galles, nommé gouverneur d’Aquitaine, se laisse entraîner à une guerre en Espagne, au profit du roi Pierre le Cruel, détrôné par Du Guesclin (1365-1360).

Les dépenses de cette guerre contraignent le prince anglais à lever de lourdes taxes sur les provinces de son gouvernement. Le mécontentement, excité par les manoeuvres habiles de Charles V, devient universel. Le prince Noir brûle Limoges révoltée (1370); mais les Français reprennent l’offensive et adoptent une nouvelle tactique; refusant toute bataille rangée, ils font aux Anglais une guerre d’escarmouches et de surprises qui les démoralise complètement. Le prince de Galles, épuisé et mourant, retourne en Angleterre. Du Guesclin et ses compagnons, en dépit des invasions de Knolles et de Lancastre (1374), reprennent une à une les forteresses d’Aquitaine.

L’irritation est profonde en Angleterre. Le Bon Parlement d’avril 1376 oblige le roi à se séparer de l’aimable Alice Perrers dont il subissait aveuglément l’influence. Le ministre Latimer est décrété d’accusation. Le Parlement décide même la question de successibilité à la couronne. L’Angleterre n’a pas seulement perdu ses possessions du continent, sauf quelques villes, elle a presque totalement perdu l’Irlande, et le brigandage sévit même dans le royaume. Il faut renouveler le statut de Winchester de 1285 qui ordonnait d’abattre arbres et buissons sur une bande de 200 pieds de chaque côté des routes. L’Angleterre souffre autant que la France des ravages des grandes compagnies.

Le règne de Richard II est aussi désastreux que celui de Charles VI. Wycliffe prêche des doctrines qui sont condamnées par la cour de Rome, mais protégées par le gouverment. Wat Tyler soulève les misérables du comté de Kent et s’empare de Londres. On ne peut se débarrasser de lui que par trahison. C’est la première explosion, en Angleterre, des haines sociales. La réaction s’étendit aux partisans de Wycliffe, les Lollards, qui sont persécutés.

Devenu majeur, Richard gouverne si mal que le parlement lui impose une commission à peu près analogue au gouvernement des Marmousets en France, à la même époque. Le Parlement Admirable (Wonderful Parliament) condamne les partisans du roi (1388) et oblige Richard à prendre un conseil dont il se débarrasse dès qu’il peut. Après la mort de la bonne reine Anne il épouse Isabelle de France (1396) et se débarrasse par trahison des chefs de l’opposition. Sa tyrannie provoque la révolte du duc Henri de Lancastre, son cousin, qui débarque à Ravenspur (juillet 1399), s’empare du roi, l’oblige à abdiquer et l’enferme au château de Pontefra. Richard y mourut quelques mois après (février 1400).

L’avènement de Henri de Lancastre (13991413) était une menace à l’adresse de la France; mais les difficultés intérieures furent telles que ce roi fut contraint de différer ses projets d’invasion. Il avait été élu régulièrement par le parlement; mais il fut considéré néanmoins comme ayant usurpé la couronne non seulement sur le roi Richard, mais encore sur ses cousins de la Marche et d’York; aussi des révoltes éclatent sur tous les points de l’île : le Gallois Owen GIyndwer, les Percy, les Mortimer, au Nord, se soulèvent, l’Écosse invente un faux Richard II. La bataille de Shrewsbury (1407) affermit la maison de Lancastre sur le trône, Percy est tué, et, pour faire diversion aux haines nationales, Henri IV songea à intervenir en France entre Armagnacs et Bourguignons. Il est en coquetterie réglée avec les deux partis, surtout avec celui de Bourgogne. Ses projets passent avec sa couronne à son fils aîné.

Henri V de Lancastre n’a régné que neuf ans (14131422). Ce temps lui a suffi pour se classer parmi les grands conquérants. Energique, orthodoxe, il écrase une nouvelle insurrection du Nord, extermine les Lollards et réclame la couronne de France. Il s’empare de Harfleur le 25 octobre 1515, par la victoire d’Azincourt, gagnée sur les Armagnacs, par la prise de Caen (1417), de Rouen (1419), devient maître de la Normandie. L’assassinat de Jean sans Peur, à Montereau, lui donne tout le royaume. Le traité de Troyes (21 mai 1421) lui donne, avec la main de Catherine de France, la succession de Charles VI.

Mais il meurt quelques années avant le vieux roi dément, laissant un fils âgé de quelques semaines. Il faut scinder le conseil de régence. Humfroi de Gloucester gouverne l’Angleterre tandis que le duc de Bedford fait face, en France, au roi de Bourges.

Cette division du pouvoir affaiblit les forces anglaises juste au moment où se réveille en France le sentiment national. Les troupes de Jeanne d’Arc délivrent Orléans (1429), Charles VII est couronné dans Reims. La prise, le procès, l’exécution de la Pucelle, le couronnement à Paris du jeune Henri VI ne rendent pas la supériorité aux armes anglaises. Charles VII se réconcilie avec les Bourguignons (1435), rentre à Paris l’année suivante. La supériorité d’armement, de tactique et de direction passe du côté de la France. Gloucester resté seul, après la mort de Bedford, se brouille avec le cardinal de Beaufort, ce qui permet aux Français d’enlever la Gascogne (1442). Henri VI épouse Marguerite d’Anjou et renonce à presque toutes les provinces françaises pour obtenir une trêve. Mais la guerre recommence en 1448, les Français s’emparent de Rouen, reprennent Bordeaux révolté.  La victoire de Castillon (1453) termine la guerre de Cent ans.

La même année, Henri VI devenait fou et la naissance d’un prince de Galles, exaspérant l’ambition déçue du duc d’York, donnait le signal de la guerre des Deux Roses. Pendant ce long siècle de luttes extérieures et de luttes intestines, l’esprit politique de l’Angleterre et sa condition sociale avaient subi de profondes transformations. Les levées incessantes avaient épuisé la forte classe des hommes libres. Les gains immenses des expéditions en France avaient enrichi outre mesure les grands seigneurs et les bourgeois des villes. Une nouvelle féodalité s’était constituée, belliqueuse, oppressive et sanguinaire. L’Angleterre était mûre pour la guerre civile. De toutes ses conquêtes elle ne gardait plus sur le continent que la seule ville de Calais.

La guerre des Deux Roses

La maison de Lancastre descendait de Jean de Gand, troisième fils d’Edouard III. Lorsque Henri IV avait déposé Richard II, la couronne, d’après les lois de succession, aurait dû être donnée au comte de la Marche, descendant de Lionel de Clarence, second fils du même Edouard. Après les défaites de la guerre de Cent ans, Richard d’York, descendant par sa mère, Anne Mortimer, de Lionel de Clarence, revendiqua les droits de sa succession. Il commence par se faire proclamer protecteur du royaume pendant la folie de Henri VI, fait arrêter et exécuter le favori du roi et de la reine Marguerite, Somerset (1454). Revenu à la santé, Henri VI essaie de secouer la tutelle, mais, à la bataille de Saint-Albans, il est fait prisonnier (1455). Ce fut la première bataille de la guerre des Deux Roses. Les partisans d’York prennent pour emblème une rose blanche, ceux de Lancastre arborent la rose rouge. Le vrai chef de la faction d’York est d’abord le duc d’York lui-même, puis Warwick, le faiseur de rois.

La cause de Lancastre est soutenue avec une énergie désespérée par la Française Marguerite d’Anjou. Vaincu à Ludlow (1459) et forcé de s’enfuir à Calais, York reprend l’offensive, gagne la victoire de Northampton et se fait proclamer héritier présomptif; à la bataille de Wakefield il est écrasé par le nombre, tombe mort sur le champ de bataille; sa tête tranchée est exposée avec une couronne en papier à la porte de sa ville ducale. Mais son fils Edouard, comte de la Marche, est vainqueur à la Croix de Mortimer (1461); entré dans Londres, Henri VI est déposé. La bataille de Towton l’oblige à se réfugier en Écosse et le parlement, fidèle au parti victorieux, proclame Edouard IV roi d’Angleterre. Le mariage romanesque de ce jeune prince avec Elisabeth Wydeville irrite Warwick qui conspire avec le duc de Clarence, frère d’Édouard, se réconcilie avec Marguerite au traité d’Angers (1470).

Edouard IV est forcé à son tour de se réfugier en Hollande. Le duc de Bourgogne lui donne le moyen de retourner dans ses Etats. Edouard débarque à Ravenspur comme avait fait Henri de Lancastre; Clarence revient à son frère, Warwick est tué à Barnet et la grande bataille de Tewksbury anéantit les dernières ressources de la Rose rouge. Le jeune prince de Galles, fait prisonnier, est égorgé par l’immonde Richard, duc de Gloucester. Henri VI est assassiné dans la tour de Londres.

Edouard IV règne sans contestation mais non sans trouble jusqu’à sa mort (1483). Edouard est proclamé roi, mais Richard de Gloucester, nommé tuteur des jeunes princes et protecteur du royaume, se débarrasse d’abord des parents de la reine-mère, fait tuer lord Hastings, enferme ses pupilles à la Tour et les fait déclarer bâtards. Une tourbe ameutée par ses agents l’acclame roi. Il accepte la couronne et le parlement le reconnaît. Mais la tyrannie de Richard III est si odieuse que son complice Buckingham se révolte contre lui, et qu’un nouveau rival réclame le trône, Henri Tudor, duc de Richmond, descendant, par sa mère Marguerite, du premier duc de Lancastre. Buckingham est tué et Richmond se réfugie en France. Anne de Beaujeu lui donne des secours et, le 22 août 1485, à la bataille de Bosworth, il bat et tue Richard III.

L’avènement de Henri Tudor met fin à la guerre des Deux-Roses. Il épouse Elisabeth, fille d’Édouard IV, et réunit ainsi les droits des deux maisons rivales. La longue série de batailles, de secousses dynastiques, avait trop  profondément ébranlé l’Angleterre pour que le besoin de repos ne fût impérieusement ressenti. La noblesse avait été décimée, le parlement déshonoré par ses palinodies et ses rares protestations ne rencontraient pas d’écho. La situation des classes agricoles, ruinées par les ravages des gens de guerre, était devenue légalement une véritable servitude. Des statuts du parlement avaient interdit aux ouvriers agricoles de quitter leur comté. L’habitude de l’illégalité et des juridictions exceptionnelles avait été prise. La torture, inconnue à l’ancienne loi anglaise, s’était sournoisement introduite dans les mœurs judiciaires.

Par delà les péripéties de la conjoncture historique, plusieurs éléments contribuant au renforcement précoce de l’emprise étatique doivent être relevés.

Concourent à a formation d’une nouvelle structure politique, qualifiée d’ « Etat moderne » (travaux de Jean-Philippe Genet) ou de « féodalisme d’Etat ». A la différence du féodalisme seigneurial, où l’autorité publique se répartit au sein des classes dominantes de sorte que le prélèvement peut tout entier être assuré par le maître éminent de la terre et par ses hommes dans le cadre de la seigneurie, dans le féodalisme d’Etat, on assiste, sur fond de reconcentration de l’autorité publique, à l’apparition d’un prélèvement d’Etat, à côté du prélèvement seigneurial et domanial, qui, s’il persiste, perd peu à peu de son importance.

Même si ce phénomène s’opère dans la connivence entre l’Etat et les classes dirigeantes, un pas immense est franchi par le recours à la fiscalité d’Etat : impose progressivement un dialogue (B. Guenée) de plus en plus complexe entre le prince et une société qui se définit par là même comme une société politique. : avec des rythmes, des spécificités et des intensités diverses, ce phénomène est détectable dans tous les royaumes d’Occident.

La première transformation essentielle que l’on observe, particulièrement en Angleterre, est liée à la guerre.

A-    Le poids de la guerre

Si le prestige et l’Antiquité du titre de roi de France est indéniable, il a objectivement un rival depuis 1066 : concurrence qui connaît un premier pic en 1194-1214, puis un second pic à la fin du XIIIè avec les guerres entre Philippe e Bel et Edouard 1er. 2 champs d’affrontement :

  • l’Aquitaine : remise en cause incessante de la souveraineté anglaise par des appels des plus turbulents des sujets au plt de Paris
  • la Flandre travaillée par les luttes sociales et la vendetta nobiliaire des Avesnes et des Dampierre : or Edouard ne peut se désintéresser du principal débouché des laines anglaises, source de l’essentiel de ses revenus douaniers.

Ainsi se noue une étreinte fatale, aucun des deux souverains ne pouvant reculer : la guerre de 100 ans s’inscrit dans ce contexte géostratégique plus global.

Pour l’Angleterre, la guerre = une constante, du début général des hostilités, en 1294, à la bataille de Stoke en 1487 (dernier épisode de la guerre des 2 Roses) :

  • les guerres contre l’Ecosse (1296-1323, 1327-1328, 1332-1357, 1384-1389, 1400-1438, 1448, 1455-1464, 1482, 1513)
  • les expéditions en Irlande (1361, 1394, 1399)
  • les expéditions en Gascogne (1294-1298, 1324-1325)
  • les révoltes galloises (notamment dans les années 1401-1408)
  • tout cela se combine avec les divers épisodes de la guerre de Cent ans.
  • S’y ajoutent encore les fréquentes opérations militaires liées aux troubles civils dans le royaume

Les guerres = de véritables gouffres financiers (cf point suivant). Evolution profonde des armées anglaises après le milieu du XIIIè :

Les armées du premier XIIIè siècle sont un mélange d’armées féodales et de mercenaires : la levée féodale ne coute rien mais le service n’est que de 40j, et les levées sont peu dociles. Les rois leur préfèrent souvent l’appel à des mercenaires.

Edouard 1er opte pour une solution de compromis : il utilise le système de l’ost féodal, mais paie des soldes pour conserver la maitrise du processus. Invoque le principe général selon lequel tout homme libre doit défendre son pays. Son objectif est d’en trouver une traduction fiscale pour lever une armée de professionnels soldés qu’il commandera (d’ailleurs essentiellement dans l’aristocratie) : c’est ce modèle qui va s’imposer. Transition progressive.

Les archers sont le corps le plus important, mais les innovations tactiques restent timides et ce n’est qu’avec les guerres écossaises du début du règne d’Édouard III que les anglais maitrisent le combat combiné de la cavalerie et de l’infanterie.

Au final, la guerre est de plus en plus clairement identifiée comme une fonction de l’Etat, qui tend à en interdire son exercice en dehors de sa sphère d’action : c’est la thèse de M. Weber. La guerre a cessé d’être le moyen normal de régler les conflits entre les membres de l’aristocratie.

Le corollaire de cela c’est la limitation de ceux qui jouent un rôle militaire effectif, ce qui pose un pb d’identité à l’aristocratie militaire : d’où ne concurrence acharnée entre les groupes.

B-    Le dynamisme du prélèvement fiscal

Plusieurs particularités à souligner.

  • d’abord, Angleterre est par droit de conquête domaine du roi
  • ensuite : précocité du système fiscal anglais. En théorie, « il n’y a impôt, au sens moderne du terme que lorsque la puissance publique impose à ceux qu’elle régit une contribution d’un montant spécifique et reconnue comme légitime à la fois dans sa destination et dans sont exigence même. »Or, l’Angleterre offre une nouvelle particularité de ce point de vue car la pression viking a conduit la dynastie du Wessex à inventer le système des danegelds afin de disposer rapidement des sommes exorbitantes exigées par les chefs des flottes vikings pour prix de leur départ. Certaines traditions a administratives anglaises remontent à ce lointain passé. La capacité à quadriller l’espace pour mesurer les ressources et connaître ses structures d’exploitation dont dispose la monarchie normande à la fin du XIè siècle et dont le Domesday book est le témoignage saisissant est sans équivalent en Occident.

Le rendement du danegeld n’en a pas moins décliné à cause des exemptions accumulées avec le temps. Il rapporte à peine 3000 livres au XIIè siècle et Henri II finit par abandonner une redevance difficile à percevoir et peu rentable.

Pour l’essentiel, la fiscalité de la monarchie anglaise est jusqu’au XIIIè siècle féodale, dérivant du concept d’auxilium.

On ne peut cependant comprendre la fiscalité anglaise sans considérer dans son ensemble le pb administratif. Absents pendant la plus grande partie de leur règne, anxieux de disposer des hommes et de l’argent nécessaires à leur action sur le continent, rois normands et angevins profitent de la relative solidité des cadres territoriaux anglo-saxons pour y greffer avec succès des pratiques féodales normandes.

  • pratiques féodales : l’Angleterre est « normanisée », toute terre étant tenue en fief du roi.
  • Mais traditions anglo-saxonnes :
    • D’une part, le cadre uniforme des circonscriptions administratives (shires et hundreds), théâtres des activités publiques (justice, levées militaires et fiscales) qui incombent aux assemblées d’hommes libres.
    • D’autre part, le rôle du roi, garant de la paix intérieure et défenseur du pays contre l’envahisseur.

Ainsi, la féodalisation ne détruit pas le cadre national et le Conquérant ne distribue pas les fiefs sur une base régionale, mais réparti les terres de chacun sur plusieurs shires. Les barons agissent de même à l’égard de leurs plus puissants vassaux. La cour royale reste ainsi le centre national du pouvoir et devient la plus importante institution du royaume, où qu’elle soit : elle cesse d’être itinérante au XIIIè siècle. Jusque là, elle avait souvent été sur le continent, si bien que, cas exceptionnellement précoce en Europe, 2 départements sédentaires se sont développés en Angleterre :

  • le Trésor à Winchester
  • l’Echiquier à Westminster. L’Echiquier centralise les sommes dues au roi, notamment par les sheriffs responsables de la perception dans les comtés. L’Echiquier effectue les paiements royaux ; il a aussi des fonctions judiciaires.
  • La coordination de l’ensemble et la cohésion entre départements itinérants et sédentaires est assurée par le Justicier.

Pipe rolls pipe roll du milieu du XIIè

Même si la Household reste + longtemps itinérante, le groupe des king’s clerks souvent formé dans les nouvelles universités, a rapidement acquis sa cohésion : ils font de l’administration une bureaucratie qui recourt systématiquement à l’écrit, organise ses archives, affine ses procédures et sa gestion. Le roi dispose en Angleterre d’un appareil administratif certes restreint mais + précoce et + efficace que celui de ses concurrents.

Face aux contraintes permanentes des guerres, efforts pour trouver de nouvelles sources de revenus, en plus des prélèvements féodaux classiques et du vieux danegeld :

  • Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre essaient le carrucage (taxe sur le charruage), qui rapporte trop peu. Se tournent alors vers des taxes proportionnelles aux revenus et aux biens meubles, déjà expérimentées pour financer les croisades (1/4è, 1/7è, 1/13è, etc.). Le rendement d’un tel impôt est considérable mais pour l’imposer, le roi doit admettre le consentement formel de ses sujets, censés être représentés dans le Grand conseil (cf. infra) : cout politique élevé pour la couronne
  • Règne de Henri III est l’illustration de ce dernier point : s’est vu accorder 4 fois l’aide d’une telle taxe pour 6 refus, le conseil ou le parlement se montrant toujours soucieux de déterminer si le roi demandait bien cet argent pour les affaires du royaume ou pour les siennes propres : contrôle politique d’autant plus pbtique que rendement de la taxe très élevé (toutes taxes confondues, Ed. 1er aurait ainsi levé le ¼ de la masse monétaire en circulation en Angleterre entre 1294 et 1297). Or, les membres du plt ont généralement considéré que la reconquête des terres continentales des Plantagenêts et l’affaire de Sicile concernaient le roi, non le royaume. Au final, le rendement d’une telle taxe, s’il peut être très important, dépend avant tout de son acceptation sociale et politique.
  • Importance de la taxation indirecte : insularité de l’Angl favorise sont implantation précoce. Dès 1275, Édouard 1er institue, après négociation avec un syndicat de marchands, l’ancient custom, taxe de 6s et 8d par sac de laine. A l’origine, ces droits ne représentent pas plus de 10 000 livres/an mais ils forment le socle sur lequel s’appuie le roi pour emprunter au banquiers italiens des sommes importantes et immédiatement disponibles. En combinant les revenus dits « ordinaires » (domaine, justice, droits féodaux issus de la prérogative royale) ceux des douanes et les recettes extraordinaires (taxes sur les biens meubles accordées par le plt), l’Angleterre crée au XIIIè siècle (surtout en 1260 et 1297) un système fiscal équilibré dont l’efficacité sera encore améliorée au cours des siècles suivants.

Les niveaux de prélèvements sont difficiles à établir car documentation incomplète. Mais probable révolution fiscale des années 1280-1330, à la fois en termes de niveaux de taxation et en termes de structures. Il est vrai que la quantité d’argent disponible a été multipliée par 5 ou 6 pendant le XIII è. Au haut niveau des dépenses royales a donc correspondu un niveau élevé d’imposition. Maintenu pendant la 1ère ½ du XIVè siècle, il ne put l’être par la suite, si ce n’est pdt la brève période du règne d’Henri V. Après sa mort, le déclin se poursuit jusqu’à un effondrement qui correspond au règne de Henri VI.

Si les rois Yorkistes et Henri VII ont pub rétablir un bon fonctionnement des finances royales, le niveau d’imposition reste faible par rapport à ceux du XIVè siècle. Henri VII semble même s’être délibérément détourné du modèle « fiscal » au prix d’un non engagement dans les conflits continentaux.

Sous les règnes d’Henri VIII, Ed. VI et Mary Tudor, la part de la fiscalité directe augmente à nouveau, mais recommence à baisser sous Elizabeth. Le niveau général des revenus reste assez faible, à l’exception de la période 1530-1560 : les besoins du souverain ont brutalement augmenté lorsque l’Angleterre s’est trouvée en guerre à la fois contre l’Ecosse (1542) et contre la France (1543). Les dépenses sont alors essentiellement consacrées à la guerre (près de 56% des dépenses entre 1534 et 1547).

Eglise d’ailleurs fortement mise à contribution. A fourni le ¼ du revenu royal sous le règne d’Henri VIII.

Ce n’est que sous Elizabeth que reparait un certain équilibre, mais au prix de l’acceptation d’un niveau de revenu assez fable, interdisant les grandes aventures militaires.

2 conclusions majeures :

  • L’impôt direct, sous la forme d’une taxe sur les biens meubles, d’exceptionnel devient permanent, sinon régulier, même s’il ne fournit qu’une part des revenus de l’Etat. Taxation qui doit apparaître légitime dans son motif, dans ses modalités de perception comme dans son utilisation. Le consentement doit être aussi large et manifeste que possible : cf. corps de doctrines politiques et théoriques qui s’est développé sur le sujet de l’impôt en Occident. Si l’impôt est juste, il est contraire à la justice de ne pas le payer : théologiens et canonistes insisteront sans cesse sur ce point.

L’Angleterre est remarquable en ceci qu’elle s’est engagée précocement dans un processus d’institutionnalisation des procédures de consentement, ce qui suppose que 3 principes soient posés :

  • que l’autorité royales en matière fiscale s’étend à tous : le pb de savoir si le clergé est soumis à l’impôt est réglé dès la fin du règne d’Edouard 1er, même si l’argumentation pro et contra continue. Le roi d’Angleterre se pose efficacement en défenseur de son clergé et le pape ne peut espérer une levée que s’il a auparavant demandé (et obtenu) une autorisation royale. L’Eglise est donc partie prenante dans ce dialogue institutionnalisé.
  • Le roi lève l’impôt non pour satisfaire ses propres besoins, ce à quoi son domaine est censé suffire, mais ceux du royaume.
  • Enfin, il doit effectivement être en situation de nécessitas, sans autre moyen que les biens de ses sujets à sa disposition.
  • La seconde conclusion apparaît contradictoire avec la 1ere : les rois anglais empruntent, et leurs emprunts sont même intégrés aux procédures fiscales : le roi emprunte par anticipation ce qu’il remboursera sur les revenus des impôts directs et indirects.

Jusque vers 1340, ces emprunts ont été contractés auprès des grandes banques italiennes. A partir des années 1540, ils sont effectués sur le marché d’Anvers, avec de lourds intérêts.

Entre ces deux dates : emprunts contractés auprès des sujets du roi : qu’ils soient volontaires ou forcés : comme dans le cas de la taxation directe, la société politique rend son verdict par le crédit. Les mécanismes de taxation directe ont crée une structure de dialogue dans laquelle les autres formes d’imposition qui la complètent, y compris celles faites pour la tourner, s’intègrent. Finalement, c’est toujours la société politique qui décide.

§III- La précocité des mécanismes de représentation

A-    Du conseil féodal à l’assemblée représentative

Au XIIIè siècle, le plt n’est pas encore une institution bien définie : c’est un conseil élargi, spécialement convoqué et donc distinct du conseil royal, lui-même encore très informel siégeant in parliamento (terme apparu en janvier 1237) afin de discuter un pb politique et/ou adm. nécessitant un échange approfondi entre le gouvt et ceux qui disposent localement de pouvoir et d’influence. Le plt est donc une forme particulière de Grand Conseil.

Le texte de la magna carta, souvent republié ou relu dans des occasions solennelles, reste fondamental durant toute la période médiévale, ne révèle aucune principe fondateur : ses articles 12 et 14 sont strictement féodaux, précisent seulement les cas dans lesquels l’assentiment du conseil est requis :

Nul écuage ou aide ne sera établi dans notre royaume sans le consentement du commun conseil de notre royaume, à moins que ce ne soit pour le rachat [la rançon] de notre personne, pour armer notre fils aîné chevalier, ou pour le mariage de notre fille aînée, une fois seulement ; et dans tous ces cas, nous ne lèverons qu’une aide raisonnable ; il en sera de même pour les aides que nous lèverons sur la cité de Londres.

Et, pour avoir le commun conseil du royaume au sujet de l’établissement d’une aide, autrement que dans les trois cas susdits, ou au sujet de l’écuage, nous ferons semondre les archevêques, les évêques, les abbés, les comtes et les grands barons du royaume, individuellement par des lettres ; et, en outre, nous ferons semondre collectivement par nos shérifs et nos baillis, tous nos tenanciers en chef, au jour dit et au lieu dit, avec un délai de quarante jours au moins ; et, dans toutes les lettres de cette semonce, nous déclarerons la cause de la semonce. Et, la semonce étant ainsi faite, la question sera décidée, au jour fixé, selon le conseil de ceux qui se trouveront présents, quand même tous ceux qui auront été semons n’y seraient pas.

La composition du conseil est fondé sur une argumentation féodale, liant la présence à la détention d’un fiel tenu en chef du roi : l’universitas baronum représente la communauté du royaume à travers la structure féodale des vassaux et des arrière-vassaux.

Dans le siècle qui suit, les réunions se font plus nombreuses sans que la périodicité des réunions, souvent demandée, soit accordée, et la composition du conseil varie. NB : les chevaliers ne « représentent » que la cour de leur comté : logique qui reste féodale.

De 1258 à 1265 (épisode de Simon de Montfort), les réunions sont régulières, mais la périodicité ne survit pas à la chute de Montfort. Le dernier parlement de cette période « réformatrice » est cepdt le 1er plt « classique » :

  • siègent des magnats et prélats
  • des chevaliers représentant les comtés
  • des bourgeois représentant les villes.

NB : ces réunions sont fréquentes : de 1216 à 1307, 181 réunions du conseil élargi, 67 étant dites de plt. Composition variable. Magnats presque toujours là, parfois seuls (23 fois). Jusqu’à 1258, ils sont le plus souvent réunis avec les prélats. A l’occasion d’une réunion, d’autres groupes peuvent s’y adjoindre : juifs, barons des 5 ports….

DE 1265 à 1307, sur 90 assemblées, 10 utilisent la configuration classique de 1265, avec à partir de 1295 (« plt modèle ») des représentants du clergé diocésain qui disparaitront par la suite. A partir de 1295, en effet, la structure étendue du plt tend à devenir la norme. 2 raisons à cela.

1) Pendant la 1ère ½ du XIIIè siècle, 2 concepts de représentation coexistent, l’un féodal, l’autre administratif et juridique (cf. progrès décisifs du droit romain et du droit canonique pdt cette période).

– Le « commun » a ainsi longtemps désigné les barons. Les chevaliers qui représentent la cour de comté se contentent de véhiculer l’information, dans les deux sens, entre deux niveaux adm.

– à partir des années 1250 et notamment pdt la crise montfortiste et au début du règne d’Edouard 1er, le concept et la pratique de la représentation se transforment, complètement, notamment sous l’influence des droits savants : le célèbre quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari débet (discuté par les canonistes dès le XIIè) + droit des procurations.

Un nouvelle notion se fait jour : l’idée que ceux qui représentent une communauté jouissent de la plena potestas du droit romain : leurs propres actes ont le pouvoir d’engager leurs mandants, comme si ceux-ci agissaient en personne.

2) Importance de la préoccupation fiscale : c’est elle qui est à l’origine directe de cette transformation : engageant ceux qui les ont élus, les représentants interdisent toute contestation de l’impôt qu’ils ont accepté. Inversement, le souverain qui lèverait l’impôt dans les avoir consultés se heurterait à une hostilité renforcée : un véritable dialogue politique est ainsi fondé, plus large et mieux structuré que celui qu’autorisait le seul conseil, fut-il élargi, et ce d’autant plus que le rôle du plt ne se limite pas à la fiscalité. C’est à partir du règne d’Edouard 1er qu’affluent de toute l’Angleterre les pétitions dont discute le plt, c’est à partir de son règne que peu à peu la législation par statut devient l’apanage du plt.

B-    L’évolution du parlement à la fin du Moyen Age

Histoire du plt pas linéaire, contrairement à ce qu’ont longtemps soutenu les historiens anglais. Le XIVè est marqué par des avancées décisives :

  • création d’une procédure de négociation triangulaire entre roi, Lors et Communes
  • répartition des tâches et des procédures entre Lords et communes
  • apparition du Speaker des communes

Par contre, la législation des plts de la fin du MA a moins d’envergure : elle est de + en + dépendante des pétitions communes et des pétitions des Communes. A partir de la fin des guerres continentales (1453) et de la guerre des Deux Roses, le plt semble avoir perdu bcp de son utilité pour la monarchie. Le rythme de ses réunions se ralentit sensiblement sous Henri VII et au début du règne d’Henri VIII.

Ce qui a alors changé le cours de l’histoire du plt : la nécessité pour H. VIII de faire approuver sa politique religieuses par l’opinion publique nationale. 1529 marque ainsi un nouveau départ de l’institution pltaire, qui prendra un nouvel essor sous le règne d’Elizabeth.

A partir de 1530, apparaît l’idée que le plt n’est + une institution distincte du roi, la + haute cour de justice à laquelle il a recours quand besoin est mais que le roi en fait en quelque sorte partie intégrante : le plt est la + haute cour du royaume, son autorité suprême, parce qu’il est constitué de 3 états, le Roi, les Lors et les communes, représentant tous l’ensemble du corps politique du royaume : King in parliament = la souveraineté.

NB : si le problème d’une périodicité régulière des plts est fréquemment évoqué, la réflexion des réformateurs porte surtout sur sa composition. En effet, en dehors des sessions du plt, le conseil de la « communauté du royaume » ne cesse pas de parvenir au souverain, mais ceux qui le transmettent sont les membres de son conseil : les contemporains ont l’impression d’une certaine continuité entre les deux (nombreux lords membres du conseil du roi).

C-    Les membres du parlement

Composition du plt précisée par le Modus tenendi Parliamentum. Sans doute préparé pour le plt de juin 1321, il précise que doivent être rassemblés au plt :

  • tous les archev., évêques, et autres clercs qui sont tenants pour un comté ou une baronnie complète
  • tous les comptes et barons et leurs pairs, qui sont tenants pour un comté ou pour une baronnie. Il est de coutume qu’ils soient convoqués individuellement
  • Par ailleurs, des writs doivent être envoyés (au moins 40 jours avant la tenue du plt) :
    • aux barons des Cinque Ports[1] pour qu’ils fassent élire dans chaque port deux barons expérimenté
    • à tous les sheriffs d’Angleterre, pour que soient élus dans chaque comté deux chevaliers
    • au maire et aux sheriffs de Londres, au maire et aux baillis d’York et des autres cités pour que soient élus, dans chaque cité, deux citoyens
    • aux baillis et aux prud’hommes des bourgs deux bourgeois.

NB : chacun de ces groupes doit venir avec ses mandats de procureur, prouvant qu’ils engagent bien leurs pairs.

Description qui ne tient pas compte des évolutions : la présence du clergé diocésain est dé à en partie tombée en désuétude sous le règne d’Edouard II. Cela ne fit que renforcer la structure de base féodale du Plt, qui n’est pas une assemblée d’Etats. Ainsi, les membres du clergé ne sont pas là en tant que clercs mais en tant que barons. De fait, de nombreux évêques sont aussi membres du conseil royal, et leur présence s’explique surtout pour des raisons politiques.

Pour les membres élus :

  • les knights of the shire sont élus à la cour mensuelle du comté, où siègent tous les hommes libres, chevaliers, écuyers, et propriétaires possédant des terres d’un revenu suffisant. Le candidat doit être un chevalier, disposer de grandes propriétés, être un homme d’expérience, mais n’être ni juriste ni homme de loi.
  • Pour les villes, la situation est plus variée : les cinque ports ne posent guère de pb, si e n’est qu’ils sont 8. Quant aux boroughs et aux cités, il n’en existe pas de liste. En général, on considère que les cités renvoient à une dizaine de villes, possédant des institutions analogues à celles du shire pour pouvoir précéder à l’élection (Londres et York, puis Norwich, Lincoln, Bristol, Newcastle).
  • Pour les boroughs : liste variable. Le writ arrive au sheriff et c’est à lui de trouver une solution. Peu à peu, cepdt, la liste se stabilise et se réduit à environ 80-85 boroughs, mais en gros, d’une façon ou d’une autre, ce sont tjrs le maire et les aldermen qui désignent les élus. L’élu n’est pas forcément un bgeois, c’est souvent un gentleman voire un chevalier, recommandé au maire par le sheriff ou par le plus important des magnats locaux.

Les membres des communes sont donc, par leur mode de désignation même, des « hommes sous influence », sans parler des manipulations de procédure. Aussi manque-t-on souvent de candidats, d’autant que le séjour au plt coûte cher et est mal indemnisé. En outre le rôle principal dévolu aux Communes est de voter les impôts… Ainsi, en dépit des efforts des sheriffs, certains boroughs restent sans représentant.

Le point essentiel : celui des relations entre les membres des Communes et Lords d’une part et la couronne de l’autre. L’efficacité de l’intervention de la couronne dépend du contrôle qu’elle exerce sur les sheriffs. Interventions fréquentes des Lords dans la désignation des représentants des Communes.

Pourtant identité spécifique des Communes existe et est matérialisée par l’apparition du Speaker. A partir de 1376, chaque nouveau plt élit son Speaker, affirmant ainsi l’identité collective des Communes. Indépendance qui sera renforcée par une série de conflits avec la Couronne qui aboutiront progressivement à l reconnaissance de fait d’une immunité des membres des Communes leur garantissant la liberté de parole pendant les sessions du plt.

Remarque conclusive : La société politique, dans un Etat moderne, ne se limite pas aux élites. Elle est constituée par tous ceux qui ont une relation au pouvoir, que cette relation soit directe ou indirecte, proche ou lointaine, centrale ou périphérique. Ces relation impliquent une opinion qui se transforme en « conseil », normalement par le biais d’institutions représentatives, exceptionnellement par des prises de parole ou de pouvoir : l’intensité de la violence politique et la fréquence des révoltes populaires apparaissent comme un paradoxe dans une monarchie où le dialogue institutionnel est le plus avancé. Ce sont là, en fait les 2 faces d’un même phénomène : l’intensité du dialogue d’une société politique dynamique, face à une monarchie constitutionnellement rudimentaire.

Section II- La cristallisation de l’organisation judiciaire

§I- Une compétence d’attribution. Le maintien de la paix du roi

Malgré les affirmations longtemps répétées des juristes anglais, la CL n’est pas une entité immémoriale, antérieure à la conquête normande, qui aurait reconnu l’excellence de l’organisation juridique anglo-saxonne. C’est une création royale d’Henri II. D’ailleurs, Glanvill, auteur de l’un des premiers traités de droit anglais explique qu’il va exposer ce qui a trait « aux lois et coutumes du royaume d’Angleterre composées au temps de Henri le second ».

D’autre part, avant le règne d’Henri II, la grande masse des procès était traitée soit dans les cours seigneuriales, soit dans les antiques cours de comté ou de hundred. Les cours seigneuriales jugeaient non seulement les petites affaires intéressant le domaine, mais aussi et surtout les causes civiles intéressant les tenures : la protection des biens, en somme, dépendait surtout du lord : justice locale échappant en grande partie au Roi, la Curia étant surtout une cour féodale : affaires touchant les intérêts du roi comme seigneur + jugement des appels.

La réussite de Henri II est d’avoir rendu la CL relativement efficace et suffisamment attractive pour que les cours royales supplantent les autres tribunaux. Le concept de base n’en est pas moins d’origine anglo-saxonne : le roi est responsable du maintien de la « paix du roi » : tout délit qui la trouble, meurtre, vol, incendie volontaire est donc un « plaid de la couronne » : 37 cas royaux sont ainsi dénombrés dans les Leges Henrici primi.

Le système judiciaire en vigueur au XIIIè siècle est structuré par les grandes assises d’Henri II, même si celles-ci ont repris un certain nombre d’éléments antérieurs. Son originalité tient au jury de présentation et au writ retournable.

A- L’institution du jury

La règle de base est tout suspect dans une affaire troublant la paix royale doit être « présenté » aux juges royaux par un jury de 12 membres. Arrêté par le sheriff, il attendra son jugement par un juge royal, seul habilité à juger ces cas.

Cette institution va vite rencontrer un vif succès et singulariser la procédure anglaise. Pourtant, il s’agit bien d’une importation du continent : Jurés des communes font leur apparition en France au tout début du XIIè (chartes). Régression à partir de 1180 (au moment où ils triomphent en Angleterre). L’apparition des jurés était liée à une réaction populaire contre l’arbitraire seigneurial. Groupes informels de jugeurs qui intervenaient au sein des tribunaux traditionnels pour accuser ou statuer.

L’introduction du jury est liée à la législation d’Henri II :

  • En matière civile, le roi crée les 4 premières actions de CL (qui sont des actions possessoires) : novel disseisin (1166) utrum, darrain présentement, morte d’ancestor. Ces actions ont permis de régler tous les litiges ayant trait à la propriété, à la tenure, à la transmission des biens par héritage. Technique consistant à attribuer la saisine à celui des 2 adversaires qui démontre qu’il a exercé des droits, de la manière la + continue, sans contestation, avant le conflit qualifié de « trouble possessoire » : jury de voisinage. NB : les actions nouvelles reléguaient à une seconde étape éventuelle le contentieux sur le fond du droit, qui restait de la compétence des cours féodales. Cepdt, si celles-ci demeuraient attachées au duel, les cours royales préservaient les plaignants des risques d’un combat en leur offrant la résolution rationnelle d’un verdict des jurés. Textes anglo-normands précisent que les hommes qui formaient l’assise royale doivent prêter serment de « dire vrai ». A l’origine, groupe de voisins convoqué pour répondre sous serment à une question quelconque et prononcer le « vrai dit » (vere dictum).
  • En matière pénale : constitutions de Clarendon (1166) et de Northampton (1176) mettent en place un système de tournées des juges royaux, destinées à réprimer les troubles à l’OP : vagues répressives sans précédent, conclues par des ordalies, souvent sous forme d’immersion. Politique criminelle du roi transforme donc l’ordalie en un simple instrument au service de l’accusation, en en appauvrissant les rituels.

NB : à partir de 1215 et le concile de Latran IV, avec l’interdiction des ordalies : substitution déterminante des jurys aux ordalies. Procès par jury a permis de sortir du système des duels judiciaires.

En matière pénale, l’accusation est assurée par un jury composé de 23 hommes dans chaque comté, 12 hommes dans chaque hundred : doit dénoncer les meurtriers et les voleurs devant les juges itinérants : Grand jury ou jury d’accusation. Les jurés devaient se prononcer d’après ce qu’ils savaient et d’après ce qu’on disait : ne se préoccupaient pas des preuves.

Celles-ci sont laissées à l’appréciation d’un second jury ou Petty jury, composé de 12 jurés, qui décide si l’accusé est innocent ou coupable.

Ces jurys sont désignés par élection : ce ne sont pas des professionnels mais des « reasonable men », à qui le juge doit expliquer le droit.

 

Le déroulement du procès : Justice before truth : le procès de common law entre liturgie et dramaturgie

Pleadings : 1ère phase. Correspond aux plaids du haut MA. Instance préparatoire, au cours de laquelle le juge et les avocats des parties discutent d’objections préalables avancées par le défendeur. Petite justice, au cours de laquelle le juge, en statuant sur les objections, émet les « jugements » qui, mis en chaine, formeront le corpus juridique de la CL matérielle. Au vu du déroulement des débats, la partie qui sent venir l’échec a la faculté de négocier.

A défaut d’accord des parties, le procès se prolonge jusqu’à la phase du trial, au propre « l’épreuve » : verdict du jury, composé à l’origine de gens du peuple de Dieu: « assises du roi » fondées sur le principe vox populi, vox Dei. Le verdict du jury tient ds la procédure le rôle du Deus ex machina, tenu autrefois par le jugement de Dieu. Héritier du jugement divin, le jury en reprenait à son compte la vertu d’omniscience.

Ds la procédure romano-canonique la vérité est établie par l’enquête, avant tout débat : l’établissement de la vérité judiciaire est une opération initiale, préalable à la confrontation des parties.

Au contraire, dans la CL, la confrontation des arguments opposés se fait ds la 1ere phase, celle des pleadings, et c’est au terme de ce débat que se produira la manifestation de la vérité, dévolue au jury. Le jury sait. Il est son propre témoin : présomption d’omniscience. Répond aux questions très précises formulées à l’issue des pleadings.

Désinvolture avec laquelle les records et les reports traitent les informations factuelles relatives aux causes. Il n’est pas jusqu’au nom et à l’identité des parties qui soient suspectes (cf. la référence à John Doe). Dans l’histoire de la culture judicaire anglaise, le ludique et le judiciaire sont très tôt imbriqués.

La seule chose qui compte : la cohérence (consistency) : principe de non contradiction, s’appliquant à toute affirmation proférée par chacun au cours du procès, voire avant si elle devait être produite.

Dans le travail de tri entre l’acceptable et l’irrecevable, la distinction du droit et du fait n’a joué qu’un rôle très secondaire. De même la distinction du vrai et du faux. Pour des raisons techniques, par ex, les juges pouvaient tenir pour recevable une allégation fantaisiste, comme par exemple considérer que la ville de Calais se trouve dans le comté du Kent, afin de fonder leur compétence. La CL peut parfaitement interdire de produire en justice une information vraie (par exemple présenter le casier judiciaire de l’accusé) ou de démentir une information fausse (le caractère imaginaire de John Doe). Si la vérité judiciaire reste une valeur cardinale, c’est celle qui procède de la rectitude des règles de procédure et non d’un rapport de concordance extérieur entre le vrai judiciaire et le réel social.

La CL = avant tout un état de procédure. Le procès = une confrontation du bien et du mal dans une dramaturgie : alliance avec l’imaginaire nouée de bonne heure.

La confiance ds le verdict des 12 hommes moyens, dument éclairés dans le cours d’un procès loyal, était telle qu’on prenait leur jugement pour supérieur à celui du législateur : caractère ordalique.

Vérité du devoir être. Les formes du procès sont celles du procès archaïque, ds lesquelles on a simplement remplacé l’ordalie par le jury. Construction mémorielle effectuée par le procès qui vise non une vérité extérieure, mais l’adhésion à la forme processuelle qui la produit. A l’égard de cette vérité là, le juge est passif, comme l’est le ministre du culte, dont les gestes créent les conditions de la manifestation d’un vrai sacramentel dont il n’est pas la cause.

La procédure de CL intègre le décalage entre la vérité judiciaire qu’elle produit et une vérité pure qu’elle renonce à poursuivre.

B- L’usage des writs

Le writ retournable est un ordre envoyé par le roi au sheriff de convoquer X devant une certaine cour à une date donnée pour y répondre d’une accusation spécifiée : le sheriff renvoie le writ à Westminster après exécution, écrivant au dos ce qui a été fait. La forme du writ est généralement brève : mandat par lettre émanant du roi, sur parchemin, scellé de son grand sceau et adressé au sheriff du comté. Le writ est le fruit de l’ancienne procédure du ban royal. La désobéissance à cet écrit constituait une infraction qualifiée de mépris de l’autorité royale (contempt of royal authority) et entrainait des conséquences pénales lourdes. La justice royale est donc fondée, au premier chef, sur le refus du défendeur d’obéir à l’injonction royale de faire droit au plaignant :

Exemple : le writ of gage

« Le roi au sheriff de X, salut. Enjoint à N qu’il restitue justement et sans retard à R telle portion de terre (ou telle terre) dans tel village, portion qu’il a occupée pour les 100 marcs qu’il a prétés et dont le terme est présent dépassé, selon ce qu’il dit et qu’il accepte désormais l’argent ou qu’il s’estime désormais quitte avec cette terre. Et s’il ne s’exécute pas, fais lui semonce par des semonceurs d’avoir à comparaitre devant moi ou devant mes juges à Westminster pour la session de Pâques dans 15 jours pour expliquer pourquoi il n’a pas obéi. »

Ce point est important car, en théorie, les cours de CL resteront jusqu’à la fin du XIXè s, des juridictions d’exception : il fallait donc d’abord leur faire admettre leur compétence, avant de pouvoir leur soumettre le fond du litige. Ces difficultés, d’ordre procédural, sont résumées par l’adage remedies precede rights. Cours de CL ont donc produit, mécaniquement, une hypertrophie de la procédure par rapport au droit substantiel.

La délivrance des writs, sur requête du demandeur, entrait dans les fonctions du chancelier qui y apposait son sceau, moyennant finance (fee). Le writ servit donc d’instrument au roi et à ses officiers pour développer la juridiction de la Curia Regis, au détriment des tribunaux locaux et seigneuriaux.

Les writs sont vite standardisés, du fait de la répétition de cas identiques, engendrant logiquement les mêmes writs. Plusieurs centaines de writs sont ainsi à la disposition des justiciables, chacun permettent d’initier une action particulière. N’importe qui peut démarrer une action. Il suffit d’acheter, pour un prix assez modique, un writ correspondant à l’action choisie, sommant l’adversaire de comparaitre devant le tribunal royal.

Ce dernier point est important car désormais tous les litiges (les « plaids communs »), et non plus seulement ceux touchant à la paix du roi, peuvent être évoqués devant les tribunaux royaux.

Dès la fin XIIè-début XIII se constitua une collection que Bracton qualifie de « brefs formés » ou « d’usage courant » (brevia formata ou brevia de cursu). Mécontentement des barons, qui se sentent dépossédés de leurs prérogatives judicaires par la couronne. Plt de la fin du XIIIè va donc porter deux coups d’arrêt au développement du processus :

  • interdiction d’apporter la moindre modification aux brevia formata sans le consentement du plt.
  • Surtout statut de Westminster II (1285) institue la prohibition de faire de nouveaux writs sans le consentement du roi et de son conseil. Permet toutefois à la chancellerie d’opérer par analogie en procédant à l’extension d’un writ existant, si un cas semblable venait à se présenter : origine des brevia in consimili casu.

Ce statut de Westminster II aura des conséquences importantes, en ceci qu’il entraina un ralentissement très important de la création de nouveaux writs et donc un vieillissement accéléré de la procédure de CL. Il est donc indirectement à l’origine de l’apparition de la procédure d’equity au XVè (cf. infra).

Dès l’époque de Glanvil, le droit anglais commence à prendre l’aspect d’un commentaire sur les writs : autant d’actions, autant de brefs écrivait Bracton ; autant de brefs, autant d’actions. Le choix du writ est grave car il détermine toute la procédure et est irrévocable : entre la formule initiale du writ et les conclusions, la concordance doit être absolue. R, le choix ne constitue pas une option simple entre un certain nombre de termes techniques bizarres. C’est un choix entre des méthodes de procédure adaptées aux cas de différentes sortes. Ces méthodes s’appliquent à une série de questions : compétence de la cour, comparution ou contumace du défendeur, confrontation des prétentions adverses, apport et appréciation des preuves, apparition des excuses pour non comparution et autres moyens dilatoires : voilà tout ce qui se cache derrière une formule d’action.

Sur chaque action vont aussi s’accumuler, à la longue, des séries de décisions judiciaires. Chaque action aura ses propres précédents. Cette conjugaison des writs avec les décisions de justice par le formalisme de la procédure = la clef de la CL. Permet de saisir à la fois la force du précédent et le caractère quasi-criminel de la CL : les décisions ne sont que la suite légale des ordres royaux contenus dans les writs ; elles mettent en œuvre les instructions de la Couronne ; elles assurent l’obéissance au commandement du souverain dont l’autorité revêt toutes leurs sentences.

Ce fonctionnement explique aussi la lenteur de formation de la CL : les décisions sur le fond sont rares. La plupart ne touche que la procédure, dont la technicité ne va cesser de s’accenteur, jusqu’à mettre la CL en péril de mort, au XVIè s.

§II- Les cours royales de Common Law

En conséquence du succès des réformes d’Henri II, le XIII è s voit une extraordinaire augmentation des plaids communs évoqués par les tribunaux royaux. Pour y faire face, on développe une justice itinérante, les juges visitant périodiquement les comtés en suivant un itinéraire régulier : système des eyres. NB : ces juges ont, surtout au début, été choisis parmi les familiers du roi : Thomas Becket, Ranulph de Glanvil, Gautier Map, Richard de Lucé

A partir du XIVè ce système, lui même engorgé, est remplacé, dès 1302, par des juges itinérants recevant pour les plaids de la couronne des commissions spécifiques et pour les plaids communs, qui exigent un jury de 12 hommes libres, une commission de petty assize. Ces juges itinérants s’organisent aussi en circuits.

En //, les cours royales fixes se développent. Sous Henri II l’Echiquier traite des affaires communes, amis l’afflux est tel qu’à la fin du XIIè siècle le Banc Commun est organisé pour entendre les litiges et qu’en 1234 on recrée le Banc du Roi, dont l’essor date surtout du XIVè siècle.

Le succès de la justice royale au XIIIè et incontestable. Et ce sont les « consommateurs » qui font ce succès, car ils sont surs que les décisions des cours du roi seront appliquées. H.II a vite admis que des plaintes officieuses soient déposées contre ses propres officiers. Bien sûr, le roi exige de ses barons qu’ils acceptent contre leur officiers ce qu’il accepte contre les siens.

Concurrence à la justice seigneuriale : dès qu’une affaire en vaut la peine, les justiciables préfèrent faire appel à la justice royale, grâce à un writ spécifique : le writ de poene, qui est attributif de compétence et qui permet de transférer les affaires de la cour d’un baron à celle du roi.

Au total, l’essor de la justice, royale, plus encore que l’ordre public, signifie avant tout la sécurité de la propriété privée, face à l’arbitraire féodal des seigneurs et même à celui du roi. Toutes les tenures sont ainsi amenées dans l’orbite de la justice royale et donc toute propriété privée : la CL est avant tout une land law. Elle a d’autres aspects mais aucun ne revêt l’importance sociale et politique de cette section du droit anglais qui permet la reproduction de la classe dominante des seigneurs.

Techniquement, les 3 cours de CL sont issus de démembrements successifs de la Curia Regis. Ce sont elles qui ont forgé la CL, jusqu’à leur disparition en 1875.

A- La cour des plaids communs

 

Article 17 de la Grande Charte à la fois confirme pour le passé et consacre pour l’avenir la création de cette cour de justice. Dispose que les plaids communs n’auront plus à suivre le souverain dans ses pérégrinations mais devront être jugés dans un lieu déterminé qui se fixa, après qques tergiversations, à Westminster : « serrure et la clef de la CL » selon Ed. Coke. Au départ, les juges n’étaient pas spécialement affectés à cette cour. Au nombre de 4 ou 5 avec à leur tête un chief justice. Notion de plaids communs très large : ce qui ne relève pas des « plaids de la couronne » : causes entre particuliers, droit privé au sens large. En réalité choses plus compliquées car CPC dut partager sa compétence avec d’autres cours comme la cour de l’Amirauté ou les cours ecclésiastiques. Monopole sur les vieilles actions réelles et quelques unes des plus anciennes actions personnelles (debt, covenant…) : lui valut sa popularité mais fut aussi la cause de son archaïsme.

B- La Cour du Banc du Roi

L’attribution des plaids communs à une cour spéciale laissait encore à la Curia regis la connaissance d’un lot considérable d’affaires judiciaires : celles où les grands étaient impliqués + affaires pénales. En outre, comme juridiction supérieure, la Curia pouvait recevoir les appels formés des décisions de toutes les autres juridictions. La technicité de ces affaires, le formalisme grandissant de la procédure de CL s’accommodaient mal d’un tribunal aussi composite que la Curia regis. Les juristes de celle-ci finirent par former un petit comité dirigé par le chief justice : cour tenue coram rege qui n’allait pas tarder à devenir la plus importante du royaume. Clairement individualisée au début du XIVè, soit un siècle après la CPC. Les juges du banc doivent accompagner le souverain dans tous ses déplacements. Mais peu à peu, fixation de ce tribunal à Westminster (peut être dès le règne d’Edouard 1er) : la présence du roi se transforma alors en pure abstraction, le rois cessant d’y paraître. L’évolution de la CL travailla en outre dans le sens d’une suprématie du droit. Cf l’opposition formelle du chief justice Coke au début du XVIIè s lorsque Jacques 1er prétendi reprendre la place abandonnée par ses prédécesseurs à son « banc » :

« Il est vrai que Dieu a favorisé votre Majesté d’une science excellente et de grands dons naturels, mais sa Majesté n’est point savante en les lois de son royaume. Or, les causes qui mettent en jeu la vie, l’héritage ou la fortune de ses sujets ne reçoivent pas leur décision d’après la raison naturelle, mais d’après les artificielles raisons et jugements du droit, lequel droit est un acte qui requiert longue étude et expérience avant qu’un homme puisse attendre à sa connaissance (…). Ce dont le roi fut grandement offensé. »

Maître de la juridiction criminelle, le banc du roi conquit sur la CPC une partie notable de la juridiction civile : encombrement du prétoire de la CPC + artifice de procédure (bill of Middlesex).

Compétence administrative également très importante : mission de veiller à la bonne observation du droit par les corps constitués et les titulaires d’offices : writs d’habeas corpus, de certoriari, de prohibition de mandamus, permirent au king’s bench de prévenir des actes illégaux d’organismes politiques ou d’individus chargés de la conduite du gouvernement : véritable tribunal administratif évitant à l’Angleterre la création d’une juridiction administrative spéciale.

C-    Le Tribunal de l’Echiquier

Les origines de l’Echiquier sont obscures. Le mot scacarrium apparaît pour la 1er fois en 1118, sans que l’on sache au juste d’où venaient et le nom et la chose. L’Echiquier s’est séparé du Trésor dès le règne de Henri 1er Beauclerc (1100-1135).

La méthode de l’échiquier est utilisée en matière de comptabilité publique. Composé de barons, non de juges (bien que leurs fonctions soient rigoureusement semblables), cette juridiction s’est sans doute détachée de la Curia Regis vers le milieu de 1250. Elle est bien individualisée sous le règne d’Edouard 1er.

L’Echiquier comporte deux secteurs distincts : une section administrative et une cour de justice.

Tentative de l’Echiquier pour étendre ses compétences au détriment de la CPC, par le biais de la procédure de Quominus : règle fiscale coutumière établie au profit de la couronne et permettant à celle-ci de requérir le paiement de ses redevances non seulement au débiteur lui-même, mais au débiteur du débiteur, et ainsi de suite in infinitum. Le plaignant faisait en effet valoir que l’argent qu’on lui devait le rendait d’autant moins capable d’acquitter ses dettes.

NB : A partir du règne d’Edouard 1er, la notion de CL va se trouver techniquement restreinte au droit appliqué dans ces 3 cours et dans les tribunaux inférieurs dépendant d’elles.

           D- Un organisme juridictionnel associé : les cours d’assises et de nisi prius

Cette institution est née d’une incompatibilité grave, apparue à la fin du XIIIè siècle, entre la centralisation de la justice à Westminster et le développement croissant de deux institutions juridiques majeures en CL : la preuve par témoin et le jury. Pb des coûts de déplacements posé non seulement aux parties mais aux jurés et aux témoins.

D’où la solution, trouvée par Edouard 1er et consignée dans le 2nd statut de Westminster (1285), avec la mise en place de circuits réguliers, parcourus deux fois par an par des commissaires dont la mission est très précisément définie en matière civile et pénale. Ces commissaires doivent faire trancher par un jury des différents comtés la véracité des questions de fait débattues devant les cours de Westminster. Ainsi, le procès devait toujours se dérouler devant le banc sédentaire des juges royaux, mais on ajouta la restriction suivante : « à moins que auparavant (nisi prius) une commission de juges nommés par la Couronne ne se soit rendue dans le comté au cours d’une tournée pour connaître de ces affaires. » Cette précision était introduite dans le writ de venire facias adressé au sheriff pour ouvrir la procédure et servir de base aux convocations en vue du procès.

Cette formule fut couronnée de succès, et permit en Angleterre de combiner une double tradition de centralisation de la justice et de décentralisation des affaires.

La réforme de 1285 eut une influence considérable sur la destinée de la CL : les tournées d’assises et de nisi prius engendrèrent de véritables cours de justice quasi permanentes, tenues par les juges de Westminster eux-mêmes. Grâce à ces circonstances, à la place des anciennes juridictions locales, soumises à des lois et à des coutumes disparates et tombées en désuétude, régnèrent partout sur le territoire anglais des principes juridiques identiques appliqués par un collège unique de magistrats : uniformité à la fois des règles de droit et de leur application, assurée par une formation commune (cf. infra). Ces cours ont bien joué un rôle considérable dans l’extension des règles de CL à l’ensemble du royaume d’Angleterre.

Conclusion

Durant toute la fin du MA, les chanceliers ont dans leurs sermons d’ouverture du parlement inlassablement répété que la bonne administration de la justice et la conservation des lois dans le royaume d’Angleterre étaient un devoir fondamental du roi et du plt : C’est une affaire nationale, car la loi qu’il s’agit de faire observer et de faire respecter est celle de l’Angleterre : bien commun de la nation, fierté nationale des juristes anglais : sorte d’insularisme.

Ainsi, sir John Fortescue insiste sur les principales caractéristiques de la CL

  • une loi que le roi ne peut changer sans le consentement de ses sujets : c’est précisément cela qui fait que le royaume d’Angleterre est un dominium à la fois politique et royal (et non seulement royal, comme en France).
  • Cette loi a 3 sources : la loi de nature, la coutume et les statuts, même si, une fois qu’elle est consignée par écrit et promulguée par le roi et le plt, la coutume est difficile de distinguer des statuts.

La CL est aussi une affaire collective. L’identité que la CL postule entre la monarchie et le droit en tant que law of the land en fait le fondement du système politique qui régit le pays et lui confère pour ainsi dire la valeur de constitution. L’équation entre le roi, la CL et la propriété est au cœur de l’Etat moderne anglais et du fonctionnement de la société politique anglaise. L’attachement des anglais à leur constitution exprime ne réalité leur attachement à la CL. D’où leur crainte viscérale à l’égard de tout autre droit : cf. les violences contre le droit romain (même si celui-ci est enseigné et pratiqué devant les cours de chrétienté.

Idée fondamentale selon laquelle le pouvoir du roi n’est pas absolu car il est limité par la loi positive et le roi was pleased to limit and stint his absolute power, ne retenant que dans certains cas ce pouvoir absolu et illimité que lui confère la loi des nations. NB : malgré l’Act of Supremacy, tous les changements religieux du XVIè siècle ont été faits par statuts. Henri VIII et Elizabeth surent toujours jouer de cette double couronne de roi féodal (et paradoxalement « moderne » parce que féodal) et d’empereur, prenant le prestige de la seconde formule mais conservant les procédures de la première : subtil mélange qu’un étranger comme Jacques 1er Stuart ne sut pas apprécier à sa juste valeur.

Les tribunaux royaux sont à la fois les garants et les régulateurs du système. Si la féodalité batarde structure les clases dominantes en réseaux concurrents, ceux-ci partagent un même système de valeurs et interviennent dans le nouvel espace du politique pour défendre les intérêts de leurs chefs et, partant, de leurs membres. L’aristocratie est ainsi complice et partenaire de l’Etat. Les progrès de l’Etat se font au détriment de certains de ses privilèges mais au profit de sa liberté économique et juridique de propriétaire. Or, contrairement à ce qui est dans le cas dans le féodalisme, ce n’est plus la terre qui fait fonctionner le système, mais l’argent. D’où sa sensibilité à la conjoncture.

C’est la société politique qui, en fonction de ses besoins et de ses exigences fait évoluer les structures de l’Etat moderne, non l’inverse. Ses impulsions sont véhiculées par un ensemble d’éléments liés à ce que les contemporains appelaient le « conseil » et aux institutions par lesquelles il circule, le plt et le conseil royal.

D’où l’existence de tensions, à partir du moment où l’équilibre a été rompu, au début du XVIIè siècle, avec le changement de dynastie.


Chapitre II- Du judiciaire au politique.

La common law contre la prérogative royale

Le juge : clerc en France, prêtre en Angleterre (R. Jacob)

Juges en France s’attachent à la séance de rentrée solennelle et à la prestation de serment qui les ré-institue. Occasion de rappeler la déontologie : sorte d’ordination. La grâce du juge = une grâce d’état, qui fait de la judicature une autre cléricature.

Un tel ordonnancement est étranger aux juges de CL qui se forment dans les inns of court dont les règles sont si détaillées qu’elles font penser à celles des ordres monastiques : rôle des repas pris en commun, qui rappellent l’eucharistie. Sens symbolique des commensalités sacrificielles des inns : rapport d’homologie entre le rite qui donne structure à l’ordre interne du corps des juristes et le rite que les juristes administrent en dehors pour donner structure au corps social. Agit ex opere operato.

Ces juges là ne sont pas les délégués du roi.

Justice = Eglise dans l’Etat. Elle tire son indépendance de son mode de fonctionnement. Le paradoxe, c’est que les pays de common law sont protestants, et qu’ils sont cessé de croire en l’efficacité des rites sacramentels en tant que porteur de grâce et de salut. Mais c’est là que s’est consolidée aussi, dans le champ judiciaire, l’adhésion à l’efficacité du rite, à sa capacité à produire par lui-même les véridictions bienfaisantes, constitutives du lien et de l’ordre social.

Type de formation pratiquée en terre de CL favorise la constitution d’un très fort esprit de corps, garant d’une certaine indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir politique (section I).

Cette forte identité sociale explique en partie que la CL a pu apparaître comme un rempart efficace contre l’absolutisme des Stuarts (section II).

section I La formation des lawyers

§I- L’apprentissage de la common law

A-    Les inns of court

Il est difficile de mesurer le poids et l’impact des inns of court durant la période médiévale. On ne sait ni quand elles ont commencé à fonctionner, ni le nombre de ceux qui les ont fréquentées et rarement leur nom. Leurs traces sont ténues avant 1422 et la description qu’en fait sir John Fortescue. Les inns y sont présentées comme des institutions bien établies, fréquentées par des étudiants nombreux, dont l’existence est justifiée par le fait que le droit anglais exige la connaissance de 3 langues : latin, français, anglais et qu’en conséquence, il ne peut être enseigné à l’université, où l’on ne pratique que le latin. D’où la création d’un studium publicum, à proximité des tribunaux royaux où la CL est pratiquée chaque jour par les juges.

Toujours selon Fortescue, dans ce studium, il y a 10 hôtels mineurs, les inns of chancery, avec 100 étudiants chacun et 4 hôtels majeurs, les inns of court, avec près de 200 étudiants chacun. Les coûts d’entretien sont tels que les étudiants sont presque tous issus de familles de la noblesse et de la gentry.

En plus du studium juridique, les inns fonctionnent aussi comme un gymnasium, pour enseigner les bonnes manières, apprendre à chanter et à danser et à s’exercer à tous les divertissements convenables pour des nobles « tels que ceux qui sont pratiqués dans la maison du roi ». Pendant la vacance des tribunaux, on étudie le droit et les jours de fête, après le service divin, ont lit « la Sainte Ecriture et les chroniques ». Du coup, les aristocrates envoient leurs fils dans ces hôtels « bien qu’ils ne désirent pas qu’ils s’imprègnent de la science du droit ni qu’ils vivent de son exercice, mais seulement de leur patrimoine. »

Ce texte pose pb : la réalité décrite fait plus penser à ce que l’on sait des inns au XVIè siècle, qu’à ce que laisse deviner la maigre documentation du XVè. Les effectifs, notamment, paraissent exagérés. Pourtant, chief justice et lui-même formé aux Inns, Fortescue est incontournable : peut-on, à partir de lui, construire une chronologie rétrospective de l’essor des inns ?

Tout au long du siècle qui suit les réformes d’Henri II, les juristes, des niveaux les plus élevés aux plus modestes sont progressivement devenus des professionnels. Cette professionnalisation rapide pose un double pb.

  • celui de la formation
  • celui du contrôle de l’entrée dans le métier. Sur ce dernier point, une série de règles sont édictées dans les années 1280-1300, afin de sanctionner les fautes professionnelles et les comportements délictueux au détriment des « clients », comme l’ambidextérité (procédé par lequel un attorney ou un sergent se faisait payer par les deux parties adverses d’un même procès). Ces mesures assainissent la profession et redéfinissent la profession sur la base de la compétence que le client est en droit d’exiger de son homme de loi. Ainsi, si un attorney laisse passer les délais exigés pour faire telle ou telle opération, il peut être poursuivi. Contrôle encore plus important sur les sergents, qui ont le monopole du plaid. Ainsi, un ordre des serjeants at law (12 au plus), organisé depuis 1319, est seul habilité à plaider devant la cour des Common pleas. Il s’agit d’une dignité réservée aux avocats ayant au moins 16 années de barreau à leur actif. Ne constitue pas seulement un titre juridique d’un degré supérieur, mais l’acquisition d’un véritable status de futur juge. Les Serjeants forment d’ailleurs avec les juges l’ordre de la Coiffe (par référence à la coiffe de soie qu’ils portaient sur la perruque).

S’agissant de la formation, en Angleterre aussi droit canon et droit romain sont enseignés à l’université, d’abord surtout pour les juristes ecclésiastiques, puis pour servir les cours qui jugent en « équité » (cf. infra). L’Université forme les advocates, pour lesquels se posent d’ailleurs les mêmes pbs de contrôle d’accès au métier, mais où la régulation est facile à organiser à partir des grades universitaires. Ce corpus n’existe pas à l’origine de la CL, alors qu’il est indispensable de connaître la pratique quotidienne des cours de justice royale.

Les inns of court naissent ainsi en dehors de l’école : pour suivre les séances des cours pendant les périodes où elles siègent (les terms), les apprentis juristes auraient pris l’habitude de descendre dans des auberges (inns) situées à mi-distance de la city de Londres et de Westminster et s’y seraient regroupés en associations. Plus tard, tout en gardant leur désignation d’inns, elles auraient loué ou acquis des locaux plus vastes, comme ceux du Temple, vacants après la dissolution de l’ordre.

On entend parler d’elles pour la première fois en 1329, mais surtout à la fin du XIVè, où la documentation est bcp plus dense : « 3ème université » d’Angleterre, composée des 4 grandes inns :

  • Lincoln’s inn
  • Gray’s Inn
  • Middle Temple
  • Inner Temple

Les jeunes gens y arrivent après être passés par des inns préparatoires (les « inns of chancery ») (entre 8 et 10). On ne sait pas pourquoi ces deux types d’inns se sont différenciés dès le XIVè, mais au début du XIVè siècle, les clercs de la chancellerie avaient en tant que tels leur propres hôtels où ils vivaient en collectivité et on sait qu’ils avaient commencé à y enseigner. Or, cet habitat collectif disparaît au milieu du XIVè siècle, et il a bien fallu trouver une solution nouvelle à partir du règne de Richard II. Chronologie donc assez floue.

Pourtant, l’opposition entre apprentissage et école n’aboutit pas à la dichotomie qui sépare, dans le domaine médical médecins (école) et chirurgiens et barbiers (apprentissage) : les praticiens de la CL, quand la complexité de leur droit et l’essor d’un corpus textuel spécifique l’imposent, passent à l’école, mais leur position sociale et politique est suffisamment solide pour qu’ils prennent en mains eux-mêmes ce développement. Après tout, la culture juridique est, en Angleterre, issue de la culture seigneuriale. Dès 1302, le chief justice, à la fin d’un procès difficile, s’adresse directement aux apprentis, et plusieurs juges du XIVè font de même : le tribunal devient salle de classe. Maitland, le 1er, a suggéré que ce sont les apprentis qui ont pris les notes nécessaires à la rédaction des year books, rapports des procès marquants, qui ont donné aux juges l’occasion d’exprimer des opinions ayant valeur de précédents. Les year books sont une source essentielle du droit anglais, auxquelles s’ajoutent les sommes et une série de traités de toute évidence rédigés pour des étudiants apprenant leur métier (cf. infra).

Les inns développent une pédagogie originale. Quand les tribunaux vaquent, les sociétés d’apprentis s’assemblent en réunions pour s’aider mutuellement dans leur travail : quaestiones sur des sujets juridiques qui évoquent les discussions universitaires. Au début du XVè, les sociétés engagent des professeurs (readers) choisis parmi les praticiens les plus en vue, pour commenter dans le grand hall les statuts du royaume et les autres grands textes. Les readings, d’abord rudimentaires, deviennent vite aussi sophistiqués que des cours d’universités. Ils durent 3 semaines et demie, à raison de 4 matinées par semaine, mêlant ce qu’on appellerait aujourd’hui cours et séminaires. La lecture commentée du texte étudié est suivie d’une discussion des points difficiles avec les membres les plus expérimentés de l’auditoire (qui incluent souvent des invités de marque, comme des juges par exemple).

Au diner, anciens et invités entourent le reader à table et poursuivent la discussion, comme les étudiants, répartis par petites tables. Le soir, sous la direction des anciens, les étudiants mettent en scène des procès ficitifs (moots).

On connaît bien l’organisation des inns au XVIè siècle, mais peut être remonte-t-elle au XVè : elle ressemble à celle d’un collège universitaire, mais chaque inn offre dans sa topographie et ses règles de sociabilité l’image précise de la profession. Chacune des sociétés est gouvernée par un groupe de juristes du + haut niveau, en général anciens apprentis de l’inn : ce sont les benchers, ainsi appelés parce qu’ils mangent dans le hall de chaque inn à la High table. Les readers sont recrutés parmi eux.

Sur le low bench, sont ceux que les benchers ont appelés à la barre (called to the bar) et qui exercent ou sont considérés comme aptes à le faire. On y distingue aux extrémités les utter barristers et au centre les inner barristers. Ces désignations équivalent aux grades universitaires, mais dans les années 1530-1540, elles s’intègrent aux titres identiques portés dans la pratique.

Ainsi, les serjeants at law sont recrutés parmi les barristers : ils peuvent plaider où ils veulent, mais surtout à la court of common pleas, car ils y ont le monopole des procès. Ils ont leur propre inn, Serjeant inn, ce qui accentue encore leur esprit de corps. Les juges royaux, enfin, sont choisi parmi les serjeants : ordre de la coiffe.

Ceux qui ne sont ni juges, ni sergents continuent à être appelés apprentis, même s’ils sont établis et pourvus d’une abondante clientèle : ils sont les apprentis des tribunaux, non ceux d’un maître.

Au début du XVè, tous les avocats et attorneys ne sont pas encore issus des inns, mais la formation comme apprenti chez un praticien recule nettement.

En devenant de véritables établissements d’enseignement supérieur, avec des programmes, une pédagogie distincts de ceux des universités, les inns, comme les écoles des humanistes italiens sont capables d’offrir à un public laïc un enseignement adapté à ses aspirations, qui échappe totalement au contrôle et à la domination symbolique de l’Eglise. Ecoles de droit, elles forment des professionnels, mais, pour ceux qui ne se destinent pas à exercer, la culture juridique qu’elles propagent est utile : école du gentleman.

Sorte de cursus informel s’établit pour les classes dirigeantes : un an ou deux à Oxbridge, puis un passage aux inns. Sociétés de résidents ayant leur convivialité propre et formant un milieu culturel spécifique. Milieux importants pour le développement de nouvelles sensibilités religieuses et des modes littéraires.

Au total : milieu fermé, fort auto-recrutement combinant cooptation et ancienneté. Esprit de corps et véritable religion de la CL.

B- La langue du droit

1- le latin et les langues vernaculaires

Rappel : la fortune du latin n’était pas assurée en Angleterre. De tous les royaumes germaniques du MA, le royaume anglo-saxon est quasiment le seul, dès le Xè siècle, à développer une littérature, et peu après une administration utilisant la langue vernaculaire : traduction et écriture de textes en anglo-saxon : éventail de textes d’une richesse et d’une variété sans égales dans l’Occident.

Beowulf

Mais la conquête change tout. Reprenant la pratique écrite des administrateurs anglo-saxons, sans doute plus perfectionnée que la leur, les Normands introduisent systématiquement le latin à la place de l’old English, inéluctablement condamné.

Parallèlement, le remplacement aux postes de commande des moines et des évêques anglo-saxons par des continentaux et les grandes campagnes de cré ation ou de recréation et de reconstruction des églises et des monastères détruits conduisent à reconstituer les bibliothèques monastiques : là encore, le latin remplace l’anglais. Au XIIè s, le latin est donc fermement établi en Angleterre.

Mais il partage cette situation avec le français notamment dans le domaine de l’administration et de la justice. Or, et c’est une exception qui mérite qu’on s’y arrête, le français finit dans le domaine judiciaire par s’imposer au détriment du latin, résistant même à l’anglais (cf. infra). Le maintien du law french contribua à la permanence de la francophonie dans une partie de la population et à l’existence d’une culture administrative de la langue française qui subsista bien après que le français eut cessé d’être la langue normale des élites. Il fat insister sur cette culture administrative et judiciaire du français (qui n’est pas à confondre avec le fait que les élites parlèrent longtemps français) : ce n’est pas un français naturel, c’est le français du management.

Par ailleurs, noblesse et genty parlent français. L’élite est en fait trilingue, même si ses performances sont modestes en latin et si bcp d’anglais ont déjà un fâcheux accent quand ils parlent français. En fait, ce n’est véritablement qu’à la cour et dans la noblesse que le français est la langue parlée naturellement : le beau français reste un trait de la culture aristocratique, au moins jusqu’au début du XVIè.

Plus largement, la culture aristocratique anglaise reste largement ouverte sur la culture française (et bourguignonne). Au XIIè siècle, quelques uns des textes les plus illustres de la langue française sont sans doute issus de la cour des Plantagenets (Tristan de Thomas d’Irlande, lais de Marie de France). A partir du XIIIè , ce haut niveau de qualité littéraire tend à disparaître, sans doute parce que la cour anglaise perd quelque peu de son brillant, mais plus profondément parce que le niveau de la qualité du français d’Angleterre baisse.

La production de textes français en Angleterre au XIIIè s et dans la 1ere ½ du XIVè semble se concentrer sur 2 secteurs : la littérature de dévotion et la littérature historique. Dans la 1ère ½ du XIV on commence à traduire en moyen anglais des textes pourtant écrits récemment. On traduit même, pour la 1ère fois, des textes écrits d’abord en anglais en français. La 1ère pétition parlementaire rédigée en anglais date de 1386. Peu à peu, dans tous les domaines, à l’exception de la justice et du droit le français va reculer puis disparaître devant l’anglais.

A dire vrai, il reste étonnant que l’anglais ait mis tant de temps à supplanter le français. En tant que langue littéraire, l’anglais semble avoir presque disparu au XIIè et son renouveau semble encore timide au XIIIè siècle.

2- Le law french

Pourquoi le français s’es-il imposé à titre principal dans le langage judiciaire, alors même que la Common Law s’est imposée comme un droit « national » ? 2 raisons majeures.

  • Hommes de loi et juristes, en se professionnalisant, ont forgé leur langage technique, qui est à la fois un outil et un mode de distinction : plus l’usage du français recule ans la société anglaise, mieux le français juridique remplit cette fonction de distinction. C’est ce que soutient sir John Fortescue quand il insiste sur la qualité authentique du français parlé par les juristes anglais. Il en donne deux raisons : l’une est que le français des Français s’est corrompu par quadam ruditate; l’autre est que le français est au XVè siècle plus souvent écrit que parlé.
  • Le droit anglais n’est pas enseigné dans les universités, donc en latin, mais dans les inns of court (cf. infra). Si le français isolait les professionnels du droit des amateurs laïcs anglophones, il les isolait tout aussi efficacement de la concurrence des universitaires juristes latinophones. Une grande partie de la littérature juridique est donc rédigée en français : le grand traité de Bracton (mort en 1268) « De legibus et consuetudinibus Angliae » est traduit en français dès 1290, et l’on trouve de courts traités de droit en français, soit seuls, soit réunis en collections.

Ceci dit, le français qui est utilisé comme la langue judiciaire officielle de l’Angleterre est profondément altéré par le temps, le jargon et la contamination de l’anglais. Au total, une langue obscure, qui nécessitait un apprentissage spécifique :

« Le case fuit que en home et se feme ayant longe temps vive incontinent ensemble, le home ayant consumé son substance (…) dit al feme que il fuit weary de son vie et que il voilait lui même occider ; a que la feme dit que donc il voilait auxi moryer ove lui ; per que le home praya la feme que ele voiloit vaer et atchater ratesbane and ils voilent ceo Biber ensemble, le quel elle fist et el ceo mist en le drink et ils bibent ceo. Mes la feme aprest prist sallet oyle, per que elle vomit et fuit recov, mes le home morust ; et le question fuit si ceo fuit murther en la feme. »

Ce français judiciaire fut une première fois interdit par Cromwell en 1650 au profit de l’anglais. Mais il fut réintroduit avec la Restauration. Il disparut cependant progressivement des prétoires, jusqu’à ce qu’un statut de George II en 1731 lui porte le coup de grâce, éliminant du même coup le latin.

C-La théorie du précédent judiciaire

1- Formulation de la règle

La règle du précédent ou stare decisis (latin : rester sur la décision) est une règle de droit s’appliquant particulièrement dans les pays de common law. Cette règle veut que les tribunaux rendent des décisions conformes aux décisions antérieures. Bien que moins importante dans les pays de droits de tradition civiliste, la règle du précédent y existe aussi, sous la forme du respect de la jurisprudence établie. Selon la Cour suprême de Louisiane, un état dans lequel le droit est inspiré du Code napoléonien, la différence entre le stare decisis et la règle de la jurisprudence constante résiderait dans le fait qu’une seule décision jurisprudentielle peut suffire à fonder la règle du stare decisis, tandis qu’il faudrait une série de décisions cohérentes pour fonder une règle de jurisprudence constante1. La différence est donc essentiellement de degré, plutôt que de nature. Cette règle n’empêche toutefois pas des revirements de jurisprudence constante.

Dans les pays de common law, d’une part, une part importante du droit est un droit coutumier, non écrit dans des lois ou des règlements, et d’autre part, on considère que le sens précis de ces coutumes ou usages – ainsi que des lois écrites – ne s’éclaire que lorsque des tribunaux ont eu à l’appliquer dans des situations concrètes. C’est la jurisprudence, l’accumulation des décisions (les précédents), et en particulier, les motivations (ratio decidendi) que les juges en donnent qui constitue l’essentiel des sources du droit, plus que la loi elle-même. On parle de case law, loi issue des jugements, qu’on peut traduire approximativement par « droit jurisprudentiel ».

Dans ce contexte, le principe de la sécurité juridique, selon lequel la loi doit pouvoir être connue et accessible à tous, exigerait que la jurisprudence soit effectivement respectée. Dans leurs arrêts, les cours de common law citent régulièrement de nombreuses décisions antérieures sur lesquelles elles prétendent fonder leurs décisions, beaucoup plus que la loi elle-même. La règle du précédent s’impose presque toujours aux cours inférieures quant aux décisions de leurs cours d’appels.

Au XVIIIè siècle, Théorie déclaratoire de Blackstone : le juge est le « vivant oracle de la coutume » : doctrine de la révélation. Le juge ne crée pas le droit par ses décisions, il ne fait que le révéler à lui-même. « C’est une règle établie que l’on doit s’en tenir aux anciens précédents, là où les mêmes points reviennent en litige », afin de « conserver à la balance de la justice l’équilibre et l’immobilité et de lui éviter les oscillations que chaque nouveau juge serait susceptible de causer. » « Le droit étant dans une espèce solennellement déclaré et déterminé, ce qui antérieurement était incertain et peut être indifférent et dès lors devenu une règle permanente qu’il n’est plus dans le pouvoir d’aucun juge ultérieur d’altérer ou de faire varier au gré de ses sentiments particuliers, ce juge étant assermenté pour trancher non d’après son jugement particulier mais conformément aux lois et coutumes connues du territoire, n’étant pas délégué pour dire un nouveau droit mais pour maintenir et proclamer l’ancien. »

La seule exception à cette règle : le caractère manifestement absurde ou injuste des précédents. La sentence ne peut alors se voir attacher d’effet obligatoire. Le droit en effet n’est pas autre chose que la perfection de la raison. Il ne souffre donc ni absurdité ni injustice. Ne constitue en aucune façon l’expression d’un caprice ou d’une volonté individuelle : Raison universelle qui gît dans le droit et à laquelle tous ont accès. Fiction selon laquelle la CL, sensée exister depuis un tems immémorial, serait restée inchangée depuis l’origine. Ici, le droit et l’idéologie se conjoignent.

2- Mise en œuvre de la règle

La règle du précédent judiciaire est apparue progressivement entre le XIIIè et le XIVè s, à la suite de la confection et de la publication des premiers Year books puis surtout des reports (cf. infra). Grâce à ce travail de collecte et d’archivage, les citations des cas antérieurs deviennent de plus en plus précises (à la différence de ce que l’on observer, à la même époque, dans le système français).

Pour autant, plusieurs précisions doivent être apportées quant à la valeur obligatoire des précédents :

  • cette valeur obligatoire n’est pas attachée au jugement lui-même, qui ne vaut, par définition, que pour une espèce donnée, mais seulement à l’opinion du juge, en ce qu’elle comporte un exposé des motifs.
  • Comme cet exposé est souvent fort long, il convient de distinguer entre els arguments qui constituent le soutien nécessaire de la décision (ratio decidendi) et ceux qui n’ont qu’une valeur superfétatoire, soit parce qu’ils ne touchent pas directement le pb posé, soit parce qu’ils ne sont avancés par le juge lui-même qu’avec prudence, et parfois à titre un peu expérimental : dicta ou obiter dicta.
  • Il convient enfin de distinguer l’opinion majoritaire des opinions dissidentes et des opinions séparées (inconnues en droit français)

Seule la ratio decidendi peut éventuellement acquérir valeur obligatoire si elle émane d’un juge d’une cour supérieure. Elle s’impose alors aux juridictions placées en dessous de cette cour.

Face au précédent judiciaire, une marge d’appréciation existe donc bel et bien pour le juge :

  • il peut en premier lieu tirer parti de la distinction entre ratio decidendi et obiter dicta pour écarter un argument tiré d’une espèce antérieure invoqué comme précédent et prétendre que cet argument ne constituait en réalité qu’un dictum sans valeur obligatoire.
  • Il peut également distinguer entre les cas suivant la ressemblance ou la différence des situations de fait. Il est rare en effet que des circonstances parfaitement identiques se retrouvent dans deux espèces. Le juge est alors fondé à se demander si la nouvelle situation qui se présente devant lui est suffisamment proche de l’ancienne pour que lui soit applicable la même solution, ou suffisamment différente pour qu’il lui applique, au contraire, une autre solution. Il procède alors à une « distinction » : moyen de limiter la portée d’un précédent.

La technique des distinctions permet de compléter en la corrigeant la théorie de la valeur obligatoire des précédents.

En tout état de cause, extrême malléabilité du droit anglais : caractère a-systématique et ouvert qui l’oppose aux droits romanistes que l’on trouve sur le continent. Correspond à une autre manière de distinguer le fait du droit et, plus généralement, d’appréhender le réel.

§II- La mémoire de la Common law

Cette mémoire renvoie au passé, tel que l’ont façonné des centaines de recueils de décisions judiciaires (A), ainsi que quelques dizaines d’ouvrages de doctrine, attachés à théoriser et à synthétiser un processus fuyant (B).

A- Les recueils de décisions judiciaires

Les décisions des cours de justice, en raison de l’importance extrême qui s’y attache, ont fait l’objet en Angleterre d’au moins deux modes particuliers de conservation et de vulgarisation : les records et les reports.

1- Les records

Il s’agit d’actes et de procédures émanant directement des différentes cours et conservés par leurs soins sur des parchemins auxquels était attachée la force authentique : Plea rolls, sorte de PV de greffe formant une suite continue depuis le règne de Richard Cœur de Lion (1189) jusqu’à nos jours. Ces documents se présentent sous la forme de membranes de parchemin écrites recto verso. Chaque membrane mesure environ 1 yard (91 cm) de long sur 9 ou 10 pouces de larges (20-25 cm). Le nombre des membranes variait selon le nombre et l’importance des affaires plaidées au cours d’un term (une session). Sous Edouard III, par exemple, on rencontre des terms ayant exigé plus de 400 membranes, mises en liasses, brochées ensemble puis enroulées les unes sur les autres (d’où leur nom).

Ces rôles étaient certainement tenus en plusieurs originaux. Dès le XIIIè, l’art du recording ne tarda pas à se perfectionner, reflétant le rapide développement de la CL

Le contenu de ces archives ne porte pas tant sur les faits de l’espèce et ne consiste pas en la relation authentique des sentences prononcées : il s’agit des PV suffisamment exacts de la procédure et de son aboutissement, pour assurer l’autorité de la chose jugée et la perception des droits fiscaux engendrés par le procès : nom des parties, nature de l’action, exposé de la demande, réponse du défendeur, conclusion des parties, points soumis à l’appréciation du jury (issues), verdict du jury, sentence de la cour.

2- Les reports

Ils ont joué un rôle absolument fondamental dans la formation du droit anglais : sans eux, jamais la jurisprudence n’aurait obtenu l’autorité exceptionnelle qui s’attache aux sentences de justice.

Les reports = des sortes de succédas des records, destinés à mettre à la disposition du public, et plus spécialement des professionnels du droit des CR des évènements judiciaires susceptibles de les intéresser : narration des différents procès, courts résumés des procédures, décisions des cours.

Les reports servent même d’index et d’explication aux records. Toutefois, si la valeur juridique de ces deux sources n’est pas comparable (seuls les records sont authentiques), leur importance historique ne l’est pas plus : les reports, en vulgarisant le contenu des décisions de justice sont devenus un rouage essentiel du développement de l’ancien droit et du droit contemporain de l’Angleterre et des pays de langue anglaise.

Evolution sensible de ce genre

  1. Les years books (XIIè-XVIè) : il s’agit des premières grandes collections de reports, relatant des affaires jugées dans les cours royales entre 1290 (Edouard 1er) et 1537 (Henry VIII). Elles sont entièrement anonymes et comme leur nom l’indique, sont regroupées par années de règne des différents rois auxquelles ces sources correspondent. Les year books ont fait l’objet d’innombrables mss jusqu’à la découverte de l’imprimerie qui vit se réaliser de vastes entreprises éditoriales.

A l’origine, les year books auraient été de simples livres de pratique, des recueils judiciaires dont la forme relâchée indique qu’ils ont été rédigés sans soin, pris sur le vif par els praticiens eux-mêmes. Leur déclin a été causé par plusieurs circonstances :

  • introduction du système moderne de a rédaction par écrit des pleadings
  • pbs posés par la masse même des YB : encombrement, difficultés de consultation
  • apparition d’abrégés rendant moins urgente leur consultation
  • diffusion de l’imprimerie : amena la confection et la diffusion d’un nouveau mode de reports, plus perfectionnés, correspondant mieux aux besoins des praticiens de l’époque.

Malgré cela, les YB ont toujours été entourés de la vénération des juristes, compte tenu du caractère fondamentalement historique du droit anglais : bcp de questions du droit contemporain trouvent encore leur origine dans les décisions insérées au cœur des vieux YB.

  1. Les reports modernes. Reports signés. Emanaient, comme les YB, de praticiens qui en faisaient un usage professionnel. Les cas sont souvent rapportés de seconde main. Le soin de la rédaction est cepdt supérieur à celui des YB. Les principaux de ces reports :
    1. Reports de Dyer (chief justice des common pleas), écrits en français, XVIè
    2. Reports de Plowden, imprimés en 1571, écrits en law french
    3. Reports d’Ed. Coke (chief justice au king’s bench). 11 premiers volumes publiés en français, de 1600 à 1615. Les deux derniers en anglais, après la mort de Coke. Qualité exceptionnelle de ce travail, qui comporte de nombreux commentaires personnels.

A partir de la fin du XVIIIè s, nouveaux perfectionnements :

  • caractère scientifique donné au report : vérification des références, annotations, table des matières et des cases
  • périodicité de la publication
  • identification du jugement grâce au système des reports faisant autorité au en vertu de l’approbation des magistrats